Citad'elles N°4 - Le féminin sans barreaux !

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un pied dehors

Citad ’elles

Le féminin sans barreaux

GRATUIT N°4 Printemps 2014 - réalisé au Centre pénitentiaire pour femmes de Rennes s avec Rencontres avec

Dossier

Dans le portefeuille d'une détenue Cult ur'elles La musique à l'honneur avec la Shtar Ac, Lætitia Shériff et une chronique musicale ! + 3 pages de poèmes ! SPÉCIAL CHOCOLAT

’ Un mag a

Un avocat Le nouveau directeur du CPF La nurserie du CPF LE Un psychiatre meilleu r Un cuisinier magaz ine ! Un chocolatier

Et aussi

Des proverbes Des témoignages Des recettes

VOTRE SAC Citad'elles

OFFERT !

roquer !


’ edito CITAD'ELLES

Revue éditée à 500 exemplaires • COORDINATION GÉNÉRALE : Les Établissements Bollec Ligue de l’enseignement d'Ille-et-Vilaine. • COORDINATION ARTISTIQUE : Les Établissements Bollec. • COMITÉ RÉDACTIONNEL : Jessica Catherine Virginica Carmen Lady J Davar Mamita ATA 22 Cloé Yanou Christine Hanna Simone Guylaine • INTERVENANTS : Audrey Guiller Agathe Halais Johann Le Berre Alain Faure Delphine Marie Louis Magali Arnal • PARTENAIRES : SPIP 35 Ligue de l'enseignement d'Ille et Vilaine Centre pénitentiaire des femmes de Rennes Fondation Macif Fondation La Poste Fondation ELLE Joop Stoop Fondation Agir Sa Vie. • REMERCIEMENTS : Anne-Héloïse Botrel-Kerdreux Yves Bidet - Maitre Arnaud Delomel Les filles de la nurserie Madame Raude - Loïck Villerbu Alice Roussiau - Solen Degabriel Docteur Marc Fedele Bertrand Dauleux Florent Coursimault Laetitia Shériff - Tonio Marinescu La médiathèque Simone pour la relecture Enora et la cyberbase Les surveillantes du bâtiment J Et tous ceux qui nous ont généreusement apporté leurs compétences pour le bouclage. Imprimerie Chat Noir - Rennes

Le

soleil essaye de sortir son nez d'entre les nuages, les mouettes font leur nid dans la soupente, les fleurs s'ouvrent timidement sur l'herbe fraichement coupée. Ce quatrième numéro de Citad'elles est entré de plein pied dans le printemps. Dans ces pages, des rencontres, des sujets graves ou légers, des bonnes recettes de cuisine, de la musique… pour partager avec vous de bons moments de lecture. Et pour faire venir l'été plus vite, nous sommes heureux de vous offrir LE sac Citad'elles, édition limitée ! Ne sortez plus sans lui ! Ce projet est ouvert à toutes, n'hésitez pas à venir rejoindre l'équipe pour nous proposer vos idées d'articles et d'illustrations. Citad'elles est un projet mené conjointement par le SPIP 35, La Ligue de l'enseignement d'Ille et Vilaine et l'association rennaise Les établissements Bollec. Il n'existerait pas sans le soutien de nos partenaires privés que nous remercions au passage. Tous les numéros de Citad'elles sont lisibles gratuitement sur le site etablissementbollec.com Alain Faure, coordinateur du projet.

Sommaire Billet d'humeur Ces proverbes qui nous pourrissent la vie ! .............................................p.3 Act u La théorie du genre ...........................................................................................p.4 Rencontres avec Yves Bidet, nouveau directeur du CPF .......................................................p.6 Arnaud Delomel, avocat à Rennes ...............................................................p.7 La nurserie du CPF ......................................................................................... p.10 On vous explique Dans le portefeuille d'une détenue .......................................................... p.12 Mots a' maux Peut-on changer en détention ? ................................................................ p.22 Sortir de la violence conjugale ................................................................... p.24 Comment supporter de se faire larguer en prison ? .......................... p.26 Portrait d'un psy .............................................................................................. p.27 Cuisine & dependance ' Chocolat ............................................................................................................. p.30 Cuisiner les erreurs ........................................................................................ p.34 Repas de printemps. ...................................................................................... p.36 Cut ur'elles La Shtar Ac ........................................................................................................ p.38 Envie de musique ........................................................................................... p.39 Un après-midi avec Laetitia Shériff .......................................................... p.40 Expression libre ............................................................................................... p.41


billet d' humeur Ces proverbes qui nous pourrissent la vie !

Par Davar

Les proverbes, ces "soi-disant" vérités qu'on nous rabâche et nous assène comme un point final dans une discussion. Quand certains sont des sagesses, d'autres sont de vrais diktats de la société. PIERRE QUI ROULE N'AMASSE PAS MOUSSE. Valable à une époque révolue, ce dicton est totalement obsolète maintenant. Certes, autrefois, ce sont les familles qui se transmettaient les terres et les entreprises, de génération en génération, qui se construisaient des patrimoines solides. Mais aujourd'hui ? Prenons un jeune diplômé bourré de talent. Son succès passera souvent par un exil vers des pays où réussir grâce à ses idées est aujourd'hui plus facile, comme le Canada ou la Chine. Quid des épargnants qui sont restés à économiser toute leur vie, ancrés au même endroit et qui se voient, en un instant, dépouillés de tout par un escroc, un hacker ou une dette publique ? La sédentarité n’offre plus la garantie de faire fortune... IL N'Y A PAS DE FUMÉE SANS FEU. Dans les prisons de femmes, où la rumeur nous brise et nous détruit, on ressent la cruauté et le ridicule de ce proverbe. Ici, nous sommes comme marquées au fer rouge par notre passé et certaines détenues à qui l'on ne plait pas en profitent. Il suffira de quelques détails «croustillants» sur son «affaire» pour la décrédibiliser. Peu importe que cela soit vrai ou faux. Et l'on finit quelquefois ostracisée et désespérée pour des rumeurs fausses, de la fumée sans feu. À côté de ces proverbes classiques, il y a de "faux proverbes", ironiques, cyniques mais tellement vrais ! "Bien mal acquis ne profite jamais qu'à ceux qui sont assez malins pour ne pas se faire épingler." Pierre Dac "L'horreur est humaine". Coluche "L'homme n'est pas fait pour travailler, la preuve c'est que cela le fatigue" Voltaire "Qui avale une noix de coco fait confiance à son anus !" Proverbe africain.

Outre les proverbes, il y a les dictons qui constatent des faits : "Noël au balcon, Pâques au tison". Les aphorismes qui tirent une conclusion de fait observés : "Chat échaudé craint l'eau froide". L'adage exprime plutôt un conseil pratique : "Qui veut voyager loin ménage sa monture". Le précepte énonce un enseignement d'ordre philosophique ou moral : "L'éducation a des racines amères mais ses fruits sont doux." La sentence émet un jugement moral, souvent de manière dogmatique : "N'accuse pas le puit d'être profond si tu prends une corde trop courte".

Les hommes naissent libres et égaux,après ils se démerdent. Jean Yanne

Dessin au crayon, Davar.

À VOS PLUMES Creusez-vous les méninges et écrivez-nous un proverbe, un dicton, une sentence ou tout ce que vous voulez qui nous fera sourire, rire ou pleurer ! Vous serez publiée dans le prochain Citad'elles !

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un pied dehors

La théorie du genre sur le devant de la scène Qu'est-ce qu'un homme ? Qu'est-ce qu'une femme ? Ce que la nature dit ou ce que la société a décrété ? Cet hiver, nous avons tous assisté au drame social nommé "Théorie du Genre" qui s’est joué sur la scène médiatique. Vécue par certains comme une menace ou une idéologie, la réflexion sur le genre ne permet-elle pas plutôt de se libérer de certains clichés ? Par Jessica

L

es personnages : le genre, objet de recherches universitaires ; des acteurs en mal d’audience surfant sur la vague de la Manif pour Tous ; des parents mal informés craignant une défaillance pédagogique de l'école. Secouez, vous obtenez un drame en cinq actes qui témoigne des forces contradictoires qui animent notre société et ses changements.

Acte I

Scène 1 : Aux USA, dans les années 1960, des médecins s’interrogent sur la "diffraction constatée entre corps et identité", c'est-à-dire qu'ils font la différence entre le sexe biologique d’une personne et son sexe social. Comme le dit alors la française Simone de Beauvoir, "On ne naît pas femme, on le devient", selon ce que la société pense qu'une femme doit être. Scène 2 : Toujours aux USA, dans les années 1960 à 80 : des féministes intègrent l’enseignement supérieur

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Monotype, Lady J. et déconstruisent les sciences sociales en mettant au jour les systèmes de pouvoir entre classes, races et genres : elles montrent que les inégalités entre hommes et femmes se fondent plus sur des facteurs sociaux et culturels que biologiques. Hommes et femmes naissent différents. La société les fait inégaux. Scène 3 : En France, dans les années 1980, le concept de genre arrive dans les universités françaises, sans sa cape militante. Il devient un champ de recherche pluridisciplinaire mais est difficilement accessible pour le grand public.

Actes II Scène 1 : Les recherches montrent que les rapports de domination sont fondés sur des oppositions de valeur entre ce qui est culturellement reconnu comme masculin (force, ambition, rationalité) et ce qui est conçu comme féminin (faiblesse,

servitude, émotivité). Scène 2 : Ces modèles de valeurs sont assimilés dès le plus jeune âge. On éduque les filles à aimer le rose et les poupées, les garçons à opter pour les sciences et la compétitivité. Les filles qui jouent aux voitures ou se battent sont des garçons "manqués". Le masculin est plus valorisé que le féminin. Scène 3 : Ces conclusions penètrent la sphère politique et poussent à une sensibilité croissante sur l’égalité entre hommes et femmes. Le code de l'éducation de 1989 dit que "les écoles (…) contribuent à favoriser la mixité et l’égalité entre les hommes et les femmes (...) assurent une mission d’information sur les violences et une éducation à la séxualité". En France, la convention interministérielle de 2013 propose de "sensibiliser à la nondiscrimination des homosexuels et à l’égalité entre les sexes et à évoquer les « stéréotypes de genre » pour expliquer aux enfants les clichés


un pied dehors

Monotypes, Lady J, Agathe et Alain

liés au genre, par exemple celui de la femme à la maison et cantonnée aux tâches ménagères (1)".

Acte III Scène 1 : Lors du débat sur le mariage pour tous, la Manif pour Tous, véhiculant une image réactionnaire de la famille (le couple hétérosexuel), ouvre une porte au déchaînement passionnel autour des questions de sexualité. Scène 2 : Le concept de genre fait l’objet d’une récupération idéologique de la part de personnes proches de l’extrême droite qui protestent contre "l’enseignement obligatoire de la théorie du genre". Alors qu'elle est en réalité une science sociale, la "théorie du genre" vient de naître. Eric Zemmour y voit l’expression du "totalitarisme" à l’œuvre en France. Naissent ensuite de folles rumeurs. Des cours d'égalité entre hommes et femmes sont au programme scolaire, dans

le but de comprendre pourquoi, aujourd'hui, les uns et les autres n'ont pas les mêmes droits et les mêmes devoirs. Certains affirment que ces "cours sur le genre" enseigneraient l'homosexualité et la masturbation ! Comme le souligne le journal Le Monde, il s’agit d’une "vaste opération d’intox, qui repose sur des fantasmes de plus en plus répandus". Scène 3 : Des parents retirent leurs enfants des écoles pour protester contre la "théorie du genre", qui fait la une de tous les journaux.

Acte IV Scène 1 : Au gouvernement, JeanMarc Ayrault et Najat Vallaud Belkacem se disent scandalisés par la diabolisation du concept de genre et la réaction de certains parents. Vincent Peillon fait la boulette de "refuser la théorie du genre", suggérant inconsciemment par son refus que le genre est une théorie.

Scène 2 : Les recherches sur le genre sortent des universités et pénètrent dans le débat public. Judith Butler, professeur-chercheur à l’université de Berkley, fait la démarche spontanée d’adresser une lettre au journal Le Nouvel Obs : "Les études de genre constituent un champ, ce qui signifie qu'il comprend diverses positions théoriques, et non pas une théorie unique." Scène 3 : La soi-disant théorie du genre perd du terrain, mais persiste dans certains esprits.

