Ardennes Alpes
#208 / 2ème trimestre 2021
En cas de difficulté urgente, comme une avalanche ou une chute de pierres, on n’a pas le temps de réfléchir. Les réflexes doivent donc être conditionnés par un apprentissage préalable. Ainsi, dans une avalanche, tentez de vous remettre en boule chaque fois que c’est possible, et si la neige est poudreuse, mettez-vous en apnée et protégez votre nez et votre bouche avec vos mains. Lors de l’arrêt, tâchez de ménager si possible un volume d’air autour du visage.
Sous une chute de pierres, le premier réflexe est de protéger son crâne avec les mains, mais elles sont presque aussi vitales que notre tête ! Collez-vous à la paroi sans regarder vers le haut car vous n’avez pas le temps de réagir consciemment. Avec le temps, les réflexes peuvent même anticiper l’évènement. Cela paraît incroyable mais il m’est arrivé, par exemple, de sentir devoir me déplacer d’un mètre au relais, juste avant l’impact d’une pierre à l’emplacement que je venais de quitter. TEXTE DE JEAN BOURGEOIS MIS EN IMAGE PAR AUDREY CAUCHIE
BLOQUE TON AGENDA ! Le samedi 25 septembre aura lieu la 3ème édition du CABaret, le Woodstock de l'épicentre de l'univers à Freyr ! Tu souhaites participer, apporter tes idées, ton aide, organiser un atelier, un concert, etc. ? Contacte-moi : marie@clubalpin.be
édito Jean Bourgeois tourne une page de sa vie, tout en nuances et en subtilité. À 95 ans, Paul De Genst nous dresse le bilan de ses nombreuses années de pratique des sports de montagne et en tire quelques réflexions personnelles. Dominique Snyers, quant à lui, joue à merveille son rôle de « passeur »… Jean, Paul et Dom, chacun à leur manière, font le lien entre passé et présent. Que de chemins parcourus ! Et que d’horizons à découvrir encore pour Sean Villanueva, Sven Lempereur et autres alpinistes, grimpeurs et randonneurs ! Pour la première fois de l’histoire de notre Fédération, notre Assemblée générale s’est tenue à distance. Une expérience particulière, malheureusement peu propice aux échanges. Plusieurs administrateurs n’ont pas souhaité se représenter pour un nouveau mandat : Eric Berthe, Florian Delcoigne, André Lamberty et Fabienne Leruitte. Je tiens à les remercier ici pour tout ce qu’ils ont apporté au Conseil d’administration et à notre Fédération, chacun dans leur domaine. Je profite de l’occasion pour remercier également tous les membres du Conseil d’administration, qui s’impliquent de façon soutenue pour le meilleur développement de notre
Olivier
Herter
© 201 9
Fédération. Les contacts n’ont pas été simples cette année, pratiquement toutes les réunions s’étant tenues à distance par visio-conférence. Peut-être un peu de découragement de la part de certains administrateurs face aux réunions virtuelles, mais ces périodes difficiles semblent derrière nous maintenant. Côté pandémie, l’étau des mesures sanitaires se desserre peu à peu et nous permet de retrouver plus de liberté. Profitez-en pendant ces mois d’été, mais restez prudents ! Vous l’aurez compris en lisant plusieurs des articles de ce numéro, la préparation d’une activité est une étape à ne pas négliger. Alors, bien préparés, allez donc prendre l’air dans la nature et la montagne cet été ! Une idée de sortie ? Le Belgium Highline Festival, premier festival de highline en Belgique, sera organisé par BeSlack en partenariat avec le CAB du 27 juillet au 1er août à Waimes (plus d’infos : beslack.be). Et, même si cela devient banal de le dire, prenez bien soin de vous et des autres !
DIDIER MARCHAL Président du CAB
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LA CHALTENENSE
DOSSIER
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De Freyr à la Montagne
« Si je dois grimper une montagne pour gagner ton amour je le ferai ! » Les paroles sortaient des enceintes attachées à l’extérieure du sac à dos de Jon. On marchait à pas rapides à travers la forêt patagonienne vers le Fitz Roy..
D’hier à aujourd’hui PAGE 5 22
LEÇON D’EN HAUT PAGE 15
Patrick frappa ses gants l’un contre l’autre. « Dom, je vais tenter une sortie pour évaluer la situation dehors », me dit-il en se dirigeant vers l’ouverture. À l’instant même où il perça la neige de son poing, une rafale de vent secoua les murs de la grotte. L’ouverture par laquelle il sortit se reboucha presque instantanément..
