Nota numéro 2 juin — août 2022

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Les bibliothèques au grand air Lectures d'été △ 3 — Le magot monstre du Cinoche △ 4 — Mangamania △ 10 — La musique en suspension △ 16 — La rumba congolaise de Brazzaville-sur-Grottes △ 20 — K-pop, des chorés venues de Corée △ 23 — L'archipel des bibliographies △ 24 — Les deux mondes des Eaux-Vives ne font plus qu'un △ 36 — Une Genève de clips et de sons △ 42 — Mobithèque, un vrai lieu sur roues △ 48 — L'amour, l'argent et la santé à l'orée du bois △ 57

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numéro 2

Le magazine des Bibliothèques municipales de la Ville de Genève

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Édito Se faire connaître, dehors comme dedans Dans notre pays, la lecture est largement répandue. Près de 80% de la population lit des livres et 30% en lit même assidûment, à savoir en moyenne plus d'un par mois. En Ville de Genève, une personne sur dix fréquente régulièrement l’une de nos bibliothèques. C’est bien, mais, à l’image de nos homologues des pays nordiques, nous pourrions intéresser un plus large public. Ainsi, alors qu'elles regorgent de trésors de lectures en tout genre et pour tous les âges, mis à disposition gratuitement, nos bibliothèques sont confrontées à un défi majeur ; celui de se faire connaître et inciter le plus grand nombre à les fréquenter. L'élargissement et la fidélisation de nos publics figurent ainsi parmi nos objectifs stratégiques pour lesquels nous déployons de multiples ressources et et auxquels nous consacrons beaucoup d'énergie. Nos efforts de communication, notamment digitale, s'inscrivent bien évidemment dans cette dynamique. Tout comme nos actions de médiation grâce auxquelles nous développons une multitude de partenariats, par exemple avec les crèches, les écoles ou d'autres institutions culturelles, partenariats qui nous permettent de faire venir à nous de nombreuses personnes, jeunes et moins jeunes, souvent pour la première fois. Avec nos actions et nos services hors murs, nous changeons de paradigme. Plutôt que de faire venir, nous allons vers. À celles et ceux qui ne peuvent se rendre en bibliothèque, nous proposons divers services en ligne, accessibles en tout temps et en tout lieu, tels que livres numériques, méthodes d'apprentissage, Interroge (service de référence qui répond à toutes vos questions) et actions diverses de médiation. Pour celles et ceux qui n'osent pas se rendre en bibliothèque, qui n'y pensent simplement pas, ou qui ont encore une vision désuète de nos sites et de nos prestations, nous allons à leur rencontre durant l'été, lors de certaines manifestations ou en investissant l'espace public. Cet été, comme les précédents, vous nous retrouverez ainsi à la Fête de la Musique : une occasion de vous rappeler que nous vous offrons également une collection étendue de CD musicaux à la Bibliothèque de la Cité. Vous nous retrouverez aussi dans deux parcs de la Ville avec une sélection de documents (livres, disques, DVD…), des conseils professionnels et avisés, ainsi qu'une programmation d'actions de médiation pensée pour partager de bons moments et vous dire, surtout si vous figurez parmi les 80% de la population qui apprécie la lecture, que les Bibliothèques municipales, souvent proches de chez vous, vous accueillent avec plaisir durant toute l'année.

Brèves

Découverte

La bibliothèque de la Servette s'agrandit Depuis le 1er mars, on accède à la bibliothèque via un tout nouvel espace situé directement sur la rue de la Servette. C'est là que se trouvent dorénavant les desks de retour des documents empruntés et les 3 bornes de prêt, mais également les collections BD & DVD (adultes et ados) ainsi qu'un espace entièrement dédié aux mangas.

Horaires d’été des Bibliothèques municipales, du mardi 5 juillet au samedi 20 août 2022 Les bibliothèques de quartier vous accueillent selon un horaire d’été harmonisé pour tous les sites (voir les horaires dans les pages «Trop pratique» à la fin de ce numéro). La bibliothèque de la Cité est fermée du mardi 5 au vendredi 8 juillet 2022 (réouverture le samedi 9 juillet) et s’ouvre ensuite de 10h à 17h du mardi au samedi.

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Inspiration

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Au sommaire ! Tout vite

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Lectures d'été … et pages 15, 23, 35, 41, 47, 57.

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Dedans/Dehors

En coulisses

Le magot monstre du Cinoche

42 Une Genève 24 L'archipel de clips et de sons des bibliographies Lorsque les bibliothécaires 48 Mobithèque, sont des cigales un vrai lieu Pop cultures, d’Abba à Zorro Naviguer le monde, sur roues une bibliographie à la fois

10 Mangamania 16 La musique en suspension Un portrait-robot du public mélomane ?

Pour Frédéric Baillif, tout a commencé à Geisendorf

Espaces

36 Les deux mondes des Eaux-Vives ne font plus qu’un

Une histoire de pirates et de buffet à volonté La rumba congolaise de Brazzaville-sur-Grottes

L'amour, l'argent et la santé à l'orée du bois

Un escalier, ça peut tout changer Un demi-siècle d’attente pour une bibliothèque

K-pop, des chorés venues de Corée

Et plus, sur catalogue-bm.geneve.ch/nota

Nota est le magazine des Bibliothèques municipales de la Ville de Genève. Il paraît trois fois par an à la mi-janvier, la mi-juin et la mi-août.

Rue de la Tour-de-Boël 10 Case postale 3930 1211 Genève 3 webbmu@ville-ge.ch

N° 2 juin-août 2022

Directrice de la publication Véronique Pürro, directrice des Bibliothèques municipales

Comité éditorial : Florent Dufaux (responsable des ressources technologiques et numériques), Laura Györik Costas (responsable de la médiation culturelle), Jean-Pierre Kazemi (chargé de communication, responsable de la publication), Véronique Pürro (directrice des Bibliothèques municipales), Nic Ulmi (rédacteur responsable Nota)

Rédaction Nic Ulmi

Police de caractère Alex Dujet

Conception graphique Atelier Delcourt

Impression Imprimerie du Moléson

Tirage 3'000 exemplaires Gratuit

Crédits photo — Couverture : BGE — p. 3 : CC / Pexels / Anete Lusina — pp. 4, 6, 7 : Bibliothèques municipales / Nic Ulmi — pp. 8, 9 : Bibliothèques municipales / Martin Läng — pp. 11, 12, 13 PictureLux / The Hollywood Archive / Alamy Banque D'Images, CC / Flickr / Kami Sama Explorer Museum, 123rf, CC / Unsplash / Maha Khairy — p. 14 CC / Peakpx / Unsplash Jason Leung — pp. 17, 18 : Bibliothèques municipales / Jean-Pierre Kazemi — p. 20, 21 : CC / Wikimedia Commons / Jeanne Vu Van — p. 22 : CC / Wikimedia Commons / Dieu Linh — p. 24 : CC / Pixabay / Chenspec — p. 26 : CC / Wikimedia Commons / Douglas Fairbanks Pictures Corporation — United Artists — p. 27 : CC / Peakpx — p. 28 : CC / Pixabay / Kerttu — p. 29 : CC / Pixabay / Rainhard Wiesinger — p. 30 : CC / Pixabay / Firaangella1 — p. 35 : Katarzyna Pe — p. 36, 37, 38 : Lisa Frisco — p. 39, 40 : Monique Delley — p. 48-53, 56 : Bibliothèques municipales / Laura Györik Costas — p. 55 : Frédéric Baillif — p. 58, 59 (bas) : Frank Mentha — p. 59 (haut) : Nicolas Righetti


Tout vite

Qu'est-ce que c'est qu'une « lecture d'été » ? Est-ce la sœur livresque du « tube de l'été » (une « Lambada » une « Macarena » une « Aserejé » en papier) ? La cousine romanesque du summer blockbuster au cinéma (Les Dents de la mer, SOS Fantômes, Babe le cochon) ? L'enfant naturelle du livre de poche et des congés payés ? Ou alors est-elle tout à fait autre chose ? Est-ce que l'été, on lit autrement, ailleurs, d'autres pages ? Quelques réponses livrées par les équipes des BM et du Département de la culture et de la transition numérique s'éparpillent tout au long des pages de ce numéro.

Êtes-vous plutôt pavé ou Lambada en papier ?

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Le monstre

Cinoche

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magot du


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Il était une fois, dans un passé à la fois déjà lointain et encore tout frais, un vidéoclub appelé Le Cinoche. Ouvert en 1984 dans la commune genevoise de Chêne-Bourg — au 10, rue Peillonnex, 200 mètres au sud de la nouvelle gare du Léman Express —, le lieu se désignait, avec une simplicité remplie de fierté, comme « la vidéothèque des cinéphiles ». Et c'était vrai : pour le public passionné d'œuvres classiques et de cinéma d'auteur-e, c'était la source où s'abreuver en cassettes VHS, puis en DVD et en BluRay de « grands films ». On croyait même savoir que le réalisateur Jean-Luc Godard s'y rendait une fois par semaine, et que son confrère Alain Tanner était également un habitué. Mais comme l'éléphant dans la fable des aveugles, qui est identifié à tâtons comme un arbre ou comme un serpent selon qu'on touche telle ou telle partie de son corps, l'identité du Cinoche changeait radicalement suivant l'expérience de la personne qui en parlait. Pour une partie de la clientèle, c'était un antre où on allait se vautrer dans les films d'horreur. Pour d'autres, c'était un rayon pornographique planqué au sous-sol. Pour la plupart, c'était avant tout un réservoir inépuisable de blockbusters, qui faisaient tourner la boutique en rapportant plus de deux tiers du chiffre d'affaires. Pour d'autres encore, qui avaient peut-être tout compris, c'était tout simplement un lieu

autour de l'an 2000, il n'en reste que six en 2015. Le propriétaire du Cinoche déclare alors que désormais, « notre rentabilité est de zéro ».

Un raz de marée de DVD Que faire ? En 2016, une pétition appelée « Sauvons le Cinoche » récolte 800 signatures. Un client du vidéoclub, le Chênois Alain Kolly, qui dirige alors les Établissements publics pour l'intégration (EPI, voués à l'emploi de personnes en situation de handicap ou en difficulté d'insertion), engage alors son institution dans le rachat de l'enseigne. Temporairement sauvé, le Cinoche deviendra en 2017 le seul vidéoclub genevois encore en activité, puis, en 2019, le tout dernier survivant de sa branche dans l'ensemble du pays. Mais la fréquentation continue à baisser, et les EPI tirent la prise en 2019. Le Cinoche ferme définitivement le 30 juin, après un défilé de fidèles qui lui témoignent leur affection et leur affliction. Reste à savoir quoi faire du trésor filmique accumulé. Le détruire ? Pas question. Le vendre ? Quelques essais ont lieu, avant même la fermeture, mais l'opération ne décolle pas. L'offrir purement et simplement au public genevois, par l'intermédiaire d'une institution telle que les Bibliothèques municipales qui le mettrait à sa disposition ? Cette idée finit par s'imposer. Une convention de don est signée à l'automne 2020. Pour les cinéphiles, c'est une bonne nouvelle. Pour les équipes des BM, c'est tout d'abord un raz de marée.

Le dernier vidéoclub de Suisse, célébré autrefois comme le paradis des cinéphiles, a fermé ses portes à Chêne-Bourg en 2019. Aujourd'hui, ses 35'000 films sont en train de déferler sur les Bibliothèques municipales auquel rien ne manquait. « Je prends et garde tout ce qui existe afin d'avoir le choix le plus vaste possible », déclarait en 2005 le propriétaire, Pierre-Alain Beretta, dans la Tribune de Genève. La presse parlait du Cinoche comme du « meilleur vidéoclub de la République » comme d'une « caverne d'Ali Baba », comme d'un « coffre à trésors ». Mais aussi, à partir du milieu des années 2010, comme d'un spécimen d'une espèce en danger. Payer une demi-douzaine de francs pour louer un DVD pendant une journée est en effet une habitude qui tend à disparaître au cours de cette décennie. Des 80 enseignes que le canton compte à la grande époque de la cassette VHS, puis des 60 qu'on dénombre

« Nous avions fait une étude, un calcul volumétrique à partir du nombre de films attendus — on parlait de 35'000 — pour déterminer la place de stockage qu'il nous faudrait. Selon ces prévisions, tout devait rentrer dans notre box au sous-sol », raconte François Gerber, responsable des acquisitions à l'Unité de gestion des collections des BM (UGESCO). Seulement voilà : « Le transport s'est fait en trois chargements, en février 2021. Dès la première cargaison, lorsque nous avons vu descendre le pont du camion, nous nous sommes dit : ça ne rentrera jamais. » De la cave, remplie du sol au plafond, le stock déborde vers les bureaux, formant des murailles épaisses comme des forteresses.

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Vertige du tri

Les traces du Cinoche en ligne – La machine à remonter le temps du site Internet Archive permet encore de naviguer quelque peu dans le site du Cinoche, conservé de façon sommaire dans sa version de 1999, de 2016 ou de 2019. Rendez-vous sur le site web.archive.org et tapez «www.lecinoche.ch» dans la case de recherche. – À l'heure où nous écrivons ces lignes, si on rentre l'adresse du vidéoclub (10, rue Peillonnex) dans Google Maps, on tombe toujours sur sa sa devanture.

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Lorsqu'on se met à piocher là-dedans, nouvelle surprise : entre les objets physiques et la liste qui les accompagne, la numérotation ne colle pas. « Souvenez-vous : comme dans la plupart des vidéoclubs, les rayons du Cinoche exposaient des boîtiers vides, accompagnés de petites cartes portant des numéros qui correspondaient non pas aux films, mais aux différents exemplaires de chaque DVD. Pour les titres à succès, le nombre d'exemplaires pouvait aller jusqu'à 18… Vous preniez donc une de ces cartes, vous alliez au comptoir, la personne partait chercher le disque à l'arrière et vous le donnait dans un boîtier neutre, sans sa jaquette d'origine qui, elle, restait exposée sur place. Ce qui manquait, c'était le fichier qui aurait permis d'associer chaque titre à ses exemplaires. Manifestement, il était perdu », détaille François. Double vertige : il faut se débrouiller, pour commencer, pour retrouver les disques à partir de leur jaquette. « Surtout, on a réalisé que le nombre était bien plus élevé que prévu : on attendait 35'000 films, on se retrouve avec 55'000 DVD et Blu-ray. » Commence alors un premier tri. Qu'est-ce qu'on rejette ? « Le premier critère d'exclusion portait sur les caractéristiques techniques. Autrefois, l'encodage numérique des DVD variait selon les régions géographiques, pour permettre aux maisons de production de maîtriser la distribution sur le marché. Vous aviez notamment une zone 1, nord-américaine, associée à un format vidéo appelé NTSC, et une zone 2, européenne, associée au format PAL/SECAM. En général, les DVD zone 1 n'étaient pas lisibles sur les lecteurs réglés sur

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la zone 2, et vice-versa. » Les disques zone 1 sont donc éliminés. Quoi d'autre ? « Nous n'avons retenu ni les films en 3D, ni les Blu-ray 4K Ultra HD, en très haute définition, car il faut dans les deux cas des appareils spéciaux pour les lire. » Tout ceci aurait peut-être été gardé si les Bibliothèques municipales étaient vouées à l'archéologie des nouvelles technologies… ou si elles étaient un musée des fausses bonnes idées. On se souvient en effet d'une époque, au début des années 2010, où on pensait que la technologie 3D (qui donne aux films l'illusion du relief) allait peut-être sauver le marché du DVD. Deuxième décision, qui pourrait paraître contre-intuitive : « Nous avons gardé tous les films qui figuraient déjà dans notre catalogue, pour lesquels nous n'avions donc pas besoin de nous demander s'ils avaient leur place chez nous. » Ces doublons — il y en a 14'000 — sont conservés en tant que « réassort » et stockés dans le sous-sol de la bibliothèque des Pâquis, d'où ils pourront resurgir en cas de besoin, pour remplacer des DVD perdus ou abîmés, ou en cas de désir, pour enrichir l'éventail des bibliothèques qui les voudraient. Le tri suivant porte sur le reste : les 17 à 18'000 titres que les BM ne possédaient pas encore.

Des vagues d'horreur Premier étonnement : une impression de coq-àl'âne, loin de la logique bibliothécaire où le voisinage entre « documents » (livres, disques, films…) indique en général une proximité de leurs contenus. « Ici, en piochant, on rebondit tout à coup d'une super sélection de films classiques à l'intégrale de Bud Spencer


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Tout sort tout le temps au rayon DVD « Il y a une chose à savoir pour les DVD : tout sort tout le temps », signale Martin Läng, collaborateur de l'Unité de gestion des collections des BM (UGESCO) après avoir longtemps travaillé au rayon cinéma de la bibliothèque de la Cité. À la différence des livres, qu'on finit par éliminer du catalogue ( « désherber », comme on dit en langage bibliothécaire) lorsque personne ne les emprunte plus depuis plusieurs années, tous les films des bibliothèques municipales sont toujours empruntés. Si l'habitude de louer des DVD dans des vidéoclubs a disparu, la pratique consistant à en emprunter (gratuitement) en bibliothèque ne faiblit donc pas. « Il n'y a pas de concurrence entre ce que le public emprunte chez nous et ce qu'il regarde en streaming. Dans l'offre en ligne, on va chercher le dernier blockbuster, le film dont tout le monde parle, des titres récents… mais contrairement à ce qu'on pourrait s'imaginer, sur Internet il n'y a pas tout. Aux BM, nous essayons de cibler un cinéma hors mainstream, pour que le public puisse voir des œuvres qu'il ne trouvera pas sur des sites pirates ou sur Netflix et compagnie. »

et Terence Hill, des séries B italiennes des années 70-80, entre comédie et film d'action, basées sur des successions de scènes de baston », raconte Martin Läng, l'un des membres du groupe de sélection. Au sein de l'équipe, ces films suscitent des discussions effervescentes. Entre le navet pur et simple, le « nanar » qui amuse par ses défauts, le « film culte » vénéré d'une manière quasi religieuse par un public de niche et le film auquel on octroie le statut de « classique », la frontière est parfois floue…

Résultat ? « Cette approche fait venir pas mal de monde, y compris des jeunes. Aujourd'hui toutes les consoles de jeu sont d'ailleurs équipées en lecteurs Blu-Ray (qui lisent aussi les DVD), on n'a donc même plus besoin d'acheter un appareil dédié pour voir des films. » À la différence de ce qui se passe dans le domaine du livre, où les best-sellers sont toujours demandés, les films à succès ne font pas spécialement courir le monde vers le rayon DVD des bibliothèques. « Il y a aussi le plaisir de butiner : on cherche, on cherche, et pour finir on trouve souvent autre chose que ce pourquoi on était venu-e. »

« Dans le lot, il y avait aussi des films d'horreur à n'en plus finir, surfant souvent par groupes sur une même vague : pour chaque film comme Des serpents dans l'avion (2006), il y en avait à coup sûr cinq ou six semblables derrière… Ce phénomène d'imitation est hyper répandu : vous avez la mythologie grecque revisitée dans Le Choc des Titans (1981), et dans la foulée vous tombez sur une demi-douzaine de films qui ont presque le même titre et la même couverture », reprend Martin Läng. Garder, ne pas garder, retenir l'original, virer les clones ? Le débat n'est pas clos. Entre-temps, la bibliothèque de la Cité a commencé une sélection de « séries Z ». Exemple ? L'attaque de la moussaka géante (1999), qui montre exactement ce que son titre promet, avec 7


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les rues d'Athènes envahies à coups d'aubergines depuis une soucoupe volante… Est-ce qu'il y a, par ailleurs, des films qu'on recale car trop enfoncés dans un système de valeurs qu'on souhaite dépasser ? « Les films d'”auto-justice” des années 80, imitations de la série L'Inspecteur Harry avec Clint Eastwood qui en avait lancé la mode, glorifiant des figures de justiciers autoproclamés, ne passeraient plus tellement aujourd'hui », relève Martin Läng.

