Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne (extrait)

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Catalogue publié à l’occasion de l’exposition

Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne, au Musée lorrain du 4 mai au 4 août 2013. Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne est proposée dans le cadre de l’événement Nancy Renaissance 2013, organisé par la Ville de Nancy et la Communauté urbaine du Grand Nancy.

Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le Ministère de la Culture et de la Communication : section générale du Patrimoine / Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État.

Cette exposition fait partie des expositions préfigurant la programmation scientifique et culturelle du Musée lorrain en rénovation grâce à un ambitieux programme conduit par la Ville de Nancy en partenariat avec la Société d’histoire de la Lorraine et du Musée lorrain, le Ministère de la Culture et de la Communication et le Conseil régional de Lorraine. Version 1 ( préconisée sur fond clair)

Grand partenaire de l’événement Renaissance et de l’exposition Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne Version 2 ( préconisée sur fond foncé)

Partenaire du musée

En couverture : Hanap de Sion (cat. 9)

© Somogy éditions d’art, Paris, 2013 © Musée lorrain, 2013 Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Conception graphique : François Dinguirard Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros Contribution éditoriale : Renaud Bezombes Suivi éditorial : Astrid Bargeton ISBN 978-2-7572-0673-7 Dépôt légal : mai 2013 Imprimé en Italie (Union européenne)


Un nouveau monde Sous la direction d'Olivier Christin

naissance

de la

Lorraine

moderne



L’exposition Commissariat général

Francine Roze, conservateur en chef du patrimoine, directrice du Musée lorrain Commissariat scientifique

Olivier Christin, professeur d’Université Assistante du commissariat

Audrey Fischer, assistante d'exposition au Musée lorrain Comité d’organisation

Mireille-Bénédicte Bouvet, directrice du Service régional de l’Inventaire de Lorraine Claudine Cartier, conservateur général honoraire du patrimoine Olivier Christin, professeur d’Université Michel Maigret, ancien chef de la Mission Renaissance Stéphanie Quantin, conservateur des Monuments historiques Francine Roze, conservateur en chef du patrimoine, directrice du Musée lorrain Marie-Agnès Sonrier, conservateur régional des Monuments historiques Scénographie

Atelier Caravane, Alexandre Fruh, Strasbourg Réalisation : Centre technique municipal sous la direction d’Éric Maugras, et l’équipe technique du Musée lorrain Restauration des œuvres

Arts graphiques : Armelle Poyac du Musée lorrain Mobilier : Olivier Beringuer, Antoine Buisson, Aubert Gérard, Anne Gérard-Bendelé  Textile : Michel Chauveau  Peinture : Bertrand Bedel de Buzareingues, Claire Buisson, Christian Châtellier, Florence Delteil, Sophie Deyrolle-Peres, Laurence Didier, Dominique Dollé, Anne-Laure Feher, Jean-Pierre Galopin, Céline Girault, Emmanuel Joyerot, Igor Kosak, Sylvain Lucchetta, Yves Lutet, Stéphanie MartinRibeiro, Juliette Mertens, Méliné Miguirditchian,

Claudia Mosler, Corine Prevost, Aurélie Robinet, Ludovic Roudet, Christian Vibert, France de Viguerie Sculpture : Valérie Baudon, Hubert Boursier, Nathalie Bruhière, Antoine Buisson, Jeanne Cassier, Solène Chatain, Anne Courcelle, Jean Delivré, Hélène Dreyfus, Fabienne Druilhe, Sophie Duberson, Emmanuelle Forestier, Marta Garcia-Darowska, Florence Godinot, Maÿlis de Gorostarzu, Fanny Grue, Sophie Joigneau, Pascale Klein, Laurence Labbe, Lionel Lefevre, Anne Liegey, Marie Louis, Amélie Methivier, Véronique Picur, Anne Portal, Geneviève Rager, Jennifer Vatelot  Objet d’art : Shéhérazade Bentouati, Bénédicte Massiot, André Morteau, Anne Pinto, Laboratoire d’archéologie des métaux, Jarville L’équipe du Musée lorrain

Richard Dagorne, directeur adjoint, conservateur du patrimoine Lisa Laborie-Barrière, conservateur du patrimoine Gaëlle Tichoux, administratrice Les services administratifs : Elisabeth Harelle, Mounia Merhrioui et Emmanuelle Thiébaut Le service de documentation : Bénédicte Pasques, Benoît Denet, Lucie Poinsignon et Claire Tiné ; Mylène Bony, Marie Jechoux, Ludovic Jouvet, Damien Nicolodi (chantier des collections)  Le service des publics : Marie Ostrowski, Sandrine Mondy-Lhuillery ; Aude RoneckerAudebert, Joan Eveillard, Sandrine Ramacci ; Jérôme Bolut et Delphine Hoellinger (enseignants chargés de mission) ; Jean-Sébastien Bertrand, Odile Franiatte, Blandine Henriot, Laetitia Jaeger, Quentin Jouaville, Vanessa Micaux, Alexandra Pierré-Caps, Aurélie Prévost, Marianne Vallois, Marjolaine Thouvenot (guides)  La régie des œuvres : Marie Liard-Dexet, Cynthia Catanese ; Fabien Beaudier, Xavier Lamontagne et Anthony Schneider (équipe technique)  Le suivi de la rénovation du musée et des restaurations : Frédérique Gaujacq  Les moyens généraux : Olivier Krier Les équipes d’accueil, de surveillance et d’entretien

L'exposition 5


Le catalogue Catalogue réalisé en coédition par le Musée lorrain et les éditions Somogy, sous la direction d'Olivier Christin Direction de la publication

Francine Roze, directrice du Musée lorrain Coordination générale et suivi éditorial

Audrey Fischer, assistante d’exposition au Musée lorrain

Axelle Chassagnette, maître de conférences, histoire moderne, université Lumière Lyon 2 Olivier Christin, professeur d’Université, université de Neuchâtel ; directeur d’études à l'École pratique des hautes études (Paris) Simone Collin-Roset Jean-Marie Constant, professeur émérite à l’université du Maine, président de la Société d’études du xvii e siècle

Auteurs du catalogue

Laïla Ayache, conservateur du patrimoine, musée de la Cour d’Or, Metz métropole Stephen Bamforth, professeur d’études supérieures de la Renaissance, université de Nottingham (GB)

Alain Cullière, professeur de langue et littérature françaises à l’université de Lorraine, professeur associé à l’université du Luxembourg Claire Decomps, conservateur du patrimoine, Service régional de l’Inventaire général de Lorraine

Nadine Béligand, maître de conférences d’histoire moderne, histoire de l’Amérique ibérique, université Lumière Lyon 2 / CNRS UMR 5190 LARHRA, Institut des sciences de l’homme

Benjamin Deruelle, maître de conférences en histoire moderne, université de Lille-3 Charles de Gaulle IRHIS - UMR 8529

Bertrand Bergbauer, conservateur du patrimoine, Musée nationale de la Renaissance, Écouen

Pascal Desaux, directeur des chœurs de l’Opéra de Nancy

Mireille-Bénédicte Bouvet, conservateur en chef du patrimoine, directrice de l’Inventaire régional de Lorraine

Jean Floquet, professeur honoraire à la faculté de médecine de Nancy, université de Lorraine

Jean-Pierre Brach, directeur d’études et titulaire de la chaire d’histoire des courants ésotériques dans l’Europe moderne et contemporaine à l’École pratique des hautes études, université de la Sorbonne, Paris Robin Briggs, professeur émérite du All Souls College, université d’Oxford (GB) ), membre de la British Academy Pascal Brioist, Centre d’études supérieures de la Renaissance, université de Tours Docteur Jacqueline Carolus-Curien, membre de la Société française d’histoire de la médecine

6 Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne

Naïma Ghermani, maître de conférences en Histoire moderne, université de Grenoble II, Institut universitaire de France Philippe Hamon, professeur d’histoire moderne, université Rennes 2 Valérie Hayaert, docteur de l’Institut européen de Florence (histoire et civilisation), a enseigné aux universités de Chypre, de Carthage et de Canterbury Maxence Hermant, conservateur, département des Manuscrits, service médiéval, Bibliothèque nationale de France


Philippe Hoch, conservateur en chef, chargé de mission « mémoire historique », Conseil général de la Moselle Bruno Jané, numismate professionnel Didier Kahn, chargé de recherche au CNRS Vincent Kottelat, doctorant en histoire médiévale, université de Neuchâtel, Institut d’histoire Pierre Labrude, professeur à la faculté de pharmacie de Nancy, université de Lorraine Nicolas Le Roux, professeur d’histoire moderne, LARHRA (UMR5190), université Lumière Lyon 2 Estelle Leutrat, maître de conférences en histoire de l’art moderne, université Rennes 2 Raphaël Mariani, attaché de conservation, musée de la Cour d’Or, Metz-Métropole

Stefano Simiz, professeur d’histoire moderne, université de Lorraine Marie-Agnès Sonrier, conservateur régional des Monuments historiques Romain Thomas, docteur en histoire, université Lumière Lyon 2 et École normale supérieure, Paris Ghislain Tranié, docteur en histoire, université de Paris-Sorbonne Pierre Wachenheim, maître de conférences d’histoire de l’art, université de Lorraine Aude Walsby, responsable de la médiathèque Jean-Jeukens, Bar-le-Duc Alain Weber Margarete Zimmermann, professeure de littérature française et comparée au Centre d’études sur la France, Freie Universität Berlin

Philippe Martin, professeur d’histoire moderne, LARHRA (UMR5190) université Lumière Lyon 2 Frank Muller, professeur émérite d’histoire moderne Éric Nunes, assistant de conservation, service du patrimoine, bibliothèque-médiathèque de Nancy Francine Roze, conservateur en chef du patrimoine, directrice du Musée lorrain Arnaud Rusch, DCE en sciences historiques des Temps modernes, université de Liège et université de Grenoble Hélène Say, directrice des Archives départementales de Meurthe-et-Moselle Pierre Sesmat, professeur d’histoire de l’art, université de Lorraine

Le catalogue 7


Remerciements Cette exposition et son catalogue n’auraient pu être réalisés dans le cadre de l’événement Renaissance Nancy 2013, sans l’appui et le soutien de :

Ministère de la Culture et de la Communication et le Conseil régional de Lorraine. Nous tenons à remercier :

André Rossinot Maire de Nancy, président de la Communauté urbaine du Grand Nancy, ancien ministre

Jean-Pierre Masseret Président du Conseil régional de Lorraine et ses équipes

Claudie Haigneré Présidente de l’Établissement public du palais de la Découverte et de la Cité des sciences et de l’industrie (Universciences), ancienne ministre, Présidente du Conseil Scientifique de Renaissance Nancy 2013

Dominique Flon Président de la Société d’histoire de la Lorraine et du Musée lorrain et les membres du Conseil d’administration

Laurent Hénart Adjoint au maire de Nancy, délégué à la culture

Par la qualité de leurs conseils, leur disponibilité et l’aide apportée à la préparation de cette exposition et à la réalisation de ce catalogue, nous tenons également à remercier tout particulièrement :

Véronique Noël Directrice du pôle Culture et Animations de la Ville de Nancy Denis Schaming Chef de la Mission Renaissance Et leurs équipes Cette exposition est reconnue d'intérêt national par le Ministère de la Culture et de la Communication : section générale du Patrimoine / Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d'un soutien financier exceptionnel de l'État. Aurélie Filippetti Ministre de la Culture et de la Communication Marie-Christine Labourdette Directrice du service des Musées de France Marc Ceccaldi Directeur régional des Affaires culturelles de Lorraine Cette exposition fait partie des expositions préfigurant la programmation scientifique et culturelle du Musée lorrain en rénovation grâce à un ambitieux programme conduit par la Ville de Nancy en partenariat avec la Société d’histoire de la Lorraine et du Musée lorrain, le

8 Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne

Michel Maigret, ancien chef de la Mission Renaissance et Thierry Crépin-Leblond, directeur du Musée national de la Renaissance au château d’Écouen Ainsi que Christine André, Jacques Antoine, Laïla Ayache, Valérie Balthazard, Christian Baraja, Muriel Barbier, Alain Barbillon, Stéphane Barré, Philippe Bata, Béatrice Remoissenet, Chantal Bor, Michel Bourguet, Patrice Buren, Magali Bélime-Droguet, Céline Berger, Franck Bougamont, Frédérique Boura, Isabelle Bourger, Sylvie Bouteille, Philippe Caron, Laurence Casalini, Valérie Chopin, Armelle Christin, Arthur Cochinaire, Roberta Cortopassi, Charline Dal Molin, Sébastien Debeaumont, Thierry Dechezleprêtre, Anne Dell’essa, Alain Demoyen, Benoît Denet, Sandrine Derson, Michel Dormois, Guillaume Doyen, Carole Dufour, Xavier Dussaulx, Natalia Eláguna, René Elter, Laurence Flayeux, Mireille François, Frédéric Galland, Elodie Gallingani, Christophe Garland, Jean-Jacques Gautier, Marthe Geiger, Dorine Grave, Michaele Gregor, Marie-Claude Grouix, Pierre Guinard, Margaux Hache, Alde Harmand, JeanLouis Jacquot, Cristel Jajoux, Robert Kluth, Karine Laine, Philippe Laurent, Marie Lecasseur, Jérôme Leclerc, Sylvie Liotet, Isabelle Lokiec-Schwab, Pascale Lucherini, Raphaël Mariani, Sophie Maurand, G. Montel, Chantal Moreau, Michel Moreau, Caroline Mouton, Caridad Nieto Diaz, Jean-Paul Noah, Éric Nunes, Bénédicte Pasques, Roger Patoux, Alain Philippot, Francis Pierre, Lucie Poinsignon,


Anne-Laure Poissonnier, Marguerite Préau, Karine Ramana, Dominique Rauger, Jacqueline Ries, Raymonde Riff, Martine Sadion, Eva Seidenfaden, Marion Stef, Yann Vaxelaire, Gabriel Villeroy de Galhau, M me Vincent, Alain Weber, abbé Witrich, l'équipe du chantier des collections. Que toutes les personnes physiques et morales, que toutes les institutions, publiques et privées, qui ont permis, par leurs prêts généreux, la réalisation d’Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne, reçoivent ici l’expression de notre gratitude la plus sincère : Bar-le-Duc, M me Nelly Jaquet, maire ; Musée barrois, M. Étienne Guibert, responsable ; médiathèque Jean Jeukens, M me Aude Walsby, responsable Briey, M. Guy Vattier, président de la Communauté de communes du Pays de Briey Cambrai, Médiathèque d’agglomération de Cambrai, M. David-Jonathan Benrubi, responsable ; M me Annie Fournier, Service des manuscrits et du livre ancien Deneuvre, M. Michel Boquel, maire Dieulouard, M. Henri Poirson, maire ; M. Michel Tête, président de l’Association des amis du Vieux Pays Écouen, Musée national de la Renaissance, M. Thierry Crépin-Leblond, directeur Épinal, M. Michel Heinrich, député-maire, vice-président de la Communauté d’agglomération d’Épinal-Golbey ; Bibliothèque multimédia intercommunale Epinal-Golbey, M me Anne-Bénédicte Levollant, conservateur des bibliothèques Frolois, M. Claude Colin, maire Jarville-la-Malgrange, M me Odile Lassère, directrice du musée de l’Histoire du fer Juvrécourt, M. Guy Bientz, maire Lyon, Bibliothèque municipale, M. Gilles Eboli, directeur, M me Marianne Besseyre, responsable du fonds ancien Metz, Service régional de l’archéologie, M me Muriel Leroy, directrice Metz, Bibliothèques-médiathèques, M. André-Pierre Syren, directeur ; M. Pierre-Édouard Wagner, conservateur en chef, département Patrimoine et Iconographie Metz-Métropole, M. Jean-Luc Bohl ; président, musée de la Cour d’Or, M. Philippe Brunella, directeur ; M me Anne Adrian, directrice scientifique Nancy, Archives départementales de Meurthe-etMoselle, M me Hélène Say, directrice Nancy, Bibliothèque municipale, M me Juliette Lenoir, directrice des bibliothèques ; M me Claire Haquet, conservatrice Nancy, Bibliothèque de la Société d’histoire de la Lorraine et du Musée lorrain, M. Dominique Flon, président

Paris, Bibliothèque nationale de France, M. Bruno Racine, président Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, M. Yves Peyré, directeur ; M. Yannick Nexon, chef du département de la Réserve Paris, Bibliothèque interuniversitaire de santé, M. Guy Cobolet, directeur Paris, Société de l’histoire du protestantisme français, Thierry Du Pasquier, président Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, M. Nicolas Bourriaud, directeur ; M. Bruno Girveau, conservateur en chef du Patrimoine, chargé des collections. Paris, Cité de l’architecture et du patrimoine, musée des Monuments français, M me Laurence de Finance, directrice Pont-à-Mousson, M. Henry Lemoine, maire ; M. Alain Almasio, adjoint au maire ; M me Christine Odent, responsable du musée « Au Fil du Papier » Reims, Musée historique Saint-Rémi, M. Marc Bouxin, directeur Remoncourt, M. Stève Jouquelet, maire ; Saint-Dié-dès-Vosges, M. Christian Pierret, maire ; médiathèque Victor-Hugo, M me Élianne Rauturier, directrice ; musée Pierre-Noël, M me Eléonore Buffler, directrice scientifique Saint-Mihiel, M. Philippe Martin, maire ; M me Brigitte Vast, responsable de la Bibliothèque bénédictine Saint-Nicolas-de-Port, M. Luc Binsinger, maire Sarrebourg, musée du Pays de Sarrebourg, M me Caroline Roelens-Duchamp, directrice Strasbourg, Musée historique, M me Monique Fuchs, conservateur en chef Toul, M me Nicole Feidt, maire ; Bibliothèque municipale, M me Sonia Mirgaux, directrice Trèves, Stadtbibliothek, Dr Mickael Embach, directeur Troyes, Médiathèque du Grand Troyes, M. Eudes Chigé, directeur ; M. F. Berquet, conservateur chargé du patrimoine Vandœuvre-lès-Nancy, musée de la Faculté de médecine – université de Lorraine, professeur Jean Floquet Vandœuvre-lès-Nancy, monastère des Clarisses, sœur Marie-Noël Verdun, M. Arsène Lux, président de la Communauté de communes de Verdun ; bibliothèque de la CODECOM de Verdun, M me Ben Lakhdar-Kreuwen, directrice ; musée de la Princerie, M me Marianne Mercier, responsable Vienne, Kunsthistorisches Museum, Dr Sabine Haag, directrice ; Dr Christian Beaufort-Spontin, directeur der Hofjagd- und Rüstkammer

Remerciements 9


Préfaces

Nancy et la Communauté urbaine du Grand Nancy, après L’Année de l’École de Nancy, en 1999, et Nancy 2005, le temps des Lumières, ont décidé de célébrer en 2013 la Renaissance, rejoints sur l’ensemble du territoire lorrain par plusieurs départements et de nombreuses communes, riches d’un patrimoine Renaissance remarquable, même s’il est trop souvent méconnu. Renaissance Nancy 2013, par ses ambitions, l’importance et la qualité de sa programmation, élaborée sous l’autorité d’un comité scientifique présidé par Mme Claudie Haigneré, est considéré par le ministère de la Culture et de la Communication comme un événement d’envergure internationale. C’est la raison pour laquelle deux expositions majeures organisées dans le cadre de cet événement, « Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne », au Musée lorrain, et « L’Automne de la Renaissance », au Musée des Beaux-Arts, ont reçu le label « exposition d’intérêt national », qui distingue, chaque année, les musées de France qui mettent en œuvre des expositions remarquables tant par leur qualité scientifique que par le caractère innovant des actions de médiation culturelle qui les accompagnent. L’exposition conçue par Francine Roze, conservateur en chef du Musée lorrain, et Olivier Christin, professeur d’histoire moderne à l’université de Neuchâtel, à qui l’on doit plusieurs ouvrages sur la Renaissance faisant autorité et qui connaît bien Nancy et la Lorraine pour y avoir commencé sa carrière universitaire, a pour ambition de donner une image renouvelée de la Renaissance en Lorraine et d’en souligner l’originalité profonde. Les contributions des plus éminents spécialistes français et étrangers rassemblées dans ce catalogue permettront en outre aux lecteurs de se familiariser avec la Lorraine de cette époque à bien des égards tout à fait passionnante. L’exposition aurait pu se concentrer sur l’art lorrain de la Renaissance et donner à admirer, pour leur beauté formelle, nombre de chefs-d’œuvre. Ce n’est pas ce qu’ont voulu ses concepteurs, qui, empruntant quelques chemins de traverse, entendent nous faire voir le monde de l’époque avec les yeux des femmes et des hommes de ce temps. L’initiative ne manquera pas de surprendre. Elle mérite d’être saluée.

10 Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne


Prêtés par un grand nombre de musées lorrains, confiés par autant de communes, empruntés aux plus prestigieuses collections françaises et européennes, chefs-d’œuvre et humbles objets du quotidien nous parlent d’une époque que l’on qualifie à juste titre d’âge d’or dans l’histoire de la Lorraine, même si cette période d’affirmation politique, de prospérité économique, de rayonnement intellectuel et artistique prend fin brutalement, au début du xviie siècle, avec la guerre de Trente Ans. En visitant cette exposition comme en parcourant son catalogue, on mesure toute la richesse et la singularité de la Lorraine de la Renaissance. Une richesse et une singularité que l’on retrouve tout au long des siècles sur ce territoire, considéré dans sa globalité et sa diversité, et qui justifient pleinement les efforts considérables consentis par la Ville de Nancy, l’État et la Région Lorraine pour mener à bien l’ambitieux projet de rénovation du Musée lorrain. Les fondateurs de la Société d’histoire de la Lorraine et du Musée Lorrain, tous ceux qui ont dirigé cette maison, tous ceux qui ont enrichi et valorisé les collections nous ont ouvert la voie, c’est à nous qu’il appartient désormais de faire en sorte que le Musée lorrain réponde aux attentes et aux besoins des femmes et des hommes du xxie siècle.

Aurélie Filippetti Ministre de la Culture et de la Communication

Préfaces 11


Jean-Pierre Masseret Président du Conseil régional de Lorraine

Un musée pour tous les Lorrains Riche et fière de son patrimoine historique, la Lorraine l’est assurément ! C’est pourquoi le Conseil régional s’engage naturellement aux côtés du Musée lorrain. Un lieu dédié à notre passé, à notre culture, qui chaque jour fait vivre un patrimoine témoin de ceux qui nous ont précédés, de la préhistoire à nos jours. Le Musée lorrain, c’est notre histoire, c’est celle des Lorrains, c’est notre identité. L’action du Conseil régional s’inscrit dans cette perspective, celle de soutenir la renaissance du Musée lorrain pour en faire le musée de tous les Lorrains. Un second souffle pour ces trésors qui ont traversé les siècles… Compétent en termes de conservation et de valorisation patrimoniale, le Conseil régional de Lorraine est donc fier de participer à la diffusion d’une culture historique, de qualité et accessible à tous. En effet, notre patrimoine recouvre tout ce qui peut nourrir l’Histoire, l’histoire de l’art, les techniques et plus généralement les us et coutumes. Et l’ambition régionale en la matière s’est considérablement accrue ces dernières années avec l’élargissement du champ patrimonial. Des expositions naissent ainsi autour de thèmes aussi variés que des projets militaires, industriels ou encore des projets d’urbanisme. Vous l’aurez compris, pour le Conseil régional de Lorraine il s’agit de faire vivre notre histoire, celle d’hier comme celle qui s’écrit aujourd’hui.

