Souvenirs liseuse

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Les Souvenirs de l’avenir

Jean-Pierre Dauphin



Les Souvenirs de l’avenir



Jean-Pierre DauPhin

Les Souvenirs de l’avenir



Le rêve nous aide à vivre Mais les aléas de la vie Viennent souvent contrarier La vie dont nous rêvions.



1. Luc Luc, 68 ans, fréquente avec régularité une salle de gymnastique. il pratique également l’aviron, activité sportive initiée lors de sa première année d’études à l’école d’officiers de la marine marchande. au début de sa deuxième année à cette école, il s’était rendu compte que les choses évoluaient dans le domaine des transports. il avait alors carrément tourné le dos à une profession quasi traditionnelle dans la famille, son père et ses deux grandspères ayant été officiers de marine. il s’était tourné vers l’aéronautique et toute sa carrière avait été effectuée dans les services de l’aviation civile. il n’a jamais regretté sa décision, car l’aéronautique est devenue un vecteur essentiel tant au niveau national qu’à celui de l’international. Le transport aérien, presque inexistant au lendemain de la guerre, a en effet rapidement pris de l’importance. en revanche, l’activité maritime de croisière se limitait, dans les années soixante, à celle que généraient des paquebots prestigieux tels que le France, en atlantique, ou le Mermoz, en Méditerranée, pour ne citer qu’eux. Mais le prix élevé de ces croisières de luxe restreignait fortement le nombre des participants. Par la suite, ce mode de loisir s’est amplifié, car l’arrivée de paquebots de taille plus importante a permis 9


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que les prix soient fortement revus à la baisse. L’activité de croisière a alors rapidement pris son essor. Depuis que Luc est à la retraite, il a effectué une croisière, a apprécié son séjour dans ce palace flottant et a fait d’autres voyages maritimes. au cours de ces voyages, il a aperçu puis revu des hommes de son âge et de son rang social. ils se sont parfois trouvés à la même table et, en prenant le café au salon, ils se sont connus plus avant et ont sympathisé. avec certains d’entre eux, il s’est même trouvé de fortes affinités. aussi a-t-il suggéré, il y a deux mois, à six d’entre eux qui habitent dans la région, de se réunir chez lui. ils pourront ainsi se remémorer leurs voyages et évoquer ensemble les souvenirs, bons ou mauvais, qu’ils en ont gardés. De son père, bel officier de la marine marchande, Luc tient le sens du dialogue. Toute personne conversant avec lui, homme ou femme, est rapidement conquise par l’homme cultivé qu’il est. Curieusement, il ne s’est jamais marié, encore que la durée de certaines relations ait pu laisser croire le contraire. Peut-être faut-il y voir la marque de la faille qui s’était instaurée entre sa mère et son père. Celui-ci plaisait aux femmes et savait leur parler. il savait surtout les écouter et les amener à lui confier ce qu’elles avaient envie de dire. La marine, il faut bien le reconnaître, n’est pas le métier le plus compatible avec la stabilité des couples. au début, son épouse avait toléré des infidélités sans lendemain qu’elle excusait en raison des longues périodes d’abstinence imposées aux marins par les voyages lointains. Mais son attitude s’était durcie lorsque le brillant officier qu’était son mari avait été promu, à quarante-six ans, commandant d’un bateau de croisière. La durée des absences avait été notablement réduite, mais, dans le même temps, il s’était épris d’une passagère divorcée, de dix ans sa cadette. elle était professeure de faculté et l’épouse, au comportement de son mari, avait compris que, cette fois-ci, il ne s’agissait pas d’une liaison 10


