Avant-propos
De tous les arts de la couleur, la peinture murale, à la différence de l’enluminure, des tableaux, des vitraux ou des tapisseries, voit son corpus évoluer à ses deux extrémités, suscitant la désolation ou l’enthousiasme : des œuvres disparaissent par la dégradation de leur support ou l’incurie des hommes, d’autres sont continûment découvertes sous un badigeon, restaurées ou protégées par un cadre administratif très réglementé. Le phénomène est ancien, déjà séculaire. Dès 1840, la Commission des monuments historiques, à peine créée, déplorant la disparition des peintures dégagées de leur badigeon faute de mesures conservatoires efficaces, demanda régulièrement aux artistes d’effectuer des relevés de peintures murales, les sachant vulnérables, plus périssables que les monuments eux-mêmes. Ce sont ainsi plus de 36 000 relevés qui nous sont parvenus 1
Cet effort s’accompagna d’une prise de conscience progressive de la notion de patrimoine qui profita d’abord aux édifices majeurs puis, pas à pas, à tous les monuments anciens et provinciaux, enfin à leur décor, même rustique, même partiel. Le xixe siècle connut les premiers classements, les études d’érudits locaux, la science des archéologues, l’empirisme des peintres restaurateurs. Mais la conscience véritablement partagée d’un patrimoine commun à préserver, national et régional, fut prise au xxe siècle, scandée par quelques expositions où l’orgueil national n’était pas absent.
Dans l’exposition consacrée aux Primitifs français de 1904 2 qui constitue un point de départ de l’étude des peintures gothiques, douze relevés de peintures des xive et xve siècles avaient été présentés. Peu après Frantz Marcou, inspecteur général des Monuments historiques qui reprit l’idée de Prosper Mérimée 3 d’établir un corpus systématique des peintures murales françaises 4, dirigea en 1918 l’exposition des relevés des peintures murales de France au musée des Arts décoratifs à Paris. Dans le catalogue de l’exposition, Marcou écrivit : « Depuis plus d’un demi-siècle, des relevés ont par mes soins été exécutés, qui, peut-on le craindre, prendront un jour la valeur d’originaux et dont on souhaiterait voir se constituer le Corpus de la peinture monumentale en France. Grâce à eux, grâce aux comparaisons qu’ils faciliteront entre des œuvres dont la dissémination rend l’examen laborieux et incomplet, pourront se poursuivre l’enquête commencée et s’éclairer les débuts de l’histoire
encore à faire de la peinture française qui, antérieurement au xve siècle, n’a connu que ces deux expressions extrêmes de la miniature et de la peinture monumentale 5 . »
Les copies de la Crucifixion et du Couronnement de la Vierge de Saint-Bonnet-le-Château étaient exposées au musée du Trocadéro aux dires de Paul Durrieu qui les signale en 1907 6. Il s’agissait des relevés faits par Louis-Joseph Yperman en 1895, actuellement conservés à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine sous la cote 1996/089.
En 1937, Paul Deschamps créa un département des Primitifs français qui exposait à l’attention du public du musée des Monuments français des relevés des peintures murales au format des originaux. Dans un premier temps, on ouvrit les salles de peintures romanes et préromanes, puis dans un second temps, en 1955, furent inaugurés les espaces consacrés aux peintures gothiques. Cette forme d’art gagna en visibilité. Les publications suivirent mais avec un temps de retard.
Paul Deschamps et Marc Thibout, tous deux conservateurs au musée des Monuments français, publièrent le fruit de leur enquête à propos des peintures murales pour Le haut Moyen Âge et l’époque romane en 1951 7, puis en 1963 pour le gothique 8. Dans l’intervalle, Yves Bonnefoy publia un ouvrage général sur les Peintures murales de la France gothique (Paris, 1954). Ce livre présentait de nombreux décors muraux alors peu connus et négligés, accompagnés de belles photographies de Pierre Devinoy. Les peintures de Saint-Bonnet y étaient jugées « plus intéressantes que belles 9 ». C’est dans cet ouvrage que nous découvririons plus tard les premières images des peintures de Saint-Bonnet.
