Fenêtre sur moi

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Beren Dagostino

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Il était une fois la fin. La fin de quoi me direz-vous ? La fin tout simplement. La mort autrement dit. Mais non pas la mort physique, l’éradication par le trépas. Je veux parler ici de la mort d’un état d’esprit, qui, à la différence de son apparente nécessité, est potentiellement nuisible à bien des égards. Je veux parler ici de la fin programmée et programmable d’un sentiment issu de cet état. Je veux ici parler de l’extinction de toutes les formes d’empathie à l’égard d’autrui. Pourquoi dis-je cela ? A propos de qui au fait ? Je dis cela parce que je parle de moi, ayant par-là répondu aux deux questions, je crois bien. Et de plus, car « moi » est le sujet que je préfère aborder seul, ou en société. Le monde de demain quoi qu’il advienne appartient à ceux qui sont désormais comme je suis. « Maubrey ? J’espère que cette fois c’est clair ! » me dit Leopardi. Jacques est un vieil ami. Perdu de vue depuis plus d’une dizaine d’années. La providence nous a à nouveau réunis.

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« Oui c’est compris ! Comment s’appelle-t-elle déjà ? « . « Ness ! Elle s’appelle Ness ! Je te rappelle que tu m’as promis de ne pas me faire honte comme la dernière fois. Si tu vois ce que je veux dire... Espérons pour cette fois que la fille ne te pousse pas, de par son apparence, à boire comme un trou pour avoir envie de la posséder au sens biblique du terme ; jusqu’à ce que, en te réveillant, tu constates que tu aurais mieux fait de pas monter boire ce dernier verre chez elle, après l’avoir raccompagnée et par la suite la laisser, à sa sortie du sommeil, chercher où tu pouvais être parti. Tout cela s’achevant par un étonnement de circonstance quant à la disparition de tes coordonnées de son téléphone portable que tu lui avais si gentiment, si délicatement, si aimablement données la veille à l’apéro ». Il n’avait pas tort mais ce n’était pas l’exacte vérité des faits. Pour la « posséder », enfin... Pour avoir une once d’envie de la « posséder », j’avais aussi tapé. J’avais sniffé un peu de coke dans le local à poubelle de son immeuble peu avant de monter chez elle et juste après avoir garé ma voiture. Voiture qui, sans doute en passant, est bien la seule chose que j’aime posséder.


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J’en rêvais depuis si longtemps quand j’ai enfin pu l’acquérir, que j’avais mis bien trois jours avant de trouver le sommeil. Remuante ! Cette fille avait un don pour les mouvements du bassin, horizontaux, circulaires, verticaux, elliptiques... Et quelle gobeuse ! C’est pour cela que je n’ai pas éprouvé autant de regrets que peut le supposer mon ami. Voilà ! Je vous souhaite la bienvenue de manière peu conventionnelle dans mon univers. J’espère que ce séjour vous procurera quelque chose : du dégoût, du plaisir, l’envie de crier au fou, l’envie de jouir, de hurler comme un loup, arriver à en rire, voire même le tout. Mais à vrai dire ce qui est profondément certain : c’est que nul n’en sortira indemne !

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« Regardez ! Vous voyez, par exemple moi, bla... bla... bla... ». Cette conne m’ennuie. Je n’en peux plus. Je suis dans le bus et une fille n’arrête pas de me baratiner sur un titre du journal que je lisais si paisiblement jusque-là. Elle me donne son avis dont je me contrefiche, mais elle persiste. Moi je signe pour sa descente à l’arrêt prochain. Ou c’est elle, ou c’est moi ! Encore heureux que je ne sois pas loin d’arriver. Finalement c’est moi qui descends. Je finis le restant du parcours me menant au lieu de rendez-vous à pied, par un temps pareil c’est assez idyllique. L’Artiste ! Joli nom pour un café, non ? Je m’assois, ayant pris soin d’arriver en avance comme à mon habitude en de pareilles occasions, car malgré tout j’ai quelques principes, enfin... quand ces derniers me sont utiles. Sinon, vous pensez bien que non. A la dizaine de minutes d’attente, il y eu deux nouvelles, une bonne et une mauvaise. La bonne


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nouvelle : c’est qu’elle était à l’heure. La mauvaise nouvelle : ce n’est pas un canon. C’est une bombe ! Elle est arrivée, drapée d’une robe aux motifs violets et variés allant de la fleur à l’arabesque, le tout teinté de blanc. Elle est magnifique. Je reste un peu coi lorsqu’elle me reconnait à mon chapeau et m’adresse un bonjour plein de lumières. Je ne l’avais vu qu’une fois à l’anniversaire de Jacques l’année précédente ; l’une des rares fois où je me suis rendu à une fête d’anniversaire de ma vie. Car au cours de mon existence dilettante, je n’ai pas vraiment fréquenté ce type d’évènements. Dans les premières années car je n’étais pas invité, persona non grata. Et les années suivantes car j’ai rarement exprimé l’envie d’honorer de ma précieuse présence ce type d’occasion festive, persona not to be « gratter » en somme ; que ce soit en espèces sonnantes et trébuchantes ou en toute autre faveur possible à obtenir vu l’aisance apportée par ma position actuelle sur l’échelle sociale. Lorsqu’il s’agit de mon anniversaire, c’est encore bien pire. Je ne l’ai fêté en assemblée à l’unique occasion de mon dix-huitième anniversaire. Et encore parce que ma mère avait invité en cachette ma famille élargie aux oncles, tantes, cousins et cousines, ainsi que mes rares amis de l’époque, ou

