Julien Giovannoni
Paris’Land
Paris’ Land
© Julien Giovannoni, 2014. Protection SACD N° 253376
Giovannoni Julien
Paris’ Land Roman d’Anachro-Urbanisme
Note historique (Cette histoire totalement fictive part pourtant d’un contexte bien réel : « le projet du faux Paris », leurre militaire saugrenu élaboré en 1918, avorté la même année par la fin de la guerre et révélé en 1920 par « The illustrated London News » qui publia cartes et photos du faux Paris. Imaginons que ce projet fut mené à son terme dans ce récit, pour se poursuivre dans des faits divers totalement fictifs, peut-être…).
Préface
Imaginez une réplique de Paris, une copie petit format qui n’aurait pas connu la totalité des réaménagements du baron Haussmann, ni les ravages urbanistiques des années 1960 et 1970. Un pan de Paris qui aurait fait ressurgir ses vestiges moyenâgeux d’il y a 150 ans avec ses petites maisons entassées et ses ruelles tortueuses. Des monuments reproduits et transformés en centres artistiques et commerciaux, un Champ-de-Mars devenu un parc d’attractions de l’exposition universelle, des reproductions des Halles Centrales, des berges de la Grève, de la forteresse du Châtelet, de l’Éléphant de la place de la Bastille, et bien plus encore… Bienvenue à Paris’ Land. Mais, dans le charme idyllique de cette carte postale dorée, la jeunesse tout aussi dorée de Petit Paris s’ennuie ferme. Lassée par cette comédie théâtrale d’un Paris ancien dans lequel elle baigne depuis l’enfance. Aussi, un sentiment de malaise et de folie plane de plus en plus, surtout lorsque Petit Paris dissimule ses « grands et lourds secrets ». Mais ça, c’est aux protagonistes de cette histoire de nous les faire découvrir…
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Chapitre 1 - Un Petit Paris aux grands secrets
Purikura La petite Koalan se regardait coquettement devant la grande glace de la chambre. Elle vivait dans une coquette maison de la banlieue de Kobe au Japon. Un petit pavillon tout en hauteur, aux pièces étroites qui, comme tous ses congénères de forme identique du quartier résidentiel, était bâti dans une petite vallée montagneuse de cette région du Kansai. Un endroit calme et agréable, mis à part un vent hivernal parfois glacé qui sillonnait en sifflant dans la vallée. S’admirant au travers de l’arc de cercle formé par la glace sur le mur couleur bleu azur, la petite « mascotte » cherchait avec beaucoup d’hésitation l’endroit où elle pourrait apposer l’unique ornement sur son corps nu d’animal. Une petite fleur jaune décorative en papier qu’elle ne savait où placer sur son torse gris. À droite ? À gauche ? Ou ailleurs ? Cette si petite fleur en papier semblait être un véritable casse-tête pour la Koalan. « Koalan » et non koala. Même si la quasi-totalité de son corps était celui d’une mignonne, petite et svelte femelle koala, ses oreilles étaient « différentes » de celles d’un vrai membre de ce groupe familial de marsupial arboricole herbivore endémique d’Australie. Ces oreilles ressemblaient plus à de grosses oreilles de souris, un peu à la Mickey Mouse. Était-ce une erreur de représentation où un trait d’humour
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de l’imagination de sa créatrice ? Aucune idée, mais cette particularité unique valut à la petite « mascotte » son surnom unique de « Koalan ». La seule et unique « Koalan » du monde. « Pas comme ça… Peut-être comme ça… » décida-t-elle finalement en essayant de mettre la fleur sur sa tête entre ses deux grandes oreilles. Sans s’en rendre compte, la Koalan monopolisait la chambre de Mariko, sa créatrice. Cette dernière, intriguée par le manège de sa mascotte enfermée dans sa chambre, décida d’aller jeter un coup d’œil en faisant glisser le porte-paravent de la pièce. C’était une porte de maison japonaise traditionnelle, mais elle imitait une porte classique occidentale avec une poignée ronde en fer. Mariko l’ouvrit prudemment afin de