L'heritier

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L’Heritier Magali Raynaud





L’héritier



Magali Raynaud

L’héritier



À ma famille, qui se reconnaîtra peut-être dans ce livre.



1 Un des chevaliers poussa un soupir qui brisa le silence. On n’entendait aucun bruit, hormis le cliquetis métallique de son armure. Il se dandinait d’un pied à l’autre pour soulager ses jambes ankylosées. C’était le cas de la plupart des chevaliers, qui se trouvaient là. Il y avait une heure qu’ils attendaient, immobiles, vêtus de leur lourde armure qui pesait sur leurs épaules, et ils auraient tous donné cher pour se dégourdir un peu les muscles. Nerveux, Called ne cessait de scruter les hauts piliers de marbre, s’attendant à tout instant, à voir surgir ses ennemis de derrière l’un d’eux. L’attente interminable faillit lui arracher à son tour un soupir, mais il se retint à temps. Called était la dernière recrue dans les rangs des chevaliers d’élite, meilleurs soldats de toute l’armée, gardes rapprochés de la reine Alix. Grand et bien bâti, personne ne pouvait nier ses durs entraînements dans l’armée en voyant son corps athlétique. Il émanait de lui de l’assurance et un charme singulier. Il avait des cheveux blonds batailleurs et un regard bleu-gris, qui dégageait beaucoup de douceur. Il était séduisant, et ses frères d’armes lui disaient souvent que c’était son physique qui lui avait valu le titre de chevalier d’élite. Même s’ils savaient tous que c’était faux. Le jeune homme était un redoutable guerrier. Des combats, Called en avait mené plus d’un ; il ne redoutait pas de dégainer sa lame. Mais celui qui l’attendait, d’après le visage inquiet et perturbé de la reine, il devinait qu’il serait loin d’être comme les autres. La reine Alix se tenait debout entre un autre chevalier et le jeune homme, droite et immobile, fixant avec effroi la grosse porte de chêne, sachant qu’elle n’allait pas tarder à voir apparaître ceux qu’elle redoutait le plus. Malgré sa longue cape noire, qui l’enveloppait entièrement, et sa

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capuche rabattue sur sa tête, Called parvint à discerner ses yeux, qui trahissaient sa terreur. Un homme posté en bas des quelques marches, qui séparaient le trône du reste de la salle, tourna vers le chevalier un regard empli de lassitude, avant de reporter son attention sur l’entrée principale. Son frère d’armes devinait que tout comme lui, il en avait assez d’attendre, et se demandait si la reine ne s’était pas trompée en affirmant la venue de leurs ennemis. Les minutes s’écoulèrent, longues et identiques. Les jambes de Called auraient pu protester fortement s’il n’était pas habitué à rester planté sur place pour protéger sa reine. L’attente commençait pourtant à l’agacer. Son armure lui tenait chaud, et rester sans bouger à ne rien faire n’était pas ce qu’il préférait. Même s’il venait à douter de la venue de leurs ennemis, Called ne put s’empêcher de couler quelques regards en arrière, histoire de vérifier que personne n’allait le surprendre. Son commandant, un homme large d’épaules et puissamment bâti, dont le regard perçant ordonnait le respect, lui fit signe de rester tranquille. La reine se tourna alors vers le jeune chevalier, et lui adressa un sourire qui le fit rougir. Devinant qu’elle avait besoin de réconfort, il lui rendit son sourire. Called ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, mais il la protégerait coûte que coûte, de cela, il en était certain. Soudain, d’une voix ferme et déterminée, sans doute pour combler un peu ce silence oppressant, la reine lança à ses chevaliers, et sa voix se répercuta dans toute la salle : « Messieurs, le moment est sans doute proche. Le danger est à nos portes, et nous ne pouvons éviter l’inévitable. C’est pourquoi je me sens de vous rappeler les consignes qui vous ont été données, ainsi que de petits rappels pour ceux qui auraient la mémoire courte. Comme vous l’avez constaté, toute la région a été mise à feu et à sang. Nos confrères, les elfes sont dans la même situation que nous. Les auteurs de ces actes malsains ne sont ni plus ni moins que des barbares à la recherche d’informations capitales que malheureusement, ils ont obtenues. Les causes de toutes ces barbaries, je ne peux malheureusement pas vous les divulguer, car ce serait un secret bien trop lourd et trop dangereux pour vous. Je ne renie pas votre courage, mais il y a des choses qu’il vaut mieux ne pas savoir. Si je vous ai empêché d’intervenir, c’est parce que j’ai besoin de vous, vivants et en forme.


