Buzbuz #43

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LA GAZETTE édition N°43 Mars /avril 2019

LA CITÉ DORT-ELLE ?



03 / Ç A

S E PA S S E A I L L E U R S

TEXTES : LOÏC CHAUX

'

Fin 2018, la ville d’Olonnesur-Mer (Vendée) a distribué gratuitement des arbres fruitiers à ses habitants.

L’ÎLE D’OUESSANT (FINISTÈRE) VIENT DE DIFFUSER UNE PETITE ANNONCE POUR TROUVER UN PRODUCTEUR DE LAIT BIO.

Depuis la légalisation du cannabis en 2018 au Canada, les producteurs officiels ne peuvent plus faire face à la demande. EN ARABIE SAOUDITE, LA MAJORITÉ EST FIXÉE À QUINZE ANS.

14% DES BESOINS EN ÉNERGIE SONT ISSUS DE LA CANNE À SUCRE À MAURICE.

EN 2017, trente mille Norvégiens ont participé au nettoyage du littoral de manière volontaire.

En Belgique, il est désormais interdit de fumer en voiture en présence d’un mineur.

JUSQU’À L’ÂGE DE VINGT-TROIS ANS, LES SOINS DENTAIRES SONT TOTALEMENT GRATUITS EN SUÈDE.

La ville de Bruxelles a décidé de planter un arbre à chaque nouvelle naissance.

À PARTIR DE 2020, IL SERA INTERDIT D’UTILISER, D’ACHETER ET DE VENDRE DE LA CRÈME SOLAIRE DANS L’ARCHIPEL DES PALAOS.

COUVERTURE Photo : Samuel Malka Modèle : Moidjoumoi Ahamada BUZBUZ MAGAZINE Bimestriel N°43 Mars / avril 2019 DIRECTION DE LA PUBLICATION Pascal Peloux RÉDACTION Marie Renneteau, Marianne Renoir, Loïc Chaux

DIRECTION ARTISTIQUE Pascal Peloux PHOTOGRAPHIE Gwael Desbont, Samuel Malka, Pablo Wayne ILLUSTRATIONS Freddy Leclerc, Hélène Moignard IMPRESSION ICP Roto PUBLICITÉ BuzBuz Magazine Stéphanie Consolo Tél. 0692 13 60 08 commercial@buzbuz.re

SARL au capital de 4350 € 62 Boulevard du Chaudron Bât. A - bureau A903 97490 Sainte-Clotilde Tél. 0692 55 99 98 contact@buzbuz.re

www.buzbuz.re ISSN 2114-4923 Dépôt Légal : DL 19.03.27P Toute reproduction même partielle est interdite

INTÉRIEUR(S) DE SULLY ANDOCHE, MARIE BIROT, PATRICK BRULLEMANS, FRANÇOISE DÔ,

THÉÂTRE

MISE EN SCÈNE ALEXANDRA TOBELAIM - LUC ROSELLO

18, 19, 23, 25, 26, 30 0262 20 96 36

AVRIL 19.00 // 20.00 WWW.CDOI.RE LOCATION@CDOI.RE

THÉÂTRE DU GRAND MARCHÉ 2 RUE DU MARÉCHAL LECLERC 97400 SAINT-DENIS

E D Q tcdnoi


04 / L E

NEZ DEHORS

T E X T E S : M A R I A N N E R E N O I R , M A R I E R E N N E T E A U – P H O T O S : G WA E L D E S B O N T

Petit frère Andy a de la suite dans les idées et l’art d’associer de bons produits avec les bonnes épices. Il a décidé de décliner son concept d’“atelier” : d’abord L’Atelier/Bar à Burger, le BAB pour les intimes – bon plan que l’on avait déjà flairé dans un précédent numéro – puis, depuis peu, le Bar à Tartare. Comme on ne change pas une équipe qui gagne et pour ne pas tomber dans la monotonie, la carte change tous les deux mois. Côté service, on est très bien lotis. Pari réussi : une carte minimaliste, des intitulés de tartares qui mettent l’eau à la bouche, une mayonnaise maison avec une pointe de sirop d’érable à se damner. On attend impatiemment la nouvelle carte.

Caisses et bécanes De beaux objets motorisés à deux ou quatre roues, on en trouve pas mal dans le garage Couleur Chrome, à Ligne-Paradis. Mickaël est un passionné, un vrai. Avec son équipe, il entretient, répare et restaure de vieilles motos et de vieilles bagnoles. Des modèles qui datent quasiment des années deux mille côté deux roues, et avant 1980 pour les quatre roues. Il y a des chances que vous l’ayez croisé sur la route avec sa Cox, ou encore son Combi, car ça en jette ! Ses client·e·s sont souvent également des passionné·e·s, c’est très familial comme endroit, intimiste. Et en observant les véhicules de collection, on se dit que les vieilles voitures, ç’a vraiment la classe.

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L’ATELIER DU TA RTA R E, 79 BIS RUE DU FOUR-À-CHAUX, S A IN T-PIER R E. OUVERTURE : DU MARDI AU SAMEDI , 1 1 H4 5 -1 3 H3 0 //1 9 H-2 1 H3 0 . TÉL. : 0262 45 6 7 8 0 .

COU L E U R CH ROM E , ZI N ° 2 C O U RS S OF RA M A , S A I N T- P I E RRE . O UV ERT UR E : D U M A R D I AU V E N DRE DI , 9 H - 1 8 H ; L E S A M E DI , 9 H - 1 7 H . TÉ L . : 0 6 9 2 6 1 1 7 8 1 .

Évadez-vous !

Son burger

Émilie et Sébastien sont, au départ, de vrais joueurs. Et quand on les écoute parler de leur “évasion grandeur nature”, on ne peut que les croire, en joueurs que nous sommes. Les scénarios des escape games, c’est eux, ils ont tout créé ici. Actuellement, une première salle avec le célèbre pirate pays La Buse et son trésor perdu, et une seconde salle consacrée au Virus Z-55. Dès lors que vous pénétrez à l’intérieur, vous avez une heure pour résoudre les énigmes et la bonne nouvelle, c’est que vous faites cela à plusieurs. D’autres salles à venir, car c’est tellement bon de tenter de nouvelles expériences.

Il aura fallu un fâcheux événement pour qu’Hauts sons des couverts évolue de la sorte. Tel le restaurant qui renaît de ses cendres, Rachelle et Joël ont redonné vie à leur bar-restaurant l’an passé et le résultat est top. Leur clientèle, des habitué·e·s, des amateur·rice·s de son, comme eux·elles. Les patrons aiment la scène ouverte et mettre en valeur des artistes, des musiciens. Les burgers, ce sont les clients qui en voulaient ; alors comme ils ne peuvent rien leur refuser, une superbe carte vient contenter les gros estomacs qui savent apprécier un bon manzé. Pour les amateur•rice•s, il y a aussi des jeux de société à disposition. C’est très bon enfant et on aime ça, alors montez dans les Hauts apprécier du bon son en dévorant un excellent burger.

––––––––– DÉDALE ESCAPE GAME, 32 RUE CL AUD E-C HA PPE, L E PO RT. O U V ERTURE : UNIQUEMENT SUR RÉSERVATION, D U L UN D I AU J EUD I, 1 0 H-2 2 H ; LES VENDREDI ET SAMEDI, 10H-00H ; L E D IM A N C HE, 1 0 H-2 2 H. TÉL. : 0692 43 0 3 2 3 .

––––––––– HAUT S S O N S D ES C O UV ERT S, 9 ROU T E DE FAT I M A , S A I N T- G I L L E S - L E S - H AU T S. O UV ERT UR E : D U M A RDI AU S A M E DI , 1 9 H 3 0 - 2 2 : 3 0 ; L ES S O IR S D E C O N CE RT, 1 9 H 3 0 - 0 H 3 0 . T É L . : 0 6 9 2 5 2 1 1 1 1 .


