Grégoire Plus
Pérégrinations d’un cherchant-Dieu
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Pérégrinations d’un cherchant-Dieu
« L’ intelligence est la force, solitaire, d’extraire du chaos de sa propre vie la poignée de lumière suffisante pour éclairer un peu plus loin que soi - vers l’autre là-bas, comme nous égaré dans le noir. » Christian Bobin. L’Inespérée. (1994)
Avant-propos
Parti un mois à Cuba auprès d’un frère en mission, seul depuis 5 ans, je me suis retrouvé avec le handicap de ne pouvoir dialoguer. Je n’avais pas appris l’espagnol à l’école. Internet étant peu disponible, le téléphone n’en parlons pas, je me retrouvais vite comme enfermé dans une solitude nouvelle. Je me suis mis à écrire. Assez vite du reste. Je n’en avais pas le projet. C’était plus, je crois, pour pouvoir parler à quelqu’un. Un peu comme Robinson. Ce livre a été mon Vendredi. Ce travail eu l’effet d’une catharsis. Écrire m’a fait regarder autrement. C’est d’abord la vie qui m’a frappé : étonnante, foisonnante, pleine de ces détails sur lesquels on glisse si facilement. Et puis, des lectures, des travaux antérieurs sont revenus en surface. En fait, ils étaient là en attendant d’être utile. J’ai écrit sans rien construire. Les mots, les citations sont venus tout seuls. Et enfin, j’ai expurgé
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certaines violences. Elles étaient là aussi. Cachées ou que je ne voulais voir. On dira peut-être que certaines critiques sont trop rapides. Ou trop dures. J’ai voulu les laisser telles quelles. Rien à faire des circonvolutions ou de faire un récital de lieux communs éculés. Tant pis si ça blesse. La vie n’est pas douce. Quand elle nous blesse, elle ne s’excuse pas. Et puis gentil ce n’est pas un métier. J’ai dit ce que je portais. Franco de port. Pour ne plus être spectateur du réel. Et puis après, peu importe mes critiques et mes analyses. Peu importe là où je pourrais avoir certains angles morts. Car derrière il y a davantage. Il fallait aussi ces critiques -qui sont d’abord une soif de quelque chose d’autre- pour m’ouvrir les yeux sur un autre réel. En allant au bout de mes expériences. Car derrière, il me semble qu’il y a encore de la lumière. Une autre. Riante. Joueuse. Qui nous attend.
Cuba, le 25.08.2014.
Il fait noir ici.
Cuba est à 9h00 d’avion de Paris. Plus grande île des Caraïbes, elle suscita l’extase de Christophe Colomb lorsqu’il y accosta en octobre 1492. La descente d’avion est plus décevante : une chaleur moite, poisseuse vous pénètre sans demander de permission. Puis vient l’accueil castriste. 1h30 d’attente pour passer l’immigration alors que je suis sorti avec le premier tiers de l’avion. Pendant ce temps, mon habit religieux a alerté la sécurité politique. J’ai droit à plusieurs agents qui, les uns après les autres, viennent vérifier mes papiers : passeport, visa, billet de retour, assurance de rapatriement, adresse à Cuba, raisons du voyage Je leur réponds avec le plus grand des sourires, comme une star vers laquelle se précipitent des paparazzi. Derrière leur stoïcisme de façade, je sens que cela les énerve. Ils voudraient par leurs passages successifs susciter mon inquiétude. C’est l’inverse qui se passe. Et, sans
