Nouvelocratie 2

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Nouvelocratie #2



La seconde édition de Nouvelocratie, concours de nouvelles, a permis à cinquante-trois auteurs d’être lus par presque onze mille visteurs en un mois. Aujourd’hui les douze nouvelles lauréates, ayant recu le plus de votes des internautes, sont réunies dans ce recueil.



28 820 TTC par Jean-Claude Amilhat 9

La série noire continuait. Je venais de sortir de ma banque avec le sentiment désagréable de l’élève débusqué par son proviseur en train de crapoter dans les toilettes. La chargée de clientèle, une petite femme replète dont les mains boudinées, le nez busqué et les verres épais de ses lunettes faisaient ressembler à une taupe, m’avait sermonné durant près d’une heure sur ma désinvolture face à la situation financière préoccupante qui était la mienne. J’avais bien envie de rétorquer à ce mammifère fouisseur des misères pécuniaires


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des locataires de la surface terrestre que l’état de mes comptes pouvait être considéré comme resplendissant face au désastre qui gangrenait ma vie depuis presque six mois. De plus, ce qu’ignorait totalement la musaraigne des agios, c’était que sa morale à deux sous m’indifférait au plus haut point. Comment aurait-il pu en être autrement ? Mademoiselle Miro était-elle capable de comprendre qu’un type de mon acabit avait peu de chances de s’en sortir ? Comment l’archétype du mec dépourvu de talent et de tare, transparent comme la rosée, doué d’une interchangeabilité certifiée ISO 9000, qui travaillait sans brio, mais avec application comme vague commercial-comptable-livreur chez un fabricant d’épingles à linge en bois : pouvait-il honorer ses traites ? Pouvait-il anticiper qu’il serait viré suite à une faillite pour cause de désaffection de la ménagère au profit de l’épingle plastique espagnole  ? Par quelle recette providentielle Miss cul-de-bouteille s’imaginait qu’un individu insipide comme un fromage hollandais pouvait-il résorber le trou abyssal de son compte en banque


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dans l’attente d’un versement hypothétique de ses indemnités ? Et encore, fatigué de cette situation inconfortable et d’un naturel peu enclin à m’épancher sur ma vie personnelle, lui faisais-je grâce de la série de petits désagréments qui déferlaient en cascade régulière et drue sur le fil de ma pauvre existence. Devrais-je m’appesantir sur le fait que quelques semaines après mon licenciement, la conseillère de l’ANPE m’indiqua que mon employeur avait omis de cotiser pour l’ensemble de son personnel. Certes cela n’affectait pas l’économie internationale puisque les effectifs se résumaient au gérant, petit-fils du créateur, à trois travailleurs handicapés à l’atelier de production, plus une jeune secrétaire et à mon humble personne Mais quand même. Aurais-je dû prévenir que n’ayant souscrit aucune assurance-chômage, j’allais être bientôt dessaisi de mon appartement ? Aurait-il été souhaitable de préciser que suite à quelques autres « mésaventures », comme l’annulation d’une semaine de vacances au Club Med,

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Découpage par Janette Ananos 19

Cette robe de laine marron dont on l’avait affublée, qui avait été donnée à sa mère, qui avait donc appartenu à quelqu’un d’autre et qui avait été portée par quelqu’un d’autre avant elle, cette robe lui déplaisait profondément. Pourquoi les gens qui donnaient des vêtements d’enfant à sa mère lui donnaient-ils toujours des vêtements si laids, si sombres, si tristes ? La petite fille comprenait bien que lorsqu’on manque d’argent, et ses parents sans doute manquaient d’argent, on était bien obligé de porter des habits qui avaient servi à d’autres, qui


