Marie Bascou
Du glamour... Ă la basse-cour !
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Marie Bascou
Du glamour... Ă la basse-cour !
Chapitre I
Ce soir-là, il y avait une agitation peu commune dans le poulailler. La lumière n’avait jamais brillé aussi tard : il était 19 heures. En s’approchant un peu, on aurait pu entendre les bavardages de ces dames. Mais qui aurait l’idée d’écouter ce que racontent les poules ? Ce qui intéresse la plupart d’entre nous est de savoir qu’elles donnent des œufs et, qu’une fois trop vieilles, elles sont quand même bonnes à manger. Tout est bon à nos yeux chez les poules, un peu comme pour le cochon, avec une variante toutefois : on ne consomme ni leurs pattes, ni leurs têtes et encore moins leurs becs. Il faut bien reconnaître qu’elles
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n’ont pas une existence enviable, les pauvres… Mais là n’est pas le sujet. Pourquoi donc veillaient-elles aussi tardivement et de quoi pouvaient-elles bien parler ? Je me suis aventurée près de la porte, à laquelle j’ai collé mon oreille. Je n’en revenais pas de ce que j’entendais. Je vous assure que c’est pourtant la stricte vérité. Si vous avez un moment à me consacrer, je vais vous raconter toute l’histoire, sans détour. Vous constaterez comme moi que c’est vraiment ahurissant. Il n’y a guère que les scénaristes de dessins animés pour imaginer une chose pareille. Vous êtes prêts ? Alors voilà … Doucement, j’ai entrebâillé la porte et je me suis faufilée sans un bruit dans un recoin du poulailler, afin de ne rien manquer. Les poules, toutes à leur grande discussion, ne m’avaient même pas remarquée. Au centre, sur un monticule de coquilles d’huîtres, était perchée celle qui semblait être la meneuse. Elle était assez dodue, même pour une poule. Jolie, pourtant ! Elle haranguait la
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petite foule. Les autres étaient assises en arc de cercle autour d’elle. Certaines, les plus âgées, avaient apporté leur tricot et paraissaient s’ennuyer. Les plus jeunes étaient endiablées et souvent, interrompaient celle qui s’avérait être la responsable de toute cette excitation. Elles ne tenaient pas en place, se tortillant sur des boîtes, prévues pour les œufs, qui leur tenaient lieu de sièges. J’ai tendu l’oreille. Voici, reproduit fidèlement, ce que disait la chef : - Mes poulettes, taisez-vous donc un peu : ce n’est pas parce qu’on vit dans une basse-cour qu’il faut criailler comme vous le faites. Ecoutez-moi, l’heure est grave. Comme vous le savez, notre vieux coq est destiné, d’ici quelques semaines, à finir en repas pour les fermiers. C’est inadmissible ! Ils estiment qu’il ne sert plus à rien tout ça parce que depuis quelques temps il a un petit coup de fatigue et, reconnaissons-le, ne nous honore plus comme avant. Déjà qu’ils se permettent de zigouiller les plus âgées d’entre nous, sous prétexte qu’elles ne pondent plus. C’est vrai
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quoi : ils pourraient nous laisser terminer notre vie paisiblement et mourir de vieillesse. Il paraît, les ai-je entendus dire, comme leur fils leur posait la question, que cela reviendrait trop cher. Le profit : voilà la seule chose qui leur importe. Ça encore, je pourrais sans doute finir par le concevoir. Et puis, avouons que pour nous, c’est un peu moins grave : il y aura toujours de nouvelles générations. Mais lui ! C’est notre mari à toutes, après tout. S’ils le tuent, nous serons veuves, mes sœurs. Il n’y aura plus de mâle dans notre basse-cour. Vous savez aussi bien que moi ce que deviennent nos chers petits mâles : de bons gros chapons vendus à Noël. Je sais ce que veulent faire les patrons : ils veulent acheter un coq plus jeune, sitôt notre époux refroidi. Franchement, vous voulez d’un petit juvénile ? Pour ma part, et je suis sûre que vous serez de mon avis, la réponse est non. Osez dire que vous vous réjouissez de son futur trépas. Il est doux, amoureux de chacune de nous, et plus attentionné, au fil des années. Croyez-vous qu’un autre coq, surtout