ne pas la faire grincer et glissa elle-même sa tête à l’intérieur de la chambre, ses cheveux mi-longs, colorés en châtain clair, se dessinèrent dans le reflet du miroir. – Ma Koalan ? Qu’est-ce que tu fais ? demanda Mariko, surprise. Comme si elle avait été découverte dans un grand complot secret, la Koalan se retourna en sueur, hurla l’onomatopée « gikuu ! » et plaqua la fleur jaune sur sa poitrine avec ses deux petites mains, comme pour la cacher maladroitement. Les étoiles dorées peintes sur le mur derrière elle semblaient vouloir en rajouter à son état de surprise et de panique. – R… R… Rien ! se dédouana la Koalan en agitant ses petits bras. Mariko resta quelques secondes immobile à la regarder avec un petit sourire de surprise et d’incompréhension. « C’est curieux, ça a l’air bizarre », pensa-t-elle. Puis elle repartit en arrière et ressortit de la chambre en disant bien fort et le plus naturellement possible : – Bon, bah, je te laisse. Je retourne travailler. Et la Koalan, sentant avoir réussi à duper sa créatrice, se détourna gaiement en sifflant. Elle attendit que Mariko repousse la porte, et lança un petit regard en arrière pour se l’assurer. Derrière la porte, Mariko piétinait sur place pour faire croire, avec le bruit de claquement de ses pantoufles, qu’elle s’éloignait. – Ouf ! souffla la Koalan en s’essuyant le front. Mariko est repartie… Elle constata que, sans le vouloir, elle avait laissé la fleur de papier accrochée à l’extrême haut gauche de son torse gris clair. Elle fut satisfaite de cette place qu’elle jugea idéale. Elle se saisit alors d’une espèce
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de béret noir qu’elle apposa sur sa tête afin de dissimuler ses grandes oreilles à l’intérieur. Ce qu’elle ignorait, c’était que Mariko s’était amusée à l’espionner en rouvrant très légèrement la porte. La Koalan sortit de la maison par la porte vitrée automatique et emprunta le chemin de la gare menant au centre-ville de Kobe et ses hauts immeubles. Ignorant que Mariko l’avait suivie, son petit corps gris d’animal avec sa petite queue en boule déambulait très rapidement sur la route bleutée. Si rapidement que derrière elle, Mariko peinait à la poursuivre. Cette dernière se tenait cependant à bonne distance, car elle portait un pull orange bien trop visible sur son short-salopette marron. C’était un grand sentiment de curiosité qui avait décidé Mariko à suivre sa « mascotte », « Voilà qui est amusant ! pensait-elle d’un air intéressé. Tout le monde peut reconnaitre que c’est une Koalan, même si elle se cache la tête. » Mariko était une jeune illustratrice japonaise, sa principale particularité était d’avoir des cheveux constamment teints en blond. Elle se prétendait coquette et ayant son style bien personnel, elle passait actuellement la majorité de son temps à travailler sur ses illustrations, ce qui était plus important que tout pour elle. Mais comme aujourd’hui sa Koalan avait un comportement des plus bizarres, elle s’accordait une pause exceptionnelle pour sortir et la suivre… Quant à la Koalan, elle était son « double », mais bien que possédant ce lien unique avec sa créatrice, elle parvenait quand même à lui cacher quelque chose. La Koalan n’alla pas très loin, elle s’arrêta près de la gare Centrale du quartier où vivait Mariko. Elle se dirigea vers un magasin très particulier au rez-de-chaussée de la gare. « Un Game center ? » s’étonna Mariko. « Qu’est-ce qu’elle va faire là dedans ? » Elle avait déjà passé l’entrée entre la façade vitrée du Game center. Sur les vitres était écrit en gros caractères colorés rouge et jaune « Mad Land » ou encore « Game center 24 h ». Par derrière la façade vitrée, on distinguait des machines à « Ufo catcher » où des peluches d’ours en maillots colorés attendaient qu’un habile joueur puisse les attraper avec une pince mécanique à la force de prise bien trop faible. Mariko se décida à entrer elle aussi.
