Utopies réalisées. 5 sites en région urbaine de Lyon (extrait)

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Un autre regard sur l’architecture du XXe siècle A different view of 20th century architecture


© Somogy éditions d’art, Paris, 2009-2013 © Région Urbaine de Lyon, 2009-2013 © FLC/ADAGP, Paris 2009-2013 pour les œuvres de Le Corbusier

rbain Tony Garnier musée u

Sous l’égide de :

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Conception graphique : Anne Ponscarme Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie, Mathias Prudent Traduction : Elizabeth Powell Contribution éditoriale française : Julie Houis Contribution éditoriale anglaise : Sandra Freland Suivi éditorial : Clémentine Petit ISBN 978-2-7572-0317-0 Dépôt légal : 1re impression 2009, présente édition juin 2013 Imprimé en Italie (Union européenne)


Un autre regard sur l’architecture du XXe siècle A different view of 20th century architecture


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Avant-propos et remerciements Foreword and acknowledgements

L’édition de cet ouvrage s’inscrit dans le cadre de la démarche « Utopies réalisées ». Celle-ci repose sur la mise en réseau de cinq sites emblématiques de l’architecture du XXe siècle en région lyonnaise. Les « Utopies réalisées» sont une invitation à découvrir autrement l’architecture moderne par le récit d’une histoire et d’une aventure humaine communes. Cette démarche est le fruit d’un partenariat entre les collectivités et structures porteuses des sites : les villes de Firminy, Givors et Villeurbanne, le Musée urbain Tony-Garnier et le Centre culturel de rencontre du couvent de la Tourette. Le réseau bénéficie du soutien et de l’implication du Grand Lyon et de Saint-Étienne Métropole, qui font des « Utopies réalisées » un élément fondateur de leur histoire commune et de leur avenir métropolitain partagé. Elle est également portée par la région RhôneAlpes au titre de son dispositif en faveur des projets touristiques innovants. Les offices de tourisme de Lyon, Saint-Étienne Métropole et Givors-Grigny contribuent à promouvoir les « Utopies réalisées » comme une offre touristique majeure de la métropole lyonnaise. Le réseau a pu compter sur l’appui scientifique et méthodologique apporté par la Mission d’ingénierie de Rhône-Alpes Tourisme et par la Maison du Fleuve Rhône. Enfin, l’association Région Urbaine de Lyon (RUL) a largement concouru à l’émergence des « Utopies réalisées » et en assure le portage et l’animation avec la volonté d’en faire une opération métropolitaine exemplaire.


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The publication of this book forms part of the “Utopies Réalisées” project, which is based on the affiliation of five sites, each of them symbols of the 20th century architectural legacy in the Lyon area. All of the “Utopies Réalisées” provoke a different approach to understanding modern architecture, an approach that is based on the chronicling of their collective history and individual achievements. The project was the result of successful collaboration between the various communities and key organisations from the sites: the towns of Firminy, Givors and Villeurbanne, the Musée Urbain Tony Garnier and the Centre Culturel de Rencontre at the Couvent de la Tourette. The project also enjoyed the support and participation of Grand Lyon and Saint-Étienne Métropole, both of which recognised the fundamental importance of the “Utopies Réalisées” in highlighting their common history and shared urban future. The Région Rhône-Alpes also provided support through its operations to encourage innovative tourism projects. The tourist offices of Lyon, Saint-Étienne Métropole and Givors-Grigny have demonstrated their commitment to promoting the “Utopies Réalisées” as significant tourism attractions in the greater Lyon area. The network is also grateful for the help offered by the Mission d’Ingénierie de Rhône-Alpes Tourisme and by the

Maison du Fleuve Rhône in the areas of scientific and theoretical information. Last but not least, the Région Urbaine de Lyon (RUL) organisation has been a major contributor to the development of the “Utopies Réalisées” concept and continues to provide the drive and leadership required for the completion of the project. The members of the Utopies Réalisées network would like to thank all individuals and organisations involved in the publication of this book: firstly Gilles Ragot for the massive task undertaken in researching and collating all the information; Bernard Toulier, chief curator for Heritage at the Ministère de la Culture, for his encouragement right from the start; Jacques Léone, photographer for Grand Lyon, and the Fondation Le Corbusier which also assisted in the book’s publication. Thanks must also go to the residents of the “Utopies Réalisées” sites who make up the soul of these amazing places and help us to achieve a better understanding of their purpose.


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Sommaire Contents

6 Avant-propos et remerciements 10 Préface

Les cinq sites 52 Le quartier des États-Unis Musée urbain Tony Garnier Lyon, 1917-1934

66 Le quartier des Gratte-ciel 16 La double utopie

Villeurbanne, 1931-1934

84 Firminy-Vert 22 Vous avez dit utopie !

Firminy, 1953-1961

104Le couvent de la Tourette 28 Diagnostiquer

Éveux-sur-l’Arbresle, 1953-1960

120La cité des Étoiles 34 Inventer 46 Agir

Givors, 1974-1981

134 Du rejet au patrimoine 140 L’utopie au XXIe siècle 148 Les utopies au cœur des habitants 152 Bibliographie 156 Les acteurs des Utopies réalisées


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6 Foreword and acknowledgements 10 Preface

The Five Sites 52 Le Quartier des Etats-Unis Musée urbain Tony Garnier Lyon, 1917-1934

66 Le Quartier des Gratte-ciel 16 Double Utopia

Villeurbanne, 1931-1934

84 Firminy-Vert 22 Could This be Utopia?

Firminy, 1953-1961

104 Le Couvent de la Tourette 28 Diagnosing

Eveux-sur-l’Arbresle, 1953-1960

120 La Cité des Etoiles 34 Inventing 46 Taking Action

Givors, 1974-1981

134 From Rejection to Legacy 140 21st Century Utopia 148 The Utopies: Much-loved by Residents 152 Bibliography 156 Leading Actors of the Utopies Réalisées


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Préface Preface

« Les Utopies réalisées », un pari innovant sur la valorisation du patrimoine du XXe siècle en France Ce nouveau regard sur l’architecture du XXe siècle nous livre une histoire écrite par l’historien de l’art pédagogue Gilles Ragot autour de cinq sites emblématiques du patrimoine français et international. Histoire d’une double utopie, celle de l’origine pour ces laboratoires expérimentaux porteurs de nouvelles visions sur la ville et l’habitat qui marquent les grandes étapes de l’architecture contemporaine, et celle d’aujourd’hui par la création d’un nouveau produit touristique, facteur d’identité et de rayonnement de la Région urbaine lyonnaise. Ces histoires réunies proposent une approche inédite de l’architecture et de l’urbanisme, en prenant de la hauteur et en replaçant chaque lieu dans son contexte. Elles racontent les grandes étapes de l’élaboration d’une doctrine architecturale et urbaine et d’une pratique sur le logement social, depuis la Cité industrielle de Tony Garnier jusqu’à la Charte d’Athènes, en passant par le mirage des « Gratte-ciel » américains jusqu’à la mythique « cité des Étoiles » socialiste. Ces œuvres architecturales sont le fruit de rencontres entre des responsables de communautés laïques ou religieuses et des architectes exceptionnels partageant des ambitions sociales ou politiques, ou des valeurs religieuses. Tous les acteurs de ces constructions ont en commun la conviction que l’architecture et l’urbanisme modernes contribuent à l’élaboration d’un monde meilleur. Ces histoires proposent des réflexions sur la vie urbaine et la transformation de la cité, sur l’architecture comme vecteur de lien social