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jeune, vous comblera de tendres aveux et de caresses comme lui ? J’en doute fortement. A ces mots, une salve d’applaudissements salua les paroles pleines de bon sens de la poule. Elle attendit un instant afin d’observer les réactions qu’avait suscité son discours. Les plus âgées hochaient la tête, tout en tricotant. D’autres essuyaient une larme d’émotion, encore toutes chavirées par ce qu’elles venaient d’entendre en repensant à tous leurs fils trop tôt disparus. Les plus jeunes étaient, pour certaines, dubitatives. Il est vrai qu’elles le trouvaient un peu vieux leur mari. Très gentil et très aimant, mais elles avaient parfois l’impression d’être les épouses d’un ancêtre. Un petit jeune, par contre … Il fallait y réfléchir. Mais la poularde n’avait pas tout à fait tort non plus. Il est vrai qu’il avait de ces manières de gentlecoq. Elles se mirent à caqueter toutes ensemble. Les solutions à leur problème fusaient de toute part : chaparder les gélules de Viagra du fermier, offrir à leur cher mari une cure de
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thalasso, lui cuisiner de bons petits plats à base de gingembre, faire appel aux services d’une poule aux mœurs légères … En entendant ces inepties, la poule dodue tapa dans ses ailes, pour obtenir le silence. Elle reprit : - Ne vous fatiguez pas. Vos idées sont tout simplement insensées. J’y ai bien réfléchi et je crois avoir trouvé. Ce qu’il faut à notre bon vieux coq, c’est du piment. C’est humain : nous sommes si nombreuses qu’il lui est impossible de nous honorer toutes sans se fatiguer, à son âge. Ce n’est qu’un vieux coq, après tout. Il n’est plus aussi fringant qu’avant. Ce qu’il lui faut, c’est du neuf, de l’inédit. Nous allons lui en offrir. Mais pour cela, j’ai besoin de toutes les bonnes volontés. Je n’obligerai personne. Mon idée est très simple. J’ai entendu dire que ça marchait pour les hommes, alors pourquoi pas pour nous ? Nous allons lui organiser un spectacle de strip-tease. Il ne pourra pas y résister.
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L’espace d’un moment, le silence se fit. Les vieilles poules en lâchèrent leur ouvrage et par là même, perdirent leurs mailles. Les plus jeunes se mirent à glousser, se cachant le bec sous leurs ailes. Les autres en restèrent interdites, bouche bée. « Un effeuillage ? Nous ? Ici ? » pensaient-elles. - Je sais ce que vous pensez, continua la poule, il nous faudra apprendre les gestes, choisir la bonne musique, prévoir les costumes et le maquillage … Mais tout ceci n’est rien au regard du plaisir que nous pourrons lire dans ses yeux. Les plus jeunes des poules commençaient déjà à fredonner des airs connus. L’une d’elle se mit même à danser entre ses congénères, d’une manière lascive. La stupéfaction passée, elles se remirent à jacasser de plus belle. « Décidément, se dirent-elles, leur chef avait de l’imagination. Trop, peut-être ! »
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- Bon, les filles, je vous ai tout dit. Ah non, une chose encore : il faudra vous décider assez rapidement car l’occasion ne se représentera pas de sitôt. Comme vous le savez, les fermiers doivent s’absenter pour quelques jours, comme chaque année à la même époque. Nous aurons donc la ferme pour nous seules. Il nous faudra faire vite car, d’après ce que j’en ai compris, ils comptent cuisiner notre mari dès leur retour. Je vous demande d’y réfléchir en toute connaissance de cause. La nuit porte conseil, dit-on. Nous en reparlons demain matin, après le petit-déjeuner. Il se fait tard, à présent. Allons-nous coucher. Je vous souhaite une bonne nuit à toutes. Une fois les poulettes endormies, je me suis éclipsée le plus discrètement possible en me promettant d’assister à la suite des événements. J’eus beaucoup de mal à trouver le sommeil cette nuit-là. Je me surprenais à réfléchir, moi aussi, à une solution qui éviterait la casserole à ce vieux coq.
