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Rahab
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Ruth
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Chacune eut à relever des défis extraordinaires. Chacune prit de grands risques personnels pour répondre à son appel. Chacune fut destinée à jouer un rôle clé dans la généalogie de Jésus-Christ, le Sauveur du monde. Francine Rivers, fidèle à l’Écriture, donne vie à ces femmes, et les amène à nous parler d’une façon nouvelle et bouleversante.
Bath-Chéba
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Marie
Tamar
Rahab
Ruth
Bath-Chéba
Marie
Rahab RIVERS
Dans ce livre, vous découvrirez Rahab. Exploitée par des hommes qui ne virent que sa beauté extérieure, Rahab s’accrocha à sa foi dans un Dieu tout-puissant. Apprenez avec elle cette vérité stupéfiante : Dieu cherche et trouve ceux dont le cœur est incliné vers lui, peu importe à quel point ils sont éloignés.
LA LIG N É E D E L A G R ÂC E
Tamar
Rahab Une femme de foi
La lignée de la grâce
Une femme de foi
9,90 € ISBN 978-2-910246-01-3
9 782910 246013
F R A N C I N E
R I V E R S
Rahab Une femme de foi
L A
Tamar
L I G N É E •
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D E
Ruth
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G R Â C E
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Rahab Une femme de foi
F R A N C I N E
R I V E R S
Éditions BLF • Rue de Maubeuge 59164 Marpent • France
Rahab, une femme de foi Édition originale publiée en langue anglaise sous le titre : Unashamed • Francine Rivers © 2000 Francine Rivers Traduit et publié avec permission. Tous droits réservés. Édition en langue française : Rahab, une femme de foi • Francine Rivers © 2002 BLF Europe • Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés. Traduction : Sabine Bastin Impression nº XXXXX • IMEAF • 26160 La Bégude de Mazenc Sauf mentions contraires, les citations bibliques sont extraites de la Bible du Semeur. Texte copyright © 2000 Société Biblique Internationale. Avec permission. ISBN 978-2-910246-01-3 Dépot légal 1er trimestre 2014 Index Dewey (CDD) : 220.922 Mots-clés : 1. Bible. Ancien Testament. 2. Femmes dans la Bible. Biographie. Rahab. 3. Fiction.
À
toutes les femmes persuadées que leurs erreurs passées leur ôtent la moindre chance de bonheur futur. Tournez-vous vers Jésus et goûtez aux délices qu’il tient en réserve pour vous.
Aucun projet ne se concrétise jamais sans l’aide de nombreuses personnes. Je voudrais remercier mon mari, Rick, qui me soutient et m’encourage depuis le début de ma carrière littéraire. J’aimerais aussi exprimer toute ma gratitude envers Jane Jordan Browne et Scott Mendel pour avoir mis leur foi et leurs ressources à contribution. Je suis également reconnaissante à Liz Curtis Higgs et à son mari, Bill, pour le partage de leur impressionnante bibliographie, et à Angela Elwell Hunt, ma superwoman préférée, une femme à qui j’aimerais ressembler. Je tiens aussi à remercier mon éditrice, Kathy Olson, pour s’être lancée dans l’aventure et m’avoir poussée à relever le défi. Toute ma gratitude va également à Jim et Charlotte Henderson pour leur gracieuse hospitalité et à John et Merritt Atwood pour le prêt de leur magnifique cottage sur Whidbey Island, pour une session de travail avec ma chère amie, Peggy Lynch, qui a écrit les sections « Réflexion » de ces romans. Merci aussi à Peggy pour son désir de participer à ce projet et pour m’avoir amenée à plonger toujours plus profondément dans les Écritures pour y trouver les joyaux qu’elles recèlent.
introduction
Cher lecteur,
Vous tenez entre les mains le deuxième d’une série de cinq romans consacrés aux femmes issues de la généalogie de Jésus. Ces femmes vécurent en Orient en des temps anciens et pourtant, leur vie s’applique à la nôtre et aux problèmes complexes auxquels nous sommes confrontés dans notre société moderne. Elles se tinrent sur la brèche. Elles firent preuve de courage. Elles prirent des risques. Elles réussirent l’inattendu. Elles menèrent une existence audacieuse, commettant parfois des erreurs, de graves erreurs. Ces femmes n’étaient certes pas parfaites. Pourtant Dieu, dans son infinie miséricorde, les inscrivit dans son plan parfait visant la naissance du Christ, le Sauveur de l’humanité. Nous vivons à une époque marquée par le désespoir et l’agitation. Des millions d’individus cherchent des réponses à leurs questions. Ces femmes nous indiquent la voie à suivre. Les leçons qu’elles nous enseignent sont tout aussi 7
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pertinentes aujourd’hui qu’elles le furent jadis, il y a des milliers d’années. Tamar est une femme d’espoir. Rahab est une femme de foi. Ruth est une femme d’amour. Bath-Chéba est une femme qui reçut une grâce illimitée. Marie est une femme d’obéissance. Ces personnages historiques ont véritablement vécu. J’ai raconté leur histoire en m’appuyant sur les textes bibliques. Certains de leurs actes peuvent nous heurter, mais il nous faut replacer ces femmes dans le contexte de leur époque. Ce livre est une œuvre de fiction historique. La trame de l’histoire nous est fournie par la Bible et j’ai commencé par rapporter les faits que nous livre le texte sacré. À partir de telles fondations, j’ai créé une action, des dialogues, des motivations personnelles et, dans certains cas, des personnages supplémentaires tout à fait compatibles, selon moi, avec le texte biblique. Je me suis efforcée de demeurer fidèle en tout point à son message, n’ajoutant que ce qui s’avérait nécessaire à sa compréhension. À l’issue de chaque roman, nous avons inclus une petite section d’étude. L’ultime autorité concernant les personnages bibliques est la Bible elle-même. Je vous encourage donc à la lire pour une meilleure compréhension. Et je prie qu’à la lecture de la Bible, vous preniez conscience de la continuité, de la cohérence et de la confirmation du plan de Dieu au fil des siècles, un plan qui vous inclut personnellement. Francine Rivers
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plantons le décor…
Les fils d’Israël, le peuple élu de Dieu, emmenèrent leurs familles en Égypte pour échapper à la famine qui sévissait dans le pays. L’un des douze frères, Joseph, occupait une position prestigieuse au sein du gouvernement égyptien et sa famille au sens large fut donc honorée au même titre que les invités personnels du Pharaon. Mais les années passèrent et les Hébreux s’accrurent. Ils perdirent la faveur des Égyptiens, dont ils finirent par devenir les esclaves. Il fallut l’impulsion de Moïse (et une série de miracles stupéfiants accomplis par Dieu lui-même) pour les délivrer. Dieu ramenait ses enfants chez eux, en terre de Canaan, le pays de la promesse qui appartiendrait à son peuple à tout jamais. Sur le point de réclamer leur « Terre promise », les Israélites manquèrent de foi en Dieu. Craignant la puissance des Cananéens, ils refusèrent d’obéir au commandement divin d’avancer et de s’emparer du pays. Leur incrédulité et leur désobéissance eurent pour 9
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conséquence le report de l’accomplissement de la promesse divine. Pendant quarante années, les Israélites errèrent dans le désert, comme des nomades. Tous les adultes qui avaient quitté l’Égypte (et s’étaient rebellés contre Dieu) moururent dans le désert. Enfin, une nouvelle génération s’éleva, prête à prendre sa place au sein de l’armée de Dieu et à réclamer la Terre jadis promise à ses ancêtres. De la multitude qui avait quitté l’Égypte à l’origine, seuls Moïse et ses deux lieutenants, Josué et Caleb, survécurent. Le peuple d’Israël s’approcha alors pour la seconde fois de la Terre promise et nul ne put lui résister. D’abord, le roi d’Arad, puis le Roi Sihôn des Amoréens et le roi Og du Basan, tous passèrent au fil de l’épée et leurs armées furent anéanties. En désespoir de cause, le roi Balaq de Moab fit appel à un sorcier, Balaam, pour maudire les Israélites. Horrifié, Balaq vit au contraire Dieu utiliser Balaam pour bénir son peuple élu. Enfin, même les cinq rois de Madian échouèrent à stopper l’avancée de l’armée d’Israël. Les rois Evi, Réqem, Tsour, Hour et Réba moururent tous sur le champ de bataille, leurs armées furent détruites, leurs villes et leurs villages incendiés et leurs richesses pillées en guise de butin. Le temps était venu. Le peuple de Dieu était prêt à réclamer l’héritage de l’Éternel : la Terre promise. Après avoir désigné Josué comme nouveau chef sur Israël, le vénérable Moïse mourut et le peuple se prépara à franchir l’ultime obstacle qui le séparait encore de Canaan : le Jourdain, gonflé de ses crues printanières. Et toutes les nations tremblèrent quand la nouvelle se répandit qu’Israël venait d’installer son campement à 10
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Chittim, non loin de Jéricho, la ville fortifiée, située aux portes de Canaan. Alors, à l’abri ses murailles, Jéricho attendait…
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chapitre un
DE SA FENÊTRE percée dans la muraille, Rahab scrutait la plaine de Jéricho, le cœur rempli d’exaltation et de crainte. Au loin, de l’autre côté du Jourdain, se dressait le campement des Israélites. Seule la crue du fleuve leur faisait encore obstacle. Bientôt, ils traverseraient les flots et s’opposeraient au roi de Jéricho avec la même férocité qu’ils avaient manifestée contre Sihôn, Og et les cinq rois de Madian. Et tous à Jéricho périraient. Le roi avait fait doubler la garde aux portes de la ville et poster des soldats sur les remparts. Peine perdue ! La destruction pointait à l’horizon. L’unique espoir consistait à se rendre et à implorer la miséricorde de l’ennemi. Le roi s’inquiétait du nombre des envahisseurs, tout en méconnaissant le véritable danger : le Dieu des Hébreux. L’armée entière du Pharaon n’avait pas suffi à le vaincre quarante ans plus tôt. Tout le panthéon égyptien s’était avéré incapable 13
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de sauver l’Égypte. Mais le roi de Jéricho ne songeait qu’à consolider les murailles, amasser des armes et recruter des soldats ! Les hommes n’apprendraient-ils donc jamais ? Jéricho était condamnée ! Et Rahab était prisonnière de la ville, captive d’une existence qu’elle s’était façonnée des années auparavant. Quel espoir pouvait-elle bien nourrir, elle, une vulgaire prostituée ? Son destin avait été forgé des années plus tôt, alors qu’elle sortait à peine de l’enfance : fille de paysan, choisie par un roi. — Tu dois y aller ! avait dit son père. Tant que tu vivras dans le palais et que tu lui plairas, je prospérerai. En ce moment même, il arrange des mariages pour tes sœurs. Si tu refuses, il te prendra de toute façon, en me tuant d’abord pour ôter le moindre obstacle de sa route. Songe à l’honneur qui t’est fait, Rahab. Il ne choisit que les filles les plus belles ! Un honneur ? — Mais il m’épousera, n’est-ce pas, père ? Honteux, Abiasaph avait détourné le regard et Rahab avait compris la naïveté de sa question. Le roi avait plusieurs épouses, toutes choisies à des fins politiques. Rahab ne possédait rien dont un roi n’eût besoin, si ce n’était un corps qu’il utiliserait à sa guise. À l’époque déjà, malgré son jeune âge, elle savait que la convoitise des hommes s’enflammait, mais que des charbons ardents finissent toujours par tiédir. Une semaine, un mois, voire peut-être un an plus tard, le roi se fatiguerait d’elle et la renverrait chez elle, vêtue d’une magnifique tunique babylonienne et de quelques bijoux en or que son père confisquerait et vendrait pour son profit. 14
