La vie en doses Agnès Villani
La vie en doses
Agnès Villani
La vie en doses
« Derrière son écran » de David N icolas E sseiva
À défaut de me coucher Sur un homme, un vrai, un aimant C’est encore par le clavier Que l’amour passe à l’écran Bienvenue sur mon blog Laissez-moi vous conter Ma vie qui va, qui vogue, Au grès des vacuités C’est un centre d’inintérêt Royaume de la perle très rare Où chacun vient magnifier La maigreur de son histoire Un rendez-vous virtuel Là où l’on ne se voit pas C’est pourtant de l’essentiel Qu’on y décroche parfois Qui pourrait bien me blâmer De me trouver du talent Visiter, réinventer Les dehors sont si navrants Je poursuis donc mes valses doigtées Tard dans la nuit, dans le blanc À défaut de me coucher Sur un homme, un vrai, un aimant.
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Première partie
« L’obsession »
Quelle douce mélodie que la sonnerie de mon téléphone qui ne cesse de retentir… La diffusion de la première émission de « La nouvelle star » à laquelle j’ai participé, m’a valu le retour en force d’anciennes connaissances. — On t’a vu à la télé ! On t’a vu à la télé ! Formidable ! Au fait, vous étiez où les dix dernières années alors que je faisais la manche dans le métro et que je travaillais quinze heures par jour pour arriver à payer mon loyer ? Vous étiez où quand je me suis retrouvée à la rue avec mon bébé dans les bras ? Vous étiez où pour mes anniversaires, mes déménagements, mes ruptures, mes spectacles devant des salles désertes, les funérailles de mes proches, dites-moi, vous étiez où ?! Mais il est vrai, je suis passée à la télévision et c’est bien plus important que tout le reste. Ça ne vous met pas mal à l’aise d’avouer avoir gardé mon numéro tout ce temps et de ne jamais avoir pris de mes nouvelles ? En ce qui me concerne, ça fait bien longtemps que je n’avais plus le vôtre. Autrement, en le voyant s’afficher, je ne vous aurais sûrement pas répondu, car je sais exactement ce que vous veniez chercher : du rêve. Il m’a fallu des centaines de sacrifices pour préserver le mien et aujourd’hui, vous voudriez qu’on le partage ? Je suis gentille, mais sous des apparences sans doute trompeuses, je ne suis pas naïve. Je ne suis plus naïve. Et maintenant que l’aventure M6 s’est arrêtée, ça ne vous intéresse pas de savoir dans quel état je suis ? Allez-y, appelez-moi, je vous raconterai avec grand soulagement ma journée interminable, assise devant mon ordinateur, à écumer les castings tous fermés au plus de trente ans, tout en guettant le facteur pour savoir
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s’il m’apportera enfin ma notification d’Assedic. Peut-être que mon portable ne fonctionne plus. Un appareil tout neuf, quelle malchance ! Ce que j’ai appris pendant toutes ces longues années qui ont précédé ma petite notoriété éphémère, c’est que les vrais amis ne sont pas ceux qui vous félicitent, mais bien ceux qui vous encouragent. C’est pourquoi, suite à l’éviction de ma « dernière chance », j’ai décidé de partager, via un blog, mes expériences dans l’envers du décor de la télévision et du retour à la réalité. Je dédie ce livre à mon fils, qui je l’espère, comprendra mieux cette drôle de vie que nous avons menée ensemble…
Ce premier texte a attendu le deux avril , pour ne pas être pris pour un poisson
2 avril 2008 Je me présente, Agnès Villani, 33 ans, chanteuse, maman d’un beau garçon de 11 ans prénommé Benjamin, célibataire typique de la trentaine (mi-dépressive et mi-résignée), comédienne ratée, pseudo sosie d’Hélène Hunt, optimiste, idéaliste et complètement paumée. Mes expériences de vie sont compressées dans deux CV : le premier, où j’ai papillonné entre femme de chambre à Wimbledon, conseillère en lingerie à Toulouse ou encore hôtesse d’accueil à Paris. Le second est à mon goût plus artistique et palpitant. Cela dit, je ne renie bien sûr aucun des métiers auxquels j’ai pu « goûter ». D’après mon père, j’ai commencé à chanter au même moment où j’ai découvert la parole. J’adorais l’acoustique des cages d’escalier chez ma mère, dans le Sud-ouest et j’y passais la plupart de mon temps car les journées semblaient s’étendre comme de longs hivers. Avant d’être une passion, chanter était un exutoire. J’ai intégré mon premier orchestre à seize ans, où je me suis retrouvée un peu larguée entre une batterie et un accordéon. On me faisait chanter du Piaf, en enchainant sans transition avec des medleys de La Compagnie Créole. Pourtant, ma découverte avec la douce chaleur des planches a suffi à m’enthousiasmer, même si j’avais le malheur de croiser des élèves de ma classe, lors d’une fête de village. Seul cet amour inconditionnel du chant me donnait le courage de me montrer ainsi en public avec mes 80 kilos pour 1m66. Pourquoi ce passé resurgit-il en cet après-midi médiocre de printemps ? Peut-être parce que ce nouvel anniversaire m’encourage à faire un bilan, sans doute poussé par une petite crise de la trentaine. Peut-être aussi parce que mon éviction de la « Nouvelle star » me renvoie à certains
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de mes échecs. Enfin, peut-être parce que mon fils grandit trop vite et moi pas assez… Voilà pour cette petite introduction d’un journal intime que j’ai envie aujourd’hui de rendre public.
