200 kilos à l'arraché

Olivier béraud

200 kilos à l’arraché

200 kilos à l’arraché

ISBN : 978-2-36673-013-5 © Olivier Béraud, 2014

Olivier Béraud

200 kilos à l’arraché

SAMANTHA Samantha était belle comme le jour et con comme un balai.

Mais le plus con des deux, c’était encore moi, puisque j’en étais tombé follement amoureux.

Follement.

J’ai une sainte horreur des boîtes de nuit, c’était sa passion. On y allait et elle dansait comme une dingo, et les mecs autour devenaient dingos aussi, ils se rapprochaient d’elle sur la piste, ils se collaient à elle, qui répondait en pointant son cul pour qu’ils viennent s’y frotter, et de voir ça, ça me rendait dingo à mon

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tour, pour finir on était toute une bande de dingos avec des envies de baise et de meurtre.

Elle était en sueur, ses yeux disparaissaient sous ses cheveux mouillés et emmêlés comme après la douche.

«Hou, j’ai chaud !» me disait-elle en me rejoignant au bar, histoire de souffler un peu.

«J’ai vu ça… » ironisais-je dans le vide en agrippant mon verre d’une main et la bouteille de l’autre, ou mon paquet de clopes, selon. Elle ne restait jamais très longtemps vers moi. « Bon, j’y retourne ! » et j’avais quand même droit à un petit bisou rapide sur la joue avant qu’elle ne s’élance à nouveau vers la piste, comme une bombe incendiaire sous le ciel électrique.

J’ai horreur de danser, je ne décollais pas du bar. Les types la désignaient d’un coup de menton en se faisant des clins d’œil, le sourire jusqu’aux oreilles. Ça porte un nom savant, ce genre de fille mais quand vous observez un coenonympha oedippus dans un bois, vous appelez ça un beau papillon, et quand vous croisez une nymphomane dans une discothèque, vous appelez ça une belle salope. Normal.

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« C’est qu’une grosse salope, ta copine, là. » Le mec m’avait tapé sur l’épaule et je m’étais retourné. J’ai vu la gueule carrée, une main épaisse d’étrangleur autour du verre de sky. « 100 € la pipe dans les chiottes, » j’ai fait froidement et aussi sec.

J’y étais allé fort, quelques kilos de nitroglycérine pour souffler une bougie ; mais vous comprenez, dans la vie, on essaye tous de conserver un semblant de dignité, même les êtres sensibles et cultivés comme moi. « Oh, c’est pas un peu cher quand même, non ? » Il avait changé de ton, on reconnaissait à peine sa voix. C’était le ton humble que le commun emploie pour parler aux macs, aux flics ou aux gangsters. J’ai bâillé en prenant l’air du type qui n’a pas de temps à perdre avec les minus, et j’ai pivoté en serrant très fort les fesses. S’il disait « bon ok, ça roule, on y va pour 100 » j’étais mal, très mal. Mais il n’a pas bougé ; c’était la crise, gloire aux traders pour une fois.

Désormais, ce coin de bar m’était tacitement attribué. On est revenu au moins deux fois dans cette boîte, Samantha et moi. Quand j’arrivais,

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le barman glissait un mot à l’oreille du client, je sais pas quoi, « c’est la place du mac » peut-être, et le type s’esquivait en reculant.

Voyez comme les gens sont bêtes, parfois.

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On a fait la fermeture parce que le patron, un énorme bonhomme qui tentait de cacher son triple menton sous une très fine barbe, tenait absolument à nous payer le champagne.

Tu m’étonnes ; une fille comme Samantha, ça lui économisait largement le fric pour une strip-teaseuse, il pouvait tenter de nous fidéliser en arrosant un peu, ce gros salaud.

J’étais d’une humeur massacrante, et évidemment mes sarcasmes les plus appuyés passaient à des kilomètres au-dessus de la tête de Samantha, mais le gros commençait à tiquer Le DJ s’était installé sur un tabouret, à côté de moi, et elle était passée derrière le comptoir avec le patron, pour qu’on puisse discuter à l’aise. Quand je l’ai vu se redresser légèrement en pointant ses seins en avant, j’ai tout de suite compris que le gros lui mettait la main au cul, certainement pour me faire chier. Ça a marché.