Acte V À écrire... Fidèle à la tendance post-moderne, ce drame laisse au spectateur le souci de réfléchir et d’inventer le chemin que cette question du genre doit prendre, en déconstruisant ses préjugés.n (Sources : Joan Scott). (1) Le Monde, 28/01/2014.

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rencontres avec

Yves Bidet Nouveau directeur du CPF Il a pris la suite de Michel Beuzon, qui était directeur de l'établissement depuis 10 ans. Trois rédactrices de Citad'elles l'ont interviewé. Dessin au crayon, Davar. Citad'elles : Pouvez-vous nous décrire en quelques mots le rôle d'un directeur? Yves Bidet : Un directeur conduit la politique de fonctionnement de l’établissement pénitentiaire et fait appliquer la politique du Ministère de la justice en matière de prisons. Personnellement, je me vois comme un "coordinateur", "un animateur". Une de mes fonctions est aussi de détenir un pouvoir disciplinaire par rapport au personnel et aux détenus. C : Est-ce un choix de votre part d'être ici ? YB : Auparavant, j'étais adjoint à la Direction interrégionale basée à Rennes. J'ai demandé ma mutation au CPF de Rennes pour être davantage confronté aux réalités du terrain. Cette responsabilité s'imposait comme une évidence. Même si devenir directeur dans un établissement qu'on ne connait pas provoque une certaine appréhension. Je connaissais quand même le centre pénitentiaire, mais

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Propos recueillis par ATA22, Mamita et Jessica pas dans les détails, comme le sujet du budget. Je suis ici pour trois ans, renouvelables. C : Votre arrivée va-t-elle changer des choses au CPF de Rennes? Quoi ? YB : J'ai été missionné par l’Administration pénitentiaire afin d'améliorer la prise en charge des détenus par les services de santé. Il s'agira par exemple de réécrire les protocoles entre le CP et les centres hospitaliers. Je compte aussi réécrire le règlement intérieur. L'une de mes priorités sera d'appuyer les dossiers d’aménagement de peine, dans le cas où le dossier est viable et que l'on constate une réelle volonté de réinsertion de la part de la détenue. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que toute amélioration dépend aussi du budget et des textes de lois. C : Vous êtes plutôt réinsertion ou répression ? YB : On ne peut faire l’économie des deux.

C : Etes-vous ouvert à des suggestions venant des détenues afin d’améliorer leur quotidien ? YB : Je projette de créer une instance représentative des détenues afin qu’elles donnent leur avis sur les activités proposées ou qu'elles souhaiteraient voir proposées dans le CP. Mais j'attends un décret pour les modalités d’application de la loi y afférent. Je peux aussi intervenir auprès des services d’enseignement pour faciliter l'accès aux études. C : Trois mots qui vous décrivent dans le travail ? YB : Facilitateur, aimant son métier et les relations humaines. Peut-on nous adresser directement à vous, dans quels cas ? L'administration est hiérarchisée et je n’ai pas le sentiment d’un établissement qui fonctionne mal. n


rencontres avec

Arnaud Delomel Avocat à Rennes Attend-on trop des avocats ? On les considère comme des anges ou des démons, des sauveurs ou des fossoyeurs. Finalement, que peuvent pour nous les avocats ? Dossier réalisé par Davar et ATA 22 Arnaud Delomel est avocat à Rennes. Il nous aide à mieux comprende le rôle des professionnels comme lui. Citad'elles : À quoi doit-on s’attendre quand on prend contact avec un avocat ? Arnaud Delomel : Il y a deux cas distincts : les prévenus et les condamnés. Pour les prévenus, l’avocat se doit de prendre contact avec le client et de prendre connaissance de l’affaire. La fréquence des contacts dépend de l’avocat et de la complexité de l’affaire. Pour les personnes jugées, c’est plus délicat : l’avocat intervient surtout pour un suivi dans un projet de sortie ou une demande d’aménagement de peine. De plus, certaines pièces du dossier peuvent être fournies au client par l'avocat, par contre il faut d’abord que l’avocat fasse une demande écrite au juge d’instruction ou au Parquet, selon les cas. C : Comment l'avocat accompagne-t-il son client ? AD : Pendant la garde à vue, notre rôle est limité car nous n'avons pas accès au dossier. Seulement au P.V.

' vecu

Linogravure, Alain.

> Hélène, 60 ans

"On a tendance à voir les avocats comme des sauveurs... En garde à vue : désespoir, peur, sentiment d'être perdue. Qui va me rendre la vie que je sens m'échapper ? Mon avocat, évidemment ! En préventive, j'ai l'impression d'être une boule de flipper qui se cogne contre tous les conseils que distillent les autres prisonnières qui sont plus averties de vie carcérale. Là encore, seul mon avocat détient les solutions... Au procès, tripes nouées, comment affronter ce tribunal qui me donne l'impression d'être déjà jugée et condamnée avant même d'avoir pu m'exprimer ? Avec mon avocat ! Au centre de détention, pour obtenir des permissions, un aménagement de peine, une conditionnelle ou que sais-je , c'est le labyrinthe de l'après condamnation. Dossier, lois à éplucher, anciennes et nouvelles, juges et procureurs de nouveau à affronter... Là, c'est carrément mission impossible sans un spécialiste : mon avocat ! Alors, il va falloir découvrir la perle rare...

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rencontres avec de notification des droits du gardé à vue. On peut déjà expliquer les risques de l'infraction suspectée et la peine encourue. Ensuite, l'avocat décrit la procédure et ce qui va se passer. Nous pouvons toujours essayer d’adoucir ces moments très durs et essayer d'empêcher le placement en détention. Il est important, pour quelqu'un qui se trouve dans cette situation, que l'avocat puisse prévenir ses proches, et les rassurer. Sans pour autant rompre le secret professionnel, bien sûr. Le rôle "d'avocat d'office" s'arrête à la présentation du prévenu devant un Juge d'instruction et le Juge des libertés. Les démarches de l'avocat après le procès et l'incarcération dépendent du choix de l'avocat et des honoraires qui lui sont payés. Les émoluements du défenseur dépendant de l'aide juridictionnelle sont dérisoires et ne couvrent malheureusement pas les visites en prison et tout l'accompagnement dont auraient besoin les détenus. C : Sur quoi se basent les avocats pour tarifer leurs services ? AD : En théorie, d’après les textes de lois, les honoraires sont en libre discussion avec le client. En pratique, c’est l’avocat qui donne son prix en fonction de l’affaire, de la situation financière du client et des services demandés, notamment les déplacements. C : Que faire lorsque le feeling ne se crée pas entre l'avocat et le détenu ? AD : Il est évident qu'il faut créer un lien, aller au-delà du simple rapport professionnel. Ce n'est pas un travail de machine et il y a un réel investissement humain, sinon cela ne fonctionne pas. Dans les gros dossiers, nous rentrons dans la vie et l'intimité de notre client. Notre objectif n'est bien souvent pas de discuter de la culpabilité,

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mais l'espoir d'avoir pour notre client une peine acceptable et en rapport aux faits. A mon avis, il est difficile pour un avocat d'aider son client si les deux ne nouent pas une communication basée sur la confiance et la sympathie. Lorsque je ferme la porte de mon bureau, je laisse mes dossiers derrière et je me consacre à ma vie privée. Mais en pratique c'est impossible de ne pas penser à ses clients. Surtout quand on travaille avec des personnes incarcérées pour qui c'est un drame. C : Comment ressentez-vous le besoin de certains de vos confrères d'être médiatisés ? AD : Déjà, je trouve inadmissible les avocats qui "recrutent" en prison. C'est du racolage et cela doit être dénoncé. Ils profitent d'un état de faiblesse des personnes. Concernant les "grands" avocats, c'est un peu normal qu'ils envoient leurs collaborateurs et ne soient présents que pour les évènements les plus importants, car ils ont beaucoup de dossiers. Enfin, il me semble que la médiatisation est normale

lorsqu'il s'agit de faits qui touchent des personnes connues ou des faits particulièrement importants. C : Les commis d’office sont-ils moins compétents ? AD : Il faut tout d’abord savoir que chaque avocat inscrit au barreau a reçu un imprimé à remplir dans lequel on lui demande s’il accepte d'être inscrit sur la liste des avocats commis d’office. Dans les Cours d'Assises, les avocats commis d’office ne sont pas des débutants et ont suivi une formation spécifique. Donc les avocats commis d’office sont tout aussi compétents que les autres. Par contre, il faut être réaliste : un commis d’office est rémunéré dans les 100 € par cas, charges incluses. Donc il ne peut pas s’impliquer autant qu’un avocat payé pour chacun de ses déplacements. Par ailleurs, on ne peut pas vous imposer un avocat, si le vôtre ne vous convient pas et qu’il a été commis d’office, il faut écrire au bâtonnier. Par contre, mieux vaut justifier sa demande. n


' vecu > Stéphanie, 27 ans

"Il ne vient jamais, ne répond pas à mes courriers, me redemande de l'argent alors que ma famille lui a déjà versé des milliers d'euros, ne m'explique rien, m'abandonne, se fiche de moi. Il a d'autres affaires bien plus juteuses. Je ne sais plus quoi faire ! Je n'existe pas pour lui non plus.

> Eléonore, 32 ans, en préventive depuis 18 mois. "J’ai eu un avocat d’office pour la garde à vue et j’en ai demandé un autre car celui-la ne pouvait pas assurer ma défense en détention. Le Barreau m’en a désigné une en assistance juridictionnelle, c'est la défense gratuite pour les personnes sans ressources, il y a un an. Je l’ai vue une fois et depuis je lui écris. Je n’arrive pas à voir ma ma fille qui est en famille d’accueil et je pense que ma mère va m’aider en faisant un emprunt à sa banque pour prendre un avocat payant, car là, je sombre…"

Monotypes, Davar

BILLET

Sur quel avocat miserez-vous ?

Je classe les avocats en trois catégories. Les ténors. Inaccessibles en général. Sauf… si l'affaire est bien croustillante et va attirer moult journalistes. Là, le "MAAAÎTRE" pourra se pavaner et pérorer devant micros et caméras. Et puis les honoraires se calculent en fonction de la renommée, n'est-ce pas ? Ces avocats connaissent souvent les juges, négocient les sentences et vous avez beaucoup

de chance de vous en sortir grâce à leur entregent. Mais ne rêvez pas, ce sont ses collaborateurs ou stagiaires qui viendront vous voir la plupart du temps. "MAAAÎTRE" étant submergé... L'avocat débutant. Sympa, plein de bonne volonté mais impitoyablement écrasé par juges, procureurs, présidents et gradés. Par contre, ce même type d'avocat pourra se passionner pour un dossier, le décortiquer, l'analyser et découvrir le vice de

fond qui vous libérera ! Les vautours de la détresse carcérale. Ce sont les pires ! Ils exigent une provision pour leurs honoraires, des frais exorbitants à chaque visite. On leur écrit, désespérées et jamais la réponse n'arrive. Ils brillent par leur absence et profitent de notre ignorance. Pour ces malfrats déguisés en avocats, tout est bon pour faire payer les prisonniers et leur famille. Sans pitié. Et sans résultats probants. Davar

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rencontres avec

La nurserie du CPF Avoir son bébé en prison Au CPF de Rennes, il existe un endroit spécial : la nurserie. Elle peut accueillir cinq femmes de la maison d'arrêt et/ou du centre de détention, à partir de leur 8e mois de grossesse, ou alors directement avec leur bébé si celui-ci avait moins de 18 mois au moment de leur incacération. Citad'elles a interviewé deux mamans d e la nurserie. Propos recueillis par Carmen L'une a un petit garçon de 2 mois et demi et une petite fille née en prison et sortie depuis quelques mois. L'autre a donné naissance à une petite fille en détention, il y a 6 mois. C'est son 5e enfant. Citad'elles : Quelle est la vie d'une jeune maman enfermée avec son enfant ? Ces naissances sont des choix que nous assumons pleinement. Certaines personnes, des détenues ou des surveillantes, nous jugent et trouvent que c'est inhumain de garder son enfant en prison ou pensent que ce n'est pas un choix réfléchi. Oui, nous sommes privées de liberté de circulation, mais pas du droit d'être mère. J'ai eu un sentiment de doute et de culpabilité au moment de prendre la décision de garder l'enfant et au moment où je suis entrée à la maternité (explique l'une). Moi je suis rentrée en prison par force, mais ma fille c'est moi qui l'ai amenée, dans son cosy. Mais finalement, je ne lui aurais pas forcément donné plus, si mon enfant était né à l'extérieur. Etre mère était chacune notre souhait, même si c'est pendant l'incarcération. En détention, une maman l'est à 100%, on n'a pas le temps de penser à son compagnon.