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8 avril 2008 J’estime qu’il est intéressant de vous informer sur le déroulement d’un casting pour une émission télévisée de chant. Tout d’abord, pour ceux qui l’ignorent, sachez que la première sélection ne se fait pas devant le jury final mais devant des casteurs inconnus du grand public. Très souvent des professeurs de chant ou des représentants du label qui produira le gagnant. Donc, le matin de ma toute première épreuve qualificative, je me suis levée à cinq heures en espérant arriver parmi les premiers candidats et m’éviter ainsi une interminable attente jusqu’à quinze heures au moins, debout, à l’extérieur. Mon fils s’est chargé de choisir ma tenue, ayant décrété que cette superbe tunique mauve que je trouvais à la fois chic et sobre, me vieillissait d’une vingtaine d’années au moins. Soit. Voulant mettre toutes les chances de mon côté et ne pas m’embarrasser de regrets inutiles, j’ai écouté ses conseils. Rendez-vous à l’hôtel Mercure, dans la pénombre et un froid glacial. Une cinquantaine de jeunes chanteurs frigorifiés font déjà la queue. Chacun tente de prendre un air détaché en se demandant mutuellement quelles chansons ils ont choisi d’interpréter. Quand vient mon tour, je leur explique que j’ai préparé une version swing de « Quand j’serai ko » d’Alain Souchon et « Mustang Sally » de Wilson Pickett. En remarquant les regards sceptiques de mes auditeurs, je décide de quitter la queue, après m’être assurée que quelqu’un garderait bien ma place et je rejoins le bar de l’hôtel pour prendre un grand café brûlant. Je me sens étonnamment sereine. Les portes s’ouvrent enfin vers huit heures trente et des hôtesses nous collent des badges numérotés sur nos poitrines et nous remettent des contrats de cession de nos droits à l’image. C’est d’ailleurs ainsi
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qu’atterrissent, malgré elles, des « casseroles » dans nos postes de télévision. On nous dispache ensuite devant trois auditoriums où l’on est prié de changer de chaise à chaque fois qu’une personne pénètre dans la salle des jurés. Je me souviens du froid qui envahit tout mon corps. J’emprunte même le manteau de ma voisine mais je n’arrive pas à me réchauffer. Je répète inlassablement les deux chansons dans ma tête et me concentre pour ne pas m’imprégner de l’angoisse des autres candidats. Je ne m’autorise pas le droit à l’échec. Je suis chanteuse, c’est mon métier, ma raison d’être et je dois être plus forte que le handicap de mon âge. La jeune fille qui est à côté de moi vit un stress insupportable, elle est au bord des larmes. Elle me dit qu’elle n’a jamais pris de cours de chant, mais qu’elle rêve de réussir. Mais de réussir à quoi ? Je m’interroge. Réussir à être connue ou reconnue ? On ne peut pas décemment être reconnu pour un travail que l’on n’a pas fait. C’est le grand débat que j’ai souvent avec les gens qui m’entendent chanter et qui me disent : Comment ça se fait que tu n’aies pas encore réussi ? J’ai beau leur répondre que j’ai vécu de la musique pendant onze ans et que pour moi c’est une réussite, je sais qu’on ne me comprend pas. Réussir, pour la majorité des gens, c’est faire la Une des magazines people. Combien d’exemples d’artistes exceptionnels, sont encore dans l’anonymat ? J’ai un ami, Tony, vous l’entendriez chanter, vous ne comprendriez pas pourquoi il n’est pas encore connu de tous. Il peut tout chanter avec une justesse et une émotion incroyables. Que lui dit son public ? — Pourquoi ne faites-vous pas la « Star-ac » ? Mais parce qu’il veut faire de la musique de qualité ! Il n’a pas envie d’être jugé sur des critères commerciaux pour savoir si oui ou non il est un bon chanteur. Ce genre de programme, pour lequel j’ai fait ce casting, a une qualité pour plusieurs défauts. Le bon point, c’est que ça a encouragé des milliers de jeunes à prendre des cours pour travailler leur voix, la danse et même, de plus en plus, un instrument. Beaucoup d’écoles d’un grand professionnalisme, comme celle de Richard Cross, ancien juré de la Star Academy, ont pu être créées grâce à cet engouement. Donc, au fil des années, le niveau global s’est amélioré.
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Les points négatifs sont, bien sûr, de faire croire que l’on peut devenir chanteur en trois mois sans aucune base, alors que les sélectionnés sont souvent des chanteurs professionnels que l’on rabaisse sur les primes pour leur faire croire qu’ils ont tout à apprendre. Mais surtout, le plus navrant, c’est que ces télés-crochets soient devenus les seules émissions de variétés de la télévision française. Voilà pourquoi j’ai fait ce casting, parce qu’il n’y a pas d’autres façons que je connaisse aujourd’hui qui ne prennent une vie entière pour être reconnu dans son travail artistique. C’est un triste constat dont sont responsables à la fois ceux qui plébiscitent ce genre de programme et les autres, comme moi, qui y participons…
Aussi naturellement qu’à la télévision
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Numéro : 18 789 — Bonjour, regardez bien la caméra et donnez-nous votre nom, prénom, âge et le titre du morceau que vous allez interpréter. Papoum, papoum, papoum (c’est le bruit de mon cœur qui, j’ai l’impression, résonne dans toute la pièce). — Agnès Villani, trente-deux ans et je vais vous chanter « Quand j’serai ko » de Souchon, dans une version un peu arrangée. — C’est quand vous voulez. Padapoum, padapoum… — «Well, petite soeur, I just have to remember, I’ll be down no more the all dancing music song, all day long in my gun, when I will be gone (...) » — Vous avez quoi d’autre à nous présenter ? — « Mustang Sally » de Wilson Pickett. — Allez-y. — « Oh Mustang Sally, I guess you better slow that Mustang down, oh Mustang... » — Non ça ne va pas, quoi d’autre ? Poumpoumpoumpoumpoumpoumpoumpoum — « Paris » de Camille ? « Finies les balades le long du canal, les escaliers, les cartes postales, c’est fini, Paris, c’est décidé je me barre… » — Non ça ne va pas non plus. — « J’ai vu » de Niagara ? — Non. — Nougaro ? — Non. — Ella Fitzgerald ?