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Dominique Flon Président de la Société d’histoire de la Lorraine et du Musée Lorrain

Il y a peu, l’ambassadeur d’un grand pays européen me confiait à sa sortie du Musée lorrain : « Je viens de voir dans vos murs deux œuvres qui sont connues mondialement, aussi bien en Extrême-Orient qu’en Amérique latine. » Question : De quoi peut-il bien s’agir ? Réponse : Tout simplement de La Servante à la puce de Georges de La Tour et de L’Arbre aux pendus de Jacques Callot. La remarque de l’ambassadeur provoque fierté et étonnement. Comment la Lorraine, petit pays que n’habitaient que quelques centaines de milliers d’habitants au xvi e siècle, a-t-elle pu produire en quelques décennies des artistes de dimension internationale ? Être la patrie de Georges de La Tour, de Jacques Callot, de Ligier Richier et d’autres moins connus du grand public, mais fort estimés des connaisseurs, comme Jacques Bellange et Claude Déruet ? Une partie de la réponse se trouve probablement dans la prospérité de l’économie. L’on trafiquait, comme on disait alors, tant avec la France, les pays du Rhin et de la Meuse au nord qu’avec l’Italie au sud. On exportait du vin, du bois, du sel. La fertilité des mines d’argent des Vosges enrichissait les ducs et leurs sujets. À Nancy comme à Metz, les ateliers monétaires forgeaient l’or et l’argent et ces espèces étaient reçues dans les pays étrangers. Cette opulence a favorisé le mécénat et les arts, alors que les courants commerciaux faisaient cheminer les idées et les modes et mariaient le plus harmonieusement du monde les cultures française, germanique et italienne. Le domaine des arts ne fut pas seul concerné. Dans le domaine politique, le concordat de Nuremberg, auquel a consenti Charles Quint en 1542, a reconnu que les duchés de Lorraine et de Bar étaient libres et non incorporables au Saint Empire. Tout cela serait bien, si dix ans plus tard la chevauchée d’Austrasie n’était venue placer les trois villes épiscopales, Metz, Toul et Verdun, sous la tutelle du roi Henri II. Celui-ci repartit en France, emmenant avec lui le jeune duc Charles III, malgré les pleurs de sa mère Chrétienne de Danemark, la plus belle femme de la chrétienté d’après Brantôme qui devait en être amoureux. La Lorraine était déjà divisée et convoitée. Dans le domaine intellectuel et religieux, le même duc Charles III, cousin des Guise, joua un rôle politique de premier plan au moment des guerres de Religion dont il sut éviter la contagion à ses États. Les premières réunions de la Ligue se tinrent à Nancy sous la protection du duc dont le roi Henri IV chercha plus tard l’alliance. Charles III fut le créateur de la Ville-Neuve de Nancy et le fondateur de l’université de Pont-à-Mousson. Se développèrent alors imprimerie et édition. La faculté de théologie et celle des arts firent éclore les courants intellectuels et le débat ; celle de droit permit la rédaction des coutumes et leur publication ; la faculté de médecine forma d’excellents médecins, au premier rang deswquels Charles Le Pois dont les traités firent autorité jusqu’au xviii e siècle. Époque étonnante où des humanistes de Saint-Dié-des-Vosges donnèrent son nom à l’Amérique, où un chanoine de Toul publia à Saint-Nicolas-de-Port le premier traité de perspective, où François Rabelais vint séjourner à Metz et passa à Nancy, mais qui fut aussi le temps des procès en sorcellerie : le diable n’était plus un autre, mais peut-être un voisin ; il fallait des bûchers pour l’anéantir. On est frappé du bouillonnement des idées, de la fertilité des arts, de la somme des talents. Aujourd’hui, nous avons la chance d’approcher quelques personnalités d’exception, d’admirer leurs réalisations et d’entrer dans leurs rêves. Alors rêvons…

Préfaces 13


Laurent Hénart Adjoint au maire de Nancy délégué à la Culture

André Rossinot Maire de Nancy / Ancien ministre / Président de la Communauté urbaine du Grand Nancy

Le visiteur qui va parcourir l’exposition « Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne » ne manquera pas d’être surpris. Et dans le meilleur sens du terme. C’est en effet un regard totalement renouvelé sur la Renaissance en Lorraine que nous proposent de porter Francine Roze, conservatrice en chef du Musée lorrain, assistée de toute son équipe, et le professeur Olivier Christin, professeur d’histoire moderne à l’université de Neuchâtel (Suisse), dont nous tenons à saluer ici non seulement la haute érudition et l’originalité de la démarche, mais également l’engagement sans réserve dans un projet auquel il a consacré beaucoup de temps et d’énergie et autour duquel il a su rassembler des compétences nationales et internationales. Cette exposition n’a pas adopté le déroulement chronologique traditionnel auquel d’aucuns auraient été en droit de s’attendre, des lendemains de la bataille de Nancy (1477) aux terribles ravages de la guerre de Trente Ans qui laissèrent la Lorraine meurtrie, exsangue, vidée des deux tiers de sa population et ruinée pour un bon siècle. Cette exposition a renoncé également à proposer au regard des visiteurs, au fil des salles, une succession de chefs-d’œuvre réalisés par les artistes qui ont alors porté loin le renom de Nancy et du duché dont la ville était la capitale. L’ambition de l’exposition « Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne » se veut plus globale, si l’on veut bien nous permettre cette expression. Ses concepteurs nous invitent à voir, au fond, le monde d’alors avec les yeux des Lorraines et des Lorrains de ce temps. L’armure de Charles III, emportée pour Vienne dans les bagages de François III en 1737, ne doit pas être simplement vue comme un magnifique objet ; elle résonne encore du fracas des batailles et dit la puissance du souverain. La Pâmoison de la Vierge, de Ligier Richier, prêtée par la Ville de Saint-Mihiel, ne doit pas seulement être considérée comme un chef-d’œuvre de la sculpture de la première moitié du xvi e siècle ; les fidèles qui se recueillaient devant elle à l’époque étaient bouleversés par la douleur et l’émotion qui en émanaient. Penchons-nous enfin sur le De artificiali perspectiva de Jean Pèlerin, dit le Viator (Saint-Nicolasde-Port, 1505). N’y voyons pas simplement un des premiers ouvrages imprimés en Lorraine, un demi-siècle après que Gutenberg, à Mayence, a eu recours aux caractères mobiles en métal pour imprimer sa célèbre Bible ; c’est surtout le premier livre au monde qui a introduit dans le dessin, à l’aide du point de distance, la notion de perspective. On voit, à la lecture de ces trois exemples, que Francine Roze et Olivier Christin font parler les œuvres et les objets de la Renaissance comme sans doute on ne l’avait jamais fait. Cela peut surprendre, cela peut décontenancer… Pout autant, l’originalité du propos et la qualité de cette exposition n’ont pas échappé au ministère de la Culture et de la Communication qui, au nom de l’État, lui a attribué le label « exposition d’intérêt national », avec un soutien financier exceptionnel. De même, cette exposition souligne, au fond, à travers l’évocation d’une époque déterminée, tout ce qui a fait, au long des siècles, la singularité de Nancy et de la Lorraine : la volonté d’avancer, quelles que soient les épreuves et les difficultés du moment, la conviction que la science,

14 Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne


la littérature, les arts, en un mot la culture, contribuent aussi puissamment que les armes au rayonnement d’une cité et de son territoire, l’idée que la diffusion des savoirs joue un rôle fondamental dans l’évolution des sociétés, la certitude que l’on s’enrichit au contact des autres. C’est bien là la leçon que nous devons tirer de l’époque célébrée par Renaissance Nancy 2013 à travers tout un bouquet d’événements qui a l’ambition de toucher tous les publics. Et c’est ce qui nous permet de dire que le projet de rénovation du Musée lorrain, mené grâce aux efforts conjoints et tenaces de la Ville de Nancy, de l’État-ministère de la Culture et de la Région Lorraine, a une totale pertinence en ce début du xxi e siècle. N’y voir qu’une vaine glorification d’un passé prestigieux ou l’évocation nostalgique d’une Lorraine disparue serait une fatale erreur. C’est bien à un musée de notre temps, reflet d’une créativité qui n’a, malgré les épreuves, jamais cessé de rayonner en Europe et dans le monde – citons ici les noms de Jacques Callot, de Georges de La Tour, d’Émile Gallé, de Jean Prouvé, mais aussi celui d’Henri Poincaré –, à la réalisation duquel nous œuvrons depuis de longues années. Qu’il nous soit permis d’exprimer, pour conclure, toute notre gratitude à tous ceux qui ont travaillé, depuis trois ans, à la réalisation de cette exposition. Aux commissaires scientifiques et aux équipes du Musée lorrain ; aux historiens et historiens de l’art, lorrains, français et étrangers, qui ont accepté de collaborer à ce catalogue ; à tous nos partenaires économiques, généreux mécènes, sans qui ce projet d’exposition n’aurait pu être mené à son terme. Nous remercions enfin tous ceux qui ont bien voulu nous confier les œuvres et objets sollicités : musées, bibliothèques, centres d’archives, mais aussi les nombreuses communes de Lorraine qui ont conservé localement des témoignages précieux de cette Renaissance que les visiteurs vont découvrir sous un jour nouveau. Plus que jamais, grâce à leur généreux concours, le Musée lorrain, voulu par les fondateurs de la Société d’archéologie lorraine en 1848, apparaît ainsi comme le musée de tous les Lorrains, centre des mémoires et des créativités de la Lorraine, lieu culturel de référence agissant en réseau à l’échelle régionale, nationale et transfrontalière.

Préfaces 15


Sommaire 5 6 8 10 18 19 20

L’exposition Le catalogue Remerciements Préfaces Avertissement Cartographie Introduction générale Olivier Christin et Francine Roze

27

LA COUR ET LA CULTURE DE COUR

28

La cour de Lorraine Nicolas Le Roux

44

La maison de Guise entre mythe et réalité Jean-Marie Constant

58

Livres de fête et cérémonies du pouvoir à la cour de Lorraine Arnaud Rusch

68

Entre Lorraine et Germanie. Un itinéraire savant à la Renaissance Alain Cullière

80

Catherine de Bourbon : une huguenote à la cour de Nancy Margarete Zimmermann

95

ARTS, ARTISTES, ARTISANS

96

Orfèvres et orfèvrerie en Lorraine 1480-1630 Mireille-Bénédicte Bouvet

108

Les manuscrits et les enluminures en Lorraine au xvie siècle Simone Collin-Roset

116

Les années 1510, l’invention de l’architecture de la Renaissance en Lorraine Pierre Sesmat

123

DIEU, LE DIABLE ET LEURS CREATURES

124

Les Lorraines de la Renaissance, terres de réformes ? Olivier Christin et Stefano Simiz

140

La Lorraine, terre de sorcellerie rurale aux temps modernes Robin Briggs

156

Merveilles et merveilleux au xvie siècle Stephen Bamforth


169

RICHESSE ET EPREUVES

170

L’économie lorraine à la Renaissance Philippe Hamon

182

La guerre en Lorraine, de la bataille de Nancy au siège de Jametz Pascal Brioist

196

Des « Renaissance » lorraines Philippe Martin

205

CATALOGUE DES ŒUVRES

2 06

Cosmos, territoire, individu, ou comment les Lorrains voyaient le monde

2 30

Prendre possession du monde

2 76

Prodiges, présages, signes : le surnaturel

292

L’homme à la conquête de lui-même

312

Faire son salut

356

L’État comme œuvre d’art : la cour, les arts, les armes

389

ANNEXES

Chronologie Bibliographie générale 400 Crédits photographiques 390

394


Avertissement Les textes ont été rédigés sous la responsabilité de leurs auteurs. Bibliographie

Les abréviations bibliographiques dans les textes et les notices du catalogue renvoient à la bibliographie générale. Elles concernent les ouvrages les plus fréquemment utilisés dans l’ouvrage. Illustrations

Les œuvres décrites dans les notices du catalogue ne sont pas toutes photographiées, notamment certains livres. Les études sont illustrées d’œuvres présentées dans l’exposition (avec renvoi dans les notices) et de quelques pièces non présentées. Notices du catalogue

Les mentions cat. indiquées entre [ ] font référence à des œuvres non exposées. Les dimensions des pièces sont données en cm [ ] : traduction, restitution et/ou interprétation « » : transcription littérale Abréviations

Bibl. : bibliographie Cat. : catalogue Cl. MH : classé Monument historique Coll. : collection D. : diamètre ép. : épaisseur fol. : folio H. : hauteur inscr. : inscription inv. : numéro d’inventaire

18 Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne

l. : largeur L. : longueur s. d. : sans date s. l. : sans lieu s. n. : sans nom n.c. : non communiqué n. p. : non paginé p. : page Pr. : profondeur v° : verso Pour les institutions BM : Bibliothèque municipale BnF : Bibliothèque nationale de France BSHLML : Bibliothèque de la Société d’histoire de la Lorraine et du Musée Lorrain C2RMF : Centre de recherche et de restauration des Musées de France CODECOM : communauté de communes ENSBA : École nationale supérieure des beaux-arts de Paris LARHRA : Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes ML : Musée lorrain Pour les auteurs des notices

L.A. : Laïla Ayache S.B. : Stephen Bamforth N.B. : Nadine Béligand B.B. : Betrand Bergbauer M.-B.B. : Mireille-Bénédicte Bouvet J.-P.B. : Jean-Pierre Brach R.B. : Robin Briggs P.B. : Pascal Brioist J.C.-C. : Jacqueline Carolus-Curien A.C. : Axelle Chassagnette O.C. : Olivier Christin S.C.-R. : Simone Collin-Roset J.-M.C. : Jean-Marie Constant Al.C. : Alain Cullière

C.D. : Claire Decomps B.D. : Benjamin Deruelle P.D. : Pascal Desaux J.F. : Jean Floquet N.G. : Naïma Ghermani P.H. : Philippe Hamon V.H. : Valérie Hayaert M.H. : Maxence Hermant B.J. : Bruno Jané Ph.H. : Philippe Hoch D.K. : Didier Kahn V.K. : Vincent Kottelat P.L. : Pierre Labrude N.L. : Nicolas Le Roux E.L. : Estelle Leutrat R.M. : Raphaël Mariani P.M. : Philippe Martin F.M. : Frank Muller E.N. : Eric Nunes F.R. : Francine Roze A.R. : Arnaud Rusch H.S. : Hélène Say P.S. : Pierre Sesmat S.S. : Stefano Simiz M.-A.S. : Marie-Agnès Sonrier R.T. : Romain Thomas G.T. : Ghislain Tranié P.W. : Pierre Wachenheim A.W. : Aude Walsby Al. W. : Alain Weber M.Z. : Margarete Zimmermann Tous les chapeaux introductifs de la partie catalogue des œuvres ont été rédigés par Olivier Christin


Les territoires lorrains au début du xvie siècle Marville Stenay

Thionville Deux-Ponts Verdun Metz

Bitche Sarreverden

Saint-Mihiel Bar-le-Duc

Vic-sur-Seille Toul Nancy

Sainte-Croix aux-Mines Épinal

Conflans-en-Bassigny

Évêché de Metz Évêché de Toul Évêché de Toul

Duché de Lorraine Barois mouvant Barois non-mouvant

Royaume de France Seigneuries indépendantes

Cartographie 19


Introduction générale Olivier Christin et Francine Roze

Un territoire de confins entre la France et l’Empire, aux marges incertaines et contestées ; une capitale en pleine transformation mais qui reste longtemps peu peuplée et surtout concurrencée par d’autres villes et notamment par Metz qui regarde vers l’Empire et cherche à Strasbourg et chez les princes allemands des soutiens dans ses choix religieux ; la menace récurrente de la guerre, avec le duc de Bourgogne tout d’abord, puis avec les Rustauds révoltés, l’Empire ou la France ; l’inquiétude spirituelle, manifeste dans les peurs eschatologiques du début du xvie siècle, dans l’iconographie religieuse de certaines œuvres lorraines (fig. 1) , dans la prolifération des devins et des sorcières et surtout dans la crise religieuse de la Réforme… Rien ne prédisposait la Lorraine à voir s’épanouir une Renaissance brillante et originale. Bien des clichés existent à ce propos : la Lorraine serait une terre de paysans et de seigneurs, de condottiere à l’image des ducs eux-mêmes, peu soucieux de lettres et d’art, ou tout juste capables d’importer des réalisations et des talents venus d’ailleurs, d’Italie, de France, de Flandre ou encore des cours allemandes. La Renaissance serait d’importation. Et pourtant. Les territoires lorrains, au premier rang desquels il faut évidemment compter Nancy, mais aussi Metz, Verdun, Bar-le-Duc, Saint-Nicolas-de-Port ou Pont-à-Mousson, furent bien, au cours du xvi e siècle, le théâtre d’une effervescence artistique, littéraire, musicale et scientifique remarquable. Peu d’exemples, finalement, illustrent aussi bien l’étroite imbrication de la naissance de l’État moderne au lendemain de la victoire de 1477 sur le Téméraire, du renouveau artistique évident et de la construction d’une société de cour nombreuse, aimant les fêtes, les bals et les jeux, les innovations scientifiques, les divertissements littéraires et les spéculations philosophiques, les récits de voyage plus ou moins merveilleux, les jardins et les animaux exotiques, les feux d’artifices et les jeux d’eau. C’est peut-être d’ailleurs la fragilité ou l’insécurité des territoires lorrains, l’ampleur des menaces qui pèsent sur leur avenir, qui confèrent aux stratégies artistiques des ducs et de la cour tant d’importance. Celles-ci ne se contentent pas de célébrer le pouvoir ducal et ses réussites, de donner à voir le prince vertueux et victorieux, d’exhiber son corps et son intimité comme dans le célèbre lit du duc Antoine qui constitue en cela un instrument politique (fig. 4) . Elles participent d’un art de l’État pour parler comme Machiavel, d’une manière pour le prince de se gouverner lui-même et de gouverner les hommes, de traiter avec les souverains étrangers, de régler les questions diplomatiques, de nouer des échanges matrimoniaux. Les portraits et les blasons font voir le duc et ses vertus (le courage, la force, la piété, ou encore l’équité et la tempérance, comme à la porte de la citadelle), le prestige des unions avec les grandes cours européennes, la piété du lignage que les protecteurs célestes semblent chérir et investir d’une mission essentielle. De même, les grandes fêtes à l’occasion des baptêmes de princes lorrains, les poèmes et les images réalisés pour les

20 Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne


mariages des fils et des filles de Lorraine, les cérémonies funéraires ou les entrées ducales sont autant d’actes politiques essentiels au fonctionnement de l’État. Dans cet entrelacement de la construction de l’État, de l’institution de la société de cour et du renouveau des arts, des sciences et des lettres, il faut évidemment faire une place de choix à l’aménagement de la capitale du duché, Nancy, et à la ville neuve, dotée d’un plan ambitieux et de fortifications modernes avec Charles III qui sait ici faire appel aux talents de Girolamo Citoni, Jean-Baptiste Stabili, Orfeo Galeani, Jean Errard et d’autres. Les vues et plans imprimés de Nancy, par Claude de La Ruelle ou Israël Sylvestre, confirment l’importance de l’image de la ville, instrument politique et moyen de communication, outil de célébration et objet d’étonnement. Il faut aussi rappeler l’importance de l’immense palais ducal, qui abrite à la fois la famille du prince, la cour, l’administration au gré de travaux répétés. Il faut souligner la richesse de son décor, qui là encore participe de la mise en scène du pouvoir ducal, notamment dans la galerie des Cerfs ou la porterie. Le palais, la ville : deux théâtres du pouvoir ducal, où se montrent l’autorité de la dynastie et le rôle qu’elle s’assigne dans un imaginaire politique et religieux puissant, imprégné de l’idéal de la croisade, qui fait du prince le bras armé de Dieu contre les Turcs et les hérétiques. Le motif du bras armé levé par le prince, présent dans la statue équestre d’Antoine à la porterie, est ainsi décliné sous de multiples formes : dans des monnaies, des gravures, des sceaux… Le duc construit ses États en construisant son image, celle de chevalier idéal et de prince chrétien au service de la vraie foi, prenant très tôt position contre les idées nouvelles issues de la Réforme.

Fig. 1

Ligier Richier, Le Transi, provenant du tombeau de René de Chalon, Bar-le-Duc, église Saint-Étienne, cl. MH.18/06/1898 (voir cat. 142)

Un système symbolique très efficace, qui puise aux sources variées de l’art de la cour de Bourgogne, de l’héritage du roi René d’Anjou, des expériences artistiques de la cour de France et de celles des Habsbourg, mais aussi de l’Italie, s’édifie donc. Il contribue aux succès et au prestige de l’État ducal et du duc lui-même : non seulement les pratiques cérémonielles lorraines et leur reproduction dans des livres richement illustrés, par exemple pour les grandes funérailles, tissent un discours précis sur le pouvoir ducal, les ambitions de la dynastie, ses aspirations religieuses, mais elles frappent les esprits en Europe. Certains des artistes qui y prennent part exportent leur savoir-faire vers d’autres cours, qui misent sur les arts, les lettres et les sciences et sur les cérémonies du pouvoir pour asseoir leur prestige et consolider le gouvernement du prince, contribuant par là à l’internationalisation de certaines solutions artistiques dans lesquelles la Lorraine joue un rôle évident.

Introduction générale 21


Fig. 2

Atelier Anversois, L'arrestation de Jésus, détail du retable de Philippe de Gueldre, Pont-à-Mousson, église Saint-Laurent (cat. 210)

Tout suggère ainsi que la Renaissance lorraine ne peut se résumer à l’importation tardive et prudente de modèles italiens, qui seraient adoptés par quelques cercles gravitant autour de la cour et quelques grands prélats porteurs d’idéaux de réforme de l’Église. Certes, l’Italie jouit d’un prestige considérable et les réalisations de ses artistes, de ses lettrés, de ses musiciens ou de ses savants exercent une influence considérable en Lorraine : dans l’architecture, avec le portail de l’église de Blénod-lès-Toul, dans la sculpture et l’art de la médaille, avec Francesco de Laurana, dans la musique, avec Pierre Cléreau, qui adapte les chansons italiennes profanes… Cette influence se manifeste plus nettement encore dans la seconde moitié du xvi e et les premières décennies du xvii e siècle, lorsque les échanges entre la cour de Lorraine et les États italiens, d’une part, et la dynamique de la Réforme tridentine, d’autre part, accélèrent la circulation des hommes et des œuvres. Les Guise et la famille ducale exercent un brillant mécénat à Rome, notamment à la Trinité-des-Monts et, à partir de 1622, dans l’église de Saint-Nicolas-desLorrains. Mécènes de grands artistes italiens, les ducs, les Guise, les prélats lorrains présents à Rome ou au concile de Trente le sont aussi en Lorraine. Quelques tableaux majeurs sont ainsi commandés à des artistes italiens par des prélats lorrains : Le Christ ressuscité de Guido Reni, qui est en possession du cardinal de Lorraine, ou le Portrait du pape Alexandre VII, qui se trouve aux Prémontrés, en sont de bons exemples. Le mariage d’Henri II avec la fille du duc de Mantoue en 1606 illustre et accélère cette circulation : Henri II offre l’Annonciation du Caravage au maître-autel de la Primatiale. Les hommes aussi circulent, à l’instar de ces artistes lorrains qui visitent l’Italie et y travaillent plus ou moins longuement : Pierre Woeiriot, Jacques Callot ou Claude Déruet.