et recherche d’épanouissement des habitants dans une perspective dynamique apte à transcender le temps. Chaque site combine une appropriation particulière et une reconnaissance sociale et culturelle sur la scène locale, régionale, nationale ou internationale. Parfois rejetés par certains habitants ou élus, ces lieux ont été peu à peu reconnus pour leur valeur exceptionnelle et leurs qualités spécifiques. Ils ont fait l’objet de mesures de protection et de sauvegarde du patrimoine, par l’application de la loi de 1913 sur les Monuments historiques, ou l’inscription dans des Zones du patrimoine architectural urbain et paysager, et ont reçu le label national du « Patrimoine du e XX siècle ». Ils s’inscrivent en cohérence avec l’ensemble de la chaîne patrimoniale. Chaque communauté a aujourd’hui le sentiment de vivre dans un lieu d’exception. Cette mise en réseau des « Utopies réalisées » autorise chaque habitant à se réinscrire dans un réseau culturel, dans une perspective valorisante dépassant l’échelle locale. Ce projet régional original sur des sites et édifices emblématiques de la modernité s’adresse également à un public « spécialisé » et «éclairé», amateur de patrimoine du XXe siècle ou de lieux singuliers. Des guides transforment la visite en une expérience vivante, personnelle et unique pour chaque touriste. Cette « mise en communication» parie sur l’avant-garde de l’architecture du XXe siècle pour promouvoir les utopies du XXIe siècle. Bernard Toulier, conservateur général du patrimoine Ministère de la Culture et de la Communication, Direction de l’architecture et du patrimoine


Site Le Corbusier à Firminy-Vert Détail de la façade de l’unité d’habitation. Close-up of the frontage of the “unité d’habitation”.

“Les Utopies Réalisées”: An Inspired Venture that Promotes France’s 20th Century Heritage Offering a new stance on 20th century architecture, art historian and Professor Gilles Ragot has given us a fascinating history of five sites that are symbolic both in France and internationally. It is the history of a dual Utopia: that of the original concept as produced by experimental laboratories, with their new ideas on urban planning and housing that shaped the major developments of contemporary architecture, as well as the present day Utopia which exists as a result of this new tourism product, itself part of the identity and reputation of Lyon region. This collection of stories offers a very different view of architecture and urban planning, taking a step back from its subject matter whilst studying each site within its own context. The stories also illustrate the major phases in the development of architectural and urban guidelines and the eventual implementation of a social housing policy, from Tony Garnier’s Cité Industrielle to the Charter of Athens, via the mirage of the American “Gratte-Ciel” and the visionary socialism of the “Cité des Etoiles”. The leaders of both lay and religious communities joined forces with brilliant architects to create these architectural schemes, sharing ideas that reflected their social and political ambitions or, in some cases, religious values. Everyone involved in the projects was united in the same passionate belief that modern architecture and town planning could contribute to the creation of a better world. These stories offer reflections on urban life and the transformation of towns and cities; on architecture as an intermediary for social cooperation and as an opportunity

enabling residents to blossom within a proactive environment that would eventually transcend the age in which they lived. Each site developed its own individuality based on its social and cultural acceptance on the local, regional, national or international stage. At times rejected by certain residents and politicians, the housing schemes gradually gained recognition for their outstanding values and special features. They also engendered measures aimed at protecting them and conserving their heritage, with, for example, implementation of the Loi de 1913 sur les Monuments Historiques, or their inclusion on the list of Zones du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager and the granting of the national label “Patrimoine du XXe siècle”. Indeed they sit comfortably amidst the whole range of heritage initiatives. Today each of the communities enjoys a real sense of living in a place that is of truly exceptional value. With the creation of the “Utopies Réalisées” network, every resident can once again become part of a cultural affiliation which takes them beyond their local boundaries. This exciting regional project involving sites and buildings that are representative of the modernist movement will also appeal to a “specialist” and “enlightened” audience, whether fans of 20th century heritage or unique cultural sites. Guides transform each visit into a living experience personalised for each tourist. This initiative endeavours to use the avant-garde appearance of 20th century architecture to highlight 21st century Utopia. Bernard Toulier, Chief Curator for Heritage at the Ministère de la Culture et de la Communication, Direction de l’Architecture et du Patrimoine


Couvent de la Tourette Puits de lumière dans l’église. Light shafts in the church.



Musée urbain Tony-Garnier à Lyon Détail des façades. Close-up of the frontage.

Quartier des Gratte-ciel à Villeurbanne Palier. Landing.

Cité des Étoiles Etoiles à Givors


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La double utopie Double Utopia

Chimère, illusion, mirage, impossible rêve, rivages inaccessibles ou proposition idéale ne tenant pas compte de la réalité, le concept d’utopie préexiste au néologisme qui le désigne. C’est en 1516 que l’écrivain et homme politique anglais Thomas More invente l’île d’Utopia, où un gouvernement idéal règne sur un peuple heureux. L’Utopia, d’où sera tiré le nom d’utopie, n’est pas seulement un pays imaginaire dont Thomas More décrit l’architecture et la capitale Amaurote. C’est surtout un projet de société, un contre-projet à la société anglaise violente et profondément inégalitaire du XVIe siècle. L’enseignement de l’Utopie de Thomas More réside dans le dynamisme spirituel apte à transcender son temps.

Gravure tirée de la première édition d’Utopia de Thomas More, Louvain, 1516. Printed engraving from the first edition of Thomas More’s “Utopia”, Louvain.

Les Utopies réalisées en région urbaine lyonnaise De quelle nature sont les Utopies réalisées de la région urbaine lyonnaise? La réponse se situe dans les points communs qui unissent ces cinq sites : le quartier des États-Unis de Tony Garnier à Lyon (1917-1934), le quartier des Gratte-ciel de Morice Leroux à Villeurbanne (1931-1934), le site Le Corbusier à Firminy-Vert (19531969), le couvent de la Tourette de Le Corbusier à Éveux-sur-l’Arbresle (1953-1960) et la cité des Étoiles de Jean Renaudie à Givors (1974-1981).


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CES CINQ SITES RACONTENT L’HISTOIRE THE FIVE SITES TELL DU MOUVEMENTTHE STORY TH MODERNE ARCHITECTURAL OF THE 20 CENTURY E . DU XX SIÈCLE ARCHITECTURAL MODERNIST MOVEMENT.

The utopian concept existed even before the word coined to describe it and was variously referred to as a fantasy, illusion, mirage, impossible dream, unattainable shore, or as an idealistic but totally unrealistic plan. Utopia, or the island of Utopia, was invented in 1516 by the English politician and writer Thomas More; it was a place with an ideal form of government and happy, well-cared for subjects. The imaginary country of Utopia, which subsequently lent its name to the utopian movement, had a capital – Amaurote – and idealistic architecture, both described in detail by More. However, it was above all an experimental society which was seen as an alternative to the violent and deeply inequitable English society of the 16th century. Thomas More’s Utopia provided a valuable lesson, in that its spiritual dynamism proved capable of transcending the times in which he lived. The ”Utopies Réalisées” in Lyon’s Urban Areas What type of utopian scheme was achieved in Lyon’s urban areas? The answer to this lies in the special features common to the five sites, or “Utopies Réalisées”: Tony Garnier’s Quartier des Etats-Unis in Lyon itself; Le

Quartier des Gratte-Ciel in Villeurbanne built by Morice Leroux (1924-34), the Le Corbusier site in Firminy-Vert (1953-1969), the Couvent de la Tourette in Eveux-sur-l’Arbresle designed by Le Corbusier (1953-60), and Jean Renaudie’s Cité des Etoiles in Givors (1974-81).