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— Non, pas de jazz. Vanessa Paradis peut-être, vous en connaissez ? — Oui, bien sûr, j’adore même, mais je suis alto et je n’ai pas du tout la même tessiture de voix qu’elle. — Essayez quand même. — « Dans l’espoir docile, tes ailes fragiles, je te devine, divine idylle… » — Non, ça ne va pas non plus. Écoutez, prenez vingt minutes et revenez avec au minimum dix morceaux différents. À tout à l’heure. Je n’avais pas imaginé la possibilité d’un tel scénario. Dix chansons ? Dix chansons ! Il me faut absolument une cigarette. Je regarde une issue possible, une fenêtre ouverte ou un coin de terrasse, mais au même moment, un pit-bull déguisé en femme dont j’ai oublié le nom, se jette sur moi et me dit qu’il est interdit de fumer ou de redescendre tant que l’épreuve n’est pas terminée. Je la regarde siroter son café et la supplie de m’en trouver un aussi. Je perds déjà dix minutes pour obtenir gain de cause. Puis elle me dit : — Concentre-toi (tout le monde se tutoie dans ce milieu), trouve les morceaux, c’est la chance de ta vie. Je suis tentée de commenter cette phrase… Le pire, je pense, c’est l’amnésie brutale qui vient de prendre place dans mon cerveau. J’ai derrière moi des années de scènes, à peu près cinq ou six répertoires d’une soixantaine de chansons chacun. Pourtant rien ne me vient à l’esprit. Rien. J’appelle mon patron, dans le job où je suis hôtesse d’accueil, pour qu’il me vienne en aide mais il se retrouve dans le même état que moi. Le pit-bull m’ordonne d’éteindre mon téléphone. J’essaye de me replonger dans mes concerts, de trouver au moins un ou deux titres valables et lorsque j’en trouve un, j’ai complètement oublié les paroles. Je suis à deux doigts de passer devant le vrai jury ! Réfléchis idiote ! Réfléchis ! — Agnès, si vous voulez bien me suivre, c’est à vous. Padaboumpadaboumpadaboumboumboumboum…
A djugée, vendu !
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Après avoir vécu quelques minutes des plus longues de mon existence et en même temps des plus courtes, on m’appelle pour repasser devant le jury. — Alors… Plutôt que de vous proposer des titres, je vais vous proposer des artistes, ça vous va ? — Allez-y. — Amy Winehouse ? — Non, on en a déjà trop. — Peggy Lee ? — Trop de chanteuses de jazz aussi. — Anastasia ? — Oui… Mais non… Qu’avez-vous comme chanteuses françaises ? — Camille vous m’aviez dit non, Barbara ? — Laquelle ? — « Vienne » par exemple ? « Si je t’écris ce soir de Vienne, j’aimerais bien que tu comprennes, que j’ai choisi l’absence, comme dernière chance, notre ciel devenait si lourd… Si je t’écris ce soir de Vienne mon amour il faut que tu viennes, tu vois je m’abandonne, il est si beau l’automne, que je veux le vivre avec toi. C’est beau Vienne, avec toi Vienne. » Grande première, ils me laissent chanter la chanson en entier ! — Voilà ce que vous allez faire Agnès, vous allez vous rendre à la salle n° 3, vous allez chanter devant le jury « Quand j’serai ko » puis « Vienne » et, selon ce qu’ils vous répondront, vous reviendrez nous voir. Ou pas. Un nouveau petit tour sur les chaises musicales et un goût amer qui me monte à la bouche. Un goût de lassitude et de doute. Depuis ce
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matin le bruit circule dans les couloirs que cette année, avec l’arrivée de Philippe Manœuvre, le jury est très rock’n’roll. J’ai donc un peu de mal à comprendre leurs choix sur ces deux chansons. Auraient-ils besoin d’une jeune maman has been pour compléter leur tableau de chasse ? C’est à mon tour de pénétrer dans la salle n° 3. Le jury est ici constitué d’une femme entourée de deux hommes, dont celui qui est situé à sa gauche semble véritablement s’endormir. — Bonjour, j’ai été envoyée par le jury de la salle n° 1 pour que vous me donniez votre avis sur deux morceaux. Ils m’écoutent, avec plus d’attention que les autres, à part celui de gauche qui fait de son mieux pour ne pas ronfler trop fort. À la fin, la jurée me répond simplement : « c’est bon ». Je la regarde sceptique et elle répète : « c’est bon pour moi ». Je les remercie, celui de droite me précise bien, sans un sourire, qu’il ne s’était pas prononcé et je quitte la pièce. Je reviens devant le premier jury et je leur dis : — Elle m’a dit « c’est bon ». — Oui mais laquelle ? — Je n’en sais rien, j’ai chanté les deux et elle m’a dit « c’est bon ». — OK, voilà ce que vous allez faire, vous allez chanter en premier « Vienne » et en second le morceau de Souchon. — Et s’il n’y a pas de deuxième ? — Faites comme je vous dis. — Et au niveau de ma tenue, je dois être habillée de la même façon qu’à ce casting n’est-ce pas ? — Normalement oui, mais vous devriez mettre quelque chose de plus classique pour aller avec votre répertoire. Voilà, rendez-vous demain à sept heures. Plus classique ! Je devrais aussi me tatouer « trente-deux ans » sur mon front… En tout cas, ça y est, j’ai mon sésame pour me présenter devant le vrai jury ! C’est drôle, en écrivant ces derniers mots j’ai l’impression : 1— Que ce n’est pas de moi dont je parle. 2— Que je dois avoir un côté complètement masochiste pour me réjouir ainsi à l’idée d’aller me faire évaluer et juger par des inconnus. Le pit-bull vient me récupérer et me remmène dans la file d’attente où je dois être filmée et chanter au milieu de la file d’attente des candidats
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encore dehors. Je m’octroie un petit plaisir et interprète « Toulouse » de Nougaro avec tout mon cœur. Ensuite, Christelle, une assistante de production de l’émission, vient me chercher pour une interview qui décidera de l’avenir de mon futur accompagnateur. Mon fils.