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Je vous demande une chose : ne les laissez pas me capturer, c’est de la plus haute importance, une importance qui dépasse votre imagination à tous ! Si vous échouez, bien des choses vont changer, et cela dans le mauvais sens. La survie de ce monde tel que vous le connaissez dépend de votre réussite. Je suis terriblement désolée de vous mettre autant de pression, mais c’est, hélas, la vérité. Je dois quand même vous mettre en garde : ces guerriers ne sont pas comme ceux que vous avez déjà affrontés. Ils sont pires ! Plus dangereux, plus rapides, plus forts, plus expérimentés. C’est pourquoi vous allez avoir besoin de tout votre courage pour accomplir cette lourde tâche. Croyezmoi, je suis désolée de ce qui pourrait vous arriver, mais je n’ai pas d’autre solution. Vous êtes des chevaliers d’élite, les meilleurs de tout le royaume. J’ai foi en vous. » La trompe d’alerte retentit soudain, faisant sursauter les chevaliers. Dehors, les soldats qui gardaient la cour s’activèrent en criant des ordres. Le martèlement de leurs pas emplit la salle du trône, ainsi que le son métallique de leurs armes. Called enfonça son heaume sur sa tête, et le boucla fermement. Plusieurs chevaliers imitèrent également son geste. Ainsi, leurs ennemis allaient bien venir. Tournant la tête vers sa reine, il l’entendit commencer à respirer bruyamment, montrant bien qu’elle devenait tendue et angoissée. Le jeune homme aurait voulu la réconforter, mais il ne devait pas bouger. La pluie martelait à présent les vitres sans relâche. Les grondements d’un orage se firent entendre, puissants et effrayants. Or, aucun éclair n’avait encore zébré le ciel. Le tonnerre se rapprochait, de plus en plus fort. Called mit quelques secondes avant de comprendre. Les autres chevaliers étouffèrent une exclamation. Ce n’était pas un orage. On enfonçait la porte qui donnait accès à la cour du château à coup de bélier ! Quand un énorme fracas s’éleva dans l’air, et que les murs tremblèrent, les huit chevaliers d’élite entendirent alors le concert de cris de douleur et d’horreur des soldats qui gardaient la cour. Le combat devait être sanglant, et ils se faisaient assassiner ! Le cœur de Called se serra en pensant à ses frères d’armes qui mouraient, là, juste derrière cette porte. Comme il aurait aimé les aider, leur prêter main-forte ! Hélas, son devoir de chevalier d’élite

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l’obligeait à rester à sa position, pour protéger sa reine le moment venu, même si les défenses du château étaient massacrées. Un puissant coup retentit contre la porte. Le bélier, de nouveau. Called tira son épée, prêt à se battre. Ces démons allaient payer. Les chevaliers les plus proches s’empressèrent de bloquer la porte, bien que ce fût tâche perdue. Ils ne tiendraient pas face au bélier qui allait et venait, frappant rudement le bois qui tremblait à chaque coup. « À vos positions ! hurla le commandant. Reculez, dégainez vos armes, et combattez avec honneur ! » La porte tint le coup encore quelques minutes, avant de céder brusquement ! Il y eut un vacarme assourdissant quand les deux battants explosèrent contre le mur dans une montée de poussière ! Et là, tous les chevaliers virent. Ils étaient une vingtaine, grands et imposants, chacun vêtu d’une longue cape noire qui ne laissait absolument rien paraître de leur corps. On distinguait juste leur épée dégoulinante de sang, dont le pommeau était enfoncé dans leur ample manche. Un masque d’acier au faciès effrayant recouvrait entièrement leur visage, et empêchait les chevaliers de les dévisager. Leurs yeux avaient la couleur du sang ! Derrière eux, Called découvrit avec horreur des corps par dizaines, gisant par terre, baignant dans une mare sombre. Certains se battaient encore contre des Hurts, ce peuple barbare vivant dans une contrée bien au-delà du désert du Nord, mais la plupart des soldats étaient déjà morts. Il ne pouvait y croire ! Ces démons noirs sortaient tout droit du passé. Un passé qu’il croyait de toute son âme révolu... Les descendants du mal. Et pourtant, ils se tenaient devant lui, forts et terrifiants, prêts à massacrer tout un peuple. Les Zor’gons, ces monstres de légende, créée à partir de l’âme de leur souverain étaient ses plus fidèles serviteurs, ses généraux. On disait d’eux qu’ils étaient invincibles. Ils ne craignaient rien. Ils possédaient une force hors du commun, et maîtrisaient la magie. Ils menaient d’une main ferme les Hurts, qui à leurs yeux, n’étaient que des incompétents, bon qu’à la guerre. Leur maître à tous était Antor, la malédiction de ce monde ! Il avait pillé, massacré, et réduit en esclavage les royaumes, des années auparavant... Tout le monde le craignait. Ce fut une époque sombre où personne n’osait sortir de chez soi. Des villes entières avaient été brûlées, la famine avait frappé, et les morts étaient incalculables.