En 1961, Marguerite Roques publia Les peintures murales du Sud-Est de la France, xiiie au xvie siècle (Paris). À travers les résultats de quinze années d’enquête, l’auteur présenta les peintures murales exécutées au cours de quatre siècles dans les régions du Sud-Est de la France : la Savoie, le Dauphiné, le Comtat Venaissin et le comté de Nice, la Provence, Villeneuve-lès-Avignon et Tournon, la Ligurie occidentale, le Val d’Aoste, le Piémont et le Valais. Le répertoire d’un grand nombre d’œuvres accompagne de reproductions et de relevés était précédé d’une synthèse sur les techniques, les thèmes iconographiques ou ornementaux, l’apport des documents et la question du style. Ce livre demeure à ce jour une somme, mais il ignorait les peintures murales de Saint-Bonnet.
PREMIÈRE PARTIE Présentation
1.1 INTRODUCTION
1.1.1 | Présentation
Saint-Bonnet-le-Château est une petite localité dans les monts du Forez, dans le département de la Loire, dépendant du diocèse de Lyon. Édifiée en 1400 sur un promontoire qui domine la ville, la collégiale actuelle est ceinte d’une clôture antérieure, datant de 1365 14. La chapelle basse est dotée d’un décor peint a tempera et à l’huile, consacré à la vie du Christ et de la Vierge. Le programme entier comprend (fig. 1) : les Quatre Évangélistes (fig. 2, 3, 4, 5), l’Annonciation (fig. 6), l’Annonce aux Bergers (fig. 14), la Nativité et l’Adoration des Mages (fig. 9), la Crucifixion, les Anges pleurants (fig. 8), Ponce Pilate, les Pharisiens et les soldats (fig. 11) et la Mise au tombeau (fig. 12), l’Apparition du Christ à MarieMadeleine (fig. 7), les Anges musiciens (Assomption de la Vierge) (fig. 10), le Couronnement de la Vierge (fig. 13) et l’Enfer (fig. 15).
Une inscription d’époque, visible sur le mur nord de la nef, informe sur la construction de l’église (fig. 15)
Anno Domini MCCCC et die VIII mensis maii fuit incepta hec presens nova ecclesia de donis Guillermi Taillefer, qui legavit eidem ecclesie circa duo millia libras turonenses, que fuerunt dispensate per Bonitum Greyset. Qui dictus Bonitus hanc capellam fundavit et dotavit ad honorem Dei, beate Marie virginis, beati Michaelis et omnium sanctorum, quorum anime requiesquant in pace amen. (En l’an 1400, le 8 mai, on commença la construction de la présente nouvelle église grâce aux dons de Guillaume Taillefer qui a légué à cette même église environ deux mille livres tournois qui furent administrées par Bonitus Greyset. Ledit Bonitus a fondé et doté cette chapelle en l’honneur de Dieu, de la sainte Vierge Marie, de saint Michel et de tous les saints. Que leurs âmes reposent en paix. Amen)
Une autre épitaphe très effacée est peinte dans le couloir de la chapelle précédant la chapelle basse de SaintMichel (fig. 16)
Hic ante iacent honestus vir Bonitus Greyset, qui hanc capellam fundavit et dotavit in qualibet die cuiuslibet septimane de una missa perpetuis temporibus, qui obiit VIII die
iunii anno Domini M CCCC XXVI, cuius anima requiescat in pace amen. (Ci-gît l’honnête homme Bonitus Greyset qui a fondé et doté cette chapelle d’une messe perpétuelle pour chaque jour de chaque semaine. Il est mort le 8 juin 1426. Que son âme repose en paix. Amen)
Aucune pièce d’archive ne se rapporte pourtant à ces peintures murales. De ce fait, le programme iconographique du décor, le but de la donation, l’attribution et la datation ont été discutés depuis le milieu du xixe siècle. Les publications à leur sujet expriment des avis différents ou contradictoires, c’est pourquoi nous les présentons selon leur ordre chronologique.