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« Bon, on y va, là » j’ai fait subitement en plein milieu d’une phrase. Le patron m’a souri pour me faire comprendre qu’il avait compris que j’avais compris ; vous me suivez ?

Je me suis allumé une clope sur le parking, et Samantha a murmuré : « Brrrr, j’ai froid et je suis triste. » J’ai fait le tour de la bagnole et je l’ai serré dans mes bras, petit animal naïf et sans défense, j’ai songé.

Au plumard, ça a été une catastrophe.

Quelque part sur la planète, un type qui m’en voulait à mort détenait une poupée à mon effigie et me plantait une aiguille dans le zgeg à chaque début de séance. J’ai préféré couper court avant de me ridiculiser une fois de plus, « excuse, mais j’ai trop fumé, j’ai super mal au crâne, là, je rentre ». Le monde à l’envers.

Une fois chez moi, j’ai senti tout de suite que je ne pourrai pas dormir. J’ai allumé l’ordi et j’ai remué froidement le couteau dans la plaie en tapant « fille partouzée » sur Google.

Y’avait l’embarras du choix. J’ai cherché un moment pour trouver une blonde qui lui ressemble un peu. Le titre de la vidéo était « Tout

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le monde jouit pour Vicky » et il y avait un commentaire tout en finesse pour accompagner les photos : « Vicky, c’est l’ultime salope.

Une armée de queues va s’en occuper et elle va s’en prendre plein la gueule… » J’ai payé pour voir. On en avait pour ses sous.

Comment, mais comment une fille pouvait se rabaisser à faire un truc pareil, me demandais-je en déboutonnant mon pantalon. Les types étaient peut-être une vingtaine ; les plus vigoureux seraient les premiers servis, les autres formaient une file indienne de zobs plus ou moins raides, gros, longs, épais, blacks, jaunes, rouges, poilus, imberbes ; sous des bides plus ou moins gras, secs, velus, lisses, jaunes, rouges, blacks, blancs, beurs ; tous avaient des sales gueules d’obsédés j’ai trouvé, en prenant virtuellement ma place dans la file.

D’habitude, je reste assis, mais pour mieux coller à la réalité, là, je me suis mis debout, entièrement à poil, comme les autres nazes. Vicky était peut-être bien l’ultime salope annoncée, j’aurais même conseillé aux types de la NASA de l’embarquer sur le vaisseau pour Mars, his-

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toire de faire paraître le voyage moins long à l’équipage masculin.

Même si la pauvre fille cherchait à satisfaire plusieurs mecs à la fois, ceux qui n’y arrivaient pas (bienvenue au club, j’ai pensé), sans doute émus par la caméra, retardaient le reste de la troupe. J’étais très fatigué, le petit jour pointait son nez à la fenêtre, le spasme m’a presque surpris. Comme j’étais debout, j’ai envoyé une partie de la sauce sur le clavier. Ça s’infiltrait entre les touches, bravo. Comment j’allais nettoyer ce bordel ?

A l’image de Samantha deux heures plus tôt, je me suis senti très triste, tout à coup.

Très triste, et très sale : presque ignoble.

Au moment où je les ai surpris, elle s’apprêtait manifestement à lui tailler une pipe ; j’aurais juré qu’elle s’était déjà passé la langue sur les lèvres pour les humecter et le mec avait le futal sur les chevilles. Raison pour laquelle d’ailleurs il s’est proprement rétamé la gueule quand je l’ai bousculé. Je n’avais pas du tout l’intention de lui faire mal, c’était plutôt comme un réflexe, comme d’écarter un enfant

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d’une casserole d’eau bouillante, genre. Reste que sa tête a tapé sur le pare-chocs et qu’il est resté KO par terre. Il m’a semblé voir du sang.

J’ai attrapé Samantha par son blouson, au niveau de l’épaule, et je l’ai propulsée devant moi en direction de la boîte de nuit.

Elle s’est mise à pleurer, « je veux rentrer » elle a dit. On est retourné à la bagnole, sans un mot. Par terre, le type grognait un peu. Je l’ai enjambé et j’ai fait super gaffe de ne pas lui rouler dessus en manœuvrant.

