Seawood
Š Sharly Peter, Seawood, 2014.
Sharly Peter
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Le jour J
Cela fait deux heures que Kate est réveillée, qu’elle tourne et se retourne dans son lit. Elle est à la fois anxieuse et excitée. Pour elle, c’est un grand jour. Elle a dix-huit ans aujourd’hui, ainsi que Beverly, sa jumelle qui dort dans la chambre d’à côté. Ce n’est pas tant son anniversaire qui fait battre son cœur, mais plutôt le rendez-vous avec Adam, son amour de collège. Elle est prête à passer le cap… Kate se lève et se regarde dans son grand miroir. Elle doute. Adam aime ses longs cheveux bruns bouclés ainsi que ses magnifiques yeux bleus, mais va-t-il succomber à sa peau blanche et à ses courbes de femme enfant ? Trop de questions se bousculent dans sa tête... Kate enfile une tenue de détente, attache ses cheveux et s’attaque aux corvées. Elle sait qu’elle ne peut pas compter sur sa sœur pour l’aider. Elle entrouvre la porte de Beverly qui dort toujours à poings fermés, descend les escaliers menant au salon d’où se dégage encore une odeur d’alcool et de tabac froid. Kate remonte les stores, tire les rideaux et ouvre les baies vitrées. Elle sort sur
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la terrasse respirer le doux parfum du jasmin et sentir les rayons du soleil réchauffer son visage. Pour Kate, c’est un rituel, un plaisir éphémère avant le spectacle de désolation que son père François lui laisse chaque jour, depuis trois ans maintenant. Personne dans le salon, hormis la trentaine de canettes de bière vides et une bouteille de whisky, la meilleure amie de son père ! Elle ne le trouve pas ivre mort sur le canapé alors Kate se dirige vers sa chambre. Il dort comme une souche sur le sol. Elle le recouvre d’une couverture et ferme la porte. Elle ne se donne plus la peine de le réveiller ; ses gestes sont devenus automatiques. Elle sait qu’elle est impuissante face à l’alcoolisme de son père et celui-ci ne veut pas entendre parler de cure. Alors Kate, en fille modèle, gère comme elle le peut. François n’était pas alcoolique avant. Il l’est devenu au décès de leur mère Leslie, morte d’un cancer généralisé, il y a trois ans. Depuis, ce n’est plus le même homme. Il pleure sa femme chaque jour et s’enivre pour oublier. Il délaisse ses filles et n’a pas conscience des dégâts que cela engendre sur elles. Kate est forte. Elle a toujours été responsable et dévouée à sa famille. Beverly est l’opposée de sa jumelle : insouciante, rebelle, indisciplinée, jamais en reste pour faire des bêtises et attirer l’attention de ses parents. Depuis le décès de leur mère, les filles ne sont plus aussi proches qu’avant ; c’est comme s’il y avait eu une cassure. Beverly lisse ses longs cheveux bouclés et s’habille sexy (comme elle aime le rappeler à Kate). Elle ne veut surtout pas ressembler à sa sœur avec ses boucles et ses
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vêtements de « sainte-nitouche ». Beverly collectionne les garçons, fume des cigarettes et partage même une ou deux bières avec son père ! Elle vient d’obtenir son bac et sa sœur se demande encore comment elle a fait. Kate, quant à elle, évite les conflits avec Beverly (autant qu’elle le peut), car elle a d’autres préoccupations que les sorties de sa sœur. Elle travaille dans la boutique de sa mère « Au Paradis Des Fleurs » où elle a fait son apprentissage durant deux ans. Elle vient d’ailleurs d’avoir son diplôme de fleuriste qu’elle a réussi avec succès et Kate compte bien le fêter en même temps que son anniversaire avec Adam. Elle a pris un jour de repos et lui a donné rendez-vous à quatorze heures chez lui. Adam est un beau jeune homme de dix-neuf ans. Il est grand, mince et plutôt musclé. On dirait un ange avec ses cheveux blonds et ses grands yeux bleus couleur océan. Il vient de terminer sa première année de médecine. Il souhaiterait être pédiatre. Ses parents sont avocats et lui ont offert un studio quand il a eu son bac avec mention « Très bien ». Ils ne se sont jamais quittés depuis le collège, malgré leurs parcours différents. Adam a toujours été là pour elle. Pour lui, c’est la femme de sa vie, celle avec qui il se mariera et aura des enfants. Idem pour elle. Kate est rêveuse. Elle se met à penser à son rendez-vous. Et si elle décevait Adam et qu’elle n’était pas à la hauteur ? Elle s’angoisse, attrape son mp3 et commence le ménage. Une fois tout terminé, elle se dirige vers la cuisine pour préparer son petit-déjeuner qu’elle a l’habitude de prendre dans le patio.
