La Grande Motte est classée depuis 2010 « Patrimoine du xxe siècle » pour la qualité exceptionnelle de son plan urbain et de son architecture. Since 2010, La Grande Motte has been listed as “20th-century heritage” for the exceptional quality of its urban planning and architecture.
Les photographies de La Grande Motte ont été réalisées en numérique et celles de Brasília et Chandigarh en argentique. The photographs of La Grande Motte were taken in digital and those of Brasília and Chandigarh with film.
L’office de tourisme de La Grande Motte œuvre à la promotion du patrimoine architectural moderne en apportant son soutien à la production d’expositions et à la publication d’ouvrages de référence. The tourist office of La Grande Motte works to promote the modern architectural heritage by supporting the organisation of exhibitions and publication of reference books.
Numérisation et traitement d’images / Digitisation and image processing : Paul Garnier
© Somogy éditions d’art, Paris, 2015 © Office de tourisme de La Grande Motte, 2015 © Jean Balladur / © ADAGP, Paris, 2015 © Fondation Le Corbusier / © ADAGP, Paris, 2015 Photographies / Photographs © Stéphane Herbert / Globe Vision Textes / Texts © Carole Lenfant, Fabienne Chevallier et Gilles Ragot Croquis / Sketches © Carole Lenfant Œuvres représentées / Works represented La Grande Motte : © Jean Balladur ; © Michèle Goalard ; © André Sancerry Brasília : © Fondation Lucio Costa ; © Fondation Oscar Niemeyer ; © Fondation Athos Bulcão ; © Roberto Burle Marx Chandigarh : © Fondation Le Corbusier ; © Pierre Jeanneret ; © Jane Drew & Maxwell Fry Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Book published under the direction of Somogy éditions d’art Directeur éditorial / Publishing director : Nicolas Neumann Responsable éditoriale / Managing editor : Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial / Coordination and editorial follow-up : Sarah Houssin-Dreyfuss Conception graphique / Graphic concept : Arnaud Roussel Traduction et contribution éditoriale en anglais / Translation and editorial contribution in English : Natasha Edwards Fabrication / Production : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros
La photogravure a été réalisée par Quat’Coul, Toulouse. Colour separation by Quat’Coul, Toulouse. Cet ouvrage a été achevé d’imprimer sur les presses de PBTisk (République tchèque, Union européenne) en septembre 2015. This book was printed on the presses of PBTisk (Czech Republic, European Union) in September 2015. ISBN : 978-2-7572-0947-9 Dépôt légal : septembre 2015 / Registration of copyright : September 2015
villes rêvées, villes habitées
La Grande Motte Brasília Chandigarh Stéphane Herbert Carole Lenfant
À Michèle Goalard, sculpteure, peintre et coloriste To Michèle Goalard, sculptress, painter and colourist
« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. » René Char
« Il n’est pas de rêveur assez fou pour tenter de croire qu’il peut bâtir une ville. » Jean Balladur
« Photographier, c’est savourer la vie au 1/125e de seconde. » Marc Riboud
Sommaire / Contents
PRÉFACE /PREFACE Lumière sur trois villes ouvertes au monde Light on three cities open to the world Carole Lenfant
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INTRODUCTION/ INTRODUCTION Chandigarh, Brasília, La Grande Motte, villes oniriques Chandigarh, Brasília, La Grande Motte, cities of dreams Fabienne Chevallier
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FOCUS / FOCUS La Grande Motte : l’hérésie contre l’orthodoxie moderne ? La Grande Motte: heresy versus modern orthodoxy? Gilles Ragot
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PHOTOGRAPHIES / PHOTOGRAPHS Stéphane Herbert POÉSIE ET CROQUIS / POETRY AND SKETCHES Carole Lenfant
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La Grande Motte Brasília Chandigarh
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Lumière sur trois villes ouvertes au monde Carole Lenfant