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éphémère. L’explication entre époux avait été orageuse et tous les arguments, même les pires, avaient été étalés au grand jour. oui, c’est le grand amour. oui, il a la ferme intention de refaire sa vie. Toutefois, pour que les enfants n’en souffrent pas, il maintiendra sa présence au logement familial. il ne veut pas perturber les études de sa fille, en troisième année à la faculté de médecine, et de son fils qui n’a pas encore intégré l’école d’ingénieurs à laquelle il se destine. après quoi, il quittera définitivement sa femme, mais lui laissera la villa dans laquelle ils vivent. Les enfants n’avaient pas pu ne pas être marqués par le lourd climat qui, après cette déclaration, s’était installé à la maison. Les amis que Luc a invités vivent seuls, certains ayant divorcé et d’autres étant veufs. Plusieurs d’entre eux habitent à proximité d’aix et Luc leur a suggéré de se réunir dans le petit village où il habite. L’idée de se revoir a plu et ils ont pris date. Deux d’entre eux dormiront chez lui et pour les autres, Luc a réservé des chambres dans le rustique hôtel du village. Celuici, situé sur la route des alpes, à une quinzaine de kilomètres d’aix-en-Provence, est remarquable par sa tranquillité – le dernier recensement laissait apparaître que la population n’atteignait pas les quatre mille habitants – et par la beauté du site. Le village est entouré de collines et certains, mais là ils exagèrent, vont jusqu’à dire qu’il se trouve dans un cirque de montagnes. il est dominé par un château construit au treizième siècle et transformé en une hôtellerie dont le restaurant, le dimanche, attire de nombreux clients. Le lotissement dans lequel se trouve la maison de Luc est de taille humaine et les parcelles ont été dessinées de telle sorte que les villas ne soient pas trop proches les unes des autres. Depuis son jardin, Luc a une superbe vue sur le château. Seul défaut du village, les collines empêchent de voir la montagne Sainte-victoire immortalisée et rendue célèbre dans le monde entier par le peintre Paul 11


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Cézanne. Ce n’est cependant qu’un petit défaut, vite oublié quand les chaises longues sont disposées dans la partie du jardin qu’un grand figuier protège, l’été, de l’ardeur du soleil. en ce samedi du début du mois de juillet, après que tous sont arrivés et ont échangé de fortes accolades, ponctuées de viriles tapes dans le dos, les six amis de Luc font honneur à l’apéritif préparé à leur attention. Étendu d’eau fraîche, mais pas trop, car l’eau est rare en Provence !, le pastis trône bien évidemment sur la table. il est accompagné d’une mise en bouche provençale composée d’olives vertes et noires, de tapenade, ou caviar marseillais, confectionnée à base d’olives noires écrasées et imprégnées d’huile d’olive, de boutargue composée d’œufs de poisson salés et pressés en forme de saucisse plate. il y a également de petites tranches de pain grillé, tartinées de la rouille qui, d’habitude, accompagne la soupe de poisson. Point trop n’en faut toutefois, car le restaurant où Luc a réservé une table est réputé pour sa bonne chère. Les sept amis s’entassent dans la Toyota de Luc et dans la Peugeot de Maurice. Les gais lurons se dirigent vers un pittoresque village ayant su conserver son caractère typiquement provençal, à la sortie duquel se trouve le restaurant. L’appellation originale de l’établissement, « Les souvenirs de l’avenir », est représentative du sens de l’humour des gérants, que Luc connaît depuis trois ans et qui sont absolument charmants. après que les deux voitures se sont garées sur le parking, la joyeuse bande se dirige vers l’entrée. Précisons que suivant la saison, on pénètre dans la salle à manger par deux entrées différentes. L’hiver, il convient de passer par un salon où l’on est accueilli par un feu de bois qui brûle dans une grande cheminée. Lorsque les rafales du mistral vous ont enveloppé du froid dont le vent s’est chargé en s’engouffrant dans la vallée du rhône et en léchant le flanc des montagnes enneigées, il fait bon s’asseoir sur le canapé disposé devant la cheminée. on y 12