Des fruits, des légumes et beaucoup d’amour Depuis plus d’un an, Raïssa et Guillaume se sont lancés dans une nouvelle aventure, celle d’Happyculteurs. Très enthousiastes et passionnant·e·s, on aurait pu rester un moment avec eux·elles dans la serre à parler pollinisation, récolte, agriculture et hydroponie. En plus, il·elle·s n’hésitent pas à partager des recettes via leurs réseaux sociaux : des idées simples et gourmandes pour savourer leur récolte. Le concept est très simple et tellement contemporain : on commande en ligne tranquillement depuis son canap’ pour un minimum d’achats de 15 euros, puis on vient retirer ses fruits et légumes directement sur place, à Sainte-Suzanne. L’occasion de faire un saut par la cascade Niagara, avouez que ça fait une éternité. ––––––––– HAPPYCULTEURS, 19 CHEMIN MAREN C O URT, S A IN T E-S UZA N N E. OUVERTURE : LES MARDI, JEUDI ET V EN D R ED I, 1 1 H3 0 -1 9 H3 0 . TÉL. : 0692 25 94 9 4 .

Comme à Pékin Au départ, Chan Cha, c’est bien un salon de thé du centre-ville de Saint-Pierre, en place depuis juin 2018. Le top, c’est que vous pouvez vous y restaurer à n’importe quelle heure, puisque le service est en continu. La soupe de raviolis aux crevettes vermicelles était magique, et le bao zi au poulet - célèbre petit pain farci et cuit à la vapeur tellement moelleux et fondant. Le tout accompagné d’une cérémonie du thé, une vraie découverte pour nous. Bruno et Yi Wei vous seront de précieux conseils, pour vous faire découvrir leurs différents thés et leurs petits plats. ––––––––– CHAN CHA, 11 RUE FRANÇOIS-DE-M A HY, S A IN T-PIER R E. OUVERTURE : DU LUNDI AU SAMEDI, 9 H-2 1 H. T ÉL . : 0 2 6 2 8 3 3 1 9 9 .


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NEZ DEHORS

Coquillages et cocoteraie À Trou-d’Eau, un nouveau lieu de villégiature a ouvert ses portes en janvier. La résidence hôtelière Ness by D-Ocean comptant quatre-vingt-quatre chambres dont quatorze suites, un spa, une salle de fitness, un rooftop. Bref, tout ce qu’il faut pour ravir les touristes et les clients locaux. Il faut dire que le cadre a de la gueule, au milieu des cocotiers qui ont été préservés. Une adresse à retenir pour un week-end ou des vacances dans l’Ouest. ––––––––– NESS, 26 ROUTE DE TRO U-D ’ EAU, LA SALINE-LES-BA IN S. TÉL. : 0262 70 3 0 0 0 .

À la bonne franquette Ils sont rares, à La Réunion, les restos à l’esprit “bistrot”. Jean-Michel Pollisson le sait bien. Après le Bistrot de la Porte des Lilas et Côté Seine, il s’installe à La Possession sans pour autant abandonner la cuisine bistronomique. Abats, tête de veau, ris de veau, rognons : les produits sont travaillés par le passionné chef cuisinier Rémi Lasfargues. Les formules proposées invitent, elles, à la convivialité avec de belles assiettes à partager. ––––––––– LA TABLE DES BATIGNOLLES, 31 BOUL EVA R D D E B R ES T, L E PO RT. OUVERTURE : DU LUNDI AU MERCREDI, 12H-1 3 H4 5 ; D U J EUD I AU V EN D R ED I, 12H-13H45//19H30-21H ; LE SA M ED I, 1 9 H3 0 -2 1 H. TÉL. : 0262 55 9 6 2 8 .

Grands vins, grands formats Déguster un vin d’excellence dans un bag in box ou “fontaine à vin”, personne ne l’avait vraiment osé. Pourtant, ce nouveau concept a des avantages : les fontaines - de deux à trois litres - protègent mieux les vins de l’air. “Le vin peut être consommé jusqu’à six semaines”, nous explique Franck, de la boutique. Tous les vins de France y sont représentés, hormis les moelleux et les vins d’Alsace. Le plus à Bibovino  : les dégustations gratuites et les formules pour accompagner son verre. ––––––––– B IB OV IN O, 2 0 RU E RON TAU NAY, S A I N T- DE N I S. O UV ERT UR E : DU M A RDI AU S A M E DI , 1 0 H - 2 3 H . TÉ L . : 0 2 6 2 7 3 4 6 1 9 .

Rien d’neuf ? Harthur, c’est le chien de Chris, et il y a de fortes chances pour que vous fassiez sa rencontre en venant dans cette très chouette boutique de Saint-Gilles. Depuis mai 2018, plusieurs portants de vêtements ont trouvé leur place dans ce magasin, dans lequel sont aussi accrochées les toiles de la patronne. Avis aux artistes, l’endroit est aussi un lieu d’expositions. De la chemise Magnum en passant par la robe noire à poussins jaunes (splendide!) il y en a pour toutes les bourses et tous les goûts. Des petits sacs à main vintage, en passant par les vestes en cuir de motard qui ont sûrement sillonné la route 66, sans oublier les petits hauts, les jeans Levis 501, pour sûr, vous allez trouver votre bonheur. ––––––––– L ES F R IPES D ’ HA RT UR , 1 B IS RU E DE L A CH E M I N É E , S A I N T- G I L L E S - L E S - BA I N S. O UV ERT UR E : D U M A RDI AU S A M E DI , 1 0 H - 1 2 H / / 1 4 H - 1 8 H . TÉ L . : 0 6 9 2 8 2 4 1 0 0 .



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NEZ DEHORS

Papa prend les commandes

Bien dans ses baskets

Papa, c’est celui qui te prépare d’énormes burgers quand tu as une grosse faim. Celui qui préfère acheter ses steaks maison chez Fred, le boucher, son pain chez Dimitri et fait fabriquer sa propre binouze chez Les Dalons parce que tout est local. Travailler avec des acteurs locaux, c’est important, pour papa. Proposer une carte adaptée à La Réunion aussi. Que dire de plus si ce n’est que papa prend les commandes sur place mais sur Internet aussi.

Streetswear ou sportswear ? Ni l’un, ni l’autre. Après avoir roulé sa bosse pendant quinze ans comme consultant dans le prêt-à-porter, Sébastien a lancé Laced, “un trait d’union entre l’univers urbain et casual”. Adidas, Reebok, Puma, Carhartt ou encore Armor-lux : il en est convaincu, les baskets sont un “vecteur social”. Au-delà de vendre des baskets et des fringues, Sébastien prend le temps de raconter une histoire à ses clients, comme celle de Reebok sur Instagram, et veut développer la vente de produits culturels liés à la philosphie du shop.

––––––––– LES BURGERS DE PAPA, 110 RUE JEA N -C HAT EL , S A IN T-D EN IS. OU VERTURE : DU LUNDI AU VENDREDI, 11H30 -1 4 H3 0 //1 8 H3 0 -2 1 H3 0 ; L E S A M ED I, 11H-22H30 ; LE DIMANCHE, 1 8 H3 0 -2 2 H. TÉL. : 0262 52 9 8 8 2 .

L AC ED S HO P, 2 9 RU E L A BOU RDON NA I S, S A I N T- DE N I S. O UV ERT UR E : L E L UN D I, 1 4 H - 1 9 H ; DU M A RDI AU S A M E DI , 1 0 H - 1 9 H . TÉL. : 0262 98 50 27.

Tableaux floraux

Maronaz, j’oublie tout !

Si vous n’avez pas envie de vous prendre la tête pour votre mariage en gérant tout, ni de faire appel à un wedding planner, Exotic Store pourra vous délester du poids de la déco avec ses impressionnantes et élégantes compositions florales. Pour les anniversaires et autres occasions spéciales, ça marche aussi. ––––––––– EX OTIC STORE, 20 TER RUE FÉLIX-GUYO N, S A IN T-D EN IS. OUVERTURE : DU MARDI AU SA M ED I, 1 0 H3 0 -1 8 H3 0 . TÉL. : 0692 66 4 3 7 2 .

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Même Christophe Langromme a bien du mal à décrire l’esprit de son café-restaurant, tant il y aurait à dire. C’est Nathalie Nathiembé, de passage, qui nous le résumera : “C’est de la liberté, beaucoup de fraternité, un lieu où l’on dépose sa tristesse et ses joies.” Et rassurez-vous : derrière ses allures de gars en grèn, Christophe est un agneau, passionné de son île et des gens, de tous les gens. Nous, on a déjà hâte d’y retourner.. ––––––––– M A RO NA Z K A F É, 6 6 RU E L E CON T E - DE - L I S L E , L A P OS S E S S I ON. O UV ERT UR E : DU L U N DI AU S A M E DI , 8 H - 1 9 H . TÉL. : 0262 05 07 53.