Un tsunami au compte-gouttes Du côté de la cinéphilie « sérieuse », tournée vers le cinéma d'art et d'essai et vers l'histoire sociale et culturelle du « Septième art », le fonds du Cinoche réserve également des surprises à l'équipe de sélection. Voici Bella ciao (2001), avec Jacques Gamblin, histoire d'un couple toscan qui fuit l'Italie fasciste pour l'Amérique et se retrouve par accident à refaire sa vie à Marseille ; ou Orca (1977), avec Charlotte Rampling, thriller sanglant où un prédateur humain est confronté à la vengeance d'un mammifère marin : « Deux films que j'avais longtemps cherchés sur le marché, sans jamais les trouver », note Divya Jagasia. Voici Echo Park. L.A. (2006), « un film important dans l'histoire du cinéma gay latino-américain, qui avait d'abord été écarté parce que sa couverture semblait annoncer une bête série télé », raconte Francesco Ceccherini. Voici encore Graffiti Party (1978), « un film de surf qui, de prime abord, n'a pas l'air terrible, mais qui après quelques recherches se révèle être le fondateur d'un genre », relève Géraldine Veyrat. Et ensuite ? En février 2022, une année après le déferlement de cette avalanche filmique, les titres sélectionnés ont commencé à être proposés aux bibliothèques du réseau, qui déterminent au bout du compte le sort de chaque film en faisant leur marché chaque mois dans une liste de 200 titres préparée par l'équipe de sélection. À l'heure où nous bouclons ce numéro, en mai 2022, 346 titres ont été retenus, en fonction des critères de choix propres à chaque bibliothèque, mais aussi de la place disponible. C'est ainsi que des titres tels que Karate Kid (1984) ou L'Opéra de quat'sous (1931) arrivent en rayon. D'autres restent sur le carreau : un dessin animé de la série Barbie, des films français pourtant

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qualifiés de « classiques » avec Arletty ou Jeanne Moreau, des titres hollywoodiens avec l'enfant star Shirley Temple… Les recalés sont retriés, partagés entre des titres qu'on élimine définitivement et d'autres qu'on garde pour les reproposer en leur donnant une deuxième chance. À ce rythme, le processus va prendre, selon les estimations, quelque sept ans. Pour suivre les arrivages dans les rayons des bibliothèques, on cliquera sur l'onglet « Nouveautés par date » dans la liste des films sur le catalogue en ligne (http://bit.do/ bm_films) et on tentera de deviner quels sont les titres vintage issus du fonds du Cinoche. Il s'agit donc d'une intégration discrète et progressive plutôt que d'une arrivée massive qui métamorphoserait d'un coup les collections cinématographiques des Bibliothèques municipales, dont la taille actuelle — 34'000 titres entre DVD et Blu-Ray — est en gros la même que celle du fonds du Cinoche… Un raz de marée qui se convertit en comptegouttes, si on veut. Mais pour quelqu'un qui se mettrait à suivre les arrivages au fil du temps, il y a tout de même de quoi s'occuper. Avec, par exemple, Ghosted (2009), romance germano-taïwanaise. Ou Notorious (pas le film de Hitchcock, celui sur le rappeur The Notorious B.I.G). Ou Sous les yeux de l'Occident (1936), film d'espionnage situé en partie à Genève.

Sources citées sur l'histoire du Cinoche Ariane Ferrier « Mission : possible — Des étoiles plein les yeux… » Tribune de Genève, 28 juillet 2001

Laurence Bézaguet « La mobilisation cinéphile a payé, le dernier vidéoclub genevois est sauvé » Tribune de Genève, 30 mai 2017

Aymeric Dejardin-Verkinder « La caverne d'Ali Baba des cinéphiles » Tribune de Genève, 17 juin 2005

« Clap de fin pour le dernier vidéoclub du bout du lac » 20 minutes online, 1er juillet 2019

Isabel Jan-Hess « Le Cinoche fête 30 ans de cinéma et survit au Web » Tribune de Genève, 3 septembre 2014

Romain Deshusses « Le vidéoclub, espèce disparue en Suisse » tdg.ch, 16 juillet 2019

Christophe Robert-Nicoud « Les vidéoclubs genevois sont en voie de disparition » Tribune de Genève, 27 août 2015


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Le tournis : c'est ce qui nous prend face à la tornade tourbillonnante de la culture manga. Tournis des chiffres, pour commencer. Avec ses 500 millions d'exemplaires écoulés dans le monde, la saga One Piece (une histoire de pirates en quête d'un trésor) est la série d'albums de bande dessinée la plus vendue de tous les temps, loin devant Astérix avec ses 370 millions. Et l'hebdomadaire Weekly Shōnen Jump, spécialisé dans le manga d'aventure, est le magazine de BD le plus répandu de la planète avec ses 7,6 milliards d'exemplaires depuis sa création en 1968 (la Bible, plus gros best-seller de tous les temps, compte à titre de comparaison 5 à 7 milliards d'exemplaires écoulés à ce jour selon le Livre Guinness des records). Vertige, aussi, de la circulation en bibliothèque. « Certaines séries, telles que Naruto, bougent tellement vite entre un prêt et l'autre qu'on ne les voit pratiquement jamais dans nos rayons. Suivre le fil de l'histoire d'un volume à l'autre s'avère du coup très compliqué. Mais les enfants se débrouillent, vont dans plusieurs bibliothèques, réservent les exemplaires, empruntent les volumes dans le désordre et se les échangent ensuite dans les cours d'école, donnant vie à un réseau de prêt parallèle », raconte Géraldine Maion, bibliothécaire à la BM Cité. Tournis également face aux rythmes de production. Les magazines hebdomadaires du type Weekly Shōnen Jump, dans lesquels les mangas sont « pré-publiés » avant d'être recueillis en livres, comptent 500 pages par numéro. Aussi épais que des annuaires téléphoniques, ils donnent aux kiosques à journaux japonais une allure particulière. « J'ai des échanges avec des amateurs et amatrices de bande dessinée qui refusent de lire des mangas parce que le dessin n'est pas assez élaboré à leur goût. Je leur explique que les dessinateurs et dessinatrices de mangas font 40 planches par semaine, alors que dans la BD franco-belge on en fait plutôt 40 en une année », signale à ce propos Sandra Woelffel, bibliothécaire à la BM Minoteries.

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a commencé via la télé avec le Club Dorothée (19871997), l'émission qui a permis aux dessins animés japonais, généralement tirés de mangas, de prendre leur essor sous nos latitudes », se souvient Sandra. Cette première immersion laisse des souvenirs émus, mais aussi l'écho de quelques controverses et d'un certain nombre de chocs télévisuels. « L'équipe du “Club Do'” ne se renseignait visiblement pas assez sur ce qu'elle achetait, et finissait souvent par diffuser des séries pas adaptées aux enfants », reprend Sandra. « Après un épisode de Candy, on tombait par exemple sur une série hyper violente intitulée Ken le survivant. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles à cette époque-là, les dessins animés japonais n'étaient pas très bien vus », renchérit Géraldine. Mathieu Rocher, journaliste français spécialisé dans la culture pop japonaise, revenait sur ces flottements lors d'une conférence à la BM SaintJean, en avril dernier : « Lorsque la France a ouvert le robinet au dessin animé japonais, dans les années 80,

Alors que la culture manga traverse la quatrième décennie d’une carrière triomphale en francophonie, on plonge dans cet univers où tout donne le tournis en compagnie des bibliothécaires des BM et du journaliste français Mathieu Rocher

Quand Dorothée ouvrait le robinet Production frénétique, propagation massive, circulation ultra rapide… Avec tout cela, la culture manga traverse actuellement sa quatrième décennie de carrière en francophonie. Flash-back : « Pour moi, comme pour beaucoup de monde de ma génération, la découverte 10

les chaînes de télé se sont dit que tout était forcément destiné aux enfants, et n'ont pas trop pris la peine de vérifier. En réalité, les Japonais hallucinaient en apprenant que Ken le survivant était diffusé chez nous à 10 heures du matin pour le jeune public… » Aujourd'hui, le partage selon les âges reste très cadré au Japon, mais un certain flou subsiste en Europe autour de séries telles que L'Attaque des Titans ou Demon Slayer, qui circulent auprès d'un public plus jeune que celui auquel elles sont destinées. « En bibliothèque, nous mettons des codes couleur pour indiquer l'âge conseillé, mais nous suggérons aussi que les parents mettent le nez dans les mangas pour éviter les mauvaises surprises », ajoute Géraldine Maion.


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Amour ou action, faut-il choisir ? Une dizaine d'années après sa première vague d'adaptations animées, le manga en papier explose véritablement en francophonie dans la seconde moitié des années 90. « Les maisons d'éditions, confrontées à des séries comme Akira — un manga de science-fiction destiné aux jeunes adultes — ont commencé à remarquer l'intelligence des contenus et les qualités du graphisme. Mais le succès est venu surtout avec le public ado, pour lequel jusque-là il n'y avait pas grandchose dans la bande dessinée franco-belge, et qui s'est reconnu dans ces histoires souvent porteuses d'une dimension initiatique », se souvient Sandra Woelffel. Cet aspect initiatique est central dans le nekketsu (littéralement « sang chaud » ), sous-genre du manga dans lequel s'inscrivent la plupart des best-sellers. Exemple type, Dragon Ball : c'est l'histoire, résume Mathieu Rocher, « d'un jeune garçon plutôt naïf, plutôt gaffeur, doté d'une sorte de queue de singe, dont on découvre petit à petit qu'il renferme en lui un pouvoir incroyable » . Cette dimension initiatique varie fortement entre les séries étiquetées shōnen, qui dominent le marché en s'adressant aux garçons, et les séries shōjo, qui s'adressent aux filles. Au rayon shōnen, où les principaux mangas à succès se situent dans le domaine du nekketsu, le protagoniste surmonte sa fragilité et

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découvre qu'il est un héros aux pouvoirs magiques, prêt à combattre le mal. Et pendant que les garçons s'initient ainsi à des aventures aux proportions mythologiques, les mangas shōjo éduquent les filles à l'amour romantique, en leur proposant de s'identifier à des héroïnes autrefois naïves, aujourd'hui plus audacieuses, mais toujours tournées avant tout vers un projet amoureux. « Aujourd'hui au Japon tout se mélange de plus en plus : les filles lisent également des mangas d'aventure et d'action, les garçons des romances de type shōjo », nuance Mathieu Rocher. Aux BM, le phénomène s'observe aussi, surtout du côté des filles, qui « continuent à lire des shōjo mais dérivent aussi allègrement vers le shōnen », remarque Sandra Woelffel. Les barrières de genre bougent également du côté de la production, avec un nombre croissant de femmes qui font carrière en tant que mangaka (auteur-e de manga). Les contenus des mangas eux-mêmes, en revanche, restent pour l'heure plutôt stéréotypés. « Il y a une résistance face à l'idée de voir des héroïnes dans les shōnen. Du côté du dessin animé, les studios Ghibli ont pu s'appuyer sur leur position dominante pour imposer des héroïnes dans des films d'aventure, mais dans le manga cela reste encore un peu difficile », analyse Mathieu Rocher.


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menu, se dire “tiens, ceci m'a l'air pas mal”, attendre d'être servi, goûter, et enfin donner ses impressions, mélangées parfois à des bribes de souvenirs », détaille Mathieu Rocher.

Maman, j'ai lu 14'000 pages Entre-temps, la réception du manga a largement changé. « Il y a non seulement une demande qui est devenue massive, mais aussi une connaissance et une reconnaissance croissantes des qualités de beaucoup de mangas. Il y a aussi le fait qu'une génération a passé : les enfants qui lisaient des mangas ont eu des enfants à leur tour », observe Géraldine Maion. Pendant ce temps, « la France est devenue le deuxième pays au monde pour la consommation de mangas, devant les autres pays européens, mais aussi devant la Chine et les États-Unis », note Mathieu Rocher.

Mangas de chats, mangas de plats Mais l'aventure et la romance ne font pas le tour de la planète manga. À côté de ces territoires, les séries se déploient en un éventail de catégories aussi précises que variées. On trouve ainsi une abondante palette de mangas sportifs centrés sur le baseball (le sport N° 1 au Japon), sur le volley-ball (en plein boom après la victoire inattendue de l'équipe nationale féminine aux Jeux olympiques de Tokyo en 1964) ou sur le football, qui est plus ou moins ignoré au Japon avant que le succès d'un manga des années 80, Captain Tsubasa, ne pousse le pays à découvrir le ballon et à se doter d'équipes et d'un championnat. Il existe également des mangas sur la natation et l'alpinisme (avec respectivement Swimming Ace et Le Sommet des dieux, très soigneusement documentés), ou encore sur des singularités telles que le karuta, « peut-être le sport le plus inattendu », note Mathieu Rocher.

En bibliothèque, ces albums poursuivent leur carrière tourbillonnante, se plaçant systématiquement au sommet des statistiques d'emprunt dans les ouvrages jeunesse. « Ils peuvent être une porte d'entrée pour des jeunes qui, jusque là, ne lisaient pas beaucoup : les enfants découvrent une série en version dessin animé sur Netflix ou d'autres plateformes de streaming et du coup, pour continuer l'histoire, viennent ici et cherchent des mangas à lire », constate Sandra Woelffel. Au milieu de leur foisonnement visuel, les mangas offrent en effet pas mal de lecture, comme le souligne Mathieu Rocher : « J'ai fait le calcul, si vous prenez tout Naruto, 72 volumes fois 200… vous avez lu un total de 14'000 pages. »

En deux mots ? « Le Karuta est un jeu de 100 cartes que vous posez face à votre adversaire et qui représentent des extraits de poèmes. À côté de vous, un arbitre récite ces extraits et, en l'écoutant, vous devez frapper la carte correspondante. Il y a une vraie folie au Japon autour de ce jeu, vous voyez les mains partir en des gestes super violents. Et on parvient même à en faire des mangas tels que Chihayafuru, dotés d'une tension narrative qui vous tient en haleine. » Il y a aussi des mangas de chats (neko manga) et des mangas de nourriture, comme Le gourmet solitaire de Jirō Taniguchi : « Dans chaque chapitre, on voit un monsieur se déplacer d'un petit restaurant à l'autre, regarder le 13


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juin – août 2022

Être mangaka À quoi ressemble une vie de mangaka, c'est-à-dire d'auteur-e de manga ? « J'ai rencontré Mikio Ikemoto, qui dessine aujourd'hui Boruto, la suite de Naruto. Il vit seul dans son appartement, qui lui sert aussi d'atelier, mais le jour où j'ai été le voir, il avait trois matelas au sol. Il devait terminer un chapitre et il avait invité ses assistants à dormir là, pour travailler de 9 heures du matin à 2-3 heures le matin d'après », raconte Mathieu Rocher, journaliste et auteur français spécialisé dans la culture pop japonaise (on le lit entre autres dans Le Journal de Mickey), invité pour une conférence à la BM SaintJean an avril dernier. Ikemoto n'est « que » le dessinateur des séries Naruto et Boruto, qui ont été créées par Masashi Kishimoto. Mais tout de même… « Je lui ai demandé : “Vous signez les dessins, votre nom est très connu, comment ça se passe lorsque vous rencontrez les fans ? ” Il me répond : “Je n'en ai jamais rencontré”. Je croyais que c'était un blague, mais l'éditeur, qui était là aussi, me dit : “Ah non, on ne lui a pas encore proposé de sortir de son atelier.” Depuis deux ans, il n'avait pas pris de vacances, il ne faisait que dessiner », reprend Mathieu Rocher. Trois mois plus tard, enfin, le journaliste reçoit « un message disant que l'éditeur lui proposait de participer à un festival de manga en Europe. Ikemoto a pu ainsi constater que Naruto et Boruto étaient hyper connus en dehors du Japon, et il a rencontré des gens qui lui demandaient des dédicaces. Il ne s'y attendait pas… »

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À la pression du temps s'ajoute celle du jugement du lectorat. « Dans chaque numéro des magazines où le mangas sont publiés avant de devenir des tankōbon (albums), le public est invité à donner une note à chacune des séries présentées. Si une série arrive dernière dans le classement pendant plusieurs semaines, il n'y a rien à faire, elle doit s'arrêter. C'est même arrivé à une immense star comme Kishimoto : après le méga succès de Naruto, sa série suivante Samurai 8 n'a pas plu et n'a donc tenu que sur une trentaine de chapitres. » Le monde du manga « peut être assez violent », résume Mathieu Rocher. Il peut être aussi assez secret. « Les plus grandes stars sont très difficile à approcher, parfois au point qu'on ne connaît même pas leur visage. Akira Toriyama, l'auteur de Dragon Ball, a donné peut-être deux interviews en 30 ans ». Parfois, dans cet univers implacable, quelqu'un parvient toutefois à faire un choix qui détonne. « J'ai rencontré Konami Kanata, auteure de Chi : Une vie de chat, de Choubi-Choubi : Mon chat pour la vie et maintenant des Chaventures de Taï & Mamie Sue, une nouvelle série du genre neko manga (manga de chats). Après le succès de Chi (2004-2015), elle a quitté Tokyo pour s'installer dans les montagnes de la préfecture de Nagano, quatre heures à l'ouest de la capitale, avec son mari, son fils (qui est devenu son assistant), sa fille et ses chats… Elle fixe désormais son propre rythme, livrant 20 pages par mois. Ce n'est donc pas toujours que de la souffrance. »


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Qu'est-ce que c'est qu'une « lecture d'été » ? « Lorsque j'étais libraire, en été je pouvais lire des romans qui “échappaient” à l'actualité littéraire : c'est alors que je pouvais m'abandonner au Vicomte de Bragelonne de Dumas, par exemple : 3 ✕ 800 pages, quand même… Désormais, je suis moins astreint à cette actualité, et l'été, c'est surtout le plaisir de sortir mon livre, l'installer sur un banc public ou une serviette de bain et faire comme si j'étais à la maison : converser avec lui et le chant des oiseaux, c'est inoubliable ! Pour le reste, je crois qu'il y a eu surtout un “concept” du livre estival : joufflu et rembourré, pas prise de tête et plutôt là pour la reposer, la tête, lorsqu'on est sur une plage : ça ne m'intéresse pas trop. Mais tout ça, c'est très local : les Américain-e-s, pas si idiot-e-s qu'on aime à le prétendre, posent intelligemment leur rentrée littéraire en juin : comme ça le lecteur et la lectrice ont plus le loisir de découvrir ces nouveaux livres lorsque la saison des spectacles se tasse un peu, qu'on prend des vacances paresseuses, et ce n'est pas plus mal ! Car, il faut le dire, cette mode française de nous fourguer 500 nouveautés en deux mois d'automne lorsque nous sommes happé-e-s partout à la fois, c'est du foin, sauf que tout le monde soudain en parle… Au final : en été, les journées sont plus longues, infiniment plus longues, il ne faut pas trop bouger car il fait chaud et moi je dis c'est tout gagné pour un abandon languide à la lecture, toutes les lectures. » — Charles Morisod, aide-bibliothécaire à la BM Cité « L'été, le temps est plus long, les livres aussi. La saison rêvée pour plonger et se prélasser dans des œuvres dont on n'a souvent lu que des bribes. J'ai un faible pour la collection Quarto ; pour les auteur-e-s qu'elle propose bien sûr, mais aussi pour la souplesse de sa reliure et surtout la légèreté de ses pages, qui permet de transporter des univers entiers sans excédent de bagages. » — Natalie Gressot, adjointe de direction au Département de la culture et de la transition numérique

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La musiq en ue n o i s n e susp

