Footaises

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FOOTAISES

"L’ennui c’est que nous négligeons le football au profit de l’éducation." Groucho Marx 1



COUP D’ENVOI 24 février 2013. 10h40 - “Léon, c’est pour toi”. “ Pour moi”, la standardiste du QG ne pouvait mieux dire en me passant cet appel-là. En ligne, la cellule des affaires sensibles du ministère de l’intérieur. -“Morel ?.." Un appel de l’hôtel Bristol. " David Beckham a disparu ". La voix est calme et posée, comme soulagée de me passer le relais. A l’inverse, je bouillonne instantanément à l’annonce de cette information encore confidentielle. Je serai vite sur place, ma base est située Rue de Courcelles, à deux pas du prestigieux établissement. J’y ai été affecté il y a 5 ans maintenant, depuis la création du service.

L’UST, comme l’Union Sportive Tourquennoise, le club de foot où j’évoluais gamin mais aussi comme Unité Spéciale et Transversale. Je suis un "trans" comme on dit chez nous, non sans une certaine ironie qui a le don de m’agacer. Je suis un flic polyvalent dédié au sacro-saint credo de la transversalité. Putes, came, fric, armes... aujourd’hui les maux de notre société bancale se télescopent, se chevauchent, se mélangent. Le manque de probité des élites côtoie l’absence de scrupules des grands délinquants. Je traque, je mets le mal à mal sans espoir de le vaincre tout à fait. J’évolue en immersion au cœur de ce maelström malsain qu’est le monde du crime, passant d’un milieu à un autre, m’imprégnant de mœurs et de pratiques peu recommandables pour le besoin de mes enquêtes. Pour les mener à bien, le cabinet du ministre, mon seul référant, m’accorde carte blanche et moyens quasi-illimités.

Léon n’est pas mon vrai prénom, ça me vient de caméléon, de ma faculté d’adaptation à chacun des environnements que je suis amené à côtoyer. C’est Jean-François qui le premier m’a baptisé de cette appellation saurienne qui s’est progressivement transformée en Léon. J’aime bien “Léon”. C’est concis, efficace, ça claque, ça me ressemble. 4 lettres, comme un nom de guerre. Jean-François c’est Jef, mon ami, mon frère. Nous formons un binôme aussi indissociable au boulot qu’à la ville. Pour autant, vous pouvez oublier les clichés à la FBI, duo très spécial. Jef, comme on

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l’appelle rue de Courcelles n’enquête pas, il répertorie. Jef est marié depuis 20 ans maintenant à Madeleine, une adorable épouse qui jamais ne s’est plainte de notre envahissante amitié. La veille de cet appel téléphonique, nous étions ensemble, Jef et moi, au Parc des Princes, comme quasiment à chaque match depuis 1976, année inaugurale du stade. Depuis cette époque, nous n’avons cessé de fréquenter les travées de l’enceinte mythique, y progressant au rythme de notre promotion sociale, des tribunes populaires jusqu’aux présidentielles où nous occupons aujourd’hui un siège à l’année. Responsable des archives de l’unité, Jef est la mémoire vivante de la boutique. Il est aussi celle du Paris-Saint-Germain. Ce soir-là, un peu déconcertés par la nouvelle dimension de notre club de cœur, nous assistons à la rencontre PSG-OM qui se solde par une victoire convaincante de Paris sur son rival historique. La star anglaise David Beckham, aussi à l’aise sur les podiums de la fashion-week que sur le gazon de la porte d’Auteuil, a fait son match, selon l’expression consacrée. Une prestation qui lui valu une ovation de la part du public lors de sa sortie, à la 85

ème

minute.

J’ai suivi comme personne la formidable ascension du londonien. De ses débuts à Manchester jusqu’aux Los Angeles Galaxy. Je connais tout de sa technique, de son style comme de son palmarès. Je ne suis pas un de ces fans mimant le joueur ou collectionnant magazines people et autographes. Je me fous de sa vie privée et de ses supposées conquêtes. Je fais plutôt partie des admirateurs de l’ombre, des éplucheurs de statistiques, des coachs fantômes. J’analyse, je dissèque chaque action de match. Je note avec minutie depuis 15 ans les points forts et les points faibles de mon poulain ; je calcule ses marges de progression dans chaque secteur de jeu. Je l’ai vu émerger avant tout le monde, je connais son football mieux que quiconque. Je suis si imprégné par ce joueur que ses choix, sur le terrain comme en dehors, ne m’étonnent jamais. Ainsi, son arrivée à Paris était pour moi programmée, comme un rendez-vous attendu. La "femme de footballeur qui ne sert à rien", comme l’ont un temps surnommée les tabloïds britanniques, m’attend dans le hall du palace. Je m’approche de Victoria. Elle n’a pas l’allure apprêtée qu’on lui connaît habituellement. L’absence de ses éternelles lunettes de soleil laisse apparaître des yeux rougis. Elle porte un jogging satiné plutôt mal ajusté et triture ce qu’on appellerait un "doudou" si elle n’avait pas bientôt 40 ans. Il est 11 heures, les présentations faites, le garde du corps nous escorte jusqu’à la suite de la spicy family. Victoria s’excuse de ne pas parler français et s’en remet à son traducteur attitré qui me confirme la disparition de son mari. Nous pénétrons dans la suite. Elle est composée d’un vaste hall desservant avec faste les autres pièces. Dans l’immense living-room, une vue incroyable sur la tour Eiffel s’offre à nous. J’imagine que la proximité du prestigieux édifice concrétise parfaitement le rêve parisien de Victoria. Nous nous dirigeons vers les chambres. Celles des enfants, Brooklin Joseph, Roméo James, Cruz David et Harper Seven jouxtent celle de la nurse. Elle les a emmenés au bois de Vincennes le temps de notre visite.

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Nous démarrons les constatations d’usage, guidés par la maîtresse des lieux. Un rare privilège que j’apprécie à sa juste valeur quand celle-ci m’ouvre la chambre de David. Les Beckham font donc chambre à part. Je réprime un sourire en notant cette information qui pourrait s’avérer capitale, si ce n’est pour l’enquête, au moins pour les groupies parisiennes du bellâtre. S’ensuivent les interrogatoires. Le garde du corps me confirme avoir vu la star quitter l’hôtel vers 03h du matin, lui interdisant fermement de l’accompagner. La vidéosurveillance du Bristol montre effectivement David Beckham sortir du parking de l’hôtel au volant d’une Aston Martin modèle DB7 bleue pétrole, à 03h 05. Inutile de s’éterniser, je laisse aux poulets de batterie le soin de relever d’éventuels indices et recommande, sans trop y croire, la plus grande discrétion à l’ensemble des proches et du personnel présent ce matin-la.

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