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POINT CULTURE

T E X T E S : M A R I A N N E R E N O I R – P H O T O S : PA B L O WAY N E

Le fonnkèr, traduction littérale du “fond du cœur”, définit la poésie créole. Expression de l’intime, le fonnkèr ne convoque, en réalité, pas uniquement le palpitant. Il raconte notre histoire, notre identité, nous interroge sur notre rapport à nous-mêmes, à l’autre, au monde.

Arme de résistance

Un Koktèl Fonnkèr au musée Stella Matutina affichant presque complet, une pléiade d’artistes convoités par toutes les médiathèques et événements culturels... Depuis quelques années, le fonnkèr, terme créole signifiant “poésie”, ne se cantonne plus aux kabars intimistes. Un nouveau souffle porté par une nouvelle génération de fonnkézèr·zèz et par des militant·e·s de la culture réunionnaise comme Zacharia Mall, organisateur du Koktèl Fonnkèr. “Je pense que l’émergence du slam a profité au fonnkèr, raconte Sylvain Gérard, dit Gouslaye, qui a justement fait ses armes sur les scènes de slam. “Slam”, ça veut dire “claque”. C’est une claque verbale. Les deux ont pour point commun d’exprimer un message, de déclamer un texte.”

La poésie créole est née dans les années soixante-dix, à l’initiative “d’intellectuel·le·s et d’artistes pour lutter contre la politique assimilationniste de l’époque, qui avait pour vocation d’effacer tout particularisme culturel sur cette île devenue département français”, rappelle Sophie Louÿs, auteure du documentaire Dann-fon mon kèr. Lui succèdent plusieurs vagues qui comptent de grands noms comme Francky Lauret, Patrice Treuthardt, Babou B’Jalah, pour ne citer qu’eux, ou encore Danyel Waro, auteur du titre Foutan Fonnkèr. Musique, conte, performance artistique : les formes d’expression sont multiples. La tradition est donc finalement récente, et a évolué au fil des ans. “Mon premier spectacle aborde principalement la question de l’anti-colonialisme, confie Socko LoKaf, musicien et “apprenti fonnkézèr”, tel qu’il se décrit. L’idée était de questionner le rapport des Réunionnais·e·s à eux·elles-mêmes, du positionnement qu’ils·elles acceptent et acceptent d’accepter.” Aujourd’hui, Socko LoKaf dit travailler davantage sur les émotions et laisse les mots venir à lui : “L’artiste est un vecteur d’émotions.”


11 /

“Prends un peu de moi.”

L’ART DE L’INTIME

Chacun·e semble avoir sa définition du fonnkèr, intime, propre à son histoire, et “extime”, dans la façon de la partager au public. “La question est de savoir comment transcender la parole, la vivre, ajoute l’artiste. Comment faire en sorte que son cœur, son corps, sa bouche, ses yeux ne fassent qu’un.” Pour Warren Harrignton Samuelsen, ou Hasawa, “sculpteur d’oralité”, les mots ne

viennent pas que du fond du cœur mais aussi “du corps, des pieds dans le sable, des doigts de pieds, de la tête, des yeux dans les étoiles, des mains dans la boue.” En d’autres mots, l’essence de la poésie endémique repose dans l’incarnation du mot dans la chair. Qu’importe que l’on bégaye, qu’importe que l’on emploie des mots simples. Pourvu qu’on soit vrai·e.

“L’écriture, le premier travail.” SUR LE PAPIER “L’écriture est le premier travai”, selon Gouslaye. Là-dessus, plusieurs écoles se côtoient. Il y a ceux·celles qui ont adopté une graphie, tel Socko LoKaf qui se retrouve dans le KWZ et qui est souvent utilisée dans le maloya. “Je ne voulais pas choisir de graphie parce que je voyais la forme pratique et plastique des mots avant tout, nous explique son dalon Hasawa, également artiste-plasticien et maquilleur de cinéma. Mais en choisir une, c’est aussi donner un corps, une existence à la langue.” Ni tangol, ni KWZ, ni 77... Après plusieurs tentatives, Gouslaye a choisi de ne pas choisir. “Je ne m’y retrouvais pas”, justifie le fonnkézèr qui puise aussi bien dans le créole que dans le français selon ce qu’il a à exprimer. Mais il est vrai, reconnaît-il, que “la musicalité du créole totoche le français.” Parfois aussi, cet amoureux des mots, de la poésie pour la poésie, voyage dans le temps, exhumant des mots lontan ou en accouchant de nouveaux. “C’est ce qui fait une langue vivante, la possibilité d’employer autant des mots du passé que du futur.”

DANN-FON MON KÈR, LE DOCU En 2017, l’autrice et réalisatrice Sophie Louÿs a lancé une campagne de financement participatif sur Internet pour récolter les fonds nécessaires à son projet de documentaire Dann-fon mon kèr. S’interrogeant sur la manière dont l’histoire des colonisations s’inscrit dans l’inconscient collectif et les conséquences de l’Histoire sur chacun·e d’entre nous, elle s’est intéressée à cette “arme de résistance qui a permis de prendre conscience qu’une culture réunionnaise existait et que la langue créole avait un véritable pouvoir.” En promenant sa caméra de façon intimiste, laissant les idées et les images prendre leur place, Sophie Louÿs a elle aussi créé à travers son œuvre son propre fonnkèr. La campagne lui a permis de récolter plus de 6400 euros sur les 4000 espérés, et son documentaire est régulièrement projeté ici et là dans l’Île.

RÉCIT COLLECTIF Sans public néanmoins, pas de fonnkèr. Cette poésie-là se déclame, se partage. La ritualisation, chère à Hasawa, se retrouve aussi dans les soirées, les kabars. Un maître de cérémonie anime la soirée, la scène devient un “ron”. “Si je prends dans ma chair, c’est pour partager avec toi, illustre Hasawa. Alors, prends un peu de moi.” Une incarnation de la parole presque transcendantale. “Faire du fonnkèr, c’est aussi apprendre à ouvrir une porte qui ne se refermera pas. On frôle la folie, on franchit la limite. Parfois, on nourrit son propre diable”, complète Socko LoKaf. Et puis, il n’y a pas que la scène. Les liens se font entres les un·e·s et les autres, les univers se rencontrent et de nouveaux projets voient le jour. “On n’en fait pas pour satisfaire l’égo”, ajoute Socko LoKaf. Tout comme leurs prédécesseurs, les artistes d’aujourd’hui laissent des traces, dans les livres, et multiplient les ateliers, notamment auprès des plus jeunes, pour que l’âme du fonnkèr ne s’éteigne jamais.


12 / P O R T R A I T

GENEVIÈVE SIDIBÉ KAH

TEXTE : MARIANNE RENOIR

– P H O T O : G WA E L D E S B O N T

“Je suis humaniste.” Chirurgienne, gynécologue et médecin esthétique, Geneviève Sidibé Kah est au contact des femmes au quotidien. Elle leur a d’ailleurs dédié sa vie.

LES

“Il est vrai que j’ai une vie professionnelle bien remplie.” À soixante-sept ans, Geneviève Sidibé Kah jongle entre la chirurgie et la gynécologie, la gynécologie obstétricienne et la médecine esthétique. Née au Togo dans une fratrie de neuf enfants, cette afroantillaise infatigable a toujours su qu’elle serait un jour médecin. “Mes proches m’ont raconté qu’à quatre ans déjà, je disais à tout le monde que je voulais soigner les gens !” C’est ainsi que Geneviève Sidibé Kah se forme à la médecine à Dakar, puis à Paris, où elle se spécialise en chirurgie, est assistante dans les hôpitaux, puis enseignante auprès des étudiants.