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— Quand je reviendrai, me permettras-tu encore de vendre des dattes et des grenades sur le marché, père, ou finirai-je comme tant d’autres, contrainte de vendre mon corps pour une bouchée de pain ? Honteux, il s’était couvert la tête pour verser des larmes amères. Elle l’avait détesté pour avoir profité de son malheur, détesté pour s’être répandu en excuses, détesté pour avoir prétendu qu’elle serait plus heureuse dans le palais du roi que dans l’humble maison où elle vivait avec son père, sa mère, ses frères et ses sœurs. Elle l’avait détesté parce qu’il n’avait pas eu le pouvoir de la protéger. Mais par-dessus tout, elle avait détesté sa propre impuissance. Malgré sa colère, Rahab savait que son père ne pouvait la sauver des caprices du roi. Un roi pouvait prendre à sa guise ce que bon lui semblait. Les compensations de tous ordres offerts par le souverain servaient à calmer toute velléité de révolte. La vie était dure et incertaine, mais si l’opportunité se présentait, une fille au physique avantageux pouvait lever bien des obstacles. Exemption d’impôts. Mise à disposition de terres fertiles. Position élevée à la cour. Le roi était généreux quand il y trouvait son intérêt, mais sa générosité ne durait généralement que le temps de sa convoitise. Appuyée sur les coudes, Rahab observait le paysage. Elle se souvenait de ses premiers jours au palais. Elle s’était jurée de ne pas finir comme un vieil objet que l’on méprise. Elle n’avait eu de cesse que sa malheureuse situation lui procurât un avantage quelconque et que l’homme qui l’utilisait pour son plaisir servît son avenir. Elle avait caché sa rancœur et son dégoût, feignant d’aimer les caresses du roi. Mais, à tout moment passé en sa compagnie, son esprit était resté aux 15
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aguets, telle une lionne qui épie patiemment sa proie pour débusquer son point faible. Et Rahab n’avait pas tardé à le découvrir : l’arrivée constante d’émissaires, d’espions et de messagers. Sans le flot d’informations ainsi acheminées, le roi aurait ignoré qui étaient ses ennemis ou quelles jalousies mesquines et soulèvements secrets couvaient à son insu. « Donne-moi une maison et je collecterai des informations pour toi », avait-elle proposé avec audace, dès qu’elle eut compris où était sa chance. Comme le roi avait ri de sa perspicacité ! Elle avait ri avec lui, sans cesser de le charmer et de solliciter d’autres privilèges. Elle n’avait jamais lâché prise, tant elle voulait posséder quelque chose de concret en quittant le palais, quelque chose qui lui permettrait de s’en tirer seule et de gagner sa vie confortablement et durablement. Elle le méritait après avoir souffert les caresses de ce vieil homme gras, nauséabond et arrogant ! Et elle était parvenue à ses fins : un toit, une existence prospère et l’illusion de l’indépendance. Le roi lui avait donné une maison près de la porte orientale pour qu'elle observe les allées et venues à l’entrée de Jéricho. Depuis douze ans, elle s’installait à cette fenêtre et choisissait les hommes qui partageaient son lit, des hommes susceptibles de lui fournir des renseignements qui préserveraient le trône du roi et augmenteraient sa richesse. Chacune des transactions qu’elle concluait lui rapportait doublement. Les hommes payaient pour coucher avec elle et le roi payait pour les miettes d’information ainsi glanées. Elle en savait plus que le roi lui-même sur ce qui se passait à l’extérieur des murailles de Jéricho. Et quand elle voulait savoir ce qui se passait à l’intérieur du palais, elle interpellait Cabul, le
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capitaine de la garde. Il ne manquait jamais de révéler dans ses bras tous les secrets du moment. Elle possédait une demi-douzaine de robes babyloniennes, des coffrets incrustés d’ivoire et remplis de bijoux. Sa maison était meublée d’objets précieux et le sol était couvert de tapisseries multicolores. Ses clients dormaient sur des draps de soie colorés, les plus fins venus d’Égypte, parfumés de myrrhe, d’aloès et de cannelle. Elle pouvait s’offrir les mets les plus délicats et les vins capiteux les plus chers. Tous dans la ville savaient qu’elle était l’amie et la confidente du roi. Tous savaient aussi qu’elle était une putain. Mais nul ne savait combien elle détestait la vie qu’elle menait. Nul ne devinait combien elle se sentait impuissante face au destin que lui avaient imposé son père et son souverain. Beaucoup se seraient étonnés de son amertume. Extérieurement, elle menait une existence enviable. Le roi la respectait, les hommes la désiraient et elle pouvait choisir ses clients. Certaines femmes à Jéricho enviaient même son indépendance. Elles ignoraient la sensation douloureuse d’être utilisée, dépouillée de la moindre humanité. Aujourd’hui encore, même si elle possédait sa propre maison et un cadre de vie somptueux, Rahab était incapable d’apporter le moindre changement à sa vie. Elle en était prisonnière. Et tous ignoraient le feu qui brûlait en son cœur. Personne ne soupçonnait la rancœur accumulée, la fureur contenue, l’envie dévorante de briser ses liens et de prendre la fuite. Elle se trouvait dans une prison bâtie par d’autres, une prison qu’elle avait réussi à remplir de trésors terrestres,
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mais elle nourrissait d’autres plans, d’autres rêves et d’autres espoirs. Son espérance reposait sur ce Dieu lointain, celui dont elle savait qu’il avait le pouvoir de sauver ses élus. Petite fille déjà, lorsqu’elle entendait tous ces récits terrifiants, elle devinait confusément qu’il était le Dieu véritable, le seul vrai Dieu. Il mènerait son peuple au-delà du Jourdain, il prendrait cette ville et l’anéantirait comme il avait anéanti tous ses ennemis. La fin de tout ce qu’elle avait jamais connu était imminente. Nous allons tous mourir ! Suis-je donc la seule à le comprendre ? Sont-ils tous aveugles et sourds aux événements de ces dernières quarante années ? Les gens vont et viennent comme ils l’ont toujours fait, persuadés que tout va bien. Ils s’imaginent que les murailles que nous avons bâties nous protégeront, comme je pensais jadis que les murs de la maison de mon père pouvaient me préserver. Mais nous ne sommes pas en sécurité, nous ne sommes pas du tout en sécurité ! Elle était envahie par la peur de mourir, mais plus encore par le désir irrépressible de jouer un rôle dans les événements qui se dessinaient. Elle voulait appartenir au Dieu qui s’avançait. Elle avait l’impression d’être une petite fille cherchant désespérément à se réfugier dans les bras de son père pour échapper à la mort. Plusieurs mois auparavant, un Égyptien avait passé la nuit avec elle et lui avait rapporté les histoires qui circulaient sur le Dieu des Israélites. « Mais tout le monde affirme pourtant que ce ne sont que des mythes », avait-elle rétorqué, se demandant s’il croyait vraiment ce qu’il disait.
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— Pas du tout. Mon père était encore enfant quand les plaies se sont abattues… Il avait parlé jusque tard dans la nuit, évoquant les signes et les prodiges divins, et aussi un homme appelé Moïse. « Il est mort maintenant, mais il y en a un autre… Josué. » Dès le lendemain, Rahab s’en alla trouver le roi, mais il ne s’intéressait qu’aux questions de tactique, d’armement et d’effectifs. — C’est le Dieu des Hébreux qu’il faut craindre avant tout, mon roi, avait-elle dit. Mais il l’avait interrompue impatiemment. — Tu me déçois, Rahab. Tu parles comme une hystérique. Elle aurait voulu hurler. Moïse était peut-être un chef exceptionnel, mais aucun homme ne pouvait faire plier la puissance égyptienne. Seul un véritable Dieu pouvait accomplir un tel tour de force ! Or, ce Dieu-là se tenait à leur porte, préparant son peuple à prendre possession de Canaan. Un seul regard du roi suffit pourtant à lui faire comprendre que Jéricho était avant tout dirigée par l’orgueil. Les hommes n’écoutent jamais que ce qu’ils veulent bien entendre. Toujours assise à sa fenêtre, elle tendit le bras et agita la main en direction du campement des Israélites. Oh, comme je voudrais faire partie de ton peuple, car tu es le seul vrai Dieu. Ses yeux étaient brûlants de larmes. Je me prosternerais devant toi et je te présenterais des offrandes si seulement j’en avais l’opportunité ! Elle baissa la main et se détourna. Elle avait beau se bercer d’illusions, elle partagerait le même sort
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que tous les autres habitants de la ville, piégés entre ses murs. Cette forteresse deviendrait bientôt un abattoir. Parce que le roi était obstiné et orgueilleux. Parce que le roi pensait que les murailles étaient suffisamment hautes et suffisamment épaisses pour le protéger. Parce qu’il était trop têtu et trop stupide pour mettre sa fierté de côté dans l’intérêt de son peuple. Le roi craignait les Israélites, mais c’était leur Dieu qu’il aurait dû redouter. Rahab avait côtoyé des hommes toute sa vie et ils se ressemblaient tous. Mais ce Dieu-là était différent. Elle pouvait sentir sa présence d’une façon étrange et indéfinissable, et elle était remplie d’un sentiment de respect et d’impatience à en savoir plus. Oh, comme ceux qui lui appartiennent ont de la chance ! Ils n’ont rien à craindre. Elle avait rapporté au roi tout ce qu’elle avait appris, mais il avait refusé d’écouter. Elle insista davantage. — Je ne te savais pas si craintive, ma douce. Ces Hébreux repartiront tous penauds comme il y a quarante ans, quand les Amalécites ont uni leurs forces aux nôtres. Mon père les a chassés du pays. Si leur Dieu était si puissant, pourquoi n’ont-ils pas prévalu contre nous ? Des plaies… des mers asséchées… Peuh… Autant de mythes pour nous effrayer ! — As-tu déjà oublié Sihôn ? Il blêmit et son regard se rétrécit froidement au souvenir qu’elle évoquait. — Aucune armée ne peut abattre nos murailles. — Envoie des émissaires de paix avec des présents pour leur Dieu avant qu’il ne soit trop tard. — Quoi ? Aurais-tu perdu la raison ? Penses-tu que nos prêtres accepteraient ? Nous avons nos propres dieux à 20
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apaiser ! Ils nous ont toujours protégés par le passé. Ils nous protégeront encore. — Comme l’Égypte fut protégée par ses dieux ? L’Égypte se prosternait devant des insectes, mais ce Dieu a envoyé des essaims pour détruire leurs cultures. Ils adoraient le Nil, mais ce Dieu l’a transformé en sang. — Ce ne sont que des fables, Rahab. Des rumeurs répandues pour effrayer notre peuple. Et tu ne fais que leur accorder du crédit ! Retourne chez toi et fais ce que tu fais le mieux. Repère les espions étrangers… Elle obéit donc, mais cessa de le faire dans l’intérêt du roi. Cabul s’était montré très bavard la nuit dernière, se targuant d’effectifs nombreux, d’armes puissantes et de sacrifices ininterrompus offerts aux dieux de Canaan. « Tout ira bien. Ne tourmente donc pas ta jolie tête. » Insensés ! Ils étaient tous insensés ! Pour le Dieu qui s’était ri des divinités de toute l’Égypte et avait ouvert la mer Rouge, renverser ces murailles serait un jeu d’enfant ! À quoi pouvaient bien servir des idoles de pierre et d’argile contre un Dieu qui contrôlait le vent, le feu et l’eau ? Rahab était certaine que d’un souffle, il abattrait les portes de Jéricho. D’une chiquenaude, il balaierait toutes les défenses du roi ! Mais personne n’écoutait. Très bien. Elle les avait mis en garde pour la dernière fois. Ce qu’il adviendrait de Jéricho retomberait sur la tête du roi. Quant à elle, elle allait trouver le moyen de se ranger aux côtés des vainqueurs. Dans le cas contraire, elle mourrait.
