Des mites et des hommes

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DES MITES ET DES HOMMES ! !

de

Paloma Lopez Sierra

première partition

//ÉCHAUFFEMENT// //COMMENCEMENT// //TRANSFORMATION// ! !

! ! ! ! ! ! ! ! ! PIÈCE DE THÉÂTRE EN III EMBRANCHEMENTS ET VIII ESPACES !





Des mites et des hommes Première partition



Paloma Lopez Sierra

Des mites et des hommes Première partition Échauffement / Commencement / Transformation

Pièce de théâtre en trois embranchements, et huit espaces



« Nous sommes une seule personne mais nous ne sommes pas qu’une seule histoire » Tania Lopez Sierra (1954 - ), conteuse



Avant-propos

Parce que nous continuons à vivre dans un monde où il y a constamment des replis identitaires, des stigmatisations, des racismes, des hiérarchisations, des enfermements et des peurs, une volonté de décloisonner et de déconstruire les représentations hégémoniques et canoniques s’est imposée à moi. Pour dévoiler la fragilité, pour accueillir l’instabilité et l’émotion de chaque être humain, c’est Phèdre, symbole d’un amour impossible, qui m’a transportée. Phèdre est un mythe. Phèdre est un récit. Phèdre est ce conte rempli d’histoires qui enlace d’autres mythes dont celui de Médée qui est intiment lié à deux symboles majeurs, celui de la mère et celui de l’amour. Il a fallu que je tente de libérer les

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personnages, de comprendre - à travers eux - ce qui pouvait changer et ce qui ne changera jamais. J’ai voulu modifier le cours de ce mythe et le lier à d’autres afin de réaliser un travail de recyclage de ces « constructions-guides-mythiques identitaires et imaginaires ». Mon but était de parler des deux thèmes majeurs véhiculés par les mythes : l’amour et la mère. Sachez que dans « Des mites et des hommes », je ne parle ni de « roi », ni de « fils », ni de « femme qui désire ce fils ». Non. Avant tout, je parle d’individus, je les hisse hors du mythe. Je dépeins des êtres humains perturbés qui évoluent dans un monde parfois post-moderne, parfois antique, toujours urbain et étouffant. Je pose mes personnages dans une cité qui fluctue entre l’absence et la présence, un univers qui, par moments, ne veut plus être là et joue avec l’authenticité de la matérialité. L’environnement y est comme englouti. Ne demeurent que des morceaux de réalité, des limbes de techniques, des restes de civilisation. Les personnages désirent s’en échapper, mais n’en réchappent jamais. C’est alors que l’imaginaire de la mémoire revient. Mais quel imaginaire? Celui des interprètes ? Celui de leurs rôles ? Ou celui de leurs jeux ? Certains mythes sont plus résistants que d’autres. Ils demeurent immortels et puissants


comme des bêtes contre lesquelles la lutte est vaine. Certains envient les Humains et aimeraient se défaire de l’ immortalité, de l’immatérialité qu’on leur impose, pour découvrir des émotions et des sensations humaines : le désir, la mort, la jouissance. D’autres, au contraire, utiliseront cette immortalité comme une arme, pour commander, pour diriger. Enfin, d’autres encore demanderont l’exil pour pouvoir simplement contempler et rêver. Dans cette pièce, tous les personnages tentent d’amener le lecteur vers un voyage, vers des mystères, vers les non-sens de l’Humain. Ici, la cacophonie est la règle. Les lieux sont des endroits troubles aux yeux pers où l’amour absolu détruit, où des femmes - trop souvent fantasmées dans une société patriarcale – et des hommes deviennent fous et s’égarent. Le pouvoir devient ridicule. La poésie tente de trouver sa place. Toute logique est passée sous silence. Ce sont les phénomènes abstraits et rêvés, enfouis dans nos imaginaires, qui émergent. Les mots se muent en véhicules à émotions. Ces mots sont de la matière, de la chair, une pâte que l’on peut malaxer, travailler et interpréter. In fine, « Des mites et des hommes » nous montre que nous sommes de passage, nous ne faisons que « traverser ». Les personnages parlent, essayent,

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pleurent, mangent, désirent, pensent autour de l’amour. Ils oublient ce qu’ils sont, ce qu’ils étaient, ce qu’ils cherchaient. Dans un chaos amnésique et poétique, on pénètre dans leurs histoires, pour aussitôt leur dire au-revoir. Et on ne sait si c’est pour de vrai, pour de faux ou pour de rire.




Pré-embranchement

Comment Hippolyte est devenu Thésée

Personnages (par ordre d’apparence) : · Hippolyte · Π, l’espace dans lequel se joue la pièce



Hippolyte Je crois que je vais mourir. Je devrais l’aimer, elle ou encore une autre. Je pourrais l’aimer mais je ne peux pas. Le pouvoir m’encercle, devient un arc verni qui me protège. Je suis homme, je suis mythe, je suis par le don et acte par la propriété, Je deviens l’accompagné et l’accompagnant, l’amant et le prêtre. Pourquoi dois-je ? Pourquoi suis-je obligé d’ordonner et de construire ? Et d’agir ? Et penser ? Pourquoi je ne suis pas Hamlet ? Pourquoi la connaissance boit mes champs de veines ? Je dois porter ce nom dont je ne sais d’où il vient et ce qu’il veut. Hippolyte. Hippolyte. Hisser les pots de mes lits de petits garçons. De fuites et de feux. De mes fils en traines sur lesquels l’auteur me gaine. J’ai peur. J’ai peur car je sais que je vais crever, car je sais que cette femme est belle. Phèdre.