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C : Comment se passent les journées en cellule avec bébé ? C'est pareil qu'à l'extérieur, les journées sont bien remplies à s'occuper du nourrisson. C'est une vraie vie de maman au foyer : linge, nourriture, etc. On est des mamans normales, avec des bébés normaux, dans un contexte atypique. Nous sommes à la nurserie de 7h à 19h et le reste du temps en cellule de nurserie. Même si le régime est celui de la maison d'arrêt, on bénéficie d'un régime avec portes ouvertes, comme ça le bébé ne ressent pas la prison. Les journées se passent avec les bébés. On n'a pas vraiment accès aux activités, au travail ou à la formation puisqu'il n'y a qu'une seule nounou à la nurserie. Une nounou peut être disponible gratuitement 1 à 2 fois par semaine, mais si l'on ne veut plus, il faut prévoir à l'avance et payer une nourrice extérieure. La nounou montre l'extérieur aux bébés, pour qu'ils ne subissent pas l'enfermement et vivent comme tous les bébés normaux, en s’imprégnant de tous leurs sens. C : Quand l'enfant a 18 mois, c'est la séparation... On a toujours ça à l'esprit, comme un compte à rebours, nous comptons les jours avant que l'enfant ne s'en aille en essayant de profiter au maximum de sa présence. La séparation est une déchirure, mais on sait qu'on ne

peut pas faire autrement et donc il faut prendre sur soi. Se séparer de son enfant après la nurserie, c'est exactement la même chose que de se séparer de son enfant quand on entre en prison. Ce sont les mêmes émotions. C : Comment le papa vit son rôle de père avec cette absence ? C'est une relation normale papaenfant, car il peut voir et emmener son enfant à l'extérieur quand il veut, étant donné que l'enfant n'est pas détenu. On peut avoir des parloirs avec la famille, des parloirs jeunes enfants et parents-enfants. En général, les pères qui assurent, il n'y en a pas des masses. C : Et l'après ? Les enfants sont pris en charge par le papa, une famille d’accueil ou un membre de sa famille. Certaines peuvent demander une conditionnelle. On vit toujours dans l’angoisse l’avenir de son bébé. Et nous, on peut difficilement se projeter dans notre avenir car comme on s'occupe du bébé, on n'a pas le temps de construire un projet professionnel, de faire des démarches d'aménagement de peine ou de préparer une sortie. Nous sommes pouponnées en tant que mère d'un enfant, mais en tant que détenues, on est oubliées. n


Linogravure Carmen.

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on vous explique

Dans le portefeuille d'une détenue économie

Parlons "sous". Combien gagne une détenue ? Combien dépense-t-elle? Est-ce facile de joindre les deux bouts derrière les barreaux ? Non... mais après enquête, les rennaises du CPF ne sont pas les plus mal loties. Article collectif Qui n'a jamais entendu cette réflexion : en prison, ils sont nourris, chauffés et blanchis à ne rien faire ? Pourtant, vivre en prison coûte. Chaque établissement assure évidemment un service gratuit de restauration à l'attention des prisonniers, mais les besoins des détenues vont au-delà. "Beaucoup manquent de fruits ou de portions de viande correctes, car les parts sont de plus en plus réduites au fur et à mesure que la crise avance, explique Edith (1). Le petit-déjeuner est réduit. Un sachet avec 5g de Ricoré, 10g de sucre, un peu de lait en poudre et 5g de beurre salé. Le pain est donné la veille au soir, tant pis pour celles qui le mangent directement."

années à effectuer, on rêve d'une couette à la place des couvertures style « militaire », qui grattent", explique Linda. Il faut commander et payer. "Si tu n'as pas de parloir ou de famille qui envoient des vêtements, c'est compliqué, raconte Vanessa. Si tu as besoin de lingerie ou de chaussettes, il faut parfois trois mois pour les recevoir. Parfois il n'y a pas ta taille ou ce n'est plus en stock, mais tu le sais que deux mois après et comme on n'a pas accès aux soldes ou aux bons plans sur internet, c'est cher." Depuis février dernier, certains produits cantinables ont augmenté de 20% : "les prix ne sont pas plus chers que dehors, mais pour nous, c'est beaucoup", poursuit-elle.

Pour améliorer l'ordinaire, il faut cantiner, c'est-à-dire acheter des produits supplémentaires à l'épicerie de la prison. C'est là que ça se complique. "En centre de détention, lorsque l'on a de longues

Travailler pour y arriver

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Au CPF de Rennes, 75% des femmes environ travaillent. C'est

beaucoup, car, en moyenne, le taux d'emploi en détention en France était de 28% en 2011 (OIP). Les salaires sont très variables, entre 80 et 700 euros par mois, sur lesquels sont ponctionnés l'argent dû aux parties civiles et le pécule libérable (une épargne que les détenues se constituent pour leur sortie). Alice vient d'un autre pays : "J'étais au courant de mon transfert, donc j'ai économisé avant mon départ afin de pouvoir me débrouiller en attendant d'avoir un travail. J'ai du faire attention à mes dépenses et comme je n'aurai ma première paie que dans quelques jours, je n'ai pas encore pu cantiner." Annie, elle, est en formation : "je touche 200 euros par mois, ma famille m'en envoie 100. Je dépense 270 euros par mois en (dans l'ordre) cigarettes, téléphone, produits d'hygiène, produits laitiers et coiffeur une fois tous les deux mois." Certaines doivent se contenter des 20 euros mensuels donnés par


Peinture, Lady J.

Linogravure, Jessica.

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on vous explique l'Administration pénitentiaire aux indigentes. Gisèle gagne 450 euros mensuels en travaillant. Tout juste ce qu'il lui faut pour payer l'huissier (50 euros mensuels), les produits d'hygiène, les timbres pour la correspondance, une ou deux revues, quelques produits frais à la cantine et si besoin, vêtements et chaussures. "Sans famille, sans travail, c'est difficile d'y arriver, constate Louise. Je dépense le plus en téléphone, environ 150 euros par mois, c'est l'unique lien entre moi et ma famille. Et en produits d'hygiène, on est obligé d'acheter tout soimême, même le papier toilette. C'est cher. C'est dur de boucler les fins de mois, mais on prend l'habitude d'économiser l'argent. Par exemple, j'économise sur les produits frais et sur la nourriture. Et sans budget tabac, tu as déjà beaucoup moins de dépenses." Beaucoup de femmes dépensent 5 € par mois pour

disposer d'un frigo. La télévision coûte 9 euros par mois. En 2011, le gouvernement avait décidé d'harmoniser ces tarifs pour toutes les prisons : dans certaines, les détenus payaient jusqu'à 35 euros par mois pour régarder la télévision. Souvent, le budget des détenues tient à un fil. "Lorsque je travaillais, mon revenu moyen mensuel était de 320€ par mois, calcule Laurence. Je cantinais en moyenne pour 80 à 150€ par mois et j'avais 50 € de téléphone. Mais depuis janvier 2013, en arrêt de travail à cause de problème de santé, tout s'est écroulé comme un château de cartes. Pour vivre sans travailler, j'ai du dépenser toutes mes économies. Je ne cantine plus ou vraiment pour l'essentiel comme cantiner le papier toilette, le gel douche et le shampoing." n

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ALIMENTAIRE HYGIÈNE

TAMPONS 3€

ÉQUIPEMENT

BOÎTE RICORÉ 2€50

CARNET DE TIMBRES 8€

FRAIS JURIDIQUES

AVOCAT 2 000€ 15


on vous explique

CANTINES

Moins de choix, mais moins cher !

Interview de madame Raude, surveillante des cantines. Citad'elles : Avez-vous le choix des sociétés avec lesquelles vous travaillez ? Madame Raude : Non, ce n'est pas nous qui gérons. C'est un marché national qui est géré avec la Direction Interrégionale (DI) des services pénitentiaires, dont le siège se trouve sur Paris. C : Est-ce que les prix sont plus chers que dehors ? Mme R : Non, ils sont relativement équivalents, même bien souvent inférieurs. Il se peut qu'il y ait des produits plus chers, mais d'autres le sont moins. Les prix sont du ressort des marchés nationaux, pas de nous.

C : Pourquoi y a-t-il si peu de choix à Rennes ? Mme R : Dans beaucoup de détentions, les cantines sont gérées par des sociétés privées : il y a plus de choix mais leur but premier est de faire du profit, donc les tarifs sont plus hauts. Nous, ce n'est pas notre objectif. De plus, ici, nous nous n'avons pas la place requise ni assez de frigos pour stocker denrées non périssables ou produits frais, ce qui restreint le choix. C'est pour cela qu'on ne propose pas beaucoup de viande. Les règles d'hygiène nous imposent des lois strictes que nous devons respecter. Enfin, nous ne travaillons plus avec certains fournisseurs, puisque tout est géré par la DI.

C : Quels sont les produits les plus cantinés ? Mme R : Les produits d'épicerie, d'hygiène et le tabac. Nous ne proposons pas de bio ou de sans gluten car cela représenterait beaucoup de travail et deviendrait ingérable. Pour ça, il y a déjà les cantines extérieures. On ne peut pas faire des cantines à la carte. J'entends bien que pour les personnes à longues peines, il peut y avoir une lassitude des produits proposés. Nous pensons à changer les bons de cantine, mais cela prend du temps. Propos recueillis par Catherine

publi-reportage par Catherine

On ne raconte pas de salade !

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Fraîches et légères, elle s sont aussi généreuses et com plètes. Bien composées, elles calent les plus gourmands et com blent les plus exigeants !

Bien manger, le réflexe céréales !


Crayons de couleurs, ATA22, Carmen, Davar et Alain. Peintures, Catherine.

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on vous explique

Les cantines, un luxe ?

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On entend parfois certains dire qu'ils supprimeraient bien les cantines, comme ça tout le monde mangerait les repas que l'on sert. Les cantines ne servent pas qu'à se goinfrer, mais plutôt à reprendre son autonomie pour cuisiner. Lorsque les femmes passent plusieurs années enfermées, elles perdent leurs automatismes et peuvent devenir assistées. Cela fait partie de la réinsertion de se réapproprier les lieux, partager des recettes d'autres continents, apprendre à cuisiner pour les personnes qui n'ont jamais cuisiné. Savoir se mélanger à d'autres personnes. Pour que la sortie ne soit pas un moment d'angoisse. De savoir se faire des petits plats et faire à manger à ses enfants. La réinsertion passe aussi par l'achat des marchandises, certaines n'ont connu que les francs et se familiariser avec les euros virtuels puisque (pas de manipulation d'argent), ce sont des listes à cocher. Apprendre à gérer son budget, accepter de se priver pour pouvoir payer la location de son réfrigérateur et de sa télévision.

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Les rackets et les trafics de cantines ou en tous genres. Exemple : un litre de lait frais à 0,62€, contre des sachets de dosettes de lait en poudre de 12 grammes données par les cuisines. Parfois, ce sont des échanges qui ne sont souvent pas méchants. Un service rendu entre détenues, mais mal perçu par l'administration pénitentiaire, car ingérable en cas de problème. Bien souvent l'une des deux parties est perdante dans la valeur de l'échange. Certaines profitent de la naïveté et trafiquent la triplette du petit déjeuner (1 sachet de café,1 sachet de lait,1 sachet de sucre) que l'on nous donne chaque soir pour le petit déjeuner du lendemain et qui rend bien service lorsque vous êtes indigente.

F. 50 ans travaille. D.46 ans ne Rentrée/mois 380€. travaille pas. Fruits/légumes 25€/hebdo Versements par Hygiène 7€/mois Extérieur 30 à 50€/mois ses enfants à hauteur de 600€/mois Cigarettes 200€, Cantines 250€.

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J. 60 ans ne travaille pas. Fruits/légumes 30€€ Épicerie/produit frais 100€€ Hygiène 10€€/hebdo Extérieur 100€€/semestre.


