Le voile magique

Page 1

Alexia Segret

Le voile magique





Le voile magique



Alexia Segret

Le voile magique



Je remercie toutes les personnes qui m’ont soutenues, lues et relues, afin que cet ouvrage voit le jour.



L’arrivée de Florian

Le soleil est à son apogée, lorsqu’une silhouette furtive se faufile derrière la maison de madame Papillonne. On entend grincer sa porte, puis, de nouveau le silence. Dès la nuit tombée, une ombre surprenante repart aussi discrètement. Il y avait bien longtemps que personne n’était venu rendre visite à Rose. On ne lui connaissait pas de famille. Il faut dire qu’elle était bizarre. Elle ne sortait pas souvent, seulement pour faire ses courses. Elle avait de longs cheveux blancs, avec des mèches bleuciels qui semblaient naturelles, entourées par un ruban bleu. On ne lui donnait pas d’âge. Sa peau blanche, sans rides, faisait ressortir son regard gris, très doux. Sa voix fluide et mélodieuse était troublante. Elle portait sur son dos une énorme bosse, comme une carapace de tortue qui ne paraissait pas la gêner dans tous ses mouvements. Sa déformation était dissimulée sous une robe jaune paille et un voile

11


Alexia Segret

12

transparent qui lui recouvrait tout son corps. Autour de son cou pendait une drôle de chaîne en or gris tressée, terminée par un gros médaillon en forme de cercle, entouré de lilas, où trônait un papillon blanc recouvert de rayures bleu turquoise. Sur leurs ailes brillait un rubis. Elle habitait la maison blanche aux volets bleus, couverte d’ardoises, la plus éloignée du village « des belles couleurs », à proximité des montagnes, et la plus fleurie. Son jardin était composé de plantes multiples de teintes et de formes différentes. Dès la fleuraison, elles s’épanouissaient en arc-enciel et auréolaient la maison. Rose possédait aussi un petit verger, composé d’un vieux chêne entouré d’une dizaine d’arbres fruitiers qu’elle taillait à l’automne. Puis, bordé par la rivière, un champ de fleurs sauvages. Rose utilisait ces plantes pour la préparation de ses potions. Elle en connaissait toutes leurs vertus et utilisait tous ces végétaux pour confectionner des antidotes, des contrepoisons, tisanes pour soigner certaines souffrances. Aussi, dans le village, on l’appelait la sorcière. Accolée à sa maison, on apercevait son échoppe. La devanture était vert clair, décorée de fleurs. À l’entrée, un carillon sonnait dès qu’une personne franchissait le seuil. Les villageois achetaient ses compositions pour une allergie qu’ils n’arrivaient


Le voile magique

pas à soulager, pour maigrir, pour manger, etc. Elle possédait aussi un don extraordinaire. On venait la consulter de loin. Rose recevait alors, ses malades, dans son arrière-boutique, sombre, éclairée par une toute petite ouverture. Elle pratiquait la science de l’apposition des mains, pour soulager certaines douleurs. Les patients s’installaient sur une table matelassée, disposée au centre de la pièce. Aujourd’hui, Rose partage sa vie avec un enfant. Les villageois curieux viennent chacun leur tour observer ce jeune arrivant, prétextent une douleur, une courbature, des démangeaisons, etc. Rose n’a jamais vendu autant de produits. Le magasin ne désemplit pas. Les villageois regardent l’enfant qui joue tranquillement dans un coin du magasin et repartent, sans oser poser de questions. S’approche en tracteur, Lucien Parcelle, un jeune agriculteur, brun, aux yeux noirs. Ses prés bordent le terrain de Papillonne. Rose a mis au monde Antoine, son fils. Il y a deux ans, Marguerite, sa femme brune, aux grands yeux noisette, entourés de cils noirs larmoyants, lui a demandé d’aller chercher Rose, leur plus proche voisine, en urgence. Marguerite n’avait pas eu le temps de partir à l’hôpital. Le médecin, en déplacement, ne pouvait se rendre à son chevet.

