Une mère maquerelle

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Brunandierre

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Avant-propos

Avec ce récit j’ai voulu rendre un hommage tardif à une personne qui a fait des allers-retours tout au long de ma vie. Le fait de bourlinguer sans se fixer une attache y est pour beaucoup. Sans oublier sa faculté à vaincre la peur en toutes circonstances. La vie lui a fait faire les quatre cents coups, profitant des bonnes choses et des bonnes personnes. Celles qui ont été mises sur sa route. Son adolescence au milieu de la Seconde Guerre mondiale, dans sa ville d’adoption (Nice). Son épopée à Paris, ses aventures pyrénéennes ou nordiques n’auront plus de secret pour le lecteur. Approcher la gloire que procure l’argent pour terminer sa vie dans d’énormes souffrances, sur un lit d’hôpital à l’âge de 51 ans. Nous ne pouvons que lui dire. « Délia tu as eu raison de brûler ta vie par les deux bouts sans aucun scrupule envers les tiens, encore moins envers la vie. Cette vie qui t’a abandonnée comme une vielle maquerelle que tu as été...» Cette femme c’est ma mère ! Brunandierre

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Le pays mentonnais

C’est une belle journée de printemps, comme seule la cote d’azur peut nous offrir. Nous voici arrivés dans la ville frontalière de Menton. Le port de Garavan prolonge une plage de galets promise, dans quelques jours, à la joie des premiers baigneurs. À quelques encablures du port, nous faisons la connaissance des bâtiments de la douane française et de sa collègue italienne. Nous pouvons employer ce terme, nous sommes en 1926. La Première Guerre mondiale est terminée depuis une dizaine d’années, sans savoir que dix ans plus tard une autre va commencer. Cette ville à une histoire un peu particulière. Elle fut acquise en 1346 par les Grimaldi de Monaco restant sous la suzeraineté de cette dynastie pendant cinq siècles. En 1848 elle se proclama, avec sa voisine Roquebrune, ville libre. En 1862 Menton se prononça massivement pour son rattachement à la France. Il en fut de même pour Roquebrune, en devenant des villes françaises, un an après la ville de Nice. Il faut reconnaître que le prince Florestan de Monaco y fut pour beaucoup dans cette décision. Celui-ci s’obs-

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tinait à percevoir une taxe sur l’exportation des citrons, principale ressource des Mentonnais. En 1934 naîtra la première fête des citrons que le monde entier connaît. Elle donne lieu au mois de février à un défilé de chars construit avec des motifs fabriqués d’oranges et de citrons. Cette fête attire de nombreux touristes étrangers sur le front de mer. De nombreuses propriétés agrémentées de somptueux jardins aux couleurs flamboyantes donnent à cette région un charme qui attira, entre autres personnages, des gens comme Cocteau ou Blasco Ibanez, mort à Menton en 1928, qui écrivit les quatre cavaliers de l’apocalypse. Plusieurs vallées se terminent à Menton. La Vallée du Borrigo, du Carrei, de Gorbio. Toutes ces routes descendent des hauteurs, à la manière de serpentins du carnaval. De quoi rendre jalouse sa voisine niçoise, capitale du carnaval sur la Cote d’Azur. Le tableau ne serait pas complet si on ne parler pas des petits villages de l’arrière-pays mentonnais. Castellar, Castillon, Gorbio, Saint Agnés, Moulinet. Autant de lieux plantés de placettes bordées de platanes, abritant les fameux joueurs de pétanque. À leurs côtés des personnages, géniteurs des veillées de Noël, similaires aux célèbres santons de Provence. Nous ne ferons pas l’offense au village de Sospel, situé sur la ligne Maginot, de parler de lui sans évoquer son petit pont qui traverse le « fleuve ». Une tour en forme de maisonnette à étages en son milieu qui, en deux en-


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jambées, fait passer les habitants d’une rive à l’autre. Il ne faut pas oublier de mentionner son fort dominant la colline, face à l’ennemi. Un blockhaus allemand qu’il est permis de parcourir. Sa visite nous fait pénétrer d’une centaine de mètres sous terre pour s’intéresser à la vie des soldats pendant la guerre. Des meurtrières nous avons la vision du soldat prêt à faire feu sur l’ennemi, sans risque, ni pour lui, ni pour ses copains de régiment. Il semble facile de prendre la vie de ses semblables, sans remords apparent, sous couvert de la guerre. Français et Italiens, de génération en génération, de maquisard en maquisard, se livrèrent des combats acharnés dans ces paysages apaisants. Combien de morts inutiles ont souillé de leur sang cette herbe verte et les ruisseaux ? Qui pourra nous dire de quel côté se trouve la vérité dans cette histoire. Que nous soyons d’un côté ou de l’autre c’est notre ennemi qui a toujours tort. Ce 26 mars 1926, dans une ruelle du vieux menton le couple SCAM... mit au monde une jolie fleur que l’on appela Délia. Prenons le temps de faire revivre ces villages de l’arrière-pays mentonnais en rappelant un peu de leur histoire. Débutons par Castellar qui bénéficie d’une superbe situation de village perché. Ses habitants sont des castellarois. Ce nom apparut pour la première fois le 19 janvier 1258 dans l’acte de cession du territoire du Comte de Vintimille au Comte de Provence (Charles 1é d’Anjou).

