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à 33 Le métavers, le monde d’après ?

DOSSIER

LE MÉTAVERS: LE MONDE D’APRÈS?

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PROMUS PAR LES GÉANTS DU NUMÉRIQUE, LES UNIVERS PARALLÈLES DEVRAIENT PROCHAINEMENT OUVRIR LEURS PORTES. VIRTUELS, IMMERSIFS, MULTI-UTILISATEURS... MAIS QUE FAUT-IL ATTENDRE CONCRÈTEMENT DE CES NOUVEAUX MÉDIAS ?

n monde nouveau, on en rêvait tous ! », chante Feu! Chatterton sur son dernier album. Il semblerait que Mark Zuckerberg soit un fan du groupe parisien tant le boss de Facebook semble décidé à mettre le paquet sur son projet de métavers. Allant même jusqu’à changer le nom de sa société, devenue “Meta”, celle qui chapeaute toutes ses activités : Instagram, WhatsApp, Messenger et, bien sûr, Meta Quest, sa filiale spécialisée dans les casques de réalité virtuelle. Soit la porte d’entrée vers ce futur monde numérique.

ISSU DE LA SCIENCE-FICTION

Mais commençons peut-être par une question toute con : c’est quoi le métavers ? « C’est quelque chose qui est compliqué à définir, avertit d’emblée Anatole Lécuyer, directeur de recherche à l’antenne rennaise de l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique). Le terme “métavers” existe depuis les années 1990 avec le roman Le Samouraï virtuel de Neal Stephenson mais les concepts qu’il y a derrière datent d’avant : des œuvres de sciencefiction imaginaient déjà des mondes fictifs partagés dans lesquels on se connecte via un avatar. Aujourd’hui, les acteurs du numérique revisitent ces fondamentaux pour développer des mondes virtuels massivement multiutilisateurs. »

UNE TECHNOLOGIE MÛRE

Si les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) rêvent tous de développer leur version de Ready Player One (le film de Spielberg qui illustre le mieux le métavers), c’est aussi parce que la technologie apparaît assez mûre pour imaginer un lancement imminent. En premier lieu : les casques de réalité virtuelle. « Ils permettent aujourd’hui d’avoir cet “effet wahou” et de vivre une expérience sensorielle et immersive puissante », poursuit Anatole Lécuyer. « Même s’ils sont encore perfectibles, ils disposent d’écrans de bonne qualité, ajoute Guillaume Moreau, professeur d’informatique et chercheur à l’IMT Atlantique à Brest, pour qui le prix de ces bécanes n’est aujourd’hui plus un obstacle. On en trouve désormais autour de 300 euros. Cela donne une idée du niveau de démocratisation possible des usages. »

LUDIQUE ET PROFESSIONNEL

Ces usages justement, quels sontils ? Actuellement, la réalité virtuelle offre deux catégories d’applications : ludiques (jeux vidéo, culture, patrimoine…) et professionnelles (formation, éducation, thérapie…). Un volet sur lequel travaille particulièrement Olivier Augereau, directeur du Centre européen de réalité virtuelle (CERV) à Brest. « Parmi nos projets, nous avons par exemple créé une salle de classe

virtuelle pour entraîner les enseignants. On peut régler le nombre d’élèves, leurs comportements, etc. Les profs peuvent ainsi s’exercer à mener un cours selon différentes circonstances. » Autre projet du CERV : celui mené en lien avec les Genêts d’or, une association qui accompagne les personnes en situation de handicap, notamment mental. « Nous avons reconstitué en 3D la rue de Siam à Brest. Le but est de plonger la personne dans cet environnement pour qu’elle apprenne à gérer son comportement dans l’espace public. Une thérapeute est à ses côtés et l’aide à gérer la situation. L’objectif est de lui permettre, par la suite, de le faire seule dans la “vraie” vie. »

UNE PLANÈTE NUMÉRO 2 ?