La Grande Motte, Brasília, Chandigarh, trois villes baignées de lumière, solaires, se révèlent ici dans le prisme d’un regard photographique, celui de Stéphane Herbert. Pour chacune, une architecture qui vibre et qui vit, trois villes aux architectures habitées au sens pluriel du terme : humain, social et poétique. Pour chaque ville qu’il explore dans ses lignes, dans ses creux, dans ses courbes, dans ses traces, Stéphane Herbert s’imprègne en se documentant longuement tout en laissant la part belle à l’intuition. C’est au pas humble du voyageur qu’il capte dans leur densité les architectures et les êtres pour leur rendre hommage. Ainsi s’offrent en images des villes où l’on peut se retrouver disponible pour rêver, être habité et permettre cette forme de béatitude que procure la promenade urbaine : « De jeunes déesses indiennes drapées d’éclatants saris traversent l’esplanade du Capitole. En retrait de la place des Trois-Pouvoirs, un couple métis se love sous les palmiers impériaux. Entre les pyramides Concorde et Commodore, un enfant prend son élan vers la mer. Accord architectural, temporalité des corps. » Il a pu appréhender ces villes grâce à ses rencontres avec Oscar Niemeyer et Lucio Costa, mais aussi grâce à son père, Jean-Loup Herbert, qui lui a transmis une passion pour l’architecture de Le Corbusier. Stéphane Herbert expérimente, analyse et interroge ces œuvres modernes avec la vie qui les occupe, dans leur rythme, leur profondeur, leur respiration. Il s’efface derrière son sujet pour trouver une justesse avec la ville qu’il côtoie. Se dégagent de ses photographies des thèmes qui lui sont chers tels que l’ombre et la trace, la ville et le rêve, la ville ouverte, libre. Résonnent ainsi en lui des photographes tels Lucien Hervé, maître des jeux de lumière et des contrastes, notamment pour exalter l’éclat des bétons de Le Corbusier, ou encore, pour la ville, Eugene Smith et Pittsburgh, Bruno Barbey et Fez, et même l’artiste JR filmant la favela (Women Are Heroes). Saisir par l’image un instant, un mouvement, une émotion, une architecture, c’est plus que voir, c’est regarder, regarder vraiment ce que Stéphane Herbert, avec une apparente simplicité, nous invite à établir en nous. Cheminer, s’imprégner, partager.
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L’incroyable voyage que représente ce livre est celui d’une architecture vivante, celle où les éléments sont toujours présents, celle qui nous enracine, celle qui détermine une identité collective, matérielle, immatérielle, onirique et poétique. Certes, Chandigarh et Brasília sont un peu comme les « grandes sœurs » de La Grande Motte. Si elles ont successivement créé la surprise au moment de leur construction, elles furent aussi discréditées durant quelques décennies. Elles sont maintenant arrivées à maturité et, dans les trois cas, il s’agit de villes-parcs paysagers propices à la félicité. Alors, même s’il n’y a pas formellement de lien de parenté, la « station balnéaire » s’affirme aujourd’hui comme l’héritière des deux capitales symboles de la modernité. Des plages de la Méditerranée, nous pouvons convier les deux autres cités. Nous méditons alors sur la nouvelle civilisation qu’est le Brésil, sur l’Inde immémoriale. Trois continents, trois villes où la dialectique et le fantastique s’entremêlent. La Grande Motte, Brasília, Chandigarh : trois villes universelles. Ces trois villes restent toutefois des expériences uniques et permettent encore aujourd’hui la réflexion du « comment vivre la ville ? ». Ville invitant à d’autres sociabilités. Ville offerte aux citoyens. Ville ouverte aux horizons. Ville proposant une autre manière d’habiter sur la Terre, sous le ciel. Serait-ce une forme de sérénité, de « sérénité urbaine », telle que la nomme Lucio Costa ? Que soient ici remerciés pour leur collaboration à cet ouvrage Fabienne Chevallier et Gilles Ragot, qui nous éclairent sur la place de l’homme dans la cité, la modernité et l’utopie urbaine. Ce livre est une promenade respectant pour chacune des villes une unité de lieu. Entre extérieur et intérieur, il est aussi une invitation à un dialogue, celui où se rencontrent l’écriture poétique et l’écriture photographique. Un hymne rendu à la beauté, à la capacité de l’homme à fournir l’émotion profonde tenue en lui, à sa force infinie à pouvoir rêver et réaliser les ouvrages les plus insoupçonnés.
