Bient么t
Guêlan’
Bientôt
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- T’as vu ? dit Lisa à Clément, un sourire d’émerveillement accompagnant ses paroles. Un sourire que ne pouvait voir son amant, tout entier attentif aux obstacles de la route. - Vu quoi ? répondit-il. - Les tags ! - Quoi, les tags ? Y en a partout ! - Tu fais attention à rien. - Figure toi que ce périphérique fait pas mal de morts tous les ans et j’ai pas envie de faire partie des élus à cause d’un tag ! - T’exagères. Je suis sûre que tu te gènes pas de reluquer les pubs quand y a de belles nanas dessus. En tout cas moi, les tags, je les regarde tous les jours. - Et alors, répondit Clément, sans relever la provocation. - Et alors ? Ils grandissent, ils changent, s’enrichissent. Je peux maintenant déterminer si deux tags
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sont de la même main ou non, estimer l’étendue des territoires de chacun des tagueurs, leurs parcours. - Tu sais que tu devrais penser à te recycler. La police aurait besoin de gens comme toi pour pister ces gribouilleurs. - Très drôle, Clément ! - Je suis sérieux. - T’es toujours sérieux. T’es chiant. Tu t’intéresses à rien en faisant croire que tu t’intéresses à tout. - Je te remercie. Mais vas-tu te décider à me dire ce que tu as vu de si extraordinaire comme tag aujourd’hui ? - Parce que ça t’intéresse ? - Tu sais bien que je me fous de tout. Mais dis toujours. - Y a un nouveau tag, tout frais de cette nuit, j’en suis sûre. - Parce que c’est pas le cas tous les jours ? - Non, pas tous les jours. - Et qu’est-ce qu’il a ce tag ? - C’est juste un mot. - En français ? - Oui. - Et c’est quoi ? - « Bientôt » - En un ou deux mots ?
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- Un seul mot, je te l’ai déjà dit. - Et alors ? - C’est étrange, les T ressemblent à des croix catholiques. - Pas très gai. Y en a beaucoup ? - J’en ai vu un, sûre, et j’ai cru en apercevoir un ou deux autres mais ils étaient loin, je suis pas certaine. Moi, je trouve cela bizarre. - T’es arrivée dit Clément. Tu finis à quelle heure ce soir ? - Comme d’habitude. Quelle question ! - A ce soir. Je t’aime, conclut Clément tandis que Lisa fermait la portière. Il partit gagner ce qui lui avait été donné : sa vie.
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- J’en étais sûre, dit Lisa, visiblement réjouie. - Sûre de quoi ? demanda Clément. - Il a déjà étendu son territoire. - De qui tu parles ? - Du tagueur ! Tu sais, celui qui écrit « Bientôt » avec des croix à la place des T. - C’est un vrai dominant. - C’est pas une bête, répliqua vivement Lisa, comme si elle voulait prendre la défense de cet inconnu tagueur. - C’est toi qui parles de territoire. - D’accord. Je vois que tu t’en fous totalement. - C’est pas vrai. Mais je trouve ton engouement démesuré. - Tu peux pas comprendre, t’es sans passion. Comme ces murs de béton. - Ça veut dire quoi ?
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- Que t’aurais besoin d’un bon tag pour te rafraîchir un peu ! - Tu veux que je me fasse tatouer ? - Pourquoi pas ? - « A Lisa pour la vie », sur une bannière habillant un joli cœur rose ? - Ton cœur est à personne. Il est mort. - Je te trouve agressive en ce moment. - Je ne sais pas. A ce soir, dit-elle, avant de descendre de la voiture.
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- Ça alors, c’est complètement fou ! - Encore ton illuminé de tagueur ? - Attends, c’est du délire. Aucun de ses tags n’a été recouvert, ni même modifié. Comme s’il imposait le respect. - Ça existe, cette notion, chez les tagueurs ? - Pourquoi ça n’existerait pas ? - J’en sais rien moi, mais on dirait qu’ils respectent pas beaucoup les murs, alors le respect entre eux ? - Tu peux me dire ce qu’il y a de respectable dans un mur de béton brut, gris et terne ? Tu peux me le dire ? - D’accord, d’accord. Pas la peine de t’énerver ! Toi, on dirait que tu le kiffes ce tagueur. - Qui te dit que c’est un mec ? - Parce que pour ce qui est de salir, les hommes sont généralement plus performants que les femmes, non ?
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- Toi, on voit que t’as jamais connu un internat de filles. - De garçons, non plus. - De toute façon, ce qu’il ou elle fait, je ne trouve pas cela sale. Au contraire ça habille, ça vêt, ça cache la misère. - Un pansement sur la misère ! A ce soir Lisa.
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- Houa ! De plus en plus fort ! - Quoi de neuf dans le monde du tag, mon amour, aujourd’hui ? - Il a fait des émules. - Comment cela ? - Y a des « bientôt » partout, mais c’est plus sa seule écriture. - T’en es sûre ? - Certaine. - Il a ramené des potes, c’est tout. - Tu crois ? demanda Lisa perplexe. - Pourquoi pas ? Mais qu’est-ce qui va arriver bientôt, bordel ? - Tu flippes ? - Raconte pas de conneries Lisa ! - En tout cas, ça a l’air de t’énerver cette histoire. - Attends, ça fait déjà deux semaines qu’un cinglé, peut-être même plusieurs tarés, écrivent bientôt avec
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des croix à la place des T, et je vois rien de nouveau. Je voudrais juste savoir ce que ça annonce, point. D’autant que j’ai jamais trouvé le signe de la croix catholique très très gai. - Ce n’est qu’un tag mon amour ! - Tu disais toi même qu’il était étrange ce tag. Tu te souviens, la première fois que tu l’as vu ? Et puis maintenant, y’en a partout, sur tout le périphérique, et t’as raison, c’est pas toujours écrit de la même façon, mais toujours ces foutues croix à la place des T. - Tu regardes les tags, maintenant ? - Tout le monde peut changer, non ? - Y en a partout alors ? - Si tu veux, ce soir, après le travail, je te fais faire un tour complet du périph’. Tu pourras t’en rendre compte par tes propres yeux. - Houa, super, je t’adore, dit-elle en l’embrassant. - A ce soir Lisa.
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Comme convenu, Lisa et Clément firent le tour du périphérique ensemble, à la recherche des « Bien… ô… ». Au début de leur trajet, Lisa en tint une comptabilité précise, mais très rapidement la tâche s’avéra compliquée tant il y en avait. Elle trouva cela extraordinaire, cette profusion soudaine de tags. Clément lui rétorqua que ceux-ci étaient peut-être là depuis très longtemps puisqu’elle ne venait jamais dans ces endroits et que lui ne regardait les murs que depuis qu’elle avait attiré son attention sur le fameux tag. Mais Lisa restait convaincue que ces graffitis étaient récents, une expression nouvelle, mystérieuse, intrigante. Et Lisa voulut aller en ville, parcourir quelques rues, traverser quelques quartiers, à la recherche de ce tag. Mais ce soir là, elle ne parvint pas à convaincre Clément. Celui-ci lui dit qu’il était fatigué ; ce qu’elle ne contesta pas lorsque, s’arrêtant sur les traits de
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son visage (ce qu’elle n’avait pas fait depuis qu’il était venu la chercher après son travail), elle le vit pâle et déglutir à plusieurs reprises. Elle lui demanda alors si tout allait bien. Clément répondit que oui, qu’il était tout simplement las et qu’il désirait rentrer se reposer. Ce soir là, il ne dîna pas. Il prit un bain chaud et se coucha sans hélas pouvoir trouver rapidement un sommeil réparateur.
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