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n’avaient pas été confectionnés pour vous, oui, cela elle l’admettait sans problème, quoique cette pensée ne lui plût pas vraiment. Mais enfin, pensait-elle, était-on contraint, lorsqu’on est pauvre, d’être également laid, mal fagoté ? La petite fille, assise sur la table, devant la fenêtre étroite, comme sa grand-mère quand elle effectuait quelques ravaudages, avait saisi dans ses mains le bas de sa robe. Elle contemplait attentivement ces rangs réguliers de points jersey d’une désespérante monotonie. Quelle tricoteuse mal lunée avait bien pu se laisser aller à confectionner ainsi, point après point, cette sombre chose ? C’est vrai que cette chose était chaude, sa mère avait raison, elle n’avait pas froid avec cette robe ; surtout avec cette robe sur un pantalon, donné lui aussi, par elle ne savait qui. Mais il était bleu. Et ses camarades de classe portaient aussi des pantalons. Mais où diable sa mère avait-elle vu des enfants portant une robe sur un pantalon ? La petite fille avait vérifié dans deux numéros du Petit Écho de la Mode : non, non, et non, pas une fois elle n’avait rencontré, même au bas d’une page, l’image d’une enfant portant une


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robe sur un pantalon. On peut beaucoup aimer sa mère sans pour autant avoir une confiance aveugle en ses propos. La petite fille l’avait déjà à mainte reprise constaté, notamment quand sa tante de Paris lui avait apporté des souliers noirs vernis trop serrés, ou le fameux « ensemble en lainage gris », jupe à plis plats et blouson en camaïeu de gris. Le marron, le gris, le beige, le noir, tout ce qu’elle détestait. « Ces souliers te font mal ? Pourtant, c’est juste ta pointure… Et puis ils sont très jolis, tu ne les mettras que le dimanche… Cet ensemble te va à ravir, ma pitchounette, c’est dommage qu’on n’ait pas une glace en pied, tu verrais que tu es très élégante, crois-moi, je sais de quoi je parle, je suis couturière. » Non, quand il s’agissait de lui faire porter des vêtements d’emprunt, non, elle ne pouvait pas faire confiance à sa mère. C’était bizarre, pensait la petite fille, cette robe tricotée n’avait même pas d’ourlets… Sa mère, elle, quand elle confectionnait une robe, elle ménageait toujours un ourlet. Donc cette tricoteuse était également une paresseuse, une négligente qui se fichait pas mal de son travail.

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Pff. par Janette Ananos 25

Elle essuyait un pot de moutarde qu’elle avait lavé. Elle allait le garder, car elle le trouvait plutôt agréable à regarder, à toucher. En grès grisé. Le couvercle n’était pas une merveille, non, c’était un solide couvercle de plastique, orange, mais il était parfaitement hermétique. Le tout pouvait servir, elle ne savait pas à quoi pour l’instant, mais le temps le lui révèlerait. Elle posa le couvercle sur le pot béant et d’un geste assuré l’enfonça. Le pot émit un soupir qui alerta Jojo le matou dont les beaux yeux d’opale exprimèrent l’interrogation.


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« Qu’est-ce que tu fais ? dit-il. – Qu’est-ce que tu fais ? dit Chocolat, le labrador que le bruit avait attiré dans la cuisine. – Qu’est-ce que je fais ? Je ferme ce bocal. – Oui, dit Jojo, mais tu n’as pas entendu le cri ? – Quel cri ? – Le cri du bocal… – C’était plutôt un soupir, précisa Chocolat. – Tu as raison, Choco, dit Jojo, c’était plutôt un soupir. – Ils se regardaient tous les trois. – Qu’est-ce que tu attends pour rouvrir ce pot ? – Je l’ouvre. » Elle prit le pot de moutarde vide, en vérifia la netteté, en effleura le bord de l’index avant d’y poser le couvercle et d’appuyer comme elle l’avait fait précédemment. Le même soupir strident se fit entendre. Jojo et Chocolat ne la quittaient pas des yeux. Ceux du chat étaient carrément réprobateurs.


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« Non, mais tu vois, elle insiste… – Elle insiste ? – Ben oui, c’est toujours pareil, elle n’en fait qu’à sa tête comme toujours, sans se soucier de nous ! – Oh, quand même, tu exagères, elle est plutôt gentille, objecta le chien. – Gentille… À ses heures. Quand ça lui convient. Mais c’est tout. Tiens par exemple, ce matin elle ne m’a pas donné de lait sous prétexte que j’en ai eu hier soir. Et parfois, le soir, elle me dit que j’en ai déjà eu le matin. Tu vois la logique là-dedans ? Et puis il y a des semaines et des semaines qu’elle ne m’a pas brossé. – Ah ça, c’est vrai, moi non plus elle ne me brosse plus. Et c’est rare qu’elle me donne un petit quelque chose quand elle déjeune tranquillement à table. Souvent même, elle me dit : « Mendiant, tu n’auras rien. » Je ne sais pas pourquoi elle m’appelle Mendiant puisque c’est elle qui m’a baptisé Chocolat. » Bon ça va, le chœur des pleureuses, vous en avez fini avec vos récriminations ?