QUAND LES DETTES S'ACCUMULENT ! Explications de l'avocat Arnaud Delomel Qu’est-ce que le surendettement ? Le surendettement est le fait d’avoir plus de dettes que de revenu. Il n’y a pas de limite minimum dans la loi. N’importe qui peut monter un dossier de surendettement, il suffit de remplir un imprimé disponible sur internet (on peut le trouver en tapant "surendettement" dans Google). Comment gérer un problème de surendettement en étant incarcéré ? Surtout, que l’on soit incarcéré ou pas, le plus important est de prendre

contact avec le(s) créancier(s), il ne faut surtout pas laisser les choses en l’état ou faire le mort. Quand on connait ce problème en détention, il faut impérativement monter un dossier. Et une fois sortie, il faut se méfier de toutes les offres de carte de paiement proposées par les grandes enseignes ou des microcrédits dans les grandes surfaces. Reste-t-on solvable quand on est incarcéré ? Oui, on reste solvable. Par contre, dès qu’on monte un dossier de surendettement, les dettes sont gelées dès qu'il est accepté. Les

F.60 ans travaille. Rentrée/mois 250€ Fruits/5€ Épicerie/produit frais 12€ Hygiène 7€/hebdo Extérieur 30 à 50€mois

créanciers ne sont pas autorisés à se servir sur les comptes. Il doit y avoir une décision de justice définitive, notifiée à l’intéressée. Pour en savoir plus, adressez-vous au Point Infos Surrendettement : 02 23 48 25 55 Tribunal d'Instance de Rennes Propos recueillis par ATA22

G. 40 ans travaille. Épicerie/produit frais 60€ Hygiène 50€/mois Tabac 118€ Extérieur 15€/mois, Papeterie/revue 20€/mois Laverie 8€/mois.

LE PANIER MOYEN D'UNE DÉTENUE 19


on vous explique

LE SALON DE COIFFURE pour les beautiful people et les riches… Depuis plusieurs années, dans les prisons françaises, les salons de coiffures et d'esthétique sont accessibles pour les drôles de dames. A Rennes, au départ, ces services étaient assurés par les stagiaires de l’école de coiffure Jacques Bedfert. C’est maintenant une professionnelle privée qui vient coiffer. Les prestations sont plus complètes mais les prix s’en ressentent. Un "shampoing coupe permanente brushing" : 52,50 euros, des mèches : 55 euros. Normal pour l'extérieur. Mais à

l'intérieur, où certaines gagnent 70 ou 100 euros de salaire par mois, c'est vite inabordable. Alors que nombreuses sont celles qui rêvent de se faire coiffer par une vraie coiffeuse... On pourrait imaginer des prix ultras-low-cost, des tarifs adaptés au budget de chacune ou une prestation mensuelle, simple et gratuite pour toute personne qui le souhaite. Ce serait une façon de lutter contre le laisser-aller et de renforcer l’estime de soi. Ici, d'autres solutions sont nées, comme

"le swapping service", autrement dit l'échange de bons procédés : je te fais une coupe contre un paquet de cigarettes, par exemple. Mais comme dans tout métier, il y a un risque sur la méthode. Si la cliente de la coiffeuse amateure se trouve laide ou déteste sa couleur, gare à la colère ! Lady J.

Peintures, Carmen et Lady J.

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Peintures, Carmen et Alain

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mots a' maux

Peut-on changer en détention ? Un détenu ne se résume pas à l'affaire pour laquelle il a été condamné. Et la détention peut l'amener à prendre du recul par rapport à cela. Pourquoi ? Comment ? Le psycho-criminologue rennais Loïck Villerbu nous explique.

Loïck Villerbu est directeur de l'Institut de criminologie et sciences humaines de haute-Bretagne. Citad'elles : En quoi consiste la fonction de criminologue? Loïck Villerbu : Etre criminologue, c'est avoir eu accès à une formation en psycho-criminologie (proposée à certains corps de métiers comme la gendarmerie, la police, les magistrats, les avocats, les psychiatres). Notre fonction consiste à analyser et à tirer parti des recherches et des pratiques professionnelles dans le domaine de façon très spécifique. Nous proposons nos services aussi bien dans des dispositifs de traitement ou d'orientation que dans le système judiciaire. La France est considérablement en retard sur la reconnaissance de la formation et des métiers, sur les recherches criminologiques. C : Les personnes incarcérées pour des actes violents sont-elles violentes? LV : On ne naît pas violent. La violence est une réponse apprise, acquise dans l'enfance ou l'adolescence pour résoudre une difficulté, chercher une issue. Il faut avoir vécu dans des climats qui suscitent la violence comme la défense de soi ou de son groupe pour devenir violent. Alors, la personne ne fait plus la différence

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entre des situations qui exigent la violence pour se défendre et celles qui ne l'exigent pas. C : Un détenu est-il forcément violent? LV : Un détenu n'est pas forcément violent parce qu'il est détenu. La détention peut rendre violent, parce qu'elle met la personne face à l'échec de ses propres projets et ses mauvais choix. Toute sorte d'enfermement est une violence : que l'on soit enfermé par les autres, enfermé dans ses propres problèmes ou enfermé dans les problèmes provoqués à autrui. Mais il ne faut pas confondre : la violence des émotions n'implique pas forcément la violence de comportements hostiles ou destructeurs. C : Quelqu'un qui a commis un délit ou un crime est-il dangereux? LV : Ce que l'on peut dire, c'est qu'il n'a pas choisi la négociation pour résoudre son problème. Ce geste peut faire partie du mode de réaction habituelle de la personne, dit "chronique", ce qui prédispose à la récidive. Ou il peut être intervenu de façon brusque et sans précédent. La passage à l'acte peut avoir diverses raisons : une revendication de valeur : une volonté de faire reconnaître sa valeur face à des dévalorisations répétées ou graves.

Cela peut être un acte de rupture, une perte de sa propre raison, une tentative de s'affirmer en rompant avec une situation. Ensuite, qu'estce que la dangerosité ? C'est un "risque de" autant contre soi que pour les autres. La dangerosité s ' i n s t a l l e s u r u n e d i ff i c u l t é personnelle : il y a dangerosité là où il y a vulnérabilité. C : Pourquoi passe-t-on à l'acte ? LV : Le passage à l'acte met généralement fin à une délibération intérieure. Parfois, il n'y a pas de délibération. La réponse criminelle se présente sous un côté impérieux, irraisonné, comme évident. Que ce soit de façon impulsive ou de façon plus réfléchie. C : Tout détenu prend-il du recul par rapport à son affaire ? LV : Le recul suppose non pas un miroir, mais un tiers. Quelqu'un qui entende sans jugement a priori ou, quand il en a, sans attitude fermée. Quelqu'un capable de discuter. Ce n'est pas une affaire facile : d'un coté le détenu cherche toujours à se comprendre et à comprendre pourquoi il en est arrivé là, où se trouve l'erreur. De l'autre coté, il est toujours difficile de concevoir que les conditions de l'erreur sont le fait de sa propre personne, autant que des situations qu'il a vécues et auxquelles il s'est heurté.


' vecu > S. 25 ans

"Souvent, lorsqu’on arrive en prison, on a du temps pour penser à tout : ce qu’on a fait, ce qu’on a perdu, ce qu’on a vécu… On se demande pourquoi et petit à petit, de soi-même ou aiguillée par des professionnelles, on arrive à démêler tous les fils. Les gens pensent que les détenus sont ce qu’ils ont fait, alors que pour la majorité des longues peines, c’est qu’un accident de vie. Les gens nous jugent pendant l’instruction, pendant le jugement, tout au long de notre détention et même après. Se rendent-ils compte que nous-même, nous nous jugeons et que nous aimerions bien changer les choses ? Tout effacer pour recommencer... mais cela n’est pas possible. Les détenues peuvent changer en détention, non pas que nous étions des personnes forcément mauvaises au départ, mais plutôt parce que l'on prend conscience de nos mauvais choix, de nos erreurs successives qui nous ont menées vers LA connerie. La plupart d’entre nous ne recommencera plus jamais, ne serait-ce qu’un excès de vitesse..."

Peinture, Virginica.

C : Les détenus changent-ils en détention ? LV : Il y a "pouvoir changer" et "vouloir changer". Pour pouvoir changer, les détenus ont besoin d'avoir un certain cadre : qu'il y ait une ambiance suffisamment bonne pour que le changement ne fasse pas peur (atmosphère, sentiment ou non de sécurité) et un bon climat carcéral (organisation des pouvoirs et distribution de ceux-ci aux différents personnels pénitentiaires). Il faut également que la personne puisse avoir la possibilité de consulter différents spécialistes.

C : Est ce que tous les détenus sont susceptible de récidiver ? LV : Pour éviter la récidive, il faut que la peine soit comprise et qu'il y ait une distance avec soi-même et avec son environnement. La distance avec soi-même consiste à ne pas se dénigrer ou au contraire à rester celui que l'on était. Si le détenu affirme "je suis comme je suis, un point c'est tout", il n'y a pas de changement possible. Pour éviter la récidive, la personne doit retrouver une confiance perdue, s'assurer qu'il est possible de vivre dans des conditions de vie différentes.

C : Pourquoi les personnes incarcérées sont souvent étiquetées par le nom de leur affaire ? LV : En réalité, il n'y a pas là de volonté de déshumaniser. Dans un milieu fonctionnel, la personne est nommée par son problème (comme par exemple dans un hôpital on appellera un patient par sa maladie). La déshumanisation commence au moment où ne sont pas reconnues sl'histoire ou les particularités d'une personne et de sa situation. Devenir un matricule : cela peut faire l'économie d'engager une relation, avec les sentiments qui pourraient s'y trouver. n

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mots a' maux

Sortir de la violence conjugale En 2011, 56700 femmes ont été violentées physiquement ou sexuellement. Cette violence touche toutes les couches sociales. Pourquoi les femmes violentées ne partent pas ? Que faire ? Citad'elles a interviewé Alice Roussiau, psychologue au Planning familial de Rennes et Solen Degabriel, juriste au Centre d'information sur les droits des Femmes et des Familles (CIDFF). par Mamita et Yanou Citad'elles : Quels sont les signes précurseurs de la violence dans un couple ? Réponse : La violence conjugale va s'installer quand un événement se glisse dans la vie quotidienne et accentue l'inégalité dans le couple. Par exemple : la maladie, la perte d'un proche, une grossesse ou une perte d'emploi qui peuvent rendre la femme plus faible. La relation d'égalité bascule ou l'inégalité s'accentue. Ce processus peut être rapide ou lent. C : Pourquoi la victime reste-telle silencieuse ? R : La femme violentée s'aperçoit du changement de comportement de son mari, sans comprendre, ni même réagir. Elle commence à culpabiliser : est-ce ma faute ? Qu'ai-je fait de mal ? La femme est prise dans une sorte de piège. Elle sait qu'elle va être insultée, rabaissée moralement, agressée, injuriée et battue physiquement. Si elle accepte souvent cette situation pendant longtemps, c'est à cause des

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Dessin au crayon, Yanou menaces prononcées par son mari : "tu es une bonne à rien, tu n'as rien à toi, tu es moche". Ensuite, il va "toucher" au plus précieux "bien" d'une maman : les enfants: "Je vais demander la garde, tu ne les verras plus, tu es une mauvaise mère, etc. C'est souvent à ce moment là que les femmes battues tentent de sortir de l'enfer. C : Comment les enfants viventils les violences ? R : Souvent, la maman cherche à protéger son ou ses enfants en cachant la réalité des faits : "Papa est en colère, c'est fini, ne t'inquiète pas, ça va aller"… Et c'est là que commence, petit à petit, l'effondrement de l'enfant. Les premiers signes sont les troubles du sommeil, les difficultés scolaires, les troubles de l'alimentation ou, même parfois du développement. Plus vite la maman sera aidée, plus vite l'enfant le sera. Moins la souffrance s'installera et moins les séquelles seront présentes. L'enfant peut aussi lui-même

dénoncer la violence s'il en est capable. Par exemple à ses amis, sa maîtresse qui peut également faire un signalement, à une assistante sociale, ou tout simplement à un autre membre de la famille. Même s'ils sont moins beaucoup moins nombreux que les femmes, il existe aussi des hommes victimes de violence conjugales. Ils en parlent très peu. C : Comment obtenir de l'aide ? R : On peut appeler le numéro gratuit 3912 qui dirige la victime de violence vers une aide adaptée. Cela peut être un logement ou un accompagnement psychologique le temps que la victime se reconstruise. Depuis 2010, il existe l'ordonnance de protection pour les victimes. Après une audience devant le juge aux affaires familiales, la victime est aidée à quitter l'emprise du conjoint violent. Le viol conjugal est reconnu par la loi depuis 1992, le violeur est passible de la Cour d'assises. n


EN 2012, 148 FEMMES SONT MORTES DE VIOLENCES CONJUGALES, SOIT UNE TOUS LES DEUX JOURS !

