Un degrade d ombres

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Hawken Falken

Un dégradé d’ombres, la silhouette des étoiles





Un dégradé d’ombres, la silhouette des étoiles


Š Hawken Falken, 2014.


Hawken Falken

Un dégradé d’ombres, la silhouette des étoiles



And I don’t know what I’m running from, But I’m running still. Malcolm McCormick – The Star Room



?

Je suis Atlanta, Pittsburgh, Détroit. Je vole, valdingue, vacille, au-dessus des lois, au-dessus de toi, au-dessus des toits. Je m’imagine croulant sous les larmes, peut-être les lames, ou juste les âmes. Absence d’humanité, course à la vanité, perte de réalité, je ne suis rien de plus qu’une statistique sans intérêt. Je suis dans une chambre d’hôtel dont je ne connais ni le numéro ni l’étage. C’est un hôtel très discret, loin des regards indiscrets. Une bouteille de champagne est ouverte, à peine entamée, à mes pieds. Assis sur le bord du lit, une fille dont ne je ne connais ni le nom, ni l’âge, me masse et me fait sentir sa poitrine surdimensionnée.

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À vrai dire, je ne sais pas vraiment ce qui m’a amené ici. Et je ne suis pas sûr de vouloir le savoir. Tout ce qui m’importe, c’est que je sois en vie. À l’instant où mes pensées s’entrechoquent, je suis bien incapable de dire qui je suis, d’où je viens, et où je vais. J’ai l’impression d’avancer au fil des épreuves, sans connaitre leur valeur, sans comprendre ma douleur ni mes peurs. Alors, je retire cette fille de mes épaules, et m’assieds par terre. Puis, je contemple mes mains, et remarque tous ces changements que je n’ai pas voulus, toutes ces autres routes que j’ai empruntées sans faire exprès. Les conséquences ont pris le dessus sur les causes. Tout fane, même les roses. Doucement, je caresse mon visage sombre. Et disparais, dans un dégradé d’ombres.


1.

Une fine pluie tombait et glissait entre les rues recouvertes d’un voile grisâtre. Le temps semblait avoir ralenti, voire même s’être arrêté. La ville arborait un sourire triste, comme si elle pensait à de vieux amis qu’elle avait quittés sans leur dire au revoir. De temps à autre, on pouvait voir les douces lumières isolées d’une chambre tenter, en vain, d’égayer cette journée. Bref, aujourd’hui était l’un de ces dimanches pluvieux et ennuyeux, l’un de ces dimanches où l’on traîne au lit jusqu’à ce que le midi prenne calmement la place du matin, l’un de ces dimanches où l’on reste chez soi à lire et à écouter du Al Green en dégustant un bon vin, l’un de ces dimanches où l’on a tout sauf envie de travailler le lendemain, l’un de ces dimanche qui me tient tendrement la

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main, et m’emmène saluer les bateaux essoufflés du port qui partent au loin.

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Vingt-trois heures sept. Et douze secondes pour être précis. Ça devait faire une bonne vingtaine de minutes qu’il attendait. C’est sa Rolex qui le lui disait, celle que son père lui avait donnée il y a deux ans, qui, bien des années avant, l’avait lui-même reçue de son père en guise de cadeau de mariage. Ses yeux étaient scotchés sur le mouvement mécanique et infatigable des aiguilles. Tic-tac, tic-tac. C’était encore et toujours la même démarche, encore et toujours la même cadence, encore et toujours la même face qui le narguait ouvertement. Mais, à vrai dire, il s’en fichait pas mal. Il estimait que le temps n’était rien d’autre qu’un sablier, et que, contrairement à lui, il n’était pas libre de ses gestes. Lui pouvait faire ce que bon lui semblait. Pas le temps. Il s’égrenait et faisait succéder les évènements les uns après les autres, voilà tout. Il n’avait aucune autre fonction, aucune autre carrière possible. Il ne servait qu’à


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savoir si on regardait derrière ou devant soi, et pas à résoudre des équations ou des problèmes de couple. Mais bien qu’il ne prêtât aucune importance au temps, il concédait qu’il était loin d’être une compagnie idéale : il restait muet comme une carpe, le regard vitreux. Impossible d’avoir le moindre contact. On s’asseyait à côté de lui, et on le laissait défiler. C’était tout. Rien de plus. Pour combattre ces minutes irritantes, il sortit un petit Bic blanc, et alluma une Marlboro. Il observa un moment les cinq cigarettes qu’il lui restait, et referma lentement son paquet de son pouce. Puis, il abaissa la vitre de sa voiture, et appuya son coude sur l’embrasure à sa gauche. La fumée qu’il dispersait était ronde et orangée, fraîche et agréable comme une brise d’été. Sa cigarette aimait bien sa façon de l’aspirer. Il était serein, sûr de ce qu’il faisait. Pas d’hésitation, pas de doute. Il n’y avait pas de grand discours ou d’explications avant la première bouffée. C’est quelque chose qui était devenu naturel, quelque chose qui allait de soi. Et, à chaque fois, lui et la cigarette voulaient

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