L’influence italienne n’est pourtant jamais exclusive. Elle joue avec d’autres héritages et d’autres influences, venues de France ou de l’Empire, de Flandre (fig. 2) ou d’Espagne, donnant à la Renaissance lorraine un vocabulaire particulier, qui se manifeste dans des combinaisons architecturales, iconographiques ou musicales originales. Les ducs semblent ainsi apprécier les livres consacrés à l’art militaire et plus précisément à l’histoire de l’armée romaine, aux fortifications et à l’artillerie, et surtout à la cavalerie. Leur bibliothèque rassemble des textes classiques, des ouvrages humanistes consacrés à ces questions et les travaux de quelques auteurs lorrains qui leur sont dédiés : on y trouve ainsi la traduction française de Végèce, une édition latine du long poème de Cornazano (De re militaria), les traités de Jean Errard. Mais le duc fait aussi l’acquisition d’ouvrages allemands aux belles planches gravées, comme ceux de JohannJacobi von Walhausen, ou de Georg Basta, un général d’origine italienne qui servira l’empereur. Autre trace

22 Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne


de l’influence de l’Empire, plus spectaculaire encore : le recours du pouvoir ducal aux estampes monumentales faites de l’assemblage de plusieurs feuilles, un choix qui doit bien plus aux réalisations destinées à l’empereur Maximilien qu’aux rares exemples italiens. Les Dix grandes tables de Brentel et Merian pour la pompe funèbre de Charles III (1611) serviront en retour de modèle pour certaines entreprises cérémonielles de cours allemandes à la fin des années 1610 et au début des années 1620. C’est également dans la relative discrétion de la référence à l’Antiquité et dans la place que continuent d’occuper longtemps les idéaux du christianisme de la fin du Moyen Âge que la Lorraine affirme sa singularité. Même si le goût de l’antique progresse et si les ouvrages d’alchimie connaissent un certain succès, la Renaissance lorraine est une Renaissance chrétienne, qui perpétue dans des formes renouvelées des idées et des idéaux hérités des cours de la fin du Moyen Âge et du christianisme flamboyant. L’engagement des ducs contre l’hérésie s’inscrit dans cette fidélité. Fig. 3 Dans les territoires de la Lorraine, la Renaissance Coupe sur pied provenant du Trésor de n’est donc pas la fille tardive et modeste, provinciale, de Pouilly-sur-Meuse, Nancy, ML (cat. 184) l’expérience italienne, même si, comme d’autres, elle sait adopter et adapter ses leçons. Elle importe, transforme, réexporte des solutions, des idées, des motifs, des grammaires visuelles comme celle des emblèmes, si essentiels au langage symbolique de la cour, et en un mot elle invente. Elle le fait avec d’autant plus de diversité et d’originalité que de multiples acteurs y prennent part, au-delà de la cour et de la capitale nancéienne. Car à côté de la Renaissance ducale, de ses fêtes brillantes, de ses iconographies savantes, de ses décors somptueux dont il ne subsiste que des traces, les arts prospèrent ailleurs, à la faveur de la protection et de la commande d’autres patrons et d’autres consommateurs. Parmi eux, de grands lignages nobles, comme celui des comtes et princes de Salm, qui fait appel à un artiste aussi prestigieux que Claude Déruet ; des familles de patriciens et de négociants, comme la famille des Fours qui fait réaliser un Livre d’heures aujourd’hui à la bibliothèque de Nancy ou encore celle de Beschefer dont on vient de retrouver une partie de la vaisselle à Pouilly-sur-Meuse (fig. 3) (voir cat. 183) ; des officiers ducaux et des hommes de loi comme Louis des Masures à l’œuvre poétique si riche ; des prélats et des ordres religieux… Et l’on ne doit pas s’étonner de voir la Renaissance essaimer dans d’autres lieux que la ville ducale : à Bar-le-Duc, bien entendu, où la cour peut résider à l’occasion et organiser des cérémonies grandioses, à Metz qui bénéficie de la demande venue de la présence d’une riche bourgeoisie marchande, à Marville sur la frontière des Pays-Bas espagnols, à Montbras, Verdun, Épinal (fig. 5) ou Saint-Nicolas-de-Port… En cela, la Lorraine, des villes comme de la cour, s’impose comme l’un des lieux de la Renaissance européenne.

Introduction générale 23


Fig. 4

Lit du duc Antoine de Lorraine et de Renée de Bourbon, Nancy, ML (cat. 222)

C’est tout cela que propose l’exposition « Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne ». Tout cela et bien plus encore. Car raconter une histoire si dense et si complexe, valoriser un tel foisonnement, donner à voir des richesses si variées, ne pouvait se concevoir qu’en un lieu en parfaite harmonie avec la thématique : l’ancien palais des ducs de Lorraine. Un lieu qui est la première des œuvres de l’exposition : le « contenant » et le « contenu » se nourrissent l’un de l’autre. Symbole du pouvoir ducal et de l’architecture lorraine de la Renaissance, le palais ducal abrite aujourd’hui le Musée lorrain, musée d’histoire et d’art, fondé pour devenir « le plus beau, le plus vaste et le plus complet des musées historiques de province ». Un musée dont le champ géographique embrasse l’ensemble de l’espace lorrain. Dont le champ historique court de la préhistoire à aujourd’hui. Et dont les quelque 155 000 œuvres qui constituent les collections sont toutes en lien avec l’histoire de Lorraine. Engagé dans un vaste projet de rénovation, au terme duquel il deviendra le « musée de tous les Lorrains », le Musée lorrain devra assurer un rôle d’initiation et d’intégration et se transformer en laboratoire de réflexion sur les thématiques fortes de sa programmation.

24 Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne


Aussi, toutes ses expositions temporaires sont-elles considérées comme des « expositions de préfiguration », conçues dans la perspective des nouveaux parcours muséaux.

Fig. 5

Nicolas Bellot, Vue de la ville d'Épinal vers 1626, huile sur toile, Épinal, musée de l'Image

L’exposition « Un nouveau monde. Naissance de la Lorraine moderne » s’inscrit dans cette problématique. Sa thématique est si riche, son discours si varié, qu’il n’était pas possible d’en proposer ici une illustration exhaustive et de rassembler toutes les œuvres et objets en lien avec le propos. L’exposition aurait perdu en lisibilité : trop d’œuvres tue les œuvres. On sera donc peut-être surpris, ou même déçu, de n’y point trouver telle ou telle pièce majeure ou célèbre conservée à l’étranger. C’est un choix, un parti pris, qui s’inscrit dans la politique du Musée lorrain de toujours privilégier l’approche historique et ethnographique, mêlant œuvres savantes et œuvres populaires en un dialogue inédit, fondé sur la richesse du patrimoine qui maille l’espace lorrain. Mise en œuvre à partir des propres fonds du Musée lorrain, minutieusement étudiés, analysés et restaurés dans le cadre du projet de rénovation, l’exposition est donc conçue avec l’ensemble des institutions muséales et patrimoniales de Lorraine : villes et communes, collections publiques et collections privées. Toutes se sont inscrites dans le projet et y ont répondu favorablement.

Introduction générale 25



La cour et la culture de cour La

cour de

La

maison de

Livres

Lorraine Guise

entre mythe et réalité

de fête et cérémonies du pouvoir à la cour de

Entre Lorraine Catherine

de

et

Germanie. Un

Bourbon :

Lorraine

itinéraire savant à la

une huguenote à la cour de

Renaissance

Nancy


la cour de lorraine Nicolas Le Roux

La cour de Lorraine a connu des transformations considérables à la Renaissance. Après avoir défendu leurs États contre les agressions bourguignonnes, les ducs ont cherché à apparaître comme des interlocuteurs de premier plan pour les monarques de leur temps, le roi de France comme l’empereur. Pour affermir leur autorité, ils ont aussi cherché à séduire la noblesse barroise et lorraine. Les modifications apportées à leur cour se sont largement inspirées du modèle royal car, au xvi e siècle, tous les ducs ont été élevés, de gré ou de force, à la cour de France.

La construction de la cour de Lorraine Au xv e siècle, la cour de Lorraine restait une structure réduite. À Nancy, le duc résidait dans un palais assez modeste. René II, qui devint duc de Lorraine en 1473, avait eu pour modèle son grand-père maternel, René d’Anjou, un prince lettré, amateur de poésie et de littérature courtoise, promoteur de la culture chevaleresque, qui entendait affirmer l’indépendance des grands feudataires face aux souverains. Sous son influence, René II apprit le latin, et il s’intéressa aux lettres et aux sciences, mais il était avant tout un chevalier. Pour résister au puissant duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, René II s’allia au roi de France, Louis XI, et aux Suisses. Cependant, les Bourguignons envahirent la Lorraine et entrèrent dans Nancy en novembre 1475, obligeant le duc à se réfugier à Joinville. Après les défaites du Téméraire à Grandson et à Morat, René II put rentrer dans sa capitale en août 1476. Quelques mois plus tard, le duc de Bourgogne lança une nouvelle offensive, mais il trouva la mort sous les murs de Nancy le 5 janvier 1477. Une fois le danger bourguignon évanoui, René II se mit un moment au service de la république de Venise, pour laquelle il combattit le duc de Ferrare. Après la mort de Louis XI, il se rendit en France pour rencontrer la régente, Anne de France – sœur aînée de Charles VIII –, qui cherchait son appui face au turbulent duc d’Orléans, futur Louis XII. En contrepartie, René II espérait obtenir le comté de Provence, qui avait appartenu à René d’Anjou, mais il ne put réaliser ce rêve. C’est à l’occasion de son séjour en France qu’il épousa Philippe de Gueldre, la fille du duc Adolphe

28 La cour et la culture de cour


de Gueldre et de Catherine de Bourbon. Les noces se déroulèrent à Orléans le 1er septembre 1485. Philippe de Gueldre allait mettre au monde douze enfants, mais seuls cinq d’entre eux atteignirent l’âge adulte. À cette époque, les constructions de prestige se multipliaient en Lorraine. À Saint-Nicolas-de-Port, qui était un lieu de pèlerinage réputé, on érigeait une basilique monumentale pour honorer un vœu fait par le duc lors de la bataille de Nancy. L’ancienne chapelle, où était conservée la relique de saint Nicolas, fut abattue. Les travaux, entamés en 1481, durèrent jusqu’au milieu du xvi e siècle. À Nancy, René II fit ériger une nouvelle chapelle pour les cordeliers, dont le couvent jouxtait la résidence ducale. La grande verrière située au-dessus du maître-autel fut refaite dès 1481, et le sanctuaire put être consacré en 1487. On entreprit la reconstruction du palais de Nancy. Le bâtiment avait tant souffert pendant le siège de 1476-1477 que lors de son retour en ville le duc avait renoncé à y loger. Les travaux étaient supervisés par l’architecte Jean de Forge. La cour employait alors de nombreux artisans, des verriers, des peintres et des sculpteurs, tant lorrains qu’allemands. Le palais faisait la fierté des Lorrains, et l’historiographe Nicolas Remy en a vanté la majesté : « Edifice à la vérité, qui ne cède en rien à aucun de ce temps là, voir mesme de celuy-cy, en solidité de structure, commodité de logement, salubrité d’air, et embellissement de tout ce que la main de l’homme y a peu apporter. » L’activité bâtisseuse était considérée par Remy comme particulièrement digne des princes, car elle assurait « la perpétuation de leur mémoire et immortalité de leur nom ». Les appartements ducaux comportaient deux chambres, un retrait, une garde-robe, une autre chambre dans la tour, une cuisine, une chapelle décorée par le sculpteur Gérard Jacquemin, une chambre des armures donnant sur la rue, deux « écritoires », c’est-à-dire des cabinets de travail, et une bibliothèque. De son côté, la duchesse avait à sa disposition quatre chambres, une pièce située sous la chapelle du jardin où elle conservait des joyaux, une autre pièce pour ses oiseaux, une chambre dans laquelle elle pratiquait la tapisserie en compagnie de suivantes, une garde-robe, un retrait et un oratoire. La mère de René II, Yolande d’Anjou, vécut elle aussi dans le palais jusqu’à sa mort, en 1483. Le bâtiment abritait, par ailleurs, la chambre des Comptes, la chambre du Trésor des chartes, la chambre du Conseil, la Grande Salle, la chambre de Parement, un jeu de paume, des oratoires, des « poêles » où l’on se réunissait l’hiver, et de nombreuses pièces de service. Une ménagerie accueillait des animaux sauvages, et deux jardins agrémentaient le palais. Par le plus grand des jardins, dit jardin des champs, on pouvait sortir de la ville en empruntant un pont-levis situé dans une porte fortifiée. René II et son épouse résidaient également au château de Bar, où d’importantes transformations furent apportées. On dessina un grand jardin dans

La cour de Lorraine 29


l’enceinte, et on réaménagea les bâtiments. Dans les environs, le duc pouvait s’adonner à la chasse, et spécialement à la chasse au loup. La maison ducale employait environ cent cinquante personnes, gardes compris, ce qui restait très inférieur aux effectifs des hôtels des plus grands princes de l’époque. Le roi Charles VIII entretenait un peu plus de trois cents officiers, le duc de Milan environ quatre cents, plus une centaine de gardes, tandis que Charles le Téméraire stipendiait cent soixante-quinze pensionnaires et chambellans, des centaines de serviteurs et près d’un millier de gardes. En 1486, la maison de René II comprenait six religieux (un confesseur, quatre aumôniers, un clerc de chapelle), un grand maître de l’hôtel, dix chambellans, quinze gentilshommes, un grand écuyer, deux écuyers d’écurie, deux maîtres d’hôtel, deux écuyers tranchants, cinq échansons, trois panetiers, deux secrétaires, vingt officiers de la chambre (dix valets de chambre, un apothicaire, un tailleur, un barbier, un pelletier, un chaussetier, un cordonnier, un sellier, un armurier, un peintre et un huissier d’armes), un contrôleur de la dépense ordinaire, un clerc d’offices, douze officiers de bouche (un écuyer de cuisine, un queux, un saucier, deux serviteurs, deux fruitiers, un sommelier de paneterie, deux panetiers, deux échansons), deux fourriers, un huissier de salle, trois chevaucheurs d’écurie, quatorze fauconniers et veneurs, quatre médecins et deux chirurgiens. Le duc était protégé par vingt-six archers commandés par un capitaine. Les duchesses avaient leur propre personnel, de même que le fils aîné du duc, qui avait à son service une quarantaine de personnes. Le duc de Lorraine appréciait le luxe, mais, s’il faut en croire l’historiographe Remy, qui entendait faire le portrait du prince idéal, il se montrait lui-même modeste dans son apparence : « Il estoit au reste fort curieux de se meubler de riches tapisseries et de vaisselles artistement ouvrées et elabourées. Mesme de faire amas des plus rares et exquises piereries dont il se pouvoit adviser, et neantmoins se monstroit si peu curieux en ses habits, que se trouvant meslé parmy ses gentils-hommes, on ne le pouvoit mieux choisir et recognoistre, qu’en ce qu’il estoit le plus simplement habillé de tous. » Comme son grand-père René d’Anjou, le duc s’intéressait beaucoup aux activités chevaleresques. L’un de ses chambellans, Hardouin de la Jaille, était chargé d’organiser des exercices de ce type, et il composa un livre sur les tournois. René II est passé à la postérité comme un prince amateur de littérature et de théologie, à la fois chevalier exemplaire et gouvernant avisé. C’est en tout cas l’image que Nicolas Remy a diffusée : « Il se plaisoit grandement à la lecture, non seulement de l’histoire (qu’est tout ce qui se peut gaigner sur l’estude et le loisir des grands princes) mais aussi des livres de la philosophie, et mesme de la saincte theologie ; des questions desquelles il respondoit ès poincts les plus communs, presque aussi pertinemment que ceux qui en font profession ordinaire. Et aussi n’en estoit-il peu contant et satisfaict en son esprit, ains en faisoit souvent parade, disant qu’un prince non lettré estoit un

30 La cour et la culture de cour


asne couronné. Et qu’il l’avoit ainsi leu au prologue des livres que S. Augustin a escrit de la Cité de Dieu. Et comme il ouyt un jour raconter qu’un certain prince de son temps disoit que le latin et les lettres n’estoient choses dignes de l’exercice et de l’occupation d’un grand prince, il respondit que ces propos ressentoient plustost le muglement d’un bœuf que le langage d’un homme. Adjoustant que comme peu de gens osent franchement dire la verité aux grands, il n’y avoit que les morts pour ce faire, par les escrits qu’ils nous ont laissé. Et partant qu’il convenoit entendre leur jargon et se faire le chemin à eux, par l’apprentissage des langues esquelles ils avoient parlé, si on vouloit faire profit de leurs escrits et s’en servir. »

Fig. 1

La cour de Lorraine, face à la cour céleste, enluminure issue de Ludolphe de Saxe, Vita Christi, Lyon, BM (cat. 201)

René II s’est constitué une bibliothèque où figuraient des bibles, un psautier, des sermons latins, la Légende dorée de Jacques de Voragine, et des ouvrages de piété, comme La Vie de Jésus-Christ de Ludolphe de Saxe, l’Horloge de Sapience de Jean de Souabe, La Cité de Dieu de saint Augustin et les œuvres du théologien Jean Gerson. Il possédait de nombreux ouvrages historiques, antiques et modernes : la traduction française des Commentaires de César et des Décades de Tite-Live, le texte latin des Guerres civiles à Rome d’Appien et des Vies des douze Césars de Suétone, mais aussi les Chroniques de Froissart et l’histoire universelle du Vénitien Marco Antonio Sabellico. Les romans de chevalerie n’étaient pas

La cour de Lorraine 31


absents de cette bibliothèque : on y trouvait l’histoire de Garin le Loherain, les fameuses aventures de Fierabras, qui faisaient partie de la geste de Charlemagne, et une version récente du Roman de Troie. Parmi les œuvres morales figurait le Roman de la Rose. Le duc s’intéressait aux voyages et à la géographie. Il avait à sa disposition le De situ orbis du Grec Strabon, et il fit éditer plusieurs cartes de ses duchés. Des ouvrages de navigation, de fauconnerie, d’agronomie et d’histoire naturelle complétaient cette collection. Ces livres étaient pourvus de belles reliures, et les manuscrits étaient enluminés par des artistes que le duc invitait en Lorraine. C’était le cas de Georges Trubert, qui avait auparavant servi René d’Anjou. René II le fit venir d’Avignon en 1491, pour qu’il se consacre à la décoration d’un magnifique bréviaire. La petite collection de livres conservée dans la galerie du palais de Nancy fut enrichie par Antoine de Lorraine, le successeur de René II. Elle devait cependant conserver des dimensions modestes. À la mort d’Antoine, en 1544, elle contenait seulement cent quatre-vingt-dix-huit volumes manuscrits ou imprimés. Bien que René II ait entretenu des relations complexes avec la monarchie française, il était présent au sacre de Louis XII, en 1498, où il tint le rôle de l’un des pairs laïques. En 1501, il envoya son fils aîné, Antoine (14891544), auprès du roi, qui séjournait alors à Lyon. Quelques années plus tard, Antoine fut rejoint par son cadet, Claude (1496-1550). Les deux jeunes gens se familiarisèrent avec la vie de cour à la française et ils nouèrent des relations étroites avec l’héritier de la couronne, François d’Angoulême. Claude fut même naturalisé français en 1506. René II mourut le 10 décembre 1508. Sa dépouille fut exposée dans la collégiale Saint-Maxe du château de Bar, puis inhumée dans l’église des Cordeliers de Nancy, où l’on érigea son tombeau. Sa veuve, Philippe de Gueldre, résida à Bar jusqu’en 1519, puis elle se retira chez les clarisses de Pont-à-Mousson, où elle vécut jusqu’à sa mort, en 1547.

Entre France et Empire Antoine de Lorraine a été initié très jeune au métier des armes. Le roi Louis XII lui accorda une grosse compagnie de cent lances en 1511. Si Antoine était le capitaine en titre de cette troupe, son commandement effectif était exercé par un lieutenant. Jusqu’en 1521, celui-ci était Pierre Terrail, seigneur de Bayard, un chevalier dauphinois qui avait acquis une grande réputation lors des guerres de Naples. Antoine participa à la campagne militaire de Louis XII contre Gênes en 1507, puis à la guerre contre Venise deux ans plus tard. Le jeune prince était alors suivi d’une cinquantaine de gentilshommes lorrains arborant une livrée de damas jaune, blanc et bleu, et cette troupe faisait l’admiration de tous, comme l’a noté Symphorien Champier, médecin et érudit lyonnais attaché au service du duc de Lorraine.

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Fig. 2

Hans Holbein le Jeune Antoine de Lorraine, dit le Bon, huile sur toile, vers 1543, Berlin, Gemäldegalerie (SMPK), inv. 586D

De retour d’Italie, Antoine accompagna Louis XII à Lyon, puis prit le chemin de Bar pour rendre visite à sa mère. Lors de son entrée à Nancy, il fut accueilli triomphalement par la noblesse lorraine. Le nouveau duc accordait une grande importance à sa vocation chevaleresque. Il fit ainsi orner la porterie du palais ducal de Nancy d’une sculpture le représentant sur un cheval cabré, l’épée brandie. Cette composition spectaculaire, due au « tailleur d’images » Mansuy Gauvain, fut réalisée en 1512, au moment où s’achevait la réfection de la façade donnant sur la Grande Rue ; elle rappelait celle du portail du château de Blois, où une statue équestre de Louis XII était installée. L’avènement de François Ier, en janvier 1515, renforça les liens entre les cours de France et de Lorraine : Antoine participa au sacre, où il tint le rôle de l’un

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des douze pairs laïques, comme son père l’avait fait avec Louis XII. Il fut ensuite désigné pour être parrain du dauphin. Il siégeait régulièrement au Conseil. L’alliance entre le duc et le roi devait être renforcée par des mariages. Par la volonté de Louis XII, Claude de Lorraine avait épousé Antoinette de BourbonVendôme en juin 1513, et deux ans plus tard, en juin 1515, Antoine s’unit à Renée de Bourbon-Montpensier, la sœur de Charles de Bourbon, prince du sang que François Ier venait de faire connétable de France. À ce moment, les princes lorrains portaient les armes pour le roi de France. Antoine et Claude participèrent ainsi à la campagne contre les Suisses, et ils combattirent tous les deux à Marignan. Claude fut d’ailleurs grièvement blessé lors de cette bataille titanesque. Si Antoine allait par la suite s’abstenir de combattre dans l’armée royale, il commanda en revanche la répression contre les révoltés qui avaient interprété le message luthérien dans un sens de liberté sociale et politique, et il écrasa plusieurs milliers de Rustauds près de Sélestat en mai 1525. L’historiographe Nicolas Volcyr a chanté les exploits d’Antoine dans un récit publié en 1527, qui flattait la réputation de défenseur de l’Église romaine que le duc entendait promouvoir. Le duc en conservait plusieurs exemplaires dans sa bibliothèque. De son côté, Claude poursuivait sa carrière au service de François Ier et son intégration à l’aristocratie française. Il devint ainsi comte de Guise en 1520, avant d’être fait duc huit ans plus tard. Il reçut le collier de l’ordre de SaintMichel, et commanda les armées royales à de nombreuses reprises. Deux jeunes frères d’Antoine et de Claude combattaient dans l’armée du roi de France. L’un et l’autre perdirent la vie lors des campagnes italiennes : François, comte de Lambesc, en 1525, à Pavie, et Louis trois ans plus tard, lors du siège de Naples. Un autre frère d’Antoine de Lorraine avait fait son apparition à la cour de France. Il s’agissait de Jean, qui était alors évêque de Metz. Le jeune homme entra rapidement dans le cercle des compagnons de François Ier. Grâce à la protection du Très-Chrétien, Jean de Lorraine fut créé cardinal dès 1518, et il accumula des bénéfices ecclésiastiques de premier plan dans le royaume de France. Antoine de Lorraine quitta François Ier au printemps de 1516. Accompagné de son épouse, Renée, il arriva à Bar en avril. Pendant ce temps, on préparait le palais de Nancy pour accueillir la nouvelle duchesse. Les étuves et les chambres des filles d’honneur furent réaménagées, le cabinet destiné à la duchesse décoré, et l’entrée du palais repavée. Les travaux se poursuivirent au cours des années suivantes. Une galerie permettant à la duchesse d’accéder directement au jardin depuis ses appartements fut ainsi achevée en 1519, et l’on construisit une fontaine couverte dans le grand jardin. La galerie des Cerfs aussi fut transformée dans les années 1520 : elle était décorée de bois de cerfs et de peintures représentant des scènes de chasse réalisées par Hugues de la Faye. Une nouvelle fontaine fut réalisée en 1527-1528, qui comportait sept piliers de pierre, six gargouilles, ainsi que six colonnes de marbre provenant de Lombardie, que le

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sculpteur Mansuy Gauvain installa autour de l’édifice. Une autre fontaine fut installée en 1532, et une autre encore, en jaspe cette fois, en 1535. Les jeux d’eau étaient alors très prisés, et les jardins du palais de Nancy entendaient rivaliser, à leur échelle, avec le Fontainebleau de François Ier. Le palais de Nancy servait parfois de cadre à des représentations théâtrales qui pouvaient être organisées dans la Grande Salle, ou parfois dans la cour. Le 23 juin 1532, on représenta ainsi le Jeu de saint Job. D’autres fêtes se déroulèrent en 1539 à l’occasion des noces d’Anne, la fille d’Antoine, et de René de Châlons, prince d’Orange. Le mariage avait été célébré à Bar, mais c’est à Nancy qu’eurent lieu les festivités, parmi lesquelles il faut signaler un tournoi et une « momerie », c’est-à-dire un ballet.