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dénommés comme tels par ma génitrice, et qui ne l’étaient pas, bien entendu. Mon enfance fut certes heureuse mais vécue un peu sous le régime d’une forme prononcée de frustration. Et lors de mes dix-huit ans c’est comme si toute la vapeur contenue dans la cocotte-minute que j’étais alors commençait à s’échapper souvent en furie, rarement apprivoisée et jamais maitrisable. Depuis elle continue de fuir ma carcasse et a laissé libre cours à ses envies. Tout cela afin que ma frustration enfantine, réelle, ou supposée, soit évacuée. Finalement j’en viens à penser que je n’ai pas dû vivre ni l’enfance, ni l’adolescence dont je rêvais, tout simplement. Alors je me suis vengé sur ma vie d’adulte, et aujourd’hui tout le monde déguste. Mais Ness ? Oui Ness ! Va-t-elle subir un sort similaire de près ou de loin à celui de celles qui l’ont précédée ? Cela... Nous le verrons bien.


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Une semaine entière vient de s’écouler depuis ce rendez-vous et Ness est encore chez moi. Là, elle dort paisiblement. Franchement je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai dû avoir une poussée de dopamine. Et ce, naturellement pour la première fois depuis un assez long moment. Tous les jours elle se rend à son travail. Tous les matins elle me quitte avec regret. Tous les soirs elle rentre avec le sourire. Tous les soirs, elle me retrouve avec un plaisir non dissimulé. Tous les soirs son retour est des plus tendres. Ni elle, ni moi, à vrai dire, ne nous posons la question du pourquoi et du comment. Personne ne se la pose vraiment. Et je crois bien que de nous deux nul ne cherche à savoir. Et puis comme tout a une fin, qu’il fallait bien qu’elle aille se changer un tant soit peu et vérifier sa boîte aux lettres, relever les factures, etc... Un soir elle n’est pas revenue.

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Mais contrairement à ce que j’imaginais, le lendemain matin, je fus bien surpris de la voir à ma porte accompagnée de croissants chauds et tenant une baguette de pain frais dans les mains. Je me saisis de ceux-ci puis allais dans la cuisine. Erreur fatale ! Laquelle me direz-vous ? Et bien lorsque j’ai pris les croissants et la baguette. J’ai omis de regarder derrière Ness. Et pour finir de dépeindre cette scène, à mon retour de la cuisine je vis dans le salon une énorme valise pleine de ce que devait être ses affaires. Ses premières affaires... j’en avais bien peur. La première invasion est toujours la plus douloureuse, la plus surprenante. Après on ne sent plus vraiment la douleur ou bien la différence, on se laisse bien malgré soi emporter par le mouvement, comme on laisse cette foutue brosse à dent rose à fleurs multicolores façon seventies sous acide se poser avec la grâce d’un papillon bourré dans son verre à dent. Ce qui me gêne le plus dans cette relation naissante : le fait un jour ou l’autre de devoir justifier de mes actes et même de devoir rendre des comptes. J’en ai toujours eu horreur. J’aime à être libre, à vivre sans entraves, sans freins, sans chaînes... Et me voilà avec un fil à la patte.


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Mais quel fil ! Un fil cousu d’or, aussi doux et souple que du papyrus, un fil si suave à sentir qu’on en redemanderait presque. C’est une crème que cette fille. Toujours souriante et positive, elle apporte cette touche de fraîcheur rédemptrice et enivrante manquant à mon existence bien cadrée malgré les apparences. Avant elle ma vie se composait à peu près de la manière suivante : Levé aux aurores, je me trainais en titubant jusqu’à la machine à café pour en tirer ce liquide noir anthracite indispensable à cette heure, comme à toute heure de la journée, à mon bien-être, et ce de manière quasi constante. Après l’avoir bu en troisquatre gorgées accompagné de ma première cigarette de la journée, je filais sous la douche, chaude, bien chaude de préférence. Je m’habillais, je refumais une ou deux clopes, puis je descendais prendre un café vers la gare. Généralement je prenais la direction de la gare de Lyon bien qu’il m’arrivât aussi de préférer la gare de l’Est, rarement la gare Montparnasse, et jamais la gare du Nord. A mon retour, après environ une heure passée comme à l’accoutumée au comptoir à deviser avec le barman, je me mettais devant mon écran d’ordinateur, et ainsi je débutais ma journée de labeur, s’il

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m’est permis de qualifier mon activité d’écrivain, de labeur, bien entendu. Aux environs de midi, une heure, je prenais un repas frugal, puis me remettais au travail jusqu’aux environs de 18 h. Voilà pour le principal, le reste je vous en parlerai peut-être. Voir pas du tout, si cela me chante, comme bon me semble Messieurs-Dames habités d’une curiosité habituellement à propos dans votre singulière position de témoins et juges de mon récit, si futile soit-il.