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prend l’apéritif en se réchauffant. L’été, on se dirige directement vers une grande terrasse où les tables sont disposées. Ceux qui le désirent peuvent prendre place dans la salle intérieure, mais il serait dommage, explique Luc à ses amis, de ne pas profiter du spectacle que l’on a depuis la terrasse. L’établissement est niché dans une véritable oasis située en pleine nature, au milieu d’arbres d’essences variées. Lorsque, le soir, Luc vient dîner avec des amis, la gérante du restaurant leur fait prendre place autour d’une table qu’elle a disposée dans le jardin, en contrebas de la terrasse. Le dernier repas que Luc y a pris l’a particulièrement marqué, car la table avait été placée sous un mûrier-platane, à proximité d’une fontaine. Tout au long de la soirée, la conversation de Luc et de ses amis avait été accompagnée par le bruissement de l’eau qui s’écoulait et par le gazouillis des oiseaux, tout au moins ceux qui ne dormaient pas encore. Les personnes qui vivent en ville ignorent cet enchantement et, comme le fait remarquer le citadin qu’est Jacques, ils ne savent pas ce qu’ils perdent. heureusement, s’empresse de lui répondre Luc, sinon ils viendraient envahir nos tranquilles villages… Le pastis ayant été bu chez lui, Luc conseille d’entrer directement dans le sujet en choisissant parmi les plats figurant sur les Menus que Karen, la souriante gérante, vient de distribuer aux convives. Ses amis lui demandant conseil, Luc s’y refuse, car, dit-il, tous les mets sont aussi succulents les uns que les autres. il ajoute qu’il lui serait impossible d’établir un classement qualitatif tant le chef, le mari de Karen, se surpasse en cuisine. Devant l’hésitation de ses amis, Luc suggère que chacun prenne un plat différent de ceux choisis par les autres. Pour accompagner les entrées, deux bouteilles de vin rosé sont commandées, en attendant le vin rouge qui accompagnera les plats de viande. Ces vins sont choisis par le chef et Luc, en demandant à ses amis d’admirer leur robe, dit qu’il les apprécie, car ils sont légers. Maurice abonde en ce sens et ajoute que le Gigondas, un 13


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rouge récolté près de Carpentras et titrant quatorze degrés, se boit cependant facilement. il a toutes ses faveurs et, chaque année, il se rend chez un ami viticulteur pour acheter plusieurs cartons de la « Cuvée du Président », sa préférée. après quelques compliments sur la finesse des mets, dommage que le cuisinier ne les entende pas, un grand silence règne et Luc en est content. C’est la preuve que ses amis se régalent. Tout au long du retour vers la maison de Luc, la conversation porte, bien entendu, sur le repas, car tous en sont enchantés. Maurice, pour sa part, a pris une carte du restaurant. il a l’intention d’y revenir avec des amis et, ajoute-t-il, avec Luc qu’il prendra au passage. après que chacun s’est allongé sur une chaise longue, Luc leur sert un petit verre de mirabelle, liqueur traditionnelle de la Lorraine. Cette liqueur, dont le nom est celui de la prune qui sert à la faire, lui a été offerte par son cousin lorrain lors de sa dernière visite. C’est lui qui a distillé les fruits et la liqueur fabriquée à la ferme est bien meilleure que celle que l’on achète dans le commerce. À sa proposition de faire une petite sieste, tous refusent et insistent pour que les récits de voyage commencent sans plus tarder. Mais qui va commencer ? ils s’accordent à dire que c’est le plus jeune, pour un peu changer, qui sera le premier à raconter ses souvenirs les plus marquants. Comme ils ont à peu près tous le même âge, à part alain, chacun annonce sa date de naissance. Jean-Pierre, le benjamin, prend la parole.


2. Monique et Jean-Pierre Lorsqu’il était plus jeune, et surtout du vivant de sa femme, Jean-Pierre voyageait beaucoup. il donnait alors la priorité aux voyages lointains. Depuis que sa femme l’a quitté pour le pays dont jamais personne n’est revenu, et qu’il a doublé le cap des soixante-cinq ans, il préfère s’en tenir à des pays plus proches. une année, il prend l’avion pour rome, débarque sur le tarmac de l’aéroport et prend un taxi pour se rendre à l’hôtel où une chambre lui a été réservée. il a fait des études classiques, six ans de latin et quatre ans de grec, et il a envie de connaître rome, la ville éternelle, autrement que par les images en noir et blanc des manuels scolaires de son enfance ou par les reportages vus à la télévision. L’hôtel où il se rend lui a été recommandé par sa conseillère en voyages. il est distant du Colisée d’environ dix minutes à pied, mais se trouve dans une petite rue tranquille, loin des artères trop passantes du centre. après une nuit au cours de laquelle le sommeil de JeanPierre n’a effectivement pas été perturbé, le guide vient le chercher pour une découverte de la ville en autobus panoramique. Son premier sentiment est que les vestiges de la rome antique sont moins imposants que ce à quoi il s’attendait. au lieu de voir des monuments composés de blocs de pierre taillée, sem15


