Rodolphe
BRETIN
MĂŠlancolie humaine
MĂŠlancolie humaine
Rodolphe Bretin
MĂŠlancolie humaine
« L a naissance d’un ange » Laura, Tu dois surement te demander qui est cet homme qui t’écrit. Oui, cela doit te paraître bizarre de recevoir une lettre d’un inconnu, mais je t’en prie, lis là en entier. J’ai toujours voulu être père depuis que j’étais petit, cela était mon plus grand rêve. En grandissant, j’ai pu prendre dans les bras pour la première fois un enfant. Ce fut pour moi un énorme choc, je me voyais plusieurs années après avec mon enfant sous ma protection. Et puis tout ça m’est passé et la vie a continué son cours jusqu’à mes années de lycée. Je me souviendrai toujours de cette jolie fille rousse aux yeux noisette qui m’a directement tapé dans l’œil. Premier jour de rentrée en classe
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de seconde et tous les regards étaient portés sur elle. Il faut dire qu’elle se faisait remarquer avec son petit manteau rouge. J’étais plutôt le genre de garçon réservé auquel on ne prêtait que peu d’intérêt. Bien sûr, je n’avais pas d’ami. Le comble dans tout ça, c’est que la place de cette jeune fille en cours, c’était à mes côtés. Comme si le destin avait décidé de nous réunir. Assis à ses côtés, je ne décrochais pas un mot, mais on pouvait voir mes joues devenir rouges. Les heures passaient puis elle se décida à m’adresser la parole, sa voix m’ensorcelait. Elle se présenta et moi de même. Nous passions le reste de la journée à faire connaissance et à nous découvrir des points communs. Et puis les jours passaient et une sensation bizarre s’emparait de moi, mon cœur s’accélérait dès que j’étais à côté d’elle. Je rougissais souvent. Et puis un jour, je sentis sa main passer sous la table et rejoindre la mienne, nos doigts s’entrecroisaient. J’étais le plus heureux du monde. Elle me fit sa déclaration à la fin des cours. Je l’invitais à boire un verre au café le plus proche, elle accepta avec le sourire. Je crois que je n’ai jamais décroché un sourire aussi
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longtemps. À la sortie, nous nous embrassions pour la première fois, et cela, pendant de longues minutes. Figure-toi que c’était la première fois que j’embrassais une fille. Tu ne peux savoir le bonheur que cela procure. Tu dois sûrement te demander pourquoi un homme que tu ne connais pas te raconte tout ça. Eh bien, j’y viens ne t’inquiète pas. Les mois passèrent et je partageais un bonheur inimaginable avec cette jolie fille. Et puis au bout de quatre mois, pour l’occasion, elle m’invita chez elle. J’achetais les plus belles fleurs que je trouvais dans un fleuriste près de chez elle. Bien sûr pour l’occasion, je m’étais vêtu de mon plus bel habit. Je n’étais jamais rentré dans sa maison. C’était une grande maison au cœur de la ville. Je sonnais, elle m’ouvrit, elle était rayonnante, mes yeux pétillaient de bonheur de voir une telle beauté. Elle me sauta dans les bras et m’embrassa. Je lui tendis le bouquet qui lui était destiné. Avec un grand sourire, elle me remercia. D’un coup d’un seul, elle me prit par la main et m’entraîna vers sa chambre. Tout était minutieusement préparé, ses parents n’étaient pas là. La maison
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était éclairée aux bougies. Des fleurs tapissaient le parquet. Un vrai rêve. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais c’est ce jour-là que je lui offris ma virginité. À l’époque, les capotes n’existaient pas vraiment, alors nous fîmes sans. Je t’annonce que c’est ce jour-là que tu fus conçue. Mais à ce moment-là, nous ne le savions pas.