Light on three cities open to the world Carole Lenfant
La Grande Motte, Brasília, Chandigarh, three solar cities bathed by light reveal themselves here through the prism of a photographer’s eye, that of Stéphane Herbert. For each one, an architecture that vibrates and lives, three cities with lived-in architecture in the multiple sense of the term: human, social and poetic. Stéphane Herbert infiltrates each city that he explores through its lines, its hollows, its curves and its traces, by documenting it at length while leaving a large role to intuition. Through the humble steps of the voyager he captures, in their density, the architectures and the beings to pay them homage. Thus the cities offer themselves in images where one can find oneself free to dream, be lived in and allow this form of beatitude that the urban promenade procures: “The young Indian goddesses draped in sparkling saris cross the esplanade of the Capitol. Set back from the Three-Powers Plaza, a mixed couple snuggles up under the imperial palms. Between the Concorde and Commodore pyramids, a child gathers speed towards the sea. Architectural union, temporality of the body.” He was able to understand these cities from his encounters with Oscar Niemeyer and Lucio Costa, but also thanks to his father, Jean-Loup Herbert, who transmitted to him a passion for the architecture of Le Corbusier. Stéphane Herbert experiments, analyses and questions these modern works with the life that inhabits them, in their rhythm, their depth, their breathing. He hides behind his subject to find a faithfulness to the town with which he rubs shoulders. From his photographs emerge themes that are dear to him, such as the shadow and the trace, the city and the dream, the open, free city. He echoes photographers like Lucien Hervé, master of the play of light and contrasts, notably to exalt the sparkle of Le Corbusier’s concrete, or also, for the city, Eugene Smith and Pittsburgh, Bruno Barbey and Fez, and even the artist JR filming the favela (Women Are Heroes). Seized by the image, an instant, a movement, an emotion, an architecture, is more than to see, it is to truly look, to gaze at what Stéphane Herbert, with apparent simplicity, invites us to forge within us. Stroll, be steeped in, share.
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The incredible voyage that this book represents is that of a living architecture, that where the elements are always present, those that take root in us, those that determine a collective identity, material, immaterial, dreamlike and poetic. Certainly, Chandigarh and Brasília are a bit like the “older sisters” of La Grande Motte. If they successively astonished at the moment of their construction, they were also discredited over several decades. They have now reached maturity and, in the three cases, it is a question of garden cities ripe for happiness. Then, even if there is no formal link of relationship, the “seaside resort” affirms itself today as the heir of the two capitals that symbolise modernity. From the beaches of the Mediterranean, we can invite the two other cities. We meditate then on the new civilization that is Brazil and on immemorial India. Three continents, three cities where the dialectic and the fantastic are entangled. La Grande Motte, Brasília, Chandigarh: three universal cities. These three cities remain nonetheless unique experiences that even today still allow reflection on “how does the city live?” City inviting other sociabilities. City offered to the citizens. City open to the horizons. City proposing another way of living on Earth, under the sky. Will this be a form of serenity, of “urban serenity”, as Lucio Costa called it? Fabienne Chevallier and Gilles Ragot, who enlighten us on man’s place in the city, modernity and urban utopia, are to be thanked here for their collaboration in this work. This book is a promenade respecting for each city its unity as a place. Between exterior and interior, it is also an invitation to a dialogue, where poetic writing meets photographic writing. A hymn to beauty, to the capacity of man to provide the deep inner emotion, to his infinite power to dream and create the most unexpected works.