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Après tout, ça arrive tous les jours par Céline Charlemagne 33

Je regarde la coccinelle grimper péniblement le long de mon bras tendu. Je n’ai jamais bien compris pourquoi les coccinelles s’obstinent à marcher sur des brins d’herbe secoués par le vent, ou sur des feuilles poissées par les limaces, alors qu’elles auraient aussi vite fait de voler jusqu’à leur destination. Peut-être aiment-elles tout particulièrement le contact de quelque chose sous leurs pattes frêles ? Le soleil tape sur la paume de ma main, et tout mon bras commence à s’engourdir. De toute façon, la coccinelle ne m’amuse plus. Je la dépose doucement sur un


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pissenlit, en prenant bien garde de ne pas trop serrer le petit corps brillant. La chaleur de l’après-midi me rend toute molle, comme si je fondais. Les yeux fermés, couchée dans l’herbe jaunie, j’écoute les bruits de la nature autour de l’étang. L’absence de courant d’air amplifie tout, et même le plus ténu des sons porte jusqu’à mes oreilles. Un hanneton passe en bourdonnant, une musaraigne couine quelque part sur ma gauche, et les poissons-chats qui gobent les araignées d’eau font des petits « plop » rigolos. Bien sûr, quand maman m’a demandé tout à l’heure d’emmener la petite au bord de l’étang, après une bonne heure de jérémiades de sa part, j’ai protesté en tapant du pied, pour la forme. En réalité, j’en rêvais, mais je ne l’aurais reconnu pour rien au monde. Je n’ai pas l’intention de simplifier la tâche à maman. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour lui gâcher son été. Le caractère impossible de la petite va sans aucun doute m’y aider. Jusqu’à présent, j’ai tout fait pour secourir maman, j’ai chanté des berceuses à la petite quand


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elle n’était encore qu’une mioche rougeaude et braillarde dans son petit lit. Je finissais par m’assoupir contre les barreaux, bercée par le bip régulier du moniteur cardiaque. Quand j’ouvrais les yeux, la petite me regardait de ses grands yeux interrogateurs, un grand sourire sur sa petite face maigre laissant apparaître une quenotte. Elle était marrante, à cette époque-là, et je l’aimais bien. Mais maman lui a tout passé depuis, sous prétexte que l’énervement et la contrariété étaient mauvais pour son cœur. AH ! elle a peut-être été opérée quand elle était bébé, mais son cœur fonctionne parfaitement aujourd’hui ! Il n’y a qu’à la voir courir autour de l’étang, à faire l’avion. Elle est en pleine forme, cette sale mioche ! Mais jamais je ne pourrai expliquer ça à maman sans me prendre une taloche derrière l’oreille. Je serais bonne pour un nouveau sermon, à coup sûr ! J’imagine déjà maman, le doigt menaçant pointé à deux centimètres de mon nez : « Lucie ! Combien de fois va-t-il falloir te dire que ta sœur ne doit pas se fatiguer ? C’est mauvais

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La messagère par Marie-Christine Hennaut Bry 47

Elle se regarde rapidement dans le miroir, ce qu’elle y voit l’afflige, elle n’a jamais été une femme fatale, elle a toujours été celle qui, malgré ses efforts, a une mèche rebelle, des cernes sous les yeux, une tache sur son chemisier. Cela fait longtemps qu’elle a renoncé, elle n’est pas moche, non, elle est juste banale, d’une banalité transparente qui la rend sans éclat, sans relief. Pas grave, elle le sait, elle l’assume. Elle attrape son sac, désespérément lourd… C’est pareil, son sac : un fourre-tout immonde rempli de lettres pas ouvertes, de Kleenex sales, d’un