Samantha se tordait les mains en sanglotant doucement à côté de moi. Ça fait chier, j’ai pensé.

Je l’ai ramené chez elle, toute colère m’avait quitté. Elle était bizarre cette histoire-là quand même. Ça faisait trois semaines qu’on était ensemble, jamais je n’étais sorti avec une fille aussi jolie et aussi bonne, et en tout et pour tout je n’avais réussi à la baiser que deux fois, très mal en plus. Ça me rendait complètement dingue, et moins j’y arrivais, plus j’étais amoureux, je me serais mis à genoux devant elle, je lui aurais tout pardonné.

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On n’est pas allé se coucher ; j’ai décapsulé une bière et elle m’a répondu « non, je veux rien, merci… Je veux juste qu’on parle.» On s’est assis à la table de la cuisine, j’ai mis le cendrier devant moi en m’allumant une clope. J’ai attrapé un bout de mie de pain qui traînait par là, et je me suis appliqué à fabriquer une petite boule bien ronde avec. Je ne l’ai pas interrompu. « Tu vois, j’ai un problème avec les mecs, ça a toujours été comme ça, et tu vois, je t’aime bien, ce soir ce qui s’est passé, je ne veux pas que tu croies que je veux te faire souffrir. Tu sais, ça fait trois semaines qu’on est ensemble, j’ai compté tu sais, jamais je suis restée avec un mec aussi longtemps, c’est la première fois. Tu vois, je m’en fous si t’es pas un champion au lit, tu vois, je voudrais bien qu’on reste un peu ensemble.»

Je m’attendais pas vraiment à ça, je savais pas si je devais sauter de joie ou sauter par la fenêtre. « Je passe demain matin » j’ai fait laconiquement.

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On a continué comme ça, bon an mal an, comme on dit.

Samantha n’avait pas tellement le moral, ces derniers temps. Je lui disais « t’inquiète pas, je vais y arriver, c’est parce que je t’aime trop, ça me bloque, tu vois » et elle m’avait répondu « c’est pas ça, je m’en fous de ça. » J’étais bien persuadé du contraire.

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Ça ne m’enchantait pas, mais elle avait décidé de retourner dans la boîte du gros barbu, ce samedi soir là. Avec cette réputation de mac que j’avais, ça pouvait mal tourner, j’allais finir par repartir de là avec la tête au carré, au mieux, ou avec 100€ en poche, au pire.

Je devais passer la prendre chez elle vers 22h00, on aurait le temps d’aller boire un coup dans un bar, avant d’aller chez le gros con.

J’étais pressé de la retrouver, il était 21h30 environ, j’ai sonné en bas. Rien. J’ai sonné à nouveau. Rien. « Tiens », j’ai pensé.

Je suis allé m’acheter un paquet de Camel au tabac de l’autre côté de la rue, et c’est en retraversant que j’ai commencé à cogiter. J’ai sonné.

Toujours rien. Quelques images se sont mises à

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défiler dans ma tête, un type avec son jean sur les chevilles et elle devant, par exemple. « Arrête ça », je me suis ordonné.

J’ai fait le tour de l’immeuble, en me forçant à marcher, elle habitait au deuxième. Voilà, on y était, il y avait de la lumière, bordel, comme elle aimait pour baiser, elle avait dû balancer son T-shirt sur l’abat-jour avant de se faire tringler par l’autre type, c’était ça, à tous les coups.

J’ai appelé sur son portable. Le message. J’ai refait le tour et j’ai gueulé, et j’ai envoyé des petits graviers sur les carreaux. Une vieille est sortie sur son balcon, « ça va, ça va » j’ai fait. J’avais mal au bide.

Je suis retourné au tabac et je me suis forcé à boire un demi, lentement. J’ai appelé de nouveau. Le message. Et si les types étaient plusieurs, une bande d’anciens copains. Elle était tellement en manque à cause de moi qu’elle pouvait plus tenir ; ils étaient cinq ou six làhaut, et ils la défonçaient par tous les trous, et elle en redemandait, les types n’en revenaient pas, l’appart vibrait littéralement.

J’ai retraversé, je me dirigeais vers ma bagnole avec l’intention de foncer dans la porte

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