Fig. 3

Hugues de la Faye La Mort du cerf surmontée de la Crucifixion, dessin, xvie siècle, Saint-Pétersbourg, Bibliothèque nationale de Russie, inv. Ms. Fr.F.p. XIV.3, fol. 20-21

Le premier-né du couple ducal fut baptisé dans la collégiale Saint-Maxe du château de Bar en août 1517. L’enfant fut prénommé François, en l’honneur du roi de France, qui avait été désigné pour être son parrain. Quelques années plus tard, le jeune garçon allait être envoyé à son tour à la cour de France. Après la défaite de Pavie, Antoine de Lorraine chercha à se rapprocher des Impériaux. C’est pourquoi il maria son héritier à une nièce de Charles Quint,

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Chrétienne de Danemark (1521-1590). Fille du roi de Danemark Christian II et d’Élisabeth d’Autriche – l’une des sœurs de Charles Quint –, Chrétienne avait été élevée aux Pays-Bas, d’abord par sa grand-tante Marguerite d’Autriche, puis par sa tante Marie de Hongrie. Depuis octobre 1535, elle était veuve du dernier duc de Milan, Francesco II Sforza. Le mariage de Chrétienne de Danemark et de François de Lorraine se déroula à Bruxelles le 10 juillet 1541. Le couple fit son entrée à Nancy peu après. Un combat à pied fut organisé dans la cour du palais ducal, que le peintre Claudin Crocq avait décorée et qui était illuminée par des torches. Toujours afin de renforcer les liens entre la maison de Lorraine et l’empereur Charles Quint, le fils aîné du couple fut prénommé Charles. Ces dispositions n’empêchèrent pas l’armée impériale d’entrer en Lorraine au printemps de 1544 pour attaquer la Champagne. Antoine mourut peu après, le 14 juin 1544. Lui aussi fut inhumé chez les Cordeliers de Nancy, où reposait déjà son épouse Renée, décédée cinq ans plus tôt.

Le temps des fêtes François ne devait régner qu’une année. Chrétienne de Danemark avait donné naissance à trois enfants : Charles en 1543, Renée en 1544 et Dorothée en 1545. À la mort de François, le 12 juin 1545, la couronne revint à Charles III, mais comme le nouveau duc était un petit enfant, sa mère assura la régence, conjointement avec Nicolas de Lorraine, le frère du défunt duc, qui venait d’être pourvu des évêchés de Metz et de Verdun. Chrétienne de Danemark ne cachait pas sa sympathie pour les Habsbourg, et c’est pourquoi Henri II lui retira la régence quand il se rendit à Nancy en avril 1552. Le roi traversait la Lorraine pour prendre possession des cités-États de Toul, Metz et Verdun. Il confia la régence au seul Nicolas de Lorraine, qui avait renoncé à ses évêchés pour prendre le titre de comte de Vaudémont quatre ans plus tôt. Chrétienne quitta Nancy avec ses filles. Elle séjourna à Blâmont et Deneuvre, puis à Heidelberg, avant de s’établir en Flandre. Elle ne devait pas revoir son fils pendant six années. Henri II ne se contenta pas d’imposer un régent à sa convenance à la tête des duchés lorrains ; il prit dans sa suite Charles III, qui avait tout juste neuf ans. Le jeune duc allait vivre à la cour de France jusqu’en 1559. Le garçon était une sorte d’otage qui assurait au roi que les Lorrains n’entreprendraient rien contre ses intérêts. Le 22 janvier 1559, Henri II lui fit épouser sa deuxième fille, Claude, qui n’avait que onze ans. La dot de la mariée était de cent mille écus. La duchesse Claude allait donner la vie à neuf enfants. Ce mariage fut célébré par les poètes liés à la cour de France, Rémi Belleau, Pierre de Ronsard et François Habert. Pour Ronsard, c’était l’occasion de chanter les louanges du cardinal de Lorraine, dont le château de Meudon lui apparaissait comme une sorte de Parnasse. En Lorraine, Louis des Masures composa un Chant pastoral qui fut publié par l’imprimeur ducal Didier Guillemin, qui reprenait le thème et les personnages utilisés par Ronsard.

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Charles III et Claude quittèrent la France après le sacre de François II, qui avait succédé à Henri II en juillet 1559. Après avoir été couronné à Reims, le nouveau roi de France accompagna sa sœur jusqu’à Bar, où la cour fit son entrée à la fin de septembre 1559. Le chapitre de l’ordre de Saint-Michel se tint d’ailleurs dans la capitale du Barrois le 29 septembre. Le duc de Lorraine participait à la cérémonie, en compagnie de plusieurs grands seigneurs, comme les ducs de Nevers et d’Aumale, ou encore Francesco d’Este – le frère du duc de Ferrare. Charles III et son épouse se rendirent ensuite à Nancy, où ils purent assister à un grand tournoi qui se déroula sur la Carrière, ou rue Neuve, qui venait d’être aménagée à l’est de la ville, au-delà du palais ducal. Chrétienne de Danemark fit son retour en Lorraine à cette occasion. Elle allait vivre désormais au château de Deneuvre, à l’est du duché. Le nouveau duc appréciait les exercices chevaleresques. Le roi de France lui avait accordé une compagnie de gendarmerie, mais contrairement à son grandpère Antoine, Charles III ne fréquenta pas les champs de bataille. Ses lieutenants étaient des seigneurs importants, par la naissance ou par la place qu’ils occupaient à la cour de France. La plupart des cavaliers étaient des gentilshommes lorrains ou champenois. Les officiers cumulaient généralement une charge militaire et un office dans la maison ducale. Certaines familles, comme les Du Chastellet, fournissaient de nombreux officiers à la compagnie et à la maison du duc : Jean du Chastellet servait Charles III de Lorraine comme lieutenant de sa compagnie dans les années 1570, tout en tenant du roi de France les charges de gouverneur de Langres et de gentilhomme de la Chambre. Il fut récompensé de ses services par le titre prestigieux de chevalier du Saint-Esprit le 31 décembre 1585. Ses fils servirent aussi le duc de Lorraine et le roi de France : Jean II († 1610) comme gentilhomme de la chambre du roi et gentilhomme du duc, et Errard († 1648) comme gentilhomme de la Chambre du roi et maréchal de Lorraine et Barrois. Il y avait une grande porosité entre la France et la Lorraine, et le service simultané de deux princes était habituel. Les réceptions de personnages importants à Nancy, comme les noces de seigneurs et dames de la cour, donnaient lieu à des démonstrations équestres dans la cour du palais, dans la Grande Rue ou sur la Carrière. Lors du carnaval de 1563, on combattit dans la grande salle du palais, on courut la bague dans le jardin et les courtisans édifièrent un château de neige à l’assaut duquel ils s’élancèrent. Charles III avait par ailleurs la volonté de rendre son palais comparable à ceux des plus grands princes. Il fit ainsi reconstruire le jeu de paume sur le modèle de celui du Louvre, ce qui lui revint à la somme considérable de sept mille sept cents francs. Des fêtes chevaleresques furent de nouveau organisées en mai 1564, à l’occasion de la venue de la cour de France à Bar. Ce séjour s’intégrait au grand

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tour de France que Catherine de Médicis avait décidé de faire entreprendre à son fils Charles IX, au lendemain de la première guerre de Religion. Le voyage devait permettre au jeune roi de rétablir son autorité dans les provinces les plus touchées par les troubles. La rencontre avec la cour de Lorraine se déroula dans la partie du Barrois appartenant à la « mouvance » du roi de France. Charles IX et sa suite firent leur entrée à Bar le 1er mai 1564. La ville était remplie de gens de cour qu’il était difficile de loger. Le grand aumônier du roi, Jacques Amyot, exigea que les prisonniers retenus dans la ville soient libérés, conformément à la tradition qui voulait que lorsque le monarque effectuait sa première entrée dans une cité, les détenus soient élargis en signe d’allégresse. Dans un premier temps, les officiers ducaux s’opposèrent à cette mesure, mais ils finirent par céder. Une pauvre femme, surnommée la Grande Catherine, qui était la seule prisonnière de la tour Jurée, recouvra ainsi la liberté. Cette affaire provoqua des tensions assez vives pour que l’ambassadeur anglais, qui était pourtant resté à Paris, la mentionne dans sa correspondance. Ce déplacement avait pour motif le baptême du premier fils de Charles III et de Claude, né le 8 novembre 1563, qui devait avoir lieu le 7 mai 1564. Du 2 au 6 mai, on multiplia les banquets et les joutes. L’arrivée du comte de Mansfeld, gouverneur de Luxembourg au nom de Philippe II, à la tête de quatre cents chevaux, impressionna, mais c’est la venue de la duchesse douairière, Chrétienne de Danemark – le 6 –, qui donna lieu aux fêtes les plus somptueuses. Il s’agissait de flatter cette grande dame, qui ne cachait pas son hostilité aux Français. C’est pourquoi Charles IX se rendit à sa rencontre à quelques lieues de Bar. L’ambassadeur vénitien Marcantonio Barbaro, qui accompagnait la cour, a décrit Chrétienne comme « une femme très altière et qui garde une réputation de hauteur », et il a souligné la volonté de Catherine de Médicis de faire le meilleur accueil à la duchesse. Ronsard lui-même composa un sonnet en l’honneur de Chrétienne, qui célébrait son ascendance illustre, son honnêteté et sa prudence. À en croire l’ambassadeur espagnol, don Francés de Álava, les Français se montraient aussi prévenants parce qu’ils espéraient prendre le contrôle de plusieurs forteresses lorraines pour protéger leurs frontières des incursions espagnoles. Dans la soirée du 6 mai, on représenta dans la grande galerie du château de Bar la mascarade des Quatre Éléments et des Quatre Planètes, dont Ronsard avait composé l’argument. Tous les hôtes de marque étaient présents : Charles IX, Catherine de Médicis, Charles III et son épouse Claude, Chrétienne de Danemark, Antoinette de Bourbon (duchesse douairière de Guise), le cardinal Charles de Lorraine et son frère le duc d’Aumale. La salle avait été aménagée par les peintres Médard Chupin et Claudin Crocq. Le spectacle mettait en scène les éléments et les planètes censées gouverner les destinées des princes (le Soleil, Mercure, Saturne et Mars), selon les conceptions astrologiques chères à Catherine de Médicis. Éléments et planètes combattaient « pour la grandeur du Roy et pour maintenir sa puissance ». Les personnages se déplaçaient sur des

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« engins », c’est-à-dire des sortes de chars. Charles IX en personne tenait le rôle de la Terre, et son frère Henri celui de la Mer. Aux proclamations des Éléments répondaient les défis des Planètes, chacun revendiquant l’honneur d’avoir fait de Charles le plus grand des monarques. L’affrontement cessa quand Jupiter lui-même, chevauchant un aigle, descendit des nuées pour déclarer qu’il allait partager avec le roi le gouvernement de l’univers : « J’auray pour moy les cieux et le tonnerre, / Et pour sa part ce Prince aura la Terre : Ainsi nous deux aurons tout l’Univers. » Cette partition faisait de Charles IX le digne successeur de son père Henri II, dont la devise comportait un croissant de lune et le motto « Donec totum impleat orbem » (Jusqu’à ce qu’il emplisse tout le cercle). Les festivités comportaient des combats et des divertissements spectaculaires, décrits par le poète Rémi Belleau : « Je vous dy grossement ce que c’est, laissant une autre infinité d’entreprises d’étranges artifices de feu qui s’y verront, forts assiégez, batailles de sauvages, cources à pié, à cheval, rompre lances, piques, combattre à la barrière, et mille autres gentils exercices. » Le baptême du prince lorrain se déroula dans la collégiale Saint-Maxe le dimanche 7. Dans un souci d’équilibre, les parrains étaient, d’une part, le roi de France et, d’autre part, le roi d’Espagne, ce dernier étant représenté par Pierre-Ernest de Mansfeld. Le cardinal de Lorraine administra le sacrement au jeune enfant, qui fut prénommé Henri. Catherine de Médicis était particulièrement joyeuse. Le 8 mai, on organisa d’ultimes tournois sur la place Saint-Pierre, au cours desquels les gentilshommes s’affrontèrent « à fer esmoulu ». Les spectateurs se pressaient pour assister aux combats, se hissant sur le toit de la halle pour mieux voir, si bien que celui-ci s’effondra. À en croire le nonce, Charles III aurait dépensé deux cent mille écus pour ces festivités, mais il était parvenu à séduire ses hôtes. L’ambassadeur vénitien note en effet que le tournoi fut particulièrement réussi. Le lendemain, la cour de France quitta Bar pour prendre la direction du sud. Au cours des années suivantes, d’importants travaux furent entrepris au palais de Nancy. Une grande salle fut élevée dans le prolongement de la galerie des Cerfs. Cette salle Neuve devait servir de cadre aux spectacles qui se déroulaient dans le palais : comédies, ballets ou combats. Elle était assez vaste pour que des gradins puissent y être installés pour recevoir les spectateurs. En 1579, des fêtes furent données en l’honneur du palatin Casimir. Des courses à la bague se déroulèrent dans le jardin et sur la Carrière, et des combats dans la cour du palais et dans la grande salle. Le jeu de paume fut rénové, les nouvelles écuries, situées du côté de la Carrière, furent achevées, et une loggia devant accueillir des orangers fut bâtie. La duchesse Claude quittait parfois la Lorraine pour se rendre à la cour de France, où elle retrouvait sa mère, Catherine de Médicis, sa sœur Marguerite

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et ses frères. Charles III pouvait l’accompagner. En novembre 1573, le futur Henri III séjourna plusieurs jours à Nancy. Il avait quitté la France pour se rendre en Pologne, pays dont il venait d’être élu roi. C’est à cette occasion qu’il remarqua Louise de Lorraine-Vaudémont. Cette cousine germaine de Charles III était née en 1553. Elle était la fille de Nicolas de Lorraine-Vaudémont, qui avait gouverné la Lorraine pendant la jeunesse du duc. Henri fut séduit par la grâce de cette jeune femme très pieuse, et après son retour en France, en septembre 1574, il décida de l’épouser. Catherine de Médicis n’était guère enchantée par le choix de son fils, qu’elle espérait marier à une princesse plus fortunée. Elle craignait par ailleurs que cette alliance ne renforce le poids des Guise à la cour. Finalement, Henri III parvint à imposer son choix. Les noces se déroulèrent à Reims, le 15 février 1575, deux jours après le sacre du roi. Pour cette occasion, les douze principaux seigneurs de la cour, parmi lesquels figurait Charles III, revêtirent de somptueux habits de toile d’argent pour former une sorte de troupe apostolique autour du roi, qui était lui aussi vêtu de cette façon. Comme l’impécuniosité de son père empêchait la mariée d’avoir une dot, c’est le roi de France qui s’engagea à lui faire présent de joyaux d’une valeur de cinquante mille livres tournois. Charles III assista au mariage de sa cousine, mais pas son épouse, la duchesse Claude, qui ne s’était pas remise de ses dernières couches. Elle rendit l’âme le 21 février 1575. Dans une oraison prononcée à Notre-Dame de Paris, le prédicateur ordinaire du roi, Arnaud Sorbin, célébra sa modestie, son esprit de charité et sa piété. Charles III fut très affecté par cette disparition, et il ne se remaria jamais. La fille aînée de Charles III, Christine, qui avait seulement neuf ans, avait assisté aux noces d’Henri III à Reims. Catherine de Médicis, qui s’était attachée à la fillette, se chargea de son éducation. Le séjour ordinaire de Christine de Lorraine allait être désormais la cour de France. Elle ne quitta le royaume qu’en 1589, quand elle se rendit à Florence pour rejoindre son époux, le grand-duc de Toscane Ferdinand Ier. Catherine de Médicis lui avait légué une partie de ses possessions, et notamment une série de magnifiques tapisseries évoquant les fêtes de la cour des Valois, qui se trouvent aujourd’hui au musée des Offices. Les noces de Christine de Lorraine et de Ferdinand de Toscane devaient être l’occasion de fêtes d’un éclat inouï à Florence. Les liens entre les maisons de France et de Lorraine restèrent étroits au cours des années suivantes. En juin 1575, fut arrangé le mariage entre le frère de la reine Louise, Philippe-Emmanuel de Lorraine, et Marie de LuxembourgMartigues, la riche héritière du duché de Penthièvre. Le comte de Vaudémont, père du marié, et Charles III se rendirent à Paris à cette occasion, et de grandes fêtes furent organisées à la cour. Le duc revint à Paris pour la célébration du mariage, le 12 juillet 1576, qui donna lieu à des bals à la cour. Il fit ensuite un long séjour à Paris, de février à mai 1578.

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Le comte de Vaudémont mourut en mars 1577. Ses biens revinrent à son fils Philippe-Emmanuel, qui hérita notamment du duché de Mercœur. Le jeune homme faisait son éducation à la cour de France, et il fut un moment proche du roi, qui le nomma gouverneur de Bretagne en 1582. Peu auparavant, en septembre 1581, une sœur de la reine Louise et du duc de Mercœur, Marguerite de Lorraine-Vaudémont, avait épousé le favori d’Henri III, Anne de Joyeuse. De cette façon, Joyeuse était intégré à la famille royale, puisqu’il devenait le beaufrère du roi. Le jour de la cérémonie, Henri III et Joyeuse apparurent vêtus de la même façon. Le roi proclamait ainsi son attachement au jeune homme, qu’il considérait comme une sorte de fils spirituel, voire d’alter ego. La dot fut payée par le roi, et cet argent fut immédiatement prêté au duc de Lorraine. Charles III et sa fille Christine participèrent aux festivités, et ils assistèrent notamment au spectaculaire Ballet comique de la reine, représenté le 15 octobre.

Fig. 4

Claude Déruet Le Palais ducal, estampe, xviie siècle, ML, inv. 2006.0.7938

Les relations entre les maisons de France et de Lorraine se tendirent dans les années 1580, quand la question de la succession à la couronne de France commença à se poser avec urgence. Charles III ne cachait pas son soutien à ses parents, les Guise, qui se présentaient comme les défenseurs de la religion catholique et comme les adversaires du roi de Navarre. C’est à Nancy que ces princes se réunirent, en septembre 1584, pour préparer la Ligue catholique qui devait s’opposer aux prétentions du prince protestant et défendre celles du cardinal de Bourbon, l’oncle d’Henri de Navarre. Pendant l’été de 1585,

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Fig. 5

Le palais ducal de Nancy aujourd’hui, côté jardin. À l’étage, au-dessus de la galerie voûtée, la galerie des Cerfs.

il s’affichait avec le cardinal de Bourbon et les Guise, mais il repartit pour Nancy à la fin de juillet de cette année. Charles III ne devait intervenir ouvertement sur le plan militaire qu’après l’assassinat d’Henri III. Il n’est pas impossible qu’il ait pu envisager de se faire reconnaître comme le successeur légitime du dernier Valois, mais cette ambition resta une velléité. Alors que la France sombrait dans la guerre civile, Charles III poursuivait l’aménagement de son palais nancéien. Il installa une galerie de peinture sous le jeu de paume, où il conservait sa collection de portraits, et transforma profondément sa capitale, avec la Ville-Neuve bâtie à partir de 1590. Charles fit aménager de nouveaux jardins sur la partie des remparts appelée bastion des Dames. Il leur portait un tel intérêt qu’en 1604 il envoya un jardinier à Paris et à Fontainebleau pour que celui-ci s’inspire des jardins royaux.

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De nouvelles fêtes furent organisées à Nancy en 1594 à l’occasion du mariage d’Élisabeth, la seconde fille de Charles III, avec le duc Maximilien de Bavière. Des combats et un ballet se déroulèrent dans la salle Neuve, et des carrousels et des courses de bague sur la Carrière. Pour vêtir les princesses, le duc avait commandé des robes de soie brodées de fil d’or et d’argent, qui furent fabriquées spécialement par des ouvriers qu’on était allé chercher jusqu’à Milan. Charles III était désormais un prince pleinement reconnu sur la scène internationale. Il pouvait marier ses enfants dans les plus grandes maisons souveraines. À partir de 1593, ses relations avec le roi de France s’améliorèrent. Après avoir obtenu une confortable indemnité de deux cent cinquante mille écus d’Henri IV, le très catholique duc de Lorraine accepta de marier son fils aîné, Henri, marquis de Pont, à la très protestante sœur d’Henri IV, Catherine de Bourbon, qui était alors dans sa quarantième année. Les noces se déroulèrent à Saint-Germain-en-Laye en janvier 1599. La cour de France fit le voyage de Nancy en 1603, et l’on organisa à cette occasion de nouvelles courses de bagues sur la rue Neuve, et des ballets et des combats à la barrière dans la salle Neuve du palais. Catherine de Bourbon, qui avait refusé de se convertir au catholicisme, mourut en 1604. Henri se remaria deux ans plus tard avec une jeune princesse italienne, Marguerite de Gonzague, une bonne catholique. Les cérémonies se déroulèrent à Nancy le 26 avril 1606. Charles III mourut le 14 mai 1608. Ses funérailles constituent certainement les plus spectaculaires cérémonies jamais organisées à Nancy. Le corps fut embaumé avant d’être mis dans un cercueil de plomb, tandis qu’on confectionnait une effigie qui allait être exposée sur un lit d’honneur jusqu’au 8 juin. Le mannequin fut ensuite escamoté, et à partir du 14 juillet, c’est le cercueil qui fut exposé dans la chambre funèbre. Le 17 juillet, on porta la dépouille dans la collégiale Saint-Georges, voisine du palais, où elle fut placée sous un candélabre monumental, avant d’être inhumée dans l’église des Cordeliers deux jours plus tard. — En un siècle, la position du duc de Lorraine sur la scène européenne s’est renforcée et Nancy est devenue une véritable capitale. Les princes lorrains étaient parvenus à préserver leurs états et à s’imposer comme des interlocuteurs respectés auprès des plus grands princes européens. René II avait même pu se rêver roi. L’imaginaire belliqueux se combinait à l’esprit de défense du catholicisme pour informer l’idéologie des ducs, et cette identité religieuse s’était faite de plus en plus prégnante au cours du xvi e siècle. La cour ducale apparaissait désormais comme un pôle culturel important. Mais cette prospérité fut de courte durée. La guerre de Trente Ans allait ravager le duché et sonner le glas de cet âge d’or de la cour de Lorraine.

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la maison de guise entre mythe et réalité Jean-Marie Constant

Fig. 1

Attribué à Willem Scrots Portrait de Claude de Lorraine, premier duc de Guise (14961550), huile sur toile, deuxième quart du xviie siècle, Nancy, ML (cat. 155)

La famille de Guise sent le soufre lorsqu’on lit les livres d’histoire. L’assassinat d’Henri, au château de Blois, en 1588, par la garde particulière d’Henri III a contribué à répandre la légende noire d’une lutte à mort entre les Valois et les Guise. Les pamphlets contre la Ligue et ceux en faveur d’Henri IV ont dévalorisé l’action de ces derniers comme celle des ligueurs. Ils ont été accusés d’avoir voulu renverser la dynastie capétienne, en soulevant les populations, au nom de la défense du catholicisme. Ils sont soupçonnés de revendiquer le trône de France en prétendant descendre des Carolingiens. De Thou les accable, mais Pasquier les respecte en vantant leur action pour la protection des catholiques. De plus, ils sont vaincus et l’histoire n’est jamais tendre avec les perdants. Enfin, le corpus historique de l’époque a été mis au point, en grande partie, au xix e siècle, en fonction d’une tradition imprégnée par l’idée que la nation doit l’emporter sur la religion. Le siècle est volontiers voltairien et assimile les ligueurs aux catholiques les plus réactionnaires. Aujourd’hui, les historiens regardent plus sereinement les guerres de Religion et la recherche a renouvelé l’histoire de la Ligue. On pourrait paraphraser François Furet à propos de la Révolution française en disant que les guerres de Religion entre catholiques et protestants sont achevées en France et qu’on peut regarder l’histoire de la maison de Guise avec un œil raisonnable.

L’ascension spectaculaire des princes lorrains

1. Dom Calmet, Histoire de la Lorraine…, Nancy, 1752-1757 (7 vol.) ; Jean-Marie Constant, Les Guise, Paris, Hachette, 1984. Marie-Catherine Souleyreau, dans son livre Richelieu et la Lorraine, Paris, L’Harmattan, 2004, retrace l’histoire du duché.

