Lumières de la Mégalopole

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Lumières de la mÊgapole


ISBN : XXX-X-XXXXX-XX-X © Edelihan. Lumières de la mégapole. 2014


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Lumières de la mÊgapole



La Nuit chasse l’Amour, l’Amour chasse le jour. Parfois l’humeur des Dieux Joue des tours misérables aux Hommes Parce qu’ils le méritent. [...] Abriel Hebken Extrait des Amants de lumière


Nuit Ce soir, comme un cadeau, elle lui avait demandé de l’emmener loin de la lumière des hommes, là-haut, sur les collines. Elle voulait voir les étoiles et la lune. Dans son esprit, il suffisait de s’éloigner un peu. Délaisser leur chez eux, leur immeuble et trouver un coin tranquille, un coin d’herbe pour s’y asseoir et lever la tête. Dans son sac, elle avait emporté ses jumelles. C’était presque des jouets. Le couple était parti de nuit, c’était l’hiver, il était encore tôt. La voiture laissée là où la route s’arrêtait, ils marchèrent, ils montèrent encore. Cette butte était toute proche, quelques kilomètres à peine en voiture. En bas, il y avait les lumières du périphérique, des centaines de véhicules déboulant à toute allure, rentrant chez eux. Les phares tantôt blanc tantôt rouge tenaient leurs ballets à cent dix à l’heure. Derrière eux, ils entendirent une mobylette passant au loin. Elle disparut, puis ce fut le moteur d’un camion. Plus loin, derrière le périphérique, il y avait le monument du centreville, une statue dont il n’avait jamais connu le nom ; c’était peut-être Vercingétorix ou Napoléon qu’on avait fondu, peu lui importait. Toute petite, on la voyait d’ici, elle était là, elle tenait entre deux de ses doigts. Elle était bleue la journée et blanche de ses lumières le soir et la nuit. Là-haut, ils s’assirent dans l’herbe, se pensant loin de tout. Le vent se leva. Elle sentit le froid venir et se rapprocha de lui. Blottis sous la même couverture, elle regarda le ciel, lui ne regardait qu’elle. Le ciel n’était qu’orange. À cet instant précis, il la trouva belle et il n’y avait rien d’autre à voir.

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Centre historique Leur maître était accroché au mur de l’une des maisons dégoulinantes. Personne ici n’avait les moyens d’y vivre, alors on les laissait vides. Le maître écoutait. Trente-six mille personnes disent aimer ce revendeur de téléphone. Un chien parlant. Maryse a quitté Jonathan. Un bébé rigolo. Un facteur s’est pendu dans son garage. La star de la pop a montré un bout de sein. La bourse de New York perd zéro treize. La sécheresse quelque part en Afrique. Il y avait beaucoup de choses à entendre et à dire. Eux se contentaient de boire et de fumer, assis, à pianoter sur leur tablette. Le maître, c’était eux ; la route était une petite chose fragile reliée à crédit, voilà tout. Tout allait si vite, elle ne s’en plaignait jamais, et dès demain, elle aurait tout oublié.

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Lieu de rencontre Xavier travaillait dans l’une des tours de bureau près du centre-ville. Il avait étudié la comptabilité, il était comptable ; mais on l’employait comme un simple liquidateur de retraite. Cet après-midi-là, son téléphone sonna continuellement et il régla mille soucis, mais ce n’était pas les siens. L’heure avait tourné et il n’avait pas avancé d’un pouce. Assis sur son fauteuil de bureau, il dévisagea sa pile de dossiers. Il ne put en ouvrir un seul de l’après-midi. Ce matin, ce soir, elle était toujours aussi haute, il ne voyait aucune différence. Il regarda sa montre ; il était cinq heures passées. Fatigué par ce temps perdu à ne rien faire de bon, il se leva et s’apprêta à sortir du bureau pour rentrer chez lui. Démarrer, arrêter. Ses collègues étaient encore occupés. Peu ici avaient d’heure, peu ici avaient une vie au dehors. De loin, Xavier leur dit au revoir. Peu lui répondirent. Arrivé en bas par l’escalier, dans la rue, il posa sa mallette au sol et leva les yeux. Le ciel apparaissait entre deux immeubles. Nous gagnons tous à valoriser nos productions locales. Xavier regarda partout, tournant la tête en tous sens. Il vit des panneaux, des affiches, mais aucun nuage. C’était une fin d’après-midi du mois de mai, le soleil serait là pour quelques heures encore. Nettoyons la nature. Il pourrait en profiter un peu, peut être, tout à l’heure, une fois rentré chez lui. Il rattrapa sa mallette et se dirigea d’un pas rapide en direction de sa voiture. Elle était garée au-dehors, de l’autre côté du centre commercial. Il avait pris l’habitude de le traverser pour la rejoindre. Des milliers de points fidélités. Sans se tenir à la rampe et avalant les marches deux par deux, il dévala les escaliers menant à la galerie marchande et poussa la porte vitrée.