Pochoir, Guylaine.

' vecu

> On peut s'en sortir... "Je pense qu'une femme battue peut reprendre confiance de différentes façons. Par exemple, en consultant le milieu médical (psychologues, psychiatres). Elle peut aussi rencontrer des personnes de confiance pour discuter, envisager l'avenir et faire le deuil de cette douloureuse période de la vie." " Pour moi, ce sont mes enfants qui m'ont aidés et m'ont boostés. Mon travail aussi m'a permis de penser à autre chose, et je me suis projetée dans mon avenir professionnel."

Pochoir et tampon, Yanou

"C'est toute seule que j'ai réussi à avancer et surmonter, en allant aux activités, avec le sport, en allant à la rencontre des autres filles. On n'oublie pas, on ne pardonne pas, mais on essaie de sortir de l'état dans lequel il nous avait mis. Ce qui peut soulager, c'est de parler à une personne qui a vécu la même chose."

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mots a' maux

Comment supporter de se faire larguer en prison ? La rupture derrière les murs peut malheureusement arriver à n’importe laquelle d’entre nous. Ce n'est pas facile... mais pas insurmontable ! Par Guylaine Le service médico-psychologique régional du CPF de Rennes nous donne quelques pistes de réflexion pour comprendre : Citad'elles : Quelles sont les raisons d'une rupture ? Elles peuvent être très différentes. Parfois le conjoint dehors rencontre quelqu'un d'autre. Parfois il ne supporte pas l'incarcération de sa compagne ou s’empêche de vivre dehors, comme s'il était incarcéré lui-aussi. Chez les détenus hommes, ce sont souvent eux qui quittent leur femme restée dehors. Parce qu'ils en ont marre de se prendre la tête aux parloirs et car ils souffrent d’une sorte de jalousie par rapport à ce qu'elle pourrait vivre dehors. C : Est-ce fréquent de se faire larguer en prison ? Oui, assez. Surtout pour les femmes en préventive, en début d’incarcération. Cela arrive aussi aux couples qui se sont créés à l'intérieur de la prison. Deux femmes qui sont ensemble peuvent se séparer quand l’une d’entre elles sort. Est-ce plus difficile que dehors ? Oui parce qu’il n’y a pas de face à face avec la personne qui quitte. Comme la communication est beaucoup plus restreinte, on peut rester sans explication. C'est aussi pour cela que le conjoint dehors quitte plus facilement : il sait qu'il n'aura pas à la croiser ou l'affronter.

C : Comment réagir à la situation ? Après une rupture, il y a trois phases : l’effondrement et l'incompréhension, la colère et enfin la reconstruction. Parler avec les psys aide pour passer d’une phase à l’autre. A l’étape de la colère, on est presque guéri ! Après, on est prêt à repenser à une vie de couple. Les femmes font plus facilement face à la rupture que les hommes. Elles l’acceptent plus facilement donc mettent moins de temps à aller mieux. Mieux vaut ne pas maintenir de lien amical pour s’en remettre plus facilement. Il ne faut pas s’empêcher d’écrire à l'autre pour dégager tout ce qu’on à dire, mais pas forcément s’attendre à des réponses. De même, on ne doit pas s'empêcher de pleurer ou de parler aux autres de cela. n

Pochoir et tampon , Guylaine.

' vecu > G, 39 ans "Il y a un mois, mon concubin m'annonce au téléphone, avec toute sa classe, que c'est terminé entre nous. Je lui demande une explication, il me répond : c'est comme ca ! Je l'ai très mal vécu, surtout que je ne m’y attendais pas du tout. Pour y faire face, j'ai été consulter un psychologue. Mon ex demande que je continue à l’appeler. Il aimerait qu’on reste ami, il me parle d’autres filles comme si j’étais sa pote, mais moi je ne suis pas prête à entendre ça. Je ressens des choses contradictoires : c'est difficile pour moi d’effacer tout de lui et j'ai en même temps envie de passer à autre chose".


Un

psychiatre pour la liberté Le docteur Marc Fedele est psychiatre au service médico-psychologique régional (SMPR) de Rennes. Il privilégie l'écoute à l'excès de médicament. C'est le hasard qui l'a fait débuter, à la fin de ses études, la psychiatrie dans le monde carcéral. "Je suis arrivé à la prison Jacques Cartier. C'était une ancienne prison, étouffante, avec le poids des murs qui se refermait lorsqu'on y pénétrait. Puis, j'ai découvert une psychiatrie rigoureuse et un questionnement éthique qui me convenaient." Pour lui, travailler dans le monde carcéral, c'est la rencontre de l'ombre et de la lumière. L'ombre, c'est la prison et la lumière, ce sont les rencontres avec les patients. "Il y a beaucoup de richesses dans ces personnes et c'est ce qui m'attire en priorité : les aider à se libérer, pas de l'enfermement carcéral, mais leur faire découvrir leurs possibilités d'être en harmonie avec eux-mêmes, ce dont ils doutent le plus fréquemment en se dépréciant." Paradoxalement, Marc Fedele pense que le contexte carcéral peut aider le patient dans sa thérapie. "Les détenus ont un réflexe de résistance à l'enfermement, de lutte contre les contraintes, ils s'ouvrent donc d'autant plus à l'écoute, surtout qu'ils savent que leurs propos sont

portrait

' vecu > C, 56 ans "La psychiatrie, ce n'est pas pour les « fous », ce n'est pas l'image de l'asile psychiatrique avec la camisole de force et un corps médical presque aussi « déjanté », non, c'est un bureau tranquille au SMPR, tout près, où l'on est pas considérée comme une délinquante, où nos souffrances et nos désespoirs sont importants, où notre besoin d'être enfin entendues n'est pas un faux semblant et où les solutions existent. J'ai senti qu'après des dizaines d'années de vie tumultueuse et auto-destructrice, des solutions s'offraient à moi à la seule condition de comprendre la raison de mes fonctionnements."

, Dessin et tampon gommeCatherine

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mots a' maux confidentiels." Le psychiatre aussi se sent indépendant. Ce qu'il a fallu expliquer... "Au départ, on a vu les psychiatres en prison comme des pompiers qui allaient éteindre les difficultés : prévenir de la récidive, les problèmes de comportement en détention, sauver les personnes en détresse, etc. Il a fallu qu'on explique nos limites. Nous ne sommes pas là pour soigner l'incarcération et nous ne faisons pas partie de l'administration pénitentiaire. Je souligne que c'est l'oeuvre d'une équipe soudée au SMPR de Rennes qui nous permet de réussir." La tendance actuelle qui est de tout normatiser et d'étiqueter l es p erso nne s. Ma r c F ed ele préfère s'intéresser à l'histoire de la personne, à ses failles et ses forces aussi. C'est une approche

cas par cas. "Nous existons en tant que service de psychiatrie traitante et non pas d'expertise. C'est cela qui garantit le secret. Le fait qu'il n'y ait pas d'expertise pour la majorité des détenus explique que l'on rencontre 20 fois plus de schizophrènes paranoïaques en prison qu'à l'extérieur. Ils sont souvent condamnés pour des faits mineurs et n'ont donc pas fait l'objet d'une expertise psychiatrique." Le SMPR peut permettre au patient de s'en rendre compte et de se soigner.

"Un de nos objectifs est de réconcilier la personne avec ce qu'il y a de libre en elle". Le chemin de la liberté intérieure

Trop de médicaments ? Au sujet des médicaments, Marc Fedele a une règle : "primum non nocere" : d'abord ne pas nuire. "Le traitement médicamenteux répond à des règles, explique le docteur. Il y a des médicaments de fond, en rapport avec une maladie mentale, et des médicaments d'appoint. Ces derniers doivent toujours être prescrits de façon transitoire. Les femmes qui arrivent en détention sont en général habituées à ne pas faire attention à elles. Elles sont meurtries, brisées par des vies qui ne les ont pas épargnées. Donc, leur priorité, c'est oublier ! D'où cette frénésie médicamenteuse dont sont victimes de nombreuses détenues et qui leur évite de penser mais qui est malheureusement une autre forme d'incarcération. Trop de médicaments, c'est le contraire de la liberté. Il faut réapprendre à nos patientes à prendre soin d'elles-mêmes, à s'apprécier."

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prend du temps. Le psychiatre s'intéresse avec sincérité à l'histoire de ses patients, essaye de repérer leur façon de fonctionner avec le monde, leurs failles mais aussi et surtout, leurs forces. "C'est ensemble que nous trouvons les solutions." Tout dépend ensuite du désir du patient de se connaître profondément, se comprendre et s'accepter ses failles. "C'est un travail en commun et lorsqu'il est positif, c'est une victoire pour nous aussi bien que pour la personne qui est en souffrance."

' vecu > S, 30 ans "On croit que les cachets chassent la tristesse. La dépendance aux cachet est parfois une façon de vivre en détention. Mais je crois que finalement, ça détruit notre psychisme et change notre personnalité. C'est une façon de fuir la réalité et de jouer à cache-cache avec soi-même. J'ai vu comment les cachets changent le quotidien. Une jeune fille jolie et coquette, qui commence à prendre des médicaments pour bien dormir. Après quelques mois, elle est transformée : l'agitation dans sa tête, les tremblements, la négligence, le joli visage qui vieillit. On perd la mesure et le contentement de soi et de ses proches. On ressemble à un zombie. Peut-être qu'on sent que la vie en prison est trop dure, qu'on ne peut pas dormir parce qu'on regrette ses erreurs. Mais les cachets ne vont rien résoudre. Est-ce qu'il ne faut pas plutôt faire la paix avec nous-même et apprendre à vivre avec notre problème et notre mécontentement ? Affronter la vie avec lucidité, réaliser nos erreurs et changer de façon de vivre et de penser. Il faut réapprendre la vie debout dans toutes les situations : quand quelqu'un te ferme une porte, tu ouvres une fenêtre. Apprendre à s'aimer, à être belle à tout âge, se respecter si on veut être respectée des autres. Sois intelligente aussi et ne te laisse pas tomber par terre comme une feuille jetée par le vent." Propos recueillis par Virginica.


Empreinte, Carmen et ATA22. Peinture, Mamita.

Et l'expertise psy ? L'expertise psychologique sert à analyser le détenu et estimer sa dangerosité. Les experts doivent répondre à des questions sur la santé mentale et la personnalité du détenu. Cette personne peut-elle être jugée responsable ? Susceptible de récidiver ? Sa parole est-elle crédible ? Tout cela peut permettre d'obtenir une liberté conditionnelle, par exemple. Aucune formation spécifique n'est requise pour devenir expert judiciaire. Les psychiatres qui le souhaitent déposent une candidature, examinée par des magistrats. Ensuite ils prêtent serment. L'expertise doit rester pour eux une activité annexe. Les experts manquent, car les demandes d'expertises sont de plus en plus nombreuses et l'expertise est mal rémunérée. Environ 200 euros pour rencontrer le détenu puis écrire un rapport de 6 à 30 pages. Le manque d'experts entraîne des retards dans le traitement des demandes d'aménagements de peines. Lady J (Sources : Le Monde, Observatoire international des prisons)

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cuisine et dependance '

Bertrand, créateur de chocolats

Après avoir roulé sa (grande) bosse, Bertrand Dauleux (haut de 2m05) est depuis quatre ans créateur de chocolat. À ne pas confondre avec chocolatier...