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La disposition régulière du village le long de rues droites et parallèles, s’explique par une convention qui fut passée le 30 septembre 1435, entre les seigneurs de Gorbio et les habitants. Elle autorisait la construction de 29 maisons, d’hauteur et de largeur, identique (aux frais des contribuables). De les fortifier par une enceinte extérieure et les habiter en féaux sujets. Le palais Lascaris, du nom de famille des seigneurs de Castellar, fut construit au début du 15e siècle. En 1564 un tremblement de terre le détruisit partiellement. N’oublions pas que toute cette région se trouve sur une faille sismique pouvant provoquer à tout moment un drame naturel. Ce village est célèbre pour avoir fait la une des faits d’hiver à une époque. France 2 en a parlé dans « faites entrer l’accusé » relatant le meurtre du berger de Castellar. Castillon se situe à une dizaine de kilomètres de Menton et de Sospel. Il fut détruit à plusieurs reprises, subissant guerres et tremblements de terre. Comme au 18e siècle pendant la guerre de la Succession d’Autriche ou après les bombardements de l’hiver 44. Construit à l’origine au col de Castillon, il fut reconstruit en 1951 sur son actuel emplacement. Maintenant nous trouvons installés des métiers d’art, mélangeant artisans et artistes en pleine harmonie. La gentillesse des habitants de la région est présente, si on ne les provoque pas avec des fanfaronnades de Parisiens.


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Son mélange harmonieux de couleurs avec son architecture lui valut de recevoir la coupe du plus beau village de France en 1952. En route vers Gorbio avec ses ruelles pavées « en calade » qui permettent d’accéder à de magnifiques demeures anciennes. Un joli village médiéval au pied du mont Agel. Il fait bon flâner à l’intérieur des enfilades de ruelles, terminer sa ballade au milieu des placettes, garnies de vieilles fontaines. Plantes grasses géantes, fleurs méditerranéennes, senteurs en tous genres font revivre ces pierres chargées d’histoire. Vous ferez connaissance avec l’orme du village, planté en 1713. Selon la légende, les représentants des familles se réunissaient sous ses branches pour prendre des décisions communautaires. Les gorbarins disent d’ailleurs « tout homme sous l’orme, est un homme « intero »... Fort de ses droits. Le vieux four à pain communal nous renvoie à l’époque des familles faisant cuire leurs pains, gravés d’un signe distinctif. De l’autoroute il est possible d’apercevoir le château des comtes de Malaussene qui appartient toujours à cette famille pendant la guerre la résistance s’organisa en ses lieux. La place Honoré Vial, du nom d’un jeune résistant fusillé par les nazis, en est un flagrant témoignage.

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Nous ne devons pas laisser notre mémoire occulter cet épisode navrant de notre histoire. Permettre à l’avenir de ne plus subir ces monstruosités de l’humanité. Sainte Agnès, à prés de 800 m d’altitude, est le village littoral le plus haut perché en Europe. Son nom a pour origine celui d’une jeune Romaine martyrisée en 303. Son château, véritable forteresse, fut le témoin de combats acharnés entre les Français de Louis XIV et les Sardes. Ce qui démontre l’importance stratégique de ce nid d’aigle, proche de l’Italie. On doit une partie de sa destruction à notre brave Louis XIV en 1691. Il nous reste la possibilité de visiter le Jardin médiéval pour y découvrir un panorama exceptionnel sur la mer. 16

Entre 1932 et 1938, un fort entièrement souterrain fut construit, sous 55 m de rocher. Il compléta la ligne Maginot. Sa puissance de feu stoppa les troupes italiennes en juin 40, bloquant leur avancée vers Nice. Véritable technologie de l’époque, il est doté d’une centrale de production électrique et d’un ensemble de conditionnement d’air, pour permettre d’y faire vivre plus de 300 hommes pendant la guerre. Cuisines, dortoirs, sanitaires, infirmeries et bloc opératoire se trouvent à l’intérieur du fort, assurant un confort acceptable à tous ces hommes. Terminons notre reconnaissance avec le village du Moulinet, situé à 32 kilomètres de Menton, dans le parc du Mercantour. Il est surtout connu par sa spéciale du rallye de Monte-Carlo qui la traverse.