ƒemmes D’ABORD

À trente-cinq ans, elle débute à La Réunion, à la clinique Lamarque – ancien nom de la clinique Saint-Vincent. Là, avec le docteur Gérard Gardey et en collaboration avec la clinique du Port, elle participe aux toutes premières fécondations in vitro réalisées dans l’Île. Geneviève aide à donner la vie et consacre la sienne à la gente féminine. “Je suis très amoureuse de la femme. Ce sont des êtres extrêmement fins, sensibles, intelligents, qui trouvent toujours le mot juste pour sortir des moments de confusion.” Et selon elle, quand les femmes sont fortes, “alors tout va bien”. C’est pour cette raison que le médecin juge nécessaire de mettre l’accent sur l’éducation des filles. Qu’importe, si elles choisissent ensuite de devenir cheffes d’entreprise ou mères au foyer. “C’est parce que ma mère était à la maison, présente, parce qu’elle m’a appris à être combative, à faire des efforts, que j’ai pu devenir médecin.” Cette combativité presque héréditaire ne la quittera jamais. “Je suis perfectionniste, j’ai tout le temps envie de changer le monde”, reconnaît-elle. Un caractère qui lui vaut même le surnom de “Madame Tyrannie”.

Celle que nous avons rencontrée est pourtant bien loin de cette image. Insatiable, elle continue de se former sans cesse – en chirurgie reconstructrice mammaire, en cancérologie, en accouchement, en nutrition - mais semble finalement toujours le faire pour les autres. Pour les aider à surmonter les obstacles, pour les accompagner dans la douleur ou les écouter. “Je dirais que je suis humaniste”, résume-t-elle. Avoir foi en l’humain, c’est aussi espérer qu’il peut changer. “Je vois les Réunionnais·e·s perdre peu à peu leur identité, leurs traditions, en revanche je crois au sursaut réunionnais.” À l’indépendance de l’Île, également. Des idées, Geneviève Sibidé Kah en a beaucoup d’autres que nous ne pourrons toutes citer. Elle nous confesse d’ailleurs envisager la politique, encouragée par ses ami·e·s. “Je ferai de la propagande écologique à la radio!” Mais, ajoute-t-elle, son vrai projet est de faire de l’agriculture biologique à la retraite. “Il faut cultiver notre jardin”, disait Candide.



14 / C U L T U R E

G

R E C H E R C H E S  : L O Ï C C H A U X – I L L U S T R A T I O N S  : L N

Un escargot se déplace de 5 mètres par heure.

Luka Modrić parle six langues.

Lâchée au niveau du Piton-des-Neiges, la plus grande bombe nucléaire jamais construite, Tsar Bomba, provoquerait un souffle balayant l’Île entière, et provoquant au moins 350 000 morts instantanément.

L’eau de l’océan Indien gèle à -2°C.

CU

Avec son record du monde sur le 100 m papillon, Michael Phelps aurait été champion olympique du 100 m nage libre en 1980.

L

Un œuf d’autruche correspond environ à vingt-cinq œufs de poule.

UR

E

G T

Pour faire les malins devant les copains, voici quelques savoirs vérifiés et parfaitement inutiles à sortir entre deux Dodos.

Au Jenga, le record est de quarante étages de hauteur. La tour est tombée en posant un bloc sur le quarante et unième étage.

L’inventeur du stylo Bic est le baron Bich.

Dans l’ancien port viking de Helgö, en Suède, actif entre le IIIe et VIIIe siècle, a été retrouvée une statuette à l’effigie de Bouddha.

Tony Parker est le premier joueur non Américain à avoir été MVP des finales NBA, en 2007.

Depuis 2017, le Mont Blanc mesure 4808 mètres.

Dans les quatre premiers Rocky, Sylvester Stallone pesait moins de quatre-vingt-dix kilos. Il n’aurait donc pas pu combattre chez les poids lourds, mais chez les poids lourds-légers.


R E C C U E I L L I PA R M A R I A N N E R E N O I R

INTERVIEW

– I L L U S T R AT I O N : L N

À quoi ressemble la population réunionnaise actuellement ? “Selon les chiffres du 1er janvier 2016, l’Île compte 852 924 habitant·e·s. Les moins de vingt ans représentent 31% de la population, les seniors, 16%. La population réunionnaise est donc jeune, beaucoup plus jeune qu’en Métropole et qu’aux Antilles. Seules les populations de Guyane et de Mayotte sont plus jeunes que celle de La Réunion. Les femmes sont un peu plus nombreuses : 51,8% contre 48,2 % pour les hommes. Cela s’explique par une espérance de vie plus élevée pour les femmes, de 83,8 ans en moyenne en 2016, contre 77,3 ans chez les hommes. Quelle est la proportion de population étrangère ? 84%, soit plus de huit Réunionnais·e·s sur dix, sont natif·ive·s de l’Île. 11% sont nés en Métropole. Les 5% restants viennent d’autres départements d’Outre-mer et de l’étranger. Les habitant·e·s natif·ive·s de Mayotte et des Comores représentent environ 1% de la population totale. Nous avons été étonnés de voir que le taux de fécondité, de 2,43 enfants par femme, ne baissait pas, malgré l’existence de divers moyens de contraception et l’éducation sexuelle à l’école. Comment l’expliquer ? Effectivement, on aurait pu s’attendre à ce qu’il diminue mais il reste très stable depuis les années 1990-1995. Il faut savoir que l’indicateur conjoncturel de fécondité est une probabilité d’après le taux de fécondité des années précédentes. Pour une femme de vingt ans, nous estimons qu’elle a tant de chances d’avoir un enfant à tel âge, deux enfants à tel âge, etc. À La Réunion, le taux de fécondité est supérieur au seuil nécessaire pour assurer la croissance de la population, qui se situe entre 2,05 et 2,1 enfants par

LA RÉUNION PREND DES RIDES En 2050, La Réunion comptera autant de gramounes que de jeunes. Et nous serons 1,071 million à vivre sur le caillou. Sébastien Seguin, chef du service études et diffusion de l’Insee, nous explique pourquoi.

femme. Ce taux est comparable à celui de certains pays d’Asie du sud-est. Les Réunionnaises ont aussi leur premier enfant plus tôt qu’en Métropole et 2,6% d’entre elles sont mères mineures, contre 0,5% dans l’Hexagone. Ici, les valeurs de la famille sont bien ancrées et la place de la religion est assez importante. Les comportements sont assez similaires d’une génération à l’autre. L’autre point intriguant est la stabilité du taux de mortalité. Pourquoi ne baisse-t-il pas ? Stable depuis quelques années, le taux de mortalité infantile (les décès des enfants âgé·e·s de moins d’un an) est de 6,8 décès pour mille enfants né·e·s vivant·e·s. C’est deux fois plus qu’en Métropole. Des conditions socio-économiques moins favorables, davantage de grossesses à risques, des femmes enceintes atteintes de maladies chroniques ou moins bien suivies, et une entrée plus tardive dans un parcours de santé périnatale peuvent justifier ces chiffres.

Comment parvenez-vous à évaluer l’évolution de la démographie locale ces trente prochaines années ? Ce sont en réalité des prolongements de tendances. Nous prenons en compte les observations passées, nous voyons si les tendances se prolongent, comment évolue le nombre de naissances, de l’espérance de vie, des migrations, etc. Nous effectuons aussi un vieillissement de la pyramide des âges. Le solde migratoire - différence entre les arrivées et les départs - est le plus compliqué à estimer. Si un·e habitant·e de La Réunion s’installe en Métropole, peut-être qu’il·elle sera recensé·e mais pas s’il·elle part à l’étranger. La difficulté existe aussi par micro-régions. Un nouveau réseau de transports en commun, la construction d’une infrastructure, etc. peuvent favoriser des migrations d’une micro-région à l’autre. En 2050, nous devrions donc être 1,071 million d’habitant·e·s. Ça fait beaucoup de monde... C’est une croissance assez dynamique, oui. Avec une hausse de 0,7% en moyenne

par an, la démographie réunionnaise passera le cap du million d’habitant·e·s dès 2037 pour atteindre 1,071 million en 2050. En Métropole, la croissance est de 0,3% en moyenne sur la période à venir. Les senior·e·s seront aussi nombreux·euses que les jeunes. Savons-nous si ce seront des gramounes en bonne santé ou non ? Un équilibre s’établira effectivement entre les senior·e·s de soixante ans et plus et les jeunes de moins de vingt ans. Ces deux tranches d’âge représenteront chacune 27% de la population réunionnaise. Le quatrième âge, les senior·e·s de soixante-quinze ans et plus, va lui presque tripler, passant de 4% aujourd’hui à 13% en 2050. À La Réunion, les personnes âgées dépendantes sont plus nombreux·euses qu’en Métropole en raison des maladies chroniques. Reste à voir si le phénomène restera élevé. Le taux de décès va aussi doubler. Est-ce dû aux maladies ? C’est un simple effet mécanique. Les enfants nés pendant le baby boom (de 1945 à 1975 environ, NdBB ) seront en fin de vie à ce moment-là. Quels sont les objectifs de vos études ? Ont-elles un impact ? La plupart des études sont réalisées en partenariat avec la Région, le Département, l’Agence régionale de santé (ARS), le Rectorat, les collectivités, etc. L’un des objectifs est d’objectiver des phénomènes assez connus, de mettre des chiffres dessus. Il n’y a pas de surprise, mais notre travail permet à nos partenaires d’avoir des éléments plus précis, des comparaisons et des évolutions qui leur serviront à définir leurs politiques. Ç’a été le cas suite à notre étude sur les quartiers pauvres de l’Île et il faudra le faire pour préparer au mieux le vieillissement de la population réunionnaise.

