Nouvelocratie #1
la première édition de Nouvelocratie, concours de nouvelles, a permis à vingt-cinq auteurs d'être déjà lus par presque quatre mille lecteurs en un mois. aujourd'hui, les douze nouvelles lauréates, ayant reçu le plus de votes des internautes, sont réunies dans ce recueil.
la Nuit du millepertuis par Mireille Bergès
le soleil vient de se lever. une aube glauque et poisseuse. un matin de fin du monde. elle le sait. elle le sent. elle ouvre les volets d’un geste brusque, comme si cela devait conjurer le sort. claquement sec contre la façade. elle s’attarde, regarde loin vers la mer, petit bout d’azur qui la mettait en joie, avant… vue sur la mer ! se plaisait-elle à dire fièrement à ses visiteurs après leur avoir montré le deux-pièces cuisine démodé situé tout en haut de la vieille ville. une brume grisâtre s’étend sur l’immensité pâle et luisante comme l’acier. son regard s’égare. elle cherche à aspirer une goulée d’air, se rafraîchir. comme pour se laver les poumons. 7
Mireille Bergès
une quinte de toux la plie en deux. Je fume trop, pense-t-elle. D’un autre côté, si l’air était moins pollué, je tousserais moins. il fait trop chaud, déjà. la transpiration colle ses cheveux à son front et ruisselle entre ses seins. elle se sent sale. Foutue. le jour vient de se lever et elle sent déjà que ce sera une journée pourrie. Hier encore, la lune ronde et dorée comme un œil de chat brillait haut dans le ciel. l’odeur d’anisette flottait dans la rue. à la terrasse de chez greg, des filles aux bras nus riaient fort. les petits gars les mataient en se poussant du coude. les plus vieux, nostalgiques, pensaient à leurs vingt ans et aux petits farcis certainement délicieux qui les attendaient à la maison. ils se demandaient s’ils avaient gagné au change. en doutaient tout à coup… elle, riait comme les autres. elle savait que jamais, elle ne cuisinerait de petits farcis. comme les mecs, elle matait. elle attendait son héros. celui qui l’emmènerait loin de cette ville minable et lui donnerait des ailes… elle l’attendait tous les soirs, ici ou ailleurs, depuis son arrivée en ville. il n’était jamais passé. la nuit était venue en catimini, colorant d’abord l’horizon de jaune orangé, de carmin puis de violet. Hier… 8
la Nuit Du Millepertuis
elle n’a pas bougé de la fenêtre et frissonne. N’en finit pas de se réveiller, de sortir de la nuit comme à reculons. ses yeux se voilent. la nuit, tout est possible. la nuit, elle revit. ce petit matin incolore lui fout le cafard. c’est le 24 juin. le solstice est passé, la fête de la musique aussi… elle a erré en ville, de point de rencontre en point de rencontre, de verre en verre, de bises-comment tu vas ? à d’autres bises-comment tu vas ?, de faux amis en faux amis… cette nuit-là, elle ressent plus fort la dureté de la ville, miroir aux alouettes, fausse, décevante… et voilà qu’elle se réveille dans la touffeur estivale avec le blues des matins chagrins. cette nuit, ce sera la saint-Jean. Nuit magique. elle en attend tant ! Depuis qu’elle vit ici, son espoir est plus vif encore, presque douloureux. il n’a jamais été satisfait. têtue, elle persiste. elle attend. chaque année. Depuis si longtemps déjà… elle se souvient des 24 juin chez sa mémé à la campagne. si lointaine. toute proche pourtant. la chaleur, déjà. la journée au jardin, l’odeur des tomates et des fraises de plus en plus forte
9
pour lire la suite de cette nouvelle, souscrivez au recueil...
