Nostalgie champetre

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Françoise Dalmasso

Nostalgie champĂŞtre





Nostalgie champĂŞtre



Françoise Dalmasso

Nostalgie champĂŞtre



Mémoire

Des doigts nocturnes avaient crocheté une dentelle de givre sur les carreaux ; Et un douillet cocon neigeux s’était tissé tout autour des fermes du hameau ; Seul l’écho des croassements de freux venait rompre cette quiétude hivernale ; Dans une modeste chaumière, un feu de bois diffusait un halo de lumière pâle ; Tandis qu’une vieille dame drapée dans un châle noir, l’attisait avec un tisonnier ; Le geste était lent, comme le cours de sa vie, rythmé par les travaux saisonniers ; Son visage penché vers l’âtre, semblait chercher à saisir dans chaque flamme ; De vagues réminiscences ressurgies d’une époque lointaine, lorsque jeune femme ; Elle partageait ce toit, avec parents, frère, sœur, tous trop tôt et trop vite emportés ; Par des épidémies ou des guerres qui ont jalonné leurs existences tourmentées ; Malgré les épreuves, une joie de vivre se reflétait dans son beau regard lumineux ; Elle trottinait du lit alcôve à la table, de l’évier en pierre au buffet poussiéreux ; Escortée par ses inséparables et fidèles compagnons, deux bons chats de gouttière ; Cadencée par les sempiternels battements du balancier de l’horloge centenaire ; Toujours à petits pas, elle vérifiait le garde-manger qui lui assurait sa maigre pitance ; Ou surveillait sa provision de bûches, qu’elle économisait avec une grande prudence ; Sur le manteau de la cheminée, chandeliers en cuivre et pots en étain, ternis de suie ; Avaient depuis longtemps perdu éclat et brillance, au-dessus, un bouquet de buis ; Béni lors de fêtes votives, dont le rôle était de protéger toute la maisonnée ; Mais depuis, combien de Noëls écoulés, sans personne avec qui réveillonner… Parfois, elle lançait par la fenêtre de longs coups d’œil emplis d’illusions perdues ; Comme si elle guettait encore le retour inespéré d’un être cher, à jamais disparu ; Ou peut-être puisait-elle dans le spectacle que lui offrait cette immaculée blancheur ; L’apaisement, et la sérénité qui lui avait permis de conserver une certaine candeur ; Puis elle venait s’asseoir sur sa chaise paillée, ses mains usées par les ravaudages ; Se joignaient, alors elle racontait, l’hiver, les loups qui rôdaient à la lisière du village ; Grâce à sa mémoire, elle revivait les évènements qui avaient marqué sa jeunesse ; Le chemin de l’école, les sabots s’enfonçant dans la neige, la douceur de sa maîtresse ; Le vieux poêle en fonte qui ronflait dans la classe, l’encre violette, l’orange de Noël ; Les veillées qu’animait un conteur, les refrains en chœur, les danses au son de la vielle ; Le retour à la lueur du falot, le hululement des chevêches, les joues mordues par le froid ; Les soirées à griller les châtaignes, à fabriquer le pain, que le père signait d’une croix ; Après ce flot de paroles, l’esprit un peu brouillé, par un trop-plein d’émotion ; Elle finissait par se taire, la fatigue entraînant chez elle, une certaine confusion ; Elle raccompagnait ses hôtes jusqu’au seuil de sa porte, toute reconnaissante ; Dehors, des flocons drus tourbillonnaient, au gré des rafales incessantes ; Profitant de cet entrebâillement inopiné, s’engouffrait une langue d’air glacé ; La campagne bleuie sous l’effet du gel, ressemblait à un décor de conte de fées ; Alors, de nouveau seule, ses pensées la ramenaient aussitôt vers ses chers défunts ; Ceux qu’elle avait aimés, et qu’elle se préparait à rejoindre, au moment opportun…

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Les deux sœurs

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Au fond d’une allée, derrière le feuillage touffu d’un majestueux marronnier ; Se cachait une ancienne ferme en pierres apparentes, et son gracieux pigeonnier ; Les après-midi d’été, autour de la table de jardin, assises sur le banc moussu ; Abritées sous la ramure, deux sœurs, l’une maigrelette, l’autre plutôt joufflue ; S’activaient avec dextérité à écosser les petits pois frais de leur beau potager ; Elles cultivaient celui-ci amoureusement, passion qu’ensemble elles partageaient ; Véritable petit bijou, en dégradés de teintes, variétés d’espèces, tiré au cordeau ; Couvé, dorloté, surveillé avec autant d’attentions, qu’un bébé dans son berceau ; Elles s’étaient entourées d’un univers végétal, qui abondait en plantes et fleurs ; Et de toute une ménagerie, pour laquelle leur maison était celle du bonheur ; Chats, chiens, chèvres et poules, cohabitaient dans une joyeuse et bruyante pagaille ; Les fromages qu’elles fabriquaient, séchaient au milieu de fruits et autres victuailles ; Le lait tiré, patientait tranquillement dans le grès des jattes, en attendant la présure ; Démoulage et salage s’effectuaient sur la toile cirée de la table, sans plus de mesure ; Et ce petit monde se portait bien, si ce n’était la présence de puces sur les épidermes ! Un jour, la canicule nous retenant au frais, dans la salle au papier peint délavé et terne ; Elles sortirent de l’armoire, un album de photos jaunies, et parlèrent du bon vieux temps ; De leurs parents paysans, levés et couchés avec le soleil, qui avaient œuvré durement ; Des journées de fenaisons, sous les rayons de plomb, en compagnie de voisins et amis ; Venus prêter main-forte, la fatigue, l’odeur de foin frais, qui vous donnait le tournis ; Les meules se découpant dans la brume de chaleur, la piquette dans la cruche en terre ; Puis le bruit du fléau, avec lequel le grain était battu sur l’aire, la sueur, la poussière ; Ce fut lors de ces tâches estivales, que les sœurs rencontrèrent deux gentils garçons ; Travailleurs, qui se louaient dans les fermes, proposant leurs aides pour les moissons ; Leurs bonnes allures, et leur sérieux, avaient touché les sœurs en âge de se marier ; Les sourires sous les chapeaux de paille, leur gaieté, avaient conquis les saisonniers ; Et un brin de cour s’était ébauché, entre les jeunes gens, pendant les pauses du midi ; Lorsque râteaux et faux reposaient à l’ombre des gerbes, accordant un peu de répit ; Le soir, une grande table était dressée, la mère sortait ses belles nappes blanches ; Un copieux repas bien arrosé, honorait tous ceux qui avaient retroussé les manches ; Profitant d’un ciel étoilé, les deux amoureux avaient décidé de déclarer leur flamme ; Le vin aidant, l’esprit légèrement euphorique, ils firent leurs demandes à ces dames ; Mais les parents, qui surveillaient de loin les rendez-vous galants, derrière la charmille ; N’accueillirent pas la nouvelle avec le même enthousiasme débordant que leurs filles ; Et un refus autoritaire, à peine justifié, mit fin à l’idylle des tourtereaux éplorés ; Leurs descendances étant de bons partis, ils aspiraient à des gendres plus fortunés… Les sœurs, avec le temps se résignèrent à attendre la venue d’autres prétendants ; Ceux-ci tardèrent à se manifester, aussi, les années passant, les parents décédant ; Elles se retrouvèrent trop âgées pour penser à se marier, perdirent leur élégance ; S’accommodèrent de leur sort, tout en gardant joie de vivre, entrain et exubérance…