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juin – août 2022

À quoi ressemble l'offre sonore d'une bibliothèque depuis que la musique s'est dématérialisée ? Entre une enquête achevée sur l'impact de cette mutation et une réflexion à venir sur ses prochaines métamorphoses, l'Espace musique des BM fait le tour de ses propositions En-dessous de 30 ans, on ne dit plus « un morceau de musique », on dit « un son ». C'est un détail qui change tout, même s'il a l'air de rien. « Un morceau » fait penser en effet à un bout de matière, une chose qu'on mettrait dans la bouche ou qu'on tiendrait dans la main, un objet qui existerait dans le monde physique. « Un son », en revanche, c'est parfaitement immatériel. Ce glissement de langage, apparu peut-être il y a une dizaine d'années et propagé de l'argot à la langue courante, accompagne un changement majeur dans ce domaine : la musique s'est largement dématérialisée, remplissant de plus en plus nos vies, mais de moins en moins nos étagères. Face à tout cela, à Genève comme partout ailleurs, les bibliothèques innovent, expérimentent, s'interrogent. Les BM ont commandé une enquête pour étudier ces mutations et leurs reflets dans les rayons (lire l'encadré), qui alimentera une réflexion à venir sur les métamorphoses de cette facette bibliothécaire. L'occasion d'un survol guidé avec Katia Savi, bibliothécaire responsable de l'Espace musique des BM, logé au 3e étage de la Bibliothèque de la Cité. Si on a perdu l'habitude du CD, cet espace a-t-il quelque chose à nous proposer ? Voyons voir…

Des playlists pour suggérer des chemins et créer la surprise Des playlists sont publiées par l'équipe de l'Espace musique toutes les deux semaines. On en trouve à ce jour une centaine en ligne, on y accède via le menu déroulant sur le catalogue des BM, via la page genevebm sur Spotify, via les articles de blog qui leur sont liés ou via les codes QR posés sur place. Exemples récents : « Netflix & Chill » ( « morceaux choisis des meilleures bandes originales » ), « Plus d'un tour dans son sax » (centrée sur le saxophone dans le jazz mais aussi, plus étonnant, dans la musique clas16


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sique), « Musiques de transe » (des morceaux rock, punk, folk ou jazz « dont l'un des buts recherchés est un état de transe » ) ou encore « Les femmes dans le jazz suisse » (si vous êtes à Genève, vous connaissez la batteuse Béatrice Graf, mais avez-vous déjà écouté les pianistes Sylvie Courvoisier et Irène Schweizer, la guitariste Sylvie Canet, la saxophoniste Maria Grand ? ). Créées sur la plateforme Spotify, ces playlists renvoient-elles à des albums empruntables en CD ? « Dans la mesure du possible oui, elles mettent en avant des documents de nos collections, mais elles ne s'y limitent pas », répond Katia Savi. À quoi servent-elles ? « À suggérer un chemin dans un genre, dans un thème, dans la galaxie autour d'un groupe ou d'un-e artiste, à susciter des découvertes dans des domaines auxquels on n'aurait pas pensé. » Spotify fait ce travail aussi, non ? « C'est à nuancer. Une étudiante, par exemple, m'expliquait il y a quelques jours qu'elle n'apprécie pas cette

plateforme notamment pour cette raison : les playlists qui sont censées vous proposer des découvertes à partir de vos goûts ont tendance en fait à tourner en rond et à vous suggérer tout le temps les mêmes choses. Pour finir vous vous sentez un peu en prison. »

Des postes d'écoute pour des plongées guidées (ou pas) Six lecteurs de CD sont logés au calme dans un «coin écoute». À quoi servent-ils ? « Il y a pas mal de gens qui n'ont plus d'appareil à la maison et qui viennent ici pour écouter des disques (les nôtres ou les leurs). En musique classique, il y a des utilisateurs et utilisatrices qui hésitent entre plusieurs interprètes d'une même œuvre et qui en parcourent des extraits pour décider quelle version emprunter. Il y a des personnes qui nous demandent du conseil pour un usage spécifique, du genre “Je fais un spectacle de

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juin – août 2022

danse du ventre”, ou “Je dois faire une animation musicale, je travaille dans un EMS”, ou "J'aimerais découvrir des chanteuses de jazz actuelles"… Nous sortons une sélection de CD et la personne les échantillonne pour voir ce qui va lui servir au mieux. En tant que bibliothécaires, nous avons un rôle de passeurs et de passeuses, filtrant l'offre gigantesque de ce qui existe pour répondre aux goûts et aux besoins des usager-e-s. »

Un accès à des trésors en ligne bien gardés « Un ordinateur placé près du coin écoute permet d'accéder gratuitement à des ressources numériques consultables sur place ou en ligne. C'est le cas des archives de la Phonothèque musicale suisse, qui numérise les titres produits dans le pays (c'est-à-dire enregistrés par des artistes suisses ou par un Miles Davis qui passait par là…) C'est le cas également de la Classical Music Library de la plateforme Alexander Street (un million et demi de titres). On peut aussi faire des découvertes dans plus de deux millions de titres de Divercities, plateforme de streaming dédiée aux labels indépendants, basée à Lyon, à laquelle on peut même accéder gratuitement depuis chez soi si on est inscrit-e à notre réseau de bibliothèques. »

Des collections physiques aux ramifications inattendues Les rayonnages de l'Espace musique contiennent aujourd'hui quelque 60'000 CD. Un point de départ possible pour s'immerger ? « Les nouveautés, qu'on trouve sur leur présentoir à l'entrée et sur des listes par genre et par saison. Ou les tables d'exposition où nous mettons en avant des thématiques selon les envies, les inspirations ou l'actualité. Ou des bibliographies telles que "Pop Cultures" (voir l'article dans ce même numéro). Ou les suggestions des bibliothécaires.» Quels sont les accents de ces collections ? Réponse en 3 mouvements : « 1. Le pop-rock est ce qui sort le plus. C'est aussi le domaine dans lequel il faut remplacer le plus souvent des documents endommagés par la fréquence du prêt. 2. La production musicale genevoise est l'un des axes de notre politique d'acquisitions, mais il devient de plus en plus difficile de se maintenir à jour dans ce domaine, parce que les artistes sortent leurs morceaux en numérique, éventuellement en vinyle, et de moins en moins en CD. La mise en avant de la scène locale passe donc également 18


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par d'autres moyens, tels que nos playlists ou notre programmation culturelle : concerts, conférences, ateliers… 3. Une approche historique et encyclopédique de la musique : si vous vous intéressez aux débuts du tango, au phénomène des orchestres ballroom sud-américaines, à 40 ans d'histoire du rap, ou à une exploration des musiques du monde réfléchie pour être représentative de chaque pays, nous avons ce qu'il faut. » Les vinyles, au fait, que sont-ils devenus ? « Ils ont coexisté avec le CD après l'arrivée de celui-ci, jusqu'au début des années 1990, dans ce qu'on appelait alors les discothèques municipales, aux Minoteries et à Vieusseux. Notre collection — près de 40'000 pièces — a ensuite été stockée dans un dépôt bibliothécaire au quai du Seujet, où elle a fait l'objet de quelques prêts sporadiques sur demande… Pour finir, étant donné que nous n'avons pas pour mission la conservation à long terme, les vinyles ont été vendus au public sur la place Neuve lors de la Fête de la Musique en 2013. » À côté des CD, l'Espace musique propose des méthodes pour apprendre un instrument (55 pour la guitare, 27 pour le piano, 15 pour la batterie…), des magazines et des livres. L'éventail de ces der-

niers va de 3 minutes pour comprendre les 50 courants essentiels de la musique classique (2017) à 100 lieux mythiques de musique, en passant par une sélection étonnante d'ouvrages sur le metal tels que Metal et genre : essai sur les rapports de genre au sein de la culture metal ou Cthulhu metal, l'influence du mythe. L'offre « en dur » est complétée par une collection de DVD. « Certaines catégories, par exemple les concerts de jazz ou de chanson française, ne sont plus très empruntés. Les opéras, en revanche, marchent du tonnerre. Nous avons par ailleurs une palette de documentaires musicaux absolument géniaux dans le domaine de l'histoire du jazz, de genres tels que le hip-hop ou la salsa et des musiques du monde. »

Une guitare et un piano silencieux pour jouer sur place

vient un soir par semaine, en nous expliquant que jouer lui fait du bien. Un jeune homme qui essayait d'apprendre en regardant un tutoriel sur son téléphone, posé à l'endroit où normalement on met la partition. Deux jeunes filles en coup de vent qui ont pris deux casques, ça sentait la répétition avant un concert. Des personnes qui partent en improvisation pendant des heures (normalement on a droit à 45 minutes, mais on peut rester s'il n'y a personne après). Certain-e-s ont fait du “piano libre” lors d'un samedi où nous proposions de jouer sans écouteurs, mais les gens sont timides : les pianos en libre service dans la rue sont sollicités tout le temps, mais le calme d'une bibliothèque, ça intimide… La guitare est moins utilisée, mais la demande augmente depuis que nous l'avons placée bien en vue. Il y a des enfants qui aimeraient apprendre et que leurs parents emmènent pour essayer, voir si ça leur plaît suffisamment pour justifier un achat. »

Un piano se tient dans un coin près d'une fenêtre, une guitare est accrochée au mur à côté de l'entrée. Qui en joue, et pourquoi ? « Il y a un homme qui vient une ou deux fois par semaine en costume-cravate dans la pause de midi, il se met au piano pour se relaxer. Une étudiante qui

Un portrait-robot du public mélomane ? Quel est le profil musical du public des Bibliothèques municipales ? Une enquête a été lancée auprès des usager-e-s actives des BM, défini-e-s comme les personnes possédant une carte des bibliothèques et ayant emprunté au moins un document entre 2020 et 2021. 2'683 personnes ont répondu à l'appel, formant un échantillon de répondant-e-s volontaires qui n'est pas forcément représentatif du public des BM ou de l'Espace musique, mais dont la disponibilité pour l'enquête suggère un intérêt pour la musique. Le groupe est un peu moins féminin que le public des BM en général (61% contre 66%) et un peu plus âgé (âge médian de 49 ans pour les femmes et de 52 ans pour les hommes

contre 46 et 47 ans pour le public en général). — Les répondant-e-s expriment une préférence pour la musique classique (61%) et pour la chanson française (52%), devant la pop (48%), le rock (42%), les musiques du monde (38%) et le blues (32%). — Plus de la moitié (55%) ont déjà joué d'un instrument. — 78% écoutent la radio, 57% écoutent des CD souvent ou de temps en temps (s'y ajoutent 23% qui en écoutent rarement), 72% écoutent de la musique en ligne. Sans surprise, ces pourcentages varient radicalement en fonction des âges.

— 38% des personnes fréquentent l'Espace musique des BM, la moitié de celles-ci empruntent des CD et les deux tiers ont déjà demandé conseil aux bibliothécaires, avec un taux de satisfaction de 75%. Les playlists des BM pour Spotify demeurent pour l'instant très peu connues (4% des personnes qui fréquentent l'Espace musique), mais elles sont très appréciées (par 85% des personnes qui en ont écouté). L'ensemble des résultats est disponible en ligne: bit.do/bm-enquete-musique

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Musique

nota n°2

juin – août 2022

Ve 24.6/22h30

Fête de la Musique – DJ set avec Brazzaville Soul, funk, rumba congolaise → Scène Calabri ○ Tout public Durée : env. 2h30

La rumba congolaise de Brazzaville-sur-Grottes « Je fais partie de ces gens obtus, voire même butés, pour qui un bon disque, c'est un disque de seconde main, parce qu'il a vécu », annonce Karl Mayala. Son arcade au 9, rue de la Faucille, contient « de tout : sorties locales, musiques de jeux vidéo, rap, metal… et les deux axes sur lesquels je suis le plus fort, les musiques africaines et le soul-funk nord-américain ». Au sous-sol, un studio d'enregistrement « proche des conditions professionnelles » accueille des rappeurs du quartier, du cor des Alpes et du yodel, des figures du jazz telles que le pianiste Jean-Yves Poupin. Le magasin et le studio payent le loyer, permettant ainsi à ce lieu, baptisé Centre culturel Brazzaville, d'abriter dans un salon à l'arrière un sanctuaire voué à la conservation, la numérisation et la diffusion de la rumba congolaise. Cette musique est inscrite depuis décembre 2021 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO (Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture), suite à une démarche conjointe lancée par le Congo-Brazzaville et la République démocratique du Congo. Mais sans cet homme et son arrière-boutique dans le quartier des Grottes, siège de son association Les Ambianceurs, de nombreux bouts de ce patrimoine seraient perdus. Les BM invitent Karl Mayala lors de la Fête de la Musique pour un DJ set « 100% vinyle, 100% rumba ».

La chaîne YouTube des Ambianceurs

https://www.youtube.com/c/LaSociétédesAmbianceursGeneve

Les compilations de la Société des Ambianceurs sur la plateforme Bandcamp https://lasocietedesambianceurs.bandcamp.com

La page des Ambianceurs sur la plateforme Discogs, recensant leurs trouvailles https://www.discogs.com/fr/user/Les_Ambianceurs

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La rumba congolaise, qu'est-ce que c'est ? « Dans les années 1940, les premiers disques en provenance des Antilles française et de Cuba sont arrivés dans les deux Congos. Des marins antillais, qui avaient sans doute le mal du pays, ont commencé à demander aux musiciens congolais de reproduire cette musique. Après avoir joué pendant quelques années la musique cubaine à l'identique, les Congolais ont commencé ensuite à se l'approprier, incorporant des éléments des musiques traditionnelles locales, ce qui a donné la rumba congolaise qu'on connaît aujourd'hui. Mais il faut savoir qu'à l'origine, le rythme de la rumba antillaise venait d'Afrique. Il avait été apporté dans ces îles via les esclaves, il s'était mélangé aux musiques des populations autochtones et blanches, il avait fini par prendre ce nom latin, rumba, qui vient de nkumba, c'est-à-dire « nombril » dans un ancien dialecte bantou. Ce rythme retourne donc des Antilles au Congo… d'où il repartira à nouveau en s'exportant vers les Antilles françaises et l'Amérique du Sud 60 ou 70 ans plus tard. C'est un ping pong qui n'a jamais cessé. » Est-ce que tout le monde a déjà écouté de la rumba congolaise sans le savoir, à travers des tubes qui se la sont appropriée ? « Probablement. Lors de la Coupe du monde de football de 2010, la première qui s'est jouée en terre africaine, on a entendu Shakira chanter l'hymne « Waka Waka », qui est à la base une comptine congolaise. Dans le premier album du collectif de rap français Bisso Na Bisso, qui rassemblait des artistes du Congo Brazzaville en 1997 et qui a été certifié disque de platine (300'000


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exemplaires vendus), la plupart des morceaux contenait des samples de rumba congolaise. Plus loin dans le passé, dans les années 70 et 80, quelques artistes congolais ont fait pas mal de premières parties d'artistes yéyé comme Claude François et Johnny Hallyday. L'artiste Gérard Madiata était connu au Congo comme l'ami des people français parce qu'il avait énormément chanté avec eux. Plus près de nous, le pire des ambassadeurs possibles pour la rumba congolaise est Maître Gims, qui en met des échantillons dans sa musique… » Quelle est votre histoire avec cette musique ? « Mes parents sont né-e-s à Brazzaville, de la rumba congolaise il y en avait tout le temps à la maison dans mon enfance en France. À l'âge adulte, j'ai recommencé à en écouter un peu par nostalgie et je me suis rendu compte qu'en fait, j'aimais beaucoup. Je me suis mis à faire des compilations avec un ami. Mbote Na Beno volume 1 est une porte d'entrée, avec un ou deux tubes et des rythmes accrocheurs, il mélange les années dorées de cette musique et des choses plus récentes, allant de 1967 à 1982. Le volume 2 contient des morceaux un peu plus vieux et obscurs, il s'adresse encore aux néophytes, mais également aux DJ, aux diggers qui creusent en quête de trésors cachés, aux mélomanes. Dans le 3e on s'est lâchés, c'est un crescendo qui va jusqu'aux racines de cette musique.

À la base, tout ça était juste pour nous, pour se faire plaisir, mais on s'est retrouvés à extrêmement bien vendre ces compilations et à avoir pas mal de demande pour aller mixer à droite et à gauche. En essayant de voir ce que je pourrais faire de plus pour cette musique, je me suis mis à racheter autant de disques que possible, à les numériser et à les mettre sur une chaîne YouTube que j'ai créée pour les diffuser. Puis, il y a deux ans, j'ai décidé de structurer cette démarche en créant une association. Ce n'est pas que je veuille jouer au héros, où m'investir de la mission de sauver un patrimoine : tout ce que je fais, c'est parce que j'aime ça. » Comment dénichez-vous les disques ? « Depuis 2016, je voyage au pays pour en trouver. Il en reste beaucoup au Congo, à chaque fois que je pars j'en ramène 300, mais lorsque je demande aux anciens s'ils en ont encore, la plupart me répondent qu'ils les ont jetés depuis des années. Il y a donc une vraie urgence de les récupérer avant qu'ils soient détruits, ou qu'ils se retrouvent dans une collection privée. Quand on essaie de sauvegarder ce type de patrimoine, le pire ennemi est le collectionneur qui ne pense qu'à la taille de sa collection et qui empêche la musique et l'information de rester en circulation. De mon côté, dès que je trouve un disque qui n'est pas encore référencé, je fais tout ce que je peux pour qu'on l'entende et pour que le monde sache qu'il existe. »

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K-pop, des chorés venues de Corée En vrai, Mitsuki Akashiya n'est pas japonaise, mais depuis son adolescence elle dédouble ainsi son identité parce que, dit-elle, « dans la communauté des fans de la culture japonaise, on aime bien avoir des surnoms ».

Musique

Di 26.6/18h30

Fête de la Musique – Welcoming K-pop

Initiation à la danse et à la musique pop coréennes avec l'école Studio Press Play → Scène Calabri ○ Tout public Durée : env. 2h30

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Elle n'est pas coréenne non plus, mais elle est l'ambassadrice à Genève de la K-pop ou Korean pop, courant musical dansant et/ou sucré qui lance ses grosses vagues sur la planète depuis une décennie. Les BM l'invitent lors de la Fête de la Musique pour un atelier d'initiation à la chorégraphie K-pop, ouvert à tout le monde et donné en collaboration avec l'école de danse Studio Press Play, suivi d'un DJ set. Quelle est son histoire avec cette musique et cette culture ? « Ma passion a commencé par le Japon, avec les animes (dessins animés) que je regardais depuis toute petite, puis avec les mangas et le rock japonais. Ensuite j'ai dévié sur la Corée du Sud, je me suis beaucoup intéressée à son histoire et à sa culture, je suis partie deux mois là-bas pour en apprendre davantage et j'ai

eu un coup de cœur pour ce style musical, avec des groupes tels que Big Bang, Super Junior, 2NE1 ou Girls' Generation. Ce sont des artistes brillant-e-s à tous les niveaux, la musique, les costumes, la communication, le visuel, la performance physique, la danse, le chant… c'est presque la perfection. J'ai cherché à mieux connaître cet univers et j'ai vu apparaître progressivement une petite communauté autour de moi, une trentaine de personnes qui se retrouvaient par le bouche à oreille pour des soirées dans des bars où j'amenais la musique sur une clé USB. La demande grandissait, attirant également le public d'une manifestation telle que Polymanga, du coup en 2010 j'ai décidé avec un ami de créer l'association FullMoon Entertainment pour promouvoir cette culture. Entre-temps la K-pop est devenue beaucoup plus connue avec notamment le morceau “Gangnam Style” (2012) ou le groupe BTS, et elle a suscité pas de mouvements de danse de rue au niveau mondial. L'activité de l'association s'est arrêtée en 2018 à cause de nos études, puis à cause du Covid… et voilà, aujourd'hui, nous la relançons. »


Tout vite

Une histoire de pirates et de buffet à volonté À quoi sert un CD ? Pour l'industrie discographique, ce support qui se développe au cours des années 1980 n'est pas tellement destiné à concurrencer le vinyle, mais plutôt à freiner le boom de la cassette audio, qui permet tout à coup d'enregistrer ce qu'on veut, y compris des copies gratuites de n'importe quel morceau… C'est ce que rappelle l'Étude de l'évolution des pratiques d'écoute musicale et des supports d'enregistrement de l'étudiant en information documentaire Tristan Girard, l'un des volets de l'enquête sur la musique lancée par les Bibliothèques municipales : « Après la débandade des cassettes pirates, l'industrie musicale reprend le dessus sur les pratiques illégales grâce au CD, un format inaltérable et propriétaire. On arrive donc à une époque où les labels ressortent sur CD absolument tous leurs titres phare, et ce pour plusieurs raisons : premièrement, le CD est bien moins cher à produire que le vinyle, et le matériel nécessaire à son écoute l'est tout autant, favorisant l'équipement (mais surtout un rééquipement adapté au CD) des foyers de manière exponentielle. Deuxièmement, le format est inaltérable, c'est-à-dire qu'il est impossible de pouvoir en modifier ou copier le contenu comme avec les cassettes audios. Et troisièmement, la qualité sonore du CD, bien que grandement discutée par les audiophiles, reste incroyable pour l'époque et d'une grande fidélité qui ravira le grand public. »

Qu'est-ce donc qu'une « lecture d'été » ? « On lit sans s'endormir. On “dé-procrastine”. On s'attaque à la pile de livres abandonnée à côté du lit. Le pavé de l'été, quel bonheur. On revient avec une autre pile de livres, parce que la librairie du village est tellement vachement mieux que celle à côté de chez toi. » — Olivia Cupelin, médiatrice culturelle aux BM « J'ai adoré lire un roman de Jules Verne qui se passe dans le Grand Nord — Les Aventures du capitaine Hatteras — alors qu'il faisait très chaud… »

À part tout ceci, « le CD en lui-même n'a pas apporté de grands changements dans les pratiques musicales » : on écoute plus ou moins comme avant.