Pâques est passé, les pâquerettes se sont presque toutes envolées (?), mais il nous reste un instrument de choc pour faire les cloches toute l'année : le chocolat ! Sous toutes ses formes, le chocolat est symbole de douceur, mais aussi de caractère. Portrait d'un créateur de chocolat, recettes, clins d'oeil et infos surprenantes. Vous allez craquer. Par Catherine, Carmen et Mamita 30

Bertrand a dabord commencé comme technicien agricole, puis photographe en 1985, ainsi que conseiller en communication. En 2001, il travaille pour la publicité, puis est journaliste à partir de 2007. En 2009, il importe du chorizo et aujourd'hui, à 56 ans, il fait des tablettes de chocolat ! Ses 3 collaborateurs et lui ont créé la marque de chocolats "Une histoire bio". Il achète du chocolat et son équipe fait les tablettes garnies de ganaches, une par une, à la main. "Cela fait bientôt 5 ans que j'apprivoise le chocolat : c'est ce qu'il faut pour comprendre le produit, explique Bertrand. Ce que je recherche, c'est la bonne texture de la matière. Suivant le pays d'origine, l'année et la saison de récolte, le goût de la fève de cacao change. Comme un vin, grand cru ou non". Le chocolat est capricieux, la température doit être différente pour la couverture ou la ganache et c'est complexe de l'associer à d'autres

produits. "Mais c'est un produit de qualité qui se garde longtemps dans le placard sans altération de goût". Ce qu'il déteste : les sculptures en chocolat. "Ca ne se mange pas et ça abîme la matière première. C'est comme si un garagiste faisait une sculpture avec des morceaux de voiture cassées. Ridicule !"

Le chocolat, bientôt rare Bertrand Dauleux fait du chocolat bio, sans gluten sans sucre, sans lactose. "La menthe et le caramel au beurre salé des ganaches viennent de Bretagne. Le cacao vient de Côte d'Ivoire et est issu du commerce équitable. Il faut préserver l'environnement et la matière brute se raréfie, car les Chinois en achètent beaucoup." En 2013, le monde consomme 30% de plus de chocolat qu'il y a dix ans. Le prix de la précieuse denrée a grimpé de près 40% en un an ! 5 tonnes de chocolat sortent chaque année de « Une histoire bio ». Et en général, les femmes achètent plus de chocolat noir. Les hommes, c'est le chocolat blanc. n


A

C

B

Dessin au crayon, Alain Crayons de couleurs, Carmen.

Questions pour une truffe... au chocolat ! Cohenraad Johannes (CJ.) Van Houten, Henri Nestlé et Rudolf Lindt sont trois noms célèbres dans le domaine du chocolat : mais saurez-vous reconnaître qui est qui et attribuer le bon portrait ci-dessus ? 1/ Il était un chimiste Suisse. En 1867, il découvre une méthode pour produire du lait en poudre par évaporation. En 1879, il crée la première tablette de chocolat au lait. Aujourd'hui, son entreprise est devenue le principal groupe agro-alimentaire au monde.

2/ En 1867, ce producteur Suisse de chocolat, augmente la quantité de beurre de cacao dans sa formule et développe un procédé appelé «conchage», c'est un brassage à basse vitesse pour obtenir une pâte homogène, stabiliser le choc thermique et développer les arômes du futur chocolat. Il ajoute des émulsifiants. Les chocolats industriels contiennent presque tous un émulsifiant sous forme de lécithine de soja, qui prolonge l'homogénéïté du mélange.

3/ Il était un chimiste Hollandais. En 1888, il fait breveter un procédé de séparation du beurre de cacao de la masse de base. Ce qui lui permet de produire du chocolat en poudre à très faible teneur en graisse. Qui est de nos jours appelée poudre de cacao.

1/ C - Henri Nestlé. 2/B - Rudolf Lindt. 3/A - CJ. Van Houten.

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cuisine et dependance ' RECETTES n MASQUE AU CHOCOLAT On peut se faire son masque au chocolat, riche en vitamine E, qui est connu pour ses propriétés antioxydantes, émollientes et hydratantes. À ne surtout pas dévorer ! Pour cela il faut du chocolat bio sans conservateurs, car ils sont mauvais pour la peau. Prenez 8 Carrés de chocolat noir 80% cacao (ou plus) et 1 cuillère à soupe d'huile d'olive. Faites fondre le chocolat au bain-marie quelques minutes et ajoutez l'huile. Mélangez bien. Appliquez tiède sur le visage et laissez reposer 15 à 20 minutes. Rincez à l'eau tiède.

n CHOCOLATS MAISON Ingrédients : 150 ml d'eau, 250g de sucre, 250g de lait en poudre, 200g de beurre, 50g de cacao et 250g de noix. Faites bouillir 150 ml d'eau avec le sucre, ajoutez le beurre et mélangez. Arrêtez le feu et ajoutez le lait en poudre puis les noix. Mélangez avec le cacao. Posez dans un plat beurré garni de papier cuisson et laissez quelques heures au frigo. Virginica

Tampon, Catherine.

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sa

L

La dépendance au chocolat a créé le mot "chocoholic" (dépendant du chocolat), pour qualifier ceux qui sont incapables de résister à une boîte de chocolats.

Pour obtenir du chocolat blanc, on ne garde que le beurre de cacao et on ajoute du lait en poudre et du sucre. Pour tous les chocolats, on ajoute souvent des arômes ou épices : très fréquemment de la vanille.

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vie

z-vous ?

À l'origine, on a attribué au chocolat des propriétés aphrodisiaques.

rin Ca the

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armen

Les sportifs en haltérophilie ne mangent que du chocolat 100%.


' vecu > Le chocolat et moi, une grande histoire d'amour ! "Entre le chocolat et moi, c’est plus qu’une histoire de gourmandise, c’est un orgasme culinaire et dégustatif ! Quand je suis en manque d’amour et que je n’ai pas de mec dans ma vie, je le remplace tout simplement par une plaque de chocolat, notamment "praliné-lait". Je retrouve tant de jouissances ! Si je devais faire un choix entre un mec ou le chaud-chocolat, la question ne se pose même pas : évidemment c’est mon chéri le chococo N°5 !" Lady J

> Course de Pâques "Mon ainé avait 10 ans à l’époque et il adorait le chocolat. Le jour de Pâques, le gourmand a couru dès la première heure ramasser tous les chocolats dans le jardin. Il n'a même pas laissé le temps à mon deuxième de mettre un pied dehors pour en ramasser... Au final, il a partagé avec lui. Aujourd’hui, il a 22 ans et il accompagne son petit frère de 4 ans (mon troisième) pour les ramasser, pour pas que mon deuxième ne les prenne tous..." Guylaine

Pointe sèche, ATA22.

LES BIENFAITS DU CHOCOLAT Un effet anti-fatigue et anti déprime ! Le cacao a un effet anti-fatigue et anti-déprime. Il est bon pour le moral et pour le corps en général. Mais n'en abusez pas tout de même, car dans une tablette de chocolat, il n'y a pas que du cacao... Le chocolat est anti-stress car il renferme du magnésium. Un déficit de magnésium entraîne une baisse d'énergie. Quand on se sent en forme, on a plus confiance en soi et si des problèmes surgissent on dispose de l'énergie nécessaire pour y faire face. Le chocolat est euphorisant. Le chocolat est bon pour le cholestérol. Le chocolat noir ne

contient pas de cholestérol et il freine l'absorption par l'intestin du mauvais cholestérol. Le beurre de cacao fait lui aussi augmenter le taux de bon cholestérol. Le chocolat est un excellent a n tio x y d an t. L ' o x y g è ne que nous respirons permet de faire fonctionner nos organes mais entraine simultanément la production d'un grand nombre de radicaux libres qui attaquent les structures de l'organisme. Le cacao contient un grande nombre de substances antioxydantes qui piègent ou neutralisent les radicaux libres responsables de l'oxydation.

La capacité antioxydante du cacao serait de 2 à 3 fois plus élevée que celle du thé vert et du vin. Attention : le meilleur chocolat reste celui qui contient la moins quantité de matières grasses et de sucres, c'est-à-dire le chocolat noir. Le chocolat au lait est souvent sucré. Le chocolat blanc a une teneur très faible, voire inexistante en cacao. Évitez les chocolats qui contiennent de l'huile de palme. Il ne faut pas en consommer plus de quelques carrés par jour. Virginica (Sources : Futura Sciences)

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cuisine et dependance '

Cuisiner les erreurs : que du bonheur ! Des mets, devenus des références, sont dus à des accidents et pourtant, pourtant, nous en faisons nos délices.

Un des secteurs où la faute peut entraîner une réussite totale est bien la cuisine ! On peut bien s’émerveiller devant l’explosion de couleurs et de sensations que provoque la cuisine moléculaire, mais vos sens ne sont-ils pas plus comblés par une belle tarte Tatin ou une portion de frites "maison"? Pourtant, ce sont bien des maladresses de cuisiniers qui ont donné naissance à ces deux plats.

Quand une pâtissière ne sait plus où donner de la tête Un dimanche de 1898, c'est l'ouverture de la chasse à La Motte-Beuvron en Sologne. Les soeurs Stéphanie et Caroline Tatin, cuisinières et propriétaires du café-restaurant en face de la gare, s'affairent à organiser un

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repas copieux pour les chasseurs affamés. Stéphanie est tellement débordée qu'elle enfourne sa tarte aux pommes en oubliant de mettre la pâte au fond du moule. Zut ! Elle décide de rajouter la pâte au-dessus des pommes et renverse la tarte une fois cuite sur un plat. Les pommes, confites par le beurre et le sucre, ont pris une douce couleur de caramel blond et Stéphanie, n'ayant plus le temps de faire attendre ses clients, la sert encore chaude à ses convives. C'est un franc succès et de grands cuisiniers "voleront" cette recette de la tarte (des deux sœurs) Tatin pour en faire un classique de la pâtisserie française.

Quand un pharmacien décide de se soigner En 1885, un pharmacien américain de Géorgie, John Pemberton, vétéran de la guerre de sécession,

souffre des blessures reçues pendant les combats et ne supporte plus sa dépendance à la morphine. Il décide de se concocter un remède afin de se désintoxiquer, à base de feuilles de coca, de noix de kola et de damiana (plante aux vertus aphrodisiaques). C'est une version sans alcool (prohibition oblige) d'une boisson déjà créée par un chimiste corse à base de vin de bordeaux et de feuilles de coca. Le Coca-cola est né.

Quand on prend des patates pour des poissons

En 1781, les habitants de Namur ont l’habitude de pêcher dans la Meuse du menu fretin et de le frire. Mais un jour de grand froid, la pêche devient hasardeuse. Les habitants découpent des pommes de terre


Dessin et monotype, Davar.

Indigestion d'écran : n LES ÉMISSIONS CULINAIRES ET MOI... Comme il est agréable de voir sur le bel écran de la télévision des casseroles, de jolies cuisines avec de très belles et beaux cuisiniers, de préférence assez jeunes, vous servir des délices. À la télé, quand on veut cuisiner, pas besoin de faire son marché, de retrouver le mixeur ou de faire la vaisselle. Tout apparaît devant vous ! Vous mangez avec les yeux mais... pas de risques de prendre des kilos. Soyons sérieux ! Jour après jour, encore et encore « Master Chef, Top Chef, Un dîner presque parfait, La meilleure boulangerie de France, etc.» nous font découvrir des recettes inventées, des classiques revisités, des plats « faciles à faire ». Toutes ces émissions sont elles vraiment là pour nous faire aimer la cuisine ? L’abondance de programmes culinaires cache mal cette lutte - que dire ? cette guerre ! - que se livrent les chaînes pour garder les meilleures audiences. Pour cela, les producteurs n’hésitent pas à faire appel à des stars ou à des enfants qui s’improvisent cuisiniers. Miam, miam : l’audimat remonte... Attention à ne pas retomber comme un soufflé ! Pour eux, C’est un combat de gamelles en cuisine. Pour nous, cela tourne à la crise de foie. Et puis n’est-il finalement pas plus agréable de faire son petit plat avec la recette de tata ou de mamie ? Quel délice ! Mamita

n COMMENT N'AVEZ-VOUS PAS VU "CAUCHEMAR EN CUISINE"? en forme de petits poissons et les passent à la friture ! La pâte Nutella, les fameuses Gavottes, les bonbons Carambar, les Bêtises de Cambrai, le chewing-gum et les chips sont d'autres spécialités issues d'erreurs ou du fruit du hasard. Ce qui prouve qu'en matière culinaire, il ne faut pas hésiter à se lancer ! Nous avons pu nous procurer la recette du fameux Coca-cola (pourtant maintenue secrète) qui, sans ses bulles, peut aider, même des bébés, à endiguer des diarrhées et des vomissements, en attendant de consulter un médecin. Ingrédients : Extrait liquide de coca, acide citrique, caféïne, sucre, eau, jus de citron vert, vanille, caramel, huiles essentielles (orange, citron, muscade, coriandre, néroli, cannelle). À vous de trouver les bons dosages ! Davar