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Le téléphone retentit. Elle décroche. C’est Mme Robert, la gérante de la boutique, engagée par son père au décès de leur maman. Elle lui annonce qu’elle ne pourra pas ouvrir le magasin cet après-midi, car elle est souffrante. En jeune fille responsable, Kate la rassure et lui dit qu’elle sera là. Après avoir raccroché, elle s’effondre. Elle va devoir annuler son rendez-vous avec Adam. Elle est profondément déçue, mais Kate prend le téléphone et l’appelle. Adam décroche, heureux d’entendre la voix de celle qu’il aime. Il se rend vite compte que Kate n’est pas en forme. Elle lui explique pour Mme Robert et l’informe qu’ils ne pourront pas se voir cet après-midi. Adam la tranquillise, lui dit que ce n’est que partie remise et qu’il l’aime comme un fou. Elle raccroche, les larmes aux yeux. La tête ailleurs, elle ne voit pas que sa sœur est réveillée. Beverly a suivi toute leur conversation cachée en haut des escaliers et cette dernière retourne discrètement dans sa chambre afin que Kate ne la surprenne pas. Elle dessine un plan diabolique dans sa tête. Voilà l’occasion rêvée de prendre la place de sa sœur. Beverly a toujours trouvé Adam à son goût, mais Kate le gardait à distance de sa jumelle, car Beverly est une croqueuse d’hommes : elle aime posséder. L’interdit l’excite plus que tout. Être amoureuse est pour elle une perte de temps. Jouer les vierges effarouchées sera un jeu d’enfant et cela pourrait même être drôle... Par contre, se transformer en « sainte-nitouche » lui sera plus difficile, car elle est allergique aux tenues de Kate. Beverly s’en fiche... L’idée même de faire l’amour avec le petit ami de
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sa sœur est jouissif pour elle. Voilà un merveilleux cadeau d’anniversaire… Il est déjà onze heures... Kate file à la salle de bains prendre une bonne douche. Sa meilleure amie Sophia l’a invitée à déjeuner pour fêter ses dix-huit ans. *** Beverly ouvre les volets de sa chambre, enfile un short et un tee-shirt moulant. Elle a entendu Kate partir en scooter. La voie est libre. Elle descend à la cuisine et constate que son père cuve encore. Elle se prépare un café, pique une cigarette sur la table du salon et s’installe sur un transat au bord de la piscine. C’est une belle journée d’été... Quelques brasses pour se mettre en forme et Beverly passe à l’action. Première mission : choisir une tenue qu’elle pourra supporter dans l’armoire de Kate. Beverly passe en revue les robes de sa sœur, mais aucune ne lui fait de l’effet ! Elle finit par choisir une tunique blanche en soie et un short en jean pour amener une touche sexy. Cependant, il lui reste le plus important : les sous-vêtements ! Là, c’est comme pour les tenues : tout les oppose. Beverly aime le noir, le rouge et la lingerie très affriolante alors que sa sœur apprécie le coton blanc et la couleur rose. Elle décide d’opter pour un ensemble blanc en dentelle qu’elle s’était acheté pour mettre sous une robe blanche ultra-sexy. « Idéale pour une vierge ! » se dit Beverly.