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Toute la sélection. C’était le chemin le plus court. Crédit en 10 mois pour vos achats de cuisine. De loin. C’est le moment de changer de cuisine ! Ici, au milieu des centaines d’autres passants, il était seul. Tous les ingrédients d’une cuisine réussie. Seul parmi la solitude des autres. Plus de dix mille possibilités de canapé, dont la vôtre. Quelque chose criait. Faites pâlir d’envie votre séjour. Sa main droite se réfugiait dans sa poche, cherchant ses clefs. Vos envies printemps. Pourtant, sa voiture était encore loin. C’est ça le bonheur à la carte ! Quelque chose criait, mais il ne l’entendait pas seulement par les oreilles, mais aussi par les yeux et puis par le nez. Le discount responsable. Sur un banc, une jeune fille semblait attendre quelqu’un. Tous mobilisés. Elle avait les cheveux longs, bruns. Les tendances vous suivent. Elle était jeune, elle avait son âge. Pack avantage. Ailleurs, il l’aurait trouvée jolie. La culture gagne du terrain. Rien de tout cela n’était possible ici. La défense du consommateur est notre combat historique depuis 1949. Il fallait marcher vite. À personnaliser pour coller avec votre style. Sortir de là. Suivez-nous, retrouvez toutes nos offres. Attraper la voiture. Piscine tubulaire. Et rentrer chez lui. Nos sodas sont sans aspartame et nos prix toujours bas. Fuir. Encore plus de promos. Comme chaque soir. Feuilletez nos dépliants. Un autre travail, après sa journée de travail. Pour un voyage aux mille saveurs. Il arriva à mi-chemin, la main dorénavant serrée sur son trousseau de clefs. Livraison gratuite. Le silence de l’habitacle et pouvoir fermer les yeux. Mon quotidien moins cher. Quelques minutes seulement, juste quelques minutes. Cinq bonnes raisons de nous aimer. Puis mettre un peu de musique, peutêtre, lorsqu’il sera sur le périphérique. Tendance. Il passa devant la troisième boutique de parfum. Des cuillères, des casseroles ! Retenir sa respiration ou respirer par la bouche. Vite, craquez ! Mais c’était pire. Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour. Le magasin était presque plein. Les histoires derrière les produits. Il accéléra encore. Jouez et gagnez vos vacances. Il avait mal aux pieds. S’engage durablement. Dans sa poche, sa main commençait à lui faire mal, elle aussi. À votre écoute. Un instant, il imagina ces dents métalliques lui tranchant la chair des doigts. La vérité vraie. Il desserra les doigts, sortit la main de sa poche et la secoua légèrement. Vivre à l’extérieur avec le confort de l’intérieur. Le magasin de bricolage apparaissait au loin. Réinventer, inspirer, imaginer... Une fois devant, il serait presque arrivé au bout. Besoin de place ? Le dressing fait pour vous. 14


Lumières de la mégapole

Avenir Michel reçut son nouveau costume lors de sa prise de service. Il était de grande qualité et lui allait parfaitement. Ainsi vêtu, Michel pris son poste au rez-de-chaussée de la tour C43, le bâtiment le plus à l’est du quartier d’affaires. Michel en était le gardien de nuit. Il n’aimait pas ce titre et préférait le terme de portier, même s’il n’ouvrait plus la porte sinon par le clavier de son ordinateur. Son bureau se trouvait dans un grand hall gris bleuté aux larges colonnes blanches. Pour faire passer le temps, Michel s’était inventé son petit monde. Il avait sa minuscule télévision noir et blanc et ses mots croisés. Il était vingt heures et à l’exception du quatrième étage, l’immeuble était vide. Les employés de la banque étaient rentrés chez eux. Au quatrième, on allait fêter quelque chose, mais il n’en savait pas davantage.

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