You’re beautiful , it’s true
12 avril 2008 Il y a des fois où je me questionne, à savoir si je n’ai pas perdu trop de temps à courir après mon rêve, si je n’ai pas négligé l’essentiel. Mon fils vient de s’endormir, je le regarde et je me demande ce qu’il pense de notre vie. Son père est en Angleterre et sa mère préfère courir les castings plutôt que de construire un couple. Lorsque Christelle m’a prise de côté pour l’interview, elle est allée fouiller dans ma vie pour voir si mon histoire était vendeuse ou pas. Elle n’a pas manqué de noter mon statut de mère célibataire, renseignements préalablement notifiés sur ma fiche d’inscription et m’a questionnée sans relâche pour comprendre le genre de rapport que mon fils et moi entretenions. Je lui ai dit qu’il avait choisi ma tenue pour ce casting et m’avait aidé à faire un choix pour mes chansons. Je lui ai aussi appris que c’est lui qui m’avait encouragé à reprendre la musique après deux ans de pause. — Tu sais maman, avant on avait peut-être un peu moins d’argent, mais tu étais plus heureuse… Ta place n’est pas dans un bureau, elle est sur scène. Oui, onze ans et il m’a dit exactement ces mots. Christelle a-t-elle senti le mélo que l’émission pouvait en tirer ou était-elle véritablement touchée ? En tout cas, elle m’a proposé d’emmener mon fils pour la prochaine étape. Tout d’abord, j’ai pris cela pour une chance. Nous allions pouvoir vivre l’aventure ensemble. Puis, je me suis questionnée sur l’impact que cela pourrait avoir dans son l’école si nous venions à être beaucoup filmés. En discutant avec lui de cette proposition, il m’a répondu que ce serait vraiment chouette d’être là pour me soutenir et que ce serait
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une bonne expérience. Alors, dès le lendemain, nous nous sommes de nouveau rendus à l’hôtel Mercure pour une nouvelle journée de stress et d’attente interminable. En milieu de journée, lassé de répondre toujours aux mêmes questions devant les caméras, mon fils a demandé s’il ne pouvait pas chanter quelque chose. Pour ne pas le contrarier, la Prod’ a accepté et il a entamé « You’re beautiful » de James Blunt, accompagné par un guitariste avec qui il venait juste de faire connaissance. Et là, en un instant, le brouhaha de la salle d’attente a disparu pour laisser place à un silence admiratif. Ai-je déjà connu pareille émotion ? À part celle de sa naissance, non, jamais.
L a magie de la victoire, un pur élixir de jeunesse !
13 avril 2008 De voir mon fils chanter ce jour-là, avec autant de fraîcheur et de conviction, je me sens… vieille. Tout autour de moi, des jeunes d’une vingtaine d’années grattent leur guitare avec un naturel insolent, tout en plaquant sur les accords leurs voix divines. Chacun semble avoir un univers très particulier et un look original. J’ai vraiment l’impression d’être une tâche au milieu de ce décor parfait et mon fils s’intègre mieux au paysage que moi. Après une bonne dizaine d’heures d’attente, on appelle enfin mon numéro de badge pour me présenter devant le jury. Une jeune femme, accompagnée par deux cameramen me montre la route jusqu’à un écran où nous sommes attendus, mon fils et moi, par Virginie Effira qui présentera cette année l’émission. Celle-ci mesure la température de notre stress et prend mon fils sous son aile pour me laisser effectuer mon chemin de croix fait, en l’occurrence, de flèches blanches scotchées sur le sol, menant jusqu’aux jurés. « Suivez bien les flèches » me dit-on. Je les fixe, je les fixe. Je n’ai même plus envie de relever la tête. Mes mains sont moites, je perds tout contrôle de mon cœur qui bat de manière arythmique. Je sais que le choix de mes chansons est pitoyable et je suis vieille. Centenaire. Moche. Grosse. Fade. Je n’ai rien à faire ici, je suis une caricature de moi-même. Je fixe les flèches, je fixe les flèches. Soudain, il y a de la lumière partout, des caméras dans tous les sens, je lève ma tête et devant moi, assis derrière leur barreau, je vois Manœuvre, Manoukian, Lio et Sinclair, dubitatifs, qui me demandent comment je m’appelle. Suis-je en train de rêver ? — Alors Agnès, trente-deux ans, qu’allez-vous nous chanter ?
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— Je préfère vous prévenir, ce n’est pas très rock’n roll, c’est un morceau de Barbara : « Vienne ». Moue de Manœuvre, prémices de bâillement de la part de Sinclair, j’entonne ma chanson. On me fait signe d’arrêter au troisième couplet et Manœuvre me demande si je n’ai pas un morceau en anglais. Bien sûr que j’en connais, des centaines ! Mais juste avant de passer l’épreuve, Moïse, la « nounou » des candidats, nous a précisé que si nous n’interprétions pas les deux morceaux imposés, c’était systématiquement disqualifiant… — Oui, je vous ai préparé un petit arrangement sur un morceau de Souchon « Quand j’srai KO » où il a un peu d’anglais. Ils me laissent chanter la moitié de la chanson et devant leur sourire presque unanime, j’ai l’impression que ce deuxième choix les a convaincus. Lio prend la parole : — Agnès, vous avez une très jolie voix et vous êtes aussi une très jolie conteuse des années 20, une chanteuse à l’ancienne, mais pas pour la nouvelle star 2008, désolée. Je suis tétanisée, je lui souris bêtement en encaissant ses gentilles critiques assassines. Manoukian intervient : — Je ne suis pas d’accord, oui peut-être est-elle une conteuse d’histoire mais justement, j’étais suspendu à ses lèvres pour connaître la suite de « Vienne », peux-tu me dire la fin Agnès, s’il te plaît ? — En fait, elle se rend compte qu’elle n’en peut plus, qu’il lui manque et laissant sa dignité de côté, elle le supplie de venir la rejoindre. — Ah ouais, génial ! Manœuvre s’esclaffe : — Elle lui demande qu’il vienne à Vienne. AHAHAH. J’en reste sans voix, je ne sais plus quoi faire, ni quoi dire pour me sauver de cette dubitation collective. Je sais que j’ai d’autres titres à leur proposer, d’autres facettes à leur montrer. Les caméras fixées sur moi se font menaçantes, je crains qu’elles ne captent quelques perles de sueurs ou mon regard apeuré. Je ne peux tout de même pas en rester là ! Je ne peux pas quitter cette salle sans avoir tout tenté pour sauver ma place… Lio reprend avec énergie : — Oui mais bon, on en reste toujours au même point, on fait quoi là ? Émergeant brutalement d’un semi-coma, j’ose une intervention :
— Vous savez, j’ai trente-deux ans, je n’ai plus le temps ni l’âge réglementaire pour repasser ce genre de casting. J’ai chanté dans plusieurs styles de formations, je peux vous chanter du jazz, de la pop, du rock… Mais s’il vous plaît, laissez-moi au moins interpréter un morceau de mon choix, un seul. Manœuvre acquiesce : — OK, allons-y pour un troisième morceau, réfléchissez bien… — Il va falloir que je le trouve ce morceau… Sinclair m’encourage « Tu vas le trouver » comme pour me donner des ailes… Je respire profondément, je pense à mon petit Benjamin qui me regarde derrière son écran, je pense au pari que je me suis lancé de passer cette étape et de tout mon être je leur chante « Mustang Sally » de Wilson Pickett. Là, les visages se dérident, j’obtiens même un large sourire de Lio et Manœuvre me tend fièrement mon passeport pour l’épreuve du théâtre. Yes ! Le message que je voulais transmettre à mon fils est passé. Avec du travail et de la conviction, on peut franchir la plus infranchissable des montagnes. Je ris, je pleure, j’ai vingt ans, je suis belle, j’ai gagné !