— Leila Amacker, aide-bibliothécaire à la BM Cité

La musique purement numérique, qui prend son essor à partir de 1995, et qu'on copie et fait circuler comme on veut, représente une rupture par rapport à l'âge triomphal du CD et un retour à l'ère anarchique des cassettes audio. Les gros labels de disques réagissent cette fois en reprenant à leur compte les nouvelles pratiques, proposant des services de téléchargement payant.

« Pour le jeune public des BM, la lecture d'été, c'est par LA VALISE SURPRISE que cela se passe, en tout cas pour les 0—12 ans. Le concept est simple : chaque collègue de l'équipe choisit 12 titres et prépare 4 ou 5 valises, selon ses goûts, ses envies, sa sensibilité, et l'enfant prend une valise au bol, choisissant sa tranche d'âge (0—3 ans, 4—5 ans, 6—7 ans, 8—9 ans, 10—12 ans) et sans savoir ce qu'il y a dedans (pour info, les valises sont réalisées par nos collègues de l'Atelier reliure des BM, qui savent TOUT FAIRE). C'est drôle de jouer sur une donne inconnue et ça marche, vraiment : on nous les demande déjà, une grand-mère a eu un succès boeuf avec ses petits-enfants habitant Berne… »

Seulement, « ce ne sont pas eux qui vont profiter des ventes, mais plutôt des entreprises comme Microsoft et Sony, à l'instar d'Apple, qui vont commercialiser la musique depuis leurs logiciels ». Et cette fois, les habitudes d'écoute changent radicalement. « L'arrivée du streaming provoque un changement drastique dans les pratiques musicales des auditeurs. Ces derniers ont soudain accès à l'équivalent d'un buffet à volonté de musique pour moitié moins que le prix d'un CD par mois. (…) Face donc à ce buffet à volonté, on plonge dans une “musicalisation” constante de la vie, la musique tout le temps, partout. »

— Françoise Zutter, bibliothécaire à la BM Servette

Rapport disponible en ligne : bit.do/bm-enquete-musique

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Inspiration

nota n°2

juin – août 2022

Des bouquets de suggestions, des cartes marines pour naviguer la richesse du monde, des pochettes surprise, des modes d’emploi face à la complexité... Tels sont les recueils de références produits en nombre par les Bibliothèques municipales 24


En coulisses

Lorsque les bibliothécaires sont des cigales Surprise : on aurait pu imaginer que les bibliothécaires se voyaient plutôt dans le rôle de la fourmi. On aurait cru que, à devoir choisir, leur créature de référence serait celle qui sélectionne, transporte, bâtit, trace des parcours dans des dédales de matériaux méticuleusement classés, collectionne suffisamment de réserves pour ne jamais être prise au dépourvu… Sauf que non : lorsque les bibliothécaires des BM se réunissent pour partager leurs coups de cœur, on découvre que leur animal fétiche est en fait la cigale. Celle qui, dans la fable, passe son temps à chanter son émerveillement face au monde et à faire, en apparence, ce qui lui plaît. C'est ainsi que, depuis 2017, les brochures qui, chaque année, rassemblent les trouvailles les plus marquantes faites par les bibliothécaires dans l'actualité des collections ont changé de nom, cessant de s'appeler « Coups de cœur » ou « Envie de lire » et adoptant l'appellation de « Cigales ». Sous cette nouvelle identité, elles invitent les lectrices et lecteurs, les spectatrices et spectateurs, les auditrices et auditeurs à butiner, polliniser, papillonner. Entre créatures volantes, on se comprend. Trois Cigales par an sont donc lâchées : l'« insatiable » (pour les adultes), l'« audacieuse » (pour le jeune public), la « mélomane » (spécialisée musique). Chacune contient une centaine de références choisies dans les acquisitions des dernières années et accompagnées de présentations rédigées par les bibliothécaires dans un style situé quelque part entre le résumé, l'analyse succincte et la critique éclair. Dans La Cigale audacieuse, chaque suggestion s'accompagne d'un duo de « cousins » : des livres, disques ou films qui s'y apparentent par leur thème ou leur style, « ou auxquels on pense par association d'idée, en écoutant les collègues présenter leur sélection et en se disant tout à coup : “Ah tiens, il y a ce titre qui me vient à l'esprit” », raconte Véronique Perret, coordinatrice des bibliographies consacrées aux thématiques annuelles (lire ci-dessous) et membre de l'équipe de La Cigale audacieuse.

rais souvent des romans pour ados. Mais on s'efforce de faire une répartition équilibrée entre albums illustrés, BD, romans, recueils de contes et ouvrages documentaires », répond la bibliothécaire. Des exemples ? « Un des auteurs pour ados que j'aime énormément est Guillaume Guéraud : il bouscule par son écriture et par ses thématiques, c'est souvent assez noir, assez dur, ça me parle… Dans un tout autre registre, je suis fan depuis longtemps des albums pour enfants de Claude Ponti : il crée un monde imaginaire foisonnant, plein de personnages extraordinaires, et il invente des mots. » En effet : grobinet, s'empigoinfrer, incroyabilicieux… Dans une interview de 2020 au journal Le Monde, l'auteur racontait que cette habitude avait commencé en observant sa fille qui, en regardant une tache de mousse, avait prononcé le mot « moustache » … Il y a donc une part d'insaisissable : un coup de cœur, c'est un élan qui se déclenche dans la boîte noire de notre esprit. Et puisqu'on appartient à une espèce animale particulièrement sociale, on se dit en toute bonne logique que si une chose nous touche, elle touchera aussi autrui… « J'ai été pendant 28 ans au contact du public, j'ai donc bien baigné dans la dimension relationnelle de notre travail. C'est d'ailleurs le cas de tout le monde dans l'équipe de la Cigale : on interagit directement avec les personnes qui fréquentent nos bibliothèques, on est donc au fait de leurs demandes, leurs envies, leurs intérêts. Nos coups de cœur tiennent naturellement compte de cette dimension : le public est toujours présent quelque part dans nos têtes lorsque nous faisons nos choix », reprend Véronique Perret. Pourquoi, au bout du compte, ces Cigales fontelles tout ce travail de fourmi ? « Comme pour toutes nos bibliographies, les objectifs sont multiples. Il s'agit de mettre en valeur nos collections. De faire des propositions au public qui nous demande régulièrement “Qu'est-ce que je pourrais prendre aujourd'hui ? ” De fournir des inspirations aux collègues qui sont au service de prêt. Et de prolonger tout le travail bibliothéconomique qui se fait en coulisses — sélection, acquisition, catalogage, mise en rayon… — en lui donnant du sens. »

Un coup de cœur n'est pas un coup de tête Mais qu'est-ce qu'un coup de cœur, au juste ? Qu'est-ce qui déclenche l'emballement et l'envie de partager ? « Ça se passe au niveau du ressenti : si je suis captivée par l'illustration ou happée par l'histoire, j'aurai envie de les présenter. On a envie que ce qu'on a aimé soit emprunté… Après, si je m'écoutais, je sélectionne-

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En coulisses

nota n°2

juin – août 2022

Pop cultures, d'Abba à Zorro « Pop » vient de « populaire », d'accord, mais dans quel sens ? L'équipe qui a élaboré la bibliographie consacrée à la thématique annuelle 2022 des BM s'est accordée, après quelques débats, sur une définition minimale : pop, ce sont « des choses qui parlent au plus grand nombre et qui peuvent être situées dans le temps », résume la coordinatrice du groupe, Véronique Perret. La bibliographie Pop cultures se découpe dès lors en six décennies, des années 1960 aux années 2010, auxquelles s'ajoute un prologue plongeant plus loin dans le passé et un épilogue consacré à des regards transversaux : les liens entre pop et black power, les représentations pop des femmes et des rapports entre les sexes avant #MeToo, mais aussi les recettes pour cuisiner les plats qu'on voit apparaître dans les fictions pop. Allez, on plonge. Quelles sont, avant les années 60, les premières pièces de l'édifice pop ? Pour les années 1920, l'équipe bibliographique repère Tintin, Zorro et Laurel & Hardy. Années 1930 : les univers multiples des super-héros. Années 1940 : les aventures du Club des Cinq, la science-fiction d'Isaac Asimov et le mambo de Pérez Prado. Années 1950 : les grandes sagas de la fantasy britannique (Narnia, Le seigneur des anneaux) et

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le rock'n'roll d'Elvis Presley. Dans le rôle du joker, Frank Sinatra fait le lien entre les décennies, « du swing du début accompagné de big bands à des tubes plus faciles dès les années 60 », écrit Pierre Friche. À ce propos, le jazz est-il pop ? Il le devient dès cette époque dans des chansons comme « Summertime » de George Gershwin (1935), puis dans des morceaux comme « Take Five » de Dave Brubeck (1959) et « Watermelon Man » de Herbie Hancock (1962), dans les reprises de l'album Here Comes the Sun de Nina Simone (1971)… Sans compter que « à la fin de sa vie, Miles Davis était considéré comme une vraie pop star », note Anna Maffia Frei. Côté blues, on pourrait même se demander si Robert Johnson, l'une des grandes figures du genre dans les années 1930, n'est pas « la première pop star (fantomatique) du 20e siècle », écrit Frédéric Sauge. En effet, « tout y concourt : un guitariste si exceptionnel que la cause ne peut en être qu'un pacte avec le diable » et « un décès prématuré qui initie, sans le savoir, un club qui portera le nom de club des 27 ans (pour une série de décès de stars du rock survenue à cet âge) » .


En coulisses

Années 60 et 70 : Beatles, Pong et Star Wars La pop culture inonde le monde au cours des années 1960. Parmi les territoires auxquels on colle explicitement ce mot, voici le pop art (avec Andy Warhol et Roy Lichtenstein, mais aussi la Japonaise Yayoi Kusama) et la musique pop. Celle-ci existe en version blanche (chez les Beatles, ou chez un Burt Bacharach, inclus ici avec sa bande originale pour le film de 1967 Casino Royale) et en version noire (le label Motown, ou le groupe Sly and the Family Stone, qui aurait pu devenir « plus immense que les Beatles », suggère Frédéric Sauge). La pop music est un phénomène mondial non seulement par sa consommation, mais également par sa production Exemple : la compilation Rangarang : Pre-Revolutionary Iranian Pop, consacrée à la musique enregistrée dans l'Iran des sixties. « La gamme des morceaux est étonnante, des entraînements funky et de la pop soul aux grooves jazzy et aux ballades nostalgiques, tous merveilleusement et imaginativement produits et arrangés », relève Katia Savi. Derrière les tubes, la distance historique permet aujourd'hui de visiter également les coulisses de cette décennie cruciale. La bibliographie met en avant les BD biographiques California Dreamin'de Pénélope Bagieu (2015) et Janis Joplin : Piece of My Heart de Giulia Argnani (2017). La première parcourt la vie de « Mama Cass » Elliot, chanteuse de The Mamas and the Papas : « Ne pas correspondre aux stéréotypes de la chanteuse longiligne et fragile est apparemment un handicap lorsqu'on est une musicienne talentueuse et une chanteuse de génie », note Elsa Carloni. L'autre ouvrage « suit le parcours de Janis, de jeune fille à véritable icône des années 60, tout en montrant sa confrontation avec cette société figée et patriarcale et montre comment elle est devenue la première rock star au féminin ». En restant dans les livres et en se déplaçant vers la fiction, le chapitre consacré à cette décennie présente également — signalons-le — les BD des Schtroumpfs, les films de la série Angélique et les romans de science-fiction du Cycle de Dune. Décennie suivante : au cours des seventies, la pop culture défriche le territoire potentiellement illimité des jeux vidéos. Les premiers jeux, qui se jouent alors sur des grosses machines dans des arcades, sont compilés aujourd'hui pour fonctionner sur des consoles de salon dans des recueils tels qu'Atari Flashback Classics, volumes 1 et 2 : « L'occasion d'éviter de rater la balle en testant Pong (1972), un des plus vieux jeux vidéo sur console ou de découvrir avec Breakout (1976) que les mécanismes de nos jeux sur smartphone datent des années 1970 », écrit à ce propos Anna Leckie. Côté musique, la décennie voit l'explosion mondiale de la salsa (incarnée ici par Willie Colon et Ruben Blades) et du disco, qui se déploie à partir de ses origines dans les musiques noires (Nile Rodgers avec son

groupe Chic) et qui se blanchit en mettant en vedette les mélodies sur son versant « Euro disco » (Abba). À côté des groupes, commence par ailleurs l'ère des vedettes solo, telles que David Bowie (« l'influenceur de la pop culture », écrit Stéphanie Vesin) et Elton John, « jeune pianiste prodige timide » qui devient mégastar et qui apparaît ici en deux biographies, une en film (Rocketman) et une en papier (Moi, Elton John). Entretemps, côté cinéma, les années 70 inaugurent l'ère du blockbuster avec le premier Star Wars (1977).

Années 80 et 90 : du jamais vu, du jamais entendu Les années 80 creusent les sillons ouverts au cours de la décennie précédente. Celui des blockbusters, pour commencer, qui sont à la fois très ancrés dans leur temps et transmissibles à travers les générations. Voici Fame (1980), E.T. l'extra-terrestre (1982), 27


SOS Fantômes (1984), Retour vers le futur (1985), ou encore Dirty Dancing (1987), « qui semble toujours plaire notamment aux ados », remarque Gaëlle Said. À ce propos, voici aussi La Boum (1980), qui « raconte le quotidien des ados des années 80 vu de l'intérieur. Les thèmes intemporels et universels (premier baiser, relations avec les parents, naïveté adolescente) font que ce film survit au temps et a pu traverser des générations ! » écrit Véronique Perret. Dans le domaine du jeu vidéo, le sillon pop se creuse aussi et devient énorme, avec des casse-tête addictifs tels que Tetris (1985), ou avec des paysages luxuriants dans lesquels évoluent des personnages improbables, tels que Donkey Kong, le singe cravaté (1981), ou Mario, le super plombier à la moustache relevée. Côté arts visuels, au croisement de tout ce qui bouge culturellement et socialement, l'univers pop eighties s'incarne ici dans la figure d'un peintre newyorkais : « Avec son style unique mêlant street art, graffiti, éléments de dessins animés et de bandes dessinées, Keith Haring a créé des œuvres d'art publiques, des installations qui sont devenues des piliers de la culture pop moderne autant que des prises de position politiques et sociales affirmées », écrit Yvette Guibert. La décennie 90 est celle de l'explosion des séries télé. La bibliographie évoque Twin Peaks (1990), X-Files et Friends (1994), ainsi que Buffy contre les vampires (1997) : « Sur fond de métaphore de passage à l'âge adulte, il s'agit surtout d'une série culte pour son avant-gardisme : on y présente un couple homosexuel sans en faire tout un plat, on y lutte tranquillement contre le patriarcat, et la jolie blonde est une vraie force 28

nota n°2

juin – août 2022

de la nature », écrit Elsa Carloni à propos de cette série. Les années 90 sont également celles de la propagation spectaculaire des mangas japonais en francophonie, avec la traduction de Dragon Ball à partir de 1993 (lire à ce propos l'article « Mangamania », p. 10). À la même époque, les jeux vidéo commencent à se glisser dans nos téléphones. Surfant sur la vague nostalgique du retrogaming, on replonge aujourd'hui dans ces univers de poche grâce à l'application (gratuite) Snake '97 : Retro Phone Classic (il s'agit là, notons-le, d'une des rares références purement numériques de cette bibliographie, qui ne renvoient à aucun objet physique). Côté musique, la décennie apparaît comme particulièrement variée. On s'arrête sur la mélancolie en apesanteur du duo Air (Moon Safari, 1998), sur Doggystyle du rappeur Snoop Dogg (« un classique instantané », 1993), sur la britpop du groupe Pulp, sur l'explosion mondiale du Sénégalais Youssou N'Dour, sur le girl band Spice Girls, ou sur Mellow Gold de Beck (1994), qui « invente une nouvelle façon de faire de la musique », écrit Frédéric Sauge : « en bidouillant, mélangeant, malaxant, triturant tous les sons possibles », l'artiste réalise « un disque désinhibiteur qui a permis à des milliers de mômes de se mettre à créer ». Avant tout cela, on s'arrête sur Debut de Björk (1993) : « L'un de ces albums (avec ceux de Massive Attack, Portishead, Tricky) qui ont défini, dans les années 90, les sons à venir », écrit le bibliothécaire, qui rappelle qu'« qu'au moment de sa sortie, c'était à une véritable révolution que l'on assistait : ces cordes, ces percussions, ces beats, cette basse — c'était du jamais entendu » .