1. Les Quatre Évangélistes
2. Annonciation
3. Annonce aux Bergers
4. Nativité et Adoration des Mages
5. Anges pleurants
6. Crucifixion
7. Mise au tombeau
8. Ponce Pilate, les Pharisiens et les soldats
9. Apparition du Christ à Marie-Madeleine
10. Anges musiciens (Assomption de la Vierge)
11. Couronnement de la Vierge, en présence de sainte Catherine, des saints Pierre, Michel, Jean Baptiste et des donateurs
12. Enfer
Histoire de la construction et commande princière
2.1
HISTOIRE DE LA CONSTRUCTION
2.1.1 | La fondation de la paroisse de Saint-Bonnet-le-Château
Jusqu’au milieu du xive siècle, il n’y eut qu’un chapelain à Saint-Bonnet ; l’église n’est pas encore paroissiale et ne dispose en conséquence d’aucun curé. Ce lieu de culte dépendant du château est mentionné pour la première fois en 1225 comme « capella » relevant de la paroisse de SaintNizier-de-Fornas 112. La fondation de la paroisse de SaintBonnet est située entre 1351 et 1361 par James Condamin et François Langlois, car, dans un testament de 1361, Mathieu Bolle porte le titre de curé de Saint-Bonnet alors qu’il n’était, en janvier 1351, que « clerc juré en la cour de Forez » dans un ancien terrier de la rente de la Chau près Saint-Nizier-deFornas 113. Comme dans un véritable chapitre de chanoines, les prêtres sociétaires de Saint-Bonnet portaient un habit particulier, possédaient un quartier et un cloître à l’ouest de l’église où se trouvait la demeure du curé. Les sociétaires dirigeaient une école dès le dernier quart du xive siècle, disposaient d’une bibliothèque et attachaient une grande importance à l’étude de la musique 114 .
Avec l’augmentation de la population de Saint-Bonnet à la suite du développement de la ville, on envisagea d’ériger un lieu de culte plus vaste. En 1372, deux dons faits à l’église prouvent que la communauté des prêtres a commencé à collecter des fonds pour les travaux 115. Puis en 1384, Jean Greyset assure aux prêtres sociétaires une rente de soixante francs d’or pour célébrer chaque semaine dans leur église une messe à son intention. L’année suivante, il assure au curé et aux prêtres sociétaires une rente de
cent francs d’or à la condition qu’ils disent pour lui une messe par semaine en l’honneur du Saint-Esprit dans la chapelle Sainte-Catherine 116. La même année, la communauté reçut encore une somme de soixante francs d’or du même donateur 117 .
2.1.2 | La nouvelle église et le legs de Guillaume Taillefer administré par Bonnet Greyset
Deux habitants de Saint-Bonnet, Guillaume Taillefer et Bonnet Greyset – fils de Jean Greyset –, jouent un rôle de premier plan pour mener à bien le projet de construction. Le premier, un riche drapier mort à la fin de l’année 1399, avait rédigé peu avant, le 18 juin, un testament où il dit avoir fait un legs à l’œuvre et à l’édifice du chœur et de l’église « operi et edificio insius chori et ecclesie 118 » comme l’indique la dédicace de la chapelle basse.
Ce testament nous assure que la chapelle basse était déjà en cours de construction en 1399, bien que la date du 8 mai 1400 soit indiquée sur une inscription du mur nord. Selon Joseph Déchelette, cette autre date serait celle de la pose solennelle de la première pierre, cérémonie postérieure à l’ouverture du chantier. La fête de Pâques en l’année 1400 tombait le 18 avril. Le 8 mai était donc un samedi, veille du deuxième dimanche de Quasimodo, jour assez propice pour célébrer la Dédicace 119. Pour encourager les travaux, le seigneur de Saint-Bonnet, Louis Il, accorda au curé et aux prêtres le complet amortissement des rentes, cens, et directes seigneuries le 12 septembre 1400 120. Il était déjà intervenu en 1382 en faveur de Saint-Bonnet en autorisant l’établissement d’un cimetière avec chapelle 121
Bonnet Greyset, ami intime de Guillaume Taillefer qui lui avait confié l’exécution du legs – c’est-à-dire la gestion et la dépense des deux mille livres tournois comme indiqué dans
l’inscription –, fit rédiger à son tour son propre testament en 1424, le jeudi après la fête de saint Georges. Il y ajouta plus tard un codicille, peu avant sa mort, le 17 mai 1425 122 Il laissait quant à lui deux cents moutons d’or et un pré, et créa deux prébendes dont il désigna les titulaires et assura les revenus. On y apprend qu’il voulut sa sépulture non pas dans l’église de Saint-Bonnet, mais dans la tombe même de sa famille qui se trouvait au cimetière devant la chapelle Saint-Michel et de la Vierge 123. L’extension de l’église et en particulier la construction de la chapelle voisine de la chapelle Saint-Michel, à la fin du xve siècle, se fit au-dessus de la tombe et l’absorba. C’est en toute logique que ce nouveau lieu de culte fut communément désigné « chapelle de Bonnet Greyset ».