les Bannis par cHloé cHateau
ils attendaient, anxieux, les nouvelles valeurs qui devaient apparaître sur le tableau d’affichage. Hommes, femmes, enfants, jeunes, vieux, ils étaient tous concernés. ceux qui n’avaient pas pu se déplacer étaient vissés à leur canapé, les yeux rivés sur la télé. les bannis aussi, qui avaient déjà si peu de chances de voir leur sort s’améliorer. gabriel était dans la foule qui fixait le tableau. gabriel était bâti comme une statue grecque, mais son visage ne faisait vraiment pas honneur à son corps parfait. l’ironie du sort, comme il aimait à le faire remarquer. gabriel était aussi anxieux que la foule qui l’entourait, et il avait des raisons de l’être. 11
cHloé cHateau
il y avait eu des signes avant-coureurs. les couvertures des magazines laissaient présager une baisse des valeurs et les riches avaient investi dans des valeurs sûres. Bien sûr, la presse française était muselée. Mais tous les Jt de la planète ne parlaient que de ça : paris allait-elle oser faire chuter sa bourse, alors que la France affichait déjà les valeurs les plus basses au monde ? cela semblait inconcevable, et pourtant, tout semblait indiquer qu’on en était là. en 2012, Jarcomy avait été réélu. obsédé par son régime, et manipulé par sa femme anorexique, un ancien top model qui ne supportait pas que des jeunes l’aient supplantée sur les podiums, le président avait fait passer une loi pénalisant les iMc trop élevés. c’était tombé sur les Français en plein mois d’août, comme toutes les réformes auxquelles le peuple va forcément s’opposer. sauf que les Français n’avaient rien vu venir, occupés qu’ils étaient à planifier leurs vacances exceptionnelles, grâce à la toute première mesure du deuxième mandat de Jarcomy : une allocation de découverte du monde, attribuée à chaque famille qui en faisait la demande, à condition qu’elle soit utilisée pour partir à 12
les BaNNis
l’étranger. Des familles entières qui ne s’étaient pas réunies depuis des mois, voire plus, s’étaient retrouvées… en thaïlande, au Maroc, en égypte, au Brésil. et pendant ce temps, la loi iMc était passée sans que le peuple ronronnant y prête attention. le principe de cette loi était simple : quiconque dépassait 24 d’iMc se voyait retirer le droit de s’habiller correctement. les huissiers venaient frapper à leur porte, saisissaient tous leurs vêtements (à l’exception des sous-vêtements) et leur donnaient en échange une « burka de la honte ». ce dernier point était le plus important, la burka ayant été interdite dans les espaces publics en France l’année précédente. les gros (le terme avait été remis au goût du jour, à condition de le prononcer avec un air répugné), se trouvaient de fait bannis. car faute de pouvoir sortir de chez eux, ils ne pouvaient voir leurs amis ou leur famille, ni aller faire leurs courses et encore moins se déplacer pour voter. Heureusement, pour les courses, il y avait les livraisons à domicile. pour le reste, c’était plus gênant.
13
pour lire la suite de cette nouvelle, souscrivez au recueil...
communication par DouceliNe
il était là devant elle, froid et inanimé. elle l’avait posé sur la table et le regardait intensément. il était banal, couleur argent sans aucune fioriture. ce n’est pas elle qui l’avait choisi. elle avait simplement dit qu’elle le voulait le plus sobre possible et facile à utiliser. elle n’attendait de lui qu’une chose : qu’il fasse simplement ce pour quoi il avait été conçu ni plus ni moins. ils se livraient bataille par intermittence mais aujourd’hui le combat promettait d’être rude. elle s’était juré de ne pas l’utiliser et pour en être sûre l’avait enfermé dans le tiroir de la table de nuit. elle avait claqué la porte de sa chambre 15
DouceliNe
et était partie honorer le rendez-vous hebdomadaire avec son aspirateur, son chiffon à poussière, l’eau de javel et les éponges à récurer… elle y mettait tout son cœur et se mouvait avec ardeur. elle aimait particulièrement ces lendemains de fête où tout était en désordre et où la serpillère javellisée prenait tout son sens. les chaises étaient remontées sur la table, les tapis secoués, les coussins redisposés harmonieusement sur le canapé, les tableaux époussetés… tout était enfin propre et rangé. cela valait un coup d’œil appuyé car ça ne durait jamais bien longtemps. il faut dire qu’elle n’était pas maniaque et qu’une maison qui vit est forcément en désordre. un peu comme son esprit d’ailleurs. lui aussi était souvent en désordre. elle avait bien essayé de le nettoyer, de le javelliser en allant la piscine, de le secouer pour remettre les neurones en place, d’aspirer les éléments perturbateurs mais là aussi, tout comme dans son salon, rien ne durait et le chaos reprenait toute sa place. un peu de jardinage la tiendrait loin de la maison et du fatidique tiroir. elle s’acharna donc sur les herbes hautes du jardin et découvrit 16
coMMuNicatioN
avec délice que les dernières pluies abondantes en détrempant le sol rendaient aussi l’arrachage plus facile. l’odeur de la terre mouillée était enivrante. elle adorait ça. elle arrachait les herbes comme elle aurait tapé sur un punching-ball histoire de canaliser un agacement croissant. la terre imprégnait ses doigts et se glissait sous ses ongles. elle en savourait le toucher gluant. la transpiration commençait à poindre et elle aimait cette odeur mélangée à celle de la terre. cela lui rappelait son père, ce travailleur immigré aux doigts tordus par les rhumatismes qui avait sué sang et eau toute sa vie durant. l’heure du thé approcha enfin. elle nettoya consciencieusement ses mains et fit chauffer l’eau. la journée tirait à sa fin. elle avait été bien remplie et l’heure du repos sonnait enfin. elle s’assit dans la cuisine, le bol de thé fumant devant elle. elle laissa son esprit divaguer et celui-ci la ramena vers l’objet insolite, froid et inanimé qui gisait au fond du tiroir. il était gris comme la mort. une envie impérieuse la saisit alors. il fallait qu’elle sache, là tout de suite. il fallait qu’elle sache. 17
pour lire la suite de cette nouvelle, souscrivez au recueil...
