Correspondances

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Correspondances Pauline Norman





Correspondances (Nouvelles)



Pauline Norman

Correspondances (Nouvelles)



À vous.



Au grĂŠ des saisons



Printemps.

L e printemps maladif a chassé tristement L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide, Et dans mon être à qui le sang morne préside L’impuissance s’étire en un long bâillement. « Renouveau », Mallarmé (1866)



John ANDREWS 87 Lonesome Street London Royaume-Uni À

July ANDREWS 78 Tombstone Street Montréal Canada Londres, le 20 mars…

July, Je ne savais pas comment débuter cette lettre. Je ne sais toujours pas en réalité. J’ai longtemps hésité avant de t’écrire, longtemps hésité à ce que j’allais coucher sur le papier, longtemps hésité,

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avant que la date butoir n’arrive. D’ailleurs, si je ne m’étais pas fixé d’échéancier, je serais sûrement encore en train de réfléchir. Réfléchir au « Pourquoi ? », au « Quoi ? », au « Comment ? » et surtout, au « Quand ? ». Je n’ai pas répondu à toutes les questions encore… Et puis, finalement, la date est venue naturellement… Tu as trente ans aujourd’hui. Alors joyeux anniversaire ma July. J’ai bien essayé de t’appeler, mais le son de ta voix me replongerait dans ton absence… Quel paradoxe n’est-ce pas ? J’ai réussi à prendre le combiné du téléphone, réussi à taper les trois premiers chiffres de ton numéro, et puis j’ai abandonné. Je sais ce que tu penses, je suis un lâche, je l’ai toujours été… Encore plus cet été là, pas vrai ? Je sais bien. Tu es une femme maintenant… Cela fait longtemps que tu l’es en réalité, et je sais que tu m’en veux de ne pas l’avoir réalisé plus tôt. Tu me reproches beaucoup de choses.


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Je me suis même demandé si tu ne m’en voulais pas d’être ton père, tout simplement. Et je suis sûr que l’idée t’a déjà traversé l’esprit. Et moi, de cela, je ne t’en veux pas. Comment pourrais-je ? Tu as raison. Toi au moins, tu n’as pas été lâche. Toi au moins, tu m’as hurlé ta rancœur, tu m’as hurlé ta peine, tu m’as crié ta tristesse. Toi au moins, tu as tenu ta « promesse » : tu as claqué la porte sans jamais la rouvrir. La porte de la maison est restée fermée, et celle de ton cœur aussi. Moi, et bien moi je n’ai rien fait de tout cela. Je n’ai pas été courageux, je ne t’ai pas dit ma peine, je ne l’ai pas partagée avec toi, je ne t’ai pas aidé, et je n’ai tenu aucune de mes promesses. Ni celles que je t’avais faites ni celles que je lui avais faites, à elle. Oui, c’est vrai, j’ai été lâche. Drôlement lâche. Mais depuis, il s’est passé beaucoup de choses, tu sais… Oui, bien sûr que tu le sais. Cette maison vide m’a fait comprendre. Vous m’avez fui, toutes les deux. Peut-être qu’elle aurait aimé le faire autrement, mais c’était le cas : vous m’avez fui.

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Néanmoins, je sais, et je reste persuadé qu’elle m’aimait. Et que toi aussi tu m’aimais. Aujourd’hui, je n’en suis plus tout à fait sûr, mais il y a dix ans, tu m’aimais. Il y a dix ans, avant cet été-là, quand nos vies étaient réunies dans cette maison, que nous prenions nos repas ensemble, que nous partagions nos rires et nos souvenirs et que nous parlions pendant des heures, je sais que tu m’aimais. J’ai béni le ciel, des années durant, de m’avoir donné une famille comme la nôtre. Je l’ai remercié de m’avoir donné la chance de vous chérir. Et puis j’ai fini par le haïr de m’avoir enlevé ce bonheur et cet amour. Et je crois que c’est bien pire de haïr Dieu plutôt que de ne plus y croire. Je me doute de ce que tu dois te dire en ce moment… Que je fais encore preuve de lâcheté, parce que je remets la faute sur autre chose, toujours sur autre chose. Plutôt que de la prendre. La faute. Ma faute. Tu me manques July. Tu me manques tous les jours, et de plus en plus. Tu me manques comme la plume manque à l’écrivain.


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Tu as laissé un vide ma July, un vide immense. Un vide plus grand encore que si mon âme s’était échappée. D’ailleurs, je me demande si en partant, tu ne l’as pas prise avec toi. Je ne suis rien, je ne suis personne. Je ne peux être quelqu’un que pour toi, seulement pour toi. Et même si je dois être une personne à détester, je t’en prie, fais-moi exister. Je t’aime. Papa


De John à July Londres, 20 avril… Ma July, 20

Tu n’as pas répondu à ma première lettre, et je comprends. Après toutes ces années de silence, pourquoi aurais-je le droit de revenir dans ta vie et de m’attendre à ce que m’aies pardonné, si vite. Mais comme je t’ai dit dans le premier courrier, ce n’est pas ce que je veux vraiment… Je veux simplement que tu me dises que tu ne m’as pas oublié. Je veux simplement t’écrire, en sachant que tu me répondras. Je ne veux plus que ce soit un espoir, mais une réalité. « Je veux », comment est-ce que j’ose dire cela, n’est-ce pas ? Je suis certain que c’est ce que tu


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ressens en me lisant… Malgré tout ce temps, je te connais, ma July. Eh oui, tu as raison, comment puis-je exiger quelque chose de ta part, alors que je ne t’ai jamais rien donné de ce que tu souhaitais ? Je me fais vieux, je deviens aigri et exigeant. Ou peut être l’ai-je toujours été. Aigri, je ne sais pas. Gris, en tout cas, oui. Sans vie. Éteint. C’est en t’écrivant, en me laissant un peu aller, en repensant à tout ce que nous avons été que je reprends un peu forme humaine. En dehors de ces moments-là, je ne suis qu’un corps, presque sans âme, perdu au milieu d’un monde qui n’est pas le mien. Ou du moins, qui ne l’est plus. Vous étiez mon monde. Vous, et personne d’autre. Certains disent que l’on existe pour soi et par soi. Je ne suis pas d’accord. Sans personne, je n’existe pas. J’en oublie même qui je suis. J’ai un prénom, un nom, un âge, un état civil, j’existe dans les bases de données, certes, mais est-ce cela la vie ? Je suis seul. Ceux qui me connaissent, « de nom » comme ils disent, me qualifient de solitaire. Eux aussi ont tort. Je ne suis pas solitaire, je suis seul, et c’est loin d’être similaire. Seul, je n’ai pas choisi de l’être. J’ai sûrement fait

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