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porte-monnaie vieillot, de pièces en vrac pleines de poussière, de paquets de cigarettes vides… C’est elle, ça, autant de désordre dans son sac que dans sa tête et dans sa vie d’ailleurs. Pas grave, aujourd’hui, une mission l’attend, elle en a l’intuition au plus profond d’elle-même, elle va changer la vie de quelqu’un qu’elle ne connait pas encore… Le Docteur Lasserre exerce dans un quartier populaire de la capitale, bien que relativement jeune, cet esthète a parfaitement réussi sa vie. Marié, père de deux magnifiques enfants, ce bobo occupe avec sa petite famille un bel appartement du 17e. Sa femme, Marion, est jolie, élégante et terriblement parfaite. Bonne mère, bonne épouse, bonne copine, bonne voisine. Bonne amante ? Pas vraiment, mais le docteur s’en accommode, l’important pour lui, c’est la stabilité, il en a viscéralement besoin… Il faut dire que son enfance a été terriblement chaotique. Il a grandi à Colombes dans un HLM, a fréquenté le lycée dont le taux de réussite était le plus bas de France et a lutté depuis sa plus tendre enfance contre sa condition. Il arrivait en Loden au lycée


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à l’heure du baba coolisme le plus exacerbé et avait aménagé sa chambre du 8e étage en salon bourgeois du 16e… Il écrivait, peignait en écoutant Bach (bar comme il le prononçait) à l’heure où ses copains de classe faisaient grève et roulaient allègrement des pétards dans leurs chambres tapissées de posters de Genesis et Bob Marley… En décalage total donc un peu exclu, moqué, voire détesté par certains. En fait, ce qui l’avait sauvé, c’était son physique… Il n’était pas une gravure de mode, mais son physique collait avec son personnage. Il avait de longs doigts très fins et sa peau était d’une blancheur rare, des petits yeux bleus aiguisés, perçants et un joli sourire. Bizarrement, la classe de seconde littéraire avait fini par l’accepter même s’il était très souvent chahuté, son goût aigu pour la provoc’ et sa faculté à assumer et à affirmer sa différence avaient fini par en faire une figure de la classe. Sa mère l’élevait seule, faisait des ménages pour joindre les deux bouts, elle était transparente, une accidentée de la vie, très vite abandonnée par un mari volage elle tentait de

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Sur le banc par Jean-François Legrand 73

Comme tous les matins depuis quelques semaines, ils sont assis sur le banc. Serrés l’un contre l’autre, pour se tenir chaud autant que pour se soutenir et rester droit. La première fois que je les ai vus, je partais faire mes courses au supermarché du quartier. En traversant le parc à jeux, au milieu du tumulte des enfants qui jouent, crient, pleurent, je les avais aperçus. Déjà assis sur ce même banc, en léger retrait de la zone de jeu, coincés entre deux bosquets de bambous géants. C’est au retour que


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je pris conscience de leur présence, me rappelant qu’ils étaient déjà là quarante-cinq minutes plus tôt. La tristesse m’envahit. Il avait la tête qui tombait en avant, la bouche ouverte, un léger filet de bave coulant de sa bouche. Elle, recroquevillée, les yeux fermés, mâchonnant dans le vide, juste animée de quelques spasmes respiratoires. Sans m’en rendre compte, je m’étais arrêté à leur hauteur et les observais en silence. Je ne savais pas si je devais vérifier que tout allait bien ou si je devais m’éloigner. La dame dut sentir ma présence et ouvrit un œil, se redressant dans un râle. « Qu’est-ce qu’il y a ? – Rien madame, je suis désolé si je vous ai réveillée, j’étais inquiet de... – Vous n’avez rien d’autre à faire que d’embêter les vieux ? – Toutes mes excuses madame, avais-je glissé en m’éloignant, gêné de la situation et des regards des parents autour de moi. » Les jours suivants, j’étais à chaque fois saisi d’une appréhension coupable avant de traverser le parc, amplifiée par le constat de leur présence