roby endormi par gaBriel Dupuis
« J’ai discuté avec le marchand de sable et il m’a confié après être passé chez toi que jamais il n’avait eu plus belle femme à bercer les nuits. Ma nuit passe en pensant à toi. » roby avait longtemps hésité avant d’envoyer son texto. compte tenu de son âge il lui avait fallu un temps déraisonnable pour l’écrire avec son portable. lorsqu’il appuyait sur une touche son doigt couvrait la surface de deux. il avait surtout pris conscience que la teneur romantique de son message lui apparaissait inadaptée à l’égard du moyen moderne employé. Décidément le rendu digital n’avait pas le même effet que le rendu papier. Mais à 84 ans révolus roby 19
gaBriel Dupuis
savait qu’il fallait mieux suivre ses élans de cœur que d’appréhender l’exécrable qu’en-dira-t-on. il n’avait pas dormi de la nuit mais n’en souffrait pas le moins du monde. il avait même envisagé de se promener avant finalement d’y renoncer. D’habitude il adorait flâner par les rues tard le soir, en quête de tout ce qui pouvait assouvir sa curiosité de commère. il avait toujours aimé observer la jeunesse dans ses déboires. aussi s’amusait-il souvent à se moquer intérieurement de ceux qui riaient de lui, de le voir à son âge déambuler paisiblement les rues à plus de minuit, de le croiser tout sourire comme inconscient de son état, perché dans ses dérèglements, le croyant égaré tel un vieillard qui irait chercher le pain s’imaginant être le matin. et même s’il lui arrivait parfois de faire de bonnes rencontres, en général il dupait les qui passaient à côté de lui en se faisant gentiment passer pour un fou sénile, naïf des écueils de la faune nocturne, ne l’était pas, jouait la comédie de l’être. tout bien réfléchi, au lieu de profiter des attraits d’une balade dans lyon salutaire à son jeu théâtral il avait préféré passer la nuit à se rappeler sa vie passée en restant au calme à l’appartement. ses 20
roBy eNDorMi
doutes persistants sur l’épineuse question de l’envoi du texto l’avaient maintenu dans état d’enlisement tel que plusieurs heures avaient passé. il se savait coupable et ridicule de tergiverser autant sur une situation pareille, mais l’émoi qu’il éprouva à retrouver l’âge adolescent provoquait chez lui le délassement tant recherché par ceux qui comptent de nombreux printemps. sa longue hésitation sur un problème aussi futile avait paradoxalement rendu sa nuit plus courte. Quatre heures du matin avaient sonné. il lui fallait mettre un terme à ce trop long débat avec lui-même. pour s’extraire de ce marasme, alors qu’il se trouvait seul allongé sur le canapé, il appuya sur la touche ‘envoi’ de son téléphone en feignant le geste accidentel. ainsi donc il finit par se détacher de son portable, et comme si la situation sclérosée dont il venait de s’extirper avait anticipé son désir, il se servit un verre de vin sucré. l’amour que roby avait pour le bon vin les unissait ensemble de corps et d’esprit. comme l’essence pour une voiture ou le bois pour un feu, l’alcool constituait pour lui un combustible.
21
pour lire la suite de cette nouvelle, souscrivez au recueil...