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À l’intérieur une petite musique de jeux vidéo tournait en boucle, ce Game center-là n’était pas très grand, très vite arrivait le mur bleu fluo du fond sur lequel était accolées quelques machines de Purikura, (des photomatons perfectionnés japonais). Mariko cherchait sa Koalan du regard, elle vit ses pattes disparaitre derrière le rideau rose d’un des Purikura. Elle s’adossa à la machine, la curiosité était trop forte, elle approcha son visage près du rideau. À l’intérieur de la cabine, la Koalan prenait des poses de photos derrière des décors colorés : à l’instar des jeunes nippones, sa « mascotte » arborait le signe du cœur avec ses mains, le clin d’œil, le baiser, etc. Une fois le temps de prise de photo fini, la Koalan ressortit du Purikura en repoussant le rideau. Son visage et son corps se bloquèrent à la vue de Mariko. Cette dernière eut juste un petit sourire gêné. Puis, la créatrice et sa mascotte se regardèrent en rigolant, avec le même air gêné en attendant le développement des photos de ce photomaton japonais. – Qu’est-ce que tu fabriques toi ? tenta de demander Mariko. Mais la Koalan ne répondit que par des petits « Ah… Ah… » C’est alors qu’une autre personne sortit de derrière le rideau vert du Purikura voisin. C’était un jeune homme avec les cheveux en épis, noirs au-dessus, blonds pour les mèches arrières, vêtu d’un T-shirt décoré de plusieurs motifs et d’un pantalon serré mauve, il tenait une guitare basse à la main. – Ah ! C’était pas mauvais ! dit-il d’un air satisfait. Tout à coup, il remarqua Mariko et sa Koalan à côté de la cabine. Sans le faire exprès, ces deux dernières le dévisagèrent quelque peu. – Ah ! Vous attendiez votre tour ? Nous avons été un peu longs. Sumimasen, s’excusa-t-il. Tout à coup, à sa suite sortirent trois autres musiciens de la cabine Purikura, deux avec des cheveux bien plus longs et habillés de vestes tout en portant leurs guitares dans leurs étuis sur le dos, et le quatrième plus jeune, cheveux en pic et T-shirt coloré, portant des baguettes de tambour. Le style général de ce groupe de musique offrait sans erreur possible une allure très gentiment pop-rock. Mariko s’excusa alors du malentendu : – Nous ? Non, on a déjà fini au Purikura d’à côté.
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« Qui sont-ils ? », se demanda-t-elle. – Ah bon ? Alors, tant mieux et… bah ?! Le jeune homme du groupe à la basse remarqua la Koalan et dit à ses collègues : – Regardez les mecs ! – Quoi ? Les membres du groupe se mirent à entourer la petite Koalan qui se figea surprise. – Qu’il est mignon ! lança le bassiste. – Ah, c’est vrai ! C’est une sorte de koala ? se demanda un des deux guitaristes. – Les oreilles sont spéciales, remarqua un autre. – C’est original ça ! termina par dire le batteur. La petite Koalan fut d’abord surprise par tant d’attention à son égard : « Tout ça pour moi ? », se disait-elle. Alors elle laissait les quatre membres du groupe la regarder soit en souriant, soit surpris et continuant des commentaires : « Je n’ai jamais vu un koala comme ça ! Hoi ! Moi non plus ! » Jusqu’à ce qu’une étrange créature, à l’air très contrarié, arrive dans leur dos. – Hé ! Qu’est-ce que vous faites ? se mit à hurler cette créature à l’encontre du groupe. C’était une « mascotte » hippopotame rose avec une longue écharpe bleu-violet autour du cou. – Un hippopotame mince ! s’écria Mariko. – Un hippopotame ? Ça ? reprit sa Koalan. En effet, le corps de l’hippopotame était extrêmement maigre… pour un hippopotame. Il était tout fin, tout en longueur, à la limite de l’anorexie. Quant à sa couleur de peau rose, elle pouvait s’apparenter à un commentaire de soulards. Alors que dans son état de colère, on aurait pu croire que la « mascotte » hippopotame aux naseaux fumant allait charger le groupe de musiciens, il se mit au contraire à pleurer, totalement désespéré : – J’ai fait des efforts jusqu’à maintenant…, pleurnichait-il. Mais vous me trahissez ! Ce n’est pas possible une telle méchanceté ! Et il courut jusqu’à la sortie du Game center pour fuir de désespoir.