13


Alexia Segret

14

Rose a soulagé Marguerite et lui a permis de mettre au monde, le petit Antoine. Depuis, ils sont devenus amis. C’est un brave homme. Il s’arrête souvent pour parler de culture, de jardin, d’eau, etc.… Et il leur arrive de passer des soirées d’hiver ensemble. Rose sait qu’elle peut compter sur eux. - Bonjour Rose ! Comment allez-vous ? - Bonjour Lucien ! Ça va et vous ? Vous avez besoin de quelque chose ? Un problème de santé vous chagrine ? L’eau de source n’est pas bonne ? Marguerite… - Non pas du tout, rien de tout ça. J’euh… enfin voilà euh, ma femme et moi-même, nous avons cru apercevoir votre petit-fils, Florian, hier matin, lorsque nous clôturions. Alors euh… - Vous voulez savoir, s’il s’est bien adapté ? - Oui et… - Oui, tenez, le voilà ! Il a deux ans, dit fièrement Rose, en se tournant vers son petit qui, attiré par le bruit du tracteur, montre son nez. Florian est tout son portrait. Mais, ses mèches bleues paraissent un peu plus foncées que celles de sa grand-mère, quelle ressemblance ! Mais sans sa bosse. C’est un charmant bambin avec des yeux rieurs.


Le voile magique

- Quand il sera plus grand, il pourra jouer avec Antoine. Oh ! J’oubliais les bonbons à l’abricot, confectionnés par ma femme. - Merci, et bien le bonjour à Marguerite. - Je n’y manquerai pas. Le maire est passé ? C’est l’instituteur du village. - Oui ! Ainsi que tous les habitants du canton. Il éclate de rire, d’un air entendu. Puis pris congé. Rose n’avait jamais eu autant de visites, en si peu de temps. Elle avait dû expliquer au maire qu’elle avait adopté Florian après la mort tragique de ses parents. Son fils et sa belle-fille avaient eu un accident de la route et elle était son seul parent. Elle devait impérativement faire taire les mauvaises langues, afin, de ne pas attirer l’attention. Elle l’avait inscrit à l’école pour la rentrée de septembre.



L a découverte de l’engrais

Les années passèrent. Antoine et Florian deviennent les meilleurs amis du monde. Ils sont inséparables. Ils vont ensemble chaque matin à l’école du village où ils sont de bons élèves, avec la soif d’apprendre. Le mercredi, ils se rendent au Dojo de la ville « Fontaine » à 10 kilomètres de là, où ils pratiquent le JUDO. Tous les soirs ils apprennent leurs leçons chez Antoine, sous la surveillance de Marguerite. Le week-end et pendant les vacances, Rose leur enseigne l’importance de la flore et de la faune, ainsi que leurs bienfaits. - Dis Mamie, on pourra aller à la piscine pendant ces vacances ? Tu sais, le centre de loisirs organise cette sortie, tous les lundis matins, à partir du 3 juillet. Et Antoine et moi-même, on aimerait apprendre à nager. Tu comprends, les copains ils savent eux et pas nous.

17


Alexia Segret

18

- Bon, j’en parlerai ce soir à tes parents, Antoine et je vous inscrirai tous les deux. - Youpi ! Youpi ! crient les enfants tout en tournant autour de la table. - Arrêtez de courir dans tous les sens, je ne vais pas pouvoir finir de préparer le coupe-faim à base de pépins de pommes. - Mamie Rose, quand nous montreras-tu comment on confectionne tes mixtures ? demande Florian qui souhaiterait mettre en pratique, avec son ami, toutes les connaissances qu’ils retiennent avec attention. - Vous savez, il ne faut pas se tromper dans les ingrédients, ni dans leur quantité, ni l’ordre de la recette. Si vous voulez, vous pouvez aller me ramasser des jeunes orties dans le champ, vous les ferez fermenter dans le bac fermé au fond du jardin avec de l’eau. Et faites attention aux serpents. - À quoi cela va servir ? interroge Antoine attentif à tous les mouvements et paroles de Rose. - J’utiliserai le mélange comme engrais, et comme anti-pucerons, répond Rose tout en écrasant différents nutriments. - Qu’est-ce que c’est un engrais ? questionne Florian qui s’approche de sa mamie afin de mieux comprendre. Rose se retourne vers lui et explique :


