Lettre d'Un nouveau patriote

Rafael GBR

Lettre d’Un nouveau patriote

Lettre d’Un nouveau patriote

Illustrateur : YAK

Rafael GBR

Lettre d’Un nouveau patriote

Aux enfants de France.

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À vous les Françaises, à vous les Français. À vous les Français qui vous ignorez, à vous les Français qui vous niez, à vous les croyants, à vous les athées, à vous les laïques, à vous les politiques, à vous les médias, à vous les militantes, à vous les militants, à vous qui voudriez militer, à vous les passifs, à vous les actifs, à vous qui chaque jour doutez, à vous qui chaque jour vous radicalisez, à vous les électeurs de tous partis, à vous qui ne croyez plus en la politique, à vous qui souvent désespérez, à vous qui souvent espérez, à vous les pessimistes, à vous les optimistes, à vous qui vous en foutez. À vous qui souhaitez la nationalité française, à vous immigrés, à vous réfugiés, à vous demandeurs d’asile, à vous les Sans-papiers.

Rafael GBR

À vous tous qui chaque jour qui se lève marchez sur cette terre, à vous tous qui chaque nuit qui tombe vous endormez et rêvez dans ce pays nommé FRANCE, je voudrais vous dire OSONS. J’OSE l’écriture de cette lettre. Tellement imaginée, tellement ressentie, peur de manquer de mots.

Les mots écrits, tous ces écrits qui aujourd’hui sont les références de beaucoup pour commettre l’Horreur, réveiller la Peur, réveiller la Haine.

L’écriture qui émancipe, l’écriture qui endoctrine, l’écriture qui rassemble, l’écriture qui divise.

L’écriture.

J’ai dernièrement voulu la fuir.

J’appréhende l’écriture.

Figer mes pensées.

Livrer une part de son âme — pour cela faut-il déjà croire en l’âme.

Comment figer une pensée quand celle-ci est toujours en mouvement, en constant changement ?

La pensée provoque la transformation.

C’est pour cela que je vous écris une lettre, parce que j’attends une réponse et peut-être provoquer la rencontre.

Une lettre, celle d’un nouveau patriote, d’un homme de France qui s’affirme et qui ose se réveiller, la lettre d’un homme qui sans la France ne serait pas ce qu’il est !

La lettre d’un Français.

Je suis un Français né ailleurs, dans un autre pays.

Mes excuses à mon pays natal de ne savoir écrire qu’en français, cette langue qui ne me vient ni de mon père, ni de ma mère.

Le français me vient d’ici, de cette terre, de notre France que je foule depuis 27 ans.

Le français, parce que c’est avec cette langue que je décris le monde, c’est avec cette langue que mes émotions s’expriment, que je pleure, que je ris, c’est avec le français que je pense, que je rêve, que j’aime, que j’agis.

Le français, cette langue magnifique, si protégée, si admirée, si convoitée, si défendue, complexe et fluide, vulgaire et soutenue.

Ma langue, le français.

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J’avais 10 ans quand j’ai quitté mon pays natal. Je ne comprenais pas tout, je ne comprenais pas pourquoi mais il fallait tout recommencer, un nouveau pays, la France.

Dans le pays où j’étais né, la majorité des personnes qui m’entouraient se ressemblaient.

Tous plus ou moins du même type d’Humains, les personnes ne se mélangeaient pas beaucoup là-bas.

Mon entourage, par exemple, n’aimait pas les Noirs.

Je m’en souviens.

Dans mon pays natal, les Noirs me faisaient peur.

C’était le 18 mars 1988. J’ai quitté mon autre pays.

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Je n’avais pas imaginé la France comme ça.

Les enfants de ma classe et même des autres classes n’étaient pas tous des Blancs blonds aux yeux bleus, ils n’étaient pas tous plus grands que moi, ils étaient tous très différents des Uns et des Autres.

De toutes les couleurs d’enfants Humains.

Je n’avais jamais vu ça.

Je n’avais pas imaginé la France comme ça.

Dans les rues, les personnes étaient aussi très différentes, il y avait des Femmes voilées, des Femmes

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avec des décolletés, des Hommes élégants, des Hommes mal-habillés.

Et les odeurs, des odeurs si différentes, mais un seul parfum, celui de la France.

Tout était si différent.

J’ai l’impression qu’il s’agit d’une autre vie mais je m’en souviens comme si c’était hier.

Mes premiers pas en terre de France.

Les Français n’étaient pas tous riches, ça, je le savais avant. Mais j’ignorais qu’une des plus terribles misères existait, l’abandon total d’un Autre, celui que tout le monde ignorait mais que tout le monde voyait : Le Clochard.

Dans mon pays natal, il n’y avait pas de Clochards.

Je ne savais pas qu’un être Humain pouvait être autant abandonné par tous les autres Humains.

C’était en 1988. La France nous a accueilli.

Je n’avais pas imaginé la France comme ça et pourtant...

J’ai appris le français dans une école publique d’une grande ville de l’ouest de la France.

Dans ma classe, il y avait des enfants de réfugiés, des enfants demandeurs d’asile, des Zaïrois, des Péruviens, des Cambodgiens, des Vietnamiens, des

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Polonais, des Algériens, des Portugais et même une Irlandaise.

Des enfants d’immigrés.

Des enfants Humains.

J’étais impressionné mais je n’avais pas peur.

En fait si, j’avais un peu peur.

Après tout, nous étions tous un peu dans cette classe allophone des enfants naufragés sur une nouvelle terre.

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Dépassés nos premiers aprioris, nous avions hâte de répondre à l’évidence, cette pulsion inévitable que nous connaissons tous dans l’enfance, aller à la rencontre de l’Autre, le connaître, le voir, le revoir, le reconnaître, échanger pour encore mieux se connaître, se reconnaître.

Construire des ponts qui nous lient, des espaces qui nous rassemblent, pour être ensemble, ensemble.

Nous avons tous connu cela.

Très vite, l’enfant que j’étais, était devenu comme les Autres. Très vite, je faisais partie de cet ensemble si pluriel, si divers.

J’ai grandi.

J’ai grandi en France, le pays où plusieurs fois mes parents ont aussi été humiliés, parce qu’ils ne com-

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prenaient pas tout, parce qu’ils n’écrivaient pas bien, parce qu’ils étaient dépassés.

Eux qui maîtrisaient tout là-bas, essayaient ici de nous donner les meilleures conditions pour vivre.

De professeurs, ils sont devenus cuisinier et femme de ménage, des métiers qu’ils n’avaient jamais imaginé auparavant. Je les vois encore s’excuser de leur présence presque partout où ils allaient.

Et pourtant, j’ai grandi en France.

C’est en France et avec la France que mes parents m’ont élevé.

Mes parents ont toujours aimé la France.

J’ai grandi en France.

J’étais un enfant comme les autres.

Mes amis s’appelaient Annick, Linda, Ali, Romain, Delphine, Laurent, Chloé, Goulven, Ahmet, Jean, Rafao, Aziz, Michaël, Marie, Anne-Cécile, Mélissa, Fabien, Laetitia, Hélène, Christophe, Vanessa...

Il y en avait beaucoup, de différentes origines, des Bretons, des Maghrébins, des Blancs, des Noirs, des Jaunes, des Marrons, des Métis, de différentes religions, certains croyants, d’Autres pas.

Une jeunesse de la France.

Nous étions des copains.

En 1995, mon père était cuisinier diplômé dans un restaurant maghrébin.

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