Quarante jours dans le désert Israël - Palestine Du 27 février au 6 avril 2013
Maguelone Girardot
Maguelone Girardot
Quarante jours dans le désert Tribulations humaines, religieuses et politiques d’un falafel en Israël et Palestine
Du 27 février au 6 avril 2013
Remerciements
Je tiens en premier lieu à exprimer ma gratitude envers tous ceux qui ont, de près ou de loin, joué un rôle dans cette histoire. Ce livre est le récit de nos rencontres, je vous le dois. Merci également aux parents, amis ou enseignants qui m’ont donné le goût de l’aventure et de l’Autre. Merci à ceux qui ont cru à ce projet et qui m’ont encouragée à prendre et poursuivre la route. Merci et tous mes encouragements aux associations dont la gentillesse et l’hospitalité m’ont été d’un précieux secours, notamment Coexister, la Fraternité d’Abraham et l’Association d’échanges culturels France-Hébron. Ma reconnaissance va enfin à Bibliocratie pour avoir cru et a accompagné mon projet d’édition, ainsi qu’à Grégoire et Stéphane pour leur précieuse relecture. תודה شكرا
Merci.
J’ai parcouru Israël et les Territoires palestiniens du 27 février au 6 avril 2013. Ayant choisi de comparer, dans le cadre de mon mémoire de licence, la politique extérieure de la France et de l’Allemagne vis-à-vis du conflit, il me fallait voir la situation de mes propres yeux. Je désirais aussi faire la connaissance de cousins lointains israéliens et retrouver une amie palestinienne rencontrée en France. J’avais enfin pour mission de préparer le voyage des jeunes de l’association interreligieuse Coexister, prévu pour juillet 2013. De nombreuses mains secourables, un peu d’audace et beaucoup de chance ont fait de ce pari une succession de découvertes et de rencontres d’une richesse et d’une intensité inattendues. Je suis infiniment reconnaissante envers tous ceux qui, par leur présence sur place ou leurs conseils, ont contribué au bon déroulement de ce voyage. A l’origine destinés à rassurer mes parents, mes courriels de bien arrivée sont devenus un véritable journal de bord relatant les aventures toujours
plus riches et surprenantes des derniers jours. De retour en Europe, j’ai reconstitué, à partir de ces témoignages écrits sur le vif, le récit complet de mon expérience. Ne voulant le garder pour moi, je fais à présent le choix de partager avec toute la sincérité possible cette formidable plongée humaine, politique et religieuse au cœur d’un conflit déjà centenaire. Bonne lecture, Shalom ()שלום, Salam ()سالم, Paix.
Votre fidèle falafel.
Falafel, moment zéro.
Jeudi 28 février 2013
J’ai atterri au petit jour à l’aéroport Ben Gourion, Israël, après un survol féérique de Tel Aviv. Les images de déserts et de religieux barbus décorant les salles d’attente font d’emblée sentir au nouvel arrivant la dimension historique et religieuse du pays qu’il s’apprête à découvrir. Mon train menant à Tel Aviv se remplit peu à peu de jeunes militaires entre 18 et 22 ans, visiblement en déplacement vers leur centre de formation. L’accoutrement uniforme rend leurs différences de couleurs de peau blanche, arabe, noire ou métisse, encore plus éclatante. Pays d’immigration, Israël se doit de forger une conscience nationale par des expériences communes, ce qui n’est que partiellement le cas de l’éducation : les jeunes sont répartis entre des institutions publiques, religieuses d’Etat, orthodoxes et arabes. Dispensés de service militaire, à l’origine pour ne pas combattre leurs frères des pays arabes voisins, les non-juifs du pays s’épargnent trois ans de service, mais ne
11
12
peuvent profiter de ce puissant facteur d’insertion sociale. Premières balades à Tel Aviv où ma carte de la ville dépanne une jeune soldate not from here puis une femme exclusivement russophone. La population de ce poumon économique du pays est visiblement très diverse et en renouvellement fréquent. Je goûte avec délice la douceur méditerranéenne en cette fin février, la beauté de la mer et la profusion des agrumes, lesquels jonchent parfois les trottoirs bordés d’orangers. Hormis les nombreux soldats et les fouilles à l’entrée des lieux publics, on n’imagine pas d’ici que ce pays souffre de tensions perpétuelles avec son voisinage. La différence de superficie et de population entre Israël et le monde arabe me fait comprendre bien vite l’importance accordée à la sécurité du pays. A l’Institut français de Tel Aviv, surplombant le Boulevard Rothschild, la femme d’un employé à l’Ambassade du Gabon m’explique venir
ici retrouver une langue et un alphabet familiers. Développé sur la base de l’hébreu ancien par Ben Yehuda lors de la création du pays, l’hébreu moderne parait à la fois le ciment d’une population d’origine multiple et une difficulté à surmonter pour les nouveaux arrivants. Rachel Roth1, pionnière de l’Etat d’Israël rencontrée en Allemagne, m’a raconté son expérience de policière en charge de la sécurité routière en 1948, auprès d’individus sans langue ni code de la route communs. Le réseau de bus, trains et taxis collectifs m’est à vrai dire encore mystérieux, mais les Israéliens se révèlent d’excellent anglophones, voire francophones, et utilisent par chance les mêmes chiffres que moi. Proche-Orient, à nous deux !
1
Par discrétion, la plupart des noms propres ont été modifiés.
13
Falafel interconfessionnel
14
Vendredi 1er mars 2013
Je me rends dès le lendemain à la Jérusalem céleste, point de focalisation politique et religieux, envahie de touristes, de soldats et de chats. On différencie la vieille ville, répartie en quartiers juif, chrétien, arménien et musulman, de la ville nouvelle, israélienne à l’Ouest et - en principe - arabo-musulmane à l’Est. Une promenade tôt matin dans le quartier juif de la vieille ville me donne l’occasion d’observer la vie courante des habitants, les enfants allant à l’école, leurs parents au travail. Scènes de vie quotidienne, où kippas et longues mèches de cheveux se mêlent aux cartables des petits
garçons. Visite des quatre synagogues sépharades et d’une exposition sur le conflit ayant opposé les Juifs et les Arabes en 1948, pendant lequel les Juifs résidant à Jérusalem ont été expulsés de la ville sainte. Comme tout événement historique ici, le récit de cette Guerre d’indépendance ou Nakba ( )النكبةest fortement politisé. Etape essentielle de la réalisation du rêve sioniste en Israël, cela a marqué pour les Palestiniens le début de la négation de leurs droits politiques2. Le vendredi est le grand jour de la prière musulmane, équivalent du samedi (Shabbat, ש ָבּת ַׁ ) juif et du dimanche chrétien. Je me lie avec Nassima, seule francophone de mon dortoir pour femmes. Cette fille a un parcours surprenant : issue du milieu catholique versaillais, elle a fait ses classes au Lycée Blanche de Castille avant de suivre ses désirs d’évasion en Inde. Convertie à un Islam assez radical au Cachemire, elle s’est donnée un nouveau prénom, sort entièrement voilée, porte des gants et refuse tout Il y a une littérature abondante sur ce sujet, par ex. E. Barnavi, Une histoire moderne d’Israël (1998), I. Greilsammer, La nouvelle histoire d’Israël (1998), ou, plus ciblé et controversé I. Pappe, La guerre de 1948 en Palestine (2000). 2
15