44 La cour et la culture de cour

Au départ, l’histoire de la maison de Guise est étroitement mêlée à celle des ducs de Lorraine 1. René II, en janvier 1477, emporte une victoire fracassante sur Charles le Téméraire, dont on retrouve le cadavre, à demi dévoré par les loups, dans la neige, sous les murs de Nancy. Cette défaite de l’un des plus grands princes d’Occident a eu un retentissement considérable et propulsé le duc de Lorraine dans le panthéon des chefs de guerre. Cette entrée éblouissante dans l’histoire est un premier acte, suivi d’un second réalisé par Antoine le Bon (1508-1544), son fils, qui écrase la révolte paysanne et protestante radicale des Rustauds, en 1525. Le manifeste de ces millénaristes du Saint Empire remettait en cause la hiérarchie ecclésiastique, les droits seigneuriaux, l’organisation


La maison de Guise entre mythe et rĂŠalitĂŠ 45


de la justice, les droits de chasse, et demandait le libre usage des produits de la forêt. Avec l’aide de son frère cadet, Claude de Guise, au service du roi de France, le duc monte une expédition militaire et reprend Saverne aux insurgés, le 13 mai 1525. Les 16 et 17 mai, les Rustauds sont écrasés et massacrés. Cette victoire a valu au duc de Lorraine et à son frère d’être considérés comme des soldats de Dieu, des sauveurs de l’orthodoxie catholique et de la société traditionnelle. Des œuvres littéraires chantèrent sur le mode épique cet exploit. Les humanistes le célébrèrent et n’hésitèrent pas à faire remonter la maison de Lorraine à Godefroy de Bouillon, héros des croisades. Une floraison de livres chanta leurs louanges, à l’image de la Rusticiade, publiée à Metz par un chanoine de Saint-Dié, ou de l’apologie écrite par Nicolas Volcyr de Serrouville, qui exprime leurs ambitions militaires, religieuses et politiques. De tels mérites supposaient, dans l’esprit du temps, des naissances illustres. Le célèbre humaniste Symphorien Champier, médecin du duc Antoine, démontra dans un ouvrage très érudit, publié à Lyon, que son protecteur était issu « du roi Pépin et de Charlemagne Empereur ». La découverte dans les archives de Saint-Georges de Nancy de parchemins anciens, où des faux étaient mêlés à des textes authentiques, révélait que Charles de Lorraine, dernier Carolingien, n’était pas mort prisonnier à Orléans mais qu’il avait laissé un fils, Othon. Ce dernier, qui n’avait pas d’enfants, céda la Lorraine à Godefroy, comte d’Ardenne, « qui était sorti de sa lignée masculine ». En 1549, l’archidiacre de Verdun, Richard de Wassebourg, alla plus loin et affirma avec assurance que l’ascendance des Lorrains remontait à Clodion le Chevelu, lui-même directement issu de Jules César et des Troyens. Lorsque le roi de France, Henri II, s’empara des fameux évêchés de Metz, Toul et Verdun, Charles Estienne, fils de l’humaniste, chargé de lui faire connaître le pays, recopia à son intention les passages déclarant que les ducs de Lorraine descendaient de Charlemagne. Le roi accepta sans sourciller cette affirmation fallacieuse car de telles constructions généalogiques étaient monnaie courante à l’époque, les grands lignages prétendant souvent descendre de la Vierge Marie, ou des héros de la guerre de Troie, Hector ou Achille. Prononçant, en 1550, l’oraison funèbre de Claude de Guise, le frère d’Antoine, le religieux Guillard rattacha la maison de Lorraine à Charlemagne. Et Ronsard n’hésita pas à adresser au cardinal de Lorraine, le fils puîné de Claude, un poème commençant par le vers suivant : « Si je voulais chanter ton aïeul Charlemagne… » On sait que bien longtemps après, pendant les guerres de Religion, cette généalogie a été utilisée à des fins polémiques, pour vanter les mérites des Guise ou pour les accabler. Ainsi, pour justifier l’assassinat d’Henri de Guise, à Blois, en décembre 1588, Henri III ressortit une vieille affaire qui n’avait pas attiré l’attention au moment des faits, en 1576. Un avocat « factieux et turbulent », Jean David, en voyage vers Rome, dans la suite de Pierre de Gondi, évêque de Paris, avait été retrouvé mort à Lyon. On aurait découvert dans ses papiers des propositions politiques radicales, expliquant que la race des

46 La cour et la culture de cour


Capétiens était abandonnée par Dieu et qu’il fallait recourir aux descendants de Charlemagne, qualifiés de vigoureux et « verdoyants ». Henri III, à l’époque, n’attacha pas d’importance à cette affaire, car aucune preuve n’indiquait que David était mandaté par la famille de Guise, qui n’avait pas de moyens plus directs de s’adresser au pape. D’ailleurs, l’historien Henri Hauser pense que ce texte n’est pas authentique. Néanmoins, il est un témoignage sur l’état d’esprit des gens de ce temps. L’idée que les Lorrains descendaient des Carolingiens était largement ancrée dans les opinions, à tel point que même les protestants y croyaient. Le Réveille-matin des Français, pamphlet publié après la Saint-Barthélemy pour disqualifier le pouvoir des Valois, accuse Hugues Capet d’être un usurpateur, et vante les mérites des Guise, descendants des Carolingiens. Cette généalogie avait permis aux Lorrains de renforcer leur prestige et d’occuper un rang très élevé dans la hiérarchie à la cour de France. Claude de Guise ayant été blessé vingt-deux fois au service du roi de France, son courage au combat et sa fidélité au roi se conjuguaient avec le prestige d’appartenir à une dynastie prestigieuse et impériale. La carrière de Claude de Guise prit un tournant nouveau après la bataille de Pavie en 1525, au cours de laquelle François Ier fut fait prisonnier. Pour gouverner le royaume, Louise de Savoie appela au Conseil les grands seigneurs qui avaient échappé à la catastrophe, le comte de Guise, son beau-frère, Vendôme et Lautrec. Désormais il participait au pouvoir. Il en profita pour adopter l’écusson de Lorraine, se présenter comme prince étranger et réclamer la préséance sur les autres courtisans. À son retour d’Espagne, pour le récompenser des services rendus en son absence, François Ier le traita comme un prince du sang puis lui conféra en 1527 le titre de duc et pair de France, privilège qu’il n’avait octroyé que cinq fois en une vingtaine d’années, dont trois à des membres de la famille royale. Il faut dire que Claude de Guise était un vrai chef de guerre, qui savait, en bon stratège, exploiter toutes les possibilités. Ainsi, en 1536, le maréchal de Fleuranges s’était laissé enfermer dans Péronne. Guise quitta Paris, le plus secrètement possible, avec sa cavalerie et quatre cents arquebusiers chargés de poudre. De nuit, il traversa le campement de l’armée ennemie, introduisit dans la ville les troupes et le ravitaillement nécessaires pour la survie des assiégés. Au petit matin, quand Nassau aperçut Guise et ses soldats qui regagnaient Paris, il comprit qu’il avait perdu la partie et leva le siège. En 1538, il fit un nouvel éclat en mariant sa fille, Marie, veuve du duc de Longueville, avec Jacques V, roi d’Écosse. Cette alliance, qui faisait entrer les Guise dans une famille régnante, amie de la France, revêtit une singulière importance pour l’avenir puisqu’elle donna naissance à Marie Stuart, épouse de François II, reine de France 2. L’une des clés du succès de Claude de Guise est sa discrétion. Il savait demeurer à l’écart des clans de cour, qui se succédaient pour conseiller François Ier. Néanmoins, à la fin du règne, avec la vieillesse, son étoile pâlit. Son frère, le cardinal, lui conseilla de s’allier à Diane de Poitiers, qui tenait, avec le futur Henri II, une cour concurrente de celle du roi. Les relations s’envenimant

2. La bibliographie ancienne concernant la maison de Guise n’est pas très fournie. Elle compte René de Bouillé, Histoire des ducs de Guise, Paris, 1849 (4 vol.) ; Joseph de Croze, Les Guise, les Valois et Philippe II, Paris, 1866 (2 vol.) ; Henri Forneron, Les Ducs de Guise et leur époque, Paris, 1877 (2 vol.).

La maison de Guise entre mythe et réalité 47


de plus en plus entre le père et le fils, Claude de Guise se résigna à sortir de sa réserve et choisit le futur souverain.

L’apogée de la puissance de la maison de Guise

3. Mémoires de Tavannes

et Mémoires de Vieilleville, coll. « Michaud et Poujoulat », Paris, 1838. 4. L’Histoire particulière de la cour d’Henri II a été publiée par Cimber et Danjou, Archives curieuses de l’histoire de France, 18341841, 27 vol., 1re série, t. III. 5. Francis de Crue de Stoutz, Anne, duc de Montmorency, Paris, 1889 ; Stéphane-Claude Gigon, La Révolte de la gabelle en Guyenne, Paris, 1906 ; Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds, Paris, GallimardJulliard, coll. « archives », 1974.

48 La cour et la culture de cour

La mort de Claude de Guise, en 1550, est loin de sonner la fin du lignage, désormais entre les mains de trois personnalités très unies et dont les tâches sont nettement définies : le chef de famille, François, l’un des plus grands chefs de guerre du temps, son frère Charles, cardinal de Lorraine, brillant intellectuel, et leur mère Antoinette de Bourbon. En 1552, Henri II érige leur terre de Joinville, en Haute-Marne, en principauté. La famille fait table ouverte et reçoit soixante-dix personnes à déjeuner tous les jours. Antoinette dirige la maison de Guise d’une main de fer, tout en laissant à ses fils le soin de conduire les affaires publiques. Ils étaient en effet dans l’entourage immédiat du nouveau roi, Henri II, en 1547. François, compagnon de jeu de paume du jeune souverain, roi très sportif, allait jouer les premiers rôles. Le dépit se fait jour chez les mémorialistes qui ironisent sur le nouveau règne. Tavannes le définit « comme celui du connétable (Montmorency), de Madame de Valentinois (Diane de Poitiers) et de Monsieur de Guise, non le sien ». Vieilleville est plus féroce encore, en écrivant qu’ils étaient quatre « qui le dévoraient comme un lion sa proie, savoir le duc de Guise, qui avait six enfants qu’il fit très grands, le connétable avec les siens, la duchesse de Valentinois avec ses filles et ses gendres et le maréchal de Saint André, qui était entouré d’un grand nombre de neveux et d’autres parents tous pauvres 3 ». Ces témoignages montrent que les Guise sont solidement installés à la cour. Cependant, ils ne négligeaient pas de tisser une toile solide pour rendre leur position inexpugnable. Ainsi l’aîné, François, épousa Anne d’Este, fille de Renée de France, elle-même fille de Louis XII. Son frère, Claude, marquis de Mayenne et futur duc d’Aumale, convola avec Louise de Brézé, fille de Diane de Poitiers, ce qui renforçait les liens à l’intérieur du cercle gouvernemental. Un second François devint grand prieur et général des galères. Le plus jeune, René, demeura dans l’entourage de ses frères d’Église, Charles et Louis, tous deux cardinaux, respectivement de Lorraine et de Guise. Les filles contribuèrent également à la gloire de la famille. Marie, nous l’avons vu, est devenue reine d’Écosse. Sa sœur, Louise, se marie avec le prince d’Orange, puis avec celui de Chimay, les deux dernières devenant abbesses de Faremoutiers. Aucun des frères ne chercha à constituer sa maison particulière, chacun reconnaissant l’autorité absolue de l’aîné. Chaque matin, les quatre benjamins passaient chez le cardinal de Lorraine et le suivaient au lever du chef de famille puis tous ensemble se rendaient chez le roi. Cette cohésion est un des éléments de la force et de la réussite du lignage. Elle était d’autant plus nécessaire que les Guise devaient sans cesse lutter contre les Montmorency, leurs grands adversaires à la cour. Une dépêche de l’ambassadeur espagnol d’avril 1547, à peine un mois après la mort de


François Ier, signale que le connétable de Montmorency et le chancelier « s’entendent très bien », mais que leur amitié n’est entretenue que par la « jalousie de ceux de Guise ». Le cardinal de Lorraine était surnommé « grand veau » par le connétable parce qu’il s’opposait en Conseil aux décisions qu’il proposait. L’Histoire particulière de la cour d’Henri II, sans doute l’œuvre de Claude de l’Aubépine, secrétaire d’État, révèle que les Guise dépendent étroitement de Diane de Poitiers et qu’une véritable alliance politique les unit contre Montmorency 4. Outre les ambitions politiques de ces deux grands seigneurs, qui voulaient l’un et l’autre gouverner au nom du roi, tout opposait Montmorency et Guise. Ainsi, lors du voyage en France de Charles Quint sous François Ier, Montmorency avait montré à l’empereur les lettres des princes allemands qui proposaient une alliance à la France afin de mieux s’émanciper de la tutelle des Habsbourg. Les Guise se disaient choqués par cette attitude, qui ne pouvait que compromettre le crédit de la France à l’étranger. Pour Montmorency, au contraire, l’ordre et la discipline primaient, aussi bien dans le royaume de France que dans le Saint Empire romain germanique. Il en avait été de même lors de la répression de la révolte de la Guyenne et de la Saintonge contre la gabelle en 1548. Montmorency mena dans Bordeaux une répression terrible, livrant la ville à la soldatesque et au pillage, faisant notamment exécuter cent cinquante des meneurs. Au contraire, François de Guise eut une attitude plus généreuse en Saintonge, ne punissant pas rigoureusement les rebelles 5.

Fig. 2

Philippe de Champaigne Portrait de François de Lorraine, second duc de Guise (15191563), huile sur toile, premier quart du xviie siècle, Nancy, ML (cat. 262)

La rivalité entre les deux grands clans nobiliaires était aussi militaire. Le connétable avait été l’artisan de la victoire lorsque les Impériaux avaient envahi la Provence en 1536. Vingt ans plus tard, son étoile pâlissait, alors que celle de François de Guise atteignait le firmament après le siège de Metz et la prise

La maison de Guise entre mythe et réalité 49


de Calais. En effet, en 1552, le duc mit en échec l’empereur Charles Quint luimême et en 1558 il reprit Calais, qui était sous domination anglaise depuis la guerre de Cent Ans. Ces deux grandes victoires changèrent les rapports politiques à l’intérieur du gouvernement. De plus, la stratégie mise en œuvre par le duc de Guise et surtout le retentissement que ces succès ont pu avoir en Europe, ont placé l’ensemble du lignage sur le devant de la scène internationale. En effet, le siège de Metz a été préparé avec grand soin par François de Guise. Le roi de France, sollicité par les princes allemands luthériens, désireux d’une revanche contre l’empereur, s’était rapproché d’eux et proclamé « défenseur de la liberté germanique et des princes captifs ». Une rapide campagne militaire, appelée « voyage d’Allemagne » par les contemporains, permit à Henri II d’occuper les trois évêchés, Metz, Toul et Verdun, terres d’Empire, mais de langue française. Metz était alors une ville libre et neutre, dirigée par un gouvernement aristocratique aux mains des familles patriciennes, qui dominaient le pays environnant. Henri II eut l’habileté de nommer gouverneur de la cité, François de Guise, cousin du duc de Lorraine. Chef de guerre énergique, il en fit une place forte, accumula des vivres, s’enferma dans la ville avec l’élite de la noblesse française, accourue comme à une fête. Charles Quint voulait reconquérir cette cité lorraine pour des raisons stratégiques. Le 10 octobre 1552, à la tête d’une formidable armée de trente-cinq mille fantassins, huit mille cavaliers, cent cinquante canons, il vint en personne assiéger la ville. Les soldats de l’empereur, mal logés dans des abris de fortune, mal payés, en proie aux mauvaises conditions atmosphériques, décimés par le typhus, mouraient ou désertaient, alors que les troupes du duc de Guise, confortablement installées et nourries dans la ville, résistaient à tous les assauts. La retraite des Impériaux commença le 26 décembre 1552, en abandonnant sur place tentes et matériel. Malade, Charles Quint quitta les lieux en litière, le premier janvier. La remarquable victoire remportée sur l’empereur permit au prince d’apparaître comme l’un des plus grands capitaines de sa génération. La reprise de Calais, quelques années plus tard, allait conforter cette image de chef de guerre, sauveur de la nation. En 1557, Montmorency fut fait prisonnier à Saint-Quentin par les Espagnols. Henri II fit revenir François de Guise d’Italie et lui confia la mission de redresser la situation. Secrètement le duc prépara la reprise de Calais. La reine d’Angleterre, Marie Tudor, étant l’épouse de Philippe II, une défaite de l’Angleterre était aussi celle des Espagnols. Il fit croire à ses ennemis qu’il voulait s’emparer du Luxembourg, mais fonça vers Calais. Le 4  janvier 1558, la citadelle, pourtant réputée imprenable, était enlevée. Poursuivant son offensive sur la frontière du nord, il assiégea Thionville, qui capitula le 22 juin 1558. Ces victoires accélérèrent la négociation du traité du Cateau-Cambrésis, le 2 avril 1559. Les exploits militaires de François de Guise continuèrent, notamment pendant la première guerre de Religion. Il remporta la bataille de Dreux, commentée par Montaigne et par La Noue. Outre les qualités tactiques mises en œuvre

50 La cour et la culture de cour


au cours du combat, François de Guise apparaît comme un homme d’honneur. Au soir de cette bataille mémorable, le prince de Condé, son prisonnier, et lui-même avaient perdu tous leurs bagages et se retrouvèrent démunis dans la modeste maison d’un paysan. Comme il n’y avait qu’un seul lit, ils firent assaut de politesses pour l’offrir à l’autre et finalement ils le partagèrent. La Noue s’émerveille de ce sens chevaleresque des deux princes lorsqu’il raconte cette scène incroyable du vainqueur, chef de l’armée catholique, qui dort dans le même lit que le vaincu, chef de l’armée protestante 6. Le prestige du lignage tient donc d’abord aux qualités militaires de Claude et de François, mais les cadets, devenus cardinaux, y contribuent par d’autres armes. Charles, le cardinal de Lorraine, est un brillant théologien, qui prêche lui-même avec beaucoup d’éloquence. Il connaît le latin, le grec, l’italien. Riche, il est aussi très généreux, au point qu’on raconte avec complaisance qu’un aveugle de Rome, à qui il aurait donné une belle aumône, se serait écrié : « Tu es Jésus ou le cardinal de Lorraine. » Très politique, il aurait voulu rétablir l’unité religieuse en réformant l’Église catholique. Dès 1548-1549, avant même les décisions du concile de Trente, il agissait en précurseur, essayant d’établir dans son diocèse une stricte discipline ecclésiastique. Il remit en honneur la prédication, jusqu’alors abandonnée aux moines mendiants. En réunissant périodiquement curés et doyens, en rédigeant des statuts synodaux et des règlements divers, il jetait les bases d’un renouveau religieux. Il s’attacha à ne recruter que des prêtres de qualité : tous les candidats à la tonsure subissaient les épreuves d’un examen devant l’écolâtre de l’église de Reims (le directeur de l’école épiscopale). Il éliminait ceux qui ne savaient ni lire, ni écrire, ni chanter. Les curés, obligés de résider dans leur presbytère, devaient fournir chaque année un rapport. En réalisant ces objectifs, le cardinal entendait barrer la route au calvinisme. Pour transformer les mentalités cléricales comme celles des fidèles, il développa tout un programme d’éducation. En 1548, il obtenait une bulle du pape pour créer une université à Reims et réorganiser le collège des Bons-Enfants. Il fut un des ardents soutiens de la Compagnie de Jésus, déployant beaucoup d’énergie pour favoriser leur implantation en France et en Lorraine. Il fut ainsi le fondateur de la fameuse université de Pont-à-Mousson 7. Réformateur catholique, le cardinal est ouvert au dialogue avec les réformés. Ses ennemis ont fait de lui un adversaire acharné et intraitable des protestants. Il est nécessaire de nuancer ce portrait. Son objectif était de rétablir

Fig. 3

Léonard Limosin Portrait de Claude de Lorraine, duc de Guise (1496-1550), émail peint, vers 1550, Musée national de la Renaissance, château d’Écouen, inv. ECL11289, ECL11288

6. François de La Noue, Discours politiques et militaires, publiés par F. E. Sutcliffe, Paris-Genève, Droz, 1967, p. 666 et suivantes. 7. Jean-Jacques Guillemin,

Le Cardinal de Lorraine, Paris, 1847.

La maison de Guise entre mythe et réalité 51


Fig. 4

Léonard Limosin Le Triomphe de l’Eucharistie et de la foi catholique, émail peint vers 1561, New York, The Frick Collection, inv. 1916.4.22.

l’unité religieuse en réformant l’Église catholique. Il aurait accepté le chant en langue vulgaire, la communion sous les deux espèces, la suppression du culte des images, des pèlerinages, des indulgences. On sait que lors du massacre de Wassy, François et Charles revenaient d’Allemagne où ils avaient rencontré le duc de Wurtemberg, l’un des princes allemands luthériens parmi les plus puissants du Saint Empire, pour négocier un compromis avec lui. Une possible entente pouvait se réaliser autour de la présence réelle. Bien sûr, cette entrevue faisait partie d’une stratégie politique, car il s’agissait d’éviter une alliance entre les luthériens allemands et les calvinistes français. Cependant, il faut remarquer que les relations entretenues avec les princes allemands luthériens ont commencé en 1552. Cette relation entre Lorrains et Allemands s’inscrit dans le cadre normal du Saint Empire romain germanique. Dès 1535, le cardinal Jean de Lorraine s’efforce de faire venir Melanchthon à Paris, selon le souhait de François Ier, pour discuter avec les catholiques français. Dans l’entourage de Catherine de Médicis, Charles de Lorraine fait partie de ceux qui ont compris que la politique de répression d’Henri II avait échoué et qu’il fallait rechercher la conciliation entre les deux religions. Pendant le concile de Trente, les cardinaux allemands et français travaillaient ensemble pour une réunification de la chrétienté, alors que les cardinaux espagnols et italiens défendaient une ligne intransigeante, qui l’a emporté finalement. Camille GrandDewyse analyse avec précision une plaque des émaux de Limoges, conservée à la Frick Collection de New York, qui est tout à fait significative. Peinte par Léonard Limousin, entre la fin de 1561 et le début de l’année 1562, elle représente un portrait d’une partie de la famille de Guise. Alors que l’image symbolise l’écrasement de l’hérésie par les Lorrains, Charles se tient à l’écart, à l’extrémité droite de la

52 La cour et la culture de cour


scène, se détachant du groupe familial. De plus, il y est figuré en costume, pouvant laisser croire qu’il a fait sienne la rigueur des pasteurs réformés 8. L’attitude du cardinal de Lorraine est donc celle des humanistes et l’on peut refuser de faire de lui un ecclésiastique borné et sectaire. En même temps, toute la famille participe à un mécénat digne des princes de la Renaissance. Ainsi, André Thévet rencontre le cardinal Jean de Lorraine à Plaisance en 1549. Ce dernier lui donne les moyens de voyager, de travailler au Levant et de publier sa Cosmographie, qui eut trois éditions à Lyon et Anvers entre 1554 et 1556. Marot, Érasme, Étienne Dolet, Baïf leur dédient leurs ouvrages. Clément Janequin a été au service de Jean de Lorraine. Il a écrit sur la balafre du duc François, sur la victoire de Metz. Michel Huët est le flûtiste préféré du cardinal de Lorraine. Il est certain que les Guise ont joué un rôle capital dans le développement et l’évolution de la musique grâce à leur mécénat 9. Le cardinal entreprit ainsi des travaux dans l’hôtel de Cluny, à Paris, construisit le palais de Joinville, qui est un bijou Renaissance ; il offrit des tableaux à la cathédrale de Reims, une Nativité du Tintoret, L’Apparition du Christ à Madeleine, de Titien, Le Christ au tombeau soutenu par les anges de Taddeo Zuccari, Le Lavement des pieds de Girolamo Muziano. Ce rôle de mécène de la maison de Guise va durer jusqu’à la disparition de la dynastie, à la fin du xvii e siècle, mais leur rôle politique est plus conjoncturel. L’apothéose de leur influence se situe sous le bref règne de leurs neveu et nièce, François II et Marie Stuart, de juillet 1559 à décembre 1560. Les deux frères sont au pouvoir et gouvernent la France. Cette courte période, au cours de laquelle ils doivent affronter la conjuration d’Amboise, qu’ils répriment violemment, et tentent de se débarrasser de Condé, devenu le chef des armées protestantes, est aussi le début de leur déclin. Violemment attaqués par les réformés, qui diffusent largement les gravures de Tortorel et Perrissin, montrant les horreurs de la répression et accusant les Guise de ne pas avoir respecté leur parole, ils apparaissent comme des tyrans, ayant fait main basse sur la monarchie. Le massacre de Wassy, le 1er mars 1562, accentue encore la défiance à leur égard, bien que François de Lorraine, sur son lit de mort, ait toujours affirmé qu’il n’avait aucune responsabilité dans ces événements dramatiques. L’assassinat du chef du clan des Guise, en 1563, par le huguenot Poltrot de Méré allait priver le lignage du chef militaire qui était la vitrine héroïque de la famille.

