Martine Sdy Benz
Ecce
Femina
Ecce Femina
Martine Sdy Benz
Ecce Femina
À ma mère. Parce qu’elle croit en moi. À Martin Parce que. Tant que les oiseaux poseront leur cul sur les barbelés, je m’efforcerai de penser que l’Amour est possible.
Préface
Je suis née au Maroc, à Casablanca plus exactement. Française de nationalité et de culture, juive de foi et de tradition. J’y ai vécu dix-sept ans, jusqu’au moment d’aller faire mes études, mon bac en poche. J’ai habité Paris seize ans et des poussières qui font briller les yeux. En parallèle, j’ai vécu un an en Écosse et dans diverses villes et villages de France. J’ai également habité NYC une année et Londres quatre… Et. Et. Je suis revenue m’installer au Maroc. Pourquoi… ? Parce qu’au fil des jours, des mois, des ans, je suis revenue vers mes racines… Vous allez me dire : « Et alors ? Quoi de plus banal ? ». Oui, c’est vrai, banal de revenir aux sources, de chercher à se trouver et à s’épanouir au sein de ce qu’on est… Mais justement, qui suis-je ? Qui sommes-nous qui avons grandi là-bas, sur les plages marocaines ?
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Nous parlions français, on nous enseignait que nos ancêtres étaient gaulois. Nous apprenions par coeur les cartes de France. Pourtant, chaque jour, à chaque visage, nous découvrions le nôtre, l’amitié, l’amour, les valeurs, en arabe. Nous avons mangé marocain, bu marocain, aimé et détesté marocain. Et nous étions français, juifs. Nous ne posions pas alors de questions. C’était très simple. Nous y vivions, en citoyens heureux. Mais les interrogations ont jailli lorsque nos pieds ont embrassé le sol français. Alors même que nous croyions « rentrer » en France, nous quittions « la maison ». Paradoxe. Comment rentrer chez soi quand on vient d’en partir ?
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Il a fallu se résoudre à penser que « chez nous », c’était Nous. En nous. Nous tous. Alors nous nous sommes cherchés, fréquentés, aimés… Nous avons recréé un univers un peu magique et tout à fait artificiel. Un monde de rescapés de « là-bas ». Des « sans-pays ». Ou des « deux-pays ». Comme vous préférez. Peu importe d’ailleurs ! Ce qui compte, c’est qu’un jour enfin, on puisse penser que nous sommes « à la maison » de nouveau, et pour de vrai ! Certains ont craqué, sont repartis, les poings dans leurs poches vidées. D’autres se sont exilés plus loin encore… À l’autre bout du monde. Pour être sûrs cette fois qu’ils ne seront pas du tout chez eux et par là même pour ne plus se poser de questions.
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D’autres encore ont cherché à trouver LE pays qui serait un « autre Maroc »… Ils ont trouvé Israël. Enfin, les derniers ont décidé, d’un commun accord avec euxmêmes, de ne pas s’interroger et de continuer… Je leur souhaite surtout de parvenir à ne pas se poser de questions longtemps. Car j’ai bien essayé ce système. Il ne fonctionne pas très bien… Rien ne fonctionne que l’authenticité. Car ce besoin de Vrai, de Fort, nous le portons en nous. Il nous porte aussi. Vous allez me dire, là, que je suis nostalgique et triste. Sûrement. Et pardon pour cette larme au milieu de nos éclats de rire d’enfants des blanches ruelles marocaines. Je ne devrais pas écrire cela. Je devrais surtout penser que nous avons eu la chance de connaître l’odeur de la chaux de nos cabanons, celles des épices s’échappant des maisons aux portes laissées ouvertes, la chance de sentir ce léger rayon de soleil caresser nos joues sur le chemin de l’école, les étouffantes embrassades de celles que nous appelions nos « bonnes » (mot qui choque en France, n’est-ce pas ?), d’entendre leurs rires aigus et leurs coups de colère quand nous marchions sur le sol qu’elles lavaient pour la 10e fois, le muezzin retentir dans l’air passionné du soir…
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Le goût du Coca-Cola local, plus fort et plus gazeux que tous les autres… Oui, décidément, ce pays a un goût qui colle aux lèvres. Une saveur bien plus intense qu’un simple thé à la menthe à la Mosquée de Paris…