2.2 COMMANDE PRINCIÈRE
2.2.1 | Le rôle d’Anne Dauphine : historiographie, problématique et méthode
Ces éléments sur la fondation de la nouvelle église situent l’exécution des peintures entre 1399 et 1426. Ils permettent également d’identifier certains personnages représentés à l’entrée du Paradis dans la lunette du Couronnement de la Vierge (fig. 13). Le personnage au premier rang face à saint Pierre est Guillaume Taillefer, qui permit la fondation de la nouvelle église. Le second, protégé par sainte Catherine, est Bonnet Greyset, en raison de sa dévotion personnelle pour cette sainte 124. La dame agenouillée naturellement au dernier rang, également sous la protection de la sainte, est sans doute sa femme ou sa fille 125. À l’opposé de la lunette, à droite du Couronnement, figure encore un portrait très abîmé d’un vieillard dont le patron est saint Jean-Baptiste. Ce dernier campe déjà à l’intérieur des murailles qui entourent le Paradis, tandis que les personnages à gauche attendent d’y entrer. Nous supposons que cette figure est celle du père de Bonnet Greyset, à savoir Jean Greyset, le premier donateur connu 126 .
Une autre personne supposée être une donatrice importante est absente de ce décor. Il s’agit d’Anne Dauphine, comtesse de Forez et épouse du duc de Bourbon, Louis II (fig. 31). André Barban a soutenu qu’une donation d’Anne Dauphine a servi à financer la décoration des peintures après la mort de son époux en 1410. Elle aurait commandé en particulier l’élément de décor représentant les ceintures de l’ordre d’Espérance 127 fondé par Louis II vers 1367, réservant ainsi à cette chapelle un nouvel usage ; la transformant en un oratoire privé à la gloire des ducs de Bourbon 128
À l’appui de cette assertion, André Barban a signalé l’existence dans la chapelle même d’un ancien banc seigneurial 129, aujourd’hui disparu, semé de fleurs de lys et décoré
des armoiries des Bourbons. Il a également relevé l’intérêt tout particulier porté par Anne Dauphine à la ville de SaintBonnet et une fondation faite par Charles Ier, duc de Bourbon (1401-1456), en 1452, d’une prébende auprès d’une chapelle ou vicairie perpétuelle, fondée jadis par son aïeule, Anne Dauphine, en l’honneur de la Vierge Marie dans l’église de Saint-Bonnet-le-Château. Au vu du vocable, la chapelle ou vicairie mentionnée dans cet acte est sans doute la chapelle basse de Saint-Bonnet. André Barban signale en outre un mandement de 1416 qui établit une relation entre Anne Dauphine et Bonnet Greyset, le fondateur de la chapelle basse. Enfin, dans un terrier de Saint-Bonnet contemporain, on a trouvé un dénombrement des cens et servis dus par Bonnet Greyset à la duchesse Anne Dauphine 130
Oui, mais voilà ! L’ancien banc seigneurial n’existe pas ou plus et on ne trouve aucune trace écrite de cet objet dans les études ou dans des documents officiels. Pour la prébende fondée par Anne Dauphine, dont la connaissance n’est qu’in directe – une mention ultérieure, de 1452 –, l’auteur n’in dique aucune cote ni aucun fonds d’archives. Le document est demeuré introuvable aux Archives départementales de la Loire, aux Archives nationales ou aux Archives départe mentales de l’Allier (Moulins) qui conservent celles relatives à la famille des Bourbons.
D’autres documents retrouvés viennent cependant conforter le rôle actif de la duchesse. Nous possédons un acte qui nous indique que Louis II 131 a favorisé l’église de Saint-Bonnet par un amortissement des rentes, cens et directes seigneuries 132. De plus, selon Séverine Mayère, Anne Dauphine, après la disparition de son mari en 1410, résida longtemps à Montbrison, qui se situe à vingt kilomètres de Saint-Bonnet-le-Château, ou encore à Cleppé, à une quarantaine de kilomètres de là 133. Dans ces conditions, il est permis de penser qu’elle a pu se rendre à Saint-Bonnet sans difficulté et peut-être même fréquemment. Bref, si certaines preuves alléguées sont aujourd’hui manquantes, il reste tout de même un faisceau d’éléments en faveur de son mécénat.