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– Ah ! M. Taikocava ! hurla le bassiste après lui. – Attends Taikocava ! l’appelèrent les autres. En vain, la « mascotte » hippopotame s’était enfuie. Alors que Mariko et sa Koalan se tenaient à l’écart, les membres du groupe n’en croyaient pas leurs yeux : – Il est bête, lança le bassiste. Il pense qu’on veut le remplacer par ce koala ! – En tout cas, enchaîna un des guitaristes, on doit le rattraper au plus vite ! – Alors… On y va ! Go ! – OK ! Il est bête, mais on a besoin de lui ! Et les quatre membres du groupe s’élancèrent énergiquement à la poursuite de leur « mascotte » hippopotame. C’est ainsi que Mariko et la Koalan restèrent seules dans le magasin, hébétées, écoutant immobiles les portes du Game center qui claquaient ainsi que les cris des membres du groupe qui s’estompaient avec l’éloignement. Mariko entendit alors le petit sifflement de la machine Purikura du groupe, leurs photos étaient prêtes et sortaient dans la fente de réception. – Ils ont oublié leur Purikura, dit Mariko en se saisissant des photos. Oh là là… Sa Koalan ne l’écouta pas, elle en profita pour prendre discrètement ses photos à elle avec des yeux passionnés et les dissimula. Les photos du groupe étaient un ensemble de deux grandes photos et huit vignettes. Les quatre musiciens avaient posé pour faire des photos de groupe. Mariko vit écrit en gros sur chaque photo : « Taiko Cover ». Elle se répéta ce nom, mais cela ne lui disait rien. Puis, elle vit marqué également en plus petit, tout en bas des photos : « Julien… Arigatô ! » « C’est qui ça Julien ? Ça ne ressemble pas à un prénom japonais ? » La Koalan, elle, sifflait en tenant précieusement les photos d’ellemême destinées à on ne savait qui…
Le gaffeur Au même moment, mais à environ neuf mille kilomètres de distance à vol d’oiseau, Fred marchait dans les rues de Petit Paris, petite ville construite à cheval sur deux localités qui s’appelaient jadis Maisons‑Lafitte et Herblay. Fred était parfois, voire même trop souvent, une catastrophe ambulante. Mauvais humour en de mauvaises circonstances, mauvais plans dans un mauvais contexte en général. Et pourtant, c’était probablement cette vie faite de gaffes qui le maintenait mentalement en forme au sein de Petit Paris. Il marchait seul ce soir là, dans les rues en vagues imitations de grand boulevard à Petit Paris, ses baskets Converses jaunes aux pieds faisaient sauter négligemment des petites flaques d’eau, vestiges de la récente averse de cette fin d’après-midi. Les faux Grands Boulevards étaient illuminés à l’ancienne, dans une reproduction d’éclairages à l’acétylène. Si bien que l’ambiance des lumières jaunâtres, se reflétant sur le sol encore mouillé, donnait une apparence fantomatique à ce Paris d’illusion. Bien qu’étant gêné dans sa progression par la multitude habituelle de touristes, Fred se sentait seul, comme un figurant de film. C’était l’image qu’il avait de lui-même, il avait une apparence très « illusion du Français qui ne sert qu’au décor pittoresque des rues » : un vaste duvet de cheveux blond blé sur le crâne, une peau pâle et l’air toujours mélancolique. Un physique vraiment banal, taille moyenne, poids moyen, la normalité à l’extrême. – Aah… Qu’est-ce que je m’ennuie…, se plaignit-il tout seul en resserrant ses mains dans les poches de sa longue veste en velours verte et enfonçant son cou dans son écharpe en patchwork de nature automnale. Il faisait frais ce soir-là à Petit Paris. L’humidité de la forêt de St-Germain qui délimitait la plus grande partie ouest de la ville y jouait pour beaucoup. Fred allait avoir trente ans cette année, Petit Parisien depuis