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Et le clown continua son cirque
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Aujourd’hui, nous sommes le 2 décembre 2007. J’ai été sélectionnée pour une nouvelle étape et les cent-quarante personnes dans mon cas ont toutes rendez-vous à l’aube au Novotel de la Porte de Clichy. J’arrive dans les premières, fière de ma légendaire ponctualité et Moïse m’accueille avec un grand sourire, tout en me tendant un énorme contrat écrit en lettres minuscules. Il me donne la clef de ma chambre et m’informe que nous aurons une réunion d’information dans deux heures. Je découvre ma chambre au troisième étage. Très lumineuse et impersonnelle. Il y a une bouilloire électrique avec des dosettes de café et de thé posées sur un grand bureau beige. Surtout, il y a deux lits : un deux places et un pliant d’une place. Moïse m’a prévenu que nous serions deux filles dans la chambre. Premier dilemme de la journée. Dois-je d’office m’attribuer le deux places ? Après tout, je suis la première arrivée ! Ou bien dois-je poser mes affaires entre les deux lits et décider du couchage avec ma colocataire ?… Bonne poire, j’opte pour la seconde solution. Il y a des miroirs partout, ce qui me permet de contempler mes rides naissantes sous plusieurs angles. J’hésite à allumer une cigarette, quelques secondes, puis je m’accoude à la fenêtre donnant sur un décor gris et pluvieux et je m’exécute. On m’a souvent fait comprendre que je suis trop « gentille », dans le sens naïf du terme évidemment et à ce moment précis, je me demande s’il y a de la place pour des gens comme moi dans cet univers télévisuel. Il faut être un « killer », non ? Écraser ses rivaux, chanter plus fort que les autres, être plus beau, plus charismatique.
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Car qui voudrait s’identifier à une maman trentenaire pas digne d’être mariée, avec des cheveux blancs et des vergetures au ventre ? J’essaye de me changer les idées en imaginant à quoi pourrait ressembler l’inconnue qui va partager avec moi cette chambre. Je l’imagine blonde, très jolie, jeune (ça va de soi !), avec une voix du style de Zazie. T’as chanté quoi sinon pour le casting ? « J’envoie valser » Ah ouais… original… Deuxième cigarette. Soudain, on frappe à la porte. Et je découvre une diva brune, très, très généreuse en matière de chair et totalement hystérique. En cinq minutes, je connais déjà toute son histoire, son répertoire « musical », elle m’a filé la migraine et piqué le lit deux places en prétextant un problème aux lombaires ! La journée s’annonce mal… Deux heures sont passées lorsque notre rendez-vous pour la réunion d’information arrive enfin. Première rencontre avec le producteur de la « Nouvelle star », ainsi que quelques représentants de maisons de disques. On nous fait asseoir par terre, agglutinés les uns contre les autres et, avec de grands sourires, on nous apprend que les finalistes qui auront accès au prime n’auront pas le droit de rentrer chez eux pendant toute la durée de leurs passages télé et surtout… ne toucheront pas un centime ! J’avoue qu’à ce moment précis, la chanteuse déchante… Suis-je la seule à avoir un métier et des obligations familiales ? Mais non, je ne me laisserai pas abattre ! Je vais me coucher tôt, préserver ma voix, rester concentrée et je réfléchirai demain à tout ça si je passe la première épreuve. Il est vingt-et-une heures lorsque je m’allonge enfin dans le petit lit pliant. Ma voisine n’est pas encore dans la chambre et j’en profite pour m’endormir avant qu’elle ne me fasse part de ses angoisses et autres petits problèmes existentiels. À minuit quinze, je me réveille en sursaut en l’entendant tambouriner à la porte. « J’ai perdu ma clef ! » Je me lève, lui ouvre et de sa grosse voix, comme si nous étions en plein jour, elle m’annonce qu’elle déménage parce qu’elle a rencontré une vieille copine qui passe aussi le casting. Tel un ouragan, elle rassemble ses affaires et disparaît. « Comme ça tu pourras prendre mon lit ! » dit-elle. Impossible de me rendormir, mon réveil est programmé pour cinq heures du matin et je n’arrive pas à fermer l’œil. Je pense à la chanson que j’ai choisi d’interpréter le lendemain : « J’ai vu » de Niagara (on m’a demandé de choisir un morceau de rock français) et je trouve ce choix
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de plus en plus pitoyable. Je me mets à fumer cigarette sur cigarette en exécutant d’improbables chorégraphies devant les miroirs, en pyjama Hello Kitty (acheté spécialement pour l’occasion au cas où ils viendraient nous filmer dans les chambres) et je finis par m’endormir une demi-heure avant que l’alarme de mon réveil ne se déclenche. Tel un automate, je me lève, me douche, me coiffe, me maquille, avale un café et rejoins le bus qui va nous amener au théâtre du Trianon. La fatigue, le stress et le café dans un estomac vide ne semblent pas être le meilleur des mélanges.
C ar à tout effet, il y a une cause.
