Le cordon

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Chantal Blanc

Le cordon suivi de

La valse et petits mots...





« Le cordon » suivi de

« La valse » & petits mots



Chantal Blanc

« Le cordon » suivi de

« La valse » & petits mots



Le cordon et la main Il y a plus de cinq ans que je suis né, que je ne vis pas. Je me réfugie dans la mémoire de mon ancienne maison. C’est loin, cinq ans ! C’était le bonheur, j’étais bien dans mon nid, à l’abri du regard des autres, je ne connaissais pas la vue. Je n’ai pas oublié. J’entendais des bruits, de la musique, des tohu-bohu heureusement assourdis. J’écoutais surtout la voix de ma mère, ronron tranquille, paroles atones ou énervées. Quand elle me parlait, j’étais aux anges, sa voix se faisait caressante, doux miel ou plume légère, elle exprimait

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son amour, sa hâte de me voir, j’étais son bébé inconnu, son mystère, son inquiétude déjà. J’entendais d’autres voix… celle de mon père, grave, agréable pour s’adresser à ma mère ou à son ventre, et tonitruante si mon grand frère était vilain, cela me faisait peur. Après ma naissance, je l’ai reconnu mon frère, mais je ne l’ai pas bien regardé. Je ne connaissais pas la faim, pas le temps d’être en manque, j’étais nourrie par le cordon ombilical. Lorsque ma mère mangeait, son sang offrait de quoi rassasier mon petit corps. Mais, on a coupé ce cordon et depuis c’est compliqué de me nourrir, je n’aime pas tout, c’est ce qu’on appelle le goût. J’ai surtout horreur de goûter une nouvelle recette. Je ne me souviens pas de l’odeur de ce cocon. Pour moi, c’était inodore : je ne respirais pas. Maintenant, je sens différemment selon les moments de la journée, et je retiens certains parfums plutôt que d’autres. J’aime l’odeur de ma mère, je supporte celle de mon père, mais je préfère respirer mon oreiller ou mon lapin tout doux.


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Ce que je regrette le plus, c’est mon eau, ma mer, mon espace aux limites veloutées, je pouvais bouger, gigoter sans me faire mal, sans jamais tomber, même si j’étais un peu à l’étroit en dernier. Il n’y avait ni froid, ni chaud, ni dur. Les vêtements qui grattent étaient inutiles. Ce que je ne comprends pas, c’est que je ne me sentais pas mouillé dans tout ce liquide, maintenant l’eau du bain me trempe, inonde ma peau, et puis quelquefois, elle fait mal ou me refroidit ! Je n’aime pas la douche, et la pluie qui tombe du ciel mouille partout, même les chaussures ! Maman dit que les gouttes sont taquines… moi, je ne comprends pas. Avant, ma mère faisait partie de moi, ou j’étais dedans plutôt, c’est pour cela que je ne la sentais pas, mais elle s’est échappée. J’étais dans ma mère, je la touchais tout le temps, elle est toujours là, très proche, moi j’ai l’impression d’en être loin. J’étais si bien, pourquoi m’a-t-on fait sortir, « naître » comme ils disent ?

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Ma bulle tiède s’est crevée, mon calme s’est envolé : de fortes vagues m’ont poussé, petit à petit, de plus en plus fort ; ensuite, je me suis retrouvé pressé, coincé dans un tunnel, et enfin, chassé. Alors, de grandes pinces froides ont tiré ma tête jusque dehors : une explosion m’attendait, une lumière aveuglante, un air froid, des mains qui se voulaient douces, mais des mains qui appuyaient sur mon corps, puis j’ai subi la coupure du cordon et j’ai détesté ce moment. J’ai senti qu’il fallait chercher, aspirer l’air, effort inouï ! Cet air entrant a gonflé mes poumons en défroissant le moindre petit recoin, alors j’ai hurlé, j’ai crié à la vie pendant que ma poitrine se vidait puis se remplissait… aujourd’hui je n’y fais même plus attention. Pourquoi m’a-t-on séparé de ma mère ? Ce coup de ciseaux a rompu mon lien de vie au moment où il a été donné. Ils disent que je suis né à cet instant précis, à sept heures et trente cinq minutes. Moi, je dis non, la preuve, c’est que chaque matin, je me rendors à cette heurelà. Je le sais car j’entends sonner la demie de sept heures grâce à l’horloge de pépé, puis je ne me


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souviens plus de rien jusqu’à ce que maman me réveille après huit heures. Mon frère est déjà parti pour l’école et mon père au travail… et je n’ai pas entendu la porte se refermer ni s’ouvrir d’ailleurs ! Le monde ne m’intéresse pas, le bruit non plus, sauf le chant du rossignol dans notre chêne, le clapotis des vagues sur mon disque et surtout le piano : j’aime faire courir et sauter mes doigts sur les touches blanches, sur les noires aussi. J’ai des airs dans ma tête et en faisant attention, je peux les faire chanter en jouant du piano. Mon père dit que j’ai de l’oreille, je dis non parce que ce n’est pas l’oreille qui joue ! Je parle, je dis les mots que je veux, et ils attendent toujours les réponses que je tais. Je marche aussi, je tape des pieds, des mains. Je sens des choses qui résonnent dans mon corps. Je connais toutes les couleurs de mes Lego, j’adore le rouge, mais ma mère y mêle exprès d’autres teintes pour m’habituer, je m’en moque car un petit bout de noir ou de bleu et mon rouge se voit encore davantage ! J’ai deux mille trois cent cinquante pièces, je peux compter encore plus loin, ce qui surprend mon entou-

