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URGENCE ECOLOGIQUE

Des centaines de milliers de jeunes marchant pour le climat [1]. Une omniprésence du développement durable dans nos discours. Une prise de conscience croissante quant à « l’environnement ». D’aucun·e·s pourraient prétendre que, en 2020, l’on parle déjà bien assez de l’enjeu climatique.

En dédiant ce Bulletin à l’urgence écologique nous aimerions montrer que nous devrions, au contraire, toutes et tous nous intéresser encore plus à ces enjeux et remettre radicalement en question nos modes d’action et de pensée.

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Une prise de recul systémique s’impose. Malgré une conscientisation croissante de la part de la population et les engagements des décideur.euse.s politiques [2], les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter [3]. Près de 80% de la production énergétique mondiale provient encore aujourd’hui des énergies fossiles [4][5]et les conséquences sociales du dérèglement climatique sont encore largement sous-estimées par une majorité de la population[6]. Une lecture, même superficielle, du dernier rapport du GIEC [7], devrait nous conduire à nous alarmer. Nous fonçons droit dans le mur. En accélérant.

Les questions environnementales et climatiques sont dans la sphère politique et médiatique souvent isolées de leur contexte social et économique, des enjeux sous-jacents pourtant essentiels à une comprehension systémique du problème. [8] Et s’il est question “d’urgence écologique”, c’est bien parce que le dérèglement climatique impactera drastiquement chaque sphère et secteur d’activité de nos sociétés, et que ses conséquences exacerberont les inégalités déjà présentes et toucheront de plein fouet les milieux précarisés et les pays en voie de développement.

En 1972, le rapport Meadows [9] du Club de Rome mettait en lumière les limites de la croissance de nos états et son lien avec les dérèglements climatiques. [10] La conclusion du rapport était déjà sans équivoque : malgré le très grand nombre de scénarios envisagés, la croissance provoque toujours un “effondrement“ [11] de nos sociétés.

Ne pas agir au plus vite, c’est augmenter les probabilités de catastrophes écologiques et sociales futures. Ainsi, l’urgence climatique est une urgence existentielle. Ces prochaines années seront déterminantes et constituent une dernière chance pour essayer de contenir les effets catastrophiques d’un dérèglement climatique total. [12]

Cette crise sanitaire nous a montré qu’il est possible d’infléchir le sort de nos sociétés, de changer drastiquement nos quotidiens lorsque la vie est menacée. C’est une question de volonté politique, et non de faisabilité. En plein confinement, nous parlions de monde d’avant et de monde d’après et cette crise était considérée comme une opportunité pour repenser notre monde.

Le monde d’après ne pourra se construire avec les dogmes du monde d’avant. Pour édifier le monde de demain, il faut déconstruire les imaginaires d’aujourd’hui, œuvrer pour un bouleversement radical de nos façons de penser et d’agir en dehors de nos indices de croissance usuels et ce dans le respect du vivant. En d’autres termes, il faut une rupture paradigmatique totale.

Il est de notre responsabilité de nous informer rigoureusement et de prendre conscience de l'importance cruciale de l’enjeu écologique. De nous engager pour créer le monde de demain. De ne plus fermer les yeux sur la souffrance et l’aliénation engendrées par nos modes de consommation et de production à travers le monde. De repenser l’être humain comme un être doté d’amour et d’empathie. De faire preuve d’entraide et de solidarité pour les crises et chocs à venir.

Sans prétendre à l’expertise ni à l’exhaustivité, ce Bulletin n’est qu’une humble contribution à l’immense combat écologiste et social dans notre société. Il n’est qu’un point de départ d’un engagement commun autour de l’urgence climatique, dans une lutte pour une justice climatique [13] et pour une véritable transition écologique et sociale.

Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.

Tels furent les mots d’Albert Camus en 1957, lors de son fameux discours de Suède [14], dans un contexte de menace existentielle d’autodestruction nucléaire. En 2020, au début d’un “siècle des catastrophes” [15], ces mots résonnent forts pour une génération qui, plus que jamais, évolue et se construit dans un climat incertain.

ADRIANO LA GIOIA ET LOÏC CROBEDDU

[1] Emma Marris (2019, 18 septembre). Why young climate activists have captured the world’s attention. Nature. https://www.nature.com/articles/d41586 -019-02696-0

[2] Par exemple, l’accord de Paris, négocié lors de la COP21 (2016, 5 octobre). https://ec.europa.eu/clima/policies/international/negotiations/paris_fr

[3] GIEC, 2014: Changements climatiques 2014: Résumé à l’intention des décideurs. GIEC, Genève, Suisse, A.1.2 p.4 : https://archive.ipcc.ch/pdf/ assessment-report/ar5/syr/AR5_SYR_FINAL_SPM_fr.pdf

[4] Gaz, Pétrole, Charbon.

[5] BP présente les chiffres clés de l’énergie dans le monde (13 juin 2018). https://www.connaissancedesenergies.org/bp-statistical-review-worldenergy-2018-les-chiffres-cles-de-lenergie-dans-le-monde-180614#:~:text=Au%20total%2C%20les%20%C3%A9nergies%20fossiles,%2C5%25%20en%202016

[6] Jean-Michel Lex (n.d). Le climat et les aspects sociaux. Les cahiers développement durable. http://les.cahiers-developpement-durable.be/vivre/08climat-aspects-sociaux/#:~:text=Le%20r%C3%A9chauffement%20climatique%20pourrait%20accro%C3%AEtre,d'adaptation%20aux%20changements% 20climatiques.

[7] GIEC, 2019: Réchauffement planétaire de 1,5 degrés : Résumé à l’intention des décideurs. GIEC, Genève, Suisse, A.2,B.2 et B.5. https://www.ipcc.ch/site/ assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report-1.5-SPM_fr.pdf

[8] Notre système climatique. Réseau action Climat. https://reseauactionclimat.org/urgence-climatique/#:~:text=Ce%20ph%C3%A9nom%C3%A8ne% 20naturel%20repose%20sur,de%20la%20temp%C3%A9rature%20moyenne%20globale

[9] Meadows, D. H., & Club of Rome. (1972). The Limits to growth: A report for the Club of Rome's project on the predicament of mankind. New York: Universe Books. Version online : http://www.donellameadows.org/wp-content/userfiles/Limits-to-Growth-digital-scan-version.pdf

[10] À cet égard, Jean-Marc Jancovici commente : “La seule ambition du rapport Meadows, finalement, a été de tenter de comprendre quel pourrait être l’enchaînement des événements qui se produirait si nous ne prenions aucune mesure préventive, à quel horizon de temps ces événements pourraient survenir, et si des choix donnés au niveau mondial permettaient de se prémunir de la chute finale ou de la repousser très loin”. https:// jancovici.com/recension-de-lectures/societes/rapport-du-club-de-rome-the-limits-of-growth-1972/

[11] Ibid. “Par « effondrement » il ne faut pas entendre la fin de l’humanité, mais la diminution brutale de la population accompagnée d’une dégradation significative des conditions de vie”

[12]Ibid. 3, p16.

[13] Relative aux inégalités face aux dérèglements climatiques, d’un point de vue moral, politique ou juridique. Ce sont les états occidentaux et les grandes entreprises polluantes qui sont les principales responsables du réchauffement climatique, alors que ce seront les régions en voies de développement qui seront les plus fortement touchées par le dérèglement climatique

[14] Discours prononcé lors de la réception du prix nobel de littérature, le 10 décembre 1957

[15] Jean Jouzel. 2017. Entrevue radiophonique chez France Culture. Des idées à partager. Diffusé le 31 août 2017.

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