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La double utopie

Site Le Corbusier à Firminy-Vert Vue aérienne de l’ensemble du site. Aerial view of the whole site.

Cité des Étoiles à Givors Vue depuis l’hôtel de ville. View from the Hôtel de Ville

Chacune de ces réalisations, considérée indépendamment des autres, représente en elle-même un site remarquable de l’architecture ou de l’urbanisme contemporains sur les plans national et international. Parmi leurs concepteurs figurent Le Corbusier, incarnation par excellence de l’architecture moderne du XXe siècle et son porte-parole le plus actif, Tony Garnier, l’un des tout premiers précurseurs en France et en Europe de cette modernité, ainsi que Jean Renaudie, moins connu du grand public, mais qui figure assurément parmi les références majeures des architectes et des urbanistes contemporains. Les noms de Morice Leroux, Robert Giroud et Jean Fleury, les concepteurs du quartier des Gratteciel de Villeurbanne, demeurent méconnus hors d’un petit cercle de curieux. Néanmoins, leur réalisation, unique en France et rare en Europe entre les deux guerres, possède une puissance évocatrice de la modernité qui a marqué tous ceux l’ayant visitée ou seulement découverte en photographie.

Quartier des Gratte-ciel à Villeurbanne Vue de l’avenue Henri-Barbusse depuis le beffroi de l’hôtel de ville. View of avenue Henri Barbusse from the Hotel de Ville’s belfry.

Double Utopia


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Each scheme, taken on its own merits, is certainly an amazing achievement, either for its architectural value or as an example of contemporary town planning both on the national and the international front. Amongst the designers involved, there is Le Corbusier, perhaps the one architect who personifies 20th century modern architecture and who was its most prolific spokesmen; Tony Garnier, one of the first trailblazers for modernity in France and Europe; plus Jean Renaudie, who is less known by the

general public but who definitely figures amongst the most influential architects and contemporary urban planners. The names of Morice Leroux, Robert Giroud and Jean Fleury, who designed Le quartier des Gratte-Ciel in Villeurbanne, are less well known outside of a small circle of devotees, but their achievement between the two World Wars – unique in France and rare in Europe – demonstrates a powerful evocation of the modernity that is evident to anyone who has visited or seen photos of the district.


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La double utopie Double Utopia

Couvent de la Tourette Vue nord-ouest. North-western side.

Musée urbain Tony-Garnier à Lyon Façades. Facades.

Mais l’intérêt de ces cinq sites dépasse largement la simple addition de leurs qualités respectives. Réunies autour du concept des Utopies réalisées, ces réalisations majeures racontent une histoire, celle du Mouvement moderne architectural et urbain du XXe siècle. Ce récit est porteur de deux utopies. C’est d’abord l’utopie de l’élaboration d’un nouveau langage plastique qui se veut, pour la première fois depuis les origines de l’homme, un langage véritablement universel. C’est ensuite, et surtout, l’utopie d’une conviction, presque messianique, de la capacité de cette architecture et de cet urbanisme modernes à construire un monde meilleur. De plus, chacun des sites raconte une étape de l’émergence du Mouvement moderne : sa phase pionnière et d’avant-garde à Lyon et Villeurbanne, le moment de son triomphe à Firminy et Éveux-sur-l’Arbresle, l’époque de sa contestation et de son renouvellement enfin à Givors.


However, the relevance of these five sites is far more significant than just the sum of their respective qualities. Collectively representative of the concept of Utopies Réaliséés, these major projects tell the story of the modern architectural and urban movement during the 20th century, which in fact encompasses two utopias: firstly, the creation of a new modelling language that, for the first time in the history of mankind, aims to be genuinely universal. And secondly, and especially, the utopian and almost

sacred belief in the power of modern architecture and urban planning to build a better world. In addition, each of the sites offers evidence of the various stages of this modernist movement, which emerged with the pioneering and avant-garde phase in Lyon and Villeurbanne, then reached its peak in Firminy and Eveuxsur-l’Arbresle, and was finally questioned and challenged in Givors.


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Vous avez dit utopie !

Vue perspective de la ville de Chaux, projet de Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806). Representational view of the Ville de Chaux a project by Claude Nicolas Ledoux (1736-1806).

Fantaisie ou contre-projet ? L’utopie désigne aujourd’hui un projet irréalisable, fantaisiste voire fantastique. Pourtant, à l’origine, le terme qualifie un contre-projet réaliste au service de l’espoir, de la dignité humaine et du bonheur. Le néologisme Utopia provient de l’ouvrage publié en 1516 par Thomas More, L’Utopie ou le Traité de la meilleure forme de gouvernement, qui met en scène le récit d’un navigateur dans une île inconnue, refuge d’une société idéale. L’œuvre et la vie de More nous informent que l’utopie est une aventure humaine, portée par des hommes audacieux et imaginatifs qui refusent d’accepter une réalité souvent cruelle, violente et injuste. Utopia est constitué du préfixe privatif grec ou qui signifie « non » et du mot grec topos, « lieu » : littéralement, d’aucun lieu. Mais, puisqu’elle n’a existé ni n’existera en aucun temps, l’utopie, pur produit de l’imagination, n’appartient non plus à aucune époque. L’Utopie de More, comme les Utopies réalisées de la région lyonnaise, tend ainsi à l’universalité. Thomas More dresse un réquisitoire contre la misère, l’inégalité et la violence de la société anglaise du e XVI siècle, à laquelle il oppose le contre-projet de l’île d’Utopie.

Portrait de Thomas More (1478-1535) par Pierre Paul Rubens, museo nacional del Prado, Madrid. Portrait of Thomas More (1478-1535) by Pierre Paul Rubens, Prado Museum, Madrid.

Could This be Utopia?


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Fantasy or an Alternative Plan? Today utopia stands for an unachievable project, one that verges on the eccentric or even whimsical. Originally, however, the term signified a pragmatic counter plan in support of hope, human dignity and happiness. The original word utopia comes from the work published in 1516 by Thomas More: Utopia, or a treatise on the ideal form of government, describes the story of a sailor on an unknown island, where a perfect society exists. The work, considered in the context of More’s life, tells us that utopia is a human adventure, driven by men who are both bold and imaginative and who refuse to accept a reality that is often cruel, violent and unjust.

The word utopia derives from the Greek privative prefix meaning “no” and from the Greek word “topos” meaning “place”: literally signifying nowhere. But as it never existed – and never will – utopia, a purely imaginary concept, is also timeless. Thomas More’s Utopia, as all of the Utopies Réalisées - the utopian achievements in the Lyon area - also aims to be universal. More drew up an indictment against misery, inequality and violence that was so prevalent in 16th century English society and to which he responded with an alternative plan represented by the island of Utopia.


Couverture du livret de présentation de Firminy-Vert, 1959. Presentation catalogue for Firminy-Vert, 1959.