Chandigarh, Brasília, La Grande Motte, villes oniriques Fabienne Chevallier
Toutes les trois, Chandigarh (capitale commune des États du Pendjab et de l’Haryana, en Inde), Brasília (capitale du Brésil) et La Grande Motte (cité balnéaire du sud de la France), trouvent leur source formelle dans le Style international forgé à partir des années 1920. À cette époque, Le Corbusier, théoricien du modernisme, définit un idéal urbain fondé sur la séparation des fonctions dans la ville, la construction d’immeubles de grande hauteur, l’incorporation de vastes espaces naturels et un réseau de circulations hiérarchisées pour permettre le déplacement rapide des voitures d’un quartier à l’autre. Ces idées, reprises dans la Charte d’Athènes, ne furent que rarement appliquées à l’échelle d’une ville entière. Inspirées par les idées du maître, Chandigarh, Brasília et La Grande Motte, trois œuvres urbaines accomplies ex nihilo des années 1950 aux années 1970, sont des exceptions. Si leurs cérémonies d’inauguration furent marquées par des déclarations pleines d’optimisme, ces trois villes manifestent la résilience qui soustendait le modernisme urbain pendant ces décennies. La création de Chandigarh a été voulue par le gouvernement indien juste après l’indépendance du pays, acquise en 1947. L’Inde était sortie de l’ère coloniale avec des heurts sanglants entre la communauté Fabienne Chevallier musulmane d’une part et les comest historienne de l’art munautés hindoue et sikhe d’autre et de l’architecture. part, que les jeûnes de protestaSes travaux portent sur la tion pacifique de Gandhi n’avaient modernité architecturale pu empêcher. Cette violence avait et urbaine, sur les styles conduit à la création du Pakistan, nationaux en Europe e e un nouvel État dont la population (XIX -XX siècles) et sur la notion de monument. était en majorité musulmane. Le Son dernier ouvrage Pakistan reçut l’admirable ville de publié (avec Jean-Yves Lahore, dès lors perdue pour la parAndrieux) a pour tie orientale du Pendjab restée en titre Le Patrimoine Inde. Créer une nouvelle capitale monumental. Sources, pour cette province amputée fut objets, représentations (PUR, 2014). donc l’un des premiers projets poli-
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tiques du nouveau gouvernement. « Ce sera une ville nouvelle, symbole de la liberté de l’Inde affranchie des traditions du passé » : au-delà de la foi en la nouvelle nation indépendante, les mots employés par le Premier ministre Jawaharlal Nehru dévoilent un schéma résilient, où l’image urbaine du Style international est un talisman qui guérit les traumatismes. C’est dans cet esprit que Nehru fit appel à Le Corbusier en 1950 pour construire Chandigarh. La fondation de Brasília, lancée en 1956 par le président Juscelino Kubitschek, est elle aussi liée à la sortie du colonialisme, mais s’enracine dans une plus longue durée. L’indépendance du pays avait été proclamée en 1822, mais le modèle séculaire d’économie coloniale, fondé sur l’exploitation d’une main-d’œuvre d’esclaves, ne disparut pas pour autant. Le xixe siècle serait durablement marqué par ce modèle et par les visions anthropologiques de dominants à dominés qu’il avait suscitées. Pour changer le creuset du passé, des transformations profondes étaient nécessaires ; l’idée d’« intérioriser » le pays, pour contrebalancer les villes côtières, en construisant une ville sur le plateau central, fit ainsi son chemin. Lorsque Kubitschek décida de la mettre en œuvre, au prix de lourds travaux d’infrastructure réalisés dans cette région aride du pays, il y voyait le moyen de remplacer la capitale, Rio de Janeiro, par une ville créée ex nihilo. Son rêve politique consistait, grâce à Brasília, érigée au rang d’un symbole, à stabiliser la démocratie et à faire entrer la nation de manière accélérée dans une période de progrès social. Pour en venir à La Grande Motte, la création de cette cité balnéaire fut décidée en 1963 par le président Charles de Gaulle. Édifiée sur un territoire ingrat du littoral languedocien, partie intégrante d’un plan d’aménagement de toute cette région, La Grande Motte faisait une place noble à l’habitat du tourisme social et portait en elle la vision optimiste de l’avenir des Trente Glorieuses. Offrir aux générations nouvelles la possibilité de passer des vacances au soleil donnait un sens, mais aussi un terme au souvenir des souffrances et des privations de la guerre.