NAVIGATION EN CLIPS ET EN SONS

GENÈVE ÇA TOURNE En coulisses


HISTOIRE(S) ET IMAGINAIRES URBAINS DE GENÈVE 29

hypercity.ch


Le mystérieux objet de l'amour 4/7 Atelier roman-photo avec Dorothée Thébert et Filippo Filliger → BM Minoteries ○ Adultes

Numérique

Me 22.6

animations.bmu@ ville-ge.ch

▷ Inscription

15h30

Escape game avec Unlock! Atelier numérique

Musique

Concours

Ve 24.6

bmgeneve.agenda.ch

▷ Inscription

→ BM Cité / Espace le 4e ○ Tout public, dès 10 ans

19h

Blind test pop musique Avec Doctor K & Al Go-Rhythm → Fête de la musique, Scène Calabri ○ Adultes

21h15

Clash Celeste

Musique

Concert Electro-rock planant 80's → Fête de la musique, Scène Calabri ○ Adultes 22h30

Brazzaville DJ set

20h

Alix Vespers

Musique

Musique

Concert — Beats techno, synthés → Fête de la musique, Scène Calabri ○ Adultes 21h

Big T

Musique

DJ set — Electro, funk, world music → Fête de la musique, Scène Calabri ○ Adultes 23h

Kid Chocolat & Nadar Julien DJ set

Musique

Pop musique issue de la collection de l'Espace musique des BM

Di 26.6

→ Fête de la musique, Scène Calabri ○ Adultes

14h

Roulez Spectacle : Fabulons ! Compagnie Coralena Spectacle musical interactif des Fables de La Fontaine

15h

Me 6.7 Ascolta, escucha, écoute, listen Lectures multilingues

Livre

Performance

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 2 ans 16h

I Want to Hold Your Hand & Other Confessions off the Dance Floor Performance-installation

Je 7.7 Image

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 12 ans

15h

Collectionne ta famille Atelier tampons et reliure

Projection

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans 17h

Proud Mary — fresque de Karabo Poppy Molestane Balade artistique

Ve 8.7 Musique

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 12 ans

15h

Voice-O-graph

Atelier d'enregistrement → Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans

→ Fête de la musique, Scène Calabri ○ Tout public, dès 5 ans

17h

Sa 9.7 Livres

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 8 ans

Atelier karaoke avec Amalalpha

Karaoke Chantpêtre

Musique

15h

Musique

Trio Improv'istes Concert — Jazz, claquettes

Concours

→ Fête de la musique, Scène Calabri ○ Tout public, dès 5 ans 16h

15h

Lectures Juke Box Lectures sur demande

15h

Me 13.7 Ascolta, escucha, écoute, listen Lectures multilingues

Livre

Performance

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 2 ans 16h

I Want to Hold Your Hand & Other Confessions off the Dance Floor Performance-installation

Je 14.7 Image

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 12 ans

15h

Collectionne ta famille

Atelier tampons et reliure

Image

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans 17h

Proud Mary — fresque de Karabo Poppy Molestane Projection et balade artistique

Ve 15.7 Musique

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 12 ans

15h

Voice-O-graph

Atelier d'enregistrement

Musique

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans 17h

Chanson pop — concert décalé

Avec le Duo n'importe quoi → Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 4 ans

15h

Me 20.7 Ascolta, escucha, écoute, listen Lectures multilingues

Livre

Atelier-jeu

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 2 ans 17h

Français en mouvement

Jouer avec la langue française avec l'Université populaire albanaise

Je 21.7 Image

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans

15h

Imagine ton histoire Atelier dessin

Image

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans

17h

La bande du parc Geisendorf, film documentaire de Frédéric Baillif

Projection et discussion

Livre et musique

Ve 22.7

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 10 ans

15h

Lectures Juke Box — spécial albums musicaux Lectures sur demande

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans

15h

Numérique

À la chasse aux sons Atelier numérique Avec Marine Maye

Numérique

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 10 ans 17h

Hypercity/ Pop Genève (Servette/ Saint-Jean)

Balade en clips et en sons

Me 27.7

Livre

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 12 ans

15h

Ascolta, escucha, écoute, listen Lectures multilingues

Atelier-jeu

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 2 ans 17h

Français en mouvement

Jouer avec la langue française avec l'Université populaire albanaise

Je 28.7

Image

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans

15h

Imagine ton histoire Atelier dessin

Image

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans 17h

FILMARcito — un regard à hauteur des enfant

Projection de court-métrages avec le Festival FILMAR

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 4 ans

et Les Têtes Vertes — ateliers potagers

Avec l'Association potagers Parc Geisendorf

Atelier

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 4 ans

15h30

Roller jeunesse ! — initiation et parcours à roller

Avec Roller Slalom Genève

Numérique

Di 31.7

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 4 ans

15h

À la chasse aux sons — atelier numérique

Avec Marine Maye

Numérique

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 10 ans

17h

Hypercity/ Pop Genève (Servette/SaintJean)

Balade en clips et en sons

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 12 ans

Le magazine des Bibliothèques municipales de la Ville de Genève

Soul, funk, blues, rumba congolaise → Fête de la musique, Scène Calabri ○ Adultes

Blind test pop musique Avec Doctor K & Al Go-Rhythm

→ Fête de la musique, Scène Calabri ○ Adultes

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans

nota


Musi q ue

s d e la M u

Ve 24.6 — Di 26.6

la de

te

Ve 25.6

18h30

Atelier et dj set

15h

Vive le cirque !

Sport

Atelier d'initiation au cirque

Fê Numérique

Di 10.7

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans

15h

Memory-Contact — atelier numérique Avec Fatou-Maty Diouf

Numérique

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 8 ans 17h

Hypercity/ Pop Genève (Jonction)

15h

Sa 16.7

Livre

Lectures Juke Box Lectures sur demande

Sport

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans 15h

Vive le cirque !

Atelier d'initiation au cirque

Numérique

Di 17.7

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans

15h

Memory-Contact — atelier numérique Avec Fatou-Maty Diouf

Numérique

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 8 ans 17h

Hypercity/ Pop Genève (Jonction)

Balade en clips et en sons

17h et 18h

Musique

Mon ami Kurt, avec Jerrycan — présentation ludique et chantée de Kurt Weill Performance

Sa 23.7

Potagers

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans

15h

Les mains vertes et Les Têtes Vertes — ateliers potagers

Avec l'Association potagers Parc Geisendorf

Sport

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 4 ans 15h30

Roller jeunesse ! — initiation et parcours à roller

Avec Roller Slalom Genève

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 4 ans

Di 24.7

parc en p De

les B M

Me 6 — Di 31 .7

ec

Livre et musique

Ve 29.7

Musique

Potagers

Les mains vertes

15h et 16h

Sa 30.7

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans

Performance

Mon ami Kurt, avec Jerrycan — présentation ludique et chantée de Kurt Weill

17h et 18h

→ Parc Geisendorf, Mobithèque ○ Tout public, dès 6 ans

Lectures sur demande

Lectures Juke Box — spécial albums musicaux

15h

c ar

Musique

Welcoming K-pop : initiation à la danse et à la musique pop coréenne

K-pop, avec l'école Studio Press Play et l'association Full Entertainment → Fête de la musique, Scène Calabri ○ Tout public, dès 5 ans

Me 29.6

Balade en clips et en sons

Jeux vidéo

15h30

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 12 ans

Créations

Une découverte jeu vidéo

bmgeneve.agenda.ch

▷ Inscription

→ BM Cité / Espace le 4e ○ Tout public

Juillet

→ Bois de la Bâtie, Mobithèque ○ Tout public, dès 12 ans

av

Yalcin Luigina Bossa Project

Musique

Musique

Concours

→ Fête de la musique, Scène Calabri ○ Adultes

Avec Doctor K & Al Go-Rhythm

Blind test pop musique

17h

→ Fête de la musique, Scène Calabri ○ Dès 4 ans

Concert — World music capverdienne

Miss Sodadis

16h

→ Fête de la musique, Scène Calabri ○ Dès 4 ans

Concert — Pop alternative, world music

Chill Bros

15h

→ Fête de la musique, Scène Calabri ○ Dès 10 ans

Concert — Latin-jazz, bossa

14h

Été Agenda 2 202

Juin Numérique

Sa 18.6

Numérique

Numérique

Atelier

Des applications pour accompagner vos randonnées ▷

14h

Inscription bmgeneve.agenda.ch

→ BM Cité / Espace le 4e ○ Adultes

14h

bmgeneve.agenda.ch

▷ Inscription

→ Pâquis/ Hors murs (devant l'entrée de la bibliothèque) ○ Tout public, dès 12 ans

Balade guidée en clips et en sons autour des Pâquis

Hypercity — Pop Genève

11h

bmgeneve.agenda.ch

▷ Inscription

→ BM Cité / Espace le 4e ○ Adultes

Les supers-pouvoirs de ma carte de bibliothèque

11h

ue

iq

Fêt e


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GENÈVE ÇA TOURNE nota n°2

NAVIGATION EN CLIPS ET EN SONS

juin – août 2022


En coulisses

Années 2000 et 2010 : rétromania, dystopie et reggaeton S'il y a un trait de caractère qui marque la pop culture des années 2000 et 2010, c'est sans doute ce que le journaliste britannique Simon Reynolds appelle « Rétromania », Entre recyclage nostalgique, passion de la réappropriation et addiction au passé, la première incarnation de cette tendance présentée ici remonte en fait à la la décennie précédente : c'est le film Pulp fiction de Quentin Tarantino (1997), dont le titre « fait référence aux pulp magazines, des publications bon marché et de piètre qualité favorisant la culture de masse dans les années 30 », écrit Morgane Kozuchowski. Parmi les objets culturels présentés ici, on retrouve cette rétromania au cœur du film Yesterday de Danny Boyle (2019), dont le héros bascule dans un univers parallèle où les Beatles n'ont jamais existé. Elle est également le moteur du roman Player One (2015), dans lequel une humanité en pleine crise se réfugie dans un univers virtuel où la clé de la réussite est la maîtrise des références pop vintage. Elle est aussi à l'œuvre dans la chaîne YouTube Super Canard, qui « se spécialise dans la pop culture, le retour à l'enfance, aux films, aux dessins animés, aux jeux, aux jouets… qui fleurent bon la nostalgie et l'aventure », écrit Doris Quintaje. En ce début de 21e siècle, la culture des jeux vidéo élargit encore sa palette, se déployant dans l'univers de la musique (The Greatest Video Game Music, 2011 : « deux volumes musicalement de haut vol » avec « des arrangements très spectaculaires pour orchestre philharmonique », écrit Natacha Bossi), mais aussi dans le monde physique : le corps est engagé de la tête aux pieds dans un jeu tel que Just Dance, 2009… Entretemps, dès 1999, la Terre entière en est venue à se demander si la vie elle-même n'est pas un jeu vidéo auquel nous jouons à notre insu, comme dans la série de films Matrix. Signalons, à ce propos, que les années 2000 et 2010 sont un terrain particulièrement fertile pour la dystopie : parmi ces fictions imaginant les pires des mondes possibles, voici la trilogie romanesque Divergente (2011), les films Hunger Games (dès 2012), les jeux vidéo The Last of Us (dès 2013), la série télé La servante écarlate (2017), ou encore, à leur manière, les romans pour ados City of Villains (dès 2021), situés dans un monde qui regroupe plusieurs méchant-e-s de Disney à la fois… Pour ne pas conclure sur ces visions sombres, ajoutons que la pop music du 21e siècle répand encore des plaisirs inédits. Voici Stankonia du groupe de rap Outkast en 2000 (« Une série de tubes qui frôle carrément la perfection »), ou So Addictive de Missy Elliott en 2001

(« Un son révolutionnaire ! »). Voici la propagation planétaire de la pop coréenne, ou K-pop. Voici le boom du reggaeton, « mélange de reggae dancehall et de hip hop, sur des rythmes sud-américains », écrit Katia Savi, qui « va devenir la nouvelle musique latine dans le monde ». Et maintenant ? Depuis le mois d'avril dernier, un nouveau groupe de bibliothécaires volontaires, toujours coordonné par Véronique Perret, planche sur la bibliographie de la prochaine thématique annuelle en commençant à dessiner une mind map : une cartographie qui met à plat une galaxie d'idées, les organisant en branches ramifiées à partir d'un point central… Qu'y a-t-il de commun entre un combat d'escrime, un solo de jazz et ce qu'on appelle aujourd'hui “les dys”, ces spécificités du fonctionnement cérébral (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie…) qui touchent apparemment dix pourcent de la population ? Réponse en 2023.


En coulisses

Naviguer le monde, une bibliographie à la fois Un pays est envahi. Un virus convertit les hôpitaux en viviers d'héroïnes et de héros. Les femmes revendiquent l'égalité. Des personnes migrent, des scientifiques font des découvertes, des auteur-e-s imaginent des histoires remplies de monstres, de crimes ou de chats… Face à la complexité, aux drames et à l'imprévisibilité du monde, mais aussi face à sa richesse émerveillante, les recueils de références élaborés par les Bibliothèques municipales sont des outils précieux pour la navigation, la compréhension et la réflexion. Les bibliographies « locales » (appelées ainsi car elles prennent forme dans une bibliothèque plutôt que dans l'ensemble du réseau), surgissent sous l'impulsion de bibliothécaires qui souhaitent actualiser et mettre en valeur un pan de leur collection, rebondir sur l'actualité, enrichir et partager leurs connaissances. Dans ce flot de bibliographies, également accessibles en ligne, trois exemples issus de la section « Documentaire » de la BM Cité. Pour retrouver les bibliographies en ligne : http://bit.do/bm-bibliographies http://bit.do/bm-cigales

« La Suisse, mode d'emploi » et bibliographies pour l'apprentissage du français La Suisse, mode d'emploi, c'est le titre d'une bibliographie « destinée aux personnes qui veulent connaître comment fonctionne notre pays au niveau politique, ses coutumes, son histoire… et ses langues ». L'auteur de cette bibliographie, Thierry Leu, a réalisé par ailleurs plusieurs sélections de documents susceptibles de faciliter l'intégration des nouveaux arrivants et des nouvelles arrivantes à Genève. On y trouve des outils pour l'apprentissage du français, un domaine à l'offre très riche, logé au 2e étage de la BM Cité dans un espace baptisé « Serre polyglotte » .

« Comportements, langages et intelligences animales : un autre regard ? » « Le développement des sciences et ses explorations ont prouvé progressivement l'intelligence animale ; des chercheurs et chercheuses interdisciplinaires mettent à jour les talents insoupçonnés, les compétences singulières et les spécialisations complexes de chaque espèce », lit-on en ouverture de cette bibliographie qui pourrait bouleverser à jamais la manière dont

nous regardons une orque, un papillon ou un perroquet. On y trouve des titres singulièrement intrigants — L'art d'être amoureux chez les animaux, ou Cultures félines (XVIIIe-XXI e siècle), ou encore L'intelligence artificielle et les chimpanzés du futur —, mais aussi plusieurs ouvrages orientés vers la pratique, tels que Eduquer avec les animaux : la zoothérapie au ser-

« Ukraine » Avec une rapidité proche de celle d'une rédaction de journal, la bibliothèque de la Cité a publié en mars 2022 une bibliographie sobrement appelée Ukraine. La palette est large, traversant toutes les sections de la bibliothèque (essais, romans, contes, manuels d'ukrainien, bandes dessinées, livres de photographie, films, CD), même si les références disponibles pour ancrer la compréhension des événements dans l'épaisseur historique et dans l'actualité ne sont pas nombreuses. Dans ce cas, la bibliographie a été le point de départ d'un travail de veille éditoriale, afin de ne pas manquer les parutions éclairantes qui se multiplient depuis lors sur ce sujet. L'impact concret de la guerre en termes d'exil et d'accueil donne lieu quant à lui à un repérage bibliographique sur l'apprentissage du français à partir de l'ukrainien. 34

vice des jeunes en difficulté ou La dernière promenade : faire le deuil de son animal de compagnie. « J'étais étonnée de la quantité d'ouvrages que nous avions acquis sur cette question, cela méritait bien qu'on y mette un coup de projecteur », remarque Isabelle Bourdin, qui a réalisé cette bibliographie.

Autres bibliographies récentes liées à l'actualité et à des questions de société — Géopolitique du Moyen-Orient — « DITES 33 ». Le personnage de l'infirmière et du médecin dans la littérature — Geneva Pride 2021[JA5] — Les bibliographies liées à la Semaine de l'égalité, en collaboration avec le service Agenda 21 — Ville durable : Haut les corps, à bas les tabous ! (2022), Elle-x-s sont dans la place ! (2021), Aux urnes citoyennes (2020)…


Tout vite

Qu'est-ce que c'est qu'une « lecture d'été » ? « … rêver à préparer une méga-pile de poches (achetés en librairie), vouloir tout prendre avec moi et finalement n'en prendre que 5… — Un pavé dans lequel disparaître (l'été dernier : L'empreinte de toute chose d'Elisabeth Gilbert, 803 p.), et c'est toujours par le pavé que je commence. — Une biographie (fan depuis toujours : à Morges, petite ville de mon enfance, le quota de prêt la bibliothèque était de 3 ouvrages maximum, mais avec seulement un roman possible, du coup j'ai découvert tou-te-s les grand-e-s de ce monde comme ça et je suis restée adepte du genre). — Un roman des éditions Zulma (que de belles découvertes avec cette maison d'édition, et leurs formats sont petits, pratique pour la valtouze : avez-vous lu Audur Ava Olafsdottir ? Dany Laferrière ? Ces deux-là, entre autres, sont mes chéri-e-s).

— Un essai facile (Tout n'est pas dit de Philippe Jaccottet : des billets écrits pour un petit journal suisse, La Feuille d'avis de la Béroche). — Un ouvrage documentaire (toute la collection Découvertes Gallimard, qui durant sa parution, soit quelque chose comme 20 ans, a été une lecture de vacances : la monstre classe, une encyclopédie dans la poche… Maintenant que la collection est morte, hormis quelques parutions de hors-série lors de grandes expositions, je fouine pour trouver des équivalents, pas toujours avec succès). » — Françoise Zutter, bibliothécaire à la BM Servette

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Espaces

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Les deux mondes des Eaux-Vives ne font plus qu' un

Rénovée, la bibliothèque du quartier invente de nouvelles manières de circuler entre les collections adultes et jeunes, tout en tissant sa singularité aux rayons du théâtres et de la poésie. Visite guidée avec ses bibliothécaires responsables et avec l'architecte qui a conçu la rénovation 36

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Deux mondes parallèles, posés l'un sur l'autre : c'est ainsi que la bibliothèque des Eaux-Vives se présentait, de son ouverture en 1990 jusqu'à l'année passée. L'un de ces mondes était au rez-de-chaussée, on y accédait de manière ordinaire depuis la rue. L'autre était au premier étage, avec sa propre entrée au bout d'un escalier extérieur qui marquait la façade comme une bizarrerie. On parlait de cette bibliothèque au singulier mais en fait, elle était deux. Après des travaux achevés en avril dernier (lire l'encadré), les deux mondes sont aujourd'hui réunis. L'occasion de redécouvrir la BM Eaux-Vives, ses interactions avec un public très investi, son intérêt pour le théâtre et la poésie. « Avant, c'était vraiment comme s'il y avait deux bibliothèques. Des parents venaient en bas avec leurs enfants et n'étaient pas au courant qu'il existait une section adultes à l'étage du dessus. Et lorsque, chez les adultes, on disait à quelqu'un que tel album de BD classique se trouvait en fait chez les jeunes en bas, le plus souvent la personne ne descendait pas », racontent Céline Barnet et Roane Leschot, bibliothécaires responsables du lieu. Cette dualité faisait surgir parfois d'étranges visions. « Une fois, nous présentions la bibliothèque à une classe en expliquant : “Quand vous serez plus grand-e-s, vous pourrez monter au premier étage et emprunter des livres pour adultes”. Un garçon nous dit : “Pour adultes, vous voulez dire, euh…” Il pensait qu'il y avait tout un étage de livres interdits aux mineur-e-s, ça avait l'air de lui faire carrément peur. » La notion de « site unique » réunissant les espaces Adultes et Jeunes, un concept qui traverse l'ensemble du réseau BM depuis une dizaine d'années, s'incarne ici de manière très affirmée. Exemples ? « Dans l'espace dédié aux littératures de l'imaginaire, à la science-fic-

Chaque personne aura l'intelligence de choisir comment consommer sa bibliothèque, de la même façon dont on regarde, dans les transports publics, quelles sont les heures de grande affluence. tion et au fantastique, nous avons mis les collections enfants et adultes face à face, avec des fauteuils au milieu, créant une passerelle entre ces deux facettes d'un même univers de fiction. Au rayon bande dessinée, on met côte à côte les titres destinés aux jeunes (dès 10 ans) et aux adultes, qui peuvent avoir du plaisir à relire Lucky Luke ou Tintin sur l'étagère d'à côté. Et les DVD, qui sont un produit d'appel tout public, sont placés tous ensemble au rez-de-chaussée. »