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Mais comment pouvait-elle sortir de Jéricho sans menacer la vie des membres de sa famille ? Si elle partait, le roi la ferait suivre. Elle serait capturée et exécutée pour trahison et toute sa famille subirait le même sort mettant ainsi définitivement un terme à sa rébellion. Non, elle ne pouvait quitter Jéricho à moins d’emmener son père, sa mère, ses frères, ses sœurs et leurs enfants. Or, c’était impossible ! Même si elle trouvait le moyen de quitter la ville sans éveiller les soupçons, sa famille ne la suivrait pas. Son père croyait tout ce que disait le roi. Il n’était pas dans sa nature de se forger un avis personnel. Rahab passa une main dans ses cheveux, repoussant sur ses épaules l’imposante masse de boucles noires. « Rahab ! » appela une voix en contrebas. Elle ne baissa pas les yeux. Elle n’était pas intéressée par la visite d’un marchand jébuséen, ni celle d’un quelconque propriétaire de caravane acheminant des épices vers l’Égypte ou d’un soldat issu d’une armée vaincue. Ils étaient déjà tous morts, mais ils l’ignoraient encore. Les seuls à être en vie étaient ces Hébreux, là-bas, au bord du Jourdain, car leur Dieu n’était pas une idole de pierre façonnée par des mains d’homme. Il était le Dieu du ciel et de la terre ! Suis-je donc un rat coincé dans cette abominable muraille… ? Quel Dieu étrange et merveilleux ! Il avait choisi les Hébreux, un peuple d’esclaves, et les avait libérés d’Égypte, la nation la plus puissante de la terre. Il avait isolé les plus faibles parmi les faibles et les avait utilisés pour écraser les puissants. Elle avait même entendu dire qu’il faisait pleuvoir du pain sur son peuple. Ils n’avaient rien à craindre, car il était tout-puissant, mais il savait aussi faire preuve envers 22
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eux de douceur et de miséricorde. Qui n’aimerait pas un tel Dieu ? Son roi. Son peuple. Moi, je l’aimerais ! Ses lèvres tremblaient et ses yeux étaient remplis de larmes. Je le servirais à sa guise. Si seulement j’en avais la possibilité, je me prosternerais devant lui et je me réjouirais d’être comptée parmi son peuple ! Derrière elle, Cabul émit un ronflement bruyant, rappelant à Rahab sa présence malvenue. Elle pressa les mains contre ses oreilles et ferma les yeux avec force, submergée par le dégoût et la colère. Si seulement elle pouvait donner libre cours à ses sentiments. Elle le secouerait violemment pour l’éveiller et lui hurlerait de sortir de chez elle. Il ne lui avait rien appris la nuit dernière. Cabul lui avait fait perdre son temps. Elle concentra à nouveau toute son attention sur la route. Elle conservait une faible lueur d’espoir à cause des propos de son père. D’après lui, Moïse aurait envoyé des espions dans le pays quarante années auparavant. « À l’époque, nous les avons repoussés », avait dit Abiasaph. Son commentaire l’avait rendue perplexe. Elle s’interrogeait sur les raisons possibles de l’échec des Israélites. Ils étaient d’anciens esclaves, libérés de la puissante Égypte par un Dieu encore plus puissant. Mais peut-être avaient-ils continué à raisonner en esclaves plutôt qu’en hommes libres, avançant sous la bannière du Dieu véritable. Ils avaient peut-être refusé d’obéir. Elle ne pouvait que pressentir les raisons de leur échec. Mais elle savait qu’il n’était pas dû à un manquement de la part du Dieu qui les avait sauvés.
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Tous ceux qui s’étaient rebellés tant d’années auparavant étaient certainement morts à présent. Une nouvelle génération s’était levée, une génération endurcie par les conditions de vie dans le désert, une génération qui avait toujours vécu dans la présence du Tout-Puissant. Elle ne pouvait qu’espérer que Josué ferait comme Moïse avant lui et enverrait des espions dans le pays. Il était essentiel alors qu’elle soit la première à les repérer. La victoire était assurée par leur Dieu, les Israélites n’avaient pas besoin d’envoyer qui que ce soit, mais elle espérait pourtant que leur noble chef Josué ne prendrait aucun risque. Même si cela s’avérait superflu, il était prudent d’envoyer des espions pour étudier le pays et évaluer les défenses ennemies. De grâce, venez. De grâce, de grâce, venez… Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas que ma famille meure. Envoyez quelqu’un… Que mes yeux s’ouvrent pour que je les reconnaisse avant les gardes, car s’ils les aperçoivent les premiers et font rapport au roi, tout sera perdu ! — Rahab ! appela à nouveau quelqu’un. Exaspérée, elle jeta un œil en contrebas et aperçut un marchand ismaélite qui l’interpellait parmi la foule amassée devant les portes. Il voulait loger chez elle, mais elle agita la main en signe de refus, haussant les épaules et hochant la tête. Que ses chameaux lui tiennent chaud ! Il brandit un collier en or pour l’appâter. Ha ! À quoi servira l’or quand viendra le jour de la destruction ? — Offre-le donc à l’une de tes femmes ! répondit-elle. Autour de lui, les gens éclatèrent de rire. Un autre homme l’interpella, mais elle ignora ses supplications et ses flatteries et fixa résolument son regard sur la route. Qu’ils viennent à moi ! 24
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Si les espions étaient en guenilles après leur périple, elle les vêtirait de magnifiques tuniques venues de Babylone. S’ils étaient assoiffés, elle leur donnerait du vin fin. S’ils étaient affamés, elle leur servirait un festin digne des rois. Car ils viendraient comme les serviteurs du Très-Haut. Elle leur témoignerait le respect digne du Dieu qu’ils servaient. Car leur Dieu était puissant et digne de louanges ! Elle avait le souffle court, tant sa poitrine était oppressée par l’impatience et l’espoir. Elle voulait être en sécurité. Tant qu’elle resterait dans ces murs, à l’intérieur de la ville, elle était condamnée. Elle devait rejoindre les Israélites pour survivre. Les dieux de Jéricho, des Amoréens, des Phéréziens et d’une dizaine d’autres tribus cananéennes ne viendraient pas à son secours. Ils n’étaient que des tyrans de pierre, servis par des prêtres corrompus qui exigeaient des sacrifices constants. Elle avait vu des bébés arrachés des bras de leur mère et jetés sur un autel où leur minuscule corps se consumait jusqu’à ce que toute chair en tombe et que leurs os puissent être fourrés dans de petits sacs et enterrés sous les fondations d’une nouvelle maison ou d’un nouveau temple. Comme si le meurtre d’un enfant pouvait apporter la bénédiction ! Elle était reconnaissante de ne pas être mère. Si j’avais un enfant, je le donnerais à ce Dieu, l’Invisible qui habite parmi son peuple, qui leur donne de l’ombre pendant le jour et les réchauffe pendant la nuit, celui qui protège ceux qui lui appartiennent comme s’ils étaient ses enfants. Un Dieu comme lui est digne de confiance… — Ah, la lumière…, grommela Cabul. Ferme le rideau ! Rahab serra les dents, sans daigner se retourner. Il était grand temps que l’homme quitte son lit et sa maison.
