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CASCADE DE FINITIUDES: LA PART D’OMBRE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE

Cet article porte sur l’urgence écologique et la tentation y afférant de « décarboner » l’économie par la transition écologique, telle que théorisée par Rob Hopkins. Plus précisément, ce papier aborde la perversion du concept de développement durable en argumentant que cette notion ne représente actuellement plus un champ opératoire permettant d’affronter les défis titanesques auxquels notre civilisation est confrontée, mais plutôt un concept fourre-tout servant secrètement de refuge aux réflexions critiques de notre système et son « leitmotiv » d’idée de croissance. L’heure de gloire de l’éolien, du solaire, de la biomasse, de l’hydraulique ou encore de la géothermie cherchant à s’accaparer l’énergie de manière infinie semble être arrivée : vive le vent, le soleil et les courants!

POLLUTION, MORTS ET TRANSITION

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La pollution de l’air tue. Et sa définition par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme représentant une «contamination de l’environnement intérieur ou extérieur par un agent chimique, physique ou biologique qui modifie les caractéristiques naturelles de l’atmosphère» [1] lui permet d’englober dans son spectre la plus grande majorité des activités des sociétés humaines. Ainsi, tant les véhicules automobiles et les industries que les appareils à combustion représentent des générateurs routiniers de pollution atmosphérique. Ils dégagent des matières particulaires telles que, de manière non exhaustive, de l’ozone, du dioxyde de soufre ainsi que d’azote; polluants causant des maladies respiratoires, parfois et de plus en plus fréquemment, mortelles.

La pollution de l’air tue. Et son nauséabond bilan a jusqu’ici été très plantureusement sous-évalué. En 2019, le journal officiel de cardiologie générale de la Société Européenne de Cardiologie [The European Heart Journal (EHJ)] [2] a avancé le chiffre faramineux, attribué à la pollution atmosphérique, de 9 millions de morts prématurées (i.e. décès avant l’âge de l’espérance de vie moyen) à l’échelle mondiale. Ce total est presque trois fois supérieur aux estimations du gendarme de la santé internationale, l’OMS, qui évoque 3.1 millions de morts à l’échelle de la planète, soit 3.2% de la charge mondiale de morbidité [3]. Dans nos contrées, composées des quarante et un pays européens, tandis que l’Agence européenne de l’environnement estime que l’exposition aux particules fines était responsable d’environ 422.000 morts prématurées en 2018 [4], la pollution de l’air serait à l’origine de plus de 800.000 décès, dont plus de 391.000 dans les vingt-huit États membres de l’Union européenne (UE) [5].

La pollution de l’air tue. Et malgré les querelles morbides entre estimations officielles et indépendantes, les fruits pourris de cette contamination ont amené différent·e·s théoricien·ne·s et scientifiques à se pencher sur de potentielles « solutions », à l’échelle individuelle et globale, dans le but de combattre les conséquences néfastes de la dégradation environnementale. Les compteurs sont dans le rouge. Des concepts et théories nouveaux permettant de mener -sur le court, moyen ou long terme- à une réduction de la pollution ont ainsi vu le jour : le rêve d'une transition vers un monde meilleur, affranchi des énergies fossiles grâce à la force du vent, du soleil ou de l’eau était né. Plus précisément, le concept de transition écologique, théorisé par Rop Hopkins dans son livre «The Transition Handbook: From Oil Dependency to Local Resilience» publié en 2008, consiste en un mouvement d’initiatives concrètes cherchant à consolider la capacité d’une communauté à fonctionner en dépit des crises (économiques et/ou écologiques) extérieures. Autrement dit, sur base d’expériences empiriques testant l’autonomie et la résilience locale, la transition telle que théorisée par Hopkins cherche à assurer la résilience d’une communauté par le biais de différents principes, représentant une mise en place tangible du concept de développement durable tel que définit en 1987 par la Commission mondiale pour l'Environnement et le Développement de l'ONU: «[…] un développement qui ré- pond aux besoins du présent sans compromettre la possibilité, pour les générations à venir, de pouvoir répondre à leurs propres besoins». [6]

L’impératif écologique, la raréfaction des ressources ainsi que le changement climatique ont favorisé la naissance de nombreuses alternatives censées permettre la résilience de nos sociétés. À l’aurore de sa conception, la transition écologique était appliquée dans le combat contre le réchauffement climatique en milieu urbain avant d’être incessamment déclinée dans différentes sphères socioéconomiques. De nos jours, la transition écologique recouvre ainsi tant la transition industrielle (production durable et locale), énergétique (énergies renouvelables) qu’agroalimentaire (substitution de l’agriculture industrielle prônée dans la Politique Agricole Commune de l’Union européenne par l’agriculture biologique, à taille humaine).