16 avril 2008 « Ta vie est un film », c’est ce que me disent souvent mes amis. Quelle catégorie de films, je ne suis pas bien sûre. Une comédie dramatique ? Ou plutôt non, un drame comique, c’est plus approprié. Mes parents se sont rencontrés dans un orchestre, à l’époque où les fêtes de villages avaient encore une âme, où nos grands-parents se pavanaient en montrant leurs prouesses sur un paso doble et les adolescents connaissaient leurs premiers émois sur un slow. Sur une photo d’eux que j’ai pu subtiliser, mon père portait un pantalon en pattes d’éph’ blanc avec une chemise rouge ouverte sur son torse nu et ma mère était vêtue d’une mini, mini robe noire et blanche, ainsi que d’une perruque aux longs cheveux noir corbeau. Ils avaient l’air si jeunes et insouciants. Ils ont dû beaucoup s’aimer pour me concevoir. Malheureusement, peu de temps après ma naissance, ma mère a eu un terrible accident, alors qu’elle apportait du matériel que mon père avait oublié, pour l’orchestre dans lequel il travaillait encore. Après avoir reçu des débris de verre du pare-brise dans son visage, elle est restée défigurée pendant des années et elle a perdu l’usage et l’iris d’un œil. Elle a terminé ses études d’éducatrice spécialisée qu’elle suivait en parallèle de l’orchestre, a trouvé un travail dans cette branche, a donné naissance à ma petite sœur Jenny et s’est séparée de mon père juste avant mes six ans. Il a fallu des années avant d’entendre à nouveau la magnifique voix de ma mère et avant qu’elle n’accepte d’entendre parler à nouveau de musique. Mon père est resté un moment dans l’orchestre, mais la vie sans ses filles lui était trop insupportable. Il a alors fait le choix de revenir vers un amour moins passionnel et mieux accepté par la majorité des gens : les chiffres. Comptable, même si dans ses temps libres il continuait à composer. Après le divorce, les chansons qu’il m’écrivait sont devenues
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moins légères et je le suspecte aujourd’hui de s’être un peu servi de ma voix pour parler à ma mère. Je ne saurais lui en vouloir, mon père est l’être humain le plus humain que je connaisse. Il a toujours parlé avec son cœur et lorsque ma mère n’a plus voulu l’écouter, il a parlé avec le mien. Lors de ma nuit blanche avant l’épreuve du théâtre, c’est lui qui a calmé mes doutes et m’a finalement aidé à trouver le sommeil. C’est la troisième fois que je tentais ma chance pour cette émission. Cette année j’étais déterminée : j’allais passer devant ce jury. C’était mon but, même pas plus loin, juste arriver jusqu’à eux, enjamber ce barrage et leur prouver, me prouver que je vaux quelque chose.
Je m’en vais de ce pas coucher mon inspiration qui joue sa capricieuse .
17 avril 2008 Écrire pour écrire, c’est comme sourire pour sourire. Lorsque le cœur est las, mieux vaut le mettre en veille. Je ne manquerai pas de rallumer l’interrupteur dès demain matin, à la seule condition que ce soit pour faire de la lumière… Sur la ligne du départ, on craint parfois de voir trop vite la ligne d’arrivée. 35
Sur la ligne de départ, on craint parfois de voir trop vite la ligne d’arrivée
18 avril 2008
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Dans la ligne des neuf personnes sur la scène du Trianon, dernière épreuve à laquelle j’ai participé pour « La nouvelle star », nous étions deux mères célibataires (Charlène était l’autre) et un futur papa (Kristov, aujourd’hui à Baltard). Je ne connais pas la situation des six autres participants. Mais sur neuf, nous représentions déjà trois histoires émouvantes à exploiter. Comment ça, ce n’est pas émouvant une mère célibataire ? Mais enfin, une pauvre jeune femme, probablement psychologiquement détruite par le départ du papa, deux ou trois petits boulots pour joindre les deux bouts, des dettes débordants de sa boite aux lettres, du sexe purement occasionnel et une boite à chaussures comme logement, tapissée avec des posters de Superman et de Christophe Maë (pour compenser l’image du père absent…). C’est triste une mère célibataire ! Et un futur papa ? Mes yeux retiennent leurs larmes en y pensant… Kristov, musicien, donc pauvre, espérant de cette émission la consécration qui lui permettra de subvenir aux besoins de sa future petite famille. Sa femme, prête à perdre les eaux d’une seconde à l’autre (prions que ce soit en plein prime !), tenant son ventre imposant devant l’écran, en admirant son mari qui tente de prouver son talent devant des jurys impitoyables qui ne jugent, bien sûr, que les capacités vocales de ce dernier. Quelle tension sur cette ligne ! Quel enjeu ! Que de caméras pour vous en convaincre ! Les marionnettes vont-elles perdre leurs moyens ? Oublier leurs paroles ? Ou mieux, éclater en sanglots ? Tout d’abord, il faut affaiblir les candidats par des heures d’attente et leur imposer de dormir à l’hôtel la veille de l’épreuve, afin de leur assurer
La vie en doses
une jolie nuit blanche. Après, il faut les interviewer tous les quarts d’heure pour déstabiliser leur concentration et fatiguer leurs cordes vocales. Et surtout, bien mettre en scène les perdants pour que chacun se souvienne à chaque instant de l’échec planant au-dessus de leur tête. Je vous assure qu’avec tous ces éléments réunis, vous arriverez à effacer la moindre trace de confiance chez la plus forte des personnalités. Je me rappelle, l’année passée, alors que j’étais spectatrice de cette émission, je trouvais lamentable le manque d’endurance psychologique des candidats. « On dirait qu’ils jouent leur vie, c’est ridicule !». Maintenant, pour faire un parallèle, imaginez que vous désiriez vraiment une place dans une entreprise. Vous devez en premier lieu passer un entretien, être éloquent, réactif, dynamique. Vous devez ensuite attendre la réponse du patron. Vous commencez à refaire l’entretien dans votre tête : « Ai-je été assez convaincant ? Ai-je fait bonne impression ? Son rictus est-il un bon ou mauvais signe ?». Maintenant, rajoutez des caméras qui retransmettent cet entretien devant deux millions de personnes et revivez-le deux mois plus tard en différé à la télévision. Dans cette ligne de neuf personnes en train de jouer leur place sous les projecteurs, quand on appelle mon numéro, je m’avance sur le devant de la scène, en lévitation au-dessus de mon corps. Est-ce que j’ai bien chanté ? Je n’en ai aucune idée. Ce qui est certain c’est que, tout au fond de mon ventre, de mes tripes, de ma tête, j’ai compris que c’en était terminé pour moi. Je ne me suis pas trompée.