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— Le soleil est levé, dit-elle gaiement. Il est temps que tu en fasses autant. Elle perçut un juron étouffé et le crissement de la soie. — Tu n’as aucune pitié, Rahab. Elle jeta un coup d’œil vers lui par-dessus son épaule, un sourire langoureux sur les lèvres. — Tu ne disais pas cela la nuit dernière. Elle regarda à nouveau par la fenêtre, scrutant l’horizon et espérant apercevoir un homme susceptible d’être un espion israélite. À quoi ressemblerait-il ? Comment le reconnaîtrait-elle s’il se présentait ? Cabul glissa un bras autour de sa taille et leva la main pour refermer le rideau. — Reviens au lit, mon amour. Il pressa ses lèvres dans le creux de son cou. Elle saisit sa main avant qu’il ne se mette à la caresser. — Le roi apprendra que tu manques à ton poste. Je ne voudrais pas te causer des ennuis. Il rit doucement, son souffle brûlant dans les cheveux de Rahab. — Je ne serai pas en retard. Elle lui fit face. — Tu dois partir, Cabul, dit-elle en posant les mains sur sa poitrine. Ton absence à la porte serait remarquée, et je ne supporterais pas que l’on dise que Rahab a causé des ennuis à un ami. — Tu n’hésites pourtant pas à me torturer en ce moment même. — Tu n’es pas le genre d’homme à succomber devant une petite contrariété. Elle voulut s’éloigner de lui, mais il lui attrapa la main. 26
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— Un riche marchand attend devant la porte, c’est ça ? — Non. — J’ai entendu quelqu’un prononcer ton nom. — Et alors ? Pensait-il qu’il lui suffisait de glisser quelques pièces dans sa main pour qu’elle lui appartienne ? « Tu sais pourtant comment je gagne ma vie. » Il fronça les sourcils et son regard s’assombrit. Réfrénant son irritation, elle caressa sa joue du bout des doigts et lui dit d’une voix plus douce : « Rappelle-toi que je suis sortie de chez moi pour te chercher. » Dans son métier, il était toujours sage de renvoyer un homme en lui donnant l’impression qu’il était unique à ses yeux. Il sourit. — Alors tu m’aimes un peu ? — Suffisamment pour souhaiter qu’il ne t’arrive rien de mal. Elle se laissa embrasser brièvement, puis se dégagea de ses bras. — La foule attend devant la porte, Cabul. Il est temps que tu leur ouvres la voie. Si les marchands sont contrariés, le roi en aura vent. Sur ces mots, elle traversa la pièce et ramassa ses vêtements éparpillés. Elle ouvrit la porte et les jeta dans sa direction. « Tu ferais mieux de te dépêcher ! » Elle rit en le regardant s’habiller à la hâte, puis referma la porte derrière lui. Elle tira le verrou pour éviter la moindre visite impromptue et s’empressa de reprendre son poste à la fenêtre. La solitude était un luxe. D’un bond, elle s’assit sur le rebord de la fenêtre, une jambe dans le vide. Ignorant les 27
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sifflements admiratifs qui montaient de la route, elle observa la plaine. Était-ce une colonne de brume là-bas au loin ? Elle n’en était pas certaine. On lui avait rapporté que le Dieu des Israélites accompagnait son peuple dans une nuée le jour et dans une colonne de feu la nuit. Quand la chaleur devint trop oppressante, elle referma les rideaux, quitta la fenêtre et se brossa les cheveux. Elle grignota un morceau de pain et sirota un peu de vin. Mais, après quelques minutes, elle écarta à nouveau les rideaux écarlates pour scruter la route et observer tous les étrangers qui montaient vers les portes. ◆◆◆
Salmon avait attendu depuis toujours de pouvoir entrer en Terre promise. Il pouvait désormais l’apercevoir depuis son campement. Il se réjouissait des batailles à venir, puisant une assurance supplémentaire dans les dernières victoires accordées à son peuple par l’Éternel. Le plus pénible était d’attendre. Salmon avait la sensation d’être un cheval tenu en bride, caracolant en rongeant son frein, prêt pour la course folle qui s’annonçait. Il rit gaiement. L’excitation parcourait ses veines alors qu’il s’entraînait avec son ami Éphraïm. Le soleil se levait à peine, mais chaque jour offrait une nouvelle opportunité de s’entraîner, de se préparer à l’œuvre de Dieu qui consistait à s’emparer de la Terre promise. Empoignant fermement son bâton, Salmon attaqua. Éphraïm para le coup, tourna sur lui-même et frappa à son tour, mais Salmon contra la riposte. Tac ! Tac ! Tac ! Éphraïm revint vers lui déterminé, mais Salmon était prêt. En 28
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tournoyant, il balaya l’espace de son bâton et fit tomber Éphraïm. Mais Salmon se montra trop confiant et ne vit pas venir le coup de son ami qui le déstabilisa et l’envoya à son tour au tapis. Tous deux gisaient le dos dans la poussière, essoufflés et ravis. Dès que Salmon eut retrouvé son souffle, il éclata de rire. — Je serai moins sûr de moi la prochaine fois. — Quand penses-tu que nous attaquerons Jéricho ? demanda Éphraïm, en se relevant et en secouant la poussière de sa tunique. Salmon s’assit et regarda vers le « haut lieu » où Josué se tenait chaque jour en prière. — Le Seigneur dira à Josué quand le moment sera venu. — J’espère qu’il ne tardera plus ! D’une certaine façon, l’attente est plus pénible que la bataille elle-même. Salmon se leva d’un bond, le bâton fermement serré entre les mains. Le vent du désert faisait battre la tunique de Josué, debout sur le promontoire. Depuis la mort de Moïse, Salmon se référait avec une grande application aux directives de Josué et du prêtre Éléazar. Tout ce qu’ils décrétaient avait force de loi, car ils suivaient fidèlement le Seigneur et rapportaient uniquement ce que Dieu leur disait. Enfant, agrippé à la jambe de son père, Salmon avait appris comment Josué et Caleb avaient espionné la Terre promise et affirmé qu’elle pouvait être conquise. Ils avaient cru la promesse de Dieu de leur donner le pays, mais les huit autres espions avaient convaincu le peuple (même le grand Moïse en personne) que toute victoire était impossible. Le peuple avait manqué de foi et laissé passer sa chance. La promesse fut donc reportée à la génération suivante, la génération de Salmon. Salmon n’était pas même 29
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né quand le Seigneur jugea son peuple et le renvoya dans le désert, mais il avait souffert de cette décision. Il avait grandi à l’ombre de la honte et des regrets de son père. Combien de fois n’avait-il pas entendu son père pleurer ? Si seulement nous avions écouté. Si seulement nous avions cru Josué et Caleb. Encore et encore, année après année. Si les jérémiades pouvaient lasser le Seigneur, son père aurait certainement réussi. Si seulement nous avions écouté, nous ne serions pas dans ce désert, errant comme des brebis égarées. Salmon grimaça au souvenir des plaintes et de l’apitoiement paternels, car ils lui rappelaient l’ancienne rébellion et l’attitude persistante du cœur de l’homme. Éternel, Dieu de miséricorde, préserve-moi de telles pensées, pria-t-il. Fais de moi l’homme que tu veux que je sois, un homme de courage, un homme prêt à avancer quand tu lui dis d’aller. Mais il était bien trop facile de mépriser les erreurs d’autrui. Quelle arrogance ! Salmon savait qu’il ne valait pas mieux que l’homme qui l’avait élevé. Le danger consistait à porter le regard trop loin. Il devait attendre, comme Josué. Le Seigneur parlerait quand il serait prêt, et quand Dieu parlerait, Salmon savait que le choix lui appartiendrait : obéir ou désobéir. Il ne voulait pas hésiter comme son père jadis. Mieux valait craindre Dieu que les hommes. Peu importe à quel point il redoutait la bataille à venir, il savait qu’il était bien plus effrayant encore de mécontenter le Seigneur. Voilà pourquoi il fixait ses pensées sur l’obéissance. Il ne se laisserait pas submerger par ses faiblesses et ses craintes humaines. Comment pouvait-on craindre les hommes et satisfaire Dieu ?
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L’Eternel avait promis le pays de Canaan à son peuple. Le jour viendrait où il l’inviterait à en prendre possession. Il dépendrait de Salmon et de tous les membres de sa génération d’obéir ou non. Jusqu’à présent, aucun n’avait faibli, mais certains murmuraient déjà au sujet du délai, et quelques-uns contestaient. Seigneur, Dieu du ciel et de la terre, je t’implore de me donner la confiance de Josué. Insuffle-moi ton dessein. Ne me laisse pas faiblir. Tu es Dieu et il n’en existe nul autre ! — Prépare-toi, dit Éphraïm. Salmon fit volte-face, brandit son bâton et para le coup asséné par Éphraïm. Quand le Seigneur l’appellerait à se battre, Salmon avait la ferme intention d’être prêt. ◆◆◆
— Salmon. Il reconnut immédiatement cette voix aux intonations profondes. Bondissant sur ses pieds, Salmon écarta l’un des pans de sa tente et fixa Josué l’air hébété. — J’ai un travail pour toi, annonça calmement l’ancien. — Entre, je t’en prie. Salmon recula promptement pour accueillir son commandant. Le vieux guerrier courba légèrement la tête et pénétra dans la tente. Il jeta un rapide coup d’œil alentour, puis à nouveau fit face à Salmon. Ce dernier tremblait d’excitation contenue, car il ne pouvait imaginer de plus grand honneur que celui d’être sollicité par Josué. 31
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— Assieds-toi ici, je t’en prie, commandant. Il lui offrit la place la plus confortable. Josué pencha la tête. Se débarrassant du baluchon qu’il avait apporté, il plia les jambes sous lui avec l’aisance d’un jeune homme. Lorsqu’il leva à nouveau les yeux vers Salmon, son regard était sombre et déterminé, illuminé par le pourquoi de sa démarche. En des circonstances ordinaires, le commandant l’aurait fait appeler au lieu de venir dans sa tente. « Que puis-je te servir, commandant ? » dit Salmon, contenant sa curiosité pour manifester son respect et son hospitalité. Josué s’expliquerait quand il serait prêt. Avec un léger sourire, Josué leva la main. — Rien. Tu peux t’asseoir. Salmon obéit. Puis il courba la tête, serra les mains l’une contre l’autre et se tint coi. Le vieil homme ferma les yeux un long moment, avant de relever la tête et de poser sur Salmon un regard résolu. — J’ai besoin de deux hommes pour une mission à haut risque. — J’irai, dit Salmon en se redressant, le cœur battant. Envoie-moi. Josué hocha la tête et le considéra avec amusement. — Il serait peut-être sage d’écouter en quoi consiste la mission avant de te porter volontaire. — Si tu veux que cela soit fait, c’est qu’il faut que cela soit fait, et c’est tout ce que j’ai besoin de savoir. Le Seigneur parle à travers toi. T’obéir revient à obéir à Dieu. J’irai là où tu voudras m’envoyer et je ferai ce que tu estimes nécessaire de faire. Le regard brillant, Josué se pencha vers Salmon. 32