à l’ombre au Nord il y a la mer par FraNcis HasseN
Je suis couché sur mon lit au milieu du monde, dans la chambre froide avec la fenêtre ouverte. ils sont quelques-uns à avoir fait le déplacement pour venir me voir mourir. Deux par deux, ils se relayent pour s’approcher du lit ; le reste d’entre eux garde une distance appropriée, ni trop vexante ni trop odieuse. il y a solène, mon épouse, et mes deux filles, phaetusa et lampétié. elles sont encore jeunes, elles ne comprennent pas, alors elles pleurent beaucoup. les autres autour ne parlent pas ou très peu, et seulement pour dire de petites choses. Des petites choses utiles, qu’ils prononcent avec un ton à peine au-dessus du chuchotement. comme 23
FraNcis HasseN
il est difficile de tenir cet exercice, leur voix, qui veut se rendre audible sursaute puis, reprenant conscience de la circonstance, comme rétrograde au sous-régime forcé. tout ce petit monde chuchote pour moi. c’est attentionné ! Mais moi je ne suis déjà presque plus là. Je n’arrive déjà plus à bouger aucun membre si ce n’est mes paupières. à demi baissées, elles me laissent encore le loisir de voir mon petit cirque de fin du monde. les gens, le gros téléviseur panasonic qui a été éteint pour l’occasion, mes pieds cornus, mes genoux cagneux et mon gros bide. sentant ma fin prochaine, les infirmières ont conseillé à ma femme de m’habiller convenablement pour « partir ». c’est le mot qu’elles ont utilisé « partir ». Je l’ai entendu celui-là et il m’a fait un drôle d’effet. Je me suis d’abord mis en colère et finalement me suis rangé à l’évidente justesse du mot. sa douceur me facilitait la tâche je crois. Mais pour le costume qu’elles m’avaient enfilé, je n’étais qu’à moitié d’accord. Qu’est-ce que ça pouvait bien leur foutre que je traverse le styx en slip ou en trois-pièces ? Hof, je n’étais plus en mesure de me défendre de quoi que ce soit de toute façon. 24
à l’oMBre au
NorD il y a la Mer
conscient par vagues successives, je prenais à cœur de repérer à chacun de ces réveils les mille différences qui avaient changé la pièce. la quantité d’eau du vase en flûte, que fleurissaient deux lys blancs, tantôt fanés, tantôt miraculeusement ressuscités. les plis des épais rideaux rouge cardinal que je maudissais souvent pour ne rien laisser transparaître des nuits que je ne dormais pas. la position des fauteuils, qui trahissaient le passage de mes visiteurs – du moins était-ce ce que j’aimais penser – ou bien simplement le zèle des infirmières qui venaient s’occuper de moi. Mille détails du réel que j’habitais chaque jour sans qu’il ne me soit jamais donné la liberté de les saisir à pleine main. Mais entre tous, celui qui me fascinait le plus était sans doute un pli du drap qui se dressait près de mon entrejambe. Non que cela ne me dérangeât plus qu’autre chose, mais il se formait invariablement, entre la couille et l’aine, comme les arêtes d’une montagne. oh pas bien grosse ! Haute de quelques bons centimètres ! un de ses flans grimpait en pente rude pour se terminer sur un petit col…
25
pour lire la suite de cette nouvelle, souscrivez au recueil...
les institutrices par patricia HoNNet
il y avait au village, deux très vieilles institutrices. Nul ne se rappelait d’elles en tant qu’institutrices mais tout le monde les connaissait sous ce nom. D’ailleurs, on a donné leur nom à la rue où elles habitaient : la rue des institutrices. sûr qu’un jour elles avaient été jeunes et peutêtre belles mais pour l’heure elles étaient vieilles, méchantes, habillées de sacs et vivaient percluses loin du village et de la populace qui avait si mal intégré leur enseignement. cependant chaque week-end, arrivait de la ville une famille qui possédait une terre non loin de la leur et chaque week-end, au bonheur de 27
patricia HoNNet
se retrouver à la campagne se mêlait l’inconvénient majeur d’avoir de si mauvaises voisines. si l’homme travaillait la terre, il trouvait sur les hauteurs l’une des hideuses pour l’espionner. Qu’il cherche à nouer conversation et c’était des crachats qu’il recevait pour toute réponse. si la femme se reposait au soleil, elle ne tardait pas à entendre dans son dos des réflexions acerbes de vieille sorcière. Que n’auraient-elles colporté si elles avaient eu de l’audience ! Heureusement, personne ne faisait plus attention à elles et leurs menaces de punition n’effrayaient plus que les corbeaux. or la méchanceté quand elle fonctionne à vide, se retourne toujours contre celui qui l’exerce. c’est ce que la fin de cette histoire va nous montrer. un dimanche que notre couple de la ville se réveillait, l’homme s’étirant à sa fenêtre interrompit brusquement son geste : – oh ! Ma qu’es aco ? – Qu’est-ce qui t’arrive ? – eh ben regarde un peu… la vigne ! – Quoi la vigne ? – tu ne trouves pas qu’elle a baissé ? 28
les iNstirutrices
– Baissé ?! – oui, la vigne a baissé. – oh toi c’est ta vue qui baisse, et c’est toi dans ton entier. – Mais arrête ce n’est pas le moment de te moquer de moi, je te dis que la vigne a baissé. viens voir un peu. – pécaïre ! Mais tu n’as pas tort. on dirait bien que la vigne est tombée. ils descendirent en pyjama sur leur terre. l’homme attrapa un premier cep qui lui resta dans la main. il en prit un deuxième qui vint tout aussi bien. le troisième était aussi preste à se détacher et le quatrième avait été – à n’en pas douter – coupé net. tous les ceps de vigne avaient été sectionnés consciencieusement à la scie. et qui pouvait avoir commis un tel forfait si ce n’était la plus jeune des deux institutrices. encore alerte pour son âge, elle avait passé toute la nuit à rabattre court les deux milles pieds de vigne de ses voisins.