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Il avait aimé cette désolation. Il en était fou. Alors, après s’être rebellé contre les dieux, il avait tenté de prendre le pouvoir. Les elfes et les humains, deux peuples très proches, l’avaient alors tué au cours d’une sanglante bataille. Cette période fut un traumatisme ! Et si les Zor’gons étaient revenus, alors Antor la malédiction, était de nouveau parmi eux. Cela ne signifiait rien de bon. Toutes ces barbaries allaient de nouveau réapparaître ! Un élément échappait toujours à Called : pourquoi venir s’en prendre à la reine Alix ? Ce n’était pas le moment de se poser des questions. Il comprenait maintenant le danger qu’ils couraient tous. Si Antor était bien de nouveau dans ce monde, les gens allaient devoir payer de nouveau, l’orgueil des dieux. Called abaissa sa visière, prêt à combattre, et adressa une prière muette à la Chimère. La suite des évènements se brouillait dans sa tête, mais ce fut un combat qu’il n’oublierait jamais. Les Zor’gons étaient rapides et forts. Ils réagissaient plus vite qu’un humain, leur magie était puissante, et ils avaient des tactiques très élaborées. Called se battit avec hargne, donnant tout ce dont il était capable, faisant preuve d’un redoutable acharnement. Sous les ordres de son commandant, il tenta d’emmener la reine loin de ce carnage. Le sol de marbre n’était plus blanc, mais rouge de sang... Il ne put aller nulle part. Ces démons étaient trop nombreux. Trop forts. Quand une douleur fulgurante explosa dans son crâne, et que le monde s’assombrit, il comprit que c’était fini.



2 Son mal de crâne était épouvantable. Called ne ressentait que cette horrible migraine. Il n’avait encore jamais rien ressenti de tel : à la moindre contraction, l’impression d’une explosion lui envahissait la tête. La seule chose positive dont il était certain, c’était qu’il vivait. Mais cela avait-il aidé sa reine ? Alix… Allait-elle bien ? Était-elle en sécurité ? Des images de son combat passé commencèrent à défiler dans l’esprit du chevalier. Il revit les Zor’gons, ces êtres abominables qui étaient pratiquement invincibles. Qu’est-ce qu’ils voulaient exactement pour s’en prendre à la reine Alix ? Que se passait-il ?! « Chéri ! Viens voir, il se réveille. » Cette voix ne venait pas de son esprit. Elle semblait lointaine, brumeuse, et pourtant si proche. Qui était cette personne ? Où était-il ? Son cerveau semblait fonctionner au ralenti. Il tenta d’ouvrir les yeux, mais fut incapable du moindre mouvement, comme si son corps ne lui appartenait plus. Il contrôla l’angoisse qui montait en lui, et fit le vide dans son esprit. Rester tranquille. Ne pas précipiter les choses. C’était ce que son commandant lui répétait toujours. Il sentit alors qu’il revenait à lui. Il retenta sa chance, et réussit enfin à bouger son bras. Pour la première fois depuis qu’il s’était fait assommer, Called put sentir ses membres, et apprécier la moindre petite contraction. C’était plus agréable que la sensation de mort. Il serra quelque chose de mou et doux dans sa main, sûrement du tissu, et fut soulagé d’être à nouveau maître de son corps. Puis, très doucement, Called ouvrit les yeux. La lumière, pourtant assez faible, l’éblouît complètement et pendant un instant, il ne vit qu’un éclair blanc. Il lui fallut une bonne minute pour que ses yeux s’accommodent à ce changement. La première chose qu’il vit fut le plafond. Quand il se