La lente descente aux enfers de l’histoire La violente campagne contre la tyrannie des Guise, sous le règne de François II, a beaucoup atteint la popularité des Lorrains dans l’opinion, mais ils sont aussi apparus chez les catholiques les plus « zélés » comme les protecteurs de la

8. Camille Grand-Dewyse, Émaux

de Limoges au temps des guerres de Religion, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001, p. 141 à 204. Voir aussi, sur cette question, Alain Tallon, « Les Guise, pionniers de l’œcuménisme », dans Homo religiosus, autour de Jean Delumeau, Paris, Fayard, 1997, p. 361-377 ; Alain Tallon, « Le cardinal de Lorraine au concile de Trente », dans Le Mécénat et l’influence des Guise, Yvonne Bellenger (dir.), Paris, Honoré Champion, 1997, p. 331 ; Jean-Marie Constant, Les Guise, op. cit., p. 35 ; Paulette Choné, « Jean de Lorraine (1498-1550), cardinal et mécène », dans Frédérique Lemerle, Les Cardinaux de la Renaissance et la modernité, Lille, Presses du Septentrion, 2009 ; Marc Vénard, « Le cardinal de Lorraine dans l’Église de France », dans Le Mécénat…, op. cit., p. 311. 9. Le livre cité plus haut,

Le Mécénat…, comprend de nombreuses études sur ce rôle de mécène.

La maison de Guise entre mythe et réalité 53


religion traditionnelle et de l’ordre social, contre les réformés. Le massacre de Wassy est acclamé à Paris, mais François de Guise est appelé « le bourreau de Wassy » par les protestants. La disparition de François de Guise en 1563 intronisait son fils aîné, Henri, pour le remplacer, mais il n’avait que quatorze ans et n’était pas en mesure de diriger le clan familial. Il se prépara à cette rude fonction, en 1566, à dix-sept ans, en allant combattre les Turcs en Hongrie. Comme tous les jeunes gentilshommes de son temps, il aime la guerre et participe avec fougue aux guerres de Religion. À Chasseneuil et à Jarnac, il est si imprudent qu’il se fait rabrouer par le maréchal de Tavannes, qui lui dit : « Monsieur, avant d’entreprendre, il faut penser. » En 1569, il s’illustre à Poitiers où il s’enferme, pour tenter d’imiter son père, qui avait fait la même chose à Metz. Il joue un rôle très important lors de la Saint-Barthélemy, notamment dans l’assassinat de Coligny, conclusion d’une vendetta qui oppose les deux clans nobiliaires et religieux depuis le meurtre de François de Guise 10.

10. On ne reviendra pas sur

les controverses interminables concernant les responsabilités des uns et des autres dans le massacre de la Saint-Barthélemy. Nous renvoyons à la synthèse d’Arlette Jouanna, La SaintBarthélemy. Les Mystères d’un crime d’État, Paris, Gallimard, 2007.

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En 1576, il est blessé gravement à Dormans, sur la Marne, où un coup d’arquebuse lui arrache la joue. Il deviendra, comme son père, « le Balafré ». Contrairement à ce que pensent nombre d’historiens un peu pressés, il ne semble pas jouer un grand rôle lors de la première Ligue de 1576, où le mouvement est porté par d’Humières à Péronne, La Châtre en Berry et Ruffec en Charentes. En revanche, il est le chef de la Ligue de 1584, lorsqu’il signe le traité de Joinville avec Philippe II, le 31 décembre de la même année. Ce traité est une sorte de marché de dupes, puisque le roi d’Espagne ne finance pas les opérations militaires mais laisse le duc de Lorraine, Charles III, le faire à sa place. La nouveauté réside dans la création d’une ligue parisienne, soutenue et protégée par Henri de Guise, mais qui représente un mouvement révolutionnaire déterminé, conduit par des élites parisiennes. Le duc éprouvera les pires difficultés à modérer les ardeurs populaires, car les ligueurs parisiens veulent en découdre avec Henri III. Ils sont maîtres de Paris, après les barricades du 12 mai 1588, qui font fuir le roi de sa capitale. Henri III espère rétablir son pouvoir en convoquant les états généraux à Blois, mais il essuie un nouvel échec, car lors des élections, les ligueurs sont majoritaires dans le tiers état et le clergé. Cette accumulation d’humiliations pèse lourdement sur la psychologie royale. En effet, déjà en 1587, l’armée de Joyeuse, qu’il avait envoyée contre le futur Henri IV, avait été écrasée et celle du duc de Guise l’avait emporté, contre toute attente, sur les reîtres allemands à Vimory et Auneau. Henri III, qui avait rêvé d’un scénario inverse, se sent accablé par les événements. Il en est de même le 12 mai 1588, lorsqu’il est contraint de quitter sa capitale face à l’émeute. Une fois de plus, à Blois, l’opposition résolue des ligueurs du tiers état à sa politique lui fait redouter le pire. Ces députés, dirigés par un état-major parisien déterminé, veulent appliquer leur programme, l’élection du roi, successeur d’Henri III, par les états généraux, qui voteraient les impôts et les dépenses et choisiraient le chancelier, le connétable, les ministres et les secrétaires d’État. Certes, le duc de Guise ne partage pas les options de ses partisans, qu’il tente en vain de fléchir et de calmer. Henri III négocie avec les ligueurs, leur propose même de régner comme Élisabeth I re le fait en Angleterre en s’appuyant


sur le parlement, mais il croit que le duc de Guise joue un double jeu. Il décide en catastrophe de faire assassiner le duc, le 23 décembre 1588. Il croyait que la disparition du Balafré allait rétablir la paix, mais il se trompait sur la nature de la Ligue, qui allait s’emparer de nombreuses villes françaises, qui deviendront, comme Paris, des sortes de « Jérusalem céleste », pour reprendre la célèbre expression d’Alphonse Dupront. On sait ce que voulait le duc de Guise grâce à un mémoire du primat des Gaules, archevêque de Lyon, Épinac, conseiller du duc et ligueur modéré. Il lui conseillait de gagner la faveur du roi, de ses proches, de ses ministres, de faire en sorte que les relations entre Catherine de Médicis et Henri III soient toujours excellentes. Il proposait que les états généraux nomment le chancelier et le connétable. Enfin, il lui donnait comme modèle Charles Martel, qui avait su être patient, lui indiquant que ses enfants, peut-être, deviendraient un jour rois de France. Évidemment, la disparition d’Henri de Guise de la scène politique, un quart de siècle après celle de son père, portait un coup très dur au lignage. Le duc de Mayenne, frère puîné d’Henri, devenu lieutenant général du royaume par la grâce de la Ligue, ne fut pas un chef de guerre à la hauteur de la situation, face à Henri IV. Sa défaite, son ralliement, le roi payant les dettes de la maison de Guise, plaçaient le lignage dans une position de faiblesse. La génération suivante soutint Henri IV puis Marie de Médicis, mais se divisa sous Louis XIII et surtout face à Richelieu. Alors que la veuve d’Henri, Catherine de Clèves, vit au château d’Eu, qu’elle avait fait construire avec le duc en 1578, en continuant son œuvre de mécénat, son fils Charles, ménagé par Henri IV et Marie de Médicis, s’oppose à Richelieu, à propos de l’amirauté du Levant et de la politique menée. Après la journée des Dupes de 1630, il s’exile en Italie où il finira ses jours. Son frère, le duc de Chevreuse, demeure fidèle à Louis XIII et Richelieu, mais il a une épouse très active dans l’opposition, la célèbre duchesse de Chevreuse. Les femmes du clan jouent un rôle capital et défraient volontiers la chronique. Richelieu les exile dans leurs maisons nobles car elles manifestent un grand attachement à Marie de Médicis et à sa politique de paix avec les Espagnols. Il s’agit de la duchesse d’Ognano, fille du duc de Mayenne, qui meurt à Rome en 1638, de la duchesse d’Elbeuf, fille d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, qui avait épousé le duc d’Elbeuf, chef d’une branche cadette de la maison de Guise, très opposée à Richelieu, de la duchesse de Rouannez, sœur du duc d’Elbeuf. La plus connue est sans doute la princesse de Conty, Louise Marguerite de Lorraine, fille du Balafré. En 1605, à vingt-huit ans, elle épouse François de Bourbon, prince de Conty, âgé de quarante-sept ans, mais qui est sourd, muet et réputé impuissant, ce qui était faux puisqu’ils eurent une fille, qui ne vécut que douze jours. Ses frasques l’avaient tellement déshonorée que la rumeur publique répandait l’idée que seul un prince idiot pouvait s’en accommoder. Après la mort du prince, en 1614, elle devint la maîtresse de Bassompierre. Ce dernier écrit dans ses Mémoires « qu’elle fut tellement outrée de douleur de se

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voir séparée de la Reine mère, avec qui elle avait demeuré depuis qu’elle était en France, si affligée de voir sa maison persécutée et ses amis et serviteurs en disgrâce, qu’elle n’y voulut ni sut survivre et mourut à Eu le lundi dernier d’avril de la malheureuse année 1631 ». La génération suivante, celle du petit-fils du Balafré, défraya encore davantage la chronique mondaine et politique. Henri de Lorraine, archevêque de Reims, eut une liaison avec Anne de Gonzague en 1640. Il aurait voulu résigner ses bénéfices, mais Richelieu mit des conditions si difficiles pour lui qu’il passa à l’opposition en se retirant à Sedan, chez le duc de Bouillon. Il participa à la bataille de la Marfée aux côtés du comte de Soissons, contre les armées de Richelieu, qui furent défaites. À la mort de son père en 1640, il devint l’aîné du lignage, quitta le clergé et se réfugia à Bruxelles, pour s’opposer avec plus d’efficacité à Richelieu. Il demanda à Anne de Gonzague de le rejoindre, mais elle fut bloquée à la frontière par un problème de passeport. Quand elle arriva à Bruxelles, après avoir avoué à la police du cardinal son mariage secret, en 1629, avec le duc, elle apprit que son mari avait épousé Honorée de Berghues, âgée de dix-neuf ans et veuve. Le duc, devenu bigame, fit parler de lui en 1647, car il fut appelé à Naples par les révoltés dirigés par Masaniello. Il sera défait par les Espagnols, qui n’étaient pas disposés à se laisser dessaisir du royaume de Naples et le firent prisonnier. On voit donc que fidèle à sa légende et prisonnière de son mythe, né pendant les guerres de Religion, la maison de Guise cultive avec délices l’opposition politique. Le duc d’Elbeuf, chef d’une branche cadette, en est l’exemple parfait. Il quitte la France en 1631 et ne revient qu’en 1643, à la mort de Louis XIII, après avoir vécu dans l’entourage de Marie de Médicis, assisté au mariage de Gaston d’Orléans avec Marguerite de Lorraine à Nancy. Il sera l’un des frondeurs parmi les plus déterminés. — L’histoire de la maison de Guise, étroitement liée à celle de la Lorraine, témoigne des relations étroites, mais souvent compliquées, entre le grand royaume et le duché. L’ascension de Claude de Guise, comme celle de son fils François et de son petit-fils Henri, est portée par le génie militaire de chefs de guerre prestigieux. Cependant, cette réussite dans la voie des armes n’aurait pas été suffisante si elle n’avait été sans cesse accompagnée d’une politique déterminée. Le cardinal de Lorraine en est l’exemple parfait. Grand mécène, humaniste, protecteur des arts, théologien reconnu, il conduit les affaires du monde comme un prince de la Renaissance. La mort d’Henri II est pour eux une aubaine et un désastre. Oncles du roi François II et de Marie Stuart, François et Charles de Guise gouvernent la France en leur nom. La répression qu’ils mènent contre les conjurés d’Amboise et surtout le succès de la publication des gravures de Tortorel et Perrissin,

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opération de communication des réformés réussie au-delà de toute espérance, vont les enfermer dans l’image de tyrans, qui ont accaparé le pouvoir, au profit de leur clan et de catholiques intransigeants. Le massacre de Wassy, dont on les accuse d’être responsables, malgré les dénégations de François de Guise, jusque sur son lit de mort, est une étape supplémentaire dans la construction de cette représentation politique. Par ces actions, ils s’imposent aux yeux d’une opinion catholique inquiète comme les défenseurs de l’orthodoxie religieuse, mais ils ne peuvent plus incarner la concorde nationale, rôle désormais imparti à Catherine de Médicis. En conséquence, l’histoire a relégué au niveau de l’anecdote le fait qu’ils aient cherché à réconcilier luthériens allemands et catholiques français, de même que l’attitude d’ouverture du cardinal de Lorraine, qui était un partisan de la réunification religieuse et y travaillait comme les cardinaux allemands, pour la réaliser lors du concile de Trente.

Fig. 5

L’assassinat du duc de Guise, le 23 décembre 1588, à Blois puis celui de son frère, le cardinal, partie d’une gravure (tête) découpée et gravée à l’eau-forte, xviie siècle, Nancy, ML (cat. 216)

L’assassinat des deux chefs de la maison, François, en 1563, et Henri, en 1588, porta un coup très rude au lignage, qui s’enfonça dans le déclin. Néanmoins, leurs descendants restèrent fidèles à des valeurs qui conduisirent la grande majorité des membres du clan à soutenir Marie de Médicis et à s’opposer à Richelieu. La branche aînée disparaît à la fin du xvii e siècle, avec la mort de Mademoiselle de Guise, précieuse et admiratrice de Pascal, dernière représentante d’une maison dont les objectifs semblent toujours une énigme pour les historiens.

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Livres de fête et cérémonies du pouvoir à la cour de Lorraine Arnaud Rusch

Les cérémonies constituent un élément central dans la pratique du pouvoir depuis le xv e siècle, en particulier avec les joyeuses entrées ou les funérailles. À la différence des époques anciennes, ces événements connaissent une fortune particulière durant la première modernité : en pérennisant, grâce à l’imprimé, des célébrations ponctuelles et leurs appareils éphémères, le livre de fête se constitue peu à peu comme un genre à part entière. Il se définit comme un projet éditorial – illustré ou non – ayant une proximité immédiate avec un événement organisé par une autorité (Watanabe-O’Kelly, 2004). De la variété typologique qui en découle, seuls seraient exclus les ouvrages exploitant l’opportunité d’une manifestation pour être publiés, comme les biographies. Le livre de fête se fait acteur de l’événement, soit en explicitant le déroulement de celui-ci, soit comme véhicule de mémoire.

1. Ordine delle nozze di Constanzio

Sforza e di Camilla de Aragonia nell’anno 1475, Vicence, H. Liechtenstein, 1475.

Leur apparition se situe vers 1475, en Italie, avec la publication d’un livret à l’occasion des noces de Costanzo Sforza 1, pendant d’une version manuscrite et enluminée 2. Cet objet apparaît ensuite dans le cercle impérial, à l’occasion de l’élection de Maximilien de Habsbourg (1486), immortalisée par une douzaine d’éditions 3, puis à la cour de France avec les funérailles de Charles VIII 4 (1499). À l’aube du xvi e siècle, les cérémonies des grands princes européens ne sont plus confinées dans le secret des archives ou réservées aux destinataires privilégiés d’un codex enluminé, mais disponibles à un plus grand nombre. Avec ce développement, le livre de fête soulève de nombreuses questions, notamment au sujet de la valeur politique à lui concéder, du projet éditorial souhaité ou des particularismes locaux à considérer. Pour le duché de Lorraine, à la confluence des principaux centres de production, la création de livres de fête devient un enjeu pour déterminer la place occupée par le duché au sein d’une communauté princière caractérisée par ses rituels.

2. Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, ms. Urb. Lat. 899. 3. Notamment In dissem buchlin findet man beschreben die fursten, grauen und frijhen, […] zu der erwelung des durchluchtigen fursten Maximilians Erczherczog…, [Mayence, P. Schöffer, 1486]. 4. Pierre d’Urfé, Ordonnance pour les obsèques du roi Charles VIII, Paris, P. Le Caron, 1498.

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Les premiers livres de fête en Lorraine : l’émergence d’une tradition ? En Lorraine, l’usage du livre de fête semble tardif, puisque le premier d’entre eux, ou du moins le plus ancien conservé, est une édition des funérailles de


Renée de Bourbon, épouse du duc Antoine, en 1539, intitulé Deploratio super morte […] Renatae a Borbonia 5 et édité à Strasbourg par Johann Knobloch le Jeune. L’opuscule s’apparente à un tombeau poétique – c’est-à-dire une pièce en vers en hommage à un défunt, entre glorification profane et vertus chrétiennes – à insérer dans le travail de cet imprimeur autour de petits livrets de cérémonie 6 et de textes d’humanistes. Christophe Prudhomme, l’auteur, participe à ce mouvement en produisant la même année un recueil de poèmes 7, mais il est aussi connu pour avoir été l’un des défenseurs de la souveraineté lorraine durant la crise juridictionnelle avec le parlement de Paris, en marge des premiers troubles confessionnels. Ce projet éditorial, renouvelé l’année suivante, constitue un précédent dans la diffusion du livre de fête par l’appropriation d’un objet imprimé réservé jusqu’alors aux souverains, qu’ils soient Valois ou Habsbourg, et il participe à la quête d’autonomie du duché de Lorraine vis-à-vis du Saint Empire et du royaume de France. Si ce premier livre de fête ne peut pas être directement relié au pouvoir ducal, il en va autrement d’un ouvrage exécuté en 1543 à l’occasion de la naissance du prince Charles 8. Écrit en français mais toujours édité à Strasbourg, le texte a été composé par Edmond du Boullay, gentilhomme normand entré au service du duc Antoine. En tant que héraut d’armes, il est l’un des protagonistes de la pratique cérémonielle à la cour. En lui-même, le texte est un discours allégorique autour des bienfaits de cette naissance. L’ensemble du dialogue en vers est complété par un « Chant royal », trois cantiques et une grande généalogie des ducs de Lorraine, reprise pour deux éditions à Metz (1547) et à Paris (1549). En offrant une filiation troyenne et une ascendance avec le légendaire roi de France Pharamond, Edmond du Boullay situe le jeune prince sur l’échiquier des cours monarchiques et participe à l’argumentaire pour les revendications royales du duché. Le héraut d’armes poursuit ses activités d’auteur de livres de fête, adoptant de fait l’usage français depuis les funérailles de Charles VIII, alors que les Habsbourg préfèrent des humanistes pour honorer leurs défunts. En 1549, à l’occasion des funérailles d’Antoine Ier et de François Ier 9, l’officier ducal s’essaie à la description d’un rituel, complété de tombeaux poétiques et de la généalogie en vers des ducs. La fonction première de l’ouvrage reste l’organisation d’une memoria des défunts et d’un éloge de la maison ducale à travers deux biographies romancées insérées dans une histoire héroïque de la lignée. Edmond du Boullay rappelle avoir été chargé, « a cause de l’office de premier hérault et roy d’armes » (fol. Y4-Z1), de produire un recueil des rituels funèbres antérieurs, en vue de constituer la base du cérémonial à adopter. Pour ce faire, il consulte la documentation du palais ducal et les archives des franciscains en charge de la chapelle palatine. Puisque jusqu’alors aucune description précise ni aucun protocole détaillé n’avaient été réalisés pour les funérailles ducales, La vie & trespas de deux princes de paix est surtout l’occasion de fournir un premier rituel imprimé.

5. Christophe Prudhomme, Deploratio super morte Illustrissimae Principis Lotharingiae, Renatae a Borbonia…, Strasbourg, J. Knobloch, 1539. 6. Par exemple : Römischer Kayserlicher Mayestet Einreytten, gen Boloniga…, [Strasbourg, J. Knobloch], 1529. 7. Christophe Prudhomme, Trium poetarum elegantissimorum, Porcelii, Basinii et Trebani opuscula, Paris, S. Colin, 1539. 8. Edmond du Boullay, Les Dialogues

des troys estatz de Lorraine sur la tres joieuse nativité de tres hault et tres illustre prince Charles de Lorraine…, Strasbourg, G. Messerschmidt, 1543. 9. Edmond du Boullay, La vie & trespas de deux princes de paix : le bon duc Anthoine, & saige duc Francoys premiers de leur nom…, Metz, J. Pallier, 1547.

Livres de fête et cérémonies du pouvoir à la cour de Lorraine 59


L’apport du héraut de Lorraine ne se limite pas à la seule famille souveraine : il organise les funérailles de Claude de Guise (1550) sur le modèle du cérémonial lorrain, puisque le duc est prince du sang bien que devenu français. Edmond du Boullay offre ici une tradition poursuivie par les différents ducs de Guise et particulièrement utile pour leur lutte contre les Valois. Est-ce la perte d’Edmond du Boullay, parti au service du roi de France, ou l’absence d’un goût pour le livre de fête, le règne de Charles III ne s’illustre pas par l’organisation d’une mémoire imprimée. De même, les troubles qui ont secoué le duché, l’échec de la régence de Christine de Danemark et l’éloignement du jeune prince captif à la cour de France jusqu’à sa majorité, n’expliquent pas cette lacune. Pourtant, plusieurs événements auraient pu soutenir ce type de production, tels que le mariage entre Charles de Lorraine et Claude de France célébré à Paris en 1559, l’entrée solennelle de 1562 imposée par les états généraux de Lorraine, le baptême d’Henri II à Bar-le-Duc en 1564 et ses noces avec Catherine de Bourbon en 1599. D’autant plus que ces événements ont fait l’objet de plusieurs pièces de poésie, comme le Chant pastoral de Ronsard 10, certes symptomatiques d’une culture de cour et d’une glorification du prince, mais qui n’offrent aucune description des réjouissances entourant le cérémonial comme les joutes et les repas. De fait, après Edmond du Boullay, plus aucun livre décrivant un rituel n’a été réalisé en Lorraine jusqu’au xvii e siècle.

L’expérience de l’estampe monumentale

10. Pierre de Ronsard, Chant pastoral sur les nopces de Mgr. Charles, duc de Lorraine, et Madame Claude…, Paris, A. Wechel, 1559. 11. Claude de La Ruelle, Discours des cérémonies, honneurs et pompe funèbre faits à l’enterrement du […] prince Charles III, Clairlieulès-Nancy, J. Savine, 1609. 12. Claude de La Ruelle, Dix grandes tables contenantes les pourtraicts des cérémonies, honneurs et pompes funèbres faitz au corps de feu Charles III…, Nancy, B. André et H. de Loye, 1611.