Une altérité réaliste En publiant L’Utopie, More crée un genre littéraire, celui de l’aspiration au bonheur d’une société idéale. Mais, aussi florissant que fut ce genre littéraire depuis, cet ouvrage n’est ni un conte fantastique ni un roman d’anticipation. More n’est pas un rêveur, c’est un magistrat et un homme d’État ; il nous enseigne que l’utopie repose sur une analyse approfondie des conditions existantes, précédant à un projet alternatif réaliste dont les conditions de réalisation – qu’elles soient sociales, politiques ou techniques – ne sont pas encore réunies. Établir un diagnostic, puis proposer des solutions avant-gardistes, telle est toujours, cinq siècles plus tard, la méthode employée pour réaliser les Utopies de la région lyonnaise. Utopie n’est pas seulement le pays imaginaire où tout est parfaitement réglé pour le bonheur de chacun, il est aussi le territoire de l’invention, de l’anticonformisme et des « possibles », celui où naissent les avant-gardes qui contrastent avec les idées dominantes. Si l’audace se réduit à une simple provocation, l’avantgarde ne rencontre pas ou peu l’adhésion du public, et s’éteint


Livret d'accueil de Firminy-Vert, 1959 – Extraits. Catalogue for Firminy-Vert 1959 – Inside pages.

A Pragmatic Otherness With the publication of Utopia, More created a literary genre – that of aspiring to the happiness that stems from an ideal society. However, despite the subsequent flourishing of the literary genre, the work was neither a fantasy tale nor a novel of expectation. More was not a dreamer, but a magistrate and a statesman; in his work he explains that Utopia is based on a profound analysis of the existing circumstances that precede an alternative realist project, one which cannot be achieved until the right conditions (whether social, political or technical) have been assembled. The same method - establishing a diagnosis, and then suggesting various avant-garde solutions – was used five centuries later to create Lyon’s Utopies. If Utopia is the fictional country where everything is perfectly planned for the happiness of everyone, it is also

the land of invention, of anti-conformism and possibilities, where avant-garde concepts that defy the dominant ideas of the time see the light of day. If daring turns into simple provocation, then the avant-garde has trouble gaining public approval and quickly dies out. However, when the economic, social, political or cultural conditions change, then society accepts the avant-garde, espouses its ideas and sets out to achieve them. At which point Utopia is no longer just a dream but becomes part of the reality of its time and subsequently acquires the importance of a pioneering movement. An achieved Utopia sometimes becomes the dominant idea before it, in turn, is subjected to criticism from the avant-garde concept that follows and challenges it. And so the cycle goes on.


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Vous avez dit utopie ! Could This be Utopia?

Transcender la réalité À partir du XVIIe siècle, l’utopie architecturale se scinde en deux courants : l’un réaliste fondé sur une approche scientifique, l’autre plus fantastique. Hormis les pures fantaisies, œuvres d’art sans fondement sociétal, il existe aussi des projets utopiques monumentaux, mais qui abritent un véritable projet de société. Au service d’une pensée progressiste, conservatrice ou totalitaire, ces projets partagent la même démesure inhumaine ; ils sont fantastiques et pour la plupart irréalisables. Nées d’un projet de société, les Utopies réalisées de la région lyonnaise ont, en leur temps, surpris voire choqué. Elles ont suscité de vifs débats publics, à la hauteur de leurs ambitions comme de leurs formes. Mais aucune ne reposait sur un projet démesuré, irréaliste ou inconstructible. Fidèles à l’esprit de Thomas More, leur utopie résidait dans leur aptitude à transcender leur temps.

Le Corbusier, plan d'étude d’un centre de « re-création du corps et de l’esprit » pour Firminy-Vert, 10 juin 1961. Rough sketch by Le Corbusier of a centre for “body and mind re-creation” in Firminy-Vert, 10 June 1961.

rapidement. Mais, lorsque les conditions économiques, sociales, politiques ou culturelles changent, la société adhère à son avantgarde, en épouse les idées, les réalise. Alors l’utopie n’est plus simplement un rêve, elle rejoint la réalité du moment et acquiert à posteriori la valeur de mouvement précurseur. L’utopie réalisée devient parfois pensée dominante, avant d’être l’objet, elle-même, des critiques d’une nouvelle avant-garde qui le remet en cause. Et le cycle se poursuit.


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L’UTOPIE EST UNE AVENTUREUTOPIA HUMAINE PORTÉE IS A HUMAN PAR DES HOMMES ADVENTURE AUDACIEUX. DRIVEN BY BOLD PEOPLE.

Transcending Reality From the 17th century onwards, architectural utopia split into two movements: one that represented realism, founded on a scientific approach; the other, more fanciful. Without counting pure fantasies, or works of art with no social basis, there were also monumental utopian projects that harboured a genuine plan for society. Whether they were intended to serve progressive, conservative or totalitarian principles, these projects all shared the same excessive inhumanity; they were totally unrealistic and largely unachievable.

The Utopies Réalisées of the Lyon area were the result of a social project that, in its day, proved surprising – even shocking. They provoked lively public debates, as much about the extent of their ambitions as about their shapes. However, none of them were based on plans that were too extravagant, unrealistic or unsuitable for building. Faithful to Thomas More’s spirit, their utopian value came from their ability to transcend their historical period.


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Diagnostiquer Diagnosing

Quartier de Gerland à Lyon Immeubles et potagers. Lyon – the Gerland district Houses and allotments.

Quartier de Gerland à Lyon Camping de roulottes. Lyon – the Gerland district Campsite for horse-drawn caravans.

L’indifférence des pouvoirs publics Avant la Première Guerre mondiale, la prise de conscience des conditions effroyables du logement en France est à la fois insuffisante et lente. La multiplication des enquêtes et l’intervention des hygiénistes aboutissent au vote de la loi de salubrité publique de 1850. Les effets concrets de ce texte demeurent modestes, tant est forte au sein du pouvoir l’hostilité à toute intervention publique dans ce domaine. Le logement social reste surtout le fait de l’initiative privée, représentée par quelques expériences patronales et quelques grandes fondations : Rothschild, Heine, Singer-Polignac, etc. Dans le Lyonnais, un patronat et des fondations d’obédience chrétienne prennent des initiatives, tels Déchelette, Gillet ou les frères Mangini. Parallèlement, un autre courant animé par des convictions issues du fouriérisme et du socialisme progressiste fonde des actions municipales. Deux médecins, maires de Lyon, Antoine Gailleton et Jean-Victor Augagneur, travaillent à l’éradication de l’habitat insalubre. En 1889 est enfin fondée la Société française des habitations à bon marché, dont le principal promoteur et animateur est Jules Siegfried. La loi qui porte son nom représente un indéniable progrès dans la prise de conscience de la question du logement social en France, mais il faut attendre 1912 et la loi Bonnevay, du nom du président du Conseil général du Rhône, pour que le principe libéral de non-interventionnisme des pouvoirs publics soit abandonné. Les débuts de l’intervention municipale découlent du constat de l’insuffisance des réalisations privées et de l’apathie de l’État, mais les opérations de HBM demeurent alors d’une taille modeste, de quelques dizaines à cent ou deux cents logements.

Le Vieux-Givors Old Givors

Établir un diagnostic « Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… » C’est par ce cri de désespoir que l’abbé Pierre lance son appel à la solidarité pour les sans-logis, le 1er février 1954. Un an auparavant, Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction, déclarait déjà « qu’il n’y avait pas que les sinistrés de la guerre, que ces derniers n’étaient après tout que 1 million 500 000, alors que, concernant les sinistrés de la vie, c’était 13 millions de taudis qu’il fallait remplacer. Il fallait donc avoir une politique de construction et non seulement de reconstruction ». L’abbé Pierre et Claudius-Petit partagent le même diagnostic, sans appel : soixante ans après la loi Siegfried de 1894, première loi sur les habitations à bon marché (HBM), rien n’a été fait, ou si peu.