Sommaire DOSSIER : De Freyr à la Montagne 5 Galaxy 7 La Chaltenense 15 Leçons d’en haut 20 L’imagination le permet aussi…
L’IMAGINATION LE PERMET AUSSI…
22 Mon testament
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Le vieil homme vient de gravir lentement le sentier escarpé qui mène au départ de la voie normale de l’« Al Lègne ». Il sait que cette ascension sera la dernière de sa vie.
SANS BOUSSOLE NI GPS
24 Géologie des rochers de Freyr 27 La traversée des Drus 29 De Briançon aux aiguilles de Chamonix 31
Fiche expédition
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La Dibona (3 130 m)
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Un petit bout d’été dans l’Ubaye
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Sans boussole ni GPS
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Certes, observer pour s’orienter demande d’abord un effort intellectuel non négligeable. Avec la pratique, le raisonnement s’accélère jusqu’à devenir un instinct..
42 Les tiques 44 À la recherche des coins perdus 48 Le vert à soi…
DOSSIER DE FREYR À LA MONTAGNE
John Janssens © 2021
Galaxy
Un enchainement difficile, au-delà de la difficulté physique SVEN LEMPEREUR Me voilà au bac final de la voie la plus dure de Freyr, il ne me reste que quelques mouvements relativement faciles pour réaliser ce rêve de gosse. J’en ai déjà les larmes aux yeux. Mais parfois le destin s’acharne sur nous et, en une fraction de seconde, le démon de cette falaise et mon démon personnel me rappellent à l’ordre et me voilà redescendu en bas sans avoir validé la croix.
Vient alors une rage énorme de ne pas avoir pu concrétiser, une fois de plus. Une bagarre interne démarre alors, avec comme seule envie : vaincre ce démon et enfin concrétiser, avec comme terrain de jeu Galaxy et juge arbitre le dieu de Freyr. La bagarre entre le trou noir et les étoiles pouvait commencer !
Cette voie se situe dans le haut de l’Al Lègne, elle commence au départ de la vire des bêtes, ce qui donne déjà un peu d’ambiance et de charme à cette voie car, de cette plateforme, on a une vue splendide. Elle a été ouverte par Arnould t’Kint et a été enchaînée pour la première fois par Kevin Lopata en 2012. Depuis lors, elle n’a connu que deux ascensions, celles de Sébastien Berthe, la machine locale, et de David Leduc, le maître des lieux. J’ai mis pour la première fois les mains dans cette voie il y a maintenant plus de 4 ans. À ce moment-là, j’avais tout juste le niveau de faire les mouvements un par un, sauf le dernier qui restait un mystère pour moi. Pourtant, j’ai tout de suite adoré la pureté de cette voie, car il y a juste les prises nécessaires et autour, le mur est complètement lisse. Les années suivantes j’ai fait environ une séance par an, mais ce dernier jeté final me rebutait, car je ne trouvais pas de solution pour ma petite taille. Lors de ce début d’année, je me suis fixé pour objectif de faire toutes les voies au-dessus de 8C en Belgique dans les une ou deux années à venir.
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John Janssens © 2021
Lors de ce début d’année, je me suis fixé pour objectif de faire toutes les voies au-dessus de 8C en Belgique dans les une ou deux années à venir.
Sven Lempereur, l’effet Galaxie 8C+ – Freyr Page précédente : Sven Lempereur par John Janssens dans Razorblate 8C+ – Freyr
Quelques mois s’écoulent. Je suis de retour au pied de cette magnifique face et décide d’aller voir ce jeté depuis le haut, pour tenter de trouver une solution pour le rendre le moins aléatoire possible. En 10 minutes, je cale une méthode, je trouve aussi un genou juste avant la section compliquée qui me permet de me reposer avant d’attaquer celle-ci. Toutes les pièces du puzzle sont maintenant réunies, il ne reste plus qu’à les assembler. Je décide donc ce jour-là de mettre mon premier vrai run, sans aucune attente particulière. Le début de voie, qui se compose de gros mouvements sur des bi taillés, se passe à la perfection. Je me repose avant la section finale. Le vent se lève, les potes sont en bas et m’encouragent, tout est réuni pour un run parfait. Je passe la section compliquée et j’arrive à ce jeté final vraiment épuisé. Mais comme par magie je tiens ce bac final ! Malheureusement, ne pensant pas enchainer ce jour-là, je n’ai pas réessayé la fin très facile. Je me précipite un peu trop, prends un bac rempli de terre et une fraction de seconde plus tard, je me retrouve pendu à la corde. L’échec est dur à digérer, car je sais que la météo va devenir chaude et qu’avec les examens, je ne pourrai pas revenir cette saison pour enchaîner.