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sa naissance, il travaillait dans une entreprise de vente d’abonnements téléphoniques un peu au sud de Petit Paris. La banalité dans toute sa splendeur. C’est alors que passant devant le cinéma Méliès avec sa grosse devanture rouge, Fred aperçut des connaissances à lui qui sortaient justement du cinéma. Deux couples : un élégant jeune homme en costume qui parlait, en se frottant la jambe droite avec le pied gauche, à une femme élégante aux cheveux longs et petites lunettes rondes. Ils attendaient la sortie d’une autre jeune femme dont le pas était emboité par un jeune homme encore dissimulé dans l’entrée. Le visage de Fred s’illumina. – Oh ! Quelle surprise, Jean-Michel ! Le dénommé Jean-Michel, le jeune homme en costume noir du premier couple, très longiligne avec des cheveux châtains coiffés sur le côté, réagit et alla enlacer Fred d’une accolade de franche camaraderie. Les deux demoiselles et le jeune homme du groupe restaient derrière en souriant. Jean-Michel les présenta rapidement : la jeune femme à lunettes, vêtue d’un élégant ensemble chemisier, blouson, jupe et bottes aux tons pastel assortis, était sa femme ; la seconde jeune femme aux cheveux châtains frisés sertis de fleurs et portant un ensemble avec cape très « vieille mode française » était sa sœur ; quant au grand jeune homme aux cheveux en bataille portant un long imperméable marron clair, il s’agissait du mari ou compagnon de la sœur de Jean-Michel. Ce dernier enchaîna alors : – Salut Fred ! Comment ça va ? Nous, on vient de voir un film d’auteur intéressant : La rosée du matin. – Ah bon ? répondit Fred en souriant. Je ne l’ai pas vu ! Mais sur la bande-annonce devant le ciné, j’ai trouvé que c’était bidon… Le visage de Jean-Michel se bloqua sur un rictus figé. – Oh ? Sentant un malaise dans la conversation, Fred balbutia : – Hein… Je… Brrr… Froid… Ha, ha ha, ha… ha… « Attends ! », lança violemment la sœur de Jean-Michel en prenant une posture théâtrale d’effarouchée : – Je joue dans ce film ! Fred sortit ses mains de ses poches dévoilant deux gants-moufles et les agita nerveusement devant son visage pour dissiper un malentendu :
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– Bidon ? Bidonnant ! Je voulais dire bidonnant ! Un film super drôle !… Gnnn… « J’ai froid ! » – Pardon Fred… Jean-Michel paraissait très gêné bien que souriant. C’est un film tragique qui se termine très mal et qui est issu d’une histoire vraie ! Derrière Jean-Michel, sa femme murmura un tout petit « eh oui ! C’est ça ! », sa sœur lança un regard assassin tandis que son compagnon se retenait désespérément de rire. – Ah… Bon… « Désolé » Fred fut alors très gêné et pour changer de conversation, il se tourna vers la femme de Jean-Michel et lui dit de but en blanc : – Ah ! Bonjour madame, vous devez sûrement être la mère de Jean-Michel ! La femme de Jean-Michel recula de stupeur en balbutiant un petit : « Bah… Non ! » La sœur de Jean-Michel redoubla son regard assassin à l’encontre de ce Fred. Jean-Michel lui-même murmura en retour à sa femme : « pourtant je le lui ai dit en te présentant à l’instant… » – Je suis sa femme ! hurla-t-elle à ce gaffeur de Fred. Fred se sentait accolé dos au mur, pénétré par un froid glacial, fusillé par les regards assassins des deux femmes, et accusé par les regards moqueurs des deux hommes. Avec un regard fuyant qui voulait signifier un grand « Désolééé », Fred s’empressa de repartir en déblatérant très vite en guise d’au revoir : – Bon, bon, bon, je dois y aller… On se reverra samedi à la fête pour ton anniversaire, Jean-Michel ! Jean-Michel resta un moment interdit : – C’était une surprise ! hurlèrent les deux jeunes femmes ulcérées. Le compagnon de la sœur manquant de s’étouffer d’un fou rire. « Oh là là ! » Fred courut pour fuir la colère des jeunes femmes, son visage pâle avait rougi sous la gêne et la honte. Fred avait couru un long moment, il avait atteint la longue barre d’escalator horizontal qui menait jusqu’aux galeries marchandes du faux Louvre. Il se remettait à parler tout seul, une petite larme à l’œil sous le vent soutenu qui emportait des feuilles de platanes.