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Je vous souhaite de vous pardonner vos erreurs et vos horreurs, de pardonner aux autres de vous avoir blessé, parce qu’ils ne savaient pas, et ne pouvaient pas, être autre chose que ce qu’ils étaient à ce moment donné. Je vous souhaite de ne pas découvrir à quel point vous êtes fragile, ni à quel point vous êtes fort, parce que seuls les défis terrifiants de la vie nous apprennent cela. Je vous souhaite de n’avoir pas à oublier ceux que vous pensiez avoir le droit d’aimer pour l’éternité. Je vous souhaite d’être, non pas reconnu, mais re-connu, ce qui signifie être au contact de personnes assez éveillées et conscientes pour réaliser à quel point vous changez, en permanence. Mais aussi à quel point, sur d’autres points, vous ne changez, heureusement, pas du tout. Je vous souhaite d’être, sinon compris, du moins entendu. Et serré contre un corps qui aime, plus que tout, vous sentir contre lui. Je vous souhaite de sourire et de rire le plus possible, n’importe quand, n’importe où, et d’apprendre
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trouver de la Joie dans les plus infimes plaisirs rencontrés et goûtés. Parfois même effleurés, simplement. Je vous souhaite de vous détacher de la matière et du matériel sans vous détacher des autres. Je vous souhaite d’aimer comme une vierge ou un débutant et d’être aimé comme une icône. Être rêvé, c’est être aimé follement (merci Jaco) et cela grandit. Il n’y a que l’amour pour faire de nous des surhommes, nous offrir un supplément d’âme. Je vous souhaite d’aimer vieillir autant que vous avez aimé grandir. 18
Je vous souhaite d’être chaque jour plus émerveillé par la personne que vous êtes. Cela permet aussi de l’être en regardant les autres. Je vous souhaite de ne pas comprendre souvent le mot fin mais de dévorer le mot faim, sans fin. Je vous souhaite d’être capable de voir la noirceur du monde et d’avoir la rage, sans perdre votre innocence et votre appétit pour la vie. Je vous souhaite d’être heureux au réveil et en paix au coucher. Je vous souhaite d’avoir le moins possible à survivre et le plus longtemps à vivre.
Il n’y a, ici-bas, que les fauves, les félins, les enragés, les fous, les hors-norme, les anticonformistes, les artistes, les ratés, les génies, les acharnés, les furieux, les passionnés, les croyants, les libertaires, les philosophes, les questionneurs, les téméraires, les utopistes, les dévoreurs d’amour(s), les contestataires, les braves, les humanistes, les tendres, les révolutionnaires, les culottés et les sans-culottes et les déculottés… Qui osent vivre. Malgré le prix à payer. Malgré les obstacles à surmonter. Malgré les pas qui font reculer. Malgré les mal intentionnés. Malgré tous les putains de fossés. Et tu sais à quoi on les reconnaît ? Ils ont dans les yeux une rage insensée, Dans le cœur, une pure et vraie bonté, Dans la main, un doigt levé.
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Souvent, quand, petite, je lui disais que je ne comprenais pas, Dynorah H. Sabah, ma grand-mère bien-aimée, me répondait : « Je te souhaite de ne jamais le comprendre » (… )
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Tu apprendras que faire des projets est une vanité, que ne pas en faire est une erreur, que trop donner, c’est parfois se perdre, que ne pas donner, c’est se perdre tout court, que voyager forme la jeunesse, que trop voyager déforme la vieillesse, que ta liberté peut devenir ta plus grande prison et que ta dévotion et ta constance peuvent être ton choix le plus libertaire, que la fidélité peut n’être qu’une lâcheté et une arrogance, que l’insolence est souvent le plus grand courage, que tu es plus fort et brave que tu ne le penses mais aussi bien plus fragile que tu ne le crois, que toi aussi tu vieilliras, que tu es rarement là où tu t’attends, que tes sauveteurs ne sont pas nécessairement ceux de tes amis qui disent t’aimer, qu’à l’inverse, viendront te secourir ceux qui semblaient t’ignorer, qu’il n’y a de recettes toutes faites pour rien, même si nous sommes sur le même bateau, qu’il n’y a pas de science exacte et que la Foi est la seule mathématique implacable, que l’amour ne te doit rien et que la haine se permet tout, que les plus cruels refusent le pardon et vivent de vengeance là où ils ont vécu de ta passion et de ton allégeance, que
rien n’est immobile même si tout semble figé, qu’il n’y a pas de route pour celui qui ne veut pas aller, pas de porte de sortie pour celui qui n’est pas réellement entré, que c’est parfois un cadeau de la vie que d’échouer dans son projet et un cadeau empoisonné qu’une réussite trop aisément donnée, qu’aucun mot n’est assez grand pour contenir l’immensité de son sens, qu’aucun cœur n’est assez petit pour ne contenir pas, de notre monde, une partie de l’essence...