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Une lueur d’espoir apparaît ce weekend du premier mai. La météo annonce une journée parfaite pour ce lundi. Après une montée de chauffe, j’enfile ma genouillère et je pars dans la voie. La pression est forte, car je sais que je n’aurai plus mille occasions comme celle-là cette saison. Fort de ma confiance en falaise du moment, j’avale tout le début, je me repose au genou et je pars dans la section finale. Tout me semble facile, et me voilà pendu au bac du jeté. Je sais ce qu’il faut faire maintenant et je clippe le relais de cette voie mythique de Freyr.
SVEN LEMPEREUR
Merci à Seeonee et mon coach, Antoine kauffman qui me soutiennent depuis longtemps.
DOSSIER DE FREYR À LA MONTAGNE
Rolo Garibot ti © 2021
La Chaltenense Fissure carnivore sur la face sud du Fitz Roy SEAN VILLANUEVA « Si je dois grimper une montagne pour gagner ton amour je le ferai ! » Les paroles sortaient des enceintes attachées à l’extérieure du sac à dos de Jon. On marchait à pas rapides à travers la forêt patagonienne vers le Fitz Roy. Derrière moi, il avait mon ami argentin Horacio Gratton, qui semblait avoir du mal à suivre. Il pleuvinait, sur notre droite un incroyable arc-en-ciel s’était formé au-dessus des séracs du glacier Piedras Blancas. « International love ? C’est quoi cette chanson ? » je me demandais, « Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire “International Love” ? Ça n’a pas de sens ! »
Portrait Sean Photo
Jon Griffin est un Américain, un gringo, l’autre grimpeur étranger, qui comme moi est resté à El Chalten depuis l’année passée à cause de la pandémie. Il porte une moustache de camionneur à la Jim Bridwell et les Chalteniens le connaissent sous le nom de « El Hippie ». Je ne sais pas s’il porte ce surnom à cause de certaines possibles substances, de son attitude relâchée, de ses t-shirts colorés psychédéliques ou de la musique qui sort de ses haut-parleurs partout où il va. Un an auparavant, accroché au pied de Cerro Standhart, pendant qu’on changeait notre costume d’approche sur glacier pour une tenue de guerrier sur rocher, j’avais dit à Nico : « J’entends de la musique ! ». Il y avait cette lueur rouge magique du lever de soleil sur le glacier et ce silence rare, l’absence de vent, qui te rappelle « Quand la météo est bonne en Patagonie, c’est que le mauvais temps arrive ! ». « De la musique ? » m’avait répondu Nico. On regardait avec incrédulité pendant qu’une cordée de trois apparaissait sur le glacier avec de la musique reggae qui se répercutait. Ca nous semblait tellement irréel. J’ai du mal à comprendre les page 7
gens qui font les marches d’approche en écoutant de la musique même avec des oreillettes. Ça m’éloignerait de l’expérience de la montagne, mais pour certains, il semble que ça intensifie leur expérience. À chacun son truc. « C’est les Ricains », j’avais dit à Nico. Il n’y avait aucun doute, c’était les haut-parleurs de Jon. On a lâché quelques cris de singes, le fameux « monkey call », la manière de saluer qui a été popularisée entre grimpeurs au Yosemite. Ils se sont arrêtés sur le glacier, ils nous ont regardés, ont répondu à l’appel et ont disparu vers l’horizon avec leur musique. Pendant l’hiver, j’avais fait quelques sorties cascades de glace et ski de rando avec « El Hippie ». À chaque fois, il avait ses haut-parleurs avec du reggae qui boostait. Pendant qu’on préparait nos sacs pour cette aventure, j’avais hésité à essayer de le convaincre de ne pas prendre le surplus de poids non-nécessaire de ses enceintes, mais j’ai vu l’excitation dans ses yeux quand il m’expliquait qu’il allait prendre des batteries de rechange en plus et je me suis dit que ses speakers pour lui, ce devait être comme ma flute Irlandaise pour moi : non-négociable ! Certaines choses sont plus importantes que d’être « efficace », léger et stratégique. Heureusement qu’il avait un goût musical que je pouvais apprécier.