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quotidienne, à peu près de dix heures à midi. Leurs positions étaient figées. Je ne les ai jamais vus parler ensemble. Lorsque mes pensées s’évadaient vers eux, je me demandais à quoi pouvait ressembler leur vie. Leur fragilité, leur solitude, tout cela devait avoir une raison. Et lorsqu’ils n’étaient pas sur ce banc, que faisaient-ils ? Un jour, alors que je partais faire mon footing, je les croisai. En mouvement. Leur démarche me fit penser à celle de vieux esclaves courbés par l’âge et la douleur, trainant un boulet de deux fois leurs poids. Alors que j’enchainais les tours de lac, je ne pouvais me cacher l’admiration née de cette image. Ce banc était leur dernier espace de vie. Et les efforts qu’ils déployaient chaque jour pour le rejoindre faisaient d’eux des héros. Cela fait deux jours que je n’ai pas vu « mes amoureux du banc » comme je les appelle. Et dès hier, je me suis inquiété. Après plus de trois semaines de rencontres quotidiennes, ils n’étaient pas là. Et ce matin non plus. Mon inquiétude est absurde, mais ne me quitte pas du week-end.

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La peur de la succession par Samira Mersel 79

Je vais vous raconter son histoire. Moi qui suis souvent liée à ce sentiment, que la plupart des gens nomment la peur, j’ai toujours voulu comprendre ce à quoi il pourrait renvoyer. Je n’ai pas cherché à lui donner sa définition propre, le dictionnaire peut être une référence pour cela ; non, je n’ai rien fait. J’ai juste participé à une expérience malgré moi qui m’a laissé comprendre l’objet de cette émotion. Je dirais que je m’apprête à vous faire partager la peur, non pas celle à laquelle vous pouvez penser en l’évoquant ; vous savez cette idée d’angoisse, de


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crainte éprouvée face à une menace, une appréhension. Sachez que la peur l’a traversée, avant sa planification, avant qu’elle ne soit choquée par la révélation… Tout a commencé dans sa chambre, lorsque je l’ai surprise en train de rêver, fixant le mur. Cette horreur y était présente, objet de sa révulsion, elle-même l’ayant poussé à agir. Moi qui aime la poésie, si je devais décrire poétiquement la scène qui a réveillé la plus sombre part de son instinct, je dirais qu’elle s’était déroulée ainsi : 80

« Observation, révulsion. Un envol, revers de la main, Vole en attendant le poing. Position sur le mur sali, Envahie par ta vision, Angle d’attaque, Prise de position, essuie-tout, préparation. Et le rêve de le piétiner la hante, L’envie de le viser, l’écraser, le jeter [l’enchante. Elle y songe alors, elle en rêve encore ;


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Observation, révulsion. Passage à l’acte, sur le mur aucune trace, Le papier l’enlace, Aplati par la force du coup droit, Il n’est plus un insecte, mais sa proie. Entracte. Elle le tient, mais le lâche, Atterrissage sans relâche, Destination poubelle, action ! Pour la plus belle de ses sensations ». Ces vers raisonnent encore dans ma tête, lorsque je songe à l’ampleur de la situation. Bien sûr, je suis fière d’y avoir contribué, si seulement je pouvais parler, mais agir est encore plus excitant ! Une fois l’acte commis, d’une perfection sans conteste, il fallut passer à autre chose. Je n’étais pas encore présente qu’elle décida de m’appeler. Elle ne le fit pas par l’intermédiaire des nouvelles technologies si chères aux hommes, mais par celle d’une technique plus efficace : l’appel de l’esprit.

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L’agression par Jean-Marc Perron 95

J’ai quinze ans. Je suis bâti comme une échalote. Cinq pieds et huit pouces1. Pesant cent vingt-sept livre et trois quarts, mais déjà à cet âge-là, j’avais l’impression d’être un homme avec tout ce qu’il faut pour prétendre à ce titre et pourtant... Tous les ados de toutes les époques ont songé un jour ou l’autre à partir pour l’aventure et ce n’est pas donné à tous d’avoir la possibilité de réaliser ces rêves-là sur le moment désiré. 1. Cela équivaut à 1m72.