Solitude

Un silence absolu, régnait en maître sur les toits d’albâtre du hameau en cette journée ; À l’intérieur de la maison engourdie, des mains disposaient des brindilles dans la cheminée ; Afin de ranimer les cendres, les flammes entamaient alors leurs danses de sorcières ; Le plancher en craquait de plaisir, et le chaudron se balançait au bout de la crémaillère ; Sur la table de ferme en bois massif, une cafetière émaillée aux motifs fleuris ; Répandait dans la salle ses effluves exotiques, incitant aux voyages et à la rêverie ; Mais derrière le mur crépi, des sabots trépignant d’impatience, vous ramenaient à la réalité ; Des cabochardes, des câlines, des grimpeuses et des sauteuses, avec leurs défauts et qualités ; Attendaient le grincement du loquet, pour attaquer un concert au style plutôt chevrotant ; Qui prenait fin à mesure que les flancs du râtelier se remplissaient de foin odorant ; Un bruit reposant de mandibules ruminantes, ramenait la paix dans la chèvrerie ; Par moment, des bourrasques assénaient contre la porte vétuste, des coups avec furie ; Et pendant que la tempête grossissait les congères de neige sur les bords des chemins ; Le souffle chaud des bêtes, l’éclairage tamisé de l’étable, dégageaient un climat serein ; Profitant de ce moment d’accalmie, les bottillons retrouvaient leur place auprès du foyer ; Là, des doigts démêlaient les fils au toucher soyeux et aux couleurs chatoyantes du panier ; Dont les pelotes, grâce à la magie des mailles, se changeaient en pulls rustiques et moelleux.. Ainsi, enveloppées de leur tiédeur, les épaules pouvaient enfin affronter l’hiver rigoureux ; Parfois, l’esprit tellement occupé à compter les points jacquard, norvégien ou irlandais ; Oubliait de retirer les pieds, dont les bouts proches de la braise, doucement roussissaient ; En face, une voix assez bourrue signalait la présence du voisin et de ses vaches laitières ; À qui il demandait de se pousser, pour répandre avec sa fourche, la paille de la litière ; Cette séance se terminait souvent par un brin de causette, au coin du feu devant un petit canon ; Il tombait la veste, se roulait une cigarette, et laissait parfois parler son cœur, l’ami Gaston ; Marquant un temps d’hésitation, un peu par pudeur, il se rappelait des bals d’avant-guerre ; Ou, l’ouvrage terminé, il se rendait avec la bonne amie, qu’il avait choisie comme cavalière ; Leur vie, ils l’avaient imaginée ensemble, envisageant épousailles, enfants, et labeur ; Après une pause, le ton devenait grave, les mains plus nerveuses, les yeux moins rieurs ; Lui, se voyait déjà travailler à la sueur de son front, les lopins laissés par son défunt père ; Elle, s’était déjà employée à broder le trousseau qui serait venu garnir la bonnetière ; Lorsqu’un jour de moissons, le tocsin s’était mis à sonner plus fort et plus longtemps ; Pas de fumée à l’horizon laissant craindre un incendie, ni le décès d’un éventuel habitant ; Mais un tourbillon de folie meurtrière, qui allait venir aspirer des hommes à la fleur de l’âge ; Et les plonger dans un cauchemar, dont ils ne se réveilleraient qu’après des années de carnage, Pour en sortir diminués, fragilisés, cassés ; combien de destins brisés, de rêves évanouis… Et aujourd’hui encore, le sifflement des bombes, les visions d’horreur qui revenaient les nuits ; Gaston avait échappé au massacre, seule sa jambe était restée là-bas, dans une tranchée ; Après toutes ces années d’absence, les bras d’un autre étaient venus consoler la jolie fiancée ; Lui, n’avait jamais pu effacer le souvenir de sa belle, et avait continué sa route en solitaire ; Partageant sa vie, avec son compagnon de toujours, célibataire endurci, son propre frère…

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