Les Bonnes Nouvelles

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Laurent Jardin

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Table des matières Celle qui tua son premier tigre Le shooting Longue vie à la nouvelle reine ! Asmoday Émeute de minous Fadet Stockholm Stupéfiant coup de filet à Maca MoMA Ville-la-Grand Sophia MoMA 2 Les enfants du phénix Moemi Drone Wars All Out Une histoire vraie Héroïne Salomé 1.9.9.9. Galwin se lance dans le clonage médiatique

p. 11 p. 17 p. 23 p. 27 p. 31 p. 35 p. 37 p. 43 p. 47 p. 51 p. 57 p. 63 p. 65 p. 67 p. 71 p. 77 p. 83 p. 89 p. 95 p. 101 p. 107


Sirène Le crime du TER Lyon – Saint-Gervais-Les-Bains-Le-Fayet

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Marion dans le noir Il faut sauver Poppy Smith Un jour impudique Enfant d’ailleurs Celle qui tua son premier lézard La machine Europane 7 000 fleurs La dernière fille avant la guerre

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Celle qui tua son premier tigre

I’m the party star I’m popular I’ve got my own car I’m popular Maurane se réveilla, les écouteurs dans les oreilles. À en juger par la chaleur de son téléphone et son icône de batterie presque vide, ce n’était pas la musique qui l’avait réveillée. La jeune fille ne savait pas combien de morceaux avaient ainsi défilé dans la nuit jusqu’à ce qu’elle n’ouvrît les yeux. Elle releva la tête, s’appuya des coudes déjà étalés sur la table qui se tenait devant elle, se redressa dans la banquette usée. Un poste de télévision était installé en hauteur, projetant des informations sur les otages retenus en Birmanie. Maurane porta le bout de ses doigts à ses narines et reconnut la forte odeur de Jamaïcaine qui lui avait manifestement laissé un sérieux mal de crâne en souvenir. Instinctivement, elle baissa ensuite la main à hauteur de poitrine et sentit son sang se glacer en constatant que son collier avait disparu. Prise de panique, elle tapota frénétiquement sur l’écran de son téléphone avant de le porter à son oreille.

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« Bonjour ! Vous êtes bien sur le portable de Valentine, je ne suis pas joignable pour le moment... » Maurane se leva en essayant de ne pas trébucher malgré la tête qui tournait. Elle sortit du restaurant, le « Samouraï du soleil », dans lequel elle venait de passer une partie de la nuit, et tomba sur la devanture d’un bazar asiatique sur laquelle on pouvait lire « L’Ombre jaune ». Les autres commerces environnants arboraient tous divers idéogrammes et Maurane crut un instant s’être réveillée en plein quartier chinois. Ce qui n’était pas très loin du compte. Titubant sur plusieurs mètres, elle traversa plusieurs espaces à thèmes, tombant régulièrement sur des hologrammes de femmes chantant les louanges de l’hypercentre commercial créé, financé et bâti par le comte de Jarawak à Hellish Valley, zone d’activité née récemment non loin de Paris. Une sorte de cour des miracles ressemblant davantage à un parc d’attractions qu’à un supermarché, avec des aménagements aussi démesurés qu’un jardin zoologique. Bien qu’encore embrumée par la Jamaïcaine de la veille, Maurane se laissa porter par ces ambiances conçues pour guider les clients vers le Nirvana consumériste. Passant devant une parfumerie, elle se sentit attirée par une odeur et entra. Son odorat la conduisit jusqu’à un flacon d’Ylalang. Sans réfléchir, elle s’en aspergea sur le poignet avant de le porter au nez. Un frisson remonta alors le long de son dos quand une main vint se poser sur son épaule. — Val ?


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— J’ai eu ton message et avant de te rappeler j’ai eu une alerte comme quoi tu n’étais pas loin. Alors j’ai préféré te suivre à la trace pour te faire la surprise ! Mais tu n’as pas trop l’air dans ton assiette, et de quoi tu voulais absolument me parler ? — J’ai perdu mon collier, mes doigts empestent la marijuana et je ne me souviens absolument pas de ce que j’ai fait hier soir. — Tu ne te souviens pas qu’on est allées au Rose Bonbon ? — Euh... non, désolée. — Alors tu ne vas pas pouvoir m’expliquer pourquoi tu m’as plantée pour partir avec cette grande brune. — Quelle grande brune ? — Allez Bob, t’as un problème, tu veux qu’on en parle ? Les deux jeunes filles furent interrompues par un cri strident. Elles sortirent de la parfumerie et virent plusieurs individus masqués passer en courant dans la galerie dite de « L’archipel ». — William ! Mon Dieu ! Faites quelque chose ! Maurane et Valentine se dirigèrent vers le Jardin zoologique, d’où semblait venir ce dernier cri de femme. Maurane s’étonna à peine d’enjamber deux crocodiles en liberté tandis que son amie avait déjà compris ce qu’il se passait : des activistes avaient semble-t-il décidé de libérer les spécimens du zoo de Jarawak, et un tigre avait jeté son dévolu sur un petit garçon. Sans réfléchir, Maurane tenta de s’interposer, permettant à l’enfant de se dégager de l’emprise du fauve. Celui-ci se jeta alors