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Direction la douche ; au programme : épilation et soin du corps. Après une heure de préparation, Beverly est enfin prête. Elle reste stoïque devant le miroir. Elle est Kate. Visuellement, tout y est : les longs cheveux bouclés, un maquillage léger et une tenue estivale. On dirait un ange... et pourtant, c’est bien Beverly, la diablesse. Elle pique une paire de spartiates en cuir blanc à Kate et descend au salon. Aucun signe de vie... Elle attrape son casque, ses lunettes de soleil et part à la conquête d’Adam. Beverly gare son scooter et se dirige vers l’immeuble d’Adam. Elle est très excitée. « Et s’il était sorti ? » pensat-elle. Non... C’est son jour de chance, ce n’est pas possible autrement. Beverly sonne. Son cœur bat à deux cents à l’heure. Ce qui différencie les jumelles c’est leur langage, pas la voix, car elles ont la même. Elle perçoit Adam surpris, mais heureux. Il lui dit de monter. « C’est comme au cinéma », se dit Beverly. Elle doit jouer sa scène, sauf qu’elle n’a droit qu’à une prise. Adam ouvre la porte et Beverly se jette dans ses bras en l’appelant « Mon Amouuur ». Elle a déjà vu sa sœur le faire. Elle lui explique qu’elle a pu se libérer, car elle ne voulait pour rien au monde manquer leur rendez-vous. Il est aux anges, enlace Beverly et l’embrasse tendrement. Elle recule et lui dit timidement qu’elle veut faire l’amour avec lui. – Tu es sûre ? lui demande Adam. – Certaine... elle l’est. Beverly lui dépose un baiser. Il l’attrape, la pose délicatement sur son lit puis l’étreint
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passionnément. Il la caresse, passe sa main farouchement sous sa tunique et remonte jusqu’à sa poitrine. Beverly frémit de plaisir. Elle ne tient plus. Elle aurait envie de lui arracher ses vêtements et de le chevaucher, mais elle doit agir comme Kate. Ce n’est pas facile pour elle, car Adam est un très beau jeune homme. Il lui retire délicatement ses vêtements, couvre son corps de baisers et contemple ses courbes parfaites : sa jolie poitrine enveloppée dans de la dentelle blanche, sa taille fine ainsi que ses jambes minces et galbées. Il se déshabille et lui dit qu’elle est magnifique, qu’il l’aime et la désire. En retour, elle lui fait la même déclaration. Adam lui retire alors ses sous-vêtements, descend sur sa poitrine, joue avec le bout de ses seins. Beverly est prête à exploser. Elle se frotte contre son corps lui faisant comprendre qu’elle le veut. Elle soupire de plus en plus de plaisir. Adam comprend qu’elle est prête. Il la prend doucement puis plus intensément. Ils font l’amour tout l’après-midi, oubliant ce qui les entoure. Soudain, Beverly se rend compte qu’il est dix-huit heures passées. Elle saute hors du lit, enfile ses vêtements et dit à Adam qu’elle doit partir au plus vite. Il a l’air surpris, l’attrape et l’embrasse en la suppliant de rester avec lui afin qu’ils fêtent ses dix-huit ans ensemble ! Beverly lui dit qu’elle l’aime et qu’elle voudrait rester, mais qu’elle doit rentrer chez elle pour s’occuper de son père qui ne va pas bien. Adam tient à lui offrir son cadeau avant qu’elle ne parte. Beverly est mal à l’aise. Cela devient trop compli-
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qué pour elle. Elle refuse, lui fait comprendre qu’elle ne veut pas l’ouvrir à la va-vite. Déçu, il lui fait promettre de l’appeler ce soir. Elle acquiesce, l’embrasse et s’enfuit sans tarder. « Énorme !!! » se dit Beverly. Elle est au septième ciel. Cependant, il faut qu’elle atterrisse rapidement, car Kate quitte son travail dans une demi-heure et son trajet pour atteindre la maison est de vingt minutes. Beverly arrive. Elle chantonne et n’en revient toujours pas. Non seulement elle a réussi à piéger Adam, mais en plus, c’était merveilleux... Elle range son scooter discrètement, passe par le jardin, regarde si la voie est libre du côté de la piscine. Personne... Elle rentre par le patio attenant à la cuisine, se dirige vers les escaliers menant aux chambres à l’étage et se réfugie dans la sienne. Elle attrape une robe rouge légère à bretelles et file sous la douche. Fermée... La porte de la salle de bains ne s’ouvre pas. – Papa ! hurle Beverly. Pas de réponse et pourtant elle sait que c’est lui. Après ses cuites, il aime se prélasser dans un bon bain avec de la musique. « La tuile ! » se dit-elle. Elle retourne dans sa chambre, cache sous son lit les vêtements de sa sœur et enfile sa robe. Beverly branche son fer à lisser, mais elle n’aura pas le temps. *** Kate ferme la boutique de fleurs, effondrée. Elle a reçu un message d’Adam qui la bouleversée :
Seawood Mon amour, j’ai passé un après-midi merveilleux à tes côtés. Ces moments resteront gravés à jamais dans ma mémoire. Je sens encore ton parfum sur ma peau et j’ai hâte qu’on se retrouve à nouveau pour ne faire plus qu’un ! Je t’aime ma princesse, à tout à l’heure au téléphone.