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Je suis vieille et je n’ai plus la patience pour les conformismes, les traditionalismes, les impérialismes, les dominations, les politiquement-dans-le-rang, les tyrans, les fayots, les vendus, les corrompus, les orgueilleux, les vaniteux… Je n’ai plus la patience pour les politesses qui ne servent qu’à masquer les vides, les blancs et les manques. De noblesse. De fond. La forme ne m’est d’aucune valeur si non-accompagnée du fond. 22
Je n’ai plus la force de l’hypocrisie sociale, plus le temps pour le léchage de postérieurs, obligé par la société, plus l’énergie des amitiés vaines, fausses et toxiques, plus l’envie d’épuiser ce que je suis en efforts pour plaire ou faire plaisir ou être aimée. Je suis seule et je l’accepte. Mais pour plus personne, je ne ramperai pour gagner les cœurs de ceux qui n’en ont pas. Je n’ai jamais eu le temps pour les jugements. Et moins encore maintenant.
Chacun est ce qu’il peut avec ce qu’il est, ce qu’il peut avec ce qu’il a et si je n’aime pas, je m’en vais. Je m’éloigne. Je n’attends plus l’approbation, la compréhension, l’affection. J’ose dire. J’ose faire. Je m’impose d’être. Tant pis si je rougis. Ou si je blêmis. Ou si je gémis. Jeune, j’étais punk. Je croyais que cela me libérerait des carcans. Vieille, je suis bourgeoise. Je me suis libérée de tout ce pour quoi je m’étais enchaînée. Pour du vent. 23
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Jamais eu peur d’être ridicule tant j’avais conscience du ridicule universel, Jamais eu peur d’être stupide, ignorante ou en demande, tant je savais instinctivement la condition humaine, Jamais eu peur d’être faible, fragile, ou pas à la hauteur tant qui peut prétendre ne l’être pas ? Jamais eu peur d’aimer tant je savais que quitte à souffrir, autant que ce soit d’amour, Jamais eu peur de ne pas être aimée tant je pensais que c’était fatalité, Jamais eu peur de ne pas être heureuse tant j’avais la certitude que nous avions été envoyés ici pour cela, Jamais eu peur d’être déçue par mes amies, mon amour ou ma famille, tant je les croyais au-delà de là et d’ici, Jamais eu peur de ne plus m’aimer tant je pensais que l’amour de soi ne pouvait qu’augmenter, Jamais eu peur de vieillir tant je pensais la jeunesse immatérielle et viscérale, Jamais eu peur de dire tant je pensais que dire était le propre de l’Homme, Jamais eu peur d’écrire mon cœur tant j’y voyais l’unique et profonde raison de maîtriser l’alphabet… Oui, On n’a jamais peur quand on n’a pas encore expérimenté… C’est après.
Je suis une fille rapide. Je fais tout vite. De peur que le temps ne me manque. Je mange vite. Je dors vite. Je parle vite. Je marche vite. Je pense vite. Vite, je sais si un homme me plait Je sais s’il me plaiE vite aussi. Je le lui dis vite. Je lui fais l’amour vite. Je l’aime vite. Ou je le quitte vite. Je l’oublie vite. Ou jamais. Mais je le sais vite aussi. Je travaille vite. Je change vite. Je me fais des amis vite. Des ennemis encore plus vite. Je vieillis vite. Je rajeunis encore plus vite. Je fais vite semblant d’être intelligente. Et je me trahis encore plus vite. Je vis vite. J’ai toujours cru que, dans le vi-te, il y avait un supplément de vi-e.
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(Deuxième) Lettre ouverte à l’homme de ma vie.