Si ces applications s’avèrent certainement très utiles, elles affichent cependant quelques limites : un environnement aux frontières définies, un panel d’actions restreint et un faible nombre d’utilisateurs connectés. On est loin du monde virtuel totalement ouvert et massivement partagé que nous vendent les promoteurs du métavers. Comme dans

Shutterstock

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la littérature SF, peut-on imaginer un véritable univers parallèle ? Une planète numéro 2 sur laquelle tout serait à imaginer ? « Oui, mais plutôt qu’un seul deuxième monde, il y en aura sans doute plusieurs. Chaque géant du numérique voudra développer son propre environnement », répond Olivier Augereau. Un avis que partage Anatole Lécuyer. « Imaginer un seul monde avec une esthétique unique, cela paraît réducteur car nous aurons envie de diversité. Avec ce futur nouveau média, il y a un fort potentiel de créativité. Selon les éditeurs et les constructeurs, je pense que nous verrons émerger plusieurs thématiques. La question économique entrera aussi en jeu : selon le business model (achat, abonnement, pub, données personnelles, ndlr), l’approche sera différente et cela se ressentira dans le format. » Parmi les univers en projet, certains opérateurs proposent déjà d’acheter des mètres carré. C’est le cas notamment de la plateforme Decentraland qui commercialise ses premiers « terrains numériques ». Alors, prêt à construire votre maison virtuelle et à y inviter vos amis pour une petite sauterie numérique ? Une perspective qui ne réjouit pas des masses Guillaume Moreau à l’IMT. « On a tous vécu quelques mois de confinement où on s’est rendu compte que nos vies sociales virtuelles n’étaient pas satisfaisantes. Alors un apéro avec un casque de réalité virtuelle… », doute le chercheur qui reconnaît cependant « le pouvoir des Gafam à créer des choses indispensables dont on se passait bien avant ».

Y CROIRE

Pour tous ceux qui voudraient tout de même investir ces futurs espaces, restera une condition, et pas des moindres : y croire. Un processus qu’étudie Olivier Augereau. « Cela fait intervenir trois concepts : l’immersion, la présence et l’incarnation. Des notions qui touchent au physique et au cognitif. » Pour répondre pleinement à ces trois conditions, la restitution sensorielle complète constitue une piste centrale. Si de sacrées avan-

«Chacun voudra développer son propre environnement »

Photos : Bikini cées technologiques ont été faites sur la vue et sur l’audition, la tâche sur les autres sens s’annonce plus ardue. C’est notamment le cas du toucher sur lequel bosse Anatole Lécuyer. « La sensation tactile est composée de plein de dimensions : la température, le relief, la rugosité, la pression… C’est extrêment complexe à reproduire. » Si les gants bourrés d’électrodes ne sont pas encore pour tout de suite, pas de panique : la technologie ne fait pas tout, bien au contraire. « Le réalisme de l’expérience n’est ni nécessaire ni suffisant. Ce n’est pas parce qu’un monde vous semble vrai que cela suffit. Vous pouvez avoir plein de raisons de ne pas y croire. D’autant plus que plus c’est réaliste, plus vous allez vous concentrer sur le petit détail qui cloche, développe Guillaume Moreau pour qui un simple bouquin constitue le meilleur contre-exemple. Quand vous prenez un livre, cela ouvre le champ des possibles dans votre imaginaire. Pourtant, il y a zéro dispositif technique. Un point intéressant car cela montre que le pouvoir d’immersion dépasse la simple question technologique. »

UN PÈTE AU CASQUE

Laurent Guizard

« Je ne suis pas spécialement technophile : pas geek du tout, pas spécialement gamer et je reste assez prudent avec les réseaux sociaux. Pour autant, les nouvelles technologies m’intéressent car elles font désormais partie de notre culture et posent des questions de fond. » Dans sa pièce Ersatz, l’auteur rennais Julien Mellano interprète un être « moitié humain, moitié machine » qui s’interroge sur la relation entre l’organique et le technologique. « C’est un spectacle d’anticipation, qui aborde le transhumanisme, les mondes virtuels, l’intelligence artificielle… », présente ce quadragénaire, adepte du théâtre d’objets (« je suis dans l’évocation : je joue davantage avec les codes de la technologie que je ne la montre vraiment »), qui s’est nourri des films de Kubrick (« 2001, l’Odyssée de l’espace : la référence »), de Cronenberg (« Existenz : cette fiction dans la fiction ») et de Jacques Tati (« Playtime : un regard critique et tendre sur la société moderne »). Une façon de voir les choses qu’il adopte dans sa création. « Je ne cherche pas à faire la morale. J’essaie plutôt de trouver un équilibre entre le fait d’être totalement englouti dans le métavers et de continuer à aller en forêt cueillir des champignons. » J.M

Le 22 mars au Triskell à Pont-L’Abbé, les 23 et 24 à L’Archipel à Fouesnant les 24 et 25 à la MJC Kerfeunteun à Quimper, du 31 mars au 2 avril au Carré Magique à Lannion

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