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— Dans ce cas, voici tes instructions. Va espionner le pays de l’autre côté du Jourdain, en particulier Jéricho. Vois quelles défenses les habitants ont mises en place et sonde l’état d’esprit de la population. La peur prit Salmon par surprise, mais il résolut de lui résister. — Quand veux-tu que je parte ? — Dans l’heure. Caleb donne en ce moment les mêmes instructions à Éphraïm. Josué leva la main. — Je devine que tu es prêt à saisir ton épée et à partir sur le champ, mais écoute-moi d’abord jusqu’au bout. À part Caleb et Éphraïm, personne ne sait que tu quittes le campement. Tu partiras secrètement. Tu es jeune et plein de feu, mon fils, mais tu dois être calme et rusé comme le serpent. Ne déboule pas dans la ville comme un conquérant. Garde la tête basse. Cherche une maison qui connaît l’état d’esprit de la population. Fonds-toi dans la ville. Garde les oreilles et les yeux ouverts. Les remparts importent moins que ce que pensent les habitants de Jéricho. Apprends tout ce que tu peux, puis va-t’en aussi vite que possible. Ne perds pas de temps. Tu as compris ? — Oui, commandant. Josué prit le baluchon qu’il avait mis de côté et le posa entre eux. — Une tunique amoréenne et une arme. Les vêtements provenaient manifestement du corps d’un ennemi vaincu, car Salmon y vit une traînée de sang. Il savait qu’il devrait se montrer prudent en portant cette tunique. Il serait difficile pour lui de se mêler naturellement aux habitants de Jéricho si quelqu’un apercevait cette tache. 33
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Tous ceux qui la verraient comprendraient que le dernier homme à l’avoir portée avait connu une mort violente. Il porterait un manteau pour la dissimuler. Josué se leva. Salmon sauta sur ses pieds. Josué se retourna avant de sortir, il mit sa main sur l’épaule de Salmon et la saisit fermement. — Que le Seigneur te garde et te ramène sain et sauf ! — Béni soit le nom du Seigneur. Josué le lâcha, écarta les pans de la tente et se pencha pour sortir. Salmon maintint la tente ouverte suffisamment longtemps pour regarder Josué disparaître parmi les autres tentes d’Israël. Il laissa retomber le bout de toile, soupira bruyamment et tomba à genoux. Rejetant la tête en arrière, Salmon ferma les yeux et leva les mains au ciel, remerciant Dieu pour cette opportunité de le servir. Puis il se prosterna et lui demanda la sagesse et le courage nécessaires pour mener à bien sa mission. ◆◆◆
À la clarté de la lune, Salmon et Éphraïm ceignirent leurs reins en relevant le pan arrière de leur tunique et en le coinçant dans leur ceinture. Ainsi libérés, ils coururent, et atteignirent la rive est du Jourdain bien avant le lever du jour. À bout de souffle, Salmon laissa tomber son baluchon sur le sol, saisit sa tunique et la fit passer par-dessus sa tête. — Le courant a l’air rapide, dit Éphraïm, en ôtant ses vêtements et en attrapant au vol la tunique amoréenne lancée par Salmon. Gonflé par ses crues printanières, le fleuve avait quitté son lit. Éphraïm avait raison ; le courant était rapide. 34
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Vêtu à la mode amoréenne, Salmon haussa les épaules. Il pointa du menton un endroit où la berge était en pente, tout en attachant une ceinture de cuir autour de sa taille. — Nous entrerons dans l’eau là-bas et nous commencerons à nager. Éphraïm plissa ironiquement les lèvres. — Je répugne à te rappeler ce détail en ce moment, mais je ne sais pas nager. Salmon eut un rire sans joie. — Et tu penses que moi, je sais nager ? Le désert ne nous a pas vraiment donné l’occasion d’apprendre, n’est-ce pas ? — Que ferons-nous alors ? — Nous allons traverser. Cesse de t’inquiéter. Si Dieu le veut, nous y arriverons. — Sinon, eh bien, nous nous noierons, conclut platement Éphraïm. — Penses-tu que le Seigneur nous aurait amenés si loin pour nous laisser mourir ? Éphraïm jeta un œil sur le fleuve. — Je me sentirais mieux si j’avais un tronc d’arbre auquel m’agripper. — Le Seigneur nous soutiendra. Salmon parlait avec plus d’assurance qu’il n’en éprouvait en réalité. Donne-moi le courage, Seigneur. — Emplis tes poumons d’air, garde les bras tendus et remue les jambes comme une grenouille. Le courant nous portera… — Tout droit jusqu’à la mer Morte. Salmon ignora l’humour noir de son ami et pointa le doigt vers l’autre rive. — Vise ces saules de l’autre côté. Allons-y. 35
Rahab
Salmon sentait le courant du fleuve battre vigoureusement ses chevilles. Malgré sa bravade, la peur le frappa de plein fouet. Surmontant sa crainte, il s’enfonça dans le Jourdain jusqu’à ce que les flots atteignent sa poitrine. Peut-être pourrait-il y arriver en progressant pas à pas, en utilisant sa propre force pour rester sur ses pieds. Mais un autre pas suffit à démontrer qu’il en serait incapable. Il glissa sur un rocher lisse et perdit pied. La panique se saisit de lui lorsque les flots l’aspirèrent. Il s’enfonça un instant sous l’eau et se débattit pour gonfler ses poumons d’une bouffée d’air suffisante. Son corps roulait, tournoyait et culbutait. Il heurta un objet dur et eut quasiment le souffle coupé. Salmon luttait contre la peur et contre le fleuve, alors que les crues du printemps l’emportaient comme un fétu de paille. Seigneur, aide-moi ! Il aperçut les saules et donna de vigoureux coups de pied. Battant désespérément les flots, il se redressa contre la force du courant. Il tendit le cou autant que possible pour garder la tête hors de l’eau, pouvoir respirer et s’orienter. Il entendit un cri derrière lui mais n’eut pas le temps de se retourner pour voir si Éphraïm s’en sortait mieux que lui. Il tendit les bras et réussit à agripper une branche. Il s’en aida pour se dégager. Puis, il jeta un coup d’œil en arrière et vit Éphraïm, toujours sur l’autre rive. — Vas-y ! appela Salmon. Manifestement mal à l’aise, Éphraïm pénétra dans le fleuve. Il tendit les bras et plongea tête première. Voyant combien le courant éloignait Éphraïm, Salmon laissa flotter son corps le plus loin possible pour que son ami puisse agripper sa cheville. « Attrape-moi ! » 36
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Éphraïm réussit, mais la secousse fut telle que Salmon faillit perdre prise. Ils étaient ballottés et secoués en tous sens par le courant. Les flots battaient violemment la tête d’Éphraïm. Toujours accroché à la branche, Salmon saisit Éphraïm d’une main pour le tirer vers lui. « Grimpe ! » Éphraïm tendit la main et ses doigts enserrèrent la cuisse de Salmon à lui faire mal. Il se hissa vers le haut et sa tête émergea enfin des flots impétueux. Il reprit son souffle. Salmon saisit la ceinture d’Éphraïm et le tira plus loin encore. Salmon poussa ensuite son ami vers la rive ouest. Lorsqu’il l’atteignit enfin, Éphraïm tendit la main et aida Salmon en s’arc-boutant autant que possible, avant que la branche ne casse et ne dégringole dans le fleuve. Retrouvant pied sur le lit de rocailles, Salmon se hissa péniblement hors du Jourdain, puis s’effondra à genoux. Éphraïm toussait violemment. La poitrine de Salmon se soulevait avec force et il aspirait l’air à grandes goulées. Il plongea ses doigts dans la terre et la huma pour s’imprégner du parfum de sa richesse. « Le Seigneur nous a amenés de l’autre côté », dit-il d’une voix étranglée par l’émotion. Ils étaient les premiers de sa génération à poser le pied en Terre promise. « Loué soit l’Éternel ! » Recrachant encore l’eau boueuse du fleuve, Éphraïm articula d’une voix rauque : « Puisse le Seigneur nous accorder vie suffisamment longtemps pour que nous en profitions. » — Amen, dit Salmon en se redressant. Il fera bientôt jour. Il avait hâte d’entamer la mission et brûlait de se mettre en route, mais il n’aurait pas été sage d’arriver à Jéricho 37
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complètement trempé et couvert de boue, ni trop tôt dans la journée, paraissant alors trop impatient d’entrer en ville. Il tenta tant bien que mal de se débarbouiller dans le fleuve. — Si nous nous hâtons, nous atteindrons les palmiers avant le lever du jour. — Accorde-moi juste quelques minutes de repos, veux-tu ? — Nous n’avons pas de temps à perdre. Tu te reposeras en marchant ! Alors qu’ils traversaient la bande de terre aride à l’ouest du Jourdain et rejoignaient la route, le soleil se leva derrière eux. Même à une grande distance, le luxuriant oasis verdoyant alimenté par plusieurs sources leur apparut, tout comme les hautes et épaisses murailles de la cité des Palmiers, qui bloquait l’accès à Canaan. Salmon sentit son cœur chavirer. Les remparts étaient à ce point immenses qu’ils seraient insurmontables de front. Ils ne pourraient pas davantage être pris par l’Ouest, car la ville était adossée à de hautes montagnes escarpées, au relief déchiqueté. — La ville est bien située. — Et imprenable. Comment réussirons-nous jamais à conquérir une telle cité ? On n’a jamais vu pareille forteresse ! Muet, Salmon examinait la muraille. Elle atteignait au moins la hauteur de six hommes et la porte était flanquée de remparts. Des gardes à l’affût verraient une armée s’approcher de loin et auraient tout le temps de fermer les portes et de se préparer à la bataille. Josué leur ferait-il construire des échelles pour escalader les murs ? Combien périraient pour les placer contre la muraille et les maintenir en place pendant que d’autres 38
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franchiraient le mur en nombre suffisant ? Ces immenses portes pourraient-elles être fracassées ou brûlées ? Combien succomberaient dans la bataille pour la prise de cette ville ? Des milliers ! Serait-il l’un d’entre eux ? À moins qu’il ne meure ici, aujourd’hui, lors de cette mission ? — Que Dieu nous préserve de connaître une telle fin, dit Salmon à mi-voix. — Que devons-nous faire à présent ? dit Éphraïm. Nous joindre à la foule et attendre l’ouverture des portes ? — Nous allons attendre une heure plus tardive. Il vaut mieux que nous ne soyons pas observés de trop près. Les gardes seront moins attentifs dans quelques heures. Ils trouvèrent un endroit herbu, non loin d’un ruisseau alimenté par une source et s’assoupirent à l’ombre de la Cité des Palmiers.