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Firminy, vue du centre-ville en 1953. Firminy, view of the town centre in 1953.


31 Quartier de Gerland à Lyon Lyon – the Gerland district

Establishing a Diagnosis "My friends, come help... A woman has just frozen to death tonight, at 3 a.m, on the pavement of boulevard Sébastopol, clutching the eviction papers that, the day before yesterday, made her homeless…” That was the despairing cry of Abbé Pierre as he launched his appeal for solidarity with the homeless on 1st February 1954. Just a year earlier, Eugène Claudius-Petit, Minister for Reconstruction, declared “that there were not only war victims, which after all numbered only 1 million 500 thousand people whereas when it comes to the victims of life, there were 13 million slums that needed to be replaced. We therefore needed a policy for construction and not just reconstruction”. Abbé Pierre and Claudius-Petit had offered the same diagnosis, for all time: in the 60 years that had passed after the Siegfried Law of 1894, the first law approving affordable housing (H.B.M), nothing, or very little, had actually been done. The Indifference of the Authorities Before the First World War, French authorities were insufficiently aware of the terrible housing conditions that existed and slow to acknowledge them. Following a number of enquiries and the intervention of sanitation experts, a new public health law was passed in 1850. However, its goals remained modest since government was strongly

opposed to any public involvement in that particular sector. Social housing remained above all the responsibility of private organisations, as exemplified by the social experiments initiated by Rothschild, Heine, Singer-Polignac, and other large companies or charitable foundations. In the Lyon area, there were both employer and Christian charity initiatives, including Dechelette, Gillet, and the Mangini brothers. Alongside these was a separate movement based on the beliefs developed by Fourier and other progressive socialists which resulted in municipal actions. Antoine Gailleton and Jean-Victor Augagneur, both of them doctors and mayors of Lyon, worked ceaselessly to improve the city’s unsanitary housing conditions. In 1889, the Société Française des Habitations à Bon Marché, a national organisation to oversee affordable housing, was finally created, and backed by the social activist Jules Siegfried. The law bearing his name represented a definite step forward in the awareness of the social housing issue in France, but it was not until 1912 with the Bonnevay Law, named after the president of the Rhône General Council, that the liberal principal of non-intervention by public authorities was abandoned. Private options had proved insufficient and State authorities apathetic, giving rise to these initial municipal interventions, but the social housing projects remained small scale, involving just a few dozen to 100 or 200 units.


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Diagnostiquer Diagnosing

Le Corbusier à la Triennale de Milan, en 1951. Le Corbusier at the Triennale de Milan in 1951.

Quartier de Gerland à Lyon, bidonville de la Lône Félizat. The Gerland district shanty town at La Lône Félizat.

Architecture ou révolution ? Au bilan dramatique de la Première Guerre mondiale s’ajoutent le déficit chronique de la France en logements populaires et la prolifération des taudis urbains qui accompagne un exode rural incontrôlé. « Un million d’hommes logent dans les taudis sans espoir du vieux Paris», écrit Le Corbusier en 1935. Sur 10000 habitants, la France enregistre cent cinquante-trois décès contre cent vingt et un en Angleterre ou quatre-vingt-sept seulement en Hollande. La carte de la mortalité recoupe celle des taudis. Au cours des années 1920 et 1930, les architectes modernes sont parmi les rares personnes à s’intéresser à cette question du logement et à proposer des solutions. L’utopie corbuséenne – et pour une grande part celle des architectes modernes – est de penser que la solution est architecturale. « Architecture ou révolution». Le Corbusier décline cette alternative sur tous les modes. L o i n d’appeler au Grand soir, la majorité des architectes modernes, comme les élus socialistes réformistes, aspirent à l’éviter par une architecture et un urbanisme de qualité. L’architecture contre le chaos social, tel est, selon Le Corbusier, l’un des enjeux fondamentaux du mouvement moderne, ce que la critique appellera plus tard son utopie thérapeutique.


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Architecture or Revolution? France had already been crushed by the First World War, and its chronic shortage of social housing and the increase in urban slums that always accompanies an uncontrolled rural exodus just added to the problem. “One million people live in the desperate slums of old Paris”, wrote Le Corbusier in 1935. For every 10,000 inhabitants, France recorded 153 deaths in comparison to England’s 121 and Holland’s 87. The map showing mortality mirrored that showing the location of slum dwellings. During the 1920s and 1930s, modern architects were among the very few people taking an interest in, and proposing

solutions to, the housing issue. Le Corbusier’s utopian vision, and the view of most of the modern architects, was rooted in the belief that the solution lay with architecture. “Architecture or revolution”. This alternative became Le Corbusier’s leitmotiv. The majority of modernist architects, along with reformist socialist politicians, had no desire to see a revolution and sought to avoid that outcome through the use of high quality architecture and urban planning. Architecture versus social chaos was, according to Le Corbusier, one of the fundamental issues of the modernist movement and would later become known as his therapeutic utopia.


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Inventer Inventing

Le Corbusier, « Les formes primaires », croquis extrait de Vers une architecture (1923). Rough sketch by Le Corbusier taken from his book “Vers Une Architecture” (1923).

Un langage puriste d’avant-garde au service de l’utopie Après la Première Guerre mondiale, le Mouvement moderne est le fait d’architectes ou de maîtres d’ouvrage qui refusent le repliement nationaliste qu’imposerait la célébration de la victoire. Aux valeurs de l’avant-guerre, il oppose le refus des solutions qui ont conduit une société au désastre. Au sentiment nationaliste, il oppose la vision d’un «homme nouveau», universel, à qui il convient de procurer un cadre architectural moderne à sa mesure. Les tenants du Mouvement moderne inventent un langage puriste à vocation universelle, fondé sur l’utilisation de couleurs et de formes primaires – le carré, le rectangle, le triangle, le cercle et les volumes qu’ils génèrent. Ce recours à un langage universel s’accompagne du rejet de la notion de style en tant qu’ensemble de caractères dans lesquels se définit l’identité d’une époque, d’une culture ou d’un espace géographique donnés. Il s’agit pour les architectes d’employer des « éléments primaires » et, les coordonnant suivant des règles, de provoquer en tout homme les mêmes émotions, quels que soient son origine, sa culture, son âge ou sa religion.

Le Corbusier, « L’air circule », croquis extrait de Précisions (1930), soulignant l’effet d’allègement produit par le toit-terrasse et par la surélévation grâce aux pilotis. Rough sketch by Le Corbusier from his book “Précisions” (1930), highlighting the streamlined effect of the roof-terrace and the extra height gained by using piles.

L’histoire des Utopies réalisées se confond avec celle du Mouvement moderne, courant architectural avant-gardiste dans les années 1920, dominant et triomphant après la Seconde Guerre mondiale, contesté dès les années 1970. Le Mouvement moderne rompt avec l’héritage classique et ses multiples déclinaisons académiques. Si, pour les uns, l’architecture moderne offre un cadre adapté à une utopie politique en rupture avec le modèle dominant, pour d’autres, elle constitue l’Utopie elle-même.


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The history of the Utopies Réalisées merges with that of the modernist movement, which was an avant-garde architectural trend in the 1920s, gaining dominance and success after the Second World War, and later challenged in the 1970s. The modernist movement broke away from classical heritage and its academic constraints. Some people saw modern architecture as offering a framework adapted to a utopian policy distinct from the prevailing model, while for others it was tantamount to Utopia itself.