Bonsoir,
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On ne se connaît pas mais je t’écris quand même. Pour le cas où l’on ne se rencontrerait jamais. Oui, enfin… À moins que l’on se connaisse déjà mais qu’on ne sache pas encore que nous avons besoin l’un de l’autre comme le pain du roquefort. Bonsoir donc. Il faut que tu saches, en premier lieu, que je te cracherais bien à la gueule, si je pouvais. Pourquoi ? Parce que. Je t’attends, depuis quarante-trois ans comme une conne. L’espoir dans une main, l’enthousiasme crétin dans l’autre. J’ai retourné les terres et les mers et les courants. D’air. En vain. Seule comme un chien.
J’ai cru te reconnaître deux fois. Surtout une. Mais ça ne pouvait être toi. Parce que toi, tu m’aimeras. Putain, mais qu’est-ce que tu fous ? Tu attends quoi, au juste ? Que je ne t’attende plus ? Ouais ben là, tu as déjà perdu. Le jour où l’on ne veut plus de sa moitié, c’est qu’on n’est plus, soi-même, qu’une moitié de soi. Bref. Donc tu n’es pas avec moi. Ni dans mes bras, ni dans mes hauts. Ni dans mon lit, ni dans notre livre. Tu t’es peut-être trompé d’adresse. Et tu n’as pas eu la force de lever tes fesses du canapé de ta maîtresse. Peut-être qu’on ne se rencontrera jamais. Et que tu ne sauras pas que j’étais celle qu’il te fallait. Tu sais, on s’habitue à presque tout, dans le manque. Presque. Tu es quand même le roi des nazes. Je me devais de te le dire. Tu nous as déjà privés de toutes ces années où nous aurions pu, comme deux baleines, nous marrer. Si tu venais à ne pas venir, pense à me le dire. Je me dirais que je dois venir à penser que tu ne viendras jamais. Et je t’oublierai. Ou pas. Ou pas.
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Voilà, petite conne, c’est maintenant qu’il va falloir être une grande, une grande conne, te souvenir qu’on peut vivre une vie entière sans avoir pansé aucune de ses plaies, que les trois-quarts se baladent avec leur douleur dans le placard, que tu peux l’aimer et l’attendre sans que sa pensée n’en soit le moins du monde touchée, que l’amour, comme un chewing-gum qui blesse, te colle à la pomme, aux fesses et au blouson, parfois sans la moindre raison et que, malgré la tienne, de raison, il ne suffit pas de pouvoir pour vouloir et encore moins de vouloir pour pouvoir, que les autres ne nous livrent que des erreurs pour ce qui est des thèmes majeurs, que les proverbes sont faits pour remonter le moral mais que la majorité n’en a pas, de morale, que les journaux te vendent un rose bonheur imaginaire juste pour que tu jettes tes sous en l’air, que le bon sens nous manquera toujours assez pour y aller (dans le bon sens, justement), que les citations disent une chose et son contraire, que les livres aussi, que les grands hommes ont souvent été bien petits pour ce qui touchait à leur nid, qu’il n’y a pas de vérité absolue mais qu’il existe une cruauté qui l’est, qu’on ne t’apprend que l’inutile à l’école parce la vie, elle, ne s’apprend qu’en avançant, que tu peux agoniser devant ceux que tu aimes sans qu’ils ne le voient, même, que tu n’as pas été là quand certains avaient
besoin de toi, que tu peux faire toutes les phrases du monde, tu ne listeras jamais rien, tu perds ton temps. Mais c’est bien fait : il te perd aussi. Tout le temps. Le monde est bien trop clair pour ne pas parvenir à le gribouiller avec des mots ou des idées. Le monde est bien trop abscons pour qu’on n’ait pas l’obsession des énumérations. Tu vois, on peut tout dire. Et son contraire. Tu vois, moi non plus, je ne t’aime pas.
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Dans crever, il y a rêver.
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On a juste ajouté un C. C comme Connard. Rêver d’un connard, c’est crever, dis ?