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sur la jeune femme, la plaquant au sol. Valentine était sur le point de hurler quand une détonation retentit face au vent. Quelques secondes plus tard, l’animal s’écroula sur le côté, révélant un revolver dans la main tremblante de Maurane, qui s’évanouit peu après. Maurane se réveilla, un acouphène dans les oreilles. Un homme en blouse blanche se tenait non loin d’elle. Elle releva suffisamment la paupière pour lire le badge qu’il portait. « Docteur Xhatan ». Puis elle repiqua du nez. Quelques instants plus tard, elle avait repris connaissance, retrouvé Valentine qui l’avait accompagnée et un agent de police vint la voir. Il lui expliqua qu’un témoin l’avait aperçue la veille en compagnie d’une certaine Miss Clark, recherchée (sous ce nom et d’autres) pour plusieurs vols d’objets de grande valeur. Maurane ne put s’empêcher de penser à son collier en entendant cette expression. D’après ce qu’il savait de son mode opératoire, il était probable qu’elle eût drogué puis séduit sa victime (peut-être dans l’ordre inverse, d’ailleurs) pour mieux la détrousser. Maurane fut ensuite interrogée sur les événements d’Hellish Valley. Le comte de Jarawak, dans sa grande bonté, ne porterait pas plainte pour la mort de son tigre du Bengale, compte tenu des circonstances qu’il avait parfaitement scrutées sur le système de surveillance de l’hypercentre. La possession d’une arme à feu faisait évidemment désordre mais la jeune femme jura ses grands dieux qu’elle ne l’avait jamais vue auparavant.


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— Bien, vous viendrez faire votre déposition quand vous aurez repris tous vos esprits. Vous êtes mademoiselle ? — Robert. Je sais, ce n’est pas très gracieux. — C’est aussi mon prénom. — Ah. Vous aussi, vos amis vous appellent Bob ?



Le shooting

Leila attendait depuis quelques minutes à l’accueil du commissariat. Une jeune fille apparut, sortant des couloirs en direction de la sortie. Ses yeux étaient rougis et Leila crut reconnaître les effets de la marijuana. La jeune fille tentait de réintroduire des écouteurs dans ses oreilles, écartant au passage quelques mèches de ses cheveux noirs ébouriffés. Leila l’apostropha : — Hey, super le blouson. — Hein ? Ah. Merci. Ta veste a pas l’air de sortir de chez H & M, on échange ? Leila se contenta de sourire en guise de refus et la jeune fille reprit son chemin. Un agent arriva peu après et l’invita à la suivre. Ils firent quelques pas dans les couloirs et s’installèrent dans un petit bureau. — Vous êtes madame ? — Jansson, Leila. — Vous auriez une pièce d’identité sur vous ? — Oui. — Alors... Titre de séjour. Vous êtes de nationalité suédoise et vous êtes née le 29 septembre 1996. Vous êtes scolarisée ?

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— Je viens d’arrêter le lycée pour me lancer dans le mannequinat. — Alors, dites-moi, quand est-ce que ça s’est produit ? — Dimanche. — Dimanche dernier ? Vous êtes catégorique sur la date ? — Absolument. — Bien, c’était vers quelle heure ? — Vers 14 heures. J’avais rendez-vous pour un shooting. — Un shooting ? Pour des photos de mode ? Vous travaillez déjà ? — Oui, je suis inscrite dans une agence. — Donc, vous aviez rendez-vous à 14 heures pour une séance photo. Où ça ? — En extérieur, dans la forêt de Kiruna. — En extérieur, par ce temps-là ? Vous êtes courageuse. — C’est pour la collection d’hiver de Jampo. Il voulait des photos dans la neige. Et puis je viens d’un pays très au nord, je ne crains pas le froid. — Bon, vous aviez rendez-vous avec qui ? — Avec le photographe, Tiago Dubois. — Dubois ? — Oui. — Qui fait des photos en forêt. — Oui... Oh, c’est une blague. — Hum, bon... Donc, rendez-vous avec M. Dubois, photographe. Il y avait d’autres mannequins ? — Non, j’étais la seule.