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La fée des fièvres chaudes. Phèdre. L’herbe qui ne m’appartiendra jamais. Car je sais que ses rides, car je sais que ses fluides, glacent mes liquides, lorsque, à pas de fibres, cette femme chante des maux comme un blues. Une onde en filigrane. Je ne pourrai jamais l’accompagner, ni ses pieds, ni ses sueurs, et encore moins ses dents moelleuses, ses cheveux doux, en sang et acerbes. Elle crie qu’elle me désire. Je ne t’entendrai plus. Je rêverai, je danserai avec. Je rêverai dans des rêves. Avec, je serai avec elle. Dans mes rêves passés, à fuir le présent, je l’imaginerai sur le rail de mon temps puis je crèverai. (rire nerveux) La verge tendue et les boules d’enfants molles, je deviendrai ce jouet, une idée, des secrets. (silence avec Π ) J’ai rêvé de ton corps. Mère ? Comme tu rêves du mien, j’ai plongé mon regard sur tes chemins de terre pleins de venin assassin. Ton corps, sur ce chemin, faisait partir toutes les limbes de ma conscience.


Souviens-toi, là-bas, tu criais des fous, susurrais des envies. Tu désirais, tu le désirais lui. Moi, le fils de Thésée, je désirais. Nous désirions. Ils désiraient. Foutez le camp, pensées du néant ! Poussées de mes enfants qui n’existeront jamais. (silence) J’ai trop pensé. Je me suis trop branlé sur une vie que je n’aurai jamais. (silence avec Π) Mon père a fait les guerres, oui. Ma mère est une sorcière, oui. De chimères en chimères trop amères. Et ma bouche ne fait que lier des mots sans sanglots. Parce que je suis un homme. Parce que je suis ce sexe. Cette bite ? Parce qu’on l’on doit s’accrocher à moi comme un capitaine amargue ses voiles. Mon capitaine! Mon père! Pourquoi m’avoir donné une bite alors qu’elle touchait les trompes d’un sexe destiné sensible et répudié ? Destiné à me lier à la mort. (silence)

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Je vais me tuer, vous le savez ? Une femme m’aime, on me dit que je dois la détester. Je la déteste. La fuir, je fuis. Parce qu’elle est folle d’aimer un petit pot. Parce qu’elle a des poils. Parce qu’elle a des trous. Parce qu’elle a des voiles entre ses clous de culpabilité. (silence avec Π) Je crois que j’aurais pu t’aimer, Dame des phases. Mais jamais il n’y a d’espace pour une chose qui ne porte ni de nom, ni de sexe, ni de manteau, habits, rites, fuites. (silence) Vous le savez ? Je suis un salaud. Un sale égo trempe dans mes os et illumine les femmes. Je le sais. Je sais aussi que cette force, cette fougue, ces désirs pour les arbres, les hommes, l’eau et la danse ne sont que pures façades face aux eaux de mes mers fatiguées. (silence avec Π ) On m’a dessiné, sage. On m’a construit, doux.


Affable, fort, digne. Je peux être tous ces rôles sans discontinuer. C’est mon histoire. Celle qu’on vous conte depuis que je suis né. Une face, une volte. De ma précaire et poussiéreuse conscience. (silence) Ma mère est une sorcière, oui. Mon père a fait les guerres, oui. Maintenant c’est mon théâtre, mes lumières, mes lois, mes existences. À moi de commander. Ce soir, je serai Thésée et j’aimerai Médée. 23



Embranchement I

Thésée et Phèdre s’amusent dans l’infini Π

Personnages (par ordre d’apparence) : · Thésée, régisseur plateau · Π, l’espace dans lequel se joue la pièce · Phèdre · Un individu


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Espace 1 Π, Thésée, Phèdre

Au milieu de Π, Thésée les yeux fermés les mains tapotant sur le sol Un, deux, trois, soleil ! Ouvre les yeux, ferme les yeux.

Phèdre et Un individu entrent ensemble au jardin, se regardent, se regardent encore. Rentrent en coulisses.

Au milieu de Π, Thésée les yeux fermés les mains tapotant sur le sol Un, deux, trois, soleil ! Ouvre les yeux, ferme les yeux.

Phèdre et Un individu entrent ensemble dans la cour, ils tiennent l’un et l’autre des objets matériels du décor. Les posent puis partent en coulisses.

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Au milieu de Π, Thésée les yeux fermés les mains tapotant sur le sol Un, deux, trois, soleil ! Ouvre les yeux, ferme les yeux.

Entre jardin et cour Phèdre et Un individu pénètrent avec des poupées et des mannequins. Les posent puis partent en coulisses.

Au milieu de Π, Thésée les yeux fermés les mains 28

tapotant sur le sol Un, deux, trois, soleil ! Ouvre les yeux, ferme les yeux.


Espace 2 Thésée, Phèdre et Π

Thésée ramasse une poupée et/ou un mannequin, puis encore une/un autre. Il parle aux poupées, il touche les poupées, il doigte les poupées. Il les embrasse sur le visage et le corps, puis les mange. À côté de cet espace dessiné par Thésée, Phèdre est là. Au centre de la scène, elle se met à genoux. Le front de Phèdre frappe le sol neuf fois. Elle lève les yeux et regarde le public.

Phèdre Ça commence? Chut! Vous entendez? Son front frappe fort le sol: une fois, deux fois, trois fois. Phèdre Ça commence. Vous aimez? Vous aimez quand je suis mal. Sale.

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