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– Pourquoi suis-je aussi gaffeur moi ? Je vais finir par perdre tous mes amis si ça continue… Tandis que Fred se lamentait sur l’escalator horizontal, de l’autre côté de la route pavée, un autre homme qui devait avoir environ le même âge que Fred ainsi que sa « mascotte » Singe noir étaient assis à une terrasse de café. L’homme, long, mince, cheveux frisés bruns, lunettes carrées, veste polaire noire et verte fluo, frissonnant sur sa chaise, se lamentait lui aussi : – Pourquoi je n’arrive pas à faire publier un seul de mes livres ?… Je vais finir dans la misère comme tous les grands romanciers méconnus. Alors qu’il serrait avec colère son stylo, son petit Singe noir ne décrochait pas de devant son ordinateur portable. En regardant ses mails, sans l’écouter, le singe lui répondait : – Oui, oui… C’est cool, continue comme ça… » Le jeune homme se leva de colère et se mit devant sa « mascotte » qui avait toujours les yeux rivés sur son ordi portable. – Tu ne m’écoutes même pas ! Et qu’est-ce que tu fais ? Ça fait une semaine que tu attends un mail sur ton ordinateur ! À cause de toi, je n’ai pas encore reçu les photos de Taiko-Cover pour l’article de pige que j’essaie de présenter ! – Oui, oui… C’est cool, continue comme ça… répondit le Singe noir. L’ordinateur fit un bruit de signal de nouveau mail. Le regard du singe s’illumina d’une étincelle amoureuse. Heureux et se tenant son cœur qui battait la chamade, il s’écria : – Enfin ! Ma Koalan m’a envoyé ses photos de Purikura ! Le jeune homme s’était rassis et tenait énervé sa tasse de chocolat chaud sur l’étroite table ronde du café au milieu de ses feuilles étalées de manuscrit. « Il m’énerve ! Il m’énerve ! », maugréait-il. Ce jeune homme se prénommait Julien, il avait fini par atterrir à Petit Paris où il s’était engagé sur un chemin suicidaire pour devenir auteur de romans fantastiques. Le Singe noir était son double « mascotte », mais spécialement ce soir-là, il le regrettait.
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La colère de Julien atteignit un niveau supérieur, il se releva et referma violemment l’ordinateur du Singe noir. Ce dernier hurla : « Noooooooon ! » – Tu es mon double ! lui hurla Julien. Tu dois écouter mes problèmes ! Le Singe noir pleurait de colère : – Je n’ai même pas pu enregistrer le fichier photo ! Tu es un monstre ! – Non ! lança Julien en reprenant sa veste pour partir. Je suis juste désespéré. Julien rassembla ses feuilles dans son sac-pochette et partit tout droit en marchant énervé, suivi du petit Singe noir qui portait son ordinateur sous le bras, et boudant de colère. Très vite, ils atteignirent les arcades près du Louvre (ou plutôt les fausses arcades près du faux Louvre). Ils rattrapèrent Fred et le dépassèrent, mais ils s’arrêtèrent soudain au croisement de route qui traversait le palais, surpris par le bus à chevaux, une nouvelle attraction touristique vestige de la belle époque, qui déambula au coin de la rue. Ils stoppèrent brusquement leur marche, se faisant heurter par Fred qui arrivait derrière eux. – Oh… Pardon ! s’excusa Julien. – Ah ? répondit Fred perdu dans ses pensées. – Ah… – Ce n’est pas grave. Commenta le Singe noir. Profitant de cet arrêt et de cette rencontre fortuite, Julien se permit de demander à Fred un renseignement. Il était persuadé que cet inconnu pourrait le renseigner, car aux yeux de Julien, ce Fred avait un petit air de… un petit air de bien aimer le Japon. Il repoussa son Singe noir en lui mettant une main sur la tête et demanda : – Excusez-moi monsieur. – Oui ? – Vous savez où je pourrais trouver un bon vrai restaurant japonais dans le coin ? Le visage de Fred s’illumina de nouveau, trop content que quelqu’un lui adresse encore la parole aujourd’hui : – Hmm… ? Bien sûr, il y en a un très bon où je vais tout le temps… Oh…
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