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Les jours s’enchaînèrent et la femme que j’aimais, en l’occurrence ta mère, avait des réactions bizarres, un mois après elle m’annonça qu’elle n’avait plus ses règles (je ne sais pas si tu sais ce que c’est encore, excuse-moi). Un mardi, une journée banale, en pleins cours de maths, elle prit ma main et la serra très fort, je la regardais d’un air effaré. Elle me dit tout bas « Je t’aime mon ange ». Et puis d’un coup d’un seul, elle s’effondra sur la table. Mon cœur ne fit qu’un bond et l’infirmière débarqua puis quelques minutes plus tard, ce fut les pompiers qui l’emmenèrent à l’hôpital. Je l’accompagnais, durant le voyage en ambulance, je ne pus retenir mes larmes. Sa voix me surprit : « Ne pleure pas mon ange, je suis là ». Je fus soulagé. Elle me fit
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même un petit sourire. Arrivé à l’hôpital, on lui fit un tas d’examens pour lui dire qu’elle avait fait un malaise et qu’elle devait rester en observation durant quelques jours. Le lendemain de son arrivée, le médecin constatant quelque chose dans ses analyses me demanda de sortir de la chambre. Je ne compris pas de suite. Le médecin revint me chercher en me disant que cela allait. Je me ruais vers ma copine pour la prendre dans les bras, elle me glissa dans l’oreille : « Mon amour, il y a de fortes chances que je sois enceinte ». Mon cœur battait si vite, j’étais le plus heureux du monde, je l’embrassais avec engouements. Elle finit par rentrer chez elle au bout de deux jours, ses parents n’étaient toujours pas revenus, ils étaient en vacances durant un mois. Elle était un peu inquiète face à leur réaction, car elle n’avait pas encore dix-huit ans, moi, je venais de les avoir. Mais je ne m’inquiétais pas de la réaction de mes parents, ils auraient approuvé du moment que je suis heureux. Nous étions rendus à son cinquième mois et son ventre grossissait, il était temps de faire part
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de la nouvelle à ses parents. Je vais t’écrire ce qui s’est passé. Elle tremblait de partout, me serrant fort la main. Ses parents me connaissaient déjà et l’on s’entendait bien. Nous arrivions dans cette jolie maison et d’entrée Clara (ta mère) parla : « Papa, Maman ; nous avons quelque chose d’assez important à vous annoncer. »
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Sa mère : « Et bien, vas -y dis-moi, tu me fais peur... » Clara : « Je... Je » Moi : « Laisse, je vais le faire, elle est enceinte. » Son père : « Clara, mais tu n’as même pas dix-huit ans ! » Sa mère : « Bon écoute Clara, si tu es heureuse avec ton copain et le bébé c’est cela le plus important, je ne t’en veux pas. » Son père : « Ta mère a raison, excuse-moi, nous n’avons qu’une vie et avoir un enfant vous rend heureux, profitez-en et toi Lucas, prend soin d’elle, nous vous hébergerons tous les deux cette année, mais l’année prochaine il faudra travailler. »
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Clara et moi, nous ne nous attendions pas trop à cette réaction, elle en avait les larmes aux yeux. Nous étions heureux et en famille. Les mois continuaient à passer et nous nous rapprochions de la date fatidique, son ventre était vraiment rond comme un ballon. Je la trouvais affaiblie malgré ce sourire qu’elle gardait tous les jours. Le 8 janvier 1996, elle avait d’énormes contractions et se tordait de douleur, il était temps, tu voulais sortir, toi qui as toujours été un bébé calme, tu ne faisais pas du bien à ta maman ce jour-là. Ton grand-père nous conduisit à l’hôpital. Les secondes furent pour moi des heures. Un des médecins me demanda de sortir en urgence, l’appareil qui mesurait les battements du cœur de ta mère ne répondait plus. Un médecin vient me voir plusieurs minutes plus tard en me disant : « Je suis désolé votre copine n’a pas survécu, elle était trop faible, nous avons pu sauver votre fille, qui est dans son petit lit actuellement ». Mon cœur se compressa et je me mis à crier. Je ne vais pas tout te raconter, mais je n’ai pas pu aller te voir après, cela faisait trop mal. J’ai déprimé pendant cinq ans, je pleurais toutes les
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nuits, j’étais retourné chez mes parents et ton grand-père venait chaque soir après son travail pour prendre de mes nouvelles. Lui et ta grandmère maternelle ont mis du temps à accepter la mort de leur fille. Mais se sont tout de même relevé, et cela, grâce à toi. Après ces cinq années dans la souffrance, j’ai décidé de partir en Angleterre pour me ressourcer et trouver un travail, je suis devenu reporter. Je n’ai jamais eu le courage de reprendre le contact avec toi ou tes grands-parents, j’ai tout quitté d’un coup de tête. Voilà, cela fait douze ans demain que tu es née et je tenais à te dire que je t’aime fort ma fille, je suis revenu en France, pardonne-moi, je voudrais te rencontrer, s’il te plaît ne m’en veux pas et accepte de me rencontrer sinon je ne me le pardonnerai pas. Lucas, ton père à qui tu manques énormément et qui est désolé.
« Un instant » Petit homme incompris, voilà ce que je suis. Je vis dans une génération où règne l’incompréhension. Je n’ai que douze ans, je commence juste à devenir un adolescent. Finies les bêtises, terminé ma peluche préférée qui dormait dans mes bras. Fini les réconciliations si faciles, un bisou et tout étaient repartis. Aujourd’hui, bien des choses ont changé, j’erre dans un monde où je ne trouve pas ma place. Un monde si compliqué à comprendre. Je ne peux accorder ma confiance sans connaitre la vraie personnalité des gens. Petit enfant grandit petit à petit sans que la vie ne lui accorde le moindre répit. Voilà une semaine que je sais que jamais je ne serai père, que jamais
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