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blables à ceux de Grèce, de Sicile ou de Turquie, il découvre que la brique a été le matériau le plus employé. il se doute bien que ces briques étaient certainement dissimulées par un plaquage en pierre. Celui-ci a dû être enlevé par la suite, à des fins utilitaires, mais il ne peut se défaire de son impression première. Cependant, c’est avec un grand plaisir qu’il admire la colonne Trajan, agrémentée de scènes guerrières finement ciselées, les arcs de triomphe élevés à la gloire des empereurs conquérants, le Colisée et les nombreux temples. en voyant ce qu’il subsiste d’un des aqueducs approvisionnant la ville avec une eau qui provient de fort loin, il est en admiration devant le génie des architectes romains. De même, les dimensions de l’hippodrome et de la place du marché public, lointain ancêtre des grandes surfaces selon le guide, lui font revoir à la hausse la superficie qu’il croyait être celle de la ville antique. Quant aux joyaux que sont les statues et monuments édifiés lors de la renaissance et qui défilent sous ses yeux, il les trouve admirables. À l’heure du déjeuner, le guide conduit le groupe de touristes dans un petit « resto » situé dans une ruelle tranquille. À la table de Jean-Pierre, prennent place un jeune couple d’infirmiers et leurs deux enfants ainsi qu’une femme plus âgée, vraisemblablement la soixantaine. Tous sont sympathiques et les conversations, qui vont bon train, n’empêchent pas d’apprécier les plats qui leur sont servis accompagnés d’un excellent vin rosé. entre le dessert et le café, l’infirmier demande aux autres convives ce qu’ils pensent des commentaires du guide au sujet de la louve romaine. Monique, c’est le nom de la dame qui est à leur table, dit qu’elle a étudié le latin. elle n’avait jamais fait le rapprochement entre « lupa », louve en latin et en italien, et « lupanar », car, à l’époque, elle avait onze ans. À cet âge, ce que disent les professeurs est parole d’évangile et on se contente de mémoriser sans se poser de questions. Mais maintenant 16


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qu’elle est adulte, elle voit mal remus et romulus tétant le pis d’une louve. Par ailleurs, « Lupa » et « Lupanar » semblent bien avoir la même racine, car, en italien, le mot « Lupa » désigne une travailleuse du sexe. L’interprétation du guide, selon laquelle une prostituée aurait recueilli les jumeaux et les aurait allaités en même temps que son enfant, lui paraît donc logique. Toutefois, dit-elle, la légende de la louve est inscrite depuis si longtemps dans l’histoire de l’italie qu’il n’a jamais été question de la remettre en cause. et d’ailleurs, quoi de plus beau que les légendes… elle ajoute que lorsqu’elle a vu la fontaine Trevi et, par-derrière, les trois rues (tres viae en latin) qui en partent, elle a compris l’origine du nom de la fontaine. elle n’a pas, précise-t-elle, grand mérite à cela, car, étant professeur de français, elle a forcément étudié le latin. Jean-Pierre, qui lui aussi a étudié cette langue morte, souligne combien la connaissance du latin est utile pour avoir une bonne maîtrise du français. nous pourrons donc, lui répond-elle en riant, comparer nos souvenirs de potaches. il ajoute qu’il avait d’autant moins fait le rapprochement entre louve et lupanar qu’il était dans un établissement religieux. D’ailleurs, à l’âge auquel on commence à étudier le latin, rares sont les adolescents qui, à l’époque, savaient ce qu’est un lupanar. Monique enchaîne en demandant à l’ensemble des convives s’ils sont satisfaits de l’hôtel où ils logent. elle a peu et mal dormi, car des touristes ont discuté bruyamment, et jusqu’à une heure avancée, dans la rue sur laquelle donne la fenêtre de sa chambre. où se trouve votre hôtel, demande l’infirmier. en plein centre de la ville antique, près du Colisée, répond-elle. Jean-Pierre précise qu’à l’agence de voyages on lui avait déconseillé un hôtel trop central, justement en raison des touristes bruyants. il tend alors à Monique une carte de son hôtel et lui suggère de téléphoner pour savoir s’ils ont une chambre disponible. 17