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16 / M O D E

P H O T O S : E L E N A I V- S K AYA – M O D È L E : A K E T C H J O Y W I N N I E – M A Q U I L L A G E : A L I C E C O L O R I T I – S T Y L I S M E : C A R L A V E R M A A K


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18 / S O C I É T É

T E X T E S : M A R I E R E N N E T E A U , M A R I A N N E R E N O I R – P H O T O S : PA B L O WAY N E

Avec les multiplications de zones commerciales aux périphéries des centres urbains, le moment est venu de se demander si nos cœurs de ville historiques ne vont pas finir par définitivement s’endormir.

C

e fut notre point de départ : un rapport publié et remis au gouvernement en octobre 2016, La revitalisation commerciale des centres-villes. À l’intérieur de ce pavé, des propositions pour redonner de la puissance aux centresvilles à partir de cette constatation : le “phénomène de dévitalisation des centralités urbaines, bien que contrasté d’un territoire à l’autre, devient préoccupant tant le commerce participe à la vie de la cité et la façonne en grande partie.” Ce qui est vrai pour la Métropole l’est-il chez nous ? Par rapport à la Métropole, le taux de vacances commerciales est très faible sur notre territoire. Par “vacances commerciales”, on entend le pourcentage de pas-de-portes qui ne retrouvent pas de repreneurs à leur fermeture. Selon notre rapport, celui-ci s’élevait à 10,4% en 2015. C’est deux fois trop : à 5%, un centre-ville se meurt, déjà. Côté Réunion, selon Inovista spécialiste de l'immobilier professionnel, ce taux de vacance s’élèverait à moins de 3% en 2017. Pour l’instant, donc, ça va, d’autant que le trio Saint-Denis – Saint-Paul – Saint-Pierre conserve son attractivité historique liée à ses fonctions politiques et économiques : “Au 1er janvier 2016, La Réunion comptait près d’un million de m2 de

locaux commerciaux répartis sur toute l’Île, dans les centres-villes mais également au sein des zones ou des galeries commerciales, soit près d’1,2 m2 par habitant, un record national.” Toutefois, il faut relativiser nos 3%  : Aude Mathieu, chargée d’études chez Inovista, nous explique que cette faible moyenne n’englobe pas les locaux commerciaux familiaux qui ne trouvent pas de repreneurs. Quand les heureux·euses propriétaires ne sont pas d’accord sur la suite à donner (revente du local à un tiers ou préférence familiale), les locaux peuvent rester vides un moment : “Même des villes moins cotées comme Le Port, Saint-Louis, ont de faibles taux de vacances commerciales car la réalité, à La Réunion, c’est peu d’offres pour beaucoup de demandes.” Pour ce qui est du taux d’occupation, donc, ça va. Mais n’oublions pas qu’historiquement, les évolutions des habitudes locales suivent celles de la Métropole, avec quelques années d’écart… Et l’apparition assez récente de zones commerciales à l’extérieur des villes est un phénomène réel. Or, si les centres commerciaux ne sont pas les seuls coupables de la désertification des centres-villes, ils ne leur font pas que du bien. À La Réunion, le premier hypermarché a ouvert en 1987, à Sainte-Clotilde : Carrefour, ex-Continent. “Un événement à l’époque à La Réunion!”, écrivait le JIR. Et comme souvent,

Pour ce qui est des vacances commerciales, pour l’instant, ça va.


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“Le scénario est partout identique : emplacement choisi sur les franges externes de l’agglomération avec empiétement sur les terres agricoles, présence d’un échangeur et d’une voie rapide de circulation, vastes parkings, etc.”

il “faut” rattraper le niveau métropolitain. Le maître de conférences en géographie Jean-Michel Jauze et le docteur en géographie Joël Ninon expliquent que les mutations du commerce de distribution ont modifié le paysage réunionnais : “À partir des années quatre-vingt, le modèle métropolitain [est appliqué aux espaces urbains de l’Île]. Le scénario est partout identique : emplacement choisi sur les franges externes de l’agglomération avec empiétement sur les terres agricoles, présence d’un échangeur et d’une voie rapide de circulation, vastes parkings, etc. Cette grande distribution connaît un essor extraordinaire.” Les comportements sont aussi calqués, “qu’il s’agisse de leur localisation, de leur contenu ou de leur mode de fonctionnement, et leur zone de chalandise dépasse largement les limites communales.” Cela profite, certes, aux riverains. Mais les gens de la ville s’y ruent aussi : 79% des Réunionnais·e·s achètent leurs aliments en grandes surfaces contre 72% en Métropole, selon l’Insee. Et parce qu’ils ont besoin de garder leur clientèle dans leurs bras, les grands distributeurs proposent au chaland bien plus qu’un paquet de pâtes et des rouleaux de papier toilette : une petite animation par-ci, une boulangerie parlà, des terrains de jeux… Aller au centre commercial devient une expérience.

D’ailleurs, les jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans y passent en moyenne deux heures par semaine, pour “faire du shopping, flâner et se détendre.” Ne dites pas qu’on ne vous avait pas prévenus, dans les séries américaines des années quatre-vingt-dix, ils se donnaient tous rendez-vous là-bas. Après tout, faut dire aussi, c’est pratique: c’est ouvert le midi et après le boulot. Christophe, négociateur en transactions immobilières : “Dans un centre commercial, il fait frais, toutes les nouvelles enseignes sont là. C’est quand même plus sympa, quatre-vingts boutiques au Jumbo, qui sont ouvertes en continu.” Il y a même des bancs pour se reposer, parfois un peu de verdure. Cette sensation de ne pas être dans un temple de la consommation est la raison pour laquelle nous aimons les fréquenter, si l’on en croit Emmanuelle Lallement. Citée par Psychologies.com, l’ethnologue constate que l’un des principaux effets de cette “mise en scène” sont “la citadinité et le divertissement […] Les centres commerciaux sont conçus pour la consommation ; mais, pour attirer, il leur faut offrir une promesse de loisirs et de confort.” N’ayez donc pas honte de préférer aller faire vos courses, vos activités, hors des centresvilles : des gens très intelligents ont tout pensé pour vous créer ce besoin. Vous vous êtes juste fait avoir.

NOUVEAU SOUFFLE Des initiatives existent tout de même pour ressusciter des quartiers urbains que nous pensions condamnés, comme le Carré Cathédrale, à Saint-Denis. Rares sont ceux·elles qui s’aventuraient dans les ruelles derrière l’édifice religieux érigé en 1860. Après une période de faste commercial, le quartier a terminé à l’abandon. Et pourtant, aujourd’hui, il est l’un des lieux les plus fréquentés du centre-ville. Une douzaine d’établissements animent le spot et la valeur architecturale des bâtiments a été préservée. La cathédrale étant classée aux Monuments historiques, les rénovations se sont faites à l’identique.


20 / S O C I É T É

“BOBOÏSATION” S’il y a moins de vie en ville, c’est aussi parce qu’on y vit moins, au sens premier du terme : loyers exorbitants, petites surfaces, poussent ainsi les habitant·e·s à s’éloigner en périphérie, repoussant du même coup les populations qui y vivaient encore plus loin. C’est ainsi qu’est née la gentrification, “l’embourgeoisement d’un quartier populaire et urbain avec l’arrivée de classes sociales moyennes et aisées”, comme le décrit Margaux Malsan, auteure du mémoire Étude de l’évolution des modes d’habiter à La Réunion : habiter un quartier en gentrification, le cas de Terre-Sainte, dans le cadre de son master en géographie.