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chapitre deux
À PREMIÈRE VUE, Rahab prit les deux hommes pour des soldats amoréens, porteurs d’un message pour le roi. Cependant, comme ils approchaient, elle remarqua soudain leur intérêt pour les murailles. Ces hommes, qui ne portaient aucun bagage, affichaient une mine sévère et se parlaient avec retenue, en observant les tours de guet. Mais le plus révélateur fut sans doute leur absence totale d’intérêt pour elle. Des soldats, même en mission sérieuse, cherchaient invariablement des femmes exerçant son métier. Ils se montraient toujours avides d’un logement confortable pour la nuit, de nourriture, de boissons et de plaisirs charnels chaque fois qu’ils pouvaient en profiter. Les soldats amoréens étaient particulièrement sensuels et vulgaires. Ah, les deux hommes l’avaient remarquée. « Bonjour mes amis ! » s’écria-t-elle, en souriant et en agitant la main vers eux. Ils se détournèrent vivement. Bizarre. Ils étaient jeunes, 41
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mais pas assez pour justifier un tel embarras devant les avances d’une femme. Ou était-ce du dégoût qu’elle avait perçu sur leur visage ? Une sensation désagréable l’envahit au creux de l’estomac. Il s’était écoulé des années depuis qu’elle avait éprouvé de la honte ou le désir de se couvrir la face et de se cacher. Elle n’avait plus connu cette gêne depuis les premières semaines passées en compagnie du roi. Peu importe ce qu’avait dit son père, elle savait au fond de son cœur que ce qui lui était infligé était mal, et le fait pour elle d’en tirer profit était pire encore. Ce fut une période confuse, un temps de déclin et d’élévation à la fois. Mais personne n’avait osé mépriser ouvertement une jeune femme choisie par le roi. Elle avait été traitée avec déférence pendant les mois passés au palais. Puis, avec le temps, elle avait appris à dissimuler ses sentiments. Elle avait appris également à garder la tête haute et à marcher comme une reine, même si la moindre perspective de connaître un avenir honorable lui avait définitivement été ôtée. Malgré son malaise (ou peut-être justement à cause de celui-ci), sa curiosité envers les deux hommes ne fit que croître. Elle était certaine qu’ils n’étaient pas ce qu’ils paraissaient être. De vrais soldats amoréens se rengorgeraient et se pavaneraient. Ils s’empresseraient de faire des sous-entendus bruyants et lubriques et de lui proposer de l’argent. Ils se vanteraient de leurs prouesses avec les femmes. Ces hommes étaient-ils les espions israélites dont elle espérait la venue ? Le vent du désert se leva brusquement, soulevant un nuage de poussière autour des deux mystérieux étrangers. Le manteau du plus grand d’entre eux s’entrouvrit et il 42
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s’empressa de le rabattre, mais pas avant que Rahab n’eût le temps d’apercevoir la tache qu’il cherchait à dissimuler. Le cœur de Rahab bondit dans sa poitrine. Elle inspira profondément et se pencha. Elle était déterminée désormais à attirer leur attention. Peu importe à quel point elle devrait se montrer impudente, elle les amènerait à lever les yeux vers elle. Elle se pencha tant par la fenêtre que ses longues mèches de boucles noires se répandirent contre la pierre, tel un torrent d’ébène. « Eh, vous là-bas ! cria-t-elle. Vous deux ! » Le plus grand jeta un œil vers elle et rougit. Elle agita la main. « Je tiens à vous accueillir dignement ! » — Nous ne sommes pas intéressés ! Il était manifestement contrarié par son insistance. Il murmura quelque chose à l’intention de son compagnon et poursuivit sa route. Elle ne baisserait pas les bras, peu importe à quel point ils se montraient méprisants envers elle. « Je ne me rappelle pas qu’un homme se soit jamais montré si peu intéressé ! » Irrité, il s’arrêta. — Nous n’avons pas assez d’argent pour tes services. — Ai-je donc déjà fixé un prix ? Il refusa encore en agitant la main et en donnant un grand coup de coude à son ami, qui la regardait fixement. Puis ils se remirent résolument en route. Quand avait-elle jamais eu à persuader un homme de passer un moment avec elle ? Si elle se penchait encore par la fenêtre, elle tomberait à leurs pieds. « J’ai du bon vin, du pain frais et un endroit confortable où vous pourrez tous deux passer la nuit. » Comme ils l’ignoraient encore, elle prit sa pantoufle et la jeta vers eux. « La plupart des 43
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Amoréens m’appellent quand ils approchent de l’entrée de la ville ! » C’était toujours elle qui les ignorait, à moins que le soldat ne soit un commandant et ne détienne des informations susceptibles d’intéresser le roi. D’ordinaire, elle ne se serait jamais attardée sur de vulgaires soldats, mais ceux-ci étaient des espions israélites. Elle en était certaine. Ils ne voyaient manifestement rien de plus en elle qu’une vulgaire prostituée tentant de vendre son corps. Elle craignit soudain pour leur sécurité. Pensaient-ils que les gardes postés aux portes étaient stupides et ne perceraient pas leur déguisement à jour ? Elle devait à tout prix attirer rapidement leur attention. Un seul coup d’œil des gardes sur ces deux hommes hésitants les aurait démasqués, et, ils auraient été arrêtés sans ménagement. Dès le lendemain matin, leur tête serait tranchée et leur dépouille accrochée aux murailles ! — Même le roi a bu de mon vin et mangé de mon pain ! Le plus grand des deux hommes s’arrêta soudain et la considéra à nouveau. — Pourquoi nous honores-tu de toutes ces attentions ? Bien que piquée au vif par sa raillerie, elle choisit de ravaler sa fierté et de répondre simplement. — Parce que ma sagesse dépasse mon âge, jeune homme, une sagesse que je peux partager avec toi si tu te montres assez avisé pour m’écouter. Elle poursuivait sur un ton de moquerie aguicheuse, car ils étaient suffisamment proches des portes pour que l’un des gardes entende la conversation. — Je sais ce que vous voulez. — Vraiment ? Épargne-moi donc ta suffisance, jeune coq ! 44
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— Tout homme a besoin de se restaurer et de se reposer. S’il se détournait à nouveau, elle lui lancerait une cruche à la tête. — Et certains trouvent même une oreille attentive. Elle nota une soudaine raideur dans son corps. Juste pour s’assurer qu’il la comprenne bien, elle sourit et ajouta : « Le Jourdain est haut à cette époque de l’année, n’est-ce pas ? » Elle haussa les sourcils d’un air entendu et ne dit plus rien. Elle était peut-être allée trop loin, car elle n’avait jamais vu de regard plus redoutable. — Nous sommes fatigués et affamés, concéda-t-il. — Vous ne regretterez pas de vous être attardés chez moi. — Comment parvenir jusque chez toi ? — Retrouvez-moi devant les portes et je vous montrerai le chemin. Sur ces mots, elle leur envoya un baiser volant, à cause du garde qui s’intéressait soudainement à eux. Elle tremblait d’excitation en descendant le marchepied et en dénouant le cordon qui retenait le rideau. Passant les doigts dans ses cheveux, elle les tressa à la hâte avant de se précipiter à l’extérieur. Rahab dévala les marches et courut jusqu’au coin de la ruelle. Le soleil était au plus haut à cette heure et peu de gens se trouvaient dans les allées qui parcouraient les murailles. Beaucoup avaient travaillé le matin et se reposaient. Quand elle pénétra sous le porche de la grande porte, elle comprit que Cabul avait remarqué les deux hommes. Ralentissant l’allure, elle s’approcha en faisant mine de flâner, et prit appui contre la pierre froide. — Cabul ! 45
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Il se retourna et sourit, puis quitta son poste et vint vers elle. — Qu’est-ce qui t’amène dehors si tard dans la journée, ma belle ? — Toi, bien sûr, dit-elle d’un ton léger et moqueur. Il rit. — Je parierais plutôt pour un riche marchand ou un émissaire des Philistins. Elle leva les sourcils et lui adressa un regard perspicace. — Qui sait ? Riant doucement, il lui prit la main. Son regard se fit plus sérieux. — Tu trembles. — Trop de vin la nuit dernière, prétendit-elle en s’approchant encore et en jouant avec le manche de son épée, tout en regardant derrière lui. Les deux hommes pénétraient dans l’enceinte des murs. — Tu ne buvais pas avec moi, dit Cabul en lui prenant le menton. Que dirais-tu que je vienne après mon service et que nous nous saoulions ensemble ? — Je pense que je vais renoncer au vin pendant quelques jours. — Alors nous pourrions… Elle le frappa sur le bras d’un air mutin. Personne ne s’interposait devant les étrangers. Plusieurs anciens de la ville se querellaient et les soldats qui avaient pris le poste de Cabul semblaient s’intéresser davantage à eux qu’aux deux jeunes Amoréens, couverts de poussière. — Es-tu seulement venue pour me taquiner ?
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— Pas du tout, dit-elle en relevant la tête pour regarder Cabul droit dans les yeux. Tu sais, je trouve que tu es le plus bel homme au service du roi. Il était suffisamment arrogant pour le croire. Cabul sourit et voulut répondre quand les deux anciens commencèrent à s’invectiver violemment. Jetant un coup d’œil derrière lui, il repéra les deux étrangers. Quand le plus grand des deux posa les yeux sur Rahab, Cabul fronça les sourcils. — Des soldats amoréens ? Je ne pensais pas que tu tomberais si bas. Elle haussa les épaules. — Qui sait ? Ils ont peut-être des nouvelles qui intéresseraient le roi. Troublé, il les regarda à nouveau. — Nous traversons une période dangereuse, Rahab. Il pourrait s’agir d’espions. Le pouls de la jeune femme s’emballa. — Tu crois ? — Leurs cheveux sont trop courts. — Ils ont peut-être prononcé une espèce de vœu, dit-elle en caressant son bras, sans cesser de sourire. Je dois dire que je suis touchée par ta sollicitude envers moi, mais laisse-moi mener mes affaires comme je l’entends. Le roi n’apprécierait pas que tu te mêles de mon commerce. Si ces hommes sont vraiment des espions, alors il voudra en savoir plus. — Songes-tu vraiment aux intérêts du roi, Rahab ? Elle lui décocha un regard entendu. — À ton avis ? — Alors, sois prudente. Les Israélites ne manifestent aucune pitié, pas même envers les femmes et les enfants. 47
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Ses yeux étaient remplis de crainte, mais pas pour elle. — Je vais prévenir le roi, dit-il encore. — Patiente un moment encore. Je ne voudrais pas qu’ils s’en aillent avant d’avoir appris la raison de leur venue. Elle le connaissait assez pour deviner sa nervosité. Il demeura silencieux un instant, calculant manifestement ce qui plairait davantage au roi. Elle trouva un prétexte. — Laisse-moi un peu de temps, Cabul. Ils seront plus faciles à capturer si je les rassasie de bon vin. — Tu as peut-être raison. — Bien sûr que j’ai raison, répondit-elle en jouant avec sa tunique. Et je connais le roi mieux que toi, ajouta-t-elle en le jaugeant à travers ses paupières mi-closes. Ces hommes pourraient me rapporter une bourse pleine d’or et si tu me laisses plus d’une heure avec eux, je t’en donnerais une partie. Ses mâchoires se serraient et se desserraient. Elle savait que sa cupidité s’opposait à son sens du devoir. Son amour de l’argent l’emporterait-il sur sa crainte de déplaire au roi en modifiant son rapport ? — Je te laisserai autant de temps que je le peux, conclut-il. Quand Cabul s’éloigna, elle regarda les deux hommes, s’efforçant autant que possible de passer inaperçue parmi la foule occupée à marchander sous le porche. Elle leur adressa un petit signe. Ils hésitaient peut-être parce qu’ils l’avaient vue s’entretenir avec Cabul et pensaient qu’elle leur tendait un piège. Cabul les observait. Il jeta un coup d’œil vers elle et lui adressa un signe du menton. Vas-y, disait-il. Profite de cette opportunité. Elle devinait ses pensées. Mieux valait risquer la peau de Rahab que la sienne. Qu’il en soit ainsi ! 48
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Souriant largement, elle avança mine de rien vers les deux étrangers. — Bienvenue à Jéricho ! ◆
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Salmon suivit la femme dans les allées. De loin, il l’avait trouvée d’une beauté troublante, mais de plus près, elle lui coupait littéralement le souffle. Il ne s’était pas attendu à devoir résister à une quelconque tentation pendant sa mission, mais il éprouvait de réelles difficultés à détacher son regard de ses hanches et à fixer ses pensées sur l’objet de sa présence. Quel âge pouvait-elle avoir ? Trente ? Trentecinq ans ? Son corps ne le montrait pas, mais ses yeux oui. Elle ouvrit une porte et entra promptement, se tenant sur le seuil en leur adressant des signes impatients. Salmon entra le premier, Éphraïm lui emboîta le pas. — Regarde-moi cet endroit, grommela Éphraïm, estomaqué. Salmon jeta un rapide coup d’œil autour de lui, sur les tapis, les coussins de toutes les couleurs, et les rideaux rouges maintenus par des cordons écarlates. Il évita de regarder le lit qui trônait au milieu de la pièce. Un parfum d’encens et de cannelle flottait dans l’air. De toute évidence, sa profession payait bien. Refermant la porte derrière eux, la femme ôta son châle. — Je dois vous cacher ! — De quoi parles-tu, femme ?