LE MYTHE DE TRANSITION ÉCOLOGIQUE : DE LA POUDRE DE PERLIMPINPIN

L’urgence écologique a mené à la tentation de « décarboner » l’économie, de surcroît, par la transition énergétique. La réduction de la pollution est devenue un impératif de notre société capitaliste contemporaine, il fallait en effet urgemment s’orienter vers des sources d’approvisionnement plus propres, ouvrant ainsi la voie à un marché nouveau, celui des énergies renouvelables. L’heure de gloire de l’éolien, du solaire, de la biomasse, de l’hydraulique ou encore de la géothermie cherchant à s’accaparer l’énergie de manière infinie semble être arrivée : vive le vent, le soleil et les courants ! De nos jours, selon différentes estimations, plus de 20% de la consommation énergétique dans le monde serait couverte par le marché du renouvelable. Cependant, la récente consommation rendue possible par les énergies renouvelables, théoriquement plus propres, possède une face cachée. Celleci brise tout espoir vers une certaine résilience de la communauté, qui constitue pourtant l’objectif principal de cette nouvelle politique durable. L’espérance d’un monde meilleur, libéré des énergies fossiles, représente dès lors un mythe prospérant sur une pensée hors-sol, affranchie de tout ancrage à la réalité. En effet, l’emploi intensif des terres rares, impératif à la production de toute énergie « renouvelable », implique que chaque nouvelle technologie verte « procède d’abord beaucoup plus prosaïquement d’un cratère entaillé dans le sol ». [7]

Les énergies vertes constituent un nouveau marché polluant, en remplaçant simplement le marché précédent. Le développement durable s’est alors « substitué » à l’intelligence critique sur la croissance en intégrant sommairement les angoisses écologiques.

Les terres rares comprennent dix-sept métaux (le scandium, l'yttrium, et les quinze lanthanides) qui sont utilisés dans la production de matériaux de haute technologie, principalement industriels légers et endurants, tels que les panneaux photovoltaïques, les rotors d’éoliennes, les batteries de voitures électriques ou encore les pots catalytiques. Ces derniers métaux sont indispensables aux technologies qualifiées de « vertes », malgré leurs coûts environnementaux, souvent sous-estimés, mais pas pour le moins désastreux. Originellement, par la formation des terres rares, nécessitant des milliards d’années, et du stockage de ces dernières dans les entrailles de la Terre, ces dix-sept métaux contraignent les extracteurs à mobiliser une énergie gargantuesque. Ensuite, par la nécessaire présence d’une centrale électrique alimentant l’exploitation d’une mine, le raffinage du minerai ainsi que l’expédition vers des usines incorporant par la suite ces métaux à un panneau solaire ou une batterie de voiture, l’extraction et la transformation des terres rares enfante d’une pollution conséquente. Enfin, par le rejet d’éléments toxiques dans la nature lors de l’extraction ; des métaux lourds, de l’uranium ainsi que de l’acide sulfurique se retrouvent par légions dans les sols et rivières des régions concernées, en très grande majorité chinoises.

Dès lors, ces métaux rares possèdent un bilan environnemental qui pourrait se révéler encore plus caricatural que celui qui nous lie actuellement aux énergies fossiles telles que le charbon ou le pétrole. Au surplus, cette utilisation centrale des métaux rares par les nouvelles énergies crée une nouvelle dépendance géopolitique au pays producteur principal de ces métaux, la Chine, qui détient près de 90% des terres rares dans ses sols. Conformément, la dépendance des pays occidentaux change, se détournant des monstres pétroliers des pays du Golfe pour se tourner vers la République Populaire de Chine.

L’urgence écologique a ainsi mené à un enfumage manifeste. Premièrement, sous prétexte de conversion écologique (la tentation de décarboner l’économie afin d’atteindre la résilience; la transition), la société a accouché de monstres modernes, environnementalement regrettables. Les énergies vertes constituent en effet un nouveau « business », qui en remplace simplement un plus ancien. Pour en prendre conscience, il est primordial de prendre en compte la délocalisation de la pollution et ainsi cesser la vision politique eurocentrée. À défaut de manquer les polluants délocalisés, la consommation d’une voiture électrique roulant dans les rues de Bruxelles ne doit pas être le seul outil servant à mesurer son impact environnemental. Deuxièmement, sous prétexte d’évolution vers un monde plus charitable et moins dépendant des géants maîtres des hydrocarbures du Golfe, la transition écologique translate la dépendance des pays occidentaux vers la Chine, nouvelle « électromonarchie », suscitant des tensions géopolitiques et une potentielle « guerre des métaux ». La transition écologique touche donc adroitement à une contradiction.

CESSONS LA SUBSTITUTION À LA RÉFLEXION CRITIQUE SUR LA CROISSANCE !