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Très tôt le lendemain, je réussis à regagner ma place dans le poulailler, à l’abri de leurs regards, avant leur réveil. J’étais impatiente. « Quelle surprenante aventure, me disais-je. Voyons comment ces dames vont se sortir de leur pétrin. ». La poule en chef se réveilla la première. Elle regarda ses semblables d’un air perplexe. Elle s’approcha de la mangeoire et picora quelques grains de maïs. Elle soupira. « J’espère ne pas me tromper. J’espère surtout réussir à les convaincre. » soliloqua-t-elle. A ce moment, leur cher mari chantonna afin de réveiller toute la maisonnée. « Il n’arrive même plus à crier comme jadis ! Faut-il qu’il soit exténué, le pauvre. » se dit-elle. Les autres poules ouvrirent les yeux avec difficulté. Apparemment, elles aussi avaient peu dormi. Etait-ce bon signe ? Cela voulait sans doute dire qu’elles étaient restées éveillées jusque tard dans la nuit pour réfléchir à ce qui
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avait été exposé. C’est du moins ce qu’espérait la poularde. - Mesdames, je vous souhaite à toutes le bonjour. J’espère que la nuit vous aura porté conseil. Nous nous retrouverons une fois le petit-déjeuner avalé, la toilette effectuée et les œufs pondus, pour convenir de ce que vous aurez décidé. Encore une fois, sachez que je ne veux forcer l’aile à personne. Rendez-vous donc au tas de coquilles d’huîtres voyons, disons … d’ici deux heures. A plus tard, mesdames. La meneuse se dirigea vers son emplacement afin de pondre la demi- douzaine d’œufs que la fermière attendait d’elle. « Quelle cadence infernale ! songea-t-elle, nous devrions peut-être essayer la grève. Il faudra que j’aborde le sujet un jour avec les plus jeunes. Les autres poules ne voudront jamais. » Pendant qu’elles se délectaient du maïs, les poules ne pouvaient s’empêcher d’échanger leurs points de vue. A vrai dire, il s’agissait plutôt d’une cacophonie : chacune voulant se
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faire entendre, sans écouter les autres. Soudain, la Mère Poule, ainsi appelée à cause de son âge avancé, agacée par tout ce tumulte, claqua énergiquement du bec et leur dit : - Au lieu de vous comporter comme des écervelées et de babiller pour ne rien dire, attendez plutôt de voir ce que propose notre consœur. A bien y réfléchir, je ne trouve pas son idée si absurde que cela. Moi-même, si je n’étais si vieille, je crois bien que je me laisserais tenter par l’aventure. Penaudes, les poulardes se remirent à manger en silence. Elles se débarbouillèrent en un rien de temps et pondirent encore plus vite qu’à l’accoutumée, tant elles étaient impatientes de savoir comment leur chef comptait procéder. A l’heure dite, elles étaient toutes présentes. La chef monta sur le tas de coquilles, toussota afin de faire glisser un grain de maïs resté coincé dans sa gorge et leur dit : - Alors, les filles ? Avez-vous pris une décision ? Y en a-t-il parmi vous qui souhaitent
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m’aider à élaborer le plan dont je vous ai parlé hier ? A son grand étonnement, toutes les ailes se levèrent. Elle reprit : - Mon cœur se remplit d’allégresse. Ainsi donc vous approuvez mon idée. Je vous en remercie infiniment. Malheureusement, nous ne disposons pas d’un espace suffisamment grand pour y danser toutes ensemble. Il va donc falloir en choisir cinq. Pour les autres, ne soyez pas déçues car ce n’est pas le travail qui risquera de manquer. Il nous faudra une poule pour s’occuper des jeux de lumières, une autre pour les costumes, une autre encore pour les décors, une disc-poule, une poule maquilleuse, une poule coach pour superviser la remise en forme de ces dames, une poule ayant le sens du rythme pour la chorégraphie. Vous voyez, il y aura de l’ouvrage pour tout le monde. Puisque nous sommes toutes d’accord, je vais vous annoncer le nom de celles auxquelles j’ai pensé pour faire partie de la formation de danse.
Chapitre II
A ces mots, fidèles à leur réputation, les poules se mirent à jacasser de plus belle, encore une fois. - Mesdames, un peu de calme je vous prie. Les poules appelées sont priées de venir se placer à côté de moi. La première était une poule portant un diadème, arborant un joli collier de perles et des bracelets dorés aux pattes. Son nom était : « Poule de luxe ». Elle avait un goût particulier pour les bijoux qu’elle subtilisait à la fermière. Personne ne savait d’où lui venait cette manie. Elle venait de la ville. Elle était toujours très élégante et avait une allure distinguée. A la
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