29
pour lire la suite de cette nouvelle, souscrivez au recueil...
c’est pas faux par K-rol
un rayon de soleil vient me chatouiller à travers les volets : tendre réveil, odeur de café. c’est mon anniversaire ! les enfants sont en transe. ils entrent comme des funambules avec un énorme plateau en guise de balancier. le numéro est périlleux. Je retiens mon souffle. plus que trois pas pour arriver jusqu’au lit. Deux… un… et là, c’est le drame ! en un dixième de seconde, tout bascule : le bol, son contenu ; les tartines chutent inévitablement sur leur face beurrée, la fleur s’envole, plane légèrement puis s’échoue sur le lit rendant un dernier et vibrant hommage à ce petit déjeuner foiré. 31
K-roll
Je récupère in extrémis le dessin avant qu’il ne se teinte couleur café et ne se sale aux larmes. Je console. on s’embrasse. on se câline… et puis il est l’heure : malgré l’enthousiasme général, cette journée n’est pas fête nationale. et encore moins chômée. J’attrape mon jean, mon pull, je m’habille devant le miroir ; me retourne, des fois que mon cul se serait enfui dans la nuit ; Mais non, il est là, bien en place, rassurant ! puis j’entame un face à face avec les marques du temps sur mon visage. il y a 20 ans, ces rides n’y étaient pas. il y’a 20 ans, elles n’avaient d’ailleurs aucune raison d’y être. il y a 20 ans…Je n’avais que 15 ans ! 15 ans, et un pari idiot, un pacte stupide conclu avec une copine, que dis-je une copine ? une amie ! Ma meilleure amie ! comment s’appelait-elle déjà ? Bah je ne me souviens pas ! Je revois seulement une figure plutôt joviale : c’était une fille magique, légèrement perchée et avec de grandes idées. De très grandes idées !!! Dont ce pacte. Moi ? J’étais du genre « chiche », et « je crains “dégun”». Ma mission, celle que j’avais acceptée 32
c’est pas Faux
en me marrant, consistait à lister 15 raisons, raisons valables, de ne pas mettre fin à ma courte existence avant minuit. sans quoi je m’autodétruirais…par overdose de citrouille peut-être ? Façon on ne peut plus originale de fêter son anniversaire ou bêtise à son sommet ? J’hésite encore ! Ça va ! Je ne prenais pas non plus un risque énorme ! 15 raisons de vivre à 15 ans, c’est un véritable et authentique jeu d’enfant. en un quart d’heure le défi fut torché, l’ennui du bonheur non mesuré trompé ; j’échappais, trop facile, au « game over » brandissant ma virtuelle et adolescente invincibilité, le score carrément explosé grâce à des bonus existentiels comme « le regard de guillaume », l’absence du prof de maths et évidemment le monde qui n’attendait que moi pour être changé en équitable et harmonieux ! guillaume ! « guillaume a 16 ans. » « guillaume poète. » « guillaume musicien. » « guillaume et sa gabardine noire. » « guillaume à la plage. » « guillaume aux sports d’hiver. » « guillaume en classe. » « guillaume et ses amis. »
33
pour lire la suite de cette nouvelle, souscrivez au recueil...