Petite parenthèse du quotidien
19 avril 2008
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L’autre jour, sur un site où l’on peut écouter certaines de mes reprises ou compositions, j’ai reçu la visite d’une jeune fille de treize ans qui m’a confié, par le biais d’un email, qu’elle m’avait suivie pendant l’émission et qu’elle doutait que des gens comme moi daigneraient lui répondre, tellement je devais être submergée par les commentaires des fans. J’ai trouvé cette remarque tellement décalée avec ma réalité que je me suis sentie dans l’obligation de répondre : « Bonjour X et merci pour ton très gentil message. Tu sais, je suis bien loin d’être une star et j’ai plus que le temps de répondre à mes emails ! Bonne journée ! » Voici ce qu’elle m’a répondu : « Comment ça ? Tu veux dire par là que tu n’as pas eu de propositions ? Que tu es retournée au quotidien ? Retrouver son boulot, rentrer à la maison et se mettre devant la télé, faire le ménage et la vaisselle ? Non ? Je n’y crois pas ! Moi je ne dirais pas ça tu vois, je ne suis pas producteur mais alors moi je dis que tu as quelque chose même si ton répertoire est un peu, tu sais, dans les vieilles années… Après tout, les vieilles années ça revient. Personnellement, je suis plus dans le métal, rock, pop rock, mais ça ne m’empêche pas d’écouter ce que tu fais et je te soutiens. D’autant plus que je ne m’attendais pas à recevoir une réponse et je trouve ça vraiment très gentil de ta part. Je n’en reviens pas moi-même. Je vais aller faire un petit tour sur le blog musical de ton fils et rien ne change, je pense ce que je dis, ce p’tit bout, il a de la chance. On voit à quel point la mère et le fils sont si proches. Encore une fois bravo et surtout ne baisse pas les bras… En espérant garder contact avec toi. » J’ai trouvé ça si touchant et à la fois si triste que les jeunes de notre époque (oui parce que moi j’appartiens aux « vieilles années »…) soient
La vie en doses
encore aveuglés par la poudre que la télé leur lance aux yeux. Je précise que je ne me moque absolument pas de ce message, au contraire, j’adorerais pouvoir emmener X avec moi, pour lui montrer l’envers du décor des plateaux que je m’efforce de vous décrire au mieux chaque jour. Aujourd’hui, je vais commencer la journée par une visite de mon appartement, parce que malgré ma gloire éblouissante, mon colocataire a décidé de partir. Pourquoi ? Parce que je risque de perdre ce 50 min 2 s à quelques pas de la Place de Clichy, dès le mois prochain. À cause d’une ancienne colocataire qui n’a toujours pas réglé les 3000 euros de dettes qu’elle a laissé en partant, je suis assignée au tribunal. Malheureusement pour moi, ayant signé un bail de caution solidaire avec elle, je suis redevable de sa dette. L’avocat du propriétaire a demandé l’expulsion. Pour ce qui est de mon ancien travail d’hôtesse d’accueil dans lequel j’exerçais du temps de l’émission, mon contrat s’est achevé le 3 mars dernier. Je n’ai toujours pas touché un centime des Assedic. Suis-je triste ? Non, habituée à jongler avec mes petits revenus pour essayer d’offrir une vie décente à mon fils. Je voulais juste vous faire part de l’énorme décalage qu’il y a entre cette adolescente vivant chez ses parents en Normandie et cette chanteuse sans succès probant qui se bat pour conserver ses 50 min 2 s d’espace vital dans la capitale. Pourquoi ? Parce qu’un jour ça marchera et malgré ce que me sermonnent mes parents ou les assistantes sociales, je n’arrive pas à me résigner. Vivre de son art en dilettante, c’est comme mourir à petit feu. Quoi qu’il m’en coûte, mon fils aura toujours un toit au-dessus de sa tête et moi je chanterai. Promis, demain j’essaierai de vous faire rire.
Entrée d’artistes
18 avril 2008
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Lorsque je suis arrivée à Paris en septembre 2004, j’ai participé, au mois de décembre, à un casting pour France2 : l’émission animée par Pascal Sevran « Entrée d’artistes ». Premier casting de ma vie et c’est mon père qui avait pris soin de m’y inscrire sans m’en parler. C’est en recevant une convocation dans ma boite aux lettres que j’ai pris connaissance de ma présélection. Rendez-vous à la Plaine St Denis, un frileux matin d’hiver. À mon arrivée, des centaines de jeunes super lookés ont déjà pris possession de l’endroit et je me sens plus provinciale que jamais. J’écoute les uns et les autres partager leurs diverses expériences lors de précédents castings. — Ouais moi j’suis allé jusqu’au théâtre à la « Nouvelle star », puis ils m’ont pas pris ces cons. Toute façon j’m’en fous, elle pue leur émission. — Moi j’faisais partie des soixante derniers dans « Pop star », ils ont préféré prendre l’autre naze, trop les boules. Et toi t’as fait quoi sinon ? S’intéresse enfin l’un d’eux… — Pour moi c’est mon premier casting, autrement je chante dans un quintette de jazz où on reprend le répertoire de Claude Nougaro, je vais d’ailleurs présenter « Le cinéma » aujourd’hui. — Pas mal Nougaro, c’est bien vieux, ça va plaire à Sevran. AhAhAh ! — Oui, enfin, pas si vieux que ça en même temps, il vient juste de décéder… Le casting a lieu sur le plateau où est habituellement tournée l’émission. Lorsque c’est notre tour de nous présenter devant le jury, des membres du staff nous demandent de prendre place, par groupe de cinquante, sur les gradins destinés au public. Pascal est assis, derrière un bureau, sur le plateau, avec trois autres personnes : Didier Ouvrad un assistant, Gérard
La vie en doses