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tomber dans l’excès - je ne sais pas de quoi ils sont capables - je pousse mon imprudence en prenant un malin plaisir à leur faire sentir mon haleine chargée du vin rouge qui m’a aidé à dormir dans l’avion. J’essaye de respecter chaque homme, quelle que soit sa fonction. Mais je ne supporte pas la race de ceux qui en usent pour faire sentir leur pouvoir et susciter la peur. Comme des roquets. Vous savez, ces chiens qui mordent de préférence des enfants ou des vieillards, ceux qui ne peuvent jamais se défendre. Aucune noblesse. En plus ceux-là sont cocos. Des fascistes de gauche. Une fin de race qui n’en finit pas de mourir. Je me promets de prier pour son éradication de la planète1. Après cette mise en bouche, je rejoins le taxi qui m’attend depuis plus de 2h00. Une Pontiac jaune rutilant qui vient de fêter ses 60 ans. Peu de circulation, peu de voitures2, peu de monde, peu d’enfants, peu de sourires au milieu des maisons coloniales, qui par leur état rajoutent à la tristesse, des immeubles A l’ heure de publier cet essai, j’apprend le dégel des relations de Cuba avec les USA. La fin du Castrisme? J’ose l’espérer pour le peuple Cubain. 2 Beaucoup de vieilles voitures américaines qui ont 60-65 ans, des Lada, et quelques voitures occidentales. Arrivant au pouvoir, Raoul Castro a ouvert le marché automobile, mais avec une taxe de 200% sur le prix… Ils ont ainsi vendu 50 voitures en 2013 ! 1
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préfabriqués en béton venus tout droit de la défunte URSS. Des cases à lapins qui ont essaimé dans les grands paradis des prolétaires. Je dois vraiment être un sale bourgeois parce que ce décor n’évoque pour moi aucun Eden. Nous roulons dans des faubourgs interminables. Malgré le soleil qui est partout, il fait gris. C’est comme si en plein jour, il faisait toujours nuit. Depuis quand a-t-on voulu que l’obscurité soit la lumière du jour ?
Cuba, pays athée ?
Place de la révolution : le Che trône sur un immeuble froid. Une architecture stalinienne. Du béton gris qui fait écho à l’uniforme vert métallique des Castro et des F.A.R. (Forces Armées Révolutionnaires), au pouvoir depuis 1959. Des fous sanguinaires ? Non, non, des croyants. Kundera en Tchécoslovaquie l’avait très bien compris : « Ceux qui pensent que les régimes communistes sont exclusivement la création de criminels laissent dans l’ombre une vérité fondamentale : les régimes criminels n’ont pas été façonnés par des criminels, mais par des enthousiastes convaincus d’avoir découvert l’unique voie du paradis3. » Un gouvernement religieux, messianique, investi d’une mission divine4. Ces apôtres, fervents nostalgiques du paradis, n’ont pas eu d’ambition M Kundera, l’ insoutenable légèreté de l’ être. Folio, 2013. p254. 4 Fidel et Raoul Castro ont été éduqués dans un collège jésuite d’excellence, à Belen. 3
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moindre que de l’établir sur terre ! Dévouant leur vie à cette cause et y faisant entrer tout un peuple, ils s’y sont donné sans relâche, tels des missionnaires quittant tout dans un don incomparable d’euxmêmes. Le paradis en marche, ils sont devenus des liturgistes obséquieux, des canonistes rigoristes, de grands théologiens de cette foi ignorée alors de tous. Cette nouvelle religion a fait des cubains les dignes héritiers des vertus évangéliques de pauvreté, d’obéissance et d’amour du parti. Un peuple uni vénérant son messie vivant et pour lequel tout est mis en commun5. Ici, tous sont égaux. Sauf certains, qui sont plus égaux que les autres. Vraiment, des croyants ? Ce système mis en place n’est de fait pas sans rappeler les débuts de l’église Calviniste, à Genève par exemple, où la surveillance policière de la vie individuelle était si forte que certains y ont reconnu un des fondements des cf. Le malheur du siècle. Fayard. 1998. Etude d’Alain Besançon sur les deux grands totalitarismes du XXe siècle, qui fait le lien entre le nazisme, fruit d’une laïcisation de l’ éthique religieuse de l’Ancien Testament, le ‘peuple élu, la race choisie, la terre promise’, ou encore la laïcisation du Nouveau Testament, de l’annonce du Royaume au milieu de l’ humanité et de la béatitude des pauvres dans le marxisme : ‘Bienheureux les pauvres car demain je vous promets le Grand Soir… ”.