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Donc, avec deux amis de Rouyn Nornda, Claude et Marcel, on a décidé d’aller travailler aux récoltes à Chatham en Ontario sur le pouce. Première étape, Montréal. Jusque là, aucun problème. Pas un sou en poche. « BEAU PROJET... Totalement irresponsable ! Je sais, maintenant, je sais. » Partis à six heures du matin, on a marché jusqu’à Dorval, bien décidés à atteindre notre objectif, possiblement dans les plus brefs délais, car, nous avait-on dit, les cultivateurs nourrissaient bien les employés qui travaillaient aux champs. On s’est assis en bordure de l’autoroute 40 Ouest, puis nous avons attendu. On se relayait à chacun son tour pour ne pas être tous les trois sur le bord de la route en même temps. On avait quand même conscience du danger, une voiture, ça frappe solide pis ça pardonne pas. Vers les dix heures, une grosse Cadillac verte de l’année s’est arrêtée pour nous prendre. Un homme d’âge mûr la conduisait. Il a freiné


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violemment, puis il a reculé en fou sur l’accotement. « On va à Chatham Ontario, lui cria Marcel. – Montez ! Montez ! lui répondit le type. » Marcel a grimpé à l’avant, car c’est lui qui l’avait incité à arrêter. Claude et moi, on a pris place en arrière dans la luxueuse voiture. « Vous n’avez pas des bagages ? C’est loin Chatham. Vous partez pour longtemps ? Puis j’imagine que vous n’avez pas d’argent en plus, c’est ça la jeunesse. Il éclate de rire – rire qui dura beaucoup trop longtemps à mon avis, car il ne regardait plus la route. –  On va aux récoltes. Ils engagent des Québécois là-bas. Les Ontariens sont trop lâches pour travailler aux champs, lui répondit Marcel sûr de lui. » Nous, on jubilait. Enfin, on partait à l’aventure. L’homme était assez imposant. Il fumait un gros cigare qu’il gardait dans sa bouche en permanence. Il prit une bouffée qu’il relâcha aussitôt. Tout d’un coup, j’ai eu l’impression de m’être assis dans un cendrier. Une

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Rocdémon par Anna Salso 127

1 Il n’y a pas si longtemps, Dame Suzanne me racontait cette histoire, notre histoire avec quelques malices, je l’écoutais, émerveillée, convaincue de la véracité des faits ! L’astre du jour rougeoyait vers le couchant. Ils arrivaient par l’Ouest. Ils gravissaient péniblement, lentement le flanc de la montagne.


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De leur promontoire, la tribu des Daimôns réunie, les observait dans leur progression, Champal de sa petite voix, pépiant commentait inlassablement l’événement :

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Il avait d’abord aperçu à la mi-course du soleil, un drôle d’animal haut sur ses quatre pattes avec une énorme bosse sur le dos, là-bas, très loin dans la vallée longeant la Menmite et très vite suivit de la haute silhouette d’un homme, un autre, puis un autre…. Il avait compté en tout, trois animaux bizarres, cinq à six cabres et douze humains avec leurs petits. Très excité Champal sautait, cabriolait esquissait des pas de danse suivi par de jeunes enthousiastes. Tryle retenait difficilement son impatience malgré son statut de sage Consultante. Tout ce petit monde était fébrile ! Car il faut vous dire que les Daïmôns n’étaient pas plus hauts qu’une jambe d’homme ! La coiffe tressée, piquée de fleurs et de plumes de faisans sur un visage tout en rondeurs, regard


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vif aux yeux dorés, nez court, sourire coquin, ces singuliers petits personnages se mouvaient avec une étonnante légèreté. Leur nombre était invariable à vingt et un individus, pour ce vaste et hostile territoire ! Ils vivaient de cueillettes, dans ce lieu du bout du Monde, depuis des temps immémoriaux. D’après leurs tablettes, toujours consignées dans la grotte de la Consultante, le Gésbon, leur montagne n’offrait plus de saisons favorables à leur quête de jours heureux. Il y avait eu dans les âges anciens, des ères de liesse, lorsque les hommes faisaient partie de leur univers.. Ce qui est sûr, c’est qu’ils avaient besoin des hommes pour être parfaitement heureux. Réciproquement les hommes aussi, mais ces derniers comme à leur habitude étaient réticents, ne reconnaissaient pas leur propre dépendance dans ces gnomes (mot d’insulte suprême pour les Daïmôns), vêtus de peaux de bêtes, rieurs et insouciants.