Butiner le rez-de-chaussée L'ancienne séparation entre mondes parallèles s'estompe, donc, et chaque étage trouve une nouvelle singularité. « Les collections pour les enfants les plus jeunes, de 0 à 9 ans, restent regroupées au rez-de-chaussée. Elles côtoient une “bibliographie du mois” avec une sélection de nouveautés et de coups de cœur, pour que les parents qui accompagnent les tout-e-s petit-e-s, et qui ne peuvent pas trop s'éloigner, aient sous la main des ouvrages susceptibles de les intéresser. En ce qui concerne les périodiques auxquels la bibliothèque est abonnée, nous en mettons une quinzaine au rez-de-chaussée : la Tribune de Genève, Le Courrier, L'Obs… des titres faciles à butiner. » Sous un premier étage plutôt tranquille, le rez-dechaussée est donc désormais « l'étage voué au va-etvient convivial, où les gens vont se retrouver, entre des enfants de deux ans et un grand-père qui lit le journal à côté ». Tout cela se module selon les moments de la journée. « À l'heure de la sortie de l'école, c'est évidemment hyper chaud. À d'autres moments, c'est beaucoup plus calme. Chaque personne aura l'intelligence de choisir comment consommer sa bibliothèque, de la même façon dont on regarde, dans les transports publics, quelles sont les heures de grande affluence. » 37


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La médiation culturelle — rencontres, conférences, ateliers… — prend également place au rez-de-chaussée. « Tout ce qui se trouve dans l'emplacement qui lui est dédié est sur roulettes. On peut donc gérer la taille de l'espace, en faire un cocon en tirant des rideaux devant la baie vitrée qui donne sur la rue, ou au contraire ouvrir et mettre — pourquoi pas — la médiation culturelle en vitrine. »

La poésie dans les murs et dans la rue Depuis longtemps, la BM Eaux-Vives se singularise au sein du réseau par l'importance accordée au théâtre et à la poésie dans ses collections. « Pendant des années, nous avons acheté tous les textes de théâtre qui allaient être montés sur les différentes scènes genevoises. Nos acquisitions sont devenues ensuite moins exhaustives, mais l'accent sur le théâtre est resté. Il va d'ailleurs être renforcé à nouveau, en lien avec l'installation de la nouvelle Comédie dans le quartier. » Et la poésie ? « Il est important qu'il y ait une bibliothèque dans le réseau qui en propose, car la poésie, c'est le vivant du langage. Elle a une force particulière pour faire du sens, on le constate en temps de crise ou sous tous les régimes dictatoriaux. Elle est aussi en prise avec le monde actuel, ce n'est plus le truc précieux du grand bourgeois avec sa plume d'oie, aujourd'hui la poésie est dans la rue. Les artistes, tels Souleymane Diamanka, qui font du slam — des textes déclamés à la manière du rap, mais sans musique — se revendiquent d'ailleurs poètes. »

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Dans ce domaine, la BM Eaux-Vives propose des livres, mais également des ateliers tels que le laboratoire poétique « La petite usine à poèmes », organisé dans le cadre de la programmation hors-murs « De parc en parc » au Bois de la Bâtie en 2021. « Nous avions découpé des poèmes en morceaux que le public pouvait rassembler, mêlant des vers de Louise Glück, Marina Tsvetaïeva, Brigitte Fontaine, Alexandre Voisard et Paul Éluard… Chaque personne était ensuite invitée à recopier le résultat sur une carte postale et à l'envoyer à quelqu'un de son choix. Les parents poussaient leurs enfants à participer et finissaient en général par se prendre au jeu. C'était un carambolage de poèmes, mais aussi un carambolage social où tout le monde, enfants et adultes, interagissait. » Avec tout cela, les Eaux-Vives viennent de retrouver un public qui, au cours des mois de fermeture, s'est révélé à la fois loyal et nomade. « On perçoit chez nos utilisatrices et nos utilisateurs un sentiment d'appartenance fort, même si une enquête a montré que le public des Eaux-Vives est nomade et qu'il a fréquenté d'autres bibliothèques du réseau pendant notre fermeture. On sait que les gens sont très attachés à ce lieu et au conseil qu'ils y reçoivent, qui va d'ailleurs dans les deux sens : nos lectrices et nos lecteurs nous font des suggestions de manière informelle. Notre public participe à la constitution de notre fonds et du coup, il se sent un peu plus chez lui. Tout le monde est pris ainsi dans une communauté d'échanges. Les Eaux-Vives, c'est un peu une bibliothèque participative. »


Un escalier, ça peut tout changer

Après 15 mois de fermeture pour travaux, la Bibliothèque des EauxVives a rouvert ses espaces le 21 mai. Qu'est-ce qui est pareil, qu'est-ce qui a changé ? Visite guidée avec l'architecte Nelson López, auteur du projet de transformation et d'aménagement intérieur.

1. Un escalier en béton brut, à l'intérieur, remplace l'ancien escalier extérieur, en métal et en colimaçon. Et ça change tout… « C'est le point central du projet. Mon bureau d'architectes a été approché au départ pour étudier la manière d'améliorer la liaison entre les deux étages. Cet escalier a donc été conçu pour que les deux niveaux deviennent un seul ensemble et qu'il y ait une fluidité, une continuité entre les espaces. Pour lui donner un caractère, nous avons coulé le béton dans un coffrage dont le bois avait été traité préalablement en le brossant et le brûlant, de manière à faire ressortir ses veines et à donner au béton cette matérialité. En arrivant en haut de l'escalier, on est entouré-e d'éléments de mobilier assez bas, qui permettent d'avoir une vision d'ensemble des rayonnages, pour ensuite partir les explorer. »

2. Le bois, que le public s'inquiétait de voir disparaître, reste bien là… « Nous avons conservé partout les parquets, les parois et les revêtements en chêne. Auparavant, les plafonds étaient aussi totalement en bois, ce qui rendait les lieux sombres, on avait l'impression d'être dans une boîte en bois un peu écrasante. Nous les avons donc remplacés par des plafonds blancs. »

3. Les fenêtres en demi-lune, emblématiques du lieu, reprennent toute leur place : on voit dedans et on voit dehors… « On sentait que, avec le temps, l'aménagement de la bibliothèque avait été un peu modifié à gauche et à droite, les choses s'étaient entassées, l'espace s'était peu à peu surchargé. À

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l'arrivée, tout avait fini par être placé parallèlement à la façade, ce qui faisait qu'en s'éloignant à peine des fenêtres, on les perdait de vue, on se retrouvait complètement entouré-e de livres et on ne savait plus très bien où on était. Nous avons replacé les rayonnages sur des axes allant du centre vers les fenêtres, avec une circulation tout autour, de manière à ce que, où qu'on se trouve dans l'espace, on ait toujours un regard vers la lumière et vers l'extérieur. Celui-ci, du coup, est beaucoup plus présent. Le point de vue qu'on a depuis l'extérieur a changé aussi : on voit les tranches des livres éclairées et on se rend compte qu'il y a une bibliothèque au premier étage, alors qu'avant, on voyait un trou noir. »

4. Les livres font partie intégrante de l'esthétique du lieu… « L'idée, c'était d'avoir un vocabulaire d'intervention basé sur le chêne du parquet et des parois, sur des éléments métalliques gris anthracite et sur le blanc des étagères et du plafond. Après, ce qui fait vraiment la couleur, ce sont les livres, ce sont ces tranches qui vont amener la diversité et le mouvement à l'intérieur de la bibliothèque. »

5. Les rendez-vous culturels disposent d'une « scène magique » au rez-de-chaussée… « À l'époque où les lieux ont été conçus, une bibliothèque n'avait pas encore la diversité des activités actuelles, on était donc dans une architecture et dans un aménagement intérieur essentiellement dédiés à la lecture en silence et au prêt des livres. Aujourd'hui, la bibliothèque fait aussi de la médiation culturelle: des conférences, des ateliers, des expositions… ce qui fait qu'à un moment donné, on se retrouvait avec un programme trop important

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par rapport à la surface d'environ 600 m2 qu'on avait à disposition. Il fallait donc soit faire des choix et éliminer quelque chose, soit accepter qu'il y ait un espace plus polyvalent et plus mobile. C'est ce que nous avons fait au rez-de-chaussée. Avec du mobilier sur roulettes (en l'occurrence celui de la collection de DVD) et un système de rideaux, on peut créer un volume fermé, séparé du reste de la bibliothèque. Nous avons fait là un peu une scène magique, où on peut cacher et faire apparaître des choses. »

6. Les briques de la façade sont encore toutes là… « Elles sont assez caractéristiques des années 80 — la période où le bâtiment a été projeté —, mais les architectes y reviennent beaucoup aujourd'hui, car elles ont une chaleur et une qualité visuelle indéniables. »


Espaces

Un demi-siècle d'attente pour une bibliothèque La création d'une bibliothèque municipale dans le quartier semble se décider une première fois en 1942. C'est une époque où « les bibliothèques municipales et les salles de lecture sont prises d'assaut » par le public, lit-on dans le procès-verbal du Conseil municipal, le 15 décembre de cette année-là. Un conseiller municipal, le libéral Alphonse Bernoud, demande qu'on ajoute au projet une salle de lecture, qui est « plus utile que la bibliothèque parce que les gens sont heureux de se chauffer. C'est ce qu'on constate à la Madeleine ou à la place des Alpes » (où se trouvent alors les bibliothèques du centre-ville et des Pâquis). Une année plus tard, le 21 décembre 1943, le Conseil municipal relève que « le projet de création d'une bibliothèque aux Eaux-Vives ne présente pas d'urgence, vu les nouvelles installations faites à la bibliothèque de la Madeleine, laquelle est proche des Eaux-Vives ». En 1948, le projet

est mis en veilleuse : « Par suite d'insuffisance de locaux, il n'est pas possible, pour le moment du moins, d'envisager la création d'une telle bibliothèque. (…) Jusqu'à solution de ce problème, les intéressés devront avoir recours à la bibliothèque de la paroisse protestante, comme ce fut le cas jusqu'à maintenant », lit-on dans le procès-verbal du 19 novembre. Le dossier est rouvert 42 ans plus tard, en 1980. On décide alors de réaliser une étude, qui est inscrite au programme financier quadriennal et réalisée en 1982. En 1986, l'exécutif municipal propose d'ouvrir un crédit pour la construction d'un immeuble d'habitation au 2, rue Sillem, comprenant la bibliothèque. Le crédit est voté l'année d'après, le projet d'architecture est réalisé par Philippe Moreno et Dominique Gampert, les travaux commencent.

Le 12 septembre 1990, le Journal de Genève célèbre l'ouverture en notant qu'il s'agit de « la première bibliothèque entièrement informatisée. Au lieu des fiches traditionnelles, les usagers trouveront dans les salles plusieurs ordinateurs leur permettant d'avoir accès à une base de données de 40 000 titres ». Quoi d'autre ? « Chaque bibliothèque de quartier a sa “couleur” particulière ; située tout près du lac, celle des Eaux- Vives offre un rayon plus important sur la navigation et les bateaux (…). Le premier étage est enveloppé de bois, rappelant les anciens cabinets de lecture. Le mobilier est le même que celui choisi par Mario Botta pour la bibliothèque de Villeurbanne. Selon le Département des travaux publics, cette bibliothèque est absolument nécessaire, dans la mesure où elle “complétera l'animation d'un quartier passablement pauvre en équipements culturels et qui n'était jusqu'à présent desservi que par le Bibliobus”. »

Tout vite

Qu'est-ce que c'est qu'une « lecture d'été » ? « Il est vrai que nous avons cette demande à chaque début d'été : “J'aimerais un livre pour la plage, pas prise de tête, qui détend…” Nous avons en stock un grand échantillon de ce type de lecture. Mais il y a une autre école (dont je suis !), qui profite d'être en congé et donc d'avoir le temps pour une lecture au long cours, pour se lancer dans un bon gros pavé (Fin de combat de Karl Ove Knausgaard, 1400 pages, l'été dernier, ou Chroniques de l'oiseau à ressort de Haruki Murakami et Water music de T.C. Boyle il y a quelques années, ou alors un classique, genre Guerre et Paix). Certain-e-s lecteurs-trices se lancent de la même manière dans des documents plus exigeants, comme Sapiens, ou un essai de Thomas Piketty. » — Dominique Monnot, bibliothécaire à la BM Servette

« La lecture d'été, cela peut être… trois cents pages chiffonnées, déchirées, mais dévorées sous apnée tant le suspens est intense, quelques vers (bien tassés ! ) provoquant un éclair de lucidité, de beaux mots lus à voix douce à quelqu'un que l'on aime, de vertigineuses et solitaires méditations philosophiques, un conte initiatique inspirant partagé avec un enfant au bord de la sieste, un chapitre repris plusieurs fois les yeux mi-clos tant il fait chaud, un magazine très sérieux et un autre moins sérieux (qui n'est pas à nous, hein, on nous l'a passé… si si) sentant bon la crème solaire, un roman last minute acheté dans le dédale d'un aéroport, un ouvrage laissé par un voyageur ou une voyageuse dans un hôtel dont le titre pique la curiosité… Dans tous les cas, des mots-pensées qui nourrissent l'âme, vivifient l'esprit, agitent les neurones, activent l'imagination, déclenchent une palette d'émotions, sublimant cette saison chaude et lumineuse, ponctuée de tranches de liberté. » — Nathalie Godel, gestionnaire Ressources humaines aux BM

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Un paysage réinventé par le hip-hop Un archipel de chansons et de vidéos que Nic Ulmi, porteur de ce projet au sein des BM, a répertorié, histoire de montrer Genève sous un jour différent : « Dans l'imaginaire des musiques actuelles, Genève a beaucoup changé au fil des décennies. Jusqu'aux années 80, elle suscite avant tout des sentiments de colère (chez le groupe punk Technycolor), de déprime (chez Marie Laforêt), de nostalgie (chez William Sheller), d'amusement plus ou moins attendri (chez 42

Une constellation de morceaux de musique liés, par leurs paroles ou leurs vidéos, à des emplacements du territoire genevois. Une invitation à redécouvrir la ville (et sa campagne) en naviguant dans les sons et les images qu’elle a inspirés… C’est le projet « Hypercity – Pop Genève », déployé entre le numérique et l’espace public

le groupe rock-blues Le Beau Lac de Bâle ou le chanteur Texte : Léo Tichelli Der Klang)… Ensuite, de plus en plus, elle apparaît excitante par la palette de ses particularités. » Un vrai travail de fourmi commence, afin de dénicher tout ce qui se fait ou a pu se faire au bout du lac. Clips, paroles, titres de chansons, il y a beaucoup plus à se mettre sous la dent que ce qu'on pourrait attendre. On assiste à une vraie explosion depuis les années 2000, avec le rap comme détonateur : « Avec le hip-hop, un nouveau monde s'est ouvert. C'est un style de musique très “topophile”, c'est-à-dire avec un fort attachement affectif aux lieux, et une passion pour des facettes urbaines inattendues : barres d'immeubles, parkings, entrepôts, friches industrielles, toits… » Mettre Genève sur la carte, n'était-ce pas là l'un des mantras de la Superwak Clique et de ses fiers représentants, les rappeurs Slimka, Di-Meh et Makala ? Et en clippant tous azimuts, c'est une Genève loin des beaux-quartiers qui émerge, brute, sincère, multiple, avec bien plus à offrir qu'un jet d'eau et une horloge fleurie. En cherchant un peu, il est même possible d'inventer des ambiances qui fleurent l'ailleurs, pouvant rappeler le bord d'une mer, le cœur d'une jungle ou des quartiers de mégapoles américaines. Exit Void, un collectif de jeunes cinéastes, est même passé maître en la matière, en réalisant notamment des clips pour la scène rap genevoise, la Superwak Clique comme fréquent client. Montrer ce que les passant-e-s ne voient pas, ou métamorphoser le connu en inconnu : « La contrainte du cadre permet de créer l'illusion,

i Images tirées du clip « Chanson d'amour » de Gaspard Sommer (réalisation: Geoffroy Dubreuil)

Genève diplomate, Genève internationale, Genève protestante, Genève banquière. Des Genève archiconnues, il y en a plein. Et Genève musicale, décor de clips ou héroïne de chansons, alors ? Ce n'est pas forcément ce qui vient à l'esprit en premier en pensant à la cité de Calvin. Hypercity — Pop Genève est pourtant là pour prouver le contraire. Près de 300 morceaux la mentionnent, la montrent, la chantent. De Frank Sinatra à la star des sixties Rita Pavone, de Philippe Katerine au rappeur vedette Di-Meh, des notes se collent aux rues de la ville. Une ville qui a d'ailleurs de nombreux visages. Il y a celles et ceux qui la connaissent par ouïdire, entre clichés et évidences, comme Elvis Costello qui chante ses caveaux bancaires, d'autres qui la vivent de l'intérieur, comme la rappeuse Danitsa qui la met en scène dans ses clips. Il y a les pamphlets punk qui se moquent de son côté « première de classe », les chansons mélancoliques un peu grises et les ambiances jazzy baroques entre cabaret et gothisme coloré. Genève est aujourd'hui bigarrée comme jamais, peuplée d'artistes qui la mettent en musique, en paroles, et en images de clips.

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mais il faut faire attention car en décalant la caméra de quelques mètres, cet écran de fumée peut tout à coup disparaitre, illustre Emral Kadriov, membre d'Exit Void. Mais il y a véritablement tout une Genève encore méconnue, notamment dans ses habits nocturnes. Et avec un simple palmier et une lumière spécifique, il est possible d'évoquer par exemple un quartier de Miami ou de Séoul en plein Carouge. » Pour ce faire, le jeune vidéaste ne se sépare d'ailleurs plus de son calepin et de son appareil photo, histoire que rien ne lui échappe lors de ses virées en ville. Un de ses buts : parvenir à filmer chaque rue et chaque recoin du canton.

une Genève d'avant, plus permissive et plus insouciante. Il y a tellement d'artistes qui aiment cette ville et qui devraient être davantage mis-e-s en lumière. » Une petite qui a tout d'une grande, voilà peut-être le constat que dresse le jeune rappeur avec ses dizaines de titres sur les quartiers de sa jeunesse et son adolescence. Trop humbles, trop en retrait, Genève, et la Suisse en général, ne s'assument pas assez selon lui : « Il faut qu'on se respecte plus, et je dis ça dans un contexte plus large que la musique. On a une ville incroyable et on passe notre temps à rester dans le discret », regrette-il.