De fait, l’hypothèse d’André Barban qui considère Anne Dauphine comme troisième donateur a été communément acceptée. En revanche, la raison pour laquelle elle n’est pas représentée sur le mur ouest avec les autres donateurs n’a jamais été questionnée, ni expliquée. Par ailleurs, la possibilité que le donateur ait été un autre membre de la famille des Bourbons n’a pas été examinée.
Nous étudierons tout d’abord les représentations de la devise et des armes des ducs de Bourbon en apportant quelques précisions. Nous montrerons ensuite que les peintures de la cathédrale du Mans, au demeurant richement dotée par la famille des Bourbons, pourraient avoir inspiré le programme iconographique de la chapelle de Saint-Bonnet. Cette analyse montrera que le décor de la voûte de SaintBonnet est associé au règne de Louis II. Nous essaierons enfin d’examiner qui était le donateur et pour quelle raison le
décor de la voûte a été réalisé. Ce sera l’occasion de préciser l’histoire de la commande du décor de la voûte et de démontrer qu’Anne Dauphine y tient un rôle essentiel.
2.2.2 | Un décor emblématique : devise et armoiries
Sur le fond bleu constellé de la voûte de la chapelle basse, huit anges jouent de divers instruments de musique, alignés par quatre de part et d’autre du berceau. D’autres anges à son sommet, réunis en deux grappes, les accompagnent de leurs chants, bouches ouvertes et présentant des textes pourvus de notations musicales. Le groupe de trois anges à l’est porte un phylactère orné du gloria chanté à l’occasion de fêtes solennelles de la sainte Vierge (fig. 54). Les trois anges à l’ouest présentent, sur un livre, l’introït Gaudeamus omnes in Domino, destiné à la messe de l’Assomption (fig. 55). Au centre de la composition, l’écu des ducs de Bourbon : D’azur semé de fleur-de-lys d’or à la bande de gueules brochant sur le tout. Il est porté par deux chiens et entouré de deux ceintures d’Espérance (voir p. 50). Chacun des huit anges musiciens est associé à une telle ceinture.
La devise est un nouveau système emblématique verbal qui apparaît à la cour d’Édouard III (1312-1377) en Angleterre vers 1330 134. Louis II a introduit cet usage en France sous la forme d’une ceinture au retour de sa captivité en Angleterre en 1366 135. Il fonda un ordre de l’Écu d’or dont les membres portaient une broche dorée en forme d’écu
chargé du mot ALLEN 136 qui peut être interprété comme du patois forésien ancien pouvant signifier « allons », abrégé de la formule complète : « Allons. Tous au service de Dieu » 137 . André Steyert le lit en revanche comme un mot saxon « all » correspondant à un ordre féodal ayant pour but de réunir les barons du Bourbonnais au service de leur duc 138
Louis II offre sa devise pour honorer des seigneurs, car le symbole de la ceinture souligne les liens qui unissent ceux qui la portent 139. En 1379, il l’offre au connétable Bertrand du Guesclin sous la forme d’un collier. Puis en 1390, de retour de croisade, il confère également au baron Manfredi Chiaramonte une ceinture d’or de sa devise d’Espérance 140 Enfin, les ducs de Bourbon successifs adaptent cet emblème et le reformulent jusqu’au xvie siècle 141
Dans le cas de la chapelle basse de Saint-Bonnet, l’écu est décoré d’un semis de fleurs de lys dorées et encadré par deux chiens, symboles de la fidélité. Les deux chiens se retrouvent sous les pieds des gisants du couple princier dans l’église de Souvigny, comme les écus décorés d’un semis de fleurs de lys et les ceintures d’Espérance sur le soubassement du tombeau. Les dessins du xviiie siècle reproduisant les gisants de la Chapelle vieille de Souvigny (fig. 56, 57) montrent des ceintures d’Espérance et des écus à semis de lys aujourd’hui disparus 142 (fig. 59)
Selon Jean-Marie de La Mure, ce ne fut qu’après la mort de Louis II, sous Charles Ier, son petit-fils, que la maison des Bourbons avait définitivement réduit de nombre de
Étude stylistique
4.1 INTRODUCTION DE L’ÉTUDE STYLISTIQUE
4.1.1 | Une historiographie déjà fournie, une attribution encore incertaine
La quatrième partie est consacrée à l’étude stylistique afin de préciser la date de réalisation des peintures de SaintBonnet, de cerner la personnalité artistique de l’artiste et d’envisager son itinéraire. L’essentiel de la littérature s’accorde sur une datation du début du xve siècle et admet pour le cycle entier une homogénéité de style, à l’exception d’Yves Bonnefoy 369. On y observe des inspirations méridionales et septentrionales, l’accent sur les unes ou les autres variant selon les auteurs.