60 La cour et la culture de cour

Les funérailles de Charles III de Lorraine, de mai à juillet 1608, offrent l’occasion d’élaborer un nouveau projet éditorial autour d’une cérémonie. Huit ouvrages sont édités, dont deux descriptions – un Discours 11 (cat. 344/338) et les Dix grandes tables 12 (cat. 343/337) – réalisées par Claude de La Ruelle, secrétaire d’État de Charles III et co-organisateur des cérémonies temporelles (Discours, fol. C7v). Exceptionnels, ces deux livres le sont en tout point, mais pour l’histoire du livre de fête ils constituent surtout des exemples parmi les plus documentés. Claude de La Ruelle réalise tout d’abord un gros livre de deux cent seize feuillets in-octavo autour du rituel et des cérémonies entourant le deuil puis l’enterrement. Le privilège de publication, daté du 6 novembre 1608, précise que le duc Henri II demande à son secrétaire de rédiger par « escrit l’ordre & celebration des obseques & funerailles », sous la supervision du prince et de son Conseil, qui accordent leur caution morale à l’ouvrage par l’autorisation de publication avec une protection de six années. Le livre, dont les éléments paratextuels montrent le soin porté à son élaboration, aborde chaque moment du rituel avec de nombreux détails, notamment sur l’usage vestimentaire et les accessoires nécessaires à chaque corps présent aux funérailles. La synthèse produite s’éloigne toutefois d’une chronique formalisée pour se rapprocher d’une compilation des documents ayant servi à l’organisation des cérémonies, provoquant ainsi des ruptures de narration. C’est le cas pour


l’ordre des processions, qui est la transcription de l’appel réalisé par le héraut d’armes (fol. L6v-O1r). En ne fournissant plus de tombeaux littéraires, le témoignage de Claude de La Ruelle sert d’autres objectifs que la mémoire du défunt. Il répond tout d’abord à l’attente des « Princes, & Ambassadeurs qui en grand nombre assisterent audit enterrement, faisans paroistre beaucoup de desir d’en avoir le discours par ecrit » (fol. B1v-B2r), mais il constitue aussi une actualisation du rituel funèbre même si globalement celui du xvi e siècle est réemployé. Avec les Dix grandes tables, Claude de La Ruelle poursuit son projet de 1609 sous la forme d’une description iconographique, atypique dans l’environnement lorrain. Les pièces d’archives, rassemblées par l’historiographie 13, permettent de déterminer la chronologie du projet éditorial. Alors que des artistes de la cour exécutent plusieurs croquis durant l’événement, puis l’élaboration de dessins préparatoires pour des estampes réalisées par des artistes lorrains, le projet iconographique n’est toujours pas terminé deux années après les funérailles. Un maître strasbourgeois, Frédéric Brentel, est alors appelé en Lorraine par l’auteur pour « aplicquer le vernis sur les lammes ou planches de cuivre et y donner l’eau-forte » comme le stipule leur contrat 14. Ce document précise aussi quelles sont les images « que le dict sieur de La Ruelle fera tailler par les peintres de Nanci » : « […] la Salle d’honneur pour le service divin, la Salle d’honneur pour le service à la realle, la Salle funèbre, l’assiette de SainctGeorge, l’assiette de l’enterrement en l’église des Cordeliers et la dernière des dictes pièces qui est du frontispice ». L’objet final, entièrement réalisé par le maître alsacien et son apprenti Matthäus Merian, présente toutefois quelques adaptations : les chevaux – faits en deux matrices – sortent de la numérotation, une vue de la salle funèbre préparée au palais ducal et une représentation du cortège au retour des funérailles sont jointes aux tables, et s’y ajoute une procession funèbre de quarante-huit matrices, imprimées par paires, mis à part quatre d’entre elles plus grandes. La modification dans le choix de l’iconographe ne peut pas s’expliquer uniquement à travers les contraintes techniques à l’origine de la venue de Frédéric Brentel, ni par la gravure, qui ne révèle pas de difficultés particulières si ce n’est le soin extrême dans la maîtrise des morsures d’acide pour le rendu des matières. Le peintre-graveur a certainement proposé

fig. 1

Claude de La Ruelle et Frédéric Brentel Pompe funèbre de Charles III, duc de Lorraine, Pourtraict des quatre chevaux […], estampe, 1611, Nancy, ML (cat. 242k)

13. En particulier : Roy, 1931 ; Marot, 1935, et Marot, 1951. 14. Le contrat est établi

le 12 mai 1610. Nancy, Archives départementales de Meurtheet-Moselle, 3 E 1002.

Livres de fête et cérémonies du pouvoir à la cour de Lorraine 61


FIG. 2

Fig. 2 et 3

Claude de La Ruelle et Frédéric Brentel Pompe funèbre de Charles III, duc de Lorraine, Les héraults d’armes, […], estampe, 1611, Nancy, ML (cat. 242m.33)

15. La Magnifique et sumptueuse

pompe funebre, faite en la ville de Bruxelles, le XXIX. jour du mois de decembre…, Anvers, C. Plantin, 1559, (avec 33 planches). 16. Divo et invicto Imperatori Carolo V.P.F. Aug. Caesar…, La Haye, H. Hondius, [1532]. 17. Henrik Rantzau, Descriptio

pompae funebris, […] Friderici II. Daniae…, Leipzig, A. Lamberg, 1588. 18. Hans Wagner, Kurtze doch

gegründte beschreibung des […] Hochzeitlichen Ehren Fests, Munich, A. Berg, 1568.

62 La cour et la culture de cour

un projet différent ou su répondre à une attente particulière du commanditaire. L’originalité du programme réside dans la procession funèbre, absente du contrat. À l’image de certaines planches formant les tables, comme le frontispice ou les chapelles ardentes, le lecteur peut coller les planches de la procession funèbre qui forment une longue frise de plus de vingt mètres. D’ailleurs, le Musée lorrain possède cette procession avec un montage partiel, les planches ayant été découpées puis collées au moins deux à deux. L’usage d’une estampe monumentale est peu commun, qui plus est dans le contexte des fêtes et cérémonies. Absentes en Lorraine, faute de publications et d’une iconographie associée, les processions en frise le sont tout autant dans l’espace français où les descriptions de cérémonies sont parfois illustrées de quelques estampes, autour de l’architecture éphémère et de la représentation du corps souverain. Cette solution formelle est par contre utilisée pour la pompe funèbre de Charles Quint, faite à Bruxelles en 1559, imprimée et diffusée dans toute l’Europe par Christophe Plantin 15. Auparavant, l’entrée et le sacre à Bologne, en 1529 et 1530, avaient été traités de la même manière par différents artistes, comme Nicolas Hogenberg et Hondius, dont la réalisation 16 est à la fois connue sous forme de livre – à la British Library – et sous forme d’une frise montée – au Plantin-Moretus Museum à Anvers. Les empereurs ne sont pas les seuls à recourir à ce type d’objet, à la fois livre et œuvre monumentale : jusqu’à la création de Frédéric Brentel, une vingtaine de processions en frise ont été réalisées, aussi bien pour les Habsbourg – régnants ou non – que pour le prince d’Orange, les ducs de Saxe, les margraves de Brandebourg-Ansbach, etc. D’ailleurs, s’il fallait rechercher ici une filiation plutôt qu’une influence régionale, l’un des cousins de Charles III, Frédéric II de Danemark, eut ses funérailles immortalisées par un livre de fête alliant texte et iconographie en frise 17. Plus proches, les noces de Renée de Lorraine avec Guillaume V de Bavière, en 1568, ont fait l’objet d’un livre de fête 18, composé de grandes tables, autour des festivités, et d’une grande xylographie enluminée représentant l’entrée solennelle à Munich. Il est alors improbable que le duc Henri II, qui se dissimule derrière Claude de La Ruelle dans la commande de l’ouvrage, n’ait pas eu connaissance de ce type de production ni de leur diffusion dans l’ensemble du Saint Empire. En adoptant ce type d’expression, la cour de Lorraine ne manque pas d’offrir une originalité indéniable au souvenir de ses cérémonies, mais aussi de


FIG. 3

s’assurer une réception efficace de la stratégie visuelle du prince auprès de ses contemporains tant du Saint Empire que de toute l’Europe. En marge des Dix grandes tables et de la procession funèbre, Frédéric Brentel et Matthäus Merian exécutent deux autres travaux tout aussi saisissants et joints à la commande de Claude de La Ruelle. Il s’agit de deux processions : l’entrée solennelle du duc Henri dans Nancy (cat. 241a) , le 20 avril 1610, et la procession ducale « vers l’église », aux environs de mai 1611 sans plus de précision (cat. 241b) . Pour ces deux pièces, souvent réunies avec la pompe funèbre de Charles III, les deux graveurs renouvellent l’expérience d’une estampe monumentale en frise. Matthäus Merian va d’ailleurs exécuter seul l’entrée d’Henri II, remarquable par les hardiesses des nombreuses inscriptions mises en perspective ou dans la variatio des équidés et des personnages. Au-delà du rituel en images, ces processions transmutent la nature de la cérémonie gravée : l’entrée solennelle d’Henri II, où se renouvellent les privilèges, devient une entrée triomphale, où défilent tous les corps de l’État en un portrait de groupe gigantesque pour ne plus former qu’une seule entité autour du souverain (Ghermani, 2009) ; avec l’hommage de la procession funèbre pour Charles III, le duc héritier démontre non seulement sa pietas filii, mais permet de développer l’image d’une souveraineté triomphale où l’acteur est moins le défunt que le transport du corps politique survivant dans les regalia, les bannières et la feinte ; et la dernière procession pourrait représenter la hiérarchie protocolaire dans le cadre d’un rituel ordinaire. Dans l’Empire, le recours à cette iconographie n’était pas innocent : elle était l’une des expressions de la quête du pouvoir des princes allemands durant la confessionnalisation, les ducs de Saxe en tête, en s’appropriant l’un des outils de la propagande illustrée des Habsbourg (Eichberger, 2005). Dans ce contexte de rivalités, le duché de Lorraine est l’un des bastions de la Contre-Réforme à l’ouest de l’Empire, après avoir pris la tête du mouvement catholique durant les guerres confessionnelles françaises, et joue un grand rôle dans le conflit de succession des duchés de Juliers-Clèves-Berg, qui constitue une sorte de préambule à la guerre de Trente Ans. En reprenant le vocabulaire iconographique des livres de fête allemands, le pouvoir lorrain tente à l’évidence de se positionner au sein de la société des princes entre un

Livres de fête et cérémonies du pouvoir à la cour de Lorraine 63


discours de souveraineté, soutenu par les éléments du rituel, et une revendication du titre de champion du catholicisme.

Le prestige d’un livre illustré au service de la cour L’expérience de l’estampe en frise ne connaîtra pas de suite en Lorraine, mais Frédéric Brentel et son apprenti en tirent un prestige certain : ils exécutent un livre de fête pour le baptême du prince d’Anhalt-Dessau en 1613 19, puis deux autres pour le duc de Wurtemberg en 1616 20 et 1617 21. Ce genre imprimé disparaît en Lorraine les années suivantes, les troubles autour de la succession d’Henri II puis la guerre de Trente Ans n’étant guère propices à la tenue de festivités. Cependant, en 1627, un livret illustré est édité à Nancy 22 (cat. 350/344) à l’occasion des réjouissances du carnaval, qui sont l’occasion d’un « combat à la barrière », c’est-à-dire des joutes pédestres à lices, accompagnées de représentations et de poèmes lyriques. Au-delà de la description de la fête, le projet éditorial de Jacques Callot et d’Henry Humbert comporte deux volets, utilisant l’iconographie et les poèmes à des fins différentes. Une série de grands in-folio composés d’une eau-forte et d’un ensemble de vers dans un cadre typographique 23 est tout d’abord imprimée, puis la totalité de ce matériel est remployé pour une édition compilant les onze eaux-fortes, les poèmes chantés et quelques éléments descriptifs pour le cérémonial ou les références mythologiques.

19. Cartel, Auffzüge, Vers und

Abrisse, So bey der Fürstlichen Kindtauf, uñ frewdenfest zu Dessa, den 27. und 28. Octob. vorlauffenden 1613. Jahrs…, Leipzig, H. Grossen, 1614, (avec 24 planches en frise). 20. Esaias van Hulsen, Repraesentatio

Der Furstlichen Aufzug Und Ritterspil, […] Fürstlicher Kindtauffen, denn 10. biss auff denn 17 Marty, Anno. 1616, [Stuttgart, Hulsius], 1616, (avec 72 planches en frise). 21. Aigentliche Wahrhaffte Delineation unnd Abbildung aller Fürstlichen Auffzüg und Rütterspilen. […] Den. 13. 14. 15. 16. unnd 17. July Anno 1617, [Stuttgart, van Hulsen, 1618], (avec 82 planches en frise). 22. Jacques Callot, Combat à la barrière, faict en cour de Lorraine le 14 febvrier, en l’année présente 1627, Nancy, S. Philippe, 1627. 23. Un exemplaire extrêmement intéressant est disponible à Londres (British Museum, inv. 1861,0713.683). 24. Beschreibung der Reiß :

Empfahung deß Ritterlichen Ordens : Vollbringung des Heyraths : und glücklicher Heimführung…, [Heidelberg], Vögelin, 1613.

64 La cour et la culture de cour

L’intérêt de l’événement, aussi magnifique soit-il, réside moins dans son organisation que dans le choix de l’imprimer et de l’illustrer. Les joutes et les mascarades constituaient déjà au milieu du xvi e siècle un socle commun à la culture de cour dans l’Europe occidentale, principalement à l’occasion des baptêmes, des mariages et du carnaval (Watanabe-O’Kelly, 1992). Ici, les thèmes des entrées allégoriques des belligérants et la structure de la joute, débarrassée de son aspect martial, forment davantage une pièce de théâtre autour d’un combat de héros antiques. Cela transparaît également dans la dédicace du graveur lorrain, mentionnant le travail pour les machineries et les éléments scéniques, et se retrouve dans les choix iconographiques lorsque dans les représentations de la grande salle le lecteur prend place avec le public, et que la scène est bordée d’un grand rideau replié. Le choix de Callot, comme iconographe et comme metteur en scène, est sûrement à mettre en relation avec sa participation aux livres de fête des grands-ducs de Toscane. Parmi ceuxci se trouvent une pièce de théâtre, Il Solimano (1620), une joute de carnaval, la Guerra d’amore (1615), mais surtout la Guerra di bellezza (1616), pièce d’opéra chantée autour de quatre chars mythologiques. Même si d’autres influences thématiques et iconographiques seraient envisageables, comme les noces du comte palatin illustrées par Théodore de Bry 24 (1616), il n’en reste pas moins que Jacques Callot offre le souvenir d’une fête à l’italienne, remployant en partie le langage iconographique utilisé à Florence. En imprimant cette joute théâtrale pour l’accueil de sa belle-sœur, Marie de Rohan, fuyant sa disgrâce à


la cour de France, Charles IV tente d’affirmer le faste de sa cour, aidé en cela par le prestige d’un artiste au faîte de sa renommée. — Sur l’ensemble de la première moitié de l’époque moderne, le corpus des livres de fête en lien avec le duché de Lorraine paraît faible, surtout face à la pratique intensive de certains princes comme Charles Quint, qui fut l’objet de près de deux cents ouvrages. Épisodique, le livre de fête lorrain est tout de même remarquable par l’emploi des solutions éditoriales les plus innovantes de leur temps : tout d’abord avec l’ordre des funérailles des ducs Antoine et François s’appropriant l’usage du protocole imprimé par le héraut d’armes, jusqu’alors réservé aux souverains ; puis avec les Dix grandes tables et les estampes monumentales en usage chez les princes électeurs et les empereurs du Saint Empire ; enfin en utilisant les meilleurs iconographes du moment, augmentant le prestige attendu de ces projets éditoriaux.

Fig. 4

Esaias van Hulsen Repraesentatio Der Furstlichen Aufzug Und Ritterspil: So der… Herr Johan Friderich Hertzog zu Württemberg […], estampe, Stuttgart, 1616, Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, cote D.18.265

Mis à part les pièces poétiques, l’élaboration de livres de fête semble correspondre à des moments de crise politique. Les funérailles de 1547 sont l’occasion, dans un contexte de régence, d’affirmer le caractère souverain de la famille ducale en ayant recours au corps politique du prince personnifié par l’effigie. Les festivités de 1627 sont le support d’un renouvellement de l’image du prince et de sa cour, alors que la crise de succession qui secoua la Lorraine débouche sur un conflit armé avec le royaume de France. Enfin, les quatre projets iconographiques de Claude de La Ruelle expriment les efforts du pouvoir pour se

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Fig. 5

Fig. 6

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positionner au sein d’une société européenne des princes. Ces trois moments du livre de fête en Lorraine sont ainsi symptomatiques de « coups de souveraineté » à destination non plus des princes, des ambassadeurs et de la noblesse locale présents à ces cérémonies, mais à l’ensemble d’une communauté princière destinataire de quelques exemplaires offerts ou acquis. Que ce soit à travers Edmond du Boullay, Claude de La Ruelle ou Jacques Callot, le pouvoir se manifeste derrière ces créations, et en Lorraine plus qu’ailleurs, le souverain intervient pour favoriser la réalisation d’un seul livre officiel. Un adage, repris dans l’ensemble de l’historiographie régionale depuis le début du xix e siècle au sujet de la pompe funèbre de Charles III, stipule que « le couronnement d’un empereur à Francfort, le sacre d’un roi à Reims, et l’enterrement d’un duc à Nancy sont les trois cérémonies les plus magnifiques qui se voient en Europe » (Martin, 2008). Même si l’affirmation est exagérée, elle exprime l’efficacité du livre de fête illustré comme support d’une mémoire de l’événement, mais aussi réintègre la Lorraine dans un environnement européen des cérémonies, entre les rituels français et la souveraineté en images des princes du Saint Empire.

Fig. 5

Jacques Callot Le Combat à la barrière, estampe, 1627, Nancy, ML, inv. D.2006.0.643 (cat. 245i) Fig. 6

Jean Motet Combat d’honneur concerté par les III élemens sur l’heureuse entrée de Madame la Duchesse de la Valette en la ville de Metz, ensemble la resjouyssance publicque concertée par les habitants de la ville et du pays sur le mesme sujet, fol. 112, estampe, xviie siècle, Nancy, BSHLML, cote 4°x 2bis

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entre lorraine et germanie Un itinéraire savant à la Renaissance Alain Cullière

On a tendance à parler de Renaissance tardive à propos de la Lorraine, parce qu’on ne se situe que sur un plan artistique. C’est oublier que la Renaissance se caractérise surtout par de nouvelles conceptions politiques, que ce sont les princes qui les mettent en œuvre et non les peintres et poètes, qui n’offrent, souvent après coup, que des reflets. La principale incarnation de la Renaissance en Lorraine est donc le duc lui-même, soucieux d’équilibre, conscient des forces en présence. Dans la seconde moitié du xvi e siècle, dominée par les conflits religieux, l’action de Charles III est nettement orientée. Prudent et avisé pour les uns, discret ou indécis pour d’autres, il laisse l’image d’un homme d’État éclairé, qui réalise l’idéal du prince chrétien, concept qui a couru sur tout le siècle. Avant lui, le duc Antoine avait encore un peu l’apparence d’un « bonhomme Grandgousier », simple protecteur de son peuple, mais son règne témoignait déjà d’un esprit nouveau, car c’est lui qui a posé les bases d’un État stable de l’entre-deux. Le traité de Nuremberg, contrairement à ce qui a souvent été écrit, n’a nullement marqué de rupture avec l’Empire. Il a substitué au lien de vassalité une relation consentie. L’étude des rapports entre la Lorraine et la France à la Renaissance est assez bien connue, même si elle s’est souvent limitée à un regard anecdotique sur les Guise. En revanche, le rapport à l’Empire, pourtant essentiel à l’établissement d’une véritable autonomie, est moins bien senti. On va s’efforcer ici d’en donner un aperçu en suivant le cheminement des lettrés entre Lorraine et Germanie. L’époque se caractérise aussi par l’affirmation du savoir et la montée des élites. L’acquisition des langues, les voyages estudiantins et le service de cour ne sont pas que visées individuelles. Ils éclairent dans la durée les mécanismes de la vie sociale.

Le temps des grammairiens Le bailliage d’Allemagne, une des trois grandes entités administratives du duché de Lorraine, était germanophone. Ce bilinguisme, qui n’a jamais posé problème, est essentiel pour comprendre le fonctionnement des institutions. De plus, les confins du territoire provoquaient des chicaneries. Du côté du Barrois mouvant, elles étaient d’ordre judiciaire, car on ne savait pas toujours où porter certaines causes. Du côté allemand, il s’agissait plutôt de litiges

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frontaliers qui suscitaient des enquêtes de terrain et fatalement des procès, le plus souvent amenés devant la chambre impériale de Spire. Cette juridiction, créée à la fin du xv e siècle pour assurer une certaine cohésion territoriale et qui statuait en appel au civil, rédigeait ses procédures en latin mais les actions s’y exerçaient en allemand. Enfin la Lorraine avait soin de se faire représenter à la diète impériale, même si les subsides réclamés n’ont pas toujours été versés. À tout cela s’ajoutaient les ambassades. Dans ces conditions, les jeunes Lorrains en quête de charges ou d’offices pouvaient se faire valoir par des vers de bonne facture, mais le plus utile pour eux était de témoigner de leur maîtrise de l’allemand. L’étude des langues s’imposait dans les cours de part et d’autre du Rhin. La Bulle d’or, rédigée sous l’empereur Charles IV en 1356, précisait que les princes allemands, surtout les futurs électeurs, devaient apprendre au moins quatre idiomes. Le français s’avérait nécessaire, bien qu’il ne fût pas mentionné dans le texte d’origine. Sans prétendre, comme Mithridate, à une connaissance linguistique quasi universelle, on comprenait bien que l’usage des langues, outre l’intérêt pratique, renforçait les liens naturels et l’autorité. De leur côté, les jeunes princes lorrains avaient évidemment des précepteurs germaniques, dont les leçons pouvaient se prolonger, surtout pour les cadets promis à l’Église. Charles, second fils de Charles III et futur évêque de Metz et de Strasbourg, garda auprès de lui son précepteur allemand, Ludwig Herzmann, qu’il appointa sur le tard en qualité de secrétaire. Il séjourna à plusieurs reprises en Allemagne. Il passa notamment toute l’année 1585 à Mayence, puis la moitié de l’année suivante à Trèves, pour effectuer les stages exigés par les Églises qui l’avaient pourvu d’un canonicat. En 1573, alors que son aîné Henri et lui-même se consacraient encore entièrement à l’étude, Albert Œlinger, un notaire strasbourgeois, offrit à Charles III une grammaire de la langue allemande rédigée en latin. Dans sa dédicace, il faisait clairement entendre ses offres de service : « Puisque tu as des fils, disait-il, à qui la langue allemande sera enseignée sous peu, tu as été le premier protecteur qui me soit venu à l’esprit sous l’illustre nom duquel il m’a paru bon que ces préceptes soient mis en lumière… » Il fut gratifié pour ses « peines et labeurs », mais il ne semble pas avoir accédé à la fonction désirée. En plus des précepteurs, on voyait évoluer à la cour ducale de nombreux agents susceptibles d’intervenir à l’étranger. Le principal procureur du duc Antoine en Allemagne fut Nicolas de Lescut. C’est lui qui négocia le traité de Nuremberg du côté lorrain. Il fut à maintes reprises envoyé à Spire dans les années 1540. Parfait intermédiaire entre la Lorraine et l’Empire, il se distingua sur les deux terrains : titré et pensionné chez lui, il fut élevé par Charles Quint au rang de comte palatin de sa cour impériale. Il a laissé plusieurs dissertations juridiques imprimées à Haguenau et à Strasbourg, rééditées pour certaines à Francfort et à Venise au cours du siècle, mais c’est surtout son traité appliqué des Institutions impériales, publié à Paris et Lyon à partir de 1543, qui