D’après ses recherches, “l’arrivée de nouveaux habitants avec des modes de vie, des conceptions du quartier différentes ont créé un bouleversement social, économique et architectural.” Terre-Sainte n’est plus le village de pêcheurs, ce quartier populaire qu’il était. Depuis les années deux mille, sa valeur immobilière et son attractivité n’ont cessé de croître. Bien que des familles de pêcheurs tentent de le préserver, “ils sentent bien que leur patrimoine leur file entre les doigts.” D’autant que les cases créoles ne sont pas protégées par les règles d’urbanisme. Logements et commerces modernes, locations saisonnières, jouxtent les habitats traditionnels.

“Ils sentent bien que leur patrimoine leur file entre les doigts.”

MOI, MOCHE ET ENVAHISSANT “Tous les dix ans, l’équivalent d’un département français disparaît sous le béton, le bitume , les panneaux et la tôle”, dévoile Télérama dans son article Comment, la France est devenue moche. Comment justement ? En privilégiant certains choix politiques et économiques au détriment des beaux espaces ruraux, grignotés toujours un peu plus. Les centres commerciaux entraînent la construction de bretelles d’accès, d’infrastructures, tandis que des lotissements et des ZAC fleurissent alentour. Et La Réunion n’y échappe pas. Sur les affiches de l’Espace Océan, on peut lire que le projet de redynamisation de Saint-Denis se veut une “véritable alternative aux centres commerciaux”. Si le petit commerce parvient à survivre malgré tout, les élu·e·s ont compris l’importance de redonner du pouvoir aux centres-villes. Mais nombreux sont les projets annoncés qui peinent à voir le jour, cela traîne. Pendant ce temps, les grands distributeurs, eux, ne connaissent pas la crise.


Embrasser l’aventure de l’art Un cycle de rencontres professionnelles autour du mécénat à l’occasion de la venue de Mécènes du sud à La Réunion Parce que la culture et la création contemporaine jouent des rôles essentiels dans l’attractivité d’un territoire, la stimulation de son économie et son rayonnement, le mécénat apparaît comme le rouage incontournable de l’économie de l’art. Au croisement de l’art et de l’entreprise peut se créer un cercle vertueux œuvrant à un développement local plus durable et solidaire, pour une Réunion qui entreprend et innove. SAMEDI 30 MARS | 17H - 20H

Rencontre à destination des artistes auteurs et des associations à La Saga du Rhum, Chemin Frédeline, Saint Pierre.

LUNDI 1ER AVRIL | 9H - 11H30

Rencontre à destination des institutions et acteurs du monde économique et culturel à École Supérieure d’Art de la Réunion, 102 Av. du 20 Décembre 1848, Le Port.

MARDI 2 AVRIL | 7H - 9H30

Engager son entreprise dans le mécénat, petit déjeuner d’information et d’échange, en partenariat avec LIZINE by CBO Territoria et le Cabinet BDO Réunion Mayotte à La Raffinerie, Les Rencontres Alternatives, Savannah, St Paul. Le collectif Mécènes du sud naît en 2003 à Aix-Marseille de la volonté d’entreprises réunies par une vision pour leur territoire. Il les fédère avec la conviction qu’elles sont légitimes pour participer à son attractivité en soutenant la création contemporaine. Fédérer acteurs économiques, institutionnels et culturels du territoire, inciter ses membres à une démarche artistique en interne, développer les liens art & entreprise, sont parmi les facettes de sa www.mecenesdusud.fr personnalité d’éclaireur.

Inscription obligatoire : lekip@lenvol.re


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BULLE

P H O T O S  : G WA E L D E S B O N T – T E X T E  : M A R I E R E N N E T E A U

DU CARACTÈRE Ce matin-là, Carole, architecte, nous a ouvert sa porte. Une belle maison dans l’Ouest, surplombant l’océan. Une bien agréable pause, face à la mer.


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ENTREVUE EXPRESS Comment l’as-tu pensée cette maison  ? “Tout simplement. Comme tous mes autres projets, en tenant compte du contexte, de l’endroit de vie. Ici, une parcelle longue et étroite et une famille que je connais bien, très bien même, puisque c’est la mienne. Avec cette envie que j’avais de travailler chez moi, en séparant bien les deux espaces de vie. Et comme toujours, c’est très pragmatique : des plans simples, avec une économie de construction. Une base simple dans laquelle j’aime juxtaposer des objets, de la décoration que j’ai amassée de manière compulsive, depuis toujours. Cela fait longtemps que tu chines ? J’ai commencé très jeune, d’ailleurs j’ai encore des tas d’objets de cette période-là. C’est comme un réconfort, ces anciennes trouvailles. Des souvenirs de voyage en Afrique, en Asie, à Bali ou encore à Madagascar. J’aime bien quand je sais que je vais pouvoir ramener quelque chose. Et dans ce que je fais, j’essaie toujours de capter le cœur des gens. Quand je démarre un nouveau projet, je prends le temps d’échanger avec eux. Dans mon travail, je n’applique pas par exemple les règles de proportion. Ce qui me caractérise, c’est de juxtaposer tout ce que j’aime. Et il y a un lien très fort, car tout finit par s’accorder, ensemble. Je capte l’essence des choses. C’est vrai que chaque objet ici semble bien à sa place, il y a une harmonie qui se dégage. Moi j’aime les matériaux, le bois, là par exemple, c’est du bois de cryptoméria qui vient de la scierie de Saint-Benoît. Dans la salle de bains et ici, sur la terrasse, c’est une imitation de marbre. Des carreaux de faïence, du béton lissé au sol. Tu as vu dans la cuisine, le miroir sur les tiroirs ? Ça agrandit la pièce. C’est marrant, à cet endroit, tu as les entourages, mais pas les vitres ? Oui, j’ai voulu faire une petite séparation entre le salon et la cuisine. Comme dans une verrière, mais tout en laissant une ouverture, donc pas de vitres.”


24 / S H O P P I N G

E X T E N S I O N G U I N G U E T T E C O U S I N PA U L C A S A S A B A – S A I N T- P I E R R E

CAFÉ BOURBON POINTU LA MAISON DU LAURINA – GRAND-COUDE

L U N E T T E S M A S A H I R O M A R U YA M A E P O N Y M E O P T I K R E A T E U R - S A I N T- D E N I S

BASKETS FRESH FOAM 1080V9 NEW BALANCE R U N N I N G C O N S E I L – S A I N T- P I E R R E

M O N T R E G P S P O L A R VA N TA G E V R U N N I N G C O N S E I L – S A I N T- P I E R R E

H A U T- PA R L E U R B L U E T O O T H S T A N M O R E M A R S H A L L C A S A S A B A – S A I N T- P I E R R E

COUTEAU DE POCHE DEEJO G E O R G E T T E S E L A P È T E – S A I N T- G I L L E S - L E S - B A I N S

PA N TA L O N C H I N O C A R H A R T T L A C E D – S A I N T- D E N I S

SUSPENSION SCREEN MARKET SET G E O R G E T T E S E L A P È T E – S A I N T- G I L L E S - L E S - B A I N S


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B L O U S E B L E U N AV Y L A U R E N C E B R A S S O B O U T I Q U E – S A I N T- D E N I S

BASKETS 997H NEW BALANCE L A C E D – S A I N T- D E N I S

H O U S S E D E C O U S S I N M E S S Y J U N G L E PA R D O N ! PA R D O N ! – D A N S T O U T E L’ Î L E

B O Î T E D E C O N S E R V E B O U T I K L A M O K PA R B O N G O U . R E B U L L E S D ’ O – S A I N T- D E N I S L A T Ê T E D A N S L E S É T O I L E S - S A I N T- G I L L E S - L E S - B A I N S V E R Y Y E S – S A I N T- P I E R R E

L U N E T T E S D E S O L E I L VA C O A M U TA S O L A I R E / L E S O P T I C I E N S M U T UA L I S T E S DA N S T O U T E L’ Î L E