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rage, je récite l’alphabet à l’endroit et à l’envers… bientôt, je saurai lire. J’adore compter, répéter, j’aime dire les chiffres et les lettres du jeu de la télé, mais je refuse de dire bonjour, au revoir etc. Un jour, maman a fait mine de donner à manger à mon lapin, puis elle m’a demandé de faire pareil en me tendant la cuiller, je l’ai prise pour la passer d’une main dans l’autre. Je sais que mon doudou ne peut pas manger, je ne fais jamais semblant. Je n’aime pas jouer, sauf avec mes bonhommes et mes petits morceaux que je transforme, j’adore bouger mes doigts ou ma main et quand maman essaie de m’imiter, je souris du bout de mes yeux. Mais je détourne le regard et le corps quand quelqu’un d’autre s’approche de moi, je repousse les mains ou la bouche qui veut me faire la bise. Ils disent que je refuse tout contact. C’est vrai. Ils sont tout près, mais tellement différents… et si lointains ! Ils pensent que je ne comprends presque rien. C’est faux, mes oreilles et ma tête saisissent tout.


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Cependant, hier il s’est passé une chose inhabituelle : ma mère était assise à mes côtés, la main tendue, comme souvent. Soudain elle a prononcé des mots très importants, des mots qui ont fait frémir mon cœur malgré le grillage de protection que j’avais tressé autour. D’habitude, je vois sa main, elle me demande de la toucher, je la regarde jusqu’à ce qu’elle la ramène à elle, mais cette fois-ci elle a parlé, elle a dit des mots importants. C’était : « Je n’ai pas besoin d’être une fée parce que je t’aime tel que tu es… Tu m’ouvriras ta main quand tu le voudras ». Elle ne m’avait pas regardé et s’était rapprochée de mon oreille pour chuchoter ces paroles. J’ai apprécié la reconnaissance de ma liberté. J’ai entendu le vrai cri d’amour maternel, sans condition. Sa souffrance tue a révélé ma douleur muette. Dans mon circuit de Lego, les figurines peuvent prendre une passerelle pour visiter des copains qui habitent de l’autre côté des rails, ils sont en sécurité, au-dessus du train qui passe.

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S’il n’y avait pas ce chemin, ils ne pourraient plus rencontrer leurs amis et seraient tristes, mon frère me l’a raconté et montré, mais je ne l’ai ni écouté ni compris. J’ai toujours préféré les ranger par couleurs, ou faire des colonnes de garçons, des colonnes de filles, je les place debout ou couchés, il ne faut surtout pas qu’ils se touchent ! Aujourd’hui, j’ai envie de les amener de l’autre côté, mais ça m’effraie ! Comment faire un passage pour eux ? Et pour moi ? J’ai tellement peur du vide ! 16

Je ne suis bien que dans l’habitude, la nouveauté me déséquilibre et ça m’agite, dedans et dehors. Durant deux jours, Baptiste (c’est son nom) casse, reconstruit, recasse et reconstruit… tant qu’ il y a un trou, une fissure, n’ importe où, le bonhomme Lego chute avec la passerelle. Il persiste, reprend méthodiquement les essais, il note dans sa tête chacune de ses erreurs pour ne pas les reproduire. Il repart de zéro jusqu’ à la dernière imperfection, de plus en plus vite, hésite un peu, puis avance et va de plus en plus loin.


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Enfin ! Il assemble la totalité des pièces du pont ainsi réhabilité et dispose tous les petits personnages se tenant en grande farandole, prêts à s’ élancer dans la danse. Le lendemain, il voit sa mère avancer vers lui, regarde la main tendue, approche tout doucement la sienne jusqu’ à la blottir dans la paume ouverte. Les mains jointes ont effacé le vide, Baptiste se sent parcouru par un sentiment inconnu qui le conquiert si fortement que ses chaînes fondent en libérant son cœur. – « Maman… comme ça ». Elle ne bouge pas, maman, elle craint de m’effrayer, je le sais, elle me laisse faire, elle l’a dit. Mais moi je vois une petite goutte nacrée couler le long de sa joue. Comme elle est jolie ! Elle doit croire que je suis « re-né » !



Un œil blues dans la mer. Elle est belle et grande, elle a vu tous les pays. Elle est féminine et très coquette, elle préfère s’habiller de mer. Elle est sensible et curieuse, elle a souffert de voir la misère, puis elle a ri devant les drôleries de certains guignols. Elle aime la beauté et a vu des horreurs. Elle est pleine d’amour, mais elle se refuse à émietter son cœur pour en donner à tous. . . Elle connaît les finesses et les grossièretés, la tendresse et la cruauté, la candeur et la ruse ; elle est intelligente et voudrait comprendre, mais ne

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