Impossible ? Un autre artiste ne doit pourtant pas être loin de cette prouesse, côté musical cette fois-ci. Idris Makazu rappe Genève comme personne ne l'a jamais fait jusque-là. Une discographie foisonnante et monothématique : Genevoiserie volumes 1 à 4, Petit GE, Hors GE, Anti GE, c'est bien simple, pas un seul de ses projets ne semble parler d'autre chose que de la Cité de Calvin et du canton qui l'entoure. Une évidence pour lui : « J'y vis depuis ma naissance, et je lui dois toute ma construction personnelle et artistique. Quand j'ai commencé à écrire, j'ai vite réalisé que tout tournait autour de Genève, donc je me suis dit que j'allais aller au bout du délire. »

Sans ironie, le musicien voit Genève comme une future Toronto, musicalement parlant. Un petit ovni au cœur de l'Europe, comme la mégapole du rappeur Drake a pu le devenir sur le continent nord-américain. Car Idris Makazu pense sa ville en musique, véritablement. Son passé, son présent, son avenir. Mais aussi sa politique, son architecture, son histoire. Une quête d'exhaustivité, ou une discographie à la manière d'un exercice de style oulipien. Mais pour décrire la Cité de Calvin, il revient aux fondamentaux : « Ce serait une phrase du collectif de rap Marékage Street : “Genève ma capitale, mon immeuble, un building.” Une grandeur qui se cache, en résumé. »

S'il tient le haut du pavé en ce moment, le rap n'est cependant pas le seul style musical à se faire entendre sur les deux rives de la rade. Le duo électronique TANZ/TANZ et sa deep house contemplative ont dédié un LP complet à leur quartier : la Jonction. Une balade méditative qui emmène l'auditeur de la rue des DeuxPonts aux Bois de la Bâtie, en passant par la place des Volontaires ou les rapides de l'Arve : « On aime parler de ce qu'on connait. On s'est littéralement inspirés des sons et des bruits que l'on entendait depuis notre fenêtre. Et c'est aussi très intéressant de faire un projet à propos de lieux extrêmement précis. Comme disait Nic Ulmi lorsqu'il avait chroniqué notre LP à sa sortie : “on touche à l'universel en faisant de l'hyperlocal”. »

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Certains parlent de l'hyperlocal, d'autres y revien­ nent. Léo Tardin, jazzman internationalement reconnu et moitié du groupe Grand Pianoramax, a quitté New

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Tous les quartiers et communes y passent, de Conches à ChêneBourg, de Meyrin à Confignon, de la campagne au centre-ville. Une démarche artistique qui pourrait friser l'obsessionnel, si elle n'était pas mûrement réfléchie. Car la carrière d'Idris Makazu ne se limite pas à un long hymne à l'amour pour sa ville. Décortiqué, analysé, critiqué, chaque quartier est passé au peigne fin pour dresser un panorama presque exhaustif, et parvenir aussi à certaines conclusions : « Je chante finalement beaucoup

Danser la Jonction, faire groover le Lignon

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Une cartographie à coup de rimes

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o Images tirées du clip « La Plage » de La Colère (réalisation : Yannick Maron)

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York puis Berlin pour revenir chez lui il y a 15 ans, à Carouge. S'il continue de tourner à travers le monde, il le fait désormais depuis Genève. Mais il a surtout monté un curieux projet : filmer des tutoriels musicaux à travers la ville. Son clavier électronique sous le bras, le pianiste arpente les parcs et les bords du lac ou se laisse voguer sur le Rhône dans un canot gonflable. Une manière de rendre en images l'ambiance de ses morceaux, et ne pas enfermer leur poésie dans un studio. De la musique au grand air, avec des pièces qui parlent d'endroits précis ( « Pâquis » ), et d'autres dont l'atmosphère coïncide avec les lieux ( « Ouverture » jouée au sommet du Salève, avec une vue imprenable sur tout le canton). Un drôle de parcours pour le musicien qui a étudié le piano dans la Grande Pomme, pour finalement revenir jouer quelques notes dans un square vide au milieu des tours du Lignon : « Genève a beaucoup changé ces 15 dernières années et a acquis un important pouvoir de séduction. Le niveau des musicien-ne-s a explosé, les écoles sont prestigieuses et pour avoir vécu longtemps à l'étranger, je peux dire que la qualité de vie est très attirante également. » Partir pour mieux revenir, et surtout voir la ville avec des yeux nouveaux. La « honte » de venir du bout du lac en tant que musicien-ne se transforme en décomplexion et en fierté. Et en allant voir ailleurs, on se rend aussi compte que ce qui est censé être «cool» ne l'est finalement

pas tant que ça selon lui : « Il faut démystifier les grandes villes, où tu peux vite être perdu-e dans un maelström d'opportunités. À Genève, on est en train d'inventer notre légitimité, on crée quelque chose. Dans une mégapole, être musicien-ne c'est de la survie. Ici, il y a un confort qui permet de se concentrer sur sa production artistique. Une ville légère, au charme candide mais qui ne pousse pas non plus à la paresse. »

o Image tirée de la vidéo « Le Lignon (Tutorial Series) » de Léo Tardin (réalisation : Yannick Maron)

o Image tirée du clip « Headshot » de Slimka (réalisation: Exit Void, Emral & Birdjan Kadriov)

Genève ma capitale, mon immeuble, un building.

La belle pas endormie Une douceur que semble emprunter aussi l'electro-pop d'aujourd'hui, une scène dont font partie Gaspard Sommer et La Colère. Cette dernière a récemment utilisé l'univers floral et enchanté du Jardin Botanique pour l'un de ses clips : « La Plage ». Comme quoi, la cité lacustre peut se transformer en station balnéaire le temps d'une chanson : « C'est aussi un chouette challenge de créer des ambiances exotiques à Genève. Il ne faut pas succomber au cliché affirmant que le canton est trop petit et étriqué, s'insurge-t-elle. Les seules frontières, ce sont celles mentales, mais dès qu'elles tombent, on peut tout à fait être d'une créativité sans bornes, même dans un espace restreint. » Et si les clichés collent trop à la peau, alors autant se servir de cette guimauve. La grande roue, la vieille ville ou les couchers de soleil le long de la rade : un parfait combo rose bonbon qui se déguste comme une 45


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douceur dans le clip « Chanson d'Amour » de Gaspard Sommer. Et le petit prodige du synthé et des sonorités pop le revendique : « Genève peut avoir un côté kitsch, qui est ici complètement assumé, histoire de donner au son un côté très mielleux, très cheesy. » Il semble définitivement exister autant de Genève que d'artistes. Pour le groupe The Green Flamingos, c'est une ville en mouvement, toujours sur le qui-vive, un vrai melting-pot de nationalités, d'influences et d'identités. Un peu comme leur groupe, avec des musicien-ne-s originaires du Bangladesh, d'Italie, et, plus proche d'ici, de Fribourg et du Valais. Yoanna Claquin, la chanteuse de la formation, s'attèle aussi à tordre le cou des « on dit » : « Rien à voir avec l'image de belle endormie, bourgeoise et policée que l'on peut avoir. Genève est loin d'être ennuyeuse, il faut simplement savoir où chercher ! », ajoute-elle. Et pourtant. Genève diplomate, Genève internationale, Genève protestante, Genève banquière. Tout cela existe aussi bel et bien. À la confluence de l'Arve et du Rhône semble exister une douce schizophrénie. Yoanna Claquin en rigole, elle qui est assistante de direction le jour et chanteuse la nuit : « La ville est une vraie tête de Janus. Ou alors c'est le lac, qui est comme un grand miroir et que l'on peut traverser pour aller voir de l'autre côté. » Alors pour découvrir la face musicale de la Cité de Calvin, une solution : se plonger dans les méandres d'Hypercity — Pop Genève. En ligne https://hypercity.ch

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u Images tirées du clip « Come out at Night » de The Green Flamingos (réalisation : Les Orties)

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Tout vite

Qu'est-ce que c'est qu'une « lecture d'été » ? « Pour ma part, une lecture d'été, c'est l'embarquement pour un voyage. Et l'embarcation compte autant que la destination… Cela peut être un paquebot, stable, confortable : le poids du volume et les 1000 pages annoncées sont autant de promesses d'une saga bien ficelée, avec la certitude d'arriver à bon port. Ou c'est l'occasion de monter à bord d'un voilier, se laisser surprendre au gré du vent et des courants : le hasard d'une découverte improbable dans un kiosque de gare… Mais c'est aussi une descente en radeau, dans les remous et les turbulences d'une rivière, le soleil qui tape et les rires des copines et des copains : une BD colorée, impertinente et régressive au goût de madeleine… » — Armelle Combre, responsable de l'Unité Communication au Département de la culture et de la transition numérique

Qu'est-ce que c'est qu'une « lecture d'été » ? En juillet 2021, le New York Times se posait la question et répondait en un long article historique, aussi fouillé qu'ensoleillé, « A Brief History of Summer Reading ». Extraits choisis (et traduits). « La lecture d'été telle que nous la connaissons aujourd'hui est apparue aux États-Unis au milieu du 19e siècle, portée par l'émergence d'une classe moyenne, par les innovations dans le domaine de l'édition et par une population croissante de lecteurs et lectrices avides, dont beaucoup de femmes. Et cet essor de la lecture d'été a coïncidé avec la naissance d'une autre tradition culturelle : les vacances d'été. (…) Ce qui avait été un privilège réservé aux riches devenait une possibilité pour un groupe croissant d'Américain-e-s de la classe moyenne supérieure et de la classe moyenne. (…) Les maisons d'édition ont vu dans cette nouvelle vague de voyages estivaux une occasion de renforcer ce qui avait été traditionnellement une saison terne pour les ventes de livres, et de promouvoir les romans, qui jusqu'alors avaient été largement considérés comme un sous-genre littéraire inférieur et comme une dangereuse

influence corruptrice, en particulier pour les jeunes femmes. (…) Les objectifs des maisons d'édition ont été favorisés par deux autres développements importants (…). L'invention, au milieu du 19e siècle, du papier à base de pâte de bois, beaucoup moins cher à produire que le papier fabriqué à partir de chiffons de lin, a permis de réduire considérablement le prix des livres. Et les taux d'alphabétisation des femmes américaines — qui étaient plus susceptibles de passer de longues périodes de l'été dans des stations balnéaires que leurs maris, lesquels devaient souvent faire la navette avec leur travail en ville — sont montés en flèche. (…) Le genre “roman d'été” a également fourni un point d'entrée à de nombreuses femmes écrivaines (…) Avant d'écrire Les Quatre Filles du docteur March (Little Women), Louisa May Alcott a produit de nombreux romans d'été — tous publiés anonymement ou sous pseudonyme — tels que Perilous Play (1876), qui suit un groupe de jeunes vacancier-e-s sur la plage s'embarquant dans une foule d'escapades orgiaques après avoir décidé de pimenter un après-midi d'été oisif en mangeant des bonbons au haschisch. »

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Les BM s'étaient mises il y a 60 ans à faire rouler leurs livres et leurs bibliothécaires dans les Bibliobus. Depuis 2015, elles ont rendu nomades les autres facettes de leur offre : spectacles, rencontres, ateliers… D'un archipel d'îles dans les quartiers, la navigation part à la rencontre de nouveaux publics

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Mobithèque, un vrai lieu sur roues

Autrefois, une bibliothèque ne bougeait pas. Les gens allaient et venaient, les livres circulaient, mais les lieux restaient vissés au même endroit. Le 5 février 1962, les Bibliothèques municipales de Genève brisent cette immobilité, se faisant pousser des roues et se mettant à rouler avec le premier vaisseau de leur future flottille de Bibliobus. Il faut ensuite attendre un demi-siècle pour qu'une autre idée novatrice vienne prolonger cette lancée. En 2015, on prend un camion, on le rend décapotable sur l'un de ses côtés et on en fait une scène, une plateforme ouverte aux vents, un radeau prêt à s'amarrer quelque part dans les courants de la ville. Nommé « Mobithèque », l'engin accueille depuis lors tout ce que les bibliothèques se sont mises à faire de plus en plus intensivement au cours des dernières décennies : à côté du prêt de livres, disques et DVD,

on y trouve une programmation culturelle, des ateliers, des moments de partage d'expériences et d'apprentissage… Avec tout cela, la Mobithèque n'est donc pas seulement un contenant qui roule, mais aussi un vrai lieu sur roues, naviguant entre des environnements urbains variés. De sa toute première sortie sur la place du Molard le 16 septembre 2015 à ses haltes estivales au Bois de la Bâtie et au parc Geisendorf en 2022, en passant par des places et des parkings, elle vit sa vie nomade en tissant des liens avec tout ce qu'elle rencontre dans ses parcours.

Une machine à rencontrer de nouveaux publics La Mobithèque voit le jour, à vrai dire, au croisement d'une réflexion de fond et d'une opportunité inespérée. La réflexion, pour commencer : « Une des priorités stratégiques que nous étions en train de poser au sein des Bibliothèques municipales consistait à favoriser l'accès à nos prestations pour tout le monde, incluant les personnes qui jusque-là ne venaient pas dans nos locaux. Cela impliquait de se rapprocher des publics, y compris en allant physiquement à leur rencontre », raconte la directrice des Bibliothèques municipales, Véronique Pürro. Ce genre d'approche existait déjà, « mais de manière très ponctuelle et modeste, sous la forme d'un stand dans une fête de quartier, ou d'un caddy rempli de livres et d'une couverture sur laquelle une bibliothécaire se posait dans un parc pour lire une histoire aux enfants ». Comment aller plus loin ? « Nous avions une ligne budgétaire en attente pour l'achat d'une camionnette servant à nos transports. Le temps que 49


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la demande de crédit soit inscrite au plan financier et votée par le Conseil municipal, le besoin n'était plus vraiment là. J'ai donc proposé que nous utilisions cette somme pour nous doter d'un équipement permettant d'aller dehors, vers les nouveaux publics. »

« Lorsqu'on est à l'intérieur, à un moment donné il faut fermer, boucler les lieux, mettre l'alarme. Quand on est hors-murs, on peut toujours rester, poursuivre les échanges, approfondir les rencontres. »

Un programme est élaboré. La Mobithèque (qui faillit alors s'appeler « Proxibib », par analogie avec le programme municipal de fitness urbain « Proxisport » ) sera « un outil avec lequel on peut absolument tout faire : projeter des films, écouter de la musique, inscrire les gens à notre service de prêt et leur permettre de repartir avec leur carte de lectrice ou de lecteur », détaille la directrice. La plasticienne genevoise Pascale Favre réalise la fresque qui recouvre l'engin, affichant des mots qui font le tour de ce « tout faire ». Parmi ces termes, un verbe étonne. Que vient faire là le mot « assouplir » ? « À la même époque, il avait été décidé de réaffecter les locaux de la Villa Plonjon, au bout du parc des Eaux-Vives, attribués jusque-là à notre bibliothèque des sports. Avant que cette collection de documents retrouve un lieu fixe à la bibliothèque des Minoteries, puis à celle de Saint-Jean, l'Espace Sport a vécu une

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période entièrement nomade à bord de la Mobithèque, qui présentait cette facette de notre offre lors d'événements sportifs », répond Véronique Pürro.

Des livres pour courir et pour nager Pendant un temps, la vocation de la Mobithèque est donc intensément sportive. Le véhicule intervient lors d'événements courus tels que le Marathon de Genève : « Les gens étaient surpris, ils se demandaient ce que des livres venaient faire dans une manifestation où on va pour courir… » raconte David Schnyder, responsable de l'Espace Sport, associé dès le départ à la conception de l'objet. Que répondre ? « J'expliquais que j'étais là pour mettre en avant une documentation reflétant ce qui se passe dans le monde de la course à pied et présentant les tendances actuelles dans ce domaine. Par exemple courir au naturel, sur l'avant du pied, une approche que les livres et les revues spécialisés ont beaucoup traitée ces dix dernières années. » Pareil lorsque la Mobithèque se pointe à la Coupe de Noël : « Dans ce cas, je partais sur les bienfaits de la nage en eau froide, sur lesquels énormément de choses ont été publiées ces 3-4 dernières années. » Ces sorties sont également l'occasion de présenter des ressources numériques, allant du jeu vidéo d'alpinisme, présenté dans le cadre du Salon de la Montagne sur la Plaine de Plainpalais, à l'application de presse en


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ligne PressReader. « Il y a des gens qui ne lisent pas forcément des livres mais qui sont ravis si on leur propose de feuilleter gratuitement L'Équipe sur nos tablettes », signale David Schnyder. En dehors de ce type d'événements, on imagine alors que l'Espace Sport des BM pourrait adopter de façon définitive cette vie nomade : « On garait la Mobithèque une fois par semaine sur le parking à la sortie de la patinoire et piscine des Vernets pour faire du prêt de documents. Mais la formule n'a pas pris. » Le sport retrouvera un espace intérieur pour ses collections, renouant avec le hors-murs de manière plus ponctuelle, et la Mobithèque embrassera avant tout sa vocation événementielle.

Navigations d'été Si la ville était une mer et que les sept bibliothèques du réseau BM étaient des îles, on pourrait dire que la Mobithèque fait d'abord du cabotage, naviguant en 2016 tout près des côtes, à proximité de chaque bibliothèque de quartier. « Ce programme, initialement appelé “Sortir pour lire”, prolongeait les petites bulles hors-murs que certaines bibliothèques avaient déjà créées dans des lieux tels que la place de la Navigation, les parcs Gourgas, Geisendorf et des Chaumettes, les préaux d'école aux Eaux-Vives ou les voies couvertes de Saint-Jean. Plus que de nouveaux publics, avec ces premières sorties on touchait avant tout le public habitué des BM, à qui on signalait notre volonté d'aller davantage dehors, et qui en était enchanté », raconte Laura Györik Costas, responsable de la médiation culturelle. Certains emplacements commencent alors à entraîner la Mobithèque dans des eaux nouvelles. « Un endroit particulièrement marquant pour les interac-

tions avec le public a été, en 2016, le square de l'Europe, un bout de quartier très multiculturel entre la Servette et les Charmilles. Nous avions installé la Mobithèque au pied des immeubles, ce qui permettait aux enfants de venir sans être accompagné-e-s, car leurs mères pouvaient les voir depuis les fenêtres. » Pour la Tribune de Genève, très inspirée, le véhicule devient alors « la roulotte aux mille histoires » . Étape suivante : la Mobithèque prend véritablement le large en se mettant au vert et en commençant à explorer systématiquement les parcs. « Il y a eu au début quelques maladresses. Au parc Geisendorf, nous avons investi le préau de l'école en empiétant carrément sur le terrain de basket, ce qui nous a attiré les foudres des jeunes dont c'était le terrain de jeu. Nous avons affiné progressivement la formule en ajustant la durée de notre présence en chaque lieu (deux semaines plutôt qu'une seule, pour laisser au bouche à oreille le temps de se faire) et le choix de la période. En commençant en juillet, au lendemain de la fermeture des écoles, nous offrons une soupape aux familles qui se retrouvent à 100% avec les enfants sans avoir (encore) prévu de vacances », reprend Laura Györik Costas. D'autres aspects vont s'étoffer au fil des étés, améliorant le confort ( « Il fallait créer de l'ombre, d'abord avec des petits parasol qui s'envolaient, puis avec des toiles qui créent désormais de vraies zones ombragées » ) et développant la programmation à travers des partenariats avec des lieux de culture proches : Musée Ariana, Théâtre de l'Orangerie, Musée d'histoire des sciences, Conservatoire et jardin botaniques…

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Des cris d'animaux, du slam, des récits prolongés jusqu'à la nuit Depuis 2017, le périple estival de la Mobithèque entre les espaces verts genevois est appelé « De parc en parc ». Trois moments particulièrement marquants ? « Au parc La Grange, en 2018, nous avons fait un partenariat avec les Cours de français au parc. Pendant que les adultes, issu-e-s des différentes migrations que Genève a connues ces dernières années, suivaient les cours, la Mobithèque accueillait leurs enfants et quelques mamans qui ne souhaitaient pas se séparer de leur progéniture. Comment interagir avec ce public, qui parlait plein de langues différentes, mais pas le français ? Ce qui a fédéré tout le monde, c'était un blind test où il s'agissait de reconnaître un animal à partir de son cri, de dire son nom dans sa propre langue et de découvrir ensuite le mot en français… La prof qui donnait les cours aux adultes, Simona Ferrar, est aussi chorégraphe. Elle revient cette année avec un projet entre danse et pop culture qui s'immerge dans le Bois de la Bâtie (lire l'encadré). » Deuxième souvenir frappant : « Bois de la Bâtie, 2021 : nous avions fait un tout-ménage pour informer les habitant-e-s vivant à proximité. Là aussi, il y avait pas mal de personnes qui ne parlaient pas français et qui ne partaient pas en vacances. Parmi celles-ci, un papa qui emmenait tous les jours sa fille d'une dizaine d'années et qui restait là, du début à la fin, pendant qu'elle participait aux activités. Le dernier jour de notre programme, le slameur Fafapunk présentait un spectacle tiré du Petit prince, suivi d'un atelier où il proposait au public d'écrire et de slamer à son tour. La petite fille a écrit et déclamé son texte et à la fin elle s'est exclamée, en s'adressant au slameur : “Je ne veux pas que tu partes, je veux que ça continue ! ” Pour le coup, nous avions vraiment l'impression d'avoir comblé une lacune, mais aussi d'avoir permis de vivre des moments forts aux familles qui ne partent pas l'été », note Laura Györik Costas. Un dernier souvenir, du côté des propositions pour les adultes ? « Nos projets “Le Parc augmenté” et “Hypercity”, des parcours balisés par des codes QR proposant des podcasts entre l'histoire et l'imaginaire des lieux, ont donné lieu à des balades guidées, prolongées parfois par des apéros. Il m'est arrivé de rester tard le soir avec les participant-e-s qui, dans le sillage de la balade, avaient tellement de choses à débattre et à raconter… Lorsqu'on est à l'intérieur, à un moment donné il faut fermer, boucler les lieux, mettre l'alarme. Quand on est hors-murs, on peut toujours rester, poursuivre les échanges, approfondir les rencontres. »