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La vie est ainsi faite que, dès lors que vous éprouvez une bonne dose de bonheur, elle se charge de vous rappeler à l’ordre. C’est ce qu’a dû se dire Ness, quand elle a découvert deux ou trois trucs à mon sujet. D’abord, et en apparence cela n’a pas grande importance, voilà : je n’aime pas trop dormir et me débrouille souvent pour avoir le moins du monde possible à devoir m’assoupir. Je suis aussi un animal nocturne, ce qui ne va pas sans poser de problèmes à quelqu’un dont le moment d’activité est le jour, comme elle. Mais tout cela n’a causé aucun souci, tout du moins jusqu’à la fin de la deuxième semaine de relation. C’est le moment où elle a choisi de me taper une mini crise de nerfs disant : « Charles tu pourrais au moins me prêter plus d’attention la nuit et venir passer plus de deux heures près de moi. Serait-ce trop te demander ? »

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Ce à quoi je répondis que tel était mon mode de vie et qu’elle n’avait d’autre choix que de s’y faire. Fin de la discussion à ce propos. L’autre est plus compréhensible de son point de vue, comme comportement gênant de ma part. Je suis un charmeur. J’aime charmer, j’adore séduire, sans pour autant conclure, car ce n’est pas parce que j’ai choisi le menu que je n’ai pas le droit de regarder et d’apprécier la carte, comme le veut une expression chère à mon paternel. C’est ainsi, j’aime plaire. Ce qui, vous le comprenez aisément, ne met pas forcément en confiance votre partenaire, pour autant, qu’il ou elle, ait un peu d’estime de soi et d’amour propre. Le dernier problème, et à ses yeux cela le deviendra un jour ou l’autre, c’est que je me drogue. Je tiens à bien préciser que je n’aime pas la drogue, c’est plutôt elle qui m’aime. Je suis un peu tombé le nez dedans quand j’étais petit. Elle est venue tenter de combler un trou dans mon âme pour m’apporter bien-être et confiance en moi. Enfin, je suis tombé dedans mais pas tant que cela, bien que mes premières consommations de produits stupéfiants aient débuté assez jeune rapport à mon milieu social d’origine qu’est la petite bourgeoisie parvenue de Paris.


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Et voici que les deux premiers posent déjà problème. Quant au troisième, et bien il pourrait le poser incessamment sous peu si je ne fais pas montre de retenue et de discrétion, deux qualités où, je dois avouer je n’excelle pas, bien malgré moi. Finalement je m’étonnerai presque, moi qui fuyait depuis toujours la monotonie du couple, me voilà avec un air ravi. Cela fait bientôt trois semaines que Ness enchante mon existence. Je dois avouer que je suis perplexe de savoir combien de temps ce ravissement va durer. C’est l’une des caractéristiques des nouveaux couples. Quand on se met ensemble et que tout va bien, que l’on est sur son petit nuage, que l’on va même jusqu’à dire bonjour, sourire et papoter avec la gardienne d’immeuble qui d’habitude vous débecte, fatalement on se demande jusqu’à quand l’état de grâce. Et là justement je pense qu’il ne faut pas se la poser cette question. Cela a le don de provoquer l’effet non désiré, enfin pour nous ce n’est pas encore le cas, pas encore... Un auteur a dit il y a de cela une petite quinzaine d’années : l’amour dure trois ans. Il a eu bien du courage et de la patience l’ami ! Pour ma part la seule

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chose que je sais est que la certitude du bonheur dure trois semaines. Quand le doute s’immisce sur la durée de ce bonheur, c’est presque la fin à mes yeux du meilleur moment de la relation. L’expulsion du paradis en somme.

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Avant de la connaitre je ne m’étais bien entendu... avec personne. Même pas moi-même, du fait des contradictions hantant mon for intérieur. Et la voilà, fleur de jasmin dans mon jardin privé, à embaumer, enivrante, tout mon environnement. Elle doit avoir un don pour ce genre de choses, remplir de sa présence si charmante le lieu où elle se trouve. Ainsi elle atteint les esprits et les cœurs, le mien en particulier, de façon à y laisser une trace indélébile. Je suppose que c’est involontaire. Dans le cas contraire ce serai du pure machiavélisme. Cela serait vicieux, dénué de tout scrupule, elle serait alors un être sans vergogne. Alors je l’aimerai encore plus ! Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’elle joue quelque peu avec moi. Les hommes sont bien naïfs à prendre en permanence les femmes pour des idiotes innocentes et sans la moindre once de manipulation dans le comportement amoureux, vu le domaine abordé.

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