An Avant-Garde Purist Language to Promote Utopia After the First World War, the modernist movement comprised architects and builders who totally rejected the nationalist fervour that had been stirred up by victory. Set against pre-war values, they contested the refusal to implement solutions, a refusal which they felt had led society on its disastrous course. Against the growing nationalist sentiment they put up a counter argument of a vision of a “new mankind”, a universal concept for which a tailormade architectural framework was needed.


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Inventer

Cité des Étoiles à Givors, croquis de Jean Renaudie. Sketch by Jean Renaudie.

Géométrie et simplification formelle se conjuguent dans la double quête d’une nouvelle méthodologie de projet, efficace et rationnelle, et d’une architecture débarrassée de ses conventions classiques. Mais cette ascèse est encore, et surtout, le ferment d’un projet de société. Ainsi, Le Corbusier, évoquant la valeur « morale » de l’architecture moderne, affirme en 1920 qu’il existe « un certain lien commun entre l’habitation du riche et celle du pauvre, une décence dans l’habitation du riche ». La géométrie primaire du Mouvement moderne représente une véritable révolution architecturale, celle d’une avant-garde au service d’une mutation profonde d’une profession et de sa production, dont la principale utopie est de s’adresser enfin au plus grand nombre avec un seul et même langage pour toutes les classes sociales.

Tony Garnier, Une cité industrielle, planche 118 : projet de maison, dénuée de tout décor extérieur. Tony Garnier, “La Cité Industrielle”, plate 118: House plans, minus any external décor.

Inventing


The upholders of the modernist movement invented a purist language that aimed to be universal, based on the use of primary colours and shapes – the square, rectangle, triangle, circle, and the space they generated. The new universal language was accompanied by a rejection of the notion of style as a set of characteristics identifying a specific period, culture or geographic area. This meant that architects had to use “primary elements” and, by coordinating them according to a set of established rules, arouse the same emotions in everyone, regardless of where they came from, their culture, age or religion. Geometry and strict simplification combined to create a two-pronged mission: creating a new design technique that

was both efficient and rational, and implementing an architectural style that had thrown off its traditional conventions. However, this self-restraint was still primarily aimed at creating a plan for society. Which is why, in 1920 when Le Corbusier was explaining the “moral” value of modernist architecture, he stated that whilst there was “a definite common link between housing for the wealthy and housing for the poor, there was nevertheless a respectability in housing for the wealthy”. The primary geometry of the modernist movement represented a genuine architectural revolution – that of an avant-garde that would deeply change the profession and its production, and whose main utopian aim was to finally address the widest possible audience using the same, unique language for every social class.


Phalanstère de Guise Cette rÊalisation prÊfigure les utopies des architectes du mouvement moderne. Phalanstery at Guise This work prefigures the Utopias of the architects of the modernist movement.

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Inventer Inventing


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L’ENSEMBLE NE VIT QUE PAR LA CELLULE W.ITHIN LA CELLULE PREND AN ORGANISM SON EFFICACITÉ MADE UP DU OF FAIT CELLS, QU’ELLE EST THEADMISSIBLE CELL WORKS DANS L’ENSEMBLE ON. BEHALF OF THE ORGANISM.

The Principle of Harmony, or the Balance between the Individual and the Community The social dimension of the modernist movement continued to be reflected in the search for a balance between the needs of the individual and those of the community. Charles Fourier (1772-1837), a forerunner of French reformist socialism, offered an architectural model in the form of a phalanstery or socialist community. Fourier’s socialism did not derive from a class struggle but rather from a belief in the principle of harmony that should exist within

a compact body of individuals which he considered as the ideal. All of the little details of daily life were taken into account and reflected in the architectural style that he called Phalanstery, which in essence means: the community’s manor house. Within the phalanstery, each individual retained his private space whilst benefiting from shared services. This utopian concept foreshadowed that of the modernist movement, with its plan to reform the living conditions of the most disadvantaged through a new architectural style and a new approach to urban planning.


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Inventer Inventing

Inventer la ville de demain L’urbanisme progressiste dont se réclament les architectes des Utopies réalisées est lié à l’émergence de la société industrielle qui bouleverse le développement des villes. Il rompt avec l’«art urbain» issu de la Renaissance qui, au fil du temps, s’était réduit à des règles esthétiques. L’urbanisme progressiste prend en compte la cité dans son ensemble – son bâti, mais aussi ses espaces publics, ses équipements, ses réseaux techniques, ses flux –, selon une perspective critique, voire thérapeutique et sur le long terme. Cet urbanisme, dont Garnier et Le Corbusier sont deux figures pionnières essentielles, s’est imposé au cours du XXe siècle jusqu’à sa contestation, à laquelle participe Renaudie, dans les années 1970.

Le Corbusier, croquis de la chartreuse d’Ema près de Florence. Le Corbusier’s rough sketch of the Charterhouse of Ema near Florence.

Le principe d’harmonie ou l’équilibre entre l’individuel et le collectif La dimension sociale du Mouvement moderne se traduit encore dans la recherche de l’équilibre entre l’individuel et le collectif. Charles Fourier (1772-1837), précurseur du socialisme réformiste français, offre un modèle architectural, celui du phalanstère. Le socialisme de Fourier ne repose pas sur la lutte des classes mais sur la recherche d’un principe d’harmonie qu’il formalise au sein d’une phalange, unité idéale de groupement des individus. Il imagine les moindres détails de la vie quotidienne dans une architecture qu’il baptise phalanstère, étymologiquement le « manoir de la phalange ». Dans le phalanstère, chacun conserve sa sphère privée et bénéficie de services mis en partage. Cette utopie préfigure celle des Modernes et leur projet de réformer les conditions de vie des plus défavorisés par le seul fait d’une nouvelle architecture et d’un nouvel urbanisme. Le monastère et le paquebot fournissent d’autres modèles à cette utopie. Si le phalanstère est le manoir de la phalange, le monastère est celui du moine. « J’ai trouvé la solution de la maison ouvrière type unique », écrit en 1907 Le Corbusier, lors de la visite qu’il fait de la chartreuse d’Ema à Galluzzo, près de Florence. Le couvent offre à chacun une cellule privée et des lieux collectifs : le cloître, la bibliothèque, le réfectoire, des ateliers, une laverie et l’église pour prier en communauté. La cellule conserve son indépendance au sein du collectif. Dans un ouvrage consacré à l’urbanisme en 1925, Le Corbusier développe ce principe d’harmonie dans une lumineuse analogie biologique : « L’ensemble ne vit que par la cellule. La cellule prend son efficacité du fait qu’elle est admissible dans l’ensemble. » Jean Renaudie, l’architecte de la cité des Étoiles de Givors, usera dans les années 1970 de la même analogie : «Dans un organisme, composé de cellules, la cellule ne travaille pas pour son compte, mais pour le compte de l’organisme. »


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The monastery and cruise ship offered other examples of this type of utopian vision. If the phalanstery is the “community’s manor house”, then the monastery is that of the monk. “I have found the solution to the individual worker’s house,” wrote Le Corbusier in 1907, during a visit he made to the Chartreuse d’Ema near Florence. The monastery offered each inhabitant a private cell and communal areas: a cloister, library, refectory, workshops, laundry, and church for communal prayers. The cell preserved the individual’s independence at the heart of the community. In a work dedicated to urbanism in 1925, Le Corbusier further developed this principal of harmony using an enlightening biological analogy: “The whole only lives because of the individual cell. The cell takes its effectiveness from

being part of the whole”. Jean Renaudie, the architect responsible for La Cité des Etoiles in Givors, would use the same analogy in the 1970s: “within an organism, made up of cells, the individual cell does not work on its own behalf but on behalf of the organism”. Inventing the City of the Future The progressive urbanism which the architects of the Utopies Réalisées called for was linked to the emergence of an industrial society which had completely disrupted city development. It broke away from the “urban Art” born during the Renaissance that had, over time, been reduced to a mere set of aesthetic rules. Progressive urbanism took into account the city as a whole – its buildings as well as its public spaces, its facilities, its technical networks, its circulation systems – from a critical perspective which


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Inventer

Tony Garnier, perspective aérienne sur la Cité industrielle, 1917. Aerial representation of the Cité Industrielle, 1917.