Rediffusé en boucle sur M6, W9 ou Téva. Tout jeune, le solide écossais Gordon Ramsay aurait pu devenir un mauvais garçon. Heureusement, prétend-il, la cuisine l’a sauvé de la prison. Après avoir écumé quelques cuisines à tous les postes subalternes en Angleterre et en France, il débarque dans les brigades de Guy Savoy, à Paris. Il rejoint ensuite Joël Robuchon pour parfaire son apprentissage et devenir, lui aussi, l’un des chefs étoilés les plus connus du monde. Aujourd’hui à la tête de restaurants prestigieux, ce bon Gordon a décidé de devenir justicier. Sa mission : sauver la planète de restaurateurs peu scrupuleux. Pour réussir cette tâche, il invente le concept la télé réalité culinaire. Le principe est simple : un restaurant au bord de la faillite l’appelle au secours et le voilà qui débarque avec son équipe et quatre caméras. Première étape, il goûte la cuisine et se fend de quelques remarques cinglantes, renvoie les plats sans les avoir touchés, prend les rares clients à partie. Comme par magie, le chef multi-étoilé, jusque-là courtois, redevient l’enfant terrible qu’il était, utilisant un langage fleuri et particulièrement imagé. Gordon ne supporte pas l’approximation, il ne supporte pas les plats compliqués et prétentieux. Mais par-dessus tout, il ne supporte pas le laisser-aller. C’est là que commence la deuxième étape de son périple : inspecter les cuisines. Tout le sel de l’émission repose sur cette inspection. Après avoir félicité les gérants, le chef et son équipe, il fonce vers la chambre froide. Le nom de l’émission prend sa source dans cette petite pièce réfrigérée ou notre écossais découvre systématiquement une quantité effroyable de produits périmés côtoyant des denrées pourries dans lesquels il plonge les mains et le nez. Alain

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cuisine et dependance '

Repas de Printemps

pour les gourmands

Par Catherine et Guylaine

à 4€72 par personne Samoussas au crabe l

Filets de poulet au citron Légumes aux zestes de citron l

Omelette à la confiture d'abricots et aux amandes

Pour ce numéro, c'est Florent Coursimault qui a supervisé les cuisinières de Citad'elles pour mijoter un repas abordable à base de produits cantinables. Ce rennais a travaillé en restauration traditionnelle et gastronomique en France et à l’étranger. Il chapeaute aujourd'hui l'équipe qui nourrit tout Ouest-France, à Chantepie. A-t-il choisi ce métier ? Oui, à 15 ans ! Il le pratique depuis 25 ans... Ce qu'il préfère en cuisine ? Le partage d’un repas avec des amis, faire plaisir et passer un bon moment. Il aime cuisiner les sauces et les poissons. Son péché mignon ? A l’apéro, ouvrir les huîtres sur un barbecue avec un beurre d’ail... Son truc de chef ? Ne jamais trop cuire les légumes.

Samoussas au crabe

Pour 10 samoussas : 5 Feuilles de brick, 10 bâtonnets de surimi, 100 g de courgettes, 100 g de carottes, 1 œuf, 100 g de fromage blanc, 20 brins de persil, 1 citron, 200 g de miel, 20 cl d'huile d'olive, 200 g de mâche, sel, poivre, paprika. • Emietter les bâtonnets de surimi, émincer finement les courgettes et les carottes en julienne. • Laver la mâche, hacher le persil. • Blanchir les carottes et les courgettes. • Dans un saladier, mélanger le fromage blanc, le surimi, l’œuf, le jus de citron, le persil, les légumes, l'huile d'olive, le paprika, saler, poivrer. • Couper les feuilles de brick en deux et plier chaque moitié en deux. • Déposer une cuillère d'appareil et plier en triangle. • Dans une poêle, faire chauffer l'huile d'olive et un peu de miel puis faire colorer les samoussas sur chaque face. • Finir au four à 180° si nécessaire. • Disposer la mâche dans l'assiette avec une vinaigrette (citron, l'huile, d'olive) et les samoussas.

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Légumes aux zestes de citron

pour 1 personne : 1 oignon, 1 courgette, zestes de citron, 1 poivron rouge, 1 aubergine, 1 gousse d'ail, thym, laurier, raisins secs , huile d'olive, sel, poivre. • Laver et préparer les légumes puis les tailler en brunoise. • Hâcher l'ail et couper les zestes de citron en petites lamelles. • Blanchir les légumes. • Faire sauter à l'huile d'olive les courgettes, les poivrons, les aubergines, séparément. • Assaisonner. Dès que les légumes sont cuits, les réunir dans une casserole et mettre les zestes de citrons et les raisins. • Terminer la cuisson à feux doux.

Filets de poulet au citron

pour 4 personne : 4 filets de poulet, 100 g de miel , 10 cl de vinaigre , 100 g d'échalotes, 1 citron, 50 g de persil, 50 g de beurre 1/2 sel, sel, poivre, 1 bouillon en cube.

Dessin au crayon de couleur, Catherine et Alain.

• Prélevez les zestes du citron et le presser. • Ciseler l’échalote et hâcher le persil. Blanchir les zestes de citron. • Dans une poêle, faire mousser le beurre et colorer les filets de chaque côté, assaisonner. • Retirer les filets et faire suer les échalotes, faire fondre le miel puis déglacer avec le jus de citron et un peu de vinaigre. • Ajouter le bouillon cube et les zestes, remettre le poulet et terminer la cuisson. • Ajouter le persil en fin de cuisson.

Omelette à la confiture d'abricots et aux amandes Ingrédients (pour 1 omelette) : 2 oeufs, 1 sachet de sucre vanillé, 50 g de confiture d'abricots, 20 g de poudre d'amandes, 20 g de sucre, 5 cl d'huile de tournesol, beurre. • Battre les œufs avec le sucre, le sucre vanillé et la poudre d'amandes. • Faire chauffer l'huile dans la poêle et verser une louche du mélange. • Ajouter la confiture et remuer pour former l'omelette. • Plier en deux et mettre une noix de beurre pour donner la dernière touche de coloration.

BON À SAVOIR Blanchir : Ébouillanter rapidement des légumes. Brunoise : Garniture de légumes ou de fruits coupés en dés de 2 x 2 x 2 mm.

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cult ur'elles

La Shtar Ac :

leur CD est sorti avant eux…

Attention, ne confondez pas : ce n’est pas la Star Academy. Même si vous avez tapé 1 ou 2 sur vos téléphones, aucun des participants de la Shtar Ac n'est sorti tout de suite… Badri, Malik et Mirak étaient derrière les barreaux quand ils ont enregistré leur album de rap. Par Cloé

Dessin au crayon, ATA22 Un soir, je suis tombé sur leur premier single sur D 17 "Wesh les taulards" et j'ai tout de suite kiffé. L’album de rap de la SHTAR AC est sorti en janvier dernier. "Shtar" veut dire "prison" en argot. La Shtar Ac est un projet ambitieux qui a vu le jour sous l’impulsion de Mouloud Mansouri, ex-détenu fan de rap et DJ, et Tony Danza, rappeur et producteur. Au départ, en 2011, tous deux organisent un festival en prison, à la maison d’arrêt de Luynes dans le 1-3. Ils ont l'idée d'organiser un casting et donc de faire la première partie avec des détenus ! Deux mecs déterminés qui se mettent à organiser des ateliers d’écriture à Luynes. Quand ils ont vu que les ateliers se passaient bien, ils se sont dit qu’ils allaient

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enregistrer un album. Il y avait 200 détenus au départ du casting, une dizaine de mecs après un an de travail et enfin trois gars sortant du lot : Badri (encore incarcéré), Malik et Mirak (libérés depuis février). Mouloud Mansouri a fait le maximum pour que les rappeurs soient entourés par la crème du rap français : LADEA, M2DINE, LA FOUINE, LINO, LES PSY4 DE LA RIME, NIRO, N2MIR, etc. Mais plus qu’une liste de noms prestigieux, c’est l’implication qui compte, car ils se sont rendu en prison pour participer aux ateliers d’ écriture, ils ont posé ensemble, ils ont crée ensemble. Les nouvelles stars du rap cefran ont sorti un album d’une très grande qualité : diversité

et éclectisme ! Des morceaux bien dark comme "Wesh les taulards", des morceaux plus légers comme "Dehors" où Badri, Mirak et Malik rêvent qu'ils sont à l'extérieur. L'évasion par les mots. L’administration pénitentiaire a validé, ils ont relu tous les textes. Seul un texte a été censuré (celui de Mirak car il parlait de "putes" à la sortie). Cela est bien plus qu’un disque ! Une belle initiative et un projet unique. Voilà une très belle aventure, ils sont passés sur Skyrock en janvier et ils ont déchiré ! RDV dans les bacs et cantines extérieures pour retrouver le CD de la Shtar Academy. Music street lourd ! Alors, adoptez la "shtar attitude".


Envie de musique ? Tour d'horizon (rapide) de quelques albums rock récemment sortis, par Jessica.

n THE MISSING SEASON, AFTERHOURS. Grand coup de cœur ! Le quatrième album des rennais sort du lot et procure les émotions qui vous extirpent de votre quotidien. En route pour un road movie tripant avec Afterhours ! Un voyage entre électro et rock, entre 70’s et maintenant-làtout-de-suite, entre France et USA.

n HANGAR. IVRE MER. Poétique et drole, un joli album sans prétention.

n SKIP THE USE. LITTLE ARMAGGEDON. Péchu et explosif. On retrouve tout ce son rock qu’on a déjà aimé, mais question prise de risque, le groupe ne se mouille pas beaucoup. Le groupe du Nord, créé en 2008, s'encroûterait-il déjà ?

n KENDRA MORRIS. BANSHEE Pochoir, tampons et crayon, ATA22 et Agathe Nous avons posé quelques questions en direct à Mouloud Mansouri : En quoi ce projet est-il important ? Il est important parce qu’il montre qu’en action culturelle en détention, on peut aller loin ! Il y a moyen de faire plus que ce qu’on ne pense ! Par exemple, on a enregistré tout l'album en détention, on a fait entrer tout un studio qu'on a installé dans la salle polyvalente de la prison. Qu'est-ce que ça a apporté aux participants ? C’est un enrichissement personnel pour eux. Ils ont pu découvrir le milieu professionnel de la musique.

Jazzy et very british. Mignon...

Cela leur a permis passer le temps en détention plus intelligemment. C’est bon pour l’ouverture d’esprit et ils étaient très fiers du travail accompli. Allez-vous faire des concerts ? On prépare une tournée pour dehors et en prison. Des dates déjà calées : prison de Nice, de Grasse, un festival à Lyon, un à la centrale de Sant-Maur, le 3 juin à Lyunes, avec aussi PSY 4 DE LA RIME et Kery James.

n SUZANNE VEGA. TALES FROM THE REALM OF THE QUEEN OF PENTACLES. Contes celtiques superbes, ambiance Merlin et voix envoûtante de la musicienne californienne. Pour les amoureux du genre et les nostalgiques des pubs.

Fu-Jo, l'association de Mouloud Mansouri basée à Toulon, œuvre pour organiser des événements culturels en prison.