« Ce n’est pas possible... C’est un cauchemar ! » se dit Kate. Elle prend son courage à deux mains et appelle Adam pour avoir des explications. – C’est moi, Kate ! dit-elle, en larmes. – Que se passe-t-il ? Pourquoi tu pleures ? Il est arrivé quelque chose à ton père ? – Non, dit-elle étouffant un sanglot… C’est ton message ! – Mon message ? dit-il surpris. Tu as des regrets, c’est ça ? – Je ne peux pas en avoir, car je n’étais pas avec toi ! J’étais à la boutique... dit-elle, effondrée. – Non, ce n’est pas possible... ce n’est pas vrai, bafouille Adam. Oh mon Dieu Bever… Kate raccroche au nez d’Adam, le laissant dans son désarroi. Elle prend son scooter, gonflée à bloc et part bien décidée à « tuer » sa sœur ! Elle est dans une colère noire ; « comment a-t-elle pu me faire ça ? Ma propre sœur ! » Elle arrive dans la maison et claque la porte suffisamment fort pour que Beverly l’entende. – Beverlyyyyy ! hurle-t-elle. Sors de ta cachette si tu l’oses.
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« Ouah ! Elle est énervée ! se dit Beverly en souriant. C’est juste un mauvais moment à passer... elle s’en remettra », pense-t-elle. Kate monte quatre à quatre les escaliers en criant qu’elle a dépassé les limites. Beverly sort nonchalamment de sa chambre et lui dit : – Mais pourquoi tu hurles comme ça ? – Espèce de garce, comment t’as pu ? – Pu quoi ? dit-elle en narguant sa sœur. – Tu sais très bien de quoi je parle ! Tes conquêtes ne te suffisaient pas, hein ? Il te fallait Adam aussi ! – Ah ça ? C’était merveilleux... De toute façon, tu n’aurais pas été à la hauteur... Non, mais regarde-toi avec ton air de pucelle à ne pas y toucher ! S’en est trop pour Kate. Elle se jette sur sa sœur. Beverly la repousse violemment et Kate chute dans les escaliers. Elle crie, puis plus rien... Pendant l’espace d’un instant, Beverly ne réagit pas. Le bruit de la chute résonne encore dans sa tête. Elle s’approche doucement de la première marche et voit sa sœur inerte en contrebas. Du sang coule de sa tête. Sous le choc, elle descend, s’approche et tend sa main tremblante sur le corps de sa jumelle. Elle la secoue et lui demande de se réveiller. Beverly réalise à cet instant que sa sœur n’est plus. Elle hurle : – Kaaate, reviens Kate ! En larmes, couchée sur le corps de sa sœur, Beverly murmure : – Je ne voulais pas tout ça, non je ne voulais pas…. Kaaaate !