S A C R E PA S I S O T H E R M E M O N B E N T O C A S A S A B A – S A I N T- P I E R R E

P O C H E T T E PA R D O N ! PA R D O N ! – D A N S T O U T E L’ Î L E

TA B L E S B A S S E S A N C E S T O R S E T H N I C R A F T L E 8 0 – S A I N T- D E N I S

POLO DSTRESSED J O R D A N E L O U / M E S S I E U R S - D A M E S – S A I N T- P I E R R E


26 / E X T R A M U R O S

TEXTES : MARIE RENNETEAU

– P H O T O S : PA B L O WAY N E

Peau neuve

Les villes de Saint-Pierre et des Avirons ont respectivement depuis juin et août un nouveau centre de secours. Au même titre que plusieurs communes de l’Île. Lors du conseil d’administration du SDIS du 31 mai, il a été décidé de programmer six nouveaux centres de secours sur le territoire, et ce afin “d’améliorer les conditions de vie et de travail des sapeurs-pompiers et de maintenir la qualité des secours quotidiens en faveur des Réunionnais.” Le résultat, de gros ensembles modernes et fonctionnels qui s’emboîtent, et s’érigent dans un nouvel environnement. Aux Avirons, la caserne surplombe l’océan, on aperçoit la route des Tamarins. Deux blocs sont implantés : le premier est destiné à l’administration ainsi qu’aux parties communes. À l’étage, une salle de sport, de détente et un coin restauration permettent aux pompiers de se retrouver, se reposer, quand le temps l’autorise. Le deuxième


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Impossible de s’y méprendre. Le rouge et les différentes teintes de gris, entre les structures métalliques et le bardage en bois, nous sommes bien face à des casernes de pompiers. Entre Les Avirons et Saint-Pierre, déambulation photographique.

bâtiment, horizontal et perpendiculaire au premier, accueille les engins et les locaux techniques. Quand la sirène retentit, il faut pouvoir accéder rapidement aux camions ou aux autres véhicules. Le centre de secours de Saint-Pierre est implanté quant à lui au-dessus de la Techsud, dans la ZAC océan Indien de Terre-Sainte. Ici, trois corps de bâtiments ont été érigés, avec en prime une tour d’exercice. Entre les différentes casernes, la structuration et l’organisation des constructions se rejoignent. Une logique de casernement pour améliorer les conditions de travail et maximiser l’activité opérationnelle. En 2017, le centre de Saint-Pierre a géré pas moins de 5 651 interventions.


28 / S P O R T

TEXTES : MARIANNE RENOIR

LES SENTIERS POUR LES NUL·LE·S Vous n’avez jamais eu l’occasion de porter vos chaussures de rando, ou vous êtes capables de vous perdre entre le Col des Bœufs et La Nouvelle... Bref, vous êtes une vraie quiche dans ce domaine. BuzBuz vous explique tout, avec l’aide de Bernard Labrosse, référent sentiers de l’Office national des forêts (ONF).

– I L L U S T R AT I O N : F R E D DY L E C L E R C


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LES BASES Pour ceux qui dormaient pendant les consignes de sécurité dites et redites, quelques rappels. D’abord, ne faites pas les malins  : connaissez vos capacités physiques. Ensuite, oubliez les savates deux doigts ou même les chaussures de trail, qui ne protègent pas les chevilles (OK, tout le monde le fait). Préférez les chaussures montantes et de bonnes semelles, non lisses. Prenez de quoi boire, vous protéger du soleil (casquette, crème solaire) et de quoi vous couvrir (coupe-vent, polaire) en cas de froid ou de pluie. “En altitude, on peut connaître le chaud et le froid dans la même journée”, précise Bernard Labrosse. Évidemment, vérifiez la météo : le temps se couvre souvent en début d’après-midi dans les Hauts et le soleil se couche tôt à La Réunion. La saison idéale, c’est l’hiver, de mai à décembre. En saison des pluies, évitez d’emprunter un sentier après un fort épisode pluvieux, notamment dans les remparts. Les éboulements et chutes de pierre y sont fréquents. “Ce sont des lieux superbes mais qui restent très dangereux, partout. Une seule maladresse peut être catastrophique.” Quant à la carte et la boussole, elles ne sont pas utiles sur les sentiers balisés et si vous ne savez pas vous en servir. Allez, finies les lapalissades, on attaque le sérieux.

LES BALISES Des pannonceaux avec “balises directionnelles de randonnée” sont implantés à chaque départ de sentier. Ne les boudez pas. Ils indiquent le lieu-dit, l’altitude, le temps de marche, et donnent les directions possibles. Lire des flèches, c’est dans les cordes de tout le monde.Il existe trois types de balisage. Les marques rouges et blanches représentent les Grandes randonnées (GR), “une offre de promenade sur plusieurs jours”. Il s’agit d’un label attribué par la Fédération française de randonnée pédestre. Pour l’obtenir, trois critères doivent être remplis : la maîtrise du foncier, la garantie de l’entretien du sentier, ainsi que l’hébergement et la restauration possibles à chaque étape. Trois circuits locaux ont le label. Le GR R1, qui fait le tour du Piton-des-Neiges au départ d’Hell-Bourg et passe par les trois cirques, vient d’ailleurs d’être élu “GR préféré des Français·e·s 2019”. Les balises jaunes sont un autre label de la fédé pour des sentiers “Promenade et randonnée” (PR). Les critères sont les mêmes, si ce n’est que ces sentiers se parcourent en une journée maximum, sans hébergement. Nous en comptons une sélection de vingt-cinq. Enfin, le balisage blanc indique qu’il s’agit d’un sentier ONF. Des panneaux de départs de randonnée sont aussi en train d’être installés sur tous les parkings à proximité. Carte des lieux, sélection de trois randos, description, difficulté, intérêt touristique, tout y est.

LES PLUS FRÉQUENTÉS E N 2017, PLU S D’U N M IL L IO N Q U AT RE C E N T M IL L E PA SSA G E S DE PIÉ T O N ·N E ·S O N T É T É RE C E N S É S SU R LE S T R E N T E PO IN T S É Q U IPÉ S D’U N É C O -C O M PT E U R.

LE S SE N TIE RS L E S PL U S F O U L É S É TA N T :

1 L’accès au volcan : 231 000 passages 2 L’entrée à Mafate par le Col des Bœufs :175 000 3 Le sentier de la Providence : 122 000 4 L’accès à Grand-Bassin : 110 000 5 L’accès au Trou-de-Fer (forêt de Bélouve) : 79 000 Le Piton-des-Neiges arrive en septième position tandis que le petit dernier, le sentier des Citernes à Saint-Rose, n’a connu que cinq cents passages en 2017. Sur une année, environ 75% de la fréquentation est locale.

LE TEMPS DE MARCHE Les randonnées ne se calculent plus en kilomètres mais en temps de marche. On estime qu’un·e marcheur·euse lambda se déplace à 4 km/h en moyenne sur du plat, à 300 m/h en montée et à 400 m/h en descente. Les pauses casse-croûte et séances photo ne sont pas prises en compte.

LE DÉNIVELÉ Ah, le fameux dénivelé ! Qu’est-ce qu’il peut bien vouloir dire ? Et bien, c’est tout simplement la différence d’altitude entre un point et un autre. Aussi important que le temps de marche, il donne une idée de la difficulté. Jusqu’à mille mètres de dénivelé, ça va encore, nous explique le référent sentiers. Audelà, vous allez le sentir passer.

COMBIEN DE SENTIERS DANS L’ÎLE ? On ne parle pas en nombre de sentiers, chacun pouvant se diviser en plusieurs itinéraires, mais en kilomètres de sentiers, soit la “distance de la totalité des chemins qui parcourent les montagnes réunionnaises”. L’ONF gère mille kilomètres, pour la plupart dans les Hauts, mais estime qu’il y aurait deux mille cinq cents kilomètres de sentiers, si ce n’est plus, dans l’Île.

PEU DE PETITS NOUVEAUX Il est rare que de nouveaux sentiers soient ouverts. L’un des plus récents date de 2014, une création de l’ONF entre La Redoute et La Montagne, à la demande d’une association d’habitant·e·s. La décision tient compte de trois critères : le foncier (qui est le·la propriétaire des lieux ?), la valeur du patrimoine forestier et le financement. Sur ce point, 25% sont alloués par le Département et 75% par l’Europe. Le Département assume en revanche intégralement l’entretien, d’un coût de deux millions d’euros en 2018. Les travaux tels que l’installation des passerelles de Mafate ou la purge d’une falaise sont généralement assurés par des entreprises acrobatiques. Comme sur la route du Littoral mais à moindre échelle : purge, suppression des risques et reconstruction. En cas de danger, de risque d’éboulement par exemple, l’ONF prend la décision technique de la fermeture d’un sentier. Ensuite, un arrêté est pris par le préfet, “une tradition locale”. En Métropole, ce sont les maires.