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redressa un peu, il découvrit son armure et ses armes, posées sur une chaise en face de lui. L’armure était si abîmée qu’elle était inutilisable. « Enfin ! Vous émergez de votre sommeil. » Called se tourna vers cette voix rocailleuse, et découvrit une vieille femme, accoudée à la table de chevet. Ses fins cheveux gris lui tombaient sur le visage, et malgré son âge avancé, Called décerna une part de jeunesse dans ses yeux. « Nous nous demandions si vous alliez vous réveiller, reprit-elle. – Qui ça, nous ? souffla le jeune homme. – Mon mari et moi-même. » Called médita un instant, encore un peu assommé. Il était allongé sur un lit, seulement vêtu de ses braies. Il passa sa main sur plusieurs marques rougeâtres qui parcouraient son torse, là où son armure s’était enfoncée. « Rien de grave, lui lança la vieille femme. Je vous ai déjà donné de quoi vous rétablir vite. J’ai désinfecté toutes vos coupures. Vous n’avez rien de cassé, mais ce n’est pas passé loin. – Merci. Je dors depuis combien de temps ? s’enquit le chevalier. – Au moins deux heures. Au départ, on croyait que vous étiez mort, car vous ne réagissiez à rien. Puis mon mari a perçu votre souffle, alors on vous a emmené ici. » Called s’assit doucement en grimaçant. Dehors, la nuit était déjà tombée, et la pluie avait cessé. Mais il ne put voir le château, ce qui fit naître en lui une terrible crainte. « Vous devez avoir faim, lança la vieille femme. Venez donc avec moi, je vous ai préparé de quoi manger. » Elle sortit une chemise d’un tiroir, la déposa sur le lit, et disparut dans le couloir. Called enfila la chemise, puis ses bottes, et inspecta rapidement ses armes. Son armure était dans un état lamentable. Sa cotte de mailles n’était pas mieux. Il poussa un long soupir avant de descendre rejoindre ses sauveurs. Le jeune homme mangea en silence, n’osant à peine toucher son assiette. Alors que lui pouvait manger à sa guise, sa reine était en danger, et croupissait sûrement dans un cachot. Si ce n’était pas pire... La vieille femme et son mari, un homme fort corpulent au crâne dégarni, le regardaient avec insistance. Se résignant finalement à manger, Called posa enfin la question qui le démangeait :


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« Y avait-il d’autres personnes, lorsque vous m’avez trouvé ? D’autres... survivants ? » Le vieil homme poussa un soupir triste. « Je regrette, répondit-il. Nous n’avons trouvé que des cadavres... Le château était désert. Il n’y avait absolument personne. Nous avons vu en revanche, autre chose. Ils sont apparus, tels des fantômes. Ils ont sillonné le village pour se rendre au château. Les villageois étaient terrifiés ! De ma chambre, j’ai pu les observer. – Lorsqu’ils sont arrivés au château, toutes les lumières se sont éteintes. J’ai quand même pu voir certaines pièces s’effondrer ! Tout cela est vraiment horrible. Ainsi donc, Antor serait revenu à la vie… Bref, ma femme et moi avons attendu que les choses se calment, puis nous nous sommes rendus au château, voir si nous pouvions apporter notre aide. Tu reposais, inconscient, sur un tas de débris. Nous ne sommes pas allés plus loin que la salle du trône, je ne peux donc pas te dire s’il y avait d’autres survivants. – Mais dans la salle, il n’y avait que toi, je regrette. Nous t’avons transporté ici pour te soigner. » Called se perdit dans ses pensées, ne songeant plus qu’au château détruit, à sa reine enlevée et à ses compagnons tués. Sa famille... « Il est revenu, n’est-ce pas ? questionna-t-il enfin. – Je le crains, oui, susurra le vieillard. Au départ, nous n’avions que des soupçons, mais voilà que maintenant, nous en sommes sûrs. C’est le début d’une sombre époque qui se prépare, crois-moi. Tout va recommencer, comme quand ces fichus dieux, où je ne sais qui, l’ont créé. – Pourquoi les Zor’gons sont-ils venus ? – Nous l’ignorons », soupira la vieille femme. Called se leva de sa chaise, et alla contempler la silhouette du château par la fenêtre, bras croisés sur sa poitrine. Il voulait voir, vérifier de ses propres yeux. Peut-être y avait-il encore des survivants, et il était de son devoir de les aider. « Tu as l’intention de retourner là-bas ? demanda le vieil homme. – En effet. » Called avait déjà été confronté à la mort. Il ne s’habituait jamais à voir des frères d’armes étendus par terre, sans vie, couverts de sang, mais avec le temps, il avait appris à encaisser. Ce qu’il redoutait le plus, c’était de découvrir que les sept autres chevaliers d’élite étaient morts... Ils formaient

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