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Marie par Séverine Vialon 159

Trois semaines ! Trois semaines qu’elle a posté sa lettre et qu’elle attend, un peu plus, un peu moins, Marie ne sait plus, mais cela lui paraît des mois. Assise sur son balcon, au soleil, elle attend la voiture jaune qui va peut-être lui apporter ce petit rayon de soleil qui lui réchauffera le cœur pour quelques minutes, ces quelques mots qui rempliront un peu le vide qui est en elle. A chaque fois qu’elle écrit à Willie, c’est la même attente intenable qui s’installe, mais cette fois-ci c’est insoutenable, elle a besoin de sa réponse. Willie lui a pris son cœur, il y a


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quelques années, lorsqu’il lui a dit, le jour de leur première rencontre : « Tu es ma femme ». Leurs destins se sont liés et Marie lui a offert son cœur au fil des jours, au fil des années. Puis la vie les a séparés lorsqu’elle a dû quitter le pays de Willie du jour au lendemain, sans pouvoir le revoir une dernière fois, sans pouvoir lui dire... Bruit de moteur, porte qui claque, le nuage de Marie se disloque pour la ramener sur son balcon. Elle se lève, entre dans la maison, traverse le couloir, attrape les clés, dévale l’escalier, passe par le garage, descend la rampe et se retrouve sur le trottoir devant la boîte aux lettres. Son cœur bat si fort que le voisin pourrait l’entendre. Elle hésite quelques secondes. Et si elle n’était pas encore arrivée ? Elle prend une grande inspiration et ouvre la boîte. La lettre tant attendue est là, sur le dessus, comme si le facteur savait qu’elle l’attendait ! Marie reconnaît l’écriture de Willie, elle la reconnaîtrait entre mille, et le timbre ne peut la tromper. Elle récupère le courrier, remonte la rampe, repasse par le garage, grimpe l’escalier quatre à quatre, reprend le couloir pour déposer le courrier sur la


table et file dans sa chambre. Assise sur son lit, elle décachette l’enveloppe doucement. Elle les garde toutes précieusement. Son cœur ne tient plus en place, entre sa course et ses émotions, Marie lui mène la vie dure. Ses larmes coulent avant même d’en lire une ligne. « Ma chérie, Ta lettre m’a rempli de joie, celle-la encore plus que les autres. Tes projets, ton retour, c’est comme la vie qui reprend son cours, après toutes ces années de léthargie... » Marie pleure, son visage est inondée de larmes, ses yeux se brouillent. « ...Ecris-moi vite pour me donner la date de ton arrivée. Je serai à la sortie de l’avion... Ton bien aimé Willie. » Ces lettres sont le seul lien qui leur reste. Loin de yeux mais près du cœur. « Mesdames et messieurs, nous allons entamer notre descente sur Douala. Veuillez regagner vos places et attacher vos ceintures. »

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Assimilation par Pierre Villeneuve 169

------- Début de transmission ------« L’être humain a de tout temps préféré la guerre. Il y a peu de contre-exemples. Quand nos colons de Mars se sont unis et ont commencé à se montrer belliqueux, notre réponse a été sans pitié afin que d’autres ne suivent pas leur exemple. Nos quelques rencontres extra-terrestres se sont toutes soldées de la même manière : l’extermina-


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tion d’une possible menace et l’appropriation des ressources naturelles d’une nouvelle planète. » L’ombre qui parlait laissa planer sa dernière phrase. « Les voyages à travers l’espace sont dangereux. Le corps humain est soumis à un stress physique et psychologique intense. Et c’est pourquoi nous avons développé les UMEH, les Unités Motorisé pour Être Humain. Des corps robotiques animés d’une âme humaine. Je ne sombre pas dans une obscure religion, mais le transfert entre un humain et son UMEH est à sens unique. Virtuellement, nous devenons immortels ». L’ombre baissa les épaules, hocha la tête et s’approcha sans sortir de l’ombre. « Je vais reprendre depuis le début, cela vous semblera beaucoup plus cohérent. » D’un mouvement du poignet, il fit apparaitre plusieurs vidéos et schémas qui s’affichèrent au-dessus de lui. « Il y a environ cinq siècles, la Terre unie a décidé que les colonies humaines qui avaient été créées ici et là risquaient de poser un problème de maintien de l’ordre établi. Mars était la sonnette