Pour Lucien Bégule, le peintre est un Italien peut-être formé à l’école de Simone Martini 370. James Condamin et François Langlois, moins catégoriques, trouvent une analogie avec des miniatures françaises, mais admettent que le peintre a pu étudier l’art italien pour en faire son miel 371. Paul Durrieu observe des liens avec des miniatures produites dans le milieu artistique autour du duc de Berry, notamment pour la composition du Couronnement de la Vierge 372
Après la découverte du nom de « Louis Vobis » 373, un peintre signalé entre 1416 et 1420 à Saint-Bonnet, Joseph Déchelette rapproche ce nouveau venu de « Guillelmus Bartholomei, alias Nobis, pictor » actif en Avignon en 1377, relevant l’homonymie mais sans rien conclure 374. Plus tard, Grete Ring élargit l’horizon et compare les peintures de SaintBonnet avec les panneaux du Martyre de saint Georges conservés au musée du Louvre (vers 1435) (fig. 19) attribués à Bernat Martorell, peintre de l’école espagnole 375
François Enaud propose que Guillaume Bartolomé Vobis soit le père de Ludovicus Vobis, qui serait parti d’Avignon pour échapper aux querelles et péripéties guerrières accompagnant la fin du schisme. Il trouve dans les peintures de Saint-Bonnet les traditions italienne et espagnole via l’école d’Avignon et un écho de la tradition bourguignonne
par le biais de la cour des Bourbons. Il loue aussi le talent de l’artiste capable de transposer dans l’art monumental des motifs dont les modèles appartenaient au domaine de la miniature 376
L’étude de Georg Troescher, en 1966, souligne le fort lien avec des œuvres du cercle du duc de Berry au niveau de la composition et des motifs. Il conclut que le peintre de Saint-Bonnet est un personnage ayant longtemps travaillé comme compagnon d’un grand maître et qu’il y apprit l’usage des couleurs lumineuses et des schémas iconographiques, qu’il en hérita le métier et qu’il se frotta à la beauté idéalisée d’André Beauneveu et au réalisme de Jacquemart de Hesdin 377 .
Enfin, Frédéric Elsig propose l’attribution des miniatures d’un livre d’heures de l’usage à Paris, daté vers 1410 et 1420 378, conservé actuellement à Cologne, au Maître de Saint-Bonnet 379. Il définit son style comme un style « maniériste » relevant du gothique international, influencé par le Maître des Initiales de Bruxelles. Un autre rapprochement est fait entre les Anges musiciens de Saint-Bonnet et ceux de la chapelle des Macchabées de Genève, œuvre de Giacomo Jaquerio, peintre au service d’Amédée VIII.
4.1.2 | Problématique : un artiste gyrovague,
mais pour quel parcours ?
Nos observations iconographiques nous ont révélé dans les peintures de Saint-Bonnet beaucoup d’« italianismes », les uns généraux, adoptés par l’iconographie chrétienne de longue date ; les autres plus spécifiques et contemporains, témoignant d’une connaissance des expériences italiennes et d’une porosité à leur égard. Mais on a vu aussi des motifs communs aux œuvres produites dans l’entourage du duc de Berry qui peuvent conforter certaines des hypothèses proposées dans la littérature. Ces résultats nous permettent d’envisager l’itinéraire du peintre avant qu’il n’arrive à Saint-Bonnet déjà formé. L’artiste pourrait en effet être « Louis Vobis », probablement né en Avignon comme fils de « Guillelmus Bartholomei, alias Nobis, pictor » attesté dans la cité papale en 1377 380. Partant, il aurait été formé tout d’abord en Avignon dans un lieu cosmopolite influencé par l’art espagnol et italien et surtout par des peintres siennois