Le voile magique

- C’est ce qui permet aux plantes d’être plus fortes, résistantes, plus jolies. - Mon papa en utilise pour que la terre soit plus riche en sels minéraux et donc il peut avoir une plus grande quantité de céréales. Mais, c’est quoi un puceron ? pose Antoine assis, observant le moindre geste de Rose. - Un insecte qui mange les feuilles de toute la végétation, répond Rose d’un air amusé devant les regards pétillants de ses petits. Elle met sa composition à cuire sur une vieille cuisinière et annonce : - Les enfants, je vais vous préparer un bon gâteau aux fraises. N’oubliez pas de mettre des gants. C’est une herbe qui pique. - Oui ! On y va ! Répondent les enfants en se levant d’un bond. Ils sont contents de rendre service à Rose. - À tout à l’heure ! crie Mamie par la fenêtre. Les deux compères se dirigent vers la cave, prennent la brouette et une paire de gants chacun. Après les avoir enfilés, ils partent au champ et se mettent à l’ouvrage. Ils remplissent rapidement la brouette d’orties et se rendent dans le jardin. Florian se met à penser : - Tu sais Loulou, la chienne de madame Portie, tu ne trouves pas qu’elle est petite ? constate Florian.

19


Alexia Segret

20

- Si, on devrait lui donner de l’engrais, suggère Antoine - Oui, tu as raison, affirme Florian. Antoine ouvre le couvercle du bac et recule aussi sec. Ah ! Quelle odeur ! Florian éclate de rire, il est amusé par la grimace d’Antoine. -Vite ! Mettons notre chargement. Et ils ferment rapidement le bac, courent à la rivière avec le seau que Florian a récupéré. Ils le remplissent d’eau. Ensuite ils reviennent vider son contenu dans la cuve aux orties, sans omettre de pincer leur nez, pour ne pas sentir le contenu. - Regarde, Mamie Rose a mis un robinet. - Tiens voici une bouteille ! Observe Antoine en la saisissant. Après avoir rempli le récipient, ils se précipitent chez madame Portie. Son domicile se trouve de l’autre côté du village, juste après le pont, près de la rivière. Ils traversent le village, la place, ainsi que la passerelle en bois. Madame Portie n’est pas là, quelle chance ! Elle tient l’épicerie qui se situe en face de la fontaine aux petits anges, entre la boulangerie et le boucher. Il est vrai qu’il ne faut pas la prendre avec des pincettes. Elle est très lunatique, des fois


Le voile magique

charmante, à d’autres moments, agressive. Loulou, le Basset, dort tranquillement sous le porche. - Loulou ! Tu viens ! On t’a apporté à boire, viens le chien ! Cela va te faire grandir ! appellent les petits. Loulou s’approche, attirée par les deux enfants, elle saute, elle les lèche, elle aboie. Elle est heureuse, enfin, un peu de compagnie ! Ils la caressent, enchantés d’un tel accueil. Antoine lui donne un biscuit qu’il a dans sa poche. Pendant ce temps, Florian verse la mixture dans la gamelle de l’animal. Le chien boit la substance. Après deux lapées, Loulou se met à trembler et à gémir. Les garçons ont peur. Florian à genou, prend Loulou dans ses bras tendrement, regarde inquiet son ami. Celui-ci comprend l’urgence, lui crie : - Je reviens ! Et se précipite chez Rose. Il traverse la rivière, il s’entrave, tombe, se relève, se remet à courir, passe par le petit bois et coupe à travers près sans s’arrêter. Il ne pense qu’à Loulou et Florian. Cela lui donne des ailes. Enfin, la maison apparaît devant lui, sur la butte. Fatigué, à bout de souffle, il réunit toute l’énergie qui lui reste pour appeler : - Rose ! Rose ! Crie le petit, tout en sueur. Il a pris un raccourci par derrière. Inquiète par le son de sa voix, Rose accourt auprès de l’enfant. - Qu’y a-t-il Antoine ?