Couverture de La Charte d’Athènes, publiée pour la première fois en 1943. Cover of the Charter of Athens first published in 1943.

Garnier n’est pas un écrivain. Sa contribution passe par son projet dessiné de Cité industrielle (1917). Détail intéressant, l’architecte affirme qu’il s’agit d’une « imagination sans réalité », donc utopique, tout en précisant que sa cité partage les mêmes besoins que les villes de Rive-de-Gier, Saint-Étienne, Chasse-sur-Rhône ou Givors. La Cité industrielle est un projet architectural et urbain dans lequel Garnier lie étroitement les deux questions clefs du e XX siècle : la ville et le logement social. La notion d’espace public y est étendue à toutes les surfaces entourant les habitations. Cette révolution dans la gestion du sol sera appliquée au quartier des États-Unis, ainsi qu’à Firminy-Vert. La Cité industrielle baigne dans une verdure abondante. Garnier formalise le principe de séparation des fonctions en zones d’habitat, de travail, de loisirs, d’administration, de soins et de production d’énergie. Enfin, l’architecte distingue les différents flux de circulation – accès autoroutier, ferroviaire et fluvial, grands axes routiers internes, tramway –, jusqu’aux cheminements piétonniers indépendants de la circulation automobile.

Tony Garnier, perspective aérienne sur le quartier des États-Unis, 9 juillet 1920. Aerial representation of Le Quartier des Etats-Unis, 9 July 1920.

Inventing


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aimed to be almost therapeutic as well as long term. This form of urban planning, of which Garnier and Le Corbusier were the two main pioneers, became the norm during the 20th century until it was challenged by people such as Renaudie in the 1970s. Garnier was not a writer. His contribution came via the design project for the Cité Industrielle in 1917. An interesting detail was the architect’s statement that the plan was “imagination not based in reality”, and therefore utopian, but he explained nevertheless that his city had the same needs as the towns of Rive-de-Gier, Saint-Etienne, Chasse-sur-Rhône and Givors. The Cité Industrielle was

an architectural and urban project in which Garnier closely linked the two key issues of the 20th century: the city and social housing. The notion of public spaces was applied to the whole area surrounding the residential premises. This revolution in land management would be applied to the EtatsUnis district as well as at Firminy-Vert. The Cité Industrielle design boasted abundant greenery. Garnier set out the principle of separating the functions into different zones: living, working, leisure, administration, maintenance, energy production. Once that had been done, he marked out the flow of traffic – motorway access, railways and rivers, the main internal road network – even down to the pedestrian walkways that were separate from the


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Inventer

Revue de présentation de Firminy-Vert – 1959. Presentation review for Firminy-Vert – 1959.

Tony Garnier, la Cité industrielle, vue à vol d’oiseau d’un quartier d’habitation. Birds-eye view of a residential district.

Contrairement à Garnier, Le Corbusier s’impose autant par ses écrits que par la richesse de ses réalisations. En 1943, il publie La Charte d’Athènes, un ouvrage collectif rédigé en 1933 par l’avantgarde européenne des Congrès internationaux d’architecture moderne (CIAM). Comportant cinq chapitres – Habitation, Loisirs, Travail, Circulation, Patrimoine historique –, la charte balance entre diagnostic lucide et solutions radicales. Elle se fonde sur l’équilibre entre l’individuel et le collectif, ainsi que sur trois grands principes directeurs : le zoning ou séparation des fonctions ; la hiérarchisation et la séparation des voies de circulation, qui marquent l’adaptation de la ville à l’automobile; la densification en hauteur au profit d’une ville verte. La charte condamne enfin la rue-corridor, au nom de l’hygiène, de la morale et de la bonne gestion du sol. Après la Libération, La Charte d’Athènes est rapidement rééditée et s’impose comme un ouvrage de référence dans le monde entier.

Grande affiche annonçant l’inauguration du quartier des Gratte-ciel signée « A. Boucherat Jeune, 33 ». Large poster announcing the official opening of the Centre des Gratte-Ciel, signed “A. Boucherat Jeune, 33”.

Inventing


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roads used by vehicles. Contrary to Garnier, Le Corbusier was influential as much because of his writing as for the quantity of his creations. In 1943 he published the Charte d’Athènes, a collective work written in 1933 by the European avant-garde of the Congrès Internationaux d’Architecture Moderne (CIAM). Divided into five chapters – Living, Leisure, Work, Circulation, Historic Heritage – the charter combined lucid diagnosis with radical solutions. It was based on the balance between

the individual and the community as well as on three key principles: zoning or separation of functions; the ranking and separation of traffic routes which showed the extent to which city planning was adapting to the car; and high density and high rise housing for a greener city. Lastly the charter condemned the corridor street because of its negative impact on hygiene, as well as for reasons of morality and effective land management. After France’s liberation, the Charte d’Athènes was republished and adopted


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Agir Taking Action

Paysage urbain contemporain hérité de la politique des grands ensembles. Modern urban landscape that was a direct result of the collective housing policy.

Cité de Sarcelles en 1963 La politique des grands ensembles a imposé une vision très appauvrie de la Charte d’Athènes, répondant surtout à une logique économique. The collective housing policy forced an extremely weakened application of the Athens Charter, responding almost solely to economic factors.

Les grands ensembles : triomphe et avatars de l’Utopie De 1953 à 1973, la politique des grands ensembles voit la construction de plus de huit millions de logements sociaux. Si quelques opérations, tel Firminy-Vert, témoignent d’une réelle ambition, la plupart modifient durablement le paysage urbain et imposent une vision appauvrie de la Charte d’Athènes. Réduits à l’indigente typologie de la barre, de la tour et du plot, tracés suivant un plan répondant à la logique économique du chemin de grue, construits selon la logique absurde du moins-disant, sous-équipés, rejetés en banlieue sans connexion forte avec les centres urbains, la majorité des grands ensembles deviennent rapidement des lieux d’exclusion, dévalorisés après avoir été souvent accueillis avec enthousiasme, tant ils représentaient un incontestable progrès social. On oublie que la critique apparaît dès les années 1950, parfois au sein du MRU et parmi les architectes modernes euxmêmes, mais la machine administrative, économique, industrielle, lancée à plein régime, ne faiblit pas avant la directive Guichard qui, en 1973, met fin à cette politique. Si la réaction critique prend alors de multiples formes, il s’agit toujours de combattre la banalité et la monotonie de ces grandes cités où l’équilibre entre le collectif et l’individuel est rompu. L’opération de Givors s’inscrit dans cette réflexion, mais sans rompre avec les idéaux de l’utopie première.