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— Ne prenez pas cet air innocent. Vous êtes des espions israélites. Si cela n’était pas inscrit sur votre visage auparavant, c’est désormais chose faite. Elle alla chercher une échelle appuyée contre un mur. Éphraïm regarda Salmon. — Que faisons-nous ? Salmon fixa Rahab. — Comment as-tu su ? Elle leva les yeux au ciel et hocha la tête. — Tu veux dire en dehors du fait que vous étudiiez les murailles et les tours de guet ? dit-elle en tirant l’échelle à travers la pièce. Ta tunique est tachée de sang. J’imagine que l’homme qui l’a portée avant toi est mort dedans. Salmon lui bloqua le passage. Pendant un bref instant, il envisagea de la tuer pour pouvoir mener sa mission à bien. Elle leva la tête et se redressa, levant vers lui des yeux bruns brillants de franchise et d’intelligence. — Le soldat à qui vous m’avez vu parler ? Il sait qui vous êtes. — Tu lui as dit ? — Il a deviné, répondit-elle impatiemment. Vous êtes venus pour récolter des informations, pas vrai ? Alors il vaudrait mieux que vous restiez en vie suffisamment longtemps pour les obtenir. Elle poussa l’échelle vers lui et indiqua la trappe menant au toit. — Dépêchez-vous ! Qu’attendez-vous ? Le bourreau du roi ? Éphraïm protesta. — Le toit est le premier endroit où les soldats regarderont ! 50
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— Ils n’auront pas besoin de regarder si tu te trouves encore au beau milieu de la pièce ! Éphraïm jeta à nouveau un œil autour de lui. — Il doit y avoir un meilleur endroit ! — Très bien, répondit Rahab, les mains sur les hanches. Si tu n’aimes pas le toit, que dirais-tu de mon lit ? Horrifié, Éphraïm escalada l’échelle. Le visage de la jeune femme prit une expression peinée devant la retraite hâtive d’Éphraïm. « Je pensais bien qu’il réagirait ainsi. » Elle regarda Salmon. Il trouvait qu’elle avait les plus beaux yeux sombres qu’il avait jamais vus. Pas étonnant que Josué et Caleb les aient tant mis en garde contre les étrangères. « Et maintenant, toi, que décides-tu ? » dit-elle, d’un air désabusé. Salmon posa le pied sur le premier échelon, puis la regarda à nouveau. — Comment t’appelles-tu ? — Rahab, mais nous n’avons pas le temps de parler maintenant. Monte ! Elle gravit les échelons derrière lui. Elle poussa Salmon sans ménagement et adressa des gestes frénétiques à Éphraïm. — Couchez-vous là et je vous couvrirai avec les bottes de lin. Salmon obéit et la regarda travailler avec efficacité et promptitude, empilant soigneusement les bottes de lin par-dessus les deux hommes. Lorsqu’elle eut terminé, elle se pencha et murmura : — Je regrette de ne pas pouvoir vous installer plus confortablement, mais de grâce, restez tranquilles jusqu’à mon retour. 51
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Elle se hâta de redescendre de l’échelle, en prenant soin de refermer la trappe. — Notre vie est désormais entre les mains d’une putain ! grommela Éphraïm, irrité. — Tu as peut-être une meilleure idée ? — Je voudrais avoir mon épée ! — C’est une bonne chose que nous n’ayons pas nos armes, sinon nous serions maintenant entre les mains de ce garde qui parlait avec Rahab à la porte. — Rahab ? Tu lui as demandé son nom ? — Cela me semblait approprié étant donné les circonstances. — Pourquoi devrions-nous faire grand cas d’elle ? demanda Éphraïm. Tu sais ce qu’elle est, dit-il sur un ton où perçait le mépris. — Ne parle pas si fort ! — Resterons-nous cachés sous ces bottes de lin comme des lâches ? Il vaudrait mieux que nous la tuions sans attendre et que nous poursuivions notre mission. Salmon agrippa Éphraïm avant qu’il ne sorte de sa cachette. — Il vaudrait mieux que nous terminions ce que nous sommes venus faire ! As-tu oublié la mission que Josué nous a confiée : entrer dans la ville, obtenir des informations et sortir de la ville ! Il n’a pas dit que nous devions répandre le sang ! Il lâcha son ami. — Qui, mieux qu’une prostituée qui a partagé la table du roi, peut prendre la température de Jéricho ? — J’aimerais mieux mourir que me cacher derrière les jupes d’une femme. 52
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— Nous ne nous cachons pas derrière ses jupes, dit Salmon avec amusement. Nous nous cachons derrière ses bottes de lin. — Comment peux-tu plaisanter ? Nous n’avons que sa parole — à propos du roi. Pourquoi devrions-nous faire confiance à une prostituée ? — Tu ne l’as donc pas regardée ? — Pas d’aussi près que toi. — Elle est suffisamment belle pour attirer l’attention d’un roi. — Peut-être, mais as-tu vu combien ce garde se montrait familier avec elle ? Elle a probablement rompu le pain avec tous les hommes de la ville et des centaines d’autres se sont succédés sous son toit. — Alors elle doit connaître l’état d’esprit des habitants. — Et probablement toutes les maladies identifiées à ce jour. — Tais-toi donc ! Nous sommes là où Dieu nous a amenés. Salmon se demanda pourquoi les paroles de son ami éveillaient en lui une telle colère. Rahab correspondait plus que certainement à la description d’Éphraïm. Alors pourquoi éprouvait-il un tel désir de la défendre ? Et pourquoi choisissait-il de lui confier leur vie ? Il poussa un soupir et s’efforça de se détendre. — Nous ferions mieux de nous reposer pendant que nous le pouvons. J’ai le sentiment que, d’une façon ou d’une autre, nous ne resterons pas en ces murs très longtemps. ◆◆◆
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Rahab savait que les hommes du roi ne tarderaient pas. Dès l’instant où elle avait quitté la porte en compagnie des deux Israélites, Cabul s’était probablement précipité vers son commandant pour faire un rapport sur les deux étrangers qui venaient d’entrer en ville. Elle rangea très vite l’échelle contre le mur. — Rahab ! Ouvre cette porte ! Le cœur battant la chamade, elle passa les mains sur son visage pour effacer toute trace de sueur. Tapotant ses cheveux et rajustant sa robe, elle se précipita vers la porte et l’ouvrit toute grande, feignant d’être soulagée par l’arrivée des soldats. — J’aurais aimé te voir plus tôt, Cabul. Empourpré et tendu, Cabul semblait tétanisé. D’autres soldats se tenaient derrière lui, armés et prêts à se battre. Elle pouvait discerner la peur dans leur regard, une peur égale à la sienne, mais d’une origine différente. Si Cabul procédait dans les règles, il entrerait dans sa maison et ordonnerait une fouille complète, y compris sur le toit. Et s’il trouvait les espions, elle était une femme morte. — Le roi exige que tu fasses sortir les deux hommes entrés dans ta maison. Ce sont des espions, envoyés ici pour découvrir la meilleure façon de nous attaquer, dit-il en scrutant la pièce derrière elle. Tu dois nous les livrer. — Les hommes étaient bien ici, mais j’ignore d’où ils venaient. Ils ont quitté la ville au crépuscule, juste avant la fermeture des portes, et j’ignore où ils sont allés. Si vous vous dépêchez, vous pourrez probablement les rattraper. — Où sont-ils allés ? — Je ne sais pas, répéta-t-elle.
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Cabul n’avait plus à se mesurer aux deux espions, mais en revanche il aurait maintenant à répondre à un roi furieux et passablement angoissé en apprenant que ses ennemis n’avaient pas été arrêtés aux portes de la ville. — Vite ! Poursuis-les. Tu as encore le temps de les rattraper si tu te dépêches ! Il ne l’interrogea pas davantage. Pourquoi la soupçonnerait-il de trahison alors qu’elle avait maintes fois prouvé sa loyauté envers le roi ? Ne gagnait-elle pas très bien sa vie en glanant des informations auprès d’étrangers pour pouvoir en faire rapport au roi et en être récompensée ? Sa parole suffisait pour le décider à poursuive sa route. Cabul tourna promptement les talons, cria quelques ordres et se précipita dehors. Rahab sortit dans la rue et les regarda s’éloigner dans la nuit naissante. Dès qu’ils eurent disparu au coin de l’allée, elle rentra dans la maison, tira le verrou et courut à sa fenêtre. Ses mains étaient moites et son cœur battait violemment. Cabul et ses hommes étaient probablement arrivés à la porte. Elle pouvait l’entendre hurler ses ordres aux gardes, exigeant qu’ils l’ouvrent pour qu’ils puissent poursuivre les espions. Si Cabul s’attardait assez longtemps auprès des gardes, il apprendrait que ces étrangers n’avaient pas quitté la ville. Elle respira plus aisément quand elle aperçut la silhouette de Cabul à l’extérieur des murailles. D’autres soldats le suivirent à la hâte et tous s’éloignèrent. Ils coururent vers l’Est, vers le Jourdain, lance à la main, certains de pouvoir rattraper les espions avant qu’ils ne traversent le fleuve. Et la porte fut refermée derrière eux. Rahab ferma les yeux un instant et sourit. Elle attendit plusieurs minutes encore pour s’assurer que Cabul et les 55
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autres s’éloignaient suffisamment. Puis elle prit une cruche de vin, du pain et un panier de dattes et de grenades. Elle remit à nouveau l’échelle en place. Les hommes sur le toit étaient silencieux. S’étaient-ils endormis ? Elle déposa les vivres, traversa silencieusement le toit, et déplaça une botte de lin. Elle ne voulait pas les alarmer. — Les soldats sont partis. Vous pouvez sortir maintenant. Le plus grand des deux hommes s’assit le premier. Il posa les yeux sur elle et elle sentit tout le poids de son regard. Il était curieux à son propos et dérangé par son attirance envers elle. Il ne dit rien alors que son compagnon se levait et ôtait la poussière de ses vêtements. — Nous avons entendu des cris. Elle tenait à les mettre à l’aise. « Les soldats ont quitté la ville et croient vous poursuivre. » Puis elle tendit la main et constata qu’elle tremblait suffisamment pour qu’ils le remarquent. « Voici du pain et du vin. » Elle comprit leur hésitation. Elle était cananéenne et prostituée. Pourquoi lui feraient-ils confiance ? Ils se demandaient sans doute pourquoi une habitante de Jéricho les protégeait. Ils se demandaient peut-être même comment elle s’était débarrassée des soldats aussi rapidement, sans qu’ils fouillent la maison. Pourquoi ces Israélites devraientils croire le moindre propos d’une prostituée ? Pourtant, ils devaient la croire. Tant de vies en dépendaient. Rahab baissa la main et leva le menton. — Je sais que l’Éternel vous a donné ce pays, leur dit-elle. Nous avons tous peur de vous. Nous vivons tous dans la terreur, car nous avons entendu comment le 56