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— Mais vous êtes allée là-bas toute seule ? À votre âge ? — Non. Monsieur Jampo m’accompagnait. — Jampo, le couturier ? En personne ? Ce doit être quelqu’un de très occupé. — Oui mais comme c’est lui qui m’a repérée et fait signer chez lui, il s’occupe souvent de moi. — Donc, vous arrivez sur place avec M. Jampo et M. Dubois était déjà là ? — Oui, son assistante avait déjà tout installé et comme il faisait très très froid et qu’elle avait d’autres choses à gérer, ils avaient convenu que M. Dubois remballerait tout, la pulka, les vêtements... — Attendez, la quoi ? — La pulka. C’est un genre de petit traineau. — Comme une luge ? — Oui voilà. Je devais faire les photos dessus. — D’accord. Et... M. Jampo laisse un photographe toucher et ranger ses créations ? — Bien... il sait que je donne toujours un coup de main. Il me dit que ce n’est pas à moi de le faire, que je n’ai pas à m’occuper de ça mais je trouve ça normal. — OK. Donc vous faites vos photos, et après ? — M. Jampo a reçu un appel, il a dit que c’était important et comme il avait du mal à supporter le froid il est allé répondre dans sa voiture. — La voiture était à portée de vue ? — Non, on avait dû se garer un peu avant puis aller au lieu du shooting à pieds. Pendant ce temps, j’ai aidé M. Dubois à ranger, comme je vous disais. Il n’y avait

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pas grand-chose et il m’a félicitée, disant que pour mon âge je bossais déjà comme une pro. Et là il m’a proposé d’aller jeter un premier coup d’œil aux photos, à l’arrière de sa camionnette où il avait un ordinateur. — La camionnette était à portée de vue, elle ? — Oui. Bien je crois que M. Jampo ne voulait tout simplement pas s’enfoncer dans la neige avec sa voiture de luxe. — Ça ne vous a pas inquiétée ? — Non, M. Jampo n’était pas loin et je pensais qu’il reviendrait vite. — M. Dubois a refermé derrière vous ? — Oui. Il disait que c’était pour la lumière, pour mieux voir sur l’écran. Il a connecté son appareil et a commencé à me montrer quelques photos. J’étais seins nus sur certaines et il m’a dit que je n’avais pas froid aux yeux. Là-dessus il m’a dit qu’il n’avait pas la même résistance que moi et que je pourrais peut-être lui révéler mes secrets. Et il a pris ma main pour la coller entre ses jambes. — Ensuite ? — Je lui ai dit qu’il y avait un malentendu et il a commencé à s’énerver. « J’ai bien vu comment tu me regardais, sale petite allumeuse ! T’es consciente de l’effet que tu fais aux hommes, hein, pouffiasse ! » C’est ce qu’il a dit en me prenant par le bras et en me jetant vers le fond de sa camionnette. Il a essayé de me maintenir au sol mais heureusement j’ai réussi à attraper une rame de canoë qui se trouvait là pour le frapper à la tête. — Une rame de canoë ?


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— Oui j’en suis sûre. Je pratiquais quand j’étais plus jeune. — Non mais je veux dire, qu’est-ce qu’une rame de canoë foutait là ? — Ah, ça je ne sais pas. Peut-être un accessoire d’un autre shooting. — Oui bon donc vous l’avez frappé à la tête ? — Oui, ça m’a permis de me dégager et de sortir. J’ai ensuite couru vers la voiture de M. Jampo. Il était toujours au téléphone alors je lui ai juste fait signe de démarrer. — Qu’on se comprenne bien, mademoiselle Jansson. Il n’y a pas eu de pénétration ? — De... Non, mais... — C’est donc une tentative de viol. — Vous allez quand même l’arrêter ? Il va aller en prison, non ? — Nous devons d’abord tenter de déterminer si d’autres personnes ont été victimes de ses agissements. On va prendre contact avec votre agence, on vous tient au courant. Sortie du commissariat, Leila tapota l’écran de son téléphone. — Leila ! Tout va bien ? — Oui. Mais ce n’est pas fini. Pas pour tout de suite. — Ne t’en fais pas. J’ai fait passer le mot. Il est grillé. Plus personne ne travaillera avec lui. Et si jamais il ose t’approcher... — Ça ira. Je le raterai pas ce coup-ci.

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