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Pour Frédéric Baillif, tout a commencé à Geisendorf Près de vingt ans avant d'exploser mondialement avec son dernier film La mif (primé 13 fois, de Berlin à Buenos Aires, à l'heure où nous écrivons), le cinéaste genevois Frédéric Baillif filmait Geisendorf (2006) : le parc, le microcosme, le lieu de vie qu'il avait découvert en y travaillant en tant qu'éducateur. Cet espace vert entre les quartiers Saint-Jean/Charmilles et la Servette, aujourd'hui apaisé et investi par des activités socio-culturelles variées, était perçu en ce temps-là comme une véritable jungle urbaine, livrée à des bandes et secouée autour de l'an 2000 par des agressions homophobes particulièrement violentes. Le réalisateur plongeait alors dans l'épaisseur humaine du parc pour la restituer en un documentaire palpitant, qui suivait quatre jeunes hommes habitués des lieux et qui traduisait le quotidien urbain en images prenantes, déroulées sur des musiques funky. Jeudi 21 juillet à 17h, Frédéric Baillif sera au parc Geisendorf pour présenter ce film, projeté à la Mobithèque des Bibliothèques municipales dans le cadre du programme « De parc en parc ». Interview. Lorsque le film est sorti, en 2006, le journal Le Temps évoquait son impact sur notre vision de la ville en titrant « Geisendorf, la face cachée de Genève ». Le documentaire n'a rien perdu de sa force, mais l'effet est très différent si on le regarde aujourd'hui. « Tout à fait. Je crois qu'à l'époque, on découvrait une Genève avec des mélanges culturels profonds, ce qui était assez nouveau. De plus, il était encore

assez rare chez nous de filmer des personnes noires. Il n'y avait pas encore eu le mouvement Black Lives Matter, qui pour moi en tant que réalisateur a été un véritable tournant : aujourd'hui, je peux beaucoup plus facilement proposer un casting avec beaucoup de personnages noirs, alors qu'il y a encore dix ans, ce n'était pas possible. Lorsque j'ai fait par exemple Tapis rouge, mon premier film de fiction sorti en 2014, je me suis rendu compte que j'avais du mal à le faire vivre auprès des institutions, particulièrement la RTS, parce qu'il y avait toujours cette croyance fausse que les personnes noires ne sont pas représentatives de la population et du public suisses. Geisendorf avait donc, entre autres, marqué les gens parce que j'avais fait ce choix… qui en réalité n'en était pas un : c'était naturel pour moi de filmer des Noirs simplement parce que c'était la population qu'il y avait là. On découvrait aussi, de manière plus générale, cette population de jeunes issus de l'immigration dans certains quartiers, face à laquelle il y avait des idées reçues et de la peur. En l'occurrence, les jeunes de Geisendorf étaient considérés en bloc comme des voyous parce qu'ils traînaient dans les parcs, et plus particulièrement dans un parc où il y avait eu par le passé de vrais problèmes, avec des mecs qui avaient été quasiment lynchés. En se rapprochant de ces jeunes, on se rend compte que c'est beaucoup plus complexe. C'est ainsi que je me suis mis à faire intuitivement ce que je continue à faire aujourd'hui, car je réalise que l'utilité de mon métier, c'est de montrer le backstage, d'aller au-delà de ce qu'on croit connaître. »

Quel était le premier moteur de ce film, l'intérêt pour cette problématique ou le lieu lui-même ? « C'était assez simple : à l'époque j'étais éducateur, et une de mes missions pour la Délégation à la jeunesse de la Ville de Genève consistait à m'occuper le dimanche de la salle de gym de Geisendorf, où les jeunes venaient faire du foot et du basket. La salle avait été ouverte et des éducateurs avaient été envoyés sur place suite aux agressions qu'il y avait eu dans ces lieux, pour aller à la rencontre de ces jeunes sur leur territoire. À côté de ce travail, j'avais eu trés tôt envie de faire du cinéma. J'avais déjà fait un premier film [Sideman, portrait de l'harmoniciste jazz Grégoire Maret, en 2003], mais comme je n'avais pas de formation en cinéma, je manquais de confiance en moi, donc j'avançais un peu en tâtonnant. Un jour, en travaillant là une fois par semaine, en faisant moi-même du basket et en rentrant en lien par ces biais-là avec les jeunes du quartier, je me suis dit qu'en fait, c'était incroyable, tout ce qui se passait en ce lieu. Il y avait tellement de jeunes, des centaines tous les weekends, et il y avait de tout : certains étaient vraiment des voyous, mais qui venaient en mode tranquille, parce que c'était leur cour d'école, au sens propre comme figuré, du coup il n'y avait pas réellement de problème, même pour les plus… cramés, j'ai envie de dire. Je me suis dit qu'il y avait vraiment une histoire à raconter autour de cette jeunesse-là, entre autres pour que les gens puissent comprendre

« On retrouve dans Geisendorf et dans La mif cette même démarche qui consiste à soigner ma blessure en allant écouter les autres, les valoriser et mettre le doigt sur leur potentiel… Tout ce qui m'a manqué quand j'étais ado. » 54


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que ce n'est pas noir ou blanc, qu'il y a vraiment des nuances. J'ai quitté mon boulot parce que j'avais vraiment envie de faire des films, j'ai trouvé un producteur qui m'a fait un contrat de m**** parce que j'étais jeune et que je manquais de confiance en moi, j'ai été sous-payé, mais j'ai quand même fait ce film, qui a gagné le premier prix au festival de documentaire Visions du réel. Et c'est là que tout a commencé pour moi. » Ce film, ce lieu, les quatre protagonistes sont-ils restés avec vous ? « Pas physiquement, parce que chacun a vécu sa vie, mais j'ai eu des contacts récemment lorsqu'on a refait une projection. Marvin est devenu coach sportif, tout va bien. Michael le footballeur est papa de deux enfants, c'est ce qui fait qu'à un moment donné il s'est dit OK, j'arrête de déconner. Il disait d'ailleurs, en présentant le film l'autre jour avec moi, qu'il n'était pas très fier de se revoir comme ça… Adli a toujours sa sensibilité à fleur de peau qui est assez difficile à vivre pour lui. Et Cédric, je crois qu'il a terminé sa carrière de basketteur, qui a été moins extraordinaire qu'il ne l'aurait souhaité, mais qu'il est

tout de même parvenu à mener au niveau suisse. Si je les croise par hasard, on se tombe dans les bras, on a vécu tellement de choses intenses avec ce film, c'est toujours très émouvant. Ils sont donc restés dans mon cœur, mais aussi dans mon écriture. Après ce film, j'avais eu une réaction un peu orgueilleuse, qui était de me dire ”bon, maintenant je ne suis plus un éducateur, je suis un cinéaste”, comme si c'était une espèce de promotion sociale. Je le regrette aujourd'hui, parce que du coup, j'avais arrêté de faire des films à caractère social, en lien avec le métier d'éducateur, qui était finalement la meilleure école de cinéma que je puisse faire. Pendant une période, j'ai donc renié ce passé-là, mais avec le temps j'ai réalisé que je fais des films bien meilleurs en parlant de la jeunesse, du travail social et de questions de société. J'ai compris ce que j'avais envie de raconter et pourquoi j'avais envie de le raconter, et aujourd'hui j'y suis revenu avec La mif. » Quel est le trait commun le plus fort entre Geisendorf et La mif, au-delà des thèmes relativement proches (des jeunes hommes qui traînent dans un parc,

des adolescentes dans un foyer d'accueil) ? « Au fond de moi, il y a une vraie blessure d'adolescent, que ces films me permettent de soigner. Lorsque je me retrouve aujourd'hui devant le public avec La mif et que je réponds aux questions, il m'arrive de parler de cette période de ma vie et je sens dans mes tripes qu'il y a une colère, parfois ma voix se met à trembler… Ce qui me touche encore profondément est l'incapacité du monde adulte à comprendre réellement ce qui passe dans la tronche des ados. C'est quelque chose qui m'a beaucoup blessé, particulièrement à l'école, lorsqu'on m'a fait comprendre que je n'étais pas à la hauteur parce que j'avais de mauvaises notes en math, ce qui a déclenché des problèmes de comportement qui m'ont exclu du système scolaire, me faisant sentir totalement rabaissé, dévalorisé. J'ai mis des années à reconstruire une confiance en moi grâce au basket, qui m'a sauvé en me donnant un milieu où j'avais la possibilité de m'exprimer et d'être accepté tel que j'étais, de faire mes preuves et même d'être valorisé dans un rôle de leader. C'est pour cette raison, je pense, qu'on retrouve dans Geisendorf et 55


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dans La mif cette même démarche qui consiste à soigner ma blessure en allant écouter les autres, les valoriser et mettre le doigt sur leur potentiel… Tout ce qui m'a manqué quand j'étais ado. Sous ce rapport-là, je pense quand même qu'on a énormément évolué. Aujourd'hui on sait écouter les émotions des enfants et des ados, susciter le dialogue, il y a du respect, l'autorité arbitraire est beaucoup moins présente, et à mon avis c'est très bien. J'ai l'impression qu'on est nettement mieux outillé-e-s en tant que parents et qu'enseignant-e-s. La preuve, c'est — je trouve — que les jeunes sont beaucoup plus tolérant-e-s, plus ouvert-e-s d'esprits qu'on ne l'était lorsque j'étais ado. Sur les

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questions de genre, de sexualité ou de racisme, les filles de La mif [des actrices non-professionnelles qui jouent des rôles proches de leur expérience vécue] sont franchement à des années lumière d'où j'en étais à leur âge. » Vous arrive-t-il de retourner à Geisendorf ? « J'habite pas loin, donc j'y vais parfois avec mes enfants, et à chaque fois, je ne peux pas m'empêcher de repenser à cette expérience extraordinaire, qui a été le tournant de ma vie professionnelle. Le film a aussi marqué pas mal de gens, on m'en parle encore beaucoup. Je ne vais pas me jeter des fleurs, mais je me demande s'il n'a pas fait du bien au quartier et s'il

juin – août 2022

n'a pas contribué à réconcilier les gens avec ce lieu, qui à l'époque était déserté. Quand je vois le parc aujourd'hui, très vivant, avec plein d'enfants, où il n'y a plus de sentiment de peur, j'aime bien penser que c'est aussi un petit peu grâce à ce film. »


Tout vite

L'amour, l'argent et la santé à l'orée du bois Simona Ferrar et Louise Hanmer sont danseuses et chorégraphes. Mais les rencontres qu'elles proposent à la Mobithèque prennent place dans ce grand backstage qu'est la vraie vie, pour créer des « instants d'amitié accélérée ». Comment ça se passe ? Simona Ferrar répond. « Vous êtes invité-e à tirer au sort une carte qui définit la thématique : l'argent, l'amour ou la santé. Louise ou moi vous livrons alors un récit sur ce thème, au cours d'une déambulation à l'orée du bois ou dans un espace clos tout près. Ce que nous vous racontons vient de notre vie “off the dancefloor” (une allusion à un album de Madonna qui, lui, s'appelle Confession on a Dance Floor) : le fait de pratiquer un métier artistique a inévitablement un impact sur sur notre style de vie, et notamment sur notre manière de vivre l'amour, la santé et l'argent. Je me suis toujours demandé, d'ailleurs, pourquoi ces sujets qui touchent tout le monde ne font pas partie des questions qui sont abordées à l'école… Ces histoires prennent 15 à 20 minutes. Ensuite il y a un temps pour vos réactions, si vous souhaitez en avoir.

Performance

C'est très rare normalement d'avoir un tel échange avec un-e parfait-e inconnu-e. En général on commence par du small talk et il faut un bon moment pour savoir si on se sent assez à l'aise pour se raconter des choses personnelles. Il m'est d'ailleurs souvent arrivé, du fait de ma timidité, de me sentir peu confortable dans un contexte social et d'attendre avec impatience le moment où on peut passer à un niveau moins superficiel, plus authentique. Une des choses que j'ai souhaité créer avec ces rencontres, ce sont donc des instants d'amitié accélérés, des raccourcis par rapport aux situations sociales normales. On crée immédiatement, automatiquement un Me 6 et 13.7 / 16h échange qu'on n'aurait d'ordinaire qu'avec une personne déjà proche.

I Want to Hold Your Hand & Other Confessions off the Dance Floor

Je voulais aussi honorer le risque qu'on prend en tant qu'humain-e quand on va vers un-e inconu-e et Performance de Simona Ferrar, avec Louise Hanmer jouer avec le fait qu'on s'influence, qu'on n'estime pas forcément → Mobithèque, le genre et la force de l'impact Bois de la Bâtie ○ Tout public, dès 12 ans qu'on peut avoir en se frottant Durée : env. 2h à quelqu'un. Parfois, longtemps après, j'ai la voix d'une personne qui me revient en tête et qui me donne un conseil. J'ai raconté par exemple le début d'une histoire d'amour, la personne en face m'a dit “Je pense que c'est important de faire des activités ensemble”, et c'est quelque chose qui m'inspire encore aujourd'hui. Je souhaite que ces histoires apportent quelque chose aux personnes qui participent et que, chacun-e les racontant à d'autres, la vague continue. »

Qu'est-ce que c'est qu'une « lecture d'été » ? « Assurément, une lecture qui se fait différente. Paradoxalement plus solitaire, au contraire de la lecture régulièrement collective et familiale l'hiver au coin du feu (même si je n'ai pas de cheminée). Lecture plus diurne, mais livres peut-être plus sombres. Comme si l'un devait compenser l'autre. Ou que la sérotonine apportée par l'allongement des journées permettait de se confronter avec des écrits moins faciles à digérer. » — Félicien Mazzola, collaborateur à la direction du Département de la culture et de la transition numérique) Qu'est-ce que c'est qu'une « lecture d'été » ? « Ma lecture d'été doit être solaire, joyeuse, simple, sans “prise de tête” ! J'attends souvent avec impatience les articles des magazines, spécialisés ou non, qui dispensent des conseils sur des “livres pour votre été” pour faire mon choix. Et puis surtout, surtout, je lis des livres papier. Loin de moi la tablette qui surchauffe sur la plage. Mes lectures d'été finissent toujours par rentrer à la maison avec des grains de sable emprisonnés dans la reliure, des taches de crème solaire et des pages écornées ! » — Nadine Bonard, chargée de communication au Département de la culture et de la transition numérique

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Trop pratique

nota n°2

Les bibliothèques municipales

Un réseau de 7 bibliothèques ouvertes du mardi au samedi offrant plus de

700’000

documents et de nombreuses prestations entièrement gratuites pour tous les publics.

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juin – août 2022


Trop pratique

Des bibliothécaires qui vous orientent dans vos recherches d’informations et vous conseillent selon vos envies ou vos besoins. Des espaces conviviaux de lecture, d’écoute et de consultation, un espace pour découvrir le numérique, des zones de travail, du wifi, des postes internet et des iPads en consultation, l’accueil de groupes, de classes et de crèches. Des événements culturels, rencontres avec des auteure-s, expositions, concerts, lectures, conférences, ateliers et formations.

De nombreux livres, revues et journaux, films, albums de musique… disponibles en plusieurs langues.

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Prolongez jusqu’à 3 fois vos emprunts auprès des bibliothécaires, par téléphone ou via votre espace personnel en ligne.

Réservez des documents auprès des bibliothécaires, par téléphone ou via votre espace personnel en ligne.

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du i d r a m au Trop pratique

é n! Attentio èque de la Cit th La biblio e du mardi 5 é est ferm di 8 juillet re au vend

Bibliothèque de la Cité & Espace musique

La bibliothèque vous accueille ! Bibliothèque hors murs — Bibliobus 022 418 92 70 (répondeur 24h/24) Info auprès des communes ou sur www.bm-geneve.ch

Place des Trois-Perdrix 5 1204 Genève 022 418 32 00 Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

10h 10h 10h 10h 10h

— — — — —

17h 17h 17h 17h 17h

Tram : 12, 14 / Arrêt Bel-Air Bus : 2, 10, D, 4, 5, 7, 19, 36 / Arrêt Bel-Air

Bibliothèque des Eaux-Vives Fermée pour travaux, réouverture prévue le 9 avril

Rue Sillem 2 1207 Genève 022 418 37 70 adultes 022 418 37 72 jeunes Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

10h — 10h30 — 10h — 10h — fermée

14h 18h30 14h 14h

nota n°2

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Bibliothèque des Pâquis

Rue du Môle 17 1201 Genève 022 418 37 50 adultes 022 418 37 52 jeunes Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

60

14h 18h30 14h 14h

Tram : 15 / Arrêt Môle Bus : 1, 25 / Arrêt Navigation

Bibliothèque de la Jonction

Bibliothèque de la Servette

Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

Boulevard Carl-Vogt 22 1205 Genève 022 418 97 10 adultes 022 418 97 12 jeunes 10h — 10h30 — 10h — 10h — fermée

Rue Veyrassat 9 1202 Genève 022 418 37 80 adultes 022 418 37 82 jeunes

14h 18h30 14h 14h

Tram : 14 / Arrêt Jonction Bus : 4, 11, D / Arrêt Jonction Bus : 2, 19, 35 / Arrêt Sainte — Clotilde

Bibliothèque des Minoteries Parc des Minoteries 5 1205 Genève 022 418 37 40 Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

10h — 10h30 — 10h — 10h — fermée

14h 18h30 14h 14h

Tram : 12 / Arrêt Augustins

samedi Bus : 2, 6, E, G / Arrêt Vollandes

10h — 10h30 — 10h — 10h — fermée

10h — 10h30 — 10h — 10h — fermée

14h 18h30 14h 14h

Tram : 14, 18 / Arrêt Servette Bus : 3, 11 / Arrêt Servette

Bibliothèque de Saint-Jean & Espace Sport Avenue des Tilleuls 19 1203 Genève 022 418 92 01 adultes 022 418 92 02 jeunes 022 418 37 66 sport Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

10h — 10h30 — 10h — 10h — fermée

14h 18h30 14h 14h

Bus : 7, 11, 9 / Arrêt Miléant Bus : 6, 10, 19 / Arrêt Charmilles

Les horaires d'été ci-dessus sont valables du mardi 5 juillet au samedi 20 août (inclus)


Trop pratique

Bibliothèque des Pâquis

Bibliothèque de la Servette Mobithèque Parc Geisendorf Me 20–Di 31.7 Bibliothèque de St-Jean

Mobithèque Bois de la Bâtie Me 6–Di 17.7

Bibliothèque des Eaux-Vives

Bibliothèque de la Cité Bibliothèque de la Jonction

Bibliothèque des Minoteries

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Que faire lorsque la musique se dématérialise ? L'Espace Musique des BM propose

60’000 CD et plein d'autres chemins pour naviguer dans un univers en pleine transformation !

Lire l’article en p. 16

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