Chandigarh, Brasília, La Grande Motte, cities of dreams Fabienne Chevallier
All three – Chandigarh (shared capital of the states of Punjab and Haryana in India), Brasília (capital of Brazil) and La Grande Motte (seaside resort in the south of France) – find their formal source in the International Style forged from the 1920s. During this period, Le Corbusier, theoretician of Modernism, defined an urban ideal based on the separation of the different functions of the city, the construction of high buildings, the incorporation of large natural spaces and a hierarchical circulation network to allow the rapid movement of cars from one district to another. These ideas, taken up in the Athens Charter, were only rarely adopted for an entire city. Inspired by the ideas of the master, Chandigarh, Brasília and La Grande Motte, three urban works accomplished out of nothing between the 1950s and 1970s, are exceptions. If their inauguration ceremonies were marked by declarations full of optimism, these three cities show the resilience that urban modernism retained throughout these decades. The creation of Chandigarh had been desired by the Indian government just after the country’s independence, granted in 1947. India had left the colonial era with bloody conflicts between the Muslim comFabienne Chevallier munity on one side and the Hindu is a historian of art and and Sikh communities on the other, architecture. Her work that the peaceful protest fasts of focuses on architectural Gandhi were not able to prevent. and urban modernity, This violence had led to the creation on national styles of Pakistan, a new state whose popin Europe (19th-20th ulation was majoritarily Muslim. centuries) and on the idea of the monument. Pakistan received the admirable Her most recent published city of Lahore, from then on lost work (with Jean-Yves for the eastern part of the Punjab Andrieux) is entitled remaining in India. To create a new Le patrimoine monumental. capital for this amputated province Sources, objets, was therefore one of the first politireprésentations (PUR, 2014). cal projects of the new government.
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“It will be a new city, symbol of the liberty of India, unfettered by the traditions of the past”: beyond the faith in the new independent nation, the words used by the prime minister Jawaharlal Nehru reveal a resilient scheme, where the urban image of the International Style is a talisman that heals the traumatism. It is in this spirit that Nehru invited Le Corbusier in 1950 to build Chandigarh. The creation of Brasília, launched in 1956 by the president Juscelino Kubitschek, is also linked to the end of colonialism but is more long rooted. The country’s independence had been proclaimed in 1822 but the traditional model of the colonial economy, based on the exploitation of slave labour, did not however disappear. The 19th century was to be lastingly marked by this model and by the anthropological visions of the dominants to the dominated that they had raised. To change the crucible of the past, profound transformations were necessary; the idea of “interiorising” the country to counterbalance the coastal cities by constructing a town on the central plateau thus made its mark. When Kubitschek decided to put it in place, for the price of heavy investment in infrastructure carried out in this arid region of the country, he saw the way of replacing the capital, Rio de Janeiro, by a city created out of nothing. His political dream consisted – thanks to Brasília, elevated to the rank of a symbol – of stabilising the democracy and making the nation enter in an accelerated way into a period of social progress. Regarding La Grande Motte, the creation of this seaside resort was decided in 1963 by the president Charles de Gaulle. Constructed on an unappreciated stretch of the Languedoc coast, part of a development plan for the whole region, La Grande Motte provided a noble habitat for social tourism bringing with it the optimistic vision of the future of the Trente Glorieuses, the thirty thriving years after World War II. To offer to new generations the possibility of spending their holidays in the sun gave it a purpose and also an end to memories of the suffering and hardship of the war.