Marchadier, dit « Tintin », producteur de l’émission ainsi que la sœur de Pascal, Jacqueline. C’est la première fois de ma vie que je rentre dans un studio d’enregistrement. Je suis éblouie par les lumières et toute émoustillée par les caméras. Je suis environ la trentième à passer dans ce groupe et beaucoup avant moi se font descendre. Surtout les filles… Lorsque c’est à mon tour, on me demande de regarder fixement la caméra devant moi et un ingénieur du son lance mon play-back musical. J’ai la sensation de sortir de mon corps et de ne plus maîtriser du tout ma voix. « Sur l’écran noir de mes nuits blanches Moi je me fais du cinéma, sans pognon et sans caméra, Bardot peut partir en vacances Car ma vedette, c’est toujours toi. » Pascal se lève, se dirige vers moi et d’un signe de la main, me demande de continuer à fixer la caméra. Il se positionne derrière moi, saisit mes cheveux et les relève en imitant une queue de cheval. Il me murmure dans l’oreille « continue, c’est magnifique ». Deuxième état de lévitation. Tout disparaît autour de moi, il n’y a plus que lui, Nougaro et la caméra. La chanson se termine et je reçois une ovation des autres candidats et du jury. Il me demande si je connais d’autres chansons de l’artiste. Je lui réponds que oui, presque toutes, et ses musiciens entament « Tu verras ». Pascal revient à sa place, scrute son moniteur et prend un air très grave. À la fin de la chanson il me dit : — Vous avez quoi ? Trente ans ?… Comment expliquez-vous que vous ne soyez pas encore connue ? Ce commentaire me touche évidemment et je lui réponds que j’ai déjà eu des propositions qui ne me convenaient pas et que plutôt que de faire n’importe quoi, j’ai préféré ne rien faire du tout. Il me remercie et me demande de reprendre ma place. Il y a un grand et lourd silence dans le studio et quelques minutes passent avant qu’il n’appelle un autre candidat. Le reste de la journée est interminable et ce n’est que vers vingt heures qu’on nous annonce enfin les résultats. Pascal choisit un certain nombre de personnes qu’il fait mettre en ligne et leur demande de chanter à nouveau quelques mesures de leur morceau. Il passe devant moi et dit « Vous, ce n’est pas la peine ».
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Agnès Villani
Là, je ne sais pas du tout comment prendre cette phrase « Vous, ce n’est pas la peine » et devant mes yeux troublés, il revient sur ces pas et me dit : « On enregistre demain à onze heure, ne soyez pas en retard, j’ai horreur de ça. » Je vais passer à la télévision ! Je vais passer à la télévision ! Catastrophe ! Je n’ai absolument rien à me mettre…
De l’ombre à la lumière
20 avril 2008 Si je parle de mes expériences musicales avec autant d’acidité c’est parce que dans ce milieu, particulièrement, le mauvais côté de l’homme ressort beaucoup plus vite que dans d’autres domaines. Dans la compétition, l’envie de réussir est parfois plus forte que la raison et elle sait réveiller le côté d’ombre qui sommeille en chacun de nous. Cette ombre ne peut pas supporter la concurrence et elle est prête à tout pour mener son propriétaire au sommet de la gloire. De l’ombre à la lumière. Ce qu’il ne faut pourtant pas oublier, c’est que la lumière vers laquelle cette ombre nous mène est purement artificielle et en aucun cas spirituelle. Elle finira par avoir raison de nous, comme un papillon attiré par un abat-jour qui, aveuglé par le néon, n’est plus conscient du danger qui l’entoure. C’est pourquoi je sens le besoin de prévenir tous les jeunes papillons de toujours se méfier de ce qui brille. Faire de la musique, c’est un bonheur au quotidien, un compagnon de route qui vous permet de supporter l’insupportable. Mais si l’on se sert d’elle dans le seul but de sortir de l’anonymat, on risque de tout perdre : sa passion, pour commencer, à force de faire trop de compromis, de participer à des spectacles auxquels on ne croit et puis sa dignité. La musique est un plaisir, une urgence, un besoin et il ne faut laisser aucun jugement extérieur nous faire oublier pourquoi on la pratique. Lorsque j’ai fait cette première télé avec Pascal Sevran et après avoir interprété « Le cinéma » de Claude Nougaro, Pascal m’a fait sortir du plateau, m’a serré dans ses bras et tout en pleurant, il m’a répété une dizaine de fois « Vous êtes magnifique, vous êtes magnifique ». Malgré tout ce que l’on peut dire de lui, c’est la première fois que j’ai vu une émotion sincère dans les yeux de quelqu’un. Il n’y avait pas de caméras autour de nous. Il n’y avait que nous deux, en larmes, perdus dans l’envers
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Agnès Villani
du décor. Ce moment de grâce, suspendu dans le temps, restera toujours gravé dans ma mémoire. J’ai fait pleurer l’homme que l’on dit sans cœur et misogyne, pourtant je peux vous assurer que ses larmes avaient plus de sincérité que beaucoup de sourires que j’ai pu croiser sur ma route.
Les feux brûlants de la rampe
21 avril 2008 Après cette première télévision, Pascal a élu ses trois favoris qu’il a mis en avant pour les photographes et qu’il a emmené partout où il pouvait. Il s’agissait d’Éric, aujourd’hui dans le spectacle « Fame », Mathieu, dans le big hit « Le roi lion » et moi… devant mon ordinateur ! Nous avons ainsi participé à une émission en son honneur sur Paris Première, fait une heure et demi de direct sur Direct 8 et assisté à l’enregistrement de « Vivement dimanche » avec Drucker, ainsi que Taratata avec Naguy. Nous avons aussi été invités à différentes manifestations, telles les victoires de la musique ou encore une réception en l’honneur des finalistes d’entrée d’artistes, organisée à la mairie de Paris par le Monsieur Delanoë lui-même. Fraîchement débarquée de Toulouse, je vous avoue que ça fait très étrange… Puis un jour, Pascal m’a fait cette confidence : — Le problème avec toi, Agnès, c’est que tu peux tout bien chanter mais je n’ai pas encore trouvé dans quoi tu es exceptionnelle… Cette remarque m’a poursuivie très longtemps et a été la cause d’une énorme remise en question personnelle pour essayer de comprendre vraiment quel chemin j’avais envie de prendre dans la musique. Je cherche encore.
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