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d’alarme. Les UMEH qui ne servaient qu’à assurer le transport des colons et à la mise en place d’un noyau de colonie furent militarisées. D’après les estimations officielles, deux milliards d’êtres humains furent éradiqués au nom d’une rationalisation de notre développement à travers notre système solaire. » Il approcha la main d’une vidéo et l’agrandit afin qu’on ne puisse voir qu’elle. La vidéo provenait d’un UMEH. *** « Ici le colonel UMEH 374. Notre largage sur la zone 24B vénusienne est effectif. Nos objectifs sont les deux usines de traitement de l’atmosphère et la centrale de production d’énergie. Allez, allez, allez. » Des dizaines d‘UMEH couraient à ses côtés vers un immense bâtiment. Puis une roquette explosa à quelques mètres du colonel. Il continua de courir tout en enlevant des débris fichés dans son bras gauche en partie arraché. « Descendez-moi ces sacs à viande ! »

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Rébellion par Pierre Villeuve 201

Deux hommes se tenaient devant son bureau, tous deux déguisés en guerrier du moyen âge. Il esquissa un sourire pensant à une blague de ses collègues, mais devant les regards médusés de ces derniers dans l’open-space, il devint circonspect. « Qui demandez-vous ? En quoi puis-je vous aider ? » Les deux hommes ne le regardaient pas, leur attention était portée sur une tablette tactile que l’un d’entre eux utilisait. Il se fit la remarque que s’ils se rendaient à un concours de déguisement, la tablette les disqualifierait immédiatement. Il


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sourit à cette pensée. Puis des éléments surgirent de la tablette, pas comme dans ces films de science-fiction où des images en trois dimensions sortent des écrans… Non c’était plutôt comme si un métal liquide prenait des formes. Lui qui était plutôt au fait de l’actualité technologique en resta sans voix. Bon sang, ça avait l’air super chouette. Après tout s’ils étaient venus lui vendre ce genre d’appareil, il était déjà presque conquis. À condition quand même que le prix n’excède pas celui d’une tablette haut de gamme. Il imaginait leur slogan « ne restez pas au moyen âge et passez le pas de la modernité avec la tablette machin ». Bon, bizarre qu’ils viennent le démarcher directement à son bureau, peut-être à cause du blog qu’il tenait sur les derniers gadgets technologiques ? Après tout il avait son petit succès et certains fabricants lui avaient même fait parvenir leurs dernières créations. Juste avant qu’il ne reprenne la parole, son voisin de bureau, Jean-Philippe, se leva et s’approcha. « Bah alors Léon, tu nous présentes pas tes amis ? »


Nouvelocratie #2

Il s’approcha des deux hommes en souriant, et essaya de regarder la tablette. Les deux hommes la cachèrent immédiatement et sortirent ce qui ressemblait à des épées. Léon se dit intérieurement qu’ils ne les avaient pas quelques minutes avant et qu’une telle longueur était difficile à cacher. L’un des hommes plongea son épée dans le ventre de l’intrus. Léon regarda Jean-Philippe tomber à genou, c’était un type sympa, mais un peu lourd, toujours à plaisanter sur son embonpoint. Le second le décapita d’un revers du poignet… Léon sentit l’air quitter ses poumons, il ne savait pas quoi faire. Ses collègues de l’openspace s’étaient pour la majorité levées et partaient en courant et en hurlant vers la sortie. Il essaya de se lever, mais s’effondra à cause de ses jambes qui refusaient de le porter. Les deux derniers éléments qu’il perçut avant de perdre connaissance furent le liquide chaud qui lui coulait le long des cuisses et le bruit sourd que fit son crâne sur le bord de son bureau. Ce matin ressemblait pourtant à n’importe quel matin de ces six dernières années. Déjà six ans qu’il travaillait pour sa boîte, rien de

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