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Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’occupant allemand déporta la totalité de la population civile à Cuneo (ville italienne du Piémont) entre septembre 44 et avril 45. On peut voir sur la route en direction de Sospel, la chapelle Notre-Dame de la Ménour, construite sur un piton rocheux. Pas très loin la masse imposante du massif de l’Authion (2078 m) se dresse, fière de son passé militaire au fil des ans. C’est un des hauts lieux de la dernière guerre mondiale, parsemé d’ouvrages militaires (blockhaus, casernes, forts). Pour la plupart ce sont des ruines gardées par des vaches, dans l’attente d’y voir des randonneurs en été. Le massif fut fortifié pour protéger les Alpes-Maritimes d’une invasion italienne. Plus d’un millier d’hommes y séjourna. Les forts de Mille Fourches, de la Redoute et de la Forca témoignent des violents combats qui se déroulèrent du 10 au 24 avril 1945. Les Moulinois sont fiers de leurs combattants, de leur petit village médiéval. À milieu d’une austérité sauvage aux routes tortueuses peu fréquentées, qui leur procure un calme reposant. Redescendons sur le vieux Menton pour nous intéresser aux pleurs de la petite Délia. Personnage haut en couleur, qui ne sait pas encore qu’elle va faire chavirer le cœur des hommes, exploser les couples pour les ruiner de chagrin et d’infortune. En un mot, devenir la sœur,

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l’amante, la confidente, la maquerelle du quartier. J’en passe et des meilleures que je garde pour la suite. Les parents de délia sont des Piémontais venus d’un village prés de Cuneo. Le père est maçon porté sur la boisson. Le travail ne lui fait pas peur mais le personnage devient vite méchant, agressif envers son épouse. Celle-ci exerce un métier peu répandu chez les femmes celui de vernisseur en meubles ou plutôt vernisseuse en meubles. Pour l’avoir vu travailler durant mon jeune âge, ce métier consiste à préparer les meubles de bois brut en les polissant au papier de verre. Les teinter selon le besoin, couleur chêne, noyer, cerisier. Tout ceci au tampon est bien sûr à la main, avec un savoir- faire que reconnaît la profession. 18

Après le passage de plusieurs couches d’un liquide contenu dans une bouteille, sur laquelle figure une étiquette écrite de la main de ma grand-mère. Le meuble prend son aspect rustique. Elle applique, pour finir de le terminer, plusieurs couches de vernis au pinceau. L’objet peut débuter sa vie dans la vitrine de l’ébéniste en meubles en haut de la rue. Je revois encore cette scène où ma grand-mère, entourée de bouteilles pleines de cristaux, préparait son tampon (mélange de chiffon et d’ouate) pour l’imbiber de sa mixture, non sans avoir secoué vigoureusement la bouteille choisie. Prendre sa plus belle posture, décrire des ronds sur le dessus d’une table. Faire pénétrer dans le bois la couleur du tampon, plus ou moins foncée en


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fonction du nombre de passages, la cigarette au bec (comme elle aimait à le dire). Elle n’était pas haute ma mémé. À mes yeux elle était bien le plus grand personnage qui pouvait se vanter d’avoir un métier d’homme. Métier qu’elle pratiquait à plus de soixante-dix ans, devenant l’une des dernières à exercer dans l’hexagone. L’odeur de ce métier est gravé en moi. La « clope » au coin des lèvres de ma grand-mère reste l’image, avec celle sur son lit de mort à l’hôpital, les plus ancrées en moi. Il m’arrive souvent de la revoir, cigarette au bec, en fermant les yeux. Il me manque terriblement ce bout de femme qui m’a élevé, m’apprenant les bases de la vie, me fournissant des armes pour ne pas être dévoré par elle. C’est idiot mais en écrivant ces lignes mes yeux se remplissent de larmes. Cette image de sa mort apparaît, m’obligeant à admettre qu’il est impossible de lutter contre la disparition des gens. La vie n’est pas un éternel recommencement mais une fin de non-retour. Les différents bons Dieux d’où qu’ils viennent, n’ont pas le pouvoir d’y remédier. Si c’était le cas, je le saurais, moi qui attends le retour de ma mémé depuis quarante années... Et qui attend encore.

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