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Le lendemain est une journée libre, afin que chacun puisse acheter des souvenirs et découvrir la ville à son gré et à son rythme. Le guide leur a fixé un point de rendez-vous afin de leur donner quelques explications. en arrivant, Monique dit à ses compagnons qu’elle a quitté l’hôtel du centre-ville. elle a déposé ses bagages à l’hôtel qui lui a été conseillé et elle espère y dormir mieux. après que le guide leur a donné quelques instructions de base, pour ne pas s’égarer, les jeunes s’éloignent. Les moins jeunes que sont Monique et Jean-Pierre s’avancent tranquillement entre les vestiges romains, les maisons contemporaines et les monuments de la renaissance. ils se réfèrent à leurs souvenirs, s’efforçant de situer dans leur contexte les ruines qui se présentent à eux. ils comparent également ce qu’ils ont retenu de la langue et Jean-Pierre avoue qu’il a tout oublié du latin. À l’exception toutefois de la fameuse phrase « Delenda est Cartago », serinée sur le Forum jusqu’à ce que les romains prennent conscience de la nécessité de détruire Carthage, ville qui les empêchait de prendre possession du nord de l’afrique. en revanche, ses souvenirs sont un peu plus précis en grec. il peut encore, de mémoire, réciter l’alphabet et citer une phrase de l’anabase (déipnon o astuagues sun té tugatri kaÏ to Kuro) qui signifie que le roi astiage dîne avec sa fille et Cyrus. Monique lui dit qu’elle regrette de ne pas avoir étudié le grec, car ses racines, ajoutées aux latines, sont à la base de nombreux mots français. Pour ce qui est du latin, elle ne pouvait pas l’ignorer, car, rappelle-t-elle, elle est professeure agrégée de français dans une classe préparatoire aux grandes écoles d’un lycée de Toulouse. Quelle coïncidence, répond Jean-Pierre, la plus jeune de mes sœurs est, elle aussi, professeur agrégé dans la même discipline que vous. Depuis une dizaine d’années, elle est inspecteur d’académie et ne s’adresse plus aux élèves. elle contrôle la qualité de l’enseignement dispensé par les profes18


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seurs. Monique n’a pas voulu accepter ce poste, car il est plus astreignant que celui de professeur, pour un avantage salarial minime. Jean-Pierre abonde en ce sens, car sa sœur a fait la même constatation. Monique connaît bien aix-en-Provence, car c’est dans cette ville qu’elle a fait ses études et passé son agrégation. À la fin de l’après-midi, ils se rendent au restaurant où ils ont déjeuné la veille avec leur groupe. ils se dirigent ensuite vers la rue tranquille dans laquelle se trouve l’hôtel de Jean-Pierre, celui où Monique a emménagé le matin. en marchant, elle demande à Jean-Pierre s’il est croyant, car, pour ce qui la concerne, elle ne sait plus s’il y a, ou non, quelque chose après la mort. Jean-Pierre répond que lui non plus n’est sûr de rien. Pendant longtemps, la condition humaine était si précaire qu’il fallait bien se raccrocher à la croyance en un au-delà meilleur. ne serait-ce que pour enfin goûter à ce qui, ici-bas, était réservé à une minorité. De nos jours, de plus en plus de personnes sont persuadées que le bonheur promis dans l’au-delà est incertain. L’autorité religieuse, longtemps considérée comme étant la seule dépositaire de la vérité, convainc de moins en moins devant les immenses progrès de la science. Quant au nombre des adeptes de la pensée unique, il ne cesse de diminuer. Certes, sans être grand savant, il est évident que rien ne peut venir de rien. Mais cette certitude ne dit pas qui ou quoi est à l’origine de toute chose. Certaines personnes sont persuadées que l’au-delà n’existe pas alors que d’autres, sans se poser de questions, s’en remettent à la religion de leurs parents. Le plus grand nombre, enfin, se déclarent agnostiques. Comme Jean d’ormesson le dit si bien dans l’un de ses derniers livres, il y a autant de raisons de croire en une déité que de ne pas y croire. Cependant cet homme a un tel talent que s’il lui prenait fantaisie de démontrer que la terre est plate, on en viendrait à douter de ce qui a été physiquement établi. en conclusion, toutes les aspirations sont respectables, 19