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vous grimperiez que dans les dévers toute l’année et qu’une ou deux fois par an vous essayiez une dalle, vous ne seriez probablement pas hyper efficace en dalle, non ? Les off-width demandent des techniques encore bien plus différentes. C’est comme le français, l’espagnol et le chinois si tu veux. Personnellement je ne grimpe des off-width que quelques fois par an, j’ai quelques paroles, j’arrive à dire « Bonjour, merci, voulez-vous coucher avec moi ? », mais ne vous trompez pas : je suis un étudiant. J’adore le défi qu’ils offrent, la sensation d’être à nouveau débutant, ils offrent un bon combat physique, un solide challenge de détermination et le défi intellectuel du déchiffrage. En gros, il s’agit de remplir un espace entre deux bouts de caillou en coinçant des morceaux de votre corps. Qui dit coincement dit repos. La difficulté consiste plutôt à trouver la méthode de coincement et ensuite à bouger de repos à repos. Ce n’est pas dans les avant-bras qu’on risque d’accumuler l’acide lactique, mais plutôt dans des muscles qu’on n’a jamais senti auparavant ou bien dans le corps entier.
En gros, il s’agit de remplir un espace entre deux bouts de caillou en coinçant des morceaux de votre corps
Cela faisait quelques années que je lorgnais cette « ligne royale ! ». En grimpant sur le Poincenot il y a quelques années, elle m’a frappé dans la gueule comme une hache. Sur la face Sud du Fitz Roy, il y a un énorme médaillon de granite compact qui est coupé du bas jusqu’en haut par une fissure rectiligne percutante. « Comment est-il possible qu’elle n’ait pas encore été grimpée ? » La réponse se trouvait dans sa largeur. Si elle était visible à cette distance, c’est que ce n’était pas une fissure à doigts, ni à main. C’était une fissure large, un « off-width », plus large qu’un poing, qui demande un langage pas toujours aussi apprécié par tout le monde et redouté par beaucoup. Elle était tellement parallèle, sans irrégularités que trouver des protections et emplacements de relais risquait d’être difficile. Impossible d’estimer la largeur exacte. Si c’était un « squeeze » ou une cheminée, l’escalade pouvait être facile, mais sans protections, si c’était la taille de doubles poings, la grimpe risquait d’être un combat féroce. J’espérais la seconde option. Cela augmenterait encore plus la beauté de la ligne.
On pourrait croire que je n’avais pas un grand choix de partenaires à El Chalten, parce que j’étais resté « coincé » seul à cause de la pandémie, sans mes complices habituels. Quelques semaines auparavant, j’avais réalisé la première traversée du massif de Fitz Roy en solitaire. Ce n’était pas par manque de partenaires que j’y avais été seul, c’était par ce que c’était ça l’expérience que je voulais. Comme quand tu vas te promener un moment dans une forêt ou une prairie, seul, j’avais eu envie d’aller sentir l’odeur des fleurs. Parfois, c’est plus facile là-haut, d’ouvrir la porte et sentir l’odeur des fleurs, que tranquillement en bas dans un champ.
Grimper un « off-width », c’est comme parler chinois : si tu ne connais aucun mot, c’est difficile de participer à une conversation. Imaginez que
Pendant mon année à El Chalten, j’ai été accueilli avec une abondante chaleur par la communauté locale. Leur générosité et leur bonté d’esprit sont
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sans limites. À chaque séance de bloc, d’escalade sportive ou soirée « asado » je me faisais inonder par leur bonne énergie. Le nombre de gens qui m’ont dit : « Sean, si tu as besoin de quelque chose n’hésite pas ! » C’est la culture du maté : ils partagent tout. Quand quelqu’un prend une pomme à la falaise, il va te proposer un morceau. Parfois il va même insister, juste pour être sûr que tu ne refuses pas par politesse.
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Le problème était plutôt l’inverse : il y avait beaucoup d’entre eux avec qui j’aurais aimé partager une aventure en montagne, mais on ne peut pas tout faire, il n’y a pas assez de fenêtres météo. L’appel de cette « ligne-royale » sur la face sud du Fitz était fort et, pour une ligne de ce calibre, il valait mieux choisir des partenaires qui parlaient un petit mot de chinois, sinon ils risqueraient d’être complètement en dehors de leur élément. « El Hippie », le seul autre grimpeur/alpiniste étranger qui comme moi était resté toute l’année à El Chalten, a passé beaucoup de temps au Yosemite et à Indian Creek, il connaissait certainement quelques paroles en langue off-width. Peut-être en avait-il assez pour écrire de la poésie ?