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totalitarismes modernes6! Ce que l’Inquisition avait timidement ébauché, les puritains l’avaient réalisé : ils ont poussé la religiosité dans des extrêmes idéologiques et pratiques jamais atteint jusque là: pureté morale excessive, fidélité sans faille à la communauté, application de la doctrine à la lettre, recherche active des hérétiques et autres associés du diable 7 De même, la théologie puritaine se focalisa sur la relecture de certains points de l’Evangile délaissant le reste comme des enfants absorbés par une mouche et oubliant l’assiette sous leurs yeux. La richesse devint ainsi le vrai danger ; et s’il était insensé de la rechercher pour elle-même, il devint moralement coupable de s’y attacher. Le marxisme-léninisme en fera son beurre. De même, pour les puritains, l’intention de la providence voulait la division du travail. Adam cf. Max Weber. L’ éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Ouvrage disponible sur le site : http://www.llsh.univ-savoie.f traduction. de Jean Marie Tremblay. 7 Ainsi, le Calvinisme, qui s’est imposé à Genève et en Ecosse au 16e et au 17e aux Pays-bas et en Angleterre, a été une forme tyrannique d’un contrôle ecclésiastique jamais connu et défendu avec héroïsme par ses populations. De même, les sectes des Quakers, les Mennonites issus de la Réforme ne furent ni une libération dogmatique ou pratique puisque le contrôle y fut on ne peut plus dur, et un ascétisme violent y était de règle. De récentes études sociologiques montrent que les plus grandes révoltes de libérations des années 60/70 viennent de ces lieux ou les mouvements sectaires eurent le plus d’emprises. 6
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Smith -fils de calviniste- souligna combien la spécialisation devait permettre le développement de l’habileté et l’accroissement de la quantité de la production, servant ainsi le bien général8. Le bien commun est en effet, pour les calvinistes, le sommet de la charité. Rechercher un bien personnel revient à idolâtrer la créature. Digne héritier de l’idéalisme de Platon. Le philosophe Grec fut le premier a formaliser le communisme des biens, des femmes et des enfants9. Enfin, dans leur conception, Dieu avait voulu expressément la pauvreté pour certains afin d’éviter qu’ils ne soient tentés et qu’ils ne perdent leur obéissance religieuse10. Il fallait donc maintenir ces masses dans la pauvreté pour suivre la volonté divine. Prenez cette doctrine, remplacez Dieu par l’Etat-providence-omniprésent, seul dispensateur de lumière, surveillant ses fidèles avec l’instinct d’une mère capricieuse désirant que ses enfants entrent tous dans les ordres, et vous avez El paradisio del Cuba ! Un état religieux, croyant dans son inspiration divine, avec son messie vivant, son inquisition efficace, sa curie bien huilée, ses liturgies ferventes, cf. Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Adam Smith. 1776 9 cf. Platon. La République. 10 On retrouvera ce type d’arguments chez des personne comme le contre-révolutionnaire Joseph de Maistre. 8
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son haut clergé, ses sacristains, ses enfants de chœur, ses cours de catéchisme, ses prisons pour hérétiques Alors, ce régime dit athée, est-ce en fait une secte ou bien, mieux encore, un enfant bâtard de ceux qui se veulent la grande famille des rachetés mais qui vivent trop souvent comme des parfaits à qui on ne peut rien reprocher ? Bref, je viens de débarquer dans une prison à ciel ouvert. Les touristes qui ont pris l’avion avec moi la visiteront dans des bus air-con comme on visite le zoo de Thoiry. Ils en garderont quelques photos cartes postales, des odeurs de Rhum et de cigares mélangées aux images des atrocités