Vue aérienne partielle de Firminy-Vert en 1966. The Le Corbusier site in Firminy: aerial view in 1966.

Jusqu’en 1945, devant l’immobilisme de l’État, l’initiative vient souvent des nouvelles municipalités socialistes. L’absence ou la carence de structures financières, réglementaires ou juridiques permettant de développer des opérations ambitieuses contraint souvent ces municipalités à faire preuve d’invention ou à transgresser les lois existantes. C’est le cas à Villeurbanne, où il faut imaginer le règlement d’urbanisme en même tant que se conçoit l’opération du quartier des Gratte-ciel, mais également à Givors, où Camille Vallin obtient « qu’il soit dérogé de A à Z à toutes les règles » d’urbanisme. Malgré la multiplication des lois d’incitation à la construction – Siegfried (1894), Strauss (1906), Ribot (1908), Bonnevay (1912) et Loucheur (1928) –, l’élite dirigeante ne prend pas la mesure de l’urgence de la situation avant la Seconde Guerre mondiale. À la Libération, le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) lance enfin une réflexion à long terme sur la ville et l’habitat, afin de moderniser, normaliser et industrialiser le bâtiment. De 1944 à 1958, pas moins de vingt ministres se succèdent à la tête du MRU. Hormis Raoul Dautry, seul Eugène Claudius-Petit, futur maire de Firminy, peut engager un travail sur la durée pendant les cinquante-deux mois que dure son mandat (1948-1953).


Up to 1945, in the face of the State’s inaction, initiatives often came from the new socialist municipalities. As the absence or shortage of financial, statutory or judicial bodies hindered them in their efforts to develop largescale projects, the municipalities had to adopt a more innovative approach or flout existing laws. Such was the case for Villeurbanne, where urban planning procedures were drawn up at the same time as the project to build Le Quartier des Gratte-Ciel was being developed, and similarly in Givors where Camille Vallin obtained the permission “to ignore, from A to Z, all existing rules” of urbanism. Despite the increasing numbers of laws passed that encouraged building - Siegfried (1894), Strauss (1906), Ribot (1908), Bonnevay (1912) and Loucheur (1928) – the governing elite did not fully apprehend the urgency of the situation until after the Second World War.

After the Liberation, the Ministry for Reconstruction and Urbanism (M.R.U) finally launched a long term study on cities and housing, concentrating on the modernisation, standardisation and industrialisation of the building industry. Between 1944 and 1958, no fewer than 20 ministers came and went at the top of the MRU. With the exception of Raoul Dautry, only Eugène Claudius-Petit, who eventually became Mayor of Firminy, managed to commission any work over the 52-month period during which he was in office (1948-53). The “grands ensembles”: Utopia’s Successes and Failures Between 1953 and 1973, the policy for creating “grands ensembles” (vast areas of modern collective housing) resulted in the construction of over eight million units. Whilst some of the projects, such as Firminy-Vert, display genuine vision, the


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Agir Taking Action

Quartier des États-Unis à Lyon Chantier de construction. Building site for the Etats-Unis district in Lyon.

Unité d’habitation de Firminy-Vert Chantier de construction, 1966. Firminy-Vert in 1966.

Quartier des Gratte-ciel à Villeurbanne Structures métalliques géantes des deux premiers groupes de logements en construction, années 1930 (reportage commandé par la société L’Avenir, coopérative ouvrière de bâtiments et travaux publics qui a construit le quartier des Gratte-ciel). Le Rize, archives de Villeurbanne. Giant metallic structures of the first two housing blocks to be built during the 1930s (report commissioned by L’Avenir, a workers’ cooperative involved in buildings and public works, which built the Gratte-Ciel development).

Adapter le monde du bâtiment Du rationalisme de Garnier à la logique de la complexité chère à Renaudie, en passant par le désir propre aux Modernes de mettre l’architecture en équation, l’architecture des Utopies réalisées porte une ambition sociale et politique, tout en formalisant un projet plastique révolutionnaire. Elle illustre également les différents moments d’une mutation méthodologique du monde de l’architecture et de l’urbanisme. Le souci du contrôle y confine à l’obsession : en témoigne la volonté de remplacer les matériaux naturels, jugés «peu fiables», par des matériaux artificiels. L’architecture moderne se confond avec celle du béton armé, dont la mise au point est principalement le fait d’ingénieurs français et allemands dès la fin du XIXe siècle. Cependant, plus que son aspect, c’est la nature artificielle du béton qui séduit les Modernes. Béton ou métal facilitent l’industrialisation, le contrôle de qualité, la préfabrication et la rationalisation de leur mise en œuvre sur des chantiers organisés comme des chaînes de montage d’usine. Le matériau artificiel permet encore de dépasser les particularismes locaux, le folklore, et d’atteindre par le calcul et la production contrôlée une culture constructive universelle.


Cité des Étoiles à Givors Chantier de construction. Building site at La Cité des Etoiles.

majority of them were based on an impoverished version of the Charte d’Athènes and ended up changing the urban landscape on a permanent basis. Reduced to the mediocre categorisation of a bar, a tower and a block, drawn according to a plan that responded to the economic logic of using a crane, built according to the absurd logic of the cheapest proposal, under-equipped, banished to the suburbs with no strong connection to the urban centre, most of the “grands ensembles” quickly became disreputable places of exclusion after having previously been welcomed with enthusiasm, as they definitely represented social progress. It is easy to forget that criticism of the projects began as early as the 1950s, sometimes even from within the M.R.U and amongst the

modernist architects themselves, but the administrative, economic and industrial machine which had been un-leashed did not slow down until the Guichard directive in 1973, which put an end to the policy. The critical reaction then took on different forms, but essentially it continued to wage war against the banality and the monotony of these vast cities where the balance between the collective and the individual had been so brutally fractured. The project in Givors was also subjected to the same critical scrutiny, but was not considered to have broken with the first utopian ideals.


Quartier des Gratte-ciel à Villeurbanne La technique de construction de cet ensemble : structure métallique, pose des planchers, remplissage en brique et enduit des murs, 1932. Le Rize, archives de Villeurbanne. Plate showing the building techniques used to construct the Gratte-Ciel: metallic structure, position of floors, wall bricks and coating, 1932.

Couvent de la Tourette Le Corbusier visitant le chantier avec les frères dominicains en 1959. Le Corbusier visits the Couvent building site with Dominican monks in 1959.

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Agir Taking Action


Changing the World of Construction Whether it was based on the rationalism favoured by Garnier, the logic of complexity dear to Renaudie, or the need to place architecture in its own modernist equation, the architecture of the Utopies Réalisées had certain points in common: it bore a social and political goal and launched a revolution in the plastic arts. It also illustrated the different periods in the transformation of methods used in the world of architecture and urban planning. Ensuring control became an obsession, hence the desire to replace natural materials that were judged “unreliable” with artificial materials. Modernist architecture became synon-

ymous with reinforced concrete, which French and German engineers had begun perfecting as early as the end of the 19th century. However, it was not only the concrete itself that appealed to the modernists but its artificial aspect. Both concrete and metal facilitated the industrialisation of the process, quality control, prefabrication and the streamlining of construction on site, which was organised much like a factory production line. The use of artificial materials also enabled local details and folklore to be transcended, and a universal building philosophy to be applied via calculation and controlled production.



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