Damned a female ! Achel
Damned a female ! (fantaisie urbaine)
Achel
Damned a female ! (fantaisie urbaine)
Prologue C’est pas vraiment mon truc, raconter une histoire. Ça fatigue. Ça demande de l’énergie, de la concentration. Et de l’énergie, j’en ai pas une mousson. Même les écouter, no way… Et remarquez bien, autour de vous, il y en a tout le temps, des histoires… Les histoires de personnes âgées, ou les histoires de batailles, les histoires de bureau, d’employés, de promotion, de carrière professionnelle, les histoires des dernières nouvelles, et puis les histoires régionales à la radio, celles des animaux menacés par la pollution, les histoires de princesses et de rois, les histoires ringardes,
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les histoires bégueules, les histoires de cul, les histoires de harcèlement, les histoires de mœurs, de policiers tordus, de politiciens corrompus, et j’en passe… La dernière histoire que j’ai entendue, à laquelle je m’accrochais, pour laquelle j’aurais donné mon ours en peluche, et bien j’avais, tout au plus, deux ans. Mon père voulait m’endormir, vite fait. Une histoire, c’est toujours soporifique. 10
Auparavant, demi-heure.
je
tenais
facilement
la
Aujourd’hui dix minutes. Maxi. Et je n’donnerais plus ni chaussette ni mon cheval, pour une histoire, quelle qu’elle soit. Je préfère par exemple regarder les nuages, c’est pas toujours excitant, mais ça repose, ça soulage, ça endort, les nuages. Doucement… tendrement…
Damned a Female
Alors, pourquoi raconter direz-vous, lecteurs ô attentifs.
celle-ci,
me
Par vanité probablement. Vanité d’être écouté, entendu, admiré, aimé, payé, acclamé, adulé, et seul au milieu des « vivas » de la foule. En piste. Va donc pour une histoire.
PREMIĂˆRE PARTIE Un samedi soir ordinaire
Avant-midi J’ai les cheveux bouclés. Une vraie galère le matin pour mettre en ordre. Déjà le peigne, il doit être bien choisi. Pas question de ces peignes en plastique, qui te coiffent la tête comme dans les bandes dessinées, en forme d’arbre de Noël. Ni les brosses qui cassent les cheveux et te laissent le cuir chevelu comme un hamburger qu’aurait pas été cuit. Saignant tu vois ? C’est surtout quand il pleut que ça m’embête. Ils deviennent frisés. Carrément et fichtrement frisés.
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J’ai beau tirer les cheveux en arrière, comme Elvis, ils bouclent toujours. Je me baladais hier au supermarché quand je tombe sur le beau peigne en bois à dents larges, dans un emballage plastique. Deux euros trente-cinq. « C’est donné », je m’dis... Quand t’y penses vraiment, ce peigne, il vient peut-être d’Afrique ? 16
Il a fallu couper l’arbre, le débiter, cisailler délicatement chaque dent, le peindre, dessiner le logo, le transporter jusqu’à l’aéroport, l’envoyer par avion, le distribuer dans le supermarché, le placer en rayon, mettre une étiquette. Putain le boulot ! Moi qui manque d’énergie, un régal, une débauche ! Je prends ce peigne. Je l’élève à hauteur de mes yeux, à 30 cm environ, et je le regarde en le faisant pivoter lentement pour bien l’observer sous toutes ses facettes.
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Pas de doute : ce peigne est fait pour moi. Je le mets en poche et je sors. Vindieu, v’la qu’j’ai oublié d’payer !
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Avant-soirée Souvent le soir, je retrouve les copains au bowling. 18
On boit des bières. On bavarde, on reste assis à observer les champions de la boule, ou les nouveaux, ou les filles, ou les snobards qui se paient le dernier équipement top niveau. C’est devenu une tradition, un rite. On est arrivés là, par hasard… La tapie a fait le reste, comme dit Tony. « Apathie ! » dit Kris ; « apathie, bordel ! »
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Soirée J’ai perdu la première partie, ce soir. Kris m’a déconcentré parce qu’une quille tombée au dernier moment n’avait pas été validée. La piste était bien sûr mauvaise. Celle de la semaine passée était meilleure. Et puis les boules ne roulaient pas « normalement » sur le plancher. Et d’ailleurs, il voyait que toutes ses balles partaient vers la gauche malgré son célèbre coup de poignet à droite.
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On lui a dit qu’il nous faisait chier avec sa piste à gauche, mais il n’en a cure, Kris n’a jamais connu que lui et lui. Et peut-être nous, à l’occasion.
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Suite Je perds actuellement la deuxième partie. Ce serait même lamentable si je n’avais atteint, à la dernière balle, les 136 points, grâce à un dernier spare. Et dire que certains réalisent les 300 points, le max, le Hara Krishna, la Mecque (ou Medina je n’sais plus) ! Je regarde avec nostalgie cet alignement de pistes, toutes ces balles qui roulent encore, et toujours, vers le fond de ce plancher si droit, si lisse. Ces corps qui se courbent, ces bras qui se tendent, ces rires, ces cris, cette agitation, cette excitation dérisoire, enfantine.
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Et voilà que Kris s’est tout simplement retiré de la partie, estimant que les règles ne sont plus équitables. Il marmonne encore quelques mots inaudibles à l’adresse du caissier qui s’est lui-même endormi sur le coin du comptoir. Un spot continue de clignoter, obstinément, en haut du mur crépi et décrépi. 22
Un couple dans la pénombre échange des patins. J’ai maintenant un sérieux coup de barre et m’allonge le plus profondément possible dans mon siège cuiré. Histoire de me remonter le moral.
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Avant la Nuit Globalement, sur l’ensemble des parties que nous avons déjà jouées depuis cinq ans, je suis toujours devant, la tête dans le guidon. Seulement j’ai pas le courage de conserver les fiches de points et d’établir des tableaux. On est plutôt du style paresseux, glandeurs. On s’amuse au bowling, deux, trois heures, puis on va manger une pitta dans le quartier des pittas. On est citadins. De la campagne comme dit Fred, mais citadins, comme dit Tony.
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