en Irak, à une pub pour shampoing et au dernier bulletin météo. Certains iront même me soutenir ou plutôt m’expliquer - au cours de repas dans des restaurants exclusivement réservés pour étrangers - qu’en fait, les cubains ne sont pas si mal lotis : quasi-gratuité des soins, de l’éducation et de la culture etc Bien lotis les cubains ? Pétard, mais qu’est-ce que ça peut-être con un touriste ! Ça ose vraiment tout comme dirait Audiard ! Et l’avènement du tourisme de masse leur donne un semblant de justification : « une industrie qui prend les gens comme ils sont, individualisés, atomisés, incultes, pas curieux, désirant vivre dans le régime de la distraction, au sens pascalien du terme,
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c’est-à-dire le désir d’ être hors de soi. Le tourisme contemporain est l’accomplissement du divertissement pascalien, c’est-à-dire le désir d’ être hors de soi plutôt que celui de s’accomplir. Promener sa Game boy à 10 000 kilomètre de la maison, si ce n’est pas s’oublier, qu’est-ce c’est ? 11» D’autant que plus ils se croient instruits avec leur guide en poche, plus ils éprouvent le besoin d’emmerder le monde. La connerie a ceci de différent de la maladie que quand on est con, ce sont les autres que ça indispose. Une société complètement corrompue où tout ce qui est gratuit implique des compensations en nature : est-ce être bien lotis ? Même les animaux dans nos zoos sont mieux nourris et en plus tous les jours, ils ont des médecins et sont 11 cf article du Figaro : ‘ Tourisme pour tous ! Comment la modernité a tué le voyage « C’est Thomas Cook qui invente le tourisme de masse. Cet entrepreneur de confession baptiste organise, en juillet 1841 le premier voyage collectif en train, à un shilling par tête de Leiceister à Loughborough, pour 500 militants d’une ligue de vertu antialcoolique. C’est la première fois qu’on rassemble des gens dans une gare, qu’on les compte, qu’on vérifie s’ ils sont bien sur la liste, qu’on déroule un programme. Les racines religieuses puritaines ne sont pas anodines. Il y a comme un air de pèlerinage, de communion collective, dans le tourisme de masse. Le tourisme est très religieux. Et il y a en effet quelque chose de sacré au fait de pouvoir disposer de la géographie du monde pour sortir de soi. S’ éclater à Cuba, c’est une messe! » http://www.lefigaro.fr/vox/ culture/2014/07/25/31006-20140725ARTFIG00170-tourisme-pour-tous-comment-la-modernite-a-tue-le-voyage.php
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protégés de la pluie, eux. Des gens qui ne peuvent se nourrir de viande parfois qu’une à deux fois par semaine, qui logent dans des immeubles terriblement dégradés, et dans une promiscuité effarante, qui se battent pour du pain, qui vivent dans la peur de la dénonciation, et qui -pour certains- laissent leurs enfants se prostituer bien lotis ? Sans commentaire.
Paradis cubain.
Depuis 1959 il n’y a plus à Cuba de liberté d’expression, de liberté de réunion, de liberté d’entreprise, de que dis-je ? de vie privée ! Chacun est devenu un informateur, chacun espionne son voisin et se sait espionné. Il n’y a plus de secret, plus d’intimité ! « Un camp de concentration c’est un monde où l’on vit perpétuellement les uns sur les autres, jour et nuit. Les cruautés et les violences n’en sont qu’un aspect secondaire (et nullement nécessaire). Le camp de concentration c’est l’entière liquidation de la vie privée.12 » Notons au passage que si à Cuba on a supprimé la vie privée, en Occident, on l’éradique volontairement, vulgairement : en dépensant notre temps dans une consommation effrénée, en s’épuisant en efficaMilan Kundera, L’ insoutenable légèreté de l’ être. Folio, avril 2013. p197.
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