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cult ur'elles

UN APRÉS-MIDI AVEC Il est 14h15. Quelques détenues sont venues découvrir les artistes Laetitia Shériff et Tonio Marinescu. Un projet de création de décor pour le festival rennais « Les Embellies ». Dessin au crayon, Simone. Monotype, Alain

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Laetitia et Tonio À travers les vitres de la médiathèque, le soleil s'est fait un chemin pour accompagner la musicienne Laetitia Shériff. Laetitia et son cortège d'émotions qu'elle transmet à l'auditoire avec sa voix, ses paroles, passant de la guitare au piano. Autodidacte, la nordiste s'inspire de la nature, de ses sentiments, de la famille et de ses voyages pour composer. Car elle est auteure, compositeure et interprète. Son parcours est très diversifié : déjà 3 albums personnels à son actif et 10 ans au sein du groupe jazz-rock rennais "Trunks". Elle accompagne aussi musicalement des courtsmétrages ou des compagnies de théatre ou de danse. Après ce défilé de notes, Laetitia nous présente Tonio, batteur hors pair, peintre de talent. Tonio a

illustré les pochettes des albums de Laetitia. Il intervient aujourd'hui pour nous proposer de réaliser une partie du décor qu'utilisera Laetitia pour ses concerts lors du festival « Les Embellies ». Ce décor se découpe en 3 parties, nous fabriquons le 3ème élément, qui a pour thème les étoiles. Nous sommes 8 filles qui allons travailler pendant une semaine avec Tonio. Nous travaillons en musique, avec les disques de Laetitia en fond sonore. Le résultat est trop top : des étoiles aux formes plus rares les unes que les autres. Le bilan de ce petit moment, c'est une rencontre, du soleil, de la musique, une voix, des conseils, des mains, des couleurs. En résumé, c'est un partage. Le partage d'émotions. Mamita


Expressions

libres

LA SYMPHONIE Je fais mes gammes dans le game Je suis à fleur de peau à l'étroit dans l'étau I make my scales in the game I am all on edge Be cramped in vice J'écris du shtar Où je suis incarcérée le cœur lacéré À cause d'un bâtard J' connais la solitude du camion cellulaire J' connais l'incertitude de la souricière Commencer à amorcer un changement un engagement Ma démarche est artistique, philanthropique, philosophique, utopique Mortelle symphonie Le cœur à l'agonie C'est le prix d'la vie Je suis lucide, parfois extra lucide Quand le masque des vérités tombe Leurs mensonges sont comme des bombes Mon âme est à l'hécatombe L'amour est mon empire Je suis tombée du pont des soupirs C'est la danse des heures La décadence dans l'erreur (refrain) L'être humain court à sa perte 2014, trop d'injustice sociale De haine raciale Les gens dorment dans la rue Les femmes se prostituent Cette drogue qui s'insinue et qui tue Je fais un big up à toutes mes sœurs incarcérées À la sortie on a du mal à s'inserer Mais on reste solides et fières

Cloé

Peinture, Yanou.

Je suis en prison mes enfants Dans le petit matin blafard Un peu groggy, un peu hagard, J’ai dans le cœur un goût sucré Tassé au fond de mon placard, Je pense à toi, j’ai le cafard, Loin d’ici ma raison s’égare Du bout du vide qui nous sépare Tu viens me voir sans crier gare Nos baisers ont pris du retard Tu vis au-delà du miroir, J’ai plus mes yeux dans tes regards Nos "je t’aime" sèchent sur des buvards Pourtant on sait que tôt ou tard On parlera de mon retour Il court le compte à rebours Un beau jour, on va se revoir Je reviendrai dans vos vies un peu groggy, un peu hagard On s’en ira à des miles bien loin d’ici Lady J. 41


cult ur'elles Pour la fête des mères, un anniversaire ou tout simplement pour le plaisir, n’hésitez pas à reprendre et à adapter ce poème au gré des situations. Denise a su l'envoyer à sa maman de 80 ans. Catherine

Maman T'écrire aujourd'hui tout mon amour Pour fêter avec toi ce si beau jour Qui t'a vu naître Te dire un immense merci Pour t'avoir près de moi tout au long de ma vie pouvoir m'appuyer sur toi et papa Redevenir un peu l'enfant de ces jours-là Lorsque, avec tant de plaisir et de joie, je reviens me faire dorloter comme à chaque fois Savoir que jamais tu ne me jugeras Que toujours pour m'aider tu es là C'est cela la force de tout mon amour Et de celui, si profond, que je veux t'envoyer en retour. Bon anniversaire... 42

Sans Titre

La maison-monde

Comprime-moi Ne permet pas Ce que je suis D’échapper à Ce que je suis Liquéfiée dans tes bras noirs Mes forces dans la passoire Du chaudron s’évaporent Jour de sortilège Au départ de ton port Tombe un manteau de neige Jessica

Je suis bergère. En gardant mon troupeau, j’observe la nature et j’y vois plein de choses. Un jour, j’y ai vu un lutin (si, si !) et voilà ce qu’il m’a raconté :

Encre de chine, Christine.

"Quand vous dormez, vous les humains, il y a un autre monde qui s’éveille. C’est pour ça que vous ne le voyez pas. Moi, je viens de ce monde-là. J’y habitais une maison, une maison qui était un monde à elle toute seule. Dans cette maison, il y avait plein d’êtres différents. Je veux dire qu’il y avait des lutins, mais aussi des farfadets, des gnomes, des fées, des elfes, des trolls… Dans cette maison, chacun était conscient des envies des autres, mais chacun savait aussi faire à peu près tout. Ainsi, quand les trolls déplaçaient de lourdes pierres pour réparer la bergerie, les fées les encourageaient en voletant autour d’eux. Parfois, les trolls poussaient de grands jurons car ils les considéraient comme des mouches du coche, et les elfes, si sensibles à la poésie, étaient outrés de ce langage. Mais bon, le travail se faisait… C’est comme quand les lutins partaient chercher des fraises dans les bois ou des myrtilles pour faire des tartes, eh bien parfois, ils revenaient tout barbouillés de baies avec 3 fois rien au fond des paniers. Alors, bien sur, ça râlait dur le soir à table devant une tartelette à se partager entre tous. Et dans la maison-monde, quand ça râlait, ça ne faisait pas semblant ! Les conflits pouvaient monter haut en décibels et durer longtemps. On ne faisait pas toujours des discussions polies, on s’engueulait pour de vrai, on s’envoyait les 4 vérités à la face, on se reprochait l’égoïsme, la frousse ou la paresse des jours durant. Et puis, une fois le conflit exposé, les cris s’estompaient, on se réconciliait et on n’en parlait plus. À ce moment-là, on décidait de faire


une fête parce que pour faire la fête c’est mieux d’être plusieurs, c’est même indispensable. Alors, on faisait de bons gâteaux, de jolies décorations. Et on chantait. Je me souviens d’une chanson d’elfes qui disait : Si y'avait pas les copains On se sentirait moins bien, On se sentirait moins forts Si y'avait pas les copains Pour aller jusqu’à demain, Il faudrait faire plus d’efforts Même sans biens, même sans richesses Des copains et puis un chien, ça comble toute ma tendresse Et c’est comme ça … que je suis bien Mais là aussi ça pouvait durer longtemps. Les trolls, bien gras, avaient coutume de brailler le refrain suivant : À des biens, à des richesses Je préfère les copains Et si j’suis en panne de tendresse, J’peux toujours… branler mon chien ! Nous, les lutins, le refrain qu’on préférait c’était : A des biens, à des richesses Je préfère les copains Plutôt qu’une Mercedes, Je préfère… avoir un chien Bref, la vie dans la maison-monde, ce n’était jamais calme, mais jamais morose non plus. Que ce soit durant les conflits, le travail ou les fêtes, c’était fort, c’était vivant. Et puis un jour Téritolo est arrivé. Comme chaque fois, on a dit : « Salut ! Qu’est ce que tu sais faire ? Qu’est ce que tu veux apprendre ? ». Et Tériloto a répondu : « J’ai un grand savoir faire dans la résolution des conflits ». Bien sur, ça nous intéressait, alors on lui a dit : « Sois le bienvenu ! ». Téritolo a dit : « Maintenant, quand il y aura un conflit, vous viendrez m’en référer. Je prendrais une décision. ça sera bien plus rapide et moins bruyant.

Alors, nous ferons la fête plus souvent. ». Et c’est se qui se passa, du moins au début. Car, petit à petit… mais je parle trop vite… en fait, on n’a pas vraiment compris ce qui se passait. En y réfléchissant, je crois que ça a commencé à se dégrader quand Téritolo a dit : « On ne sait jamais combien on est dans cette maison avec tous ces passages des uns et des autres. Parfois il y a trop des gâteaux à la mouche, parfois pas assez de crêpes à la lavande. Ce qu’il faut faire c’est une liste des habitants pour savoir quoi préparer à chaque fête. » Il y eut alors dans la cuisine une affiche avec le nom de chacun, la taille de ses oreilles, l’odeur de ses pieds, son gâteau préféré et d’autres infos du style. Un jour, Téritolo a dit : «Dorénavant, je noterai sur un cahier les décisions que je prendrai. Ainsi, on verra si quelqu’un est plusieurs fois à l’origine d’un conflit. Si c’est le cas, il sera puni ». Il fallut expliquer le mot car on ne le connaissait pas. Jusqu’à maintenant, quand quelqu’un partait c’est qu’il avait envie de voyager et son départ (comme son retour d’ailleurs) était l'occasion de faire une fête. Là, on a découvert l’exclusion. Ca nous a fait bizarre mais on n’a rien dit, parce qu’on avait pris l’habitude que Téritolo prenne des décisions qui nous semblaient bonnes. Puis Téritolo a dit : « Ce n’est pas bon de lier les fêtes aux conflits, ça les motive. Ce qu’on va faire c’est une fête toutes les semaines, régulièrement. Et puis comme ça on pourra mieux la préparer et… mieux travailler les autres jours ». Et là aussi, on a suivi son idée. Avec le départ des punis et la nouvelle organisation du travail, il y eut moins de bouches à nourrir et un peu d’inactivité. Alors, Téritolo a dit : « Ceux qui ne travaillent pas pourraient devenir « voyeurs », c'est-à-dire qu’ils regarderont les

autres et me signaleront tout début de conflit. Ainsi, je pourrai réagir avant qu’il ne dégénère ». Maintenant à la maison-monde, tu peux soit marner quasiment seul au potager ou au cheptel, soit remplir des cahiers et des listes à propos de tes voisins, soit photocopier les textes des chansons officielles (beaucoup ont été interdites car déclarées trop poétiques ou trop vulgaires et faire des gâteaux pour des fêtes où personne ne s’amuse. Voilà, c’est mon histoire, celle de la maison-monde). » Le lutin a même ajouté : « Faut faire quelque chose, nom d’un chien qui pue !» Mais les habitants vivent comme ça depuis si longtemps qu’ils ont oublié comment c’était avant. Quand on leur raconte, ils disent : «N’importe quoi ! Tu délires, c’est pas viable un monde comme ça !». Ils disent que sans Téritolo, ça serait la pagaille. Que les conflits, c’est grave et qu’il faut un tiers pour les régler. Ils disent que ça ne sert à rien de remettre en doute la parole de Téritolo et que c’est dangereux de se révolter. Alors, on fait quoi, hein ?

Christine 43


LEXIQUE des techniques graphiques utilisées pour Citad'elles LES CRAYONS DE COULEUR : Magali Arnal nous a initiées à la technique du crayon de couleur. Une première pour Citad'elles. On a choisi trois couleurs et par petites touches nous avons dessiné des objets. LA TAILLE DOUCE : on vient dessiner avec une pointe dure une plaque de plexiglas®. La plaque est ensuite frottée avec une encre grasse. L'encre se glisse dans les entailles faites par la pointe. On place ensuite la plaque sur du papier humide pour l'imprimer. LE TAMPON GOMME : Même principe mais l’on travaille sur de la gomme, une matière plus souple et plus facile à graver qui ne nécessite pas de presse pour imprimer. Avec cette technique on peut jouer sur la répétition des motifs pour créer l’image. ENCRE DE CHINE : Nous travaillons particulièrement l’encre de chine au pinceau, ce qui nous permet d’avoir une fluidité dans le dessin, de travailler de manière brute et spontanée et de nous exprimer librement. LA LINOGRAVURE : Sur une plaque de lino on vient dessiner au crayon son image. Avec des gouges on taille la plaque en suivant le dessin. Une fois la gravure exécutée avec un rouleau on encre la plaque de lino et on la passe sous presse pour l’imprimer. LE MONOTYPE : On enduit au rouleau une plaque de plexi avec de l’encre de gravure, ensuite on pose une feuille de papier dessin sur cette plaque et on dessine délicatement en évitant de poser les doigts et les mains sur le papier car tout contact s’imprime sur le papier. Une fois le dessin fini on retire cette feuille où le dessin s’est imprimé.


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