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– Kate ? Que fais-tu ? dit son père qui se tient en haut des escaliers, son casque de musique à la main et une bouteille dans l’autre. – Papa, papa ! sanglote Beverly. François prend conscience qu’il y a un problème. Il pose ses affaires et accourt auprès de sa fille. – Oh mon Dieu, non ! Kate ! dit-il effondré. Il se retourne vers Beverly, la regarde et lui demande perturbé : – Kate, c’est toi ? Beverly sait que sa jumelle a toujours été la préférée de son père. Dans un élan d’inconscience, elle lui répond : Oui, papa c’est moi Kate. Beverly est morte ! dit-elle en pleurant. Le père prend sa fille décédée dans les bras et s’écroule. Beverly lui raconte que sa sœur s’est fait passer pour elle auprès d’Adam, qu’elle s’en est rendu compte et elles se sont disputées. Elle explique que pendant la dispute, Beverly est tombée dans les escaliers et que ce n’est qu’un malheureux accident. Beverly prend la place de sa jumelle, mais elle n’a pas encore conscience des retombées que cela aura sur son avenir… *** Une heure plus tard... Elle regarde Kate s’éloigner par la fenêtre. Comme à son habitude, elle est recouverte d’un linge blanc, mais c’est sur un brancard qu’elle quitte à jamais la maison
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familiale. Le père a pris soin d’arranger les faits. Il ne voulait en aucun cas perdre ses deux filles en même temps.
Trois ans plus tard
Seawood, juillet 2003
Il y a quinze jours que Beverly a enterré son père. Elle a mis sa vie en parenthèse durant trois années où elle a dû jouer le rôle de sa jumelle. Elle s’est prise au jeu, à tel point qu’aujourd’hui, elle se prend même pour elle. On a retrouvé la voiture de son père écrasée contre un pylône électrique. Il est mort sur le coup, avec un taux d’alcoolémie dépassant largement celui autorisé. Beverly n’a pas été surprise lorsque la police est venue lui annoncer son décès, car depuis la mort de Kate, François s’était encore plus réfugié dans la boisson. C’est en triant des papiers pour l’enterrement de ce dernier, qu’elle trouve dans son coffre des centaines de lettres destinées à sa mère. À la lecture de celles-ci, elle découvre stupéfaite, que sa grand-mère maternelle américaine n’est pas morte comme son père le leur disait, mais bel et bien en vie. Elle s’appelle Elisabeth Lewis et vit à Seawood dans le comté de Neverland. Pendant des années, elle a écrit à sa fille Leslie (leur mère décédée), mais les courriers
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sont toujours restés sans réponse puisqu’elle n’a jamais eu connaissance de ces lettres ; son mari les lui cachait systématiquement. Trop de questions traversent l’esprit de Beverly : « Pourquoi ? Est-elle encore en vie ? » Elle remarque que la dernière lettre remonte à six ans. Cette date correspond au décès de sa mère... Suite à cette découverte, Beverly décide de quitter sa Côte d’Azur natale et se retrouve dans l’avion, direction les États-Unis. Elle souhaite retrouver sa grand-mère Elisabeth. C’est comme un retour aux sources... Beverly a mené son enquête et a pris soin de vérifier qu’Elisabeth Lewis vivait toujours au 1703 Sunbeach avenue, à Seawood. Le vol va être long. Elle s’installe confortablement dans son siège, attache ses cheveux bouclés comme sa sœur le faisait et écoute de la musique sur son mp3. Beverly a fait faire son passeport au nom de Kate. Depuis sa mort, elle se comporte comme sa jumelle dans les moindres détails. De temps à autre, Beverly réapparait ; elle lisse ses cheveux, prend une cigarette et ressort ses tenues plus sexy, mais cela ne dure jamais longtemps. Durant le trajet, les mêmes questions reviennent : « Comment est Elisabeth ? Est-elle gentille ? Va-t-elle m’aimer ? » Elle n’a plus rien à perdre et ce voyage la rend heureuse. Pour Beverly, c’est un nouveau départ. La voix de l’hôtesse annonçant leur arrivée la réveille. Elle va se rafraîchir et se faire une beauté. Elle veut faire bonne impression auprès de sa grand-mère. L’avion atterrit ; le commandant de bord leur souhaite la bienve-