Lui et moi, ce bien-aimé trauma. Nous avons été amants fous pendant des jours, des semaines, des mois et des années. En secret. Nous nous cachions. Nous nous taisions. Nous mentions. Nous nous rejoignions, en crapahutant, la nuit, faire l’amour, en sueur ou en pleurs. Nous étions interdits l’un à l’autre. J’étais plus vieille. Il était trop jeune. Il avait quinze ans. J’en avais vingt-deux. Je pensais mériter la prison. Il pensait mériter la pendaison. Nous étions juste deux petits cons. Prisonniers mais libres comme le vent.
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Ivres. De la vie. De nos baisers. Du présent. Nous nous accrochions les peaux, derrière les portes. Nous nous scrutions, dans la cohorte. Nous nous attendions des jours entiers, le cœur battant, plein de honte. Et heureux. Misérables, décharnés, amoureux. Nous sommes notre plus sublime trauma, l’un à l’autre, L’amour interdit que les années défient, De ces névroses dont on ne veut se séparer jamais, Pour mieux conserver notre poésie, notre folie, notre forfait.
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Oh comme je te sais, mon amour ! Je t’ai tellement dans les boyaux que je te sais avant que tu ne te saches ! Tâche, pistache ! J’ai attendu ta lettre informe à tics jusqu’à ce que, ne voyant rien venir et doutant de moi, je ne m’endorme, enfin. Je l’ai lue, à l’aube, la bouche ouverte : je voulais recevoir tes baisers volants et muets, oui, mais aussi, aussi, je connaissais chaque mot avant que de les déchiffrer. Je savais que tu écrirais ça, comme cela. Je le savais. Mais au fond, qu’y a-t-il d’étonnant ... ? Je suis ta moitié. Celle que tu as paumée. J’ai eu envie de te répondre. Et puis, je m’y suis opposée. Ravisée. Tue. Cela n’a plus de sens, de t’écrire. Plus de sens unique. Ni interdit.
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Que voudrais-tu savoir, de moi ? Tu connais mon odeur au réveil et mon sourire au coucher. Il est inutile de te parler. Tout, tu sais. Si un jour, tu décides de prendre le chemin d’airain de mes reins, frappe à mon cœur et à ma porte. Sur un plateau, peut-être, je te l’apporte. J’ai changé, mon Roi. Je suis entrée en religion.
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Je ne ferme pas les battants du couvent mais seul l’amour pourra désormais ouvrir ces portes qui se sont refermées.
Souvent, je décide de balancer plein de sentiments à la poubelle. Plein de gens, aussi. Alors, je mets tout à la corbeille. 35
Et puis, ensuite, je ne sais pas quoi foutre du panier chargé. Alors, je le trimbale.
Fais gaffe, vieille poupée décoiffée, Quand ta rage s’éteint, c’est que ton cœur meurt. Brisé. Ta gueule, on le sait. Tu as trop bouffé. Ils t’ont écartelée, déchiquetée. Ça te donne bonne mine, d’être ravagée ? 36
Non mais sérieux, je t’ai sonné ? Allez, avoue, pleure, plie, accepte, Tu vois bien qu’on ne dépasse pas son Destin. Comme un naufragé, je nage contre les courants, je surfe contre le vent, je m’écroule sur la grève. Mention pas sable. Ne pas confondre naïade et noyade. Mais de justesse. Car pas de justice. Soyons un Juste. — Non, le destin ne se dépasse pas. Il te broie, petite noix.
Tu peux donner tous les coups que tu veux dans le mur, tu peux crever les rideaux qui séparent, déchirer les silences, les absences, les reculades, tu peux hurler tes «aime-moi», ceux que tu caches si bien sous tes putains d’excuses bidons et tes attitudes désinvoltes, tu peux ramper comme un clébard mouillé et puant, mal-aimé, tu peux danser à l’aube, plein de l’espoir de la joie du jour, du jouir, tu peux .... Essayer de prévoir ou de bâtir ou de croire. Rien. Tu n’as aucun pouvoir sur la vie. T’as compris ? C’est elle qui te malaxe comme une terre glaise. Elle encore qui te façonne et te désarçonne. Putain, je t’aimais. Et lui, cet autre-là, tu t’en souviens, de ce con ? Oublie, petite fille. Suce ton pouce et lève le menton. Le soleil brille. Retiens, sur l’un des murs prison d’une chambre à gaz, sous le Ziklon, un mourant a gravé : «Même silencieux, je crois en D-ieu.»
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