La résilience d’une communauté par la transition écologique consiste en une mise en place tangible du concept de développement durable. Toutefois, cette mutation écologique semble avant toute chose représenter une déclinaison du conformisme contemporain, un camouflage face à la « cascade de finitudes » [8] de notre société. Le développement durable ne représente malheureusement plus un champ opératoire permettant d’affronter les défis titanesques auxquels notre civilisation est confrontée, mais plutôt un concept fourretout servant secrètement de refuge aux réflexions critiques de notre système et son « leitmotiv » d’idée de croissance. Ainsi, ce dernier prône une conciliation pharisaïque entre une croissance économique infinie -mesurée par le Produit Intérieur Brut (PIB)- et la sauvegarde de l’environnement à défaut d’aborder le problème de l’anéantissement inéluctable des ressources naturelles ou encore la notion d’entropie dans la théorie économique. Les énergies vertes constituent un nouveau marché polluant, en remplaçant simplement le marché précédent. Le développement durable s’est alors « substitué » à l’intelligence critique sur la croissance en intégrant sommairement les angoisses écologiques.

Cette trajectoire pernicieuse du concept même de développement durable est communément attribuée au postulat d’un potentiel équilibre entre les dimensions écologiques, économiques et sociales du développement. Dans cette croyance, l’impérialisme et le cannibalisme afférant à la stature économique ont été oubliés, laissant les deux autres dimensions sans contrepoids puissant. Également, la stratégie intrinsèque du développement durable à ambitionner une croissance économique en consommant moins de matière et d’énergie peut être remise en cause. Ainsi, sans doute est-il grand temps de se débarrasser de la notion de développement qualifié de « durable » et de mettre la « durabilité » au centre de la transition écologique.

L’ÉVEIL CITOYEN

La notion actuelle de développement durable ne permet pas de relever les défis globaux auxquels nous faisons face. Ce concept vidé de sens sert purement et simplement d’écran à la réflexion critique sur la croissance. Ainsi, je supporte l’idée que le premier cheminement vers la continuité est d’ordre économique. Afin de sortir de cet engourdissement paradoxal, il est primordial d’échafauder une société sans croissance. Le PIB ne doit plus être l’ayatollah de toute orientation politique. Les flux croissants d’énergie et de matières ne doivent plus être la norme. Cette prise de conscience est impérative et pressante, singulièrement au niveau des décideur·euse·s politiques, car le sommeil profond dans lequel nous sommes actuellement plongé·e·s obère nos chances de survie dans un avenir proche. Nous ne pouvons plus jouer : la résilience des générations futures est corrélée à cet éveil citoyen. À quand la sobriété ?

SEBASTIEN MARTINO

[1] Who.int (2020a), disponible sur https://www.who.int/topics/air_pollution/fr/, consulté le 02 novembre 2020.

[2] Lelieveld, J., Klingmüller, K., Pozzer, A., Pöschl, U., Fnais, M., Daiber, A., Münzel, T. (2020), Cardiovascular disease burden from ambient air pollution in Europe reassessed using novel hazard ratio functions, European Heart Journal, 40(20), Pages 1590-1596, https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehz135.

[3] Who.int (2020b), disponible sur https://www.who.int/ipcs/assessment/public_health/air_pollution/fr/, consulté le 01 novembre 2020.

[4] EEA Report (2018), Air quality in Europe - 2018 report, 12.

[5] Ces chiffres proviennent d’étude réalisée antérieurement au 31 janvier 2020 et à la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne.

[6] Commission mondiale sur l'Environnement et le Développement (1987), Notre avenir commun.

[7] Leclair, L. (2018). Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique: Les Liens qui Libèrent.

[8] Bourg, D. (2012), Transition écologique, plutôt que développement durable: Entretien avec. Vraiment durable, 1(1), pp.77-96

BIBLIOGRAPHIE :

Bourg, D. (2012), Transition écologique, plutôt que développement durable: Entretien avec. Vraiment durable, 1(1), pp.77-96.

Commission mondiale sur l'Environnement et le Développement (1987), Notre avenir commun.

EEA Report (2018), Air quality in Europe -2018 report, 12.

Geo.fr (2014), disponible sur https://www.geo.fr/environnement/definition-terres-rares-scandium-yttrium-et-lanthanides-124433, consulté le 15 novembre 2020.

Hopkins, R. (2008), The Transition Handbook. From Oil Dependency to Local Resilience, Green books.

Leclair, L. (2018), Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique: Les Liens qui Libèrent.

Lelieveld, J., Klingmüller, K., Pozzer, A., Pöschl, U., Fnais, M., Daiber, A., Münzel, T. (2020), Cardiovascular disease burden from ambient air pollution in Eu-rope reassessed using novel hazard ratio functions, European Heart Journal, 40(20), pp. 1590-1596, https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehz135.

Mandard, S. (2019), La pollution de l’air tue deux fois plus que ce qui était estimé, Le Monde.

Pitron, G. (2018), La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, Broché.

Rivoirard, S. (2019), Les métaux critiques: le côté obscur de nos énergies vertes!, CNRS/Institut Néel, Grenoble, pp.1-39.

Transition-europe.eu (2020), disponible sur https://www.transition-europe.eu/fr/page/definitions-2, consulté le 10 novembre 2020.

Who.int (2020a), disponible sur https://www.who.int/topics/air_pollution/fr/, consulté le 02 novembre 2020.

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