La Grande Motte : l’hérésie contre l’orthodoxie moderne ? Gilles Ragot
« En Languedoc, l’économie et les embruns salés imposaient l’usage du béton. Cette matière moderne, boueuse et informe, me donna une raison de renouer avec la modénature et quarante siècles d’architecture classique. Je cherchais, avec le programme modeste du logement des hommes, à planter un décor heureux, c’est-à-dire libre, libre du présent comme du passé. Le geste libre est la première trace de la liberté. Je jugeais donc plus loyal de donner aux pyramides de La Grande Motte les espèces de ma propre joie plutôt que les figures catholiques, mais mortes, du pastiche ou de la géométrie. J’embrassais l’hérésie », conclut Jean Balladur, l’architecte et urbaniste de La Grande Motte. Formé dans l’héritage du Mouvement moderne et particulièrement de Ludwig Mies van der Rohe, auquel ses premières œuvres, comme la villa Besson à Chantilly (1957), rendent hommage, Jean Balladur s’affirme lui-même en rupture avec l’orthodoxie moderne sur son principal théâtre d’intervention : La Grande Motte (1962-1983). En terre cathare, il revendique son droit à l’hérésie et se heurte violemment à la critique du petit monde de l’architecture, majoritairement acquis aux thèses de l’urbanisme réformateur et du langage d’un style qualifié d’international. Gilles Ragot est Certains commentateurs y voient professeur en histoire la cause de son départ, sinon de de l’art contemporain son exclusion, du comité de rédacà l’université Bordeauxtion de L’Architecture d’aujourd’hui Montaigne. Il est depuis en 1971 : Balladur assimilé à un 2003 le rédacteur du traître à la modernité ou à un postdossier de candidature moderne ? de l’œuvre architecturale de Le Corbusier sur la liste Pourtant, à l’analyse de du patrimoine mondial l’œuvre et de ses écrits sur l’archide l’UNESCO. Il conduit tecture, engagés avec « Le dedans depuis 2013 une mission et le dehors », un article publié en de recherche sur le 1949 dans Les Temps modernes à la patrimoine architectural demande de Jean-Paul Sartre, son et urbain de La Grande Motte. mentor, cette opposition binaire
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entre hérésie et orthodoxie ne résiste pas à la critique. La Grande Motte est tout autant moderne que post-moderne, normée et sculpturale, rigoureuse et fantaisiste, géométrique et symbolique, minérale et végétale, épurée et décorée. En un mot, inclassable. Athanagore Porphryrogénète, célèbre archéologue issu de l’imagination iconoclaste de Boris Vian dans L’Automne à Pékin (1947), apportait un soin infini à déterrer des objets qu’il cassait ensuite avec un marteau pour qu’ils entrent dans les petites boîtes préparées à cet effet. Nombre de journalistes, de critiques d’art ou d’historiens s’attachent ainsi trop souvent à classer l’objet de leur analyse dans des catégories bien ordonnées et pures. Ainsi, au-delà des apparences et de l’obsession taxinomique, La Grande Motte entretient-elle des liens profonds avec la modernité dont Brasília de Lucio Costa et Oscar Niemeyer d’une part, Chandigarh de Le Corbusier d’autre part offrent deux exemples reconnus et indiscutés. Ces trois villes, de taille et de statut différents, ont en commun de renouer avec la dimension profonde de l’utopie telle que Thomas More la définissait au xvie siècle, celle du dépassement d’une situation existante, d’un défi face au conformisme et, à La Grande Motte comme à Brasília et à Chandigarh, à une nature hostile. La construction de ces cités est d’abord une fantastique aventure humaine : édifier, en dépit du scepticisme de tous, des villes sur des terrains vierges, déplacer des millions de mètres cubes de terre, créer ex nihilo des infrastructures routières, des réseaux, un habitat, des services, des équipements publics, et planter une végétation pour en faire un cadre de vie à l’échelle humaine. Là où il n’y avait rien, Balladur, Le Corbusier, Costa et Niemeyer ont construit des villes vertes au sens où l’entendait déjà l’avant-garde moderne des années 1930. Le Corbusier théorisa ce concept partagé avec l’avant-garde soviétique : densifier en hauteur pour libérer le sol, dans un ratio de 85 % de verdure pour 15 % de surface construite, et plonger l’habitat de l’homme moderne dans une ville-parc où chacun puisse bénéficier des bienfaits
La Grande Motte: heresy versus modern orthodoxy? Gilles Ragot