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Seigneur a ouvert pour vous la mer Rouge quand vous avez quitté l’Égypte. Et nous savons ce que vous avez fait à Sihôn et à Og, les deux rois amoréens à l’est du Jourdain, dont les peuples ont été complètement anéantis. Pas étonnant dès lors que nos cœurs soient pétris de peur ! Elle se demanda pourquoi ils étaient même venus jusque-là. Ils savaient certainement mieux qu’elle que le pays leur avait été livré ! Pourquoi venaient-ils espionner une ville que le Seigneur leur avait déjà donnée ? Doutaientils ? Avaient-ils besoin d’encouragement ? — Personne n’a le courage de se battre après avoir entendu de telles choses. Car le Seigneur votre Dieu est le Dieu suprême en haut dans les cieux et ici-bas sur la terre. Ses yeux s’emplirent de larmes, tant son espoir de figurer parmi le peuple élu d’un tel Dieu la brisait. Avalant avec peine, elle avança et tendit les mains. — Et maintenant, jurez-moi par le nom de l’Éternel que vous aurez pitié de moi et de ma famille parce que je vous ai aidés. Donnez-moi l’assurance que lorsque Jéricho sera conquise, vous me laisserez la vie sauve, ainsi qu’à mon père, ma mère, mes frères, mes sœurs et toute leur famille. Le plus grand des deux espions se tourna vers son compagnon, qui fixait Rahab. La lune les éclairait assez pour qu’elle devine sa consternation. Le premier la regarda à nouveau, avec curiosité et enthousiasme. — Mon nom est Salmon, et voici Éphraïm. Nous offrons notre vie comme garantie de ta sécurité. Le cœur de la jeune femme se gonfla de soulagement et de gratitude. Elle attendit la réaction du second. — Je suis d’accord, dit Éphraïm avec moins d’empressement et en décochant à Salmon un regard contrarié. Puis il 57
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la regarda à nouveau : Si tu ne nous trahis pas, nous respecterons notre promesse quand le Seigneur nous livrera le pays. Elle sourit sans retenue, transportée de joie. Elle confierait sa vie à ces deux hommes et celle de ses bien-aimés. Ils avaient juré par le nom de leur Dieu. Ils n’oseraient pas violer un tel serment. La foi qu’ils avaient en leur puissant Dieu les ferait respecter leur promesse. — De grâce, dit-elle, en tendant la main vers les coussins empilés dans un coin, installez-vous plus confortablement. Vous êtes mes invités. Elle s’affaira à disposer ce qu’elle avait préparé. — Que puis-je vous servir ? J’ai des dattes, des amandes, des gâteaux de miel et de raisins, du pain, du vin… — Rien, répondit froidement Éphraïm. — Merci, ajouta promptement Salmon, comme pour adoucir le refus. Rahab se retourna et les dévisagea. Ils avaient promis de sauver sa vie et celle des membres de sa famille, mais il semblait évident qu’ils ne voulaient rien avoir à faire avec elle. Surtout l’homme appelé Éphraïm. Il lui donnait l’impression d’être un insecte rampant, sorti de dessous un rocher. L’autre jeune homme l’étudiait avec une franche curiosité. Elle s’assit sur un coussin et le regarda. — Demande-moi ce que tu veux savoir. Il examina attentivement ses beaux yeux. — Comment es-tu parvenue à la foi dans notre Dieu ? — J’entends les récits de ses prodiges depuis mon enfance. — Comme tout le monde à Jéricho. Elle battit des paupières. 58
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— C’est vrai, et je ne peux expliquer pourquoi j’ai cru, contrairement à tous les autres. — Ton peuple est effrayé, dit Éphraïm. Nous en avons suffisamment entendu aux portes de la ville pour le savoir. — Oui, ils vous craignent, comme ils craindraient n’importe quelle armée conquérante. Mais ils ne comprennent pas que c’est votre Dieu qui vous donne la victoire. Le regard de Salmon brilla tandis qu’il scrutait son visage. Puis ses yeux la détaillèrent de haut en bas, comme pour la considérer tout entière. De toute évidence, il appréciait ce qu’il voyait. Elle aussi. Salmon était un très beau jeune homme. Éphraïm semblait déterminé à garder ses distances. — Vous avez vos propres dieux. — Des statues de bois complètement inutiles, dit-elle avec mépris. En as-tu vu dans ma chambre ? Éphraïm sembla soudain mal à l’aise. — Descends, poursuivit-elle en montrant l’échelle. Ouvre les armoires. Regarde derrière les rideaux, sous le lit. Fouille où bon te semblera, Éphraïm. Tu ne trouveras aucune idole, ni talisman parmi mes biens. J’ai perdu la foi dans les dieux de mon peuple il y a longtemps déjà. — Pourquoi ? Le jeune Israélite semblait déterminé à la mettre à l’épreuve. Très bien. Elle s’y plierait avec empressement. — Parce qu’ils n’ont pas pu me sauver. Ce ne sont que de vulgaires objets façonnés par les hommes, et je sais à quel point les hommes sont faibles. Je veux vivre parmi votre peuple, ajouta-t-elle les mains tendues, comme pour les supplier.
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Éphraïm fronça légèrement les sourcils et regarda Salmon. Celui-ci s’inclina davantage vers Rahab. — Tu dois comprendre que nous avons des lois, des lois qui nous ont été transmises par Dieu lui-même. — J’aimerais connaître ces lois. Elle avait deviné qu’un message tacite était passé entre les deux hommes et sentait confusément qu’elle en serait grandement affectée. Salmon l’observa un moment, puis expliqua doucement : « Nous avons des lois contre la fornication et l’adultère. » Éphraïm se montra beaucoup moins tendre pour condamner sa profession. — La prostitution n’est pas tolérée. Quiconque s’en rend coupable est immédiatement exécuté. Rahab se souvint de la façon dont elle s’était penchée à sa fenêtre pour les interpeller, comme des centaines d’autres avant eux. Elle s’empourpra. Jamais encore elle n’avait éprouvé un tel dégoût pour sa personne. Pas étonnant qu’ils aient hésité. Pas étonnant qu’ils refusent de manger à sa table ou de boire une seule goutte d’eau chez elle. Elle était remplie de honte. — Je n’ai pas choisi cette vie, dit-elle, pour tenter de se défendre. J’ai été présentée au roi par mon père quand je n’étais encore qu’une jeune fille et j’ai dû obéir… Elle se tut en voyant Salmon se renfrogner. Qu’importait à présent la manière dont elle était devenue ce qu’elle était ? Elle avait su depuis le début que c’était mal. Qu’importait qu’elle ne fût à l’époque qu’une adolescente, contrainte d’obéir à son père ? Cela excusait-il qu’elle ait continué à exercer sa profession pendant toutes ces années, s’enrichis60
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sant grâce à ses charmes ? Non ! Elle fronça les sourcils et détourna les yeux, consciente de l’examen des Hébreux. Elle les regarda à nouveau, calme et résignée. — Si l’Éternel proscrit la prostitution, alors j’y renonce définitivement. Salmon se leva et se rendit jusqu’à l’extrémité du toit. Il scruta la ville un long moment, puis se retourna et la regarda à nouveau. — Il est temps que nous partions, dit-il. Nous avons accompli notre mission, Éphraïm. Rahab se leva promptement. Elle savait qu’elle devait agir rapidement. Elle dévala l’échelle, suivie par les deux hommes. Elle traversa la pièce et arracha d’un coup sec le cordon écarlate qui maintenait les rideaux autour de son lit. — Vous ne pouvez pas sortir par la porte. Je peux vous faire descendre par la fenêtre avec cette corde. Elle enroula la corde, écarta Salmon pour se diriger vers la fenêtre, et en jeta une extrémité dans le vide. Elle pencha la tête à l’extérieur tandis que le cordon serpentait le long de la muraille. — Il reste environ six coudées jusqu’au sol, dit-elle. — C’est suffisant. Salmon prit la corde des mains de Rahab. — Toi d’abord, dit-il à Éphraïm. Ce dernier se hissa sur le rebord de la fenêtre et fit passer ses jambes dans le vide. — Attendez ! dit Rahab. Fuyez dans les collines. Restez-y pendant trois jours jusqu’au retour des hommes partis à votre recherche. Ensuite, reprenez votre route. Éphraïm acquiesça, saisit la corde et sortit par la fenêtre. Il toucha le sol avec un bruit sourd. Salmon tendit la corde à Rahab et s’assit sur le rebord de la fenêtre. 61
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— Écoute-moi, Rahab. Nous ne pourrons garantir ta sécurité que si tu laisses cette corde écarlate pendre à ta fenêtre. Et si tous les membres de ta famille, ton père, ta mère, tes frères et tous tes parents, se trouvent ici dans ta maison. S’ils sortent dans la rue, ils seront tués, et nous ne pourrons pas être accusés d’avoir rompu notre promesse. Mais nous jurons que personne dans cette maison ne sera tué et que nous ne lèverons la main sur aucun d’entre eux. Elle se mordit la lèvre, remplie de gratitude. Il passa une jambe à l’extérieur et la regarda à nouveau. — Mais si tu nous trahis, nous ne serons plus liés par ce serment d’aucune façon. — J’accepte tes conditions, répondit-elle. Le regard qu’il plongea dans ses yeux changea subtilement. Lâchant la corde un instant, il se pencha vers elle et posa une main sur sa nuque pour l’attirer à lui. Le cœur de Rahab cessa de battre en songeant qu’il voulait l’embrasser. — Ne crains rien. Je reviendrai te chercher. — Je l’espère. Il reprit fermement la corde. — Auras-tu la force de m’assurer ? — Il le faudra ! dit-elle en riant. Elle tira de toutes ses forces, et quand elle crut lâcher prise, elle trouva en elle une force qu’elle ne se connaissait pas. Quand Salmon lâcha la corde, elle se souleva sur la pointe des pieds et regarda par la fenêtre. Les deux hommes étaient en bas. Éphraïm scrutait prudemment les alentours, mais Salmon la regardait en souriant. Il leva la main en signe d’au revoir et de promesse. Elle agita la main pour lui signifier de partir à la hâte. Elle sourit en les voyant emprunter la route des collines. 62
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Ruth
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Chacune eut à relever des défis extraordinaires. Chacune prit de grands risques personnels pour répondre à son appel. Chacune fut destinée à jouer un rôle clé dans la généalogie de Jésus-Christ, le Sauveur du monde. Francine Rivers, fidèle à l’Écriture, donne vie à ces femmes, et les amène à nous parler d’une façon nouvelle et bouleversante.
Bath-Chéba
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Marie
Tamar
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Ruth
Bath-Chéba
Marie
Rahab RIVERS
Dans ce livre, vous découvrirez Rahab. Exploitée par des hommes qui ne virent que sa beauté extérieure, Rahab s’accrocha à sa foi dans un Dieu tout-puissant. Apprenez avec elle cette vérité stupéfiante : Dieu cherche et trouve ceux dont le cœur est incliné vers lui, peu importe à quel point ils sont éloignés.
LA LIG N É E D E L A G R ÂC E
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Rahab Une femme de foi
La lignée de la grâce
Une femme de foi
9,90 € ISBN 978-2-910246-01-3
9 782910 246013
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