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Quand à Gratton, non seulement il a le meilleur nom pour un grimpeur, mais c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup et ça faisait un moment qu’il me harcelait pour faire un truc ensemble en montagne. Sur les blocs d’El Chalten, c’est un des plus puissants, il est capable de tirer sur les prises avec le meilleur bloqueur au monde. Mais pendant la marche d’approche, il ne se sentait pas bien et, arrivé à Paso Supérieure, il a insisté : « Il vaut mieux que vous continuiez sans moi. » On avait prévu de continuer jusqu’à « La Brecha de Los Italianos », le col au pied du monstre Fitz, mais Jon et moi nous étions prêts à nous arrêter
Puis je me suis concentré un instant sur la sensation de l’air qui entrait et sortait de mes narines, j’ai absorbé pleinement la magie de ces vibrations et j’ai chargé le dragon en full force. plus tôt et à retarder l’ascension d’une journée. « Peut-être que tu te sentirais mieux après une bonne nuit ? » « Il est encore tôt, ça n’a pas de sens de s’arrêter ici, ce n’est pas stratégique, vous risquez de compromettre l’ascension et si demain vous échouez à cause de moi, vous allez le regretter. » Il n’était pas sur la même longueur d’onde que Jon et moi. « Peu importe ! » lui répond Jon, « La seule raison pour laquelle je monte en montagne, c’est pour fumer mon joint en regardant la vue ! Pour moi cette sortie est déjà une réussite ! » Je rajoute : « Et moi si je peux jouer une petite mélodie sur ma flute, noyé dans ce paysage, je suis content ! » Il y a des choses plus importantes que de réussir une ascension. Au moment où on est sortis d’El Chalten, on faisait équipe, tant qu’il y avait encore la possibilité de partager des bons moments ensemble, ça valait le coup.
Mais Gratton a passé la nuit avec fièvre et vomissement et, au petit matin, il a décidé de descendre : « Désolé les gars, je sais que je perds une énorme opportunité, mais au moins j’ai participé en portant du matos jusqu’ici. Bonne chance à vous. » Quelques heures plus tard, Jon et moi étions à « La Brecha de los Italianos ». La rimaye avait été bien verticale, j’étais content d’avoir eu la bonne idée de prendre deux piolets techniques. On a monté la tente et, comme la veille, on a passé le reste de la journée à se reposer, boire des soupes, jouer et écouter de la musique. Oui, on aurait pu continuer et s’attaquer à la paroi verticale de 500 m, mais il valait mieux avoir une journée entière et être le plus reposé possible. Cela nous permettrait aussi de laisser la plupart du matériel de bivouac et de continuer plus légers. Ces moments de détente complète en montagne sont vraiment magiques, c’est un privilège qu’on se permet rarement en vallée. En bas il y toujours autre chose à faire. Apparemment l’alpiniste polonais légendaire Voytek Kurtyka, à un certain moment, a arrêté de garder une liste des sommets sur lesquels il passait et il a commencé plutôt à noter ses bivouacs. Car plus de bivouacs voulait dire plus de temps passé en montagne. Face sud, face glacée : pas de rayons, car en Patagonie le soleil fait sa balade journalière par le Nord. Néanmoins, au lever du jour, nous sommes surpris d’être accueillis par une maigre heure de rayons qui nous réchauffe cœur et esprit, facilitant notre embarquement dans cette mer de granite.
Il y a des choses plus importantes que de réussir une ascension. Deux semaines et demie depuis ma fameuse « Moonwalk », la traversée du massif en six jours. Est-ce que j’avais récupéré ? J’allais seulement vraiment le savoir au moment où je touchais le rocher. La sensation était bonne, mais il n’y avait pas cette magie où chaque prise de pied, chaque mouvement était parfait. Quelque chose ne tournait pas tout à fait rond. Peut-être avais-je besoin d’un petit moment pour chauffer le moteur.
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Mais c’était exactement ce que j’avais demandé ! Je n’allais quand même pas me plaindre d’un rêve sublime ! C’était magnifique !
ge : Vecteezy.c Ima om
Jon se prépare pour la deuxième longueur : tous les friends minutieusement rangés sur le porte matos, les haut-parleurs pendus à côté du numéro 4. Juste avant de démarrer, il se retourne, appuie sur le bouton « play », me tend un poing, une détonation d’énergie universelle s’est produite au moment où nos deux poings se sont touchés, puis sans dire un mot il commence à grimper avec la musique à fond ! J’ai secoué la tête avec incrédulité en souriant devant cette scène hallucinante. Les deux premières longueurs sont les mêmes que la voie « Colorado ». Ensuite la Colorado bifurque à droite, là