“In Languedoc, the economy and the salty spray commanded the use of concrete. This modern material, squelchy and shapeless, gave me a reason to renew with decorative mouldings and forty centuries of classical architecture. With the modest programme of housing for man, I was seeking to implant a happy decor, that is to say free, free from the present as from the past. The free gesture is the first trace of liberty. I thus judged it more loyal to give the pyramids of La Grande Motte the species of my own joy rather than that of the catholic, yet dead, figures, of the pastiche or geometry. I embraced heresy,” concluded Jean Balladur, architect and urbanist of La Grande Motte. Formed by the Modern Movement, in particular that of Ludwig Mies van der Rohe, to whom his earliest works, such as the Villa Besson in Chantilly (1957), pay tribute, Jean Balladur himself affirmed to be in rupture with modern orthodoxy with his principal theatre of intervention: La Grande Motte (1962-1983). In the land of the Cathars, he justified his right to heresy and clashed violently with the criticism of the small architectural circle, majoritarily sold to the theses of urbanism as reformer and the language of a style termed international. Some Gilles Ragot is professor commentators saw in this the reaof contemporary art son for his depart, if not his excluhistory at the Université sion, from the editorial committee Bordeaux-Montaigne. of L’Architecture d’aujourd’hui in Since 2003 he has been 1971: Balladur likened to a traitor of editor of the dossier modernity or as a post-modernist? of candidature of the However, in analysing the architectural work of Le Corbusier for the work and his writing on architecUNESCO world heritage ture, committed with “Le dedans list. Since 2013 he has et le dehors”, an article published led a research project in 1949 in Les Temps modernes at into the architectural the request of his mentor, Jeanand urban heritage Paul Sartre, this bipolar opposition of La Grande Motte. between heresy and orthodoxy does
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not stand up to the criticism. La Grande Motte is just as much modern as post-modern, normed and sculptural, rigourous and fantasist, geometrical and symbolic, mineral and vegetal, pared back and decorated. In a word, unclassifiable. Athanagore Porphryrogénète, celebrated archaeologist born from the iconoclastic imagination of Boris Vian in L’Automne à Pékin (1947), took endless care to unearth the objects that he then broke with a hammer so that they could go in little boxes prepared for this purpose. Numerous journalists, art critics or historians are too often attached to classifying the object of their analysis in well-ordered and pure categories. Thus, beyond appearances and taxinomic obsession, La Grande Motte retains profound links with the modernity of which the Brasília of Lucio Costa and Oscar Niemeyer, on one hand, Chandigarh of Le Corbusier, on another, provide two recognised and indisputable examples. These three cities, of different sizes and status, share the renewal with the profound dimension of Utopia as defined by Thomas More in the 16th century, that of exceeding the existing situation, of a challenge against confirmity and, at La Grande Motte as at Brasília and Chandigarh, a hostile nature. The building of these cities is first of all a fantastic human adventure: to build, despite everyone’s skepticism, cities on virgin territories, transport millions of square metres of earth, create out of nothing road infrastructures, networks, a habitat, services, public equipment and plant vegetation to create a framework for life on a human scale. There where there was nothing, Balladur, Le Corbusier, Costa and Niemeyer built green cities in the sense as it was already conceived by the modern avant-garde of the 1930s. Le Corbusier theorised this concept, shared with the Soviet avant-garde: densify in height to liberate the ground, in a ratio of 85 percent greenness for 15 percent built surface, and plunge the habitat of modern man in a garden city where everyone can profit from the benefits of nature. Not a single resort on the French coast, or probably European either, has the comfort
LA GRANDE MOTTE
Détail allégorique au sommet de la Grande Pyramide. Admirateur de l’ancienne cité de Teotihuacán, au Mexique, l’architecte Jean Balladur a rendu hommage à Quetzalcóatl, le « serpent à plumes » de la civilisation aztèque. Allegorical detail at the top of the Grande Pyramide. As an admirer of the ancient city of Teotihuacán, in Mexico, the architect Jean Balladur paid tribute to Quetzalcóatl, the “feathered serpent” of Aztec civilization.