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assura sa réputation. Sous Charles III, on employait couramment les termes d’« agent en cour » ou de « solliciteur » pour désigner les émissaires. Le titre de « conseiller de Monseigneur en ses affaires d’Allemagne », entré progressivement en usage, semble avoir désigné un ambassadeur particulier. Le premier à l’avoir porté fut Nicolas Jacob, notaire impérial, natif de Badonviller, donc sujet du comte de Salm, qui l’employait aussi comme châtelain. En fonction depuis les années 1560, il fut fréquemment délégué à Spire, où Charles III employait une cohorte d’avocats bilingues, en particulier un certain Johann Herzbach, dont le nom revient souvent dans les comptes de trésorerie. En décembre 1575, Herzbach et Jacob furent tous deux chargés de rédiger le contrat de mariage de la princesse Dorothée, sœur de Charles III, avec le duc de Brunswick. Jacob, qui se disait « Austrasien », avait publié à Paris, en 1571, un compte rendu français des délibérations de la diète de l’année précédente. Comme ces délibérations portaient sur les questions militaires, il était utile d’en fournir un aperçu au-delà des frontières. Dans son avis au lecteur, il souligne la difficulté pour un jeune traducteur comme lui de passer de la « gravité austère de la langue allemande » à la « douceur délicate de la langue française ». En 1591, année de son décès, c’est François Mathieu, de Charmes, qui lui succéda. Ce dernier, âgé, pensionné de longue date, servait déjà en Allemagne au temps des régences. Il fut remplacé en 1597 par François Le Pois, second fils du médecin de cour Nicolas Le Pois. Charles III pensionnait aussi, « au bon plaisir », donc pour un temps limité, d’autres juristes allemands, le plus souvent originaires d’Alsace ou des principautés limitrophes. Il est difficile de connaître leur rôle exact. Sans doute pouvaient-ils à un moment être convoqués pour consultation ou faciliter certains échanges. Par exemple, le compte de 1579 signale des noms qui ne sont pas tout à fait inconnus, comme Ernst Regius, Heinrich Schwebel ou Gall Tuschlin. On peut supposer que ce Regius, professeur de droit à Strasbourg, était apparenté au réformateur luthérien Urbanus Regius. De façon plus certaine, Schwebel, licencié ès lois, conseiller puis chancelier du duc de Deux-Ponts, était le fils de Johann Schwebel, autre grand réformateur, dont il publia par la suite les écrits. Quant à Tuschlin, également conseiller du duc de Deux-Ponts, il avait une réputation d’éminent juriste. Faut-il préciser que tous étaient de confession protestante ? Ce point mérite d’autant plus d’être relevé que l’on se fait souvent une fausse image d’une Lorraine ducale fermée sur elle-même, parce qu’enracinée dans le catholicisme. L’identité religieuse à l’époque, en Lorraine comme ailleurs, a toujours cédé devant certains intérêts politiques ou financiers. On pourrait le prouver par bien d’autres exemples. Tant de chemins ouverts entre la Lorraine et l’Allemagne aident à comprendre pourquoi plusieurs grammairiens de la Renaissance, parmi les plus importants, ont été des Lorrains. On entend ici la grammaire de la langue, qui ne s’enseignait pas dans les écoles. Seul le latin était scandé sous la férule du grammaticus. C’est au xvi e siècle qu’ont été publiés les premiers manuels de

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langue française, presque tous rédigés en latin et de façon occasionnelle. Les auteurs en sont le plus souvent des jeunes gens séjournant loin de chez eux et mis en situation d’écrire, soit dans le cadre d’un préceptorat, soit dans un contexte universitaire. Le premier manuel de cette nature est la Gallicae linguae institutio de Jean Pillot. Ce jeune Barrisien, qui fut appelé en 1550 à DeuxPonts pour enseigner le français au comte palatin Georges-Jean de Veldenz, eut l’idée de rassembler des préceptes fondés sur un parallèle avec la langue latine, de façon très descriptive. Ce livre, imprimé à Paris avant son départ, allait avoir une fortune considérable. Au xvii e siècle, on le pratiquait encore partout où le français se révélait indispensable, notamment dans les Pays-Bas espagnols. Bien que peu conceptuel, comme nous dirions aujourd’hui, il a servi de modèle à beaucoup d’autres, qui ont loué sa clarté. Pour la suite, il convient de citer Pantaléon Thévenin, qui publia à Francfort une traduction latine de la Grammaire de Ramus, augmentée d’adnotationes inspirées de Pillot. Il a expliqué que son projet était né à Pont-à-Mousson, où il donnait vers 1580 des leçons à des étudiants allemands qui rencontraient de grosses difficultés à communiquer. Il faut encore mentionner, au tournant du siècle, la Grammatica Gallica de Jean Serre, originaire de Badonviller. Elle fut souvent rééditée à Strasbourg et utilisée dans le monde germanophone jusqu’au milieu du xvii e siècle. Quant à l’Introductio ad linguam gallicam du Barrisien Daniel Cachedenier, composée in gratiam Germanicae juventutis et imprimée à Francfort en 1600, elle a un peu dérouté son jeune public, sans doute parce qu’elle était plus nourrie et en partie innovante. Il n’est pas nécessaire ici d’en dire davantage, d’autant que ces manuels, celui de Thévenin mis à part, ont fait récemment l’objet d’éditions critiques. Tous confirment la place essentielle des Lorrains à l’époque dans la transmission du français vers l’Allemagne.

Les périples universitaires Pour servir leur prince, les jeunes Lorrains poussés aux études ne pouvaient donc négliger le bilinguisme de leur province, inscrit dans la réalité géographique comme dans la pratique administrative. Dès le début du siècle, les officiers ducaux qui ont joué un rôle important ont toujours fréquenté à la fois les universités françaises et allemandes. Nicolas Volcyr, une des plus lumineuses figures de la cour du duc Antoine, a séjourné au collège Cornelianus de Cologne vers 1500. Quelques années après, on le retrouve à Paris en qualité de « régent et lecteur public ». Sa double formation transparaît dans toutes ses activités de cour. Il côtoie à Nancy le poète et héraut d’armes Pierre Gringore, venu de Paris, mais également le peintre et graveur Gabriel Salmon, très marqué, sans doute en raison de ses ascendances, par l’art allemand. En qualité de « secrétaire et indiciaire », il accompagne aussi le duc dans ses déplacements, notamment lors de la guerre des Rustauds où il eut l’occasion, a-t-il raconté, de haranguer en allemand le petit peuple révolté. Son intérêt pour les mouvements religieux et sociaux se déroulant

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aux frontières d’Alsace transparaît dans plusieurs de ses écrits. Le Barrisien Christophe Prudhomme, issu d’une famille anoblie ayant toujours tenu des charges honorables, a entrepris une carrière similaire. À la fin d’un cycle effectué à Paris, en décembre 1538, il dédie un recueil poétique à François, le fils aîné du duc, en qui il voit le « prince des Muses ». Le 8 mai 1539, on le retrouve inscrit à l’université d’Heidelberg. De là, son regard reste cependant tourné vers le duc Antoine, à qui il adresse diverses plaquettes de vers, soit pour pleurer la mort de la duchesse de Lorraine, soit pour évoquer les malheurs de son université, provisoirement dispersée par la peste. Il obtint à son retour un office de « secrétaire et truchement en langue allemande ». Dans les années 1550, le Vosgien François Mathieu, qu’on a présenté plus haut comme successeur de Nicolas Jacob, a suivi la même formation. Ses lettres de noblesse, en 1561, mentionnent ses « longues études faites aux universités d’Allemagne et France ». Sous Charles III, le parcours le plus remarquable est probablement celui de Pantaléon Thévenin. Originaire de Commercy, il fut d’abord boursier du collège de La Marche à Paris. Il se fit connaître auprès des poètes réputés et suivit également les leçons des lecteurs royaux, comme Dorat. À peine rentré au pays, il partit à Fribourg-en-Brisgau pour préparer ses thèses de droit. On se limitera ici à ces quelques profils. Les Lorrains ont fréquenté en Allemagne des universités différentes selon les époques. Il faut tenir compte du moment où certaines se sont prononcées ouvertement en faveur de la Réforme, où d’autres, au contraire, ont confirmé leur ancrage catholique. Si Nicolas de Lescut était inscrit dans les années 15271528 à l’université de Bâle, c’est parce que la Réforme n’y avait pas encore été introduite. Après 1532, elle n’accueillit plus que des protestants. Elle avait pourtant l’avantage d’être aux portes de la Lorraine et de bénéficier d’un collège médical réputé. Les jeunes Lorrains intéressés par la médecine se tournèrent alors vers la France ou l’Italie. C’est ce que fit notamment Charles Le Pois qui, après un périple italien, soutint ses thèses à Paris en 1589-1590. En revanche, le poète protestant Jacques du Pasquier, originaire de SaintMihiel et futur médecin du roi de Navarre, choisit Bâle en 1573 et y passa son doctorat deux ans plus tard. Pour le droit surtout, face à Strasbourg en plein essor, l’université de Fribourg-en-Brisgau offrait aux catholiques toutes les garanties. Placée sous la protection de la maison d’Autriche, elle avait clairement condamné le luthéranisme dès 1530. Vues de Lorraine, les deux universités allemandes les plus attractives étaient celles d’Heidelberg et d’Ingolstadt, très différentes pourtant l’une de l’autre. La première est demeurée catholique pendant toute la première moitié du xvi e siècle. Nicolas de Lescut s’y inscrivit en 1532, puisque celle de Bâle ne lui convenait plus. Avant Christophe Prudhomme, elle avait reçu en 1525 le Nancéien Dominique Champenois, futur procureur général de Lorraine, mais aussi futur premier président des Grands-Jours de Saint-Mihiel. Parmi les Lorrains connus qui l’ont fréquentée après que la Réforme y fut implantée,

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il faut citer le précepteur Jean Pillot, qui s’y inscrivit en 1557 en même temps que son illustre élève et qui y passa peu après son doctorat ès droits, Jacques du Pasquier en 1564, Jean Errard en 1573, Daniel Cachedenier en 1586. Au cours de cette seconde moitié du siècle, l’université d’Heidelberg est cependant restée un foyer culturel européen très ouvert. Le fait que Nicolas Clément de Trèles, l’auteur des Austrasiae reges et duces, ait quitté l’académie de Genève en 1566, après trois ans d’étude, pour s’y inscrire est un signe. Dans les registres genevois, il est signalé comme apostat, ce qui signifie qu’il refusa de se reconnaître calviniste. À Heidelberg, où il passa au moins quatre ans, il accédait à un monde beaucoup plus conforme à sa sensibilité. Il fait partie de ces nombreux lettrés pour qui la Réforme fut avant tout celle des esprits. Il l’a vécue comme une aventure intellectuelle et non comme un engagement religieux. En ce sens, il se trouvait très proche d’un certain nombre de personnalités lorraines, comme le comte Jean de Salm, le médecin Antoine Le Pois ou le graveur Pierre Woeiriot, en qui on aurait tort de voir des convertis. Quant à l’université d’Ingolstadt, elle fut comme régénérée par la présence des jésuites. Ils y fondèrent un collège en 1556 et obtinrent vite plusieurs chaires en faculté, dont celles de philosophie et de théologie. L’établissement connut ainsi le succès un siècle après sa fondation, sous le regard vigilant des ducs de Bavière Guillaume V et Maximilien Ier. Ce dernier y fut d’ailleurs éduqué. Comme tous deux épousèrent des princesses lorraines, il y eut entre la cour de Charles III et celle de Bavière des liens privilégiés. Ingolstadt fut un haut lieu à la fois stratégique et culturel, qui séduisit plusieurs grandes familles lorraines. Jean des Porcelets de Maillane y envoya ses trois fils. Balthazar Royer, qui devint par la suite procureur de la cour épiscopale de Vic et conseiller ducal, y fut inscrit au début des années 1590. François Le Pois y soutint ses thèses en 1593. Inversement, il est difficile de repérer la présence des étudiants allemands à l’université de Pont-à-Mousson. Ils n’y venaient sans doute pas pour bénéficier de l’enseignement des jésuites, qui tenaient assez de collèges fameux en Allemagne. Toutefois l’existence d’un bastion catholique et de culture française à peu de distance avait de l’intérêt. Certains ont pu être attirés par la formation juridique, qui fut officiellement dispensée à partir de l’érection de la faculté de droit en 1583. Pierre Grégoire, le premier doyen, avait du prestige. Ses livres, publiés surtout à Lyon, furent parfois réédités à Cologne et à Francfort, mais au début du xvii e siècle, donc après son décès. Les documents dont on dispose concernant les étudiants mussipontains sont lacunaires. Le premier registre de la faculté de droit, qui mentionne les passations de grade et donne les noms et diocèses d’origine des lauréats et de leurs témoins, révèle quand même la présence d’Allemands, originaires de Trèves le plus souvent, mais aussi d’Ulm ou de Mayence, notamment des gens d’Église préparant un degré de droit canon. Par ailleurs, si l’on consulte les recueils imprimés des vingt harangues prononcées par le doyen Pierre Charpentier entre 1603 et 1608 à l’occasion des soutenances juridiques, on voit que sept d’entre elles concernent des étudiants de l’espace germanique. Ce détail a malgré tout une valeur statistique.

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Autour des princes On ne peut décrire en détail ici l’entourage des sœurs et filles de Charles III qui ont épousé des princes allemands et qui les ont donc, à ce titre, suivis sur leurs terres. Il est probable qu’elles ont marqué la vie de cour, d’autant qu’elles emmenaient avec elles les personnes qui leur étaient proches. Par elles et autour d’elles, la diplomatie faisait forcément entendre d’autres voix et la raison d’État devenait probablement un peu moins raisonnable. La cour de Bavière, par exemple, comme on l’a vu, entretint alors avec la Lorraine des liens particuliers. La tâche des émissaires de Charles III n’en était pas pour autant plus aisée. Le duc Maximilien fit parfois à plusieurs d’entre eux des offres de service. Ainsi il essaya vainement de retenir auprès de lui Jean des Porcelets de Maillane, à l’époque où il était bailli de l’évêché de Metz. Parmi les princesses lorraines amenées à vivre en Allemagne, il faut distinguer Antoinette, seconde fille de Charles III, qui épousa en 1599 le très fragile Jean-Guillaume, duc de Clèves, Juliers et Berg, dernier rejeton catholique d’une maison dont les puissants voisins n’allaient pas tarder à revendiquer l’héritage. À Düsseldorf, Antoinette s’entoura de tout un petit monde qui l’encourageait dans ses pratiques dévotes. Elle y invita Jean Haren, un calviniste repenti qui avait été accueilli à Nancy. Elle reçut aussi Jean Pitz, un prêtre anglais qui faisait fonction de précepteur à Pont-à-Mousson et à qui l’évêque de Toul Jean des Porcelets, qui avait été son élève, devait confier plus tard le décanat du chapitre de Liverdun. C’est tout naturellement à Antoinette que Pitz dédia ses sept livres De Peregrinatione, publiés à Düsseldorf en 1604. Pour parler d’une vie de cour où se mêlent étroitement les influences lorraines et germaniques, on se bornera à évoquer deux figures exceptionnelles : Chrétienne de Danemark et Georges-Jean de Veldenz. Nièce de Charles Quint, Chrétienne a été élevée à Bruxelles dans le culte de la maison impériale. Veuve du duc François dès 1545, elle a partagé la régence des duchés avec son beaufrère Nicolas jusqu’en 1552. Elle se retira ensuite aux Pays-Bas, mais elle revint en Lorraine après l’avènement de son fils Charles III, en 1559. Au cours des années suivantes, elle exerça une grande influence sur le jeune duc, qui lui confia le pouvoir à plusieurs reprises. Il est vrai, comme on le lui a reproché, que son regard fut le plus souvent porté vers l’Allemagne. Elle alla assister à Francfort en 1562 au couronnement comme roi des Romains de son cousin Maximilien. De 1568 à 1575, elle vécut en Bavière, en compagnie de sa fille Renée. Elle aimait aussi retrouver à Heidelberg sa sœur Dorothée, qui était veuve de l’Électeur palatin. Mais c’est surtout dans ses années lorraines, au cours des décennies 1550-1560, qu’il est intéressant de mesurer son action. C’est elle qui accueillit à Nancy, en 1550, le poète Louis des Masures qui, accusé d’intelligence avec les Impériaux, avait été contraint de quitter le royaume de France. À l’automne 1551, elle le chargea de se rendre vers l’empereur pour obtenir des lettres de neutralité dans le conflit qui était sur le point d’éclater. On sait que Des Masures, expulsé en 1562 pour protestantisme, se réfugia d’abord à

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Metz, avant de gagner la vallée rhénane, puis Bâle. Au début des années 1560, Chrétienne attirait aussi tous ceux qui pouvaient nourrir son ambition de reconquérir le royaume paternel de Danemark, comme le baron Nicolas de Polviller, gouverneur d’Haguenau, habile en complots et qui ne manquait pas de panache. Celui-ci délégua auprès d’elle divers émissaires, dont son secrétaire Berthold Neutall, poète à ses heures, qui séjourna à Nancy. Comme c’était au moment de la naissance du premier-né de Charles III, Neutall composa des carmes latins qui furent imprimés à Saint-Nicolas-de-Port. Ces vers sont dédiés à un puissant personnage du moment, Jean de Sillières, que Chrétienne gageait comme chef de son conseil privé et qui arborait le titre de « chevalier doré du Saint-Empire ».

Fig. 1

Nicolas Clément de Trèles, Vers autographes, composés à Vienne à la mémoire de l’humaniste allemand Joachim Ier Camerarius, mort en avril 1574. L’auteur les a joints à une lettre adressée à Joachim II, fils du défunt, datée de Prague, 17 mars 1575, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Cod. Lat. Mon.10363/112

Georges-Jean de Veldenz, qu’on a vu grandir sous la protection de Jean Pillot, s’est révélé un personnage hors du commun, bien qu’il ne fût au départ qu’un cadet sans fortune. Son intelligence, son union flatteuse avec une princesse suédoise, ainsi que divers héritages, lui permirent de se hausser et de cultiver des ambitions. De sa terre souveraine de la Petite-Pierre, sur un promontoire rocheux situé aux portes de l’Empire, non loin de la Lorraine, il fit un des foyers les plus séduisants de la Renaissance. Là, se rencontrèrent, pendant plusieurs années, les esprits savants de Rhénanie, du Palatinat et de la

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Fig. 2

Thèses de droit soutenues à Ingolstadt en 1593 par François Le Pois, futur conseiller de Charles III aux affaires d’Allemagne, imprimé, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, cote 4 Diss. 3217/20

Lorraine. Protestant modéré et prince imaginatif, il joua un certain rôle dans les négociations entre la France et l’Empire au cours des guerres de Religion. Sa position lui permettait, tout comme le duc Charles III, de se poser en intermédiaire dans les joutes diplomatiques. Mais c’est surtout sur le plan culturel qu’il marqua son temps. Il sut réunir et retenir autour de lui les élites qui se croisaient à Heidelberg : le professeur d’hébreu Emmanuel Tremellius, qui avait épousé une Lorraine ; Nicolas Clément de Trèles, poète mais aussi négociateur de Charles III en diverses occasions ; l’humaniste franconien Melissus, admirateur de la Pléiade ; les fils Camerarius ; les gentilshommes messins Moïse et Robert de Heu ; le jeune jurisconsulte Daniel Pappus, dont le frère aîné était alors recteur de l’académie de Strasbourg ; Jean Errard, qui trouva en ce lieu de quoi nourrir sa vocation. Georges-Jean rêvait en effet d’édifier des villes, de construire des défenses, d’assainir les rivières, de rendre les fleuves plus navigables. On peut assurer que c’est lui qui amena le futur ingénieur du

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roi Henri IV à la connaissance des « instruments mécaniques » et à l’art du « compas géométrique ». Tout ce petit monde vivait aussi en compagnie de Jean Pillot qui, ses leçons achevées, était devenu secrétaire de son élève, puis bailli de la Petite-Pierre. Jouant sur son nom, Nicolas Clément voyait en lui le « pilote » de leur commun navire, seul capable d’allumer le fanal et de guider l’équipage vers le port. Pour ressusciter le cercle de Georges-Jean, désigné par ceux qui le fréquentaient sous les noms un peu pédantesques de Microlythos ou d’Oligopetra, il suffit d’ouvrir les recueils publiés alors par Clément, surtout ses Anagrammatographia (Paris, 1582). En dehors des années marquées par la présence de Chrétienne de Danemark, il est difficile de dépeindre la cour de Charles III, surtout sur un demi-siècle de règne. On dit qu’après la mort de la duchesse Claude et le mariage des princesses, elle prit une plus sombre apparence. C’est sans doute vrai, mais on reste sur ce point dans le domaine des impressions. Charles III n’a pas fait de nombreux séjours à l’étranger. Ses déplacements étaient surtout d’ordre affectif. Il est normal qu’au début, encouragé en cela par son épouse, il ait été plutôt tourné vers la France. Le monde germanique fut surtout l’affaire des ambassadeurs. Notons cependant que le duc fit, au cours de l’été 1570, un voyage en Bavière pour rendre visite à sa mère. Plusieurs auteurs allemands lui ont dédié tel ou tel de leurs écrits, mais on ne peut rien en déduire, car les dédicaces étaient volontiers monnayées. Ainsi le mathématicien Nicolas Rensberger, de Fribourgen-Brisgau, qui lui fit l’hommage en 1572 d’un livre d’astrologie, avait coutume de réimprimer sans cesse ses titres en changeant à chaque fois le nom du dédicataire. On pourrait penser, en raison du succès des planches de sa pompe funèbre, que Charles III acquit plutôt une notoriété posthume. Il est vrai que l’éditeur de ces planches, Claude de La Ruelle, fut amené, alors qu’il n’avait pas encore le droit de les commercialiser, à en céder quelques dizaines d’exemplaires à des gentilshommes étrangers qui le sollicitaient. En fait, on cherchait moins dans cet empressement à vénérer le défunt qu’à acquérir un prestigieux ensemble gravé dans un genre nouveau et correspondant aux goûts du temps. À sa mort, Charles III suscita, sous des formes diverses, toutes les larmes dont les lettrés lorrains étaient capables, mais très peu furent versées à l’étranger, même en France. On remarquera toutefois qu’un certain Wilhelm Scherius, habitant Molsheim et avocat à Strasbourg, publia un Epicedion sur son tombeau. C’est le seul hommage extérieur qu’on ait pu trouver. Cela confirme que, dans les relations entre la Lorraine et le monde germanophone, c’est souvent la très proche Alsace, essentiellement luthérienne, qui joua le rôle le plus direct. — Comment suivre, de Lorraine en Germanie, le mouvement des hommes et des idées ? En principe, les livres devraient baliser le chemin. Certains, qui traduisent bien la pensée ou l’âme lorraine, ont été imprimés en Allemagne par la force des choses : les Prémices de Nicolas Clément ont vu le jour à Heidelberg,

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Fig. 3

Jean Huart, lieutenant du bailliage d’Allemagne, traduction allemande des Coutumes générales du duché de Lorraine, 1599, imprimé, Nancy, BM, cote 33 (1-2)

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en 1571, parce que l’auteur y résidait ; Nicolas Le Pois, en 1580, ne pouvait faire imprimer ailleurs qu’à Francfort son traité latin sur les maladies internes, car il fallait être au plus près des marchés spécialisés ; la traduction allemande des coutumes générales du duché de Lorraine a été imprimée en 1599 à Francfort également, parce que dans le bailliage d’Allemagne, auquel elle était surtout destinée, il n’y avait pas de presses. Si la Lorraine ducale, en matière d’imprimerie, ne pouvait rien apporter aux Allemands, en revanche ses moulins leur ont procuré tout le papier dont ils avaient besoin. On ne connaît pas d’œuvres allemandes à la Renaissance qui aient trouvé en Lorraine une audience assurée, mais, en dehors des grammaires, il existe au moins deux ouvrages écrits par des Lorrains qui ont eu un grand succès dans le monde germanophone : d’une part la Daemonolatreia de Nicolas Remy, d’autre part le Parnassus poeticus de Nicolas de Nomexy. La Daemonolatreia fut rééditée à Cologne et à Francfort, très vite traduite en allemand, lue en tout cas jusqu’à la fin du xvii e siècle, car le problème de la sorcellerie touchait autant l’Allemagne que la Lorraine. Le Parnassus, qui se présente comme un ingénieux florilège à l’usage des collèges, a connu seize rééditions allemandes dans la première moitié du xvii e siècle, à Cologne, à Mayence et partout où œuvraient les jésuites. Mais quelle image se faisait-on des Lorrains de l’autre côté du Rhin ? Dans un traité publié en 1604, l’alchimiste allemand Andreas Libavius a fait d’eux un portrait fort désobligeant, disant qu’ils « n’étaient pas plus capables de révolutionner le monde des lettres par leur activité intellectuelle que de menacer par leurs armes la paix des peuples ». On s’en consolera en sachant que par un tel propos il ne cherchait qu’à vexer son meilleur ennemi, le médecin lorrain Nicolas Guibert, avec lequel il se chamaillait depuis des années au sujet de la transmutation des métaux. Libavius avait plus de passion que son adversaire, mais Guibert plus de lucidité sur les questions scientifiques. Sans doute fallait-il un peu des deux pour donner sens à l’humanisme.


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