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nue sur le sol américain. Il les informe qu’il est 8 h 30 et que la température est de 25 °C. Beverly passe les contrôles de papiers et part récupérer ses bagages. Elle se dirige ensuite au comptoir des bus et demande, dans un anglais parfait, quelle ligne elle doit prendre pour Seawood. Beverly est bilingue ; depuis son plus jeune âge, sa mère lui parlait dans sa langue maternelle. L’hôtesse lui dit de prendre le 469. Il met deux heures pour s’y rendre. Il est 10 h 30 passé et Beverly n’est plus très loin de sa grand-mère, elle commence à s’angoisser et a une envie furieuse de fumer. *** Elisabeth n’est pas en forme ce matin. Elle n’a pas fermé l’œil de la nuit. Elle a été dérangée par des esprits, ceux de Madison Allen et Tess Williams, des jumelles décédées il y a trois ans, jour pour jour. On les a retrouvées mortes, échouées sur la plage de Seawood. Elisabeth est médium, mais depuis le départ de sa fille Leslie pour la France il y a 25 ans, elle n’a plus jamais eu de contact avec les morts, ni même de visions. Elisabeth ne se remet pas de sa nuit. Elle est bouleversée pour deux raisons. À l’époque du décès de Madison et de Tess, elle avait essayé d’entrer en contact avec elles (à la demande des parents), mais sans succès. Aujourd’hui, ce sont les jumelles qui viennent vers elle… avec le message suivant : « Elle arrive, elle arrive… elle est la clé… » ne fait que renforcer son inquiétude… Tant bien que mal, Elisabeth se prépare un café. Elle s’installe encore toute retournée sous sa véranda. Perdue
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dans ses pensées, elle ne voit pas Monsieur Jackson, son voisin, lui faire signe de la main. Jack, comme elle aime l’appeler, est veuf et retraité de l’armée. Il est passionné par les roses et ils ont pour habitude de se voir pour déjeuner et jouer aux cartes tous les mardis. Ils entretiennent une relation amicale depuis des années. ***
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« Seawood, me voilà ! » se dit Beverly qui commençait à trouver le temps long. Le bus prend la direction de Seawood Beach et longe la côte jusqu’à la gare routière. Elle observe par la fenêtre toutes ces maisons qui font face à l’océan. « J’adore… je sens que je vais me plaire ici… » se met-elle à penser, mi-euphorique mi-stressée. Elle aime aussi le paysage de l’autre côté... Les collines, les arbres et les maisons perdues dans les hauteurs verdoyantes. Le chauffeur sonne l’arrêt. Beverly descend, récupère ses valises et se dirige vers un taxi. Elle lui indique l’adresse d’Elisabeth. L’homme lui précise qu’elle n’est qu’à deux rues à environ cinq minutes de marche, mais qu’il peut la déposer, si elle le souhaite. Elle est épuisée par ce long voyage et ses bagages sont lourds. Elle est à peine installée dans le taxi, que le chauffeur s’arrête devant une jolie maison blanche aux grandes fenêtres. Elle regarde le nom sur la boîte aux lettres bleue où il est inscrit : Mme Lewis Elisabeth. Elle emprunte l’allée remplie de rosiers rouges en fleurs menant à la porte d’entrée et monte les quatre
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marches avant d’atteindre le perron. Beverly a le cœur qui bat vite. Elle reprend sa respiration et frappe à la porte. Personne ne répond. Elle frappe à nouveau espérant que sa grand-mère soit là... Épuisée, Elisabeth s’est assoupie dans son fauteuil. Elle se réveille en sursaut lorsqu’elle entend frapper. Elle regarde la pendule et se rend compte qu’il est midi. Elle se dirige vers l’entrée, mais elle est bien loin d’imaginer qui se tient derrière la porte... Elle ouvre… Beverly, dans l’émotion, lui lâche : – Bonjour ! Je suis Kate, votre petite-fille de France... Elisabeth, en la voyant, comprend tout de suite qui elle est. C’est le portrait craché de sa mère. Elle reste stoïque à la porte et n’entend pas ce que lui dit la jeune fille. Tout se bouscule dans sa tête ; un mélange d’émotions et de questions. Elle revient à elle lorsqu’elle entend la voix de Beverly lui demander : – Je peux entrer ? – Oui, oui, bien sûr. Beverly laisse ses bagages dans l’entrée et regarde Elisabeth. Elle la trouve très belle pour son âge ; ses beaux cheveux longs et ce regard bleu profond lui donnent énormément de charme et de prestance. – « Je ne la voyais pas comme ça », se met-elle à penser. – Tu as faim ou soif peut-être ? – Oui, je boirais bien quelque chose. Merci ! – Suis-moi. Beverly trouve la maison très chaleureuse ; le parquet donne de la force aux murs kaki et les encadrements
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