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Au beaupré, aux mâts des architectures, Au bleu du ciel Au regard accroché À ces navires de béton, Solides De ces bâtiments signés, Au capitaine au long cours Aux lignes éthérées, Colorées
To the bowsprit, to the masts of the architecture, To the blue sky To the regard hooked On these ships of concrete, Sturdy Of these buildings signed, To the long-distance captain To the otherworldly lines, Coloured
Surgis des sables : un port, une cité, une skyline… Looming out of the sand: a port, a city, a skyline…
La Grande Motte
Habiter le ciel Ascension, Échelle,
Arc
En
Ciel.
To live in the sky Ascension, Ladder, Rainbow.
La Grande Pyramide, synthèse esthétique des quartiers du Levant et du Couchant. The Grande Pyramide, aesthetic synthesis of the Levant and Couchant districts.
La Grande Motte
Des mondes et des ciels Au-dessus de nous
The worlds and the skies Above us
Patio de l’Acapulco. Patio of the Acapulco.
La Grande Motte
En ligne, en creux, Rêves et jeux Monde bicéphale
In line, in hollow, Dreams and games Double-headed world
La place du Cosmos, étape ludique sur le chemin de la plage. The Cosmos Plaza, play area on the path to the beach.
La Grande Motte
BRASÍLIA
Plan original de l’urbaniste Lucio Costa : un tracé de génie où se croisent l’Axe Monumental et les Ailes Résidentielles, qui évoqueront pour certains une croix, pour d’autres un avion ou un condor. Original plan by the urbanist Lucio Costa: a line of genius where the Monumental Axis crosses the Residential Wings, that for some evoke a cross, for others an aeroplane or a condor.
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Exégèse de moments purs et fragiles, Elle disparaît vers d’autres sphères.
Exegesis of moments pure and fragile, They disappear towards other spheres.
Plateforme aux coupoles inversées du Congrès et du Sénat. Platform of the inverted domes of the Congress and the Senate.
BrasĂlia
De l’absolu féminin à la minéralité intrépide.
From absolute femininity to intrepid minerality.
Courbes jaillissantes de la Cathédrale Métropolitaine Notre Dame de l’Apparition. The spurting curves of the Metropolitan Cathedral Our Lady of the Apparition.
BrasĂlia
Fluidité des instants parallèles…
Fluidity of the instants parallels…
Mémorial du Président Juscelino Kubitschek. Memorial to the president Juscelino Kubitschek.
Brasília
Terre originelle, Rouge. Vert, Liberté.
Original earth, Red. Green, Liberty.
Cheminements entre les arbustes sauvages des esplanades de l’Axe Monumental. Pathways between the wild bushes of the esplanades of the Monumental Axis.
Brasília
CHANDIGARH
Détail de la porte émaillée du Palais de l’Assemblée représentant l’équipe des architectes fondateurs de Chandigarh : Le Corbusier en corbeau, Pierre Jeanneret en coq, Maxwell Fry en agneau et Jane Drew en brebis. Detail of the enamel door of the Palace of Assembly representing the team of founding architects of Chandigarh: Le Corbusier as a crow, Pierre Jeanneret a cockerel, Maxwell Fry a lamb and Jane Drew a ewe.
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À l’aune d’une main tendue, s’ouvre alors le monde tout entier Celui qui donne et reçoit
In the light of a hand held out, the entire world then opens to he who gives and receives
« Ouverte pour recevoir, ouverte pour donner », la Main Ouverte pivote au gré des vents au-dessus de la Fosse de la Considération. “Open to receive, open to give”, the Open Hand pivots at the mercy of the winds over the Trench of Consideration.
Chandigarh
MIROIR DES RÊVES
Mirror of dreams
Puissance des volumes du Palais de l’Assemblée. The powerful volumes of the Palace of Assembly.
Chandigarh
Rire, Vivre, Et partager.
Laugh, Live, And share.
Détente sous le portique du Palais de l’Assemblée. Relaxation under the portico of the Palace of Assembly.
Chandigarh
MĂŠditer
Meditate
Institut Gandhi, au cœur du campus universitaire. The Gandhi Institute, at the heart of the university campus.
Chandigarh