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M O I S D E FA I T S D I V ’

TEXTES : LOÏC CHAUX

– I L L U S T R AT I O N S : F R E D DY L E C L E R C

BIDON DE LESSIVE, PARPAINGS ET LANGOUSTES Parce que les pages "Faits divers" du Jir et du Quotidien, c’est aussi prendre des nouvelles de La Réunion, voici un rappel de ce que vous auriez raté ces deux derniers mois.

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DÉCEMBRE AU

AU  DÉCEMBRE

Sur un rond-point à Saint-Gilles, un monsieur fait pschitt-pschitt avec une bombe insecticide sur un autre portant un gilet jaune et qui ne lui avait pourtant rien demandé. Au Port, gendarmes et manifestants se mettent sur la figure, galets contre lacrymos. À Saint-Pierre, on peut se garer gratos : une trentaine d’horodateurs ont été vandalisés. Au palais de justice, une victime de vol croit reconnaître son voleur, et après quelques insultes, le second finit par menacer le premier avec un couteau en lui courant après (on vous la fait courte, en vrai, c’est plus compliqué). Précision : ils sont cousins. Y’a pas que les p’tits : un ancien maire de Saint-Paul est condamné pour avoir filé la métaphore mafieuse en parlant du préfet sur Facebook.

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JANVIER

À Saint-Gilles, des jeunes gens de quatorze ans sont retrouvés bourrés dans une Mehari volée et impliquée dans un accident. C’est la grosse affaire du réveillon : dans l’Est, des participants à un dîner-dansant n’ont pas eu assez de langoustes. Ça vire presque au pugilat, certains ayant peur de manquer, se disant “affamés”. Drame de la nouvelle réglementation sur les feux d’artifice : pour illuminer les fêtes malgré tout, un Bénédictin tente d’immoler sa femme par le feu, un tonton fait pareil avec son neveu. On pourrait quand même remarquer au moins le panache : un voleur parvient à voler une moto au sein de la caserne de La Redoute. Ça ne marche que dans les BD : une Saint-Pierroise essaie de s’échapper de chez elle pour fuir son mari violent en passant par la fenêtre à l’aide de draps noués. Le monsieur qui a fait des vidéos un peu bizarres avec un couteau en menaçant certains “Gilets jaunes” prend finalement un an de prison.

AU DÉCEMBRE

Un après-midi, deux jeunes gens ayant un peu picolé, décident de poser des barrières sur la Nationale, devant la Préfecture. À Gillot, un Réunionnais rentre de vacances avec vingt kilos de hash dans les bidons de lessive. On imagine la scène au départ : “Euh, t’es sûr qu’ils vont pas se demander pourquoi j’ai ramené autant de lessive ?” “T’es Réunionnais ? T’as qu’à dire que ta mère aime bien la Soupline.” Dans la mer, une soixantaine de Sri-Lankais a tenté de rejoindre La Réunion. Pour finir en centre de rétention. Bienvenue à La Réunion ! Un monsieur est condamné à de la prison pour avoir jeté un parpaing sur un pare-brise lors d’une manif’ à l’Hôtel de Région. Heureusement, Car Glass’ remplace.

17 23 AU  DÉCEMBRE

Dans une grande surface, une jeune fille se fait attraper avec plus de quatre mille euros de portables dans la poussette. Il y avait un enfant, aussi, dans la poussette, mais ça, c’est légal. Tiens, ça faisait longtemps : une mairie, dans le Sud, est perquisitionnée, la directrice du cabinet est mise en garde à vue. La gendarmerie se demande comment elle a réussi à acheter un terrain si peu cher. Mieux encore : une commune des Hauts se fait condamner à des amendes, avec son maire, pour avoir viré des agents parce qu’ils étaient des opposants politiques.

7 13

14  20

AU JANVIER

Devant le tribunal, un monsieur explique qu’il a “commencé à boire à six ans, quand j’ai confondu une bouteille de whisky avec une bouteille de jus dans le frigo.” Les esthètes s’étrangleront devant cette hérésie de conserver le whisky dans un frigo. À Saint-Denis, une mère apprend qu’à la crèche, son fils a été bâillonné et attaché à une chaise avec du ruban adhésif. La grande bouffe : dans le Sud, des royal bourbons tuent une centaine de poules. Un cambrioleur se fait attraper le lendemain avec des Rolex volées qu’il essayait de vendre à cinquante euros l’unité.

AU   JANVIER

Un jeune homme va à la gendarmerie pour demander de l’envoyer en prison. Devant le refus des forces de l’ordre, il part voler un chocolat et une pile plate. À Saint-Denis, une dépendance du palais Rontaunay part en fumée, apparemment à cause des petits jeunes qui avaient mis le feu à une poubelle. Oups.

21  27 AU   JANVIER

24 30 AU  DÉCEMBRE

Au lendemain de Noël, sept nouvelles personnes arrivent en provenance du SriLanka, par bateau. Ils ont passé le réveillon en mer, on espère qu’ils ont réussi à attraper plus de langoustes qu’au Carrefour du Chaudron. Un détenu en permission pour Noël tire sur une vieille connaissance avec une carabine à plombs, croyant qu’il faisait partie des gens qui l’avaient agressé la veille. Il décide finalement lui-même de retourner plus tôt en prison. Sage décision.

Dans les environs du volcan, même plus besoin d’éruption pour tout cramer : un incendie ravage le Grand-Brûlé. À Saint-Denis, une famille est condamnée à du sursis pour avoir organisé des méchouis au black pendant cinq ans. À Saint-Benoît, deux cambrioleurs nocturnes ayant déclenché l’alarme de la gare routière sont retrouvés par la police dans les toilettes publiques. Quand faut y aller… Sinon, y a le bon et le mauvais chasseur. Le mauvais chasseur, il voit un truc qui bouge, il tire. Le bon chasseur, il est dans l’Est, il a un calibre 22 avec silencieux et lunette, et il tire sur des cerfs sans forcément avoir de permis. Un pharmacien est puni par le Conseil de l’ordre pour avoir organisé une fraude à la sécu. Si ça se trouve, le trou, c’est nous.


MICRO-PORTRAITS

R E C C U E I L L I PA R M A R I E R E N N E T E A U E T P H O T O G R A P H I É PA R S A M U E L M A L K A

18H06 SAINT-LOUIS

2/ Angélique possède une boutique de fruits et légumes. Cela fait très longtemps que le magasin existe. À côté des fleurs coupées qui sont à vendre, il y a de grandes cages avec plein d’oiseaux. Mais eux ne sont pas à vendre.

1/ Rahim vit en colocation sur Saint-Louis. La vie en coloc’ c’est cool, surtout avec ces gars-là. Aujourd’hui, c’était la rentrée. Première année de STAPS, les partiels auront lieu vendredi et samedi prochains, reportés à cause des “Gilets jaunes”. Rahim veut devenir entraîneur de basket et prof de sport.

3/ David a vingt-six ans, il travaille depuis deux ans dans ce magasin de chaussures de sport. Il a commencé par un stage, pour être aujourd’hui responsable adjoint du magasin. Il a gravi les échelons petit à petit. Il aime bien faire du foot, s’entraîne et joue en club. Comme une évidence, il supporte le PSG.

4/ Moussa a dix-huit ans. En parallèle de ses études, il est coach d’athlétisme et licencié. Les entraînements, c’est idéalement trois fois par semaine. Son objectif : faire le plus de compétitions possibles pour acquérir plein d’expérience et ainsi devenir un meilleur entraîneur. BPJEPS peut-être ensuite plutôt que de continuer STAPS, car Moussa a besoin d’être dans l’action, d’avancer, vite. 5/ Davy a dix-huit ans, il est en bac pro électrotechnique. Il voudrait poursuivre sur le BTS, le master et aussi avoir son permis. Il part en Allemagne cette année en voyage scolaire. Il possède cinq adresses e-mails, entre les jeux vidéos en ligne, les spams, c’est plus pratique.

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