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à condition que les tenants d’une théorie évitent toute négation radicale des autres croyances. Le fonctionnement harmonieux d’une société n’est possible que grâce à un respect réciproque de la conviction des autres. Jean-Pierre termine sa « péroraison hautement philosophique » et, en riant, dit à Monique que lui non plus ne sait pas ce qui l’attend après la mort. Tout comme elle, il se contente de vivre en se conformant aux préceptes élémentaires de la morale. il ajoute qu’il a deux grands fils, cinq petits-enfants et qu’il a perdu sa femme il y a deux ans. il n’est pas sûr du tout de la retrouver dans le jardin fleuri dont l’existence a bercé de nombreuses générations. il ne l’oublie cependant pas et voyage pour meubler sa solitude. Monique, soixante et un ans, a divorcé il y a six mois, car son mari, médecin, l’a quittée pour refaire sa vie avec sa secrétaire, de douze ans plus jeune que lui. elle prendra sa retraite dans un an et quittera Toulouse. Étant enfant unique, elle se retirera alors dans la maison, située à Lourmarin, que son grand-père avait achetée. Ce village de vaucluse est à une vingtaine de kilomètres d’aix-en-Provence où elle vient de temps en temps. entre autres, à l’occasion du festival Mozart. Jean-Pierre lui disant que lui aussi va assez souvent assister à un spectacle de ce festival, Monique lui répond que le prochain festival sera peut-être pour eux une occasion de se revoir… au matin du jour suivant, le guide vient les chercher pour leur faire visiter le vatican, état dans l’état depuis le début du vingtième siècle. Lorsque leur groupe arrive sur le parvis de la place Saint-Pierre, ils ne sont pas surpris par la densité, bien connue, de la foule qui s’y presse. en revanche, ils s’étonnent du nombre important de touristes chinois qui prennent des photos ou filment. Cette marée jaune, d’ailleurs constatée dans de nombreux pays, est la meilleure preuve que dans l’empire du Milieu se constitue une classe moyenne dont les revenus s’améliorent d’année en année. après avoir visité l’église Saint20


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Pierre et le musée du même nom, tous deux riches de trésors inestimables, Jean-Pierre et Monique s’émerveillent en contemplant le plafond de la chapelle Sixtine. ils conviennent tous deux qu’une visite rapide ne permet pas d’apprécier la beauté de tout ce que renferme le vatican. une journée n’y suffirait pas. Le jour du départ arrive. Tous les membres du groupe expriment le plaisir qu’ils ont éprouvé à visiter rome et leur désir de revenir. Monique et Jean-Pierre, eux aussi, se sont laissés prendre au charme de la ville éternelle, riche d’histoire et unique par la diversité, le nombre et la beauté des monuments de tous styles qui la constituent. ils reviendront, mais pour plusieurs jours. ils se sont déjà promis de se revoir à aix-en-Provence. Jean-Pierre, après un instant de pause, ajoute qu’en arrivant en France, ils se sont téléphoné à plusieurs reprises. Puis, quelques mois après, il n’a pu résister à l’envie d’aller la voir à Toulouse. en l’accueillant, Monique lui a avoué que s’il n’était pas venu, c’est elle qui serait allée le voir. Depuis, Jean-Pierre vit avec elle. Pendant près d’un an, ils sont restés à Toulouse. Maintenant qu’elle a pris sa retraite, ils partagent leur temps entre la maison de Jean-Pierre et celle de Monique à Lourmarin. il n’a pas voulu qu’elle l’accompagne pour cette réunion d’hommes, mais il promet de la leur présenter. Les applaudissements et les félicitations soulignent cette belle love story. Luc se lève, toussote un peu pour s’éclaircir la gorge, une habitude chez lui, et commence son récit :



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