21


Alexia Segret

22

Antoine reprend sa respiration, il est sans voix, tout écorché. Une minute s’écoule avant qu’il puisse se ressaisir. Rose le prend dans ses bras. Antoine pleure. Rose le dirige vers la maison, l’installe sur une chaise et commence à soigner ses blessures avec une crème de sa confection. - Où est Florian ? Que t’est-il arrivé ? interroge calmement Rose pourtant inquiète. - Chez… Madame Portie, finit par répondre Antoine entre deux sanglots. Voyons, calme-toi, et explique-moi, demande-telle d’une voix douce. - On a donné de l’engrais à Loulou, pour qu’elle grandisse. Mais cela l’a rendue malade. Florian essaie de la calmer. Je me suis dépêché de venir te chercher, dit-il, avec une respiration encore entrecoupée. - Ne t’inquiète pas, j’ai ce qu’il faut. Après avoir fini de traiter toutes les petites plaies du garçon, elle se dirige vers le placard aux potions, du fond de la pièce. C’est une grande armoire en chêne qui touche le plafond. Elle attrape un petit récipient tout en haut. Antoine n’en revient pas, il en est béat. Comment arrive-t-elle à le saisir, on dirait qu’elle vole, c’est incroyable ! Elle se pose puis suggère, sans faire attention, à l’air surpris du jeune garçon :


Le voile magique

- Je pense qu’elle nous fait une allergie. Rose et Antoine sortent de la maison, puis se dirigent au centre du bourg, passent devant les magasins et traversent le pont, sans rencontrer personne, pour rejoindre Florian. Florian est soulagé. Mamie Rose et Antoine sont enfin là. - Comment va-t-elle ? interroge Mamie Rose tendrement, devant le visage sans expression, de son petit-fils, tant il est terrifié, des conséquences, de sa bêtise. - Elle tremble, elle enfle. Je l’ai couverte avec mon gilet, dit en pleurant Florian. Je ne sais plus quoi faire. Mamie se baisse, embrasse Florian et lui prend délicatement la chienne, lui met le remède dans la gueule, tout en lui frottant doucement le ventre tout en lui parlant. Quelques minutes s’écoulent, elles sont interminables. Puis Loulou se redresse, court dans le parc. Les enfants sont heureux, ils essuient d’un revers de manche, les dernières gouttes qui perlent encore, sur leur joue. - La prochaine fois que vous avez une idée de ce genre, pensez à m’en parler d’abord, suggère Mamie Rose affectueusement, tout en vidant la mixture de la gamelle. Nous sommes tous différents. Loulou est

23


Alexia Segret

24

un basset, elle est petite et ne grandira pas d’avantage. C’est alors, que Madame Portie arrive. De petite taille et rondelette, ses cheveux sont frisés, courts et rouquins. Sa voix est stridente. Elle les a vus marcher, à vive allure, en direction de chez elle. Elle se demande ce qu’il se passe. - Que faites-vous là ? Dans ma cour ! Je ne pense pas vous avoir dit de venir ? - Madame ! affirme Rose d’une voix calme, nous nous excusons d’avoir fait irruption chez vous. Mais, Antoine et Florian ont trouvé Loulou en train de trembler. Alors, ils sont venus me chercher, afin de soulager cette pauvre bête. - Mais, elle va bien ma chienne ! - Oui, maintenant. Il y a eu plus de peur que de mal, les enfants ont cru bien faire, ils se sont inquiétés, pour rien. Nous prenons donc congé. Et nous nous excusons, pour le dérangement. - Au revoir. Tout le monde part, sans demander son reste, devant le visage déconcerté de madame Portie. - Et si nous allions manger ce gâteau à la fraise ? Qu’en pensez-vous ?


Le voile magique

- Oh oui ! s’écrient les jeunes, à l’unisson, après une telle émotion vient le réconfort. Antoine en oublie la vision de Rose devant le placard.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.