un chacal, des chacaux par caMille leloup
Histoire dont vous êtes le héros. vous connaissez le principe ? un dé, un crayon et une gomme sont les seuls accessoires dont vous aurez besoin pour vivre cette aventure. vous seul décidez de la route à suivre, des risques à courir et des créatures à combattre. alors, bonne chance… 1. vous ouvrez les yeux, vous êtes dans votre antre, une lumière diffuse vous fait cligner des paupières et une odeur faisandée vous fait tordre le nez. vous entendez au loin le pioupiou des oiseaux. Quelles bribes de la bataille d’hier vous reviennent en mémoire, quelle tuerie, ce n’était pas beau à voir ! testez votre chance et jetez le dé : si vous faites entre 1 et 3 rendez-vous au 35
caMille leloup
paragraphe 2. si vous faites entre 4 et 6 rendezvous au paragraphe 3. 2. pas de chance, vous n’avez pas entendu votre réveil sonner. vous ne vous souvenez pas entièrement de la soirée d’hier et heureusement pour vous. vous avez une haleine de chacal, d’où le titre ! et vous sentez vos cheveux pousser à l’intérieur de votre tête. la journée commence mal, vous êtes en retard pour aller bosser. si vous décidez de prendre une douche tgv (douche à grande vitesse !) et de partir rapidement au boulot, courez au paragraphe 4, vous prendrez votre café là bas. si au contraire, en retard pour en retard, vous décidez de boire un grand café au lait dans un bain relaxant à base d’huile essentielle d’amande douce pour arriver présentable au boulot, allez au paragraphe 5. 3. le réveil résonne encore entre vos oreilles, ouille, vous vous levez avec un léger mal de ‘bu’. vous vous souvenez avoir fait une fête d’enfer hier au perroquet bourré, d’avoir un peu trop bu et surtout de vous être battus ! vous décidez de partir au boulot en vélo’v pour vous remettre la tête à l’endroit. pédalez jusqu’au chapitre 4. 36
uN cHacal, Des cHacaux
4. vous avez eu raison de partir rapidement, il y a du monde sur la route. l’air frais vous secoue les neurones et vous vous souvenez d’un coup de votre réunion super importante en début d’aprèm, que vous n’avez d’ailleurs pas totalement fini de préparer. arrivez au bureau, prenez d’une main un café serré, de l’autre une aspirine, sous le bras, votre dossier, calé sous l’oreille votre téléphone et rejoignez la photocopieuse au chapitre 6. 5. www.vie de merde.com, vous avez renversé le café, brulé la langue, pris une douche écossaise (chaud, froid, puis re-chaud et finalement re-froid…) vous tombez : dans les embouteillages et en panne, finissez en vélo’v, mouillez votre chemise et prenez froid. arrivez à destination et tombez nez à nez avec votre boss qui vous sermonne méchamment et vous rappelle la réunion super importante de tout à l’heure. « Bip de bip de réunion de bip, fait bip, bip !!! » et bien sûr, vous n’êtes pas prêt. courez à la photocopieuse au chapitre 6. 6. la photocopieuse vous regarde d’un mauvais œil. vous engagez le combat. vous disposez de 12 points de vie, la photocopieuse aussi. . 37
pour lire la suite de cette nouvelle, souscrivez au recueil...
Quand les choses ont-elles commencé à aller mal ? par FréDériQue Maërl
« Je les entends encore. les cris, les gémissements, la foule qui faisait comme un grondement lointain avec, de temps en temps, une exclamation qui perçait mes tympans. Ça me réveille plus la nuit, mais ça m’empêche parfois de dormir. oui, je prends toujours les cachets. Je suis obligée, maman, tu sais bien. oui, je mange bien. Je dors mal, mais je mange bien. tu trouves ? Je sais pas si j’ai grossi ou pas… Je m’en fous, de toute façon. Non, je te parle pas mal, maman. c’est juste pour te dire. » chaque fois que ma mère vient me voir, j’y vais en me disant que cette fois, je vais lui raconter… et chaque fois, je réalise qu’elle ne pourrait pas 39
FréDériQue Maërl
encaisser. plus ça va, moins on parle la même langue. c’est pire que ça, on peut bien regarder dans la même direction tant qu’on veut, on voit pas la même chose. Je peux lui dire que j’entends encore les bruits et parfois éveillée. souvent éveillée, en fait. c’était quelque chose de traumatisant, c’est normal d’être marquée, de revivre le truc. Mais je peux pas lui dire où j’en suis par rapport à tout ça, ce que j’en pense. Je peux pas. Je me souviens que j’avais peur, que je voulais qu’il vive, qu’il s’en sorte. Je voulais juste aller à ce concert et puis… à quel moment les choses ont-elles commencé à aller mal ? Je voulais juste aller à ce concert et je m’étais retrouvée ceinturée par des gens, puis entre deux flics, sans comprendre ce qui se passait. J’espérais juste qu’il était pas mort, qu’il allait pas mourir. J’avais encore l’espoir de le voir debout devant moi, me parler comme il l’avait fait juste avant, que tout soit normal. Je voulais rentrer chez moi. Je voulais être jamais sortie. les flics me regardaient bizarrement. J’étais tellement choquée que que je savais pas que 40
QuaND les cHoses oNt-elles coMMeNcé à aller Mal ?
j’avais du sang sur moi. Je l’ai vu qu’à l’intérieur du commissariat. il faisait nuit, les fenêtres étaient des miroirs sombres et moi, j’avais le visage si pâle. et le sang faisait des taches noires sur ma robe verte. on aurait dit que j’avais été poignardée. il y avait deux policiers dans le bureau avec moi. et plein d’autres qui sont passés, qui ont regardé sans rien dire avant de ressortir ou qui ont murmuré des trucs à ceux qui prenaient ma déposition. c’est comme ça que j’ai appris qu’il était mort. celui qui est entré pour annoncer ça m’a pas regardée. Ça faisait un moment qu’ils me posaient des questions et je répondais. ils disaient souvent « et après ça ? et après ça ? » et aussi « Mais pourquoi ? Mais pourquoi ? » Moi non plus, à ce moment-là, je comprenais pas bien pourquoi. J’étais épouvantée de ce que j’avais fait. Même pas six heures avant, j’étais une étudiante tranquille, je m’habillais pour aller à un concert. Je me souviens que je m’étais faite jolie, tout en essayant de pas « en faire trop » pour pas me faire emmerder, sachant que j’allais rentrer au milieu de la nuit. Ma vie avait basculé, comme on dit. 41
pour lire la suite de cette nouvelle, souscrivez au recueil...
Fuckw par BerNie palMer
au six cent soixante-cinquième et dernier étage du stateless global Building, le conseil suprême de la First universal company – Killers of the World (FucKW) est réuni autour d’une table en or massif sertie de treize diamants bruts gros comme des têtes de babouins. confortablement calés dans des fauteuils incrustés d’or, d’argent et de pierres précieuses, les douze membres de la direction regardent, avec une admiration absolue et néanmoins assassine, le président du conseil, chef de la direction et président-directeur général, Will Bill Billions, qui va bientôt leur annoncer les plus récents résultats financiers. 43
BerNie palMer
Will Bill Billions, le nabot vérolé, qui se surnomme lui-même l’air bête de la Bête dans ses moments d’inspiration, se lève au bout de la table et entame son discours d’une voix de magnétiseur de foire qui se serait autohypnotisé dans le miroir en s’épilant les poils du nez. – chers amis, je suis ravi de vous annoncer que nos résultats financiers et d’exploitation de la dernière semaine dépassent nos espérances les plus folles, et que nous continuons de voguer d’un sommet historique vers une nouvelle cime encore plus vertigineuse… il s’arrête un instant, jette un coup d’œil sur les membres du conseil qui siègent à sa gauche, puis il continue son laïus. – Nos stocks d’or, d’argent et de diamants atteignent plus de 98 % de la réserve mondiale. Nous contrôlons maintenant plus de 97,6 % des entreprises qui s’affairent sur les sept continents. Nos installations situées sur la lune et sur Mars nous donnent un accès illimité aux trente-trois dimensions de l’univers. Nous avons entrepris la terrification de deux exoplanètes et nous devrions amorcer des travaux similaires sur deux autres planètes très 44
FucKW
prometteuses et semblables à la terre, au cours du prochain trimestre. Will Bill jubile. il se tourne vers son perroquet, george, qui assiste toujours aux réunions du conseil, installé sur son perchoir en argent massif garni de rubis, et il lui susurre : « la terre est un tremplin de jeu, mon coco. » Will Bill ricane avec son perroquet pendant quelques instants, puis il redevient sérieux. le perroquet continue de rire et de proférer les obscénités habituelles qui pimentent son vocabulaire. Will Bill reprend le fil de sa présentation. – plus de 99 % des consommateurs potentiels de l’univers tel que nous le concevons, c’est-àdire là où nous détenons des intérêts, vouent une fidélité exclusive à nos marques, en l’absence, il est vrai, de toute forme de concurrence. Nous nous apprêtons d’ailleurs à éliminer ce mot des dictionnaires et nous prévoyons mener à bonne fin ces mesures de correction dans les plus brefs délais. les douze larrons de la direction applaudissent leur président à s’en rompre les phalanges durant de longues minutes.
45
pour lire la suite de cette nouvelle, souscrivez au recueil...
i go to Buffalo par JeaN-Marc perroN
Quand tu travailles comme camionneur, il faut que tu t’attendes à tout ou presque. Mais quand même, il y a toujours une limite à se faire chier. Ben moi, je crois bien avoir franchi cette dite limite. Depuis peu, je travaille pour une agence de placement. Je fais de la livraison de fruits et de légumes à temps partiel, en ville à Montréal. « pas trop payant comme job. » Quand j’ai fait savoir à mon répartiteur que j’avais un besoin urgent de travailler plus régulièrement, j’ai eu droit à toute une réponse. pas de problème, j’ai ce qu’il te faut, tu vas aller 47
JeaN-Marc perroN
me livrer un voyage de papier au états-unis. tu pars ce soir, es-tu prêt ? aux états ? Je sais pas. J’ai jamais été là, moi, pis je parle pas en anglais, pis… parler l’anglais, pour quoi faire? pas besoin de parler à personne. Je te donne des bills avec ton voyage, tu présentes les bills quand tu arrives làbas et tu fais la même chose pour revenir; même un taré pourrait faire ça. Je suis pas vraiment convaincu, mais lui il à l’air très persuadé et il est très persuasif. Mon départ est prévu pour 17 heures. Jusqu’à lacolle, je me familiarise avec mon beau camion neuf. un vrai bijou. Kenworth conventionnel : moteur 425 cat transmission eaton Fuller 15 vitesses directes suspension à air cabine à air remorque à air 45 pieds une merveille quoi. Quand j’arrive aux douanes, j’ai subitement un léger doute. Ça me semble trop facile, trop simple. J’ai comme l’impression que mon répartiteur voulait juste se débarrasser de moi, pis de son foutu voyage aux u.s. 48
i go to BuFFalo
très rapidement, ça c’est quelque peu compliqué. Je dois remplir un formulaire dit : un « manifest », aller faire certifier le « manifest » chez le courtier en douane, revenir aux douanes, faire vérifier le certifié… pour moi, c’est beaucoup de tétage pour pas quand chose. Faire le yo-yo, moi, ça m’amuse pas du tout. on dirait qu’ils savent pas à quoi ça sert un « fax », eux autres. vingt minutes plus tard, je quitte les Douanes canadiennes pour faire cinq cents pieds. là, c’est les Douanes américaines. la première chose à faire : c’est de lui remettre les bills en espérant que cela soit suffisamment, suffisant pour faire son Bonheur. et non, c’est pas assez. J’aurais dû m’en douter : lui, c’est en anglais. le douanier se met à me poser question par-dessus question. Deux… trois… Ça finit pu. Moi, j’ai même pas eu le temps d’assimiler la première question. Je sais pas quoi répondre. Je n’étais pas préparé pour ce genre de stupidité. comme je réagis pas instantanément, lui, y s’impatiente très rapidement. là, sa face s’est même mise à changer de couleur…
49
pour lire la suite de cette nouvelle, souscrivez au recueil...
Mare Nostrum par leo rossa
le bateau franchissait les vagues les unes après les autres, laissant sur l’eau un long sillage d’écume. assis à la poupe, georges tenait la barre du moteur d’une main ferme. il se retournait souvent pour observer la traînée blanche, une longue veine ouverte, que la mer semblait peiner à refermer. cette trace était la seule preuve qu’ils faisaient route vers quelque part. tout autour n’était que la mer. au loin, quand le bateau montait sur une vague un peu plus haute que les autres, georges apercevait l’horizon. une mince ligne qui séparait la mer d’un immense ciel bleu. pas une terre en vue, pas un 51
leo rossa
navire, de l’eau, du ciel, une ligne qui les sépare, le soleil, et quelques humains, rien d’autre. pousser la barre pour infléchir le cap vers bâbord, tirer pour tribord. réduire les gaz quand le bateau descendait une vague, donner de la puissance quand il gravissait la suivante. georges avait acquis la dextérité nécessaire pour naviguer en haute mer. le soleil était bas maintenant, et la température chutait. le vent et les embruns augmentaient la sensation de froid. georges, en relevant le col de sa veste, eut la sensation de perdre quelque chose. à l’est était apparue la lune, et, au-dessus, quelques étoiles confirmaient l’arrivée imminente de la nuit. si le ciel se peuplait, la mer, elle, demeurait immensément vide. georges regardait la lune, presque pleine, et la remercia. sa faible lumière lui permettrait de continuer à distinguer le relief marin. réduire les gaz, les remettre, éviter les petits rouleaux qui, parfois, naissaient au sommet des vagues. l’homme consulta la boussole, puis vérifia que le gps, la carte et le téléphone satellite étaient à leur place. il sourit à la lune : finalement, tout 52
Mare NostruM
allait bien, et elle faisait briller de blanc tout ce qui devait être vu. Mais pas ce qui arriverait. c’est le car que Justine et léa avaient choisi pour rejoindre pozzallo. la climatisation les privait de l’air chaud de la sicile, mais le véhicule roulait vite sur une autoroute en bon état. elles seraient vite arrivées. les deux jeunes femmes regardaient le paysage ras qui montait rapidement, sur leur droite, en collines et, au loin, en montagnes. elles parlaient peu ; de temps en temps l’une ou l’autre prenait une photo à travers les vitres. le matin, elles avaient atterri à catane en provenance de paris. le dépaysement avait commencé lorsque par le hublot de l’avion elles avaient aperçu l’etna. le car s’arrêta dans la petite ville balnéaire de pozzallo dans le milieu de l’après-midi. l’hôtel, par chance, était juste à côté, bien situé, à quelques rues de la plage. elles avaient trouvé un très bon tarif low-cost pour l’avion, le car avait coûté moins que ce qu’indiquait leur guide du routard et l’hôtel, modeste, était d’un très bon rapport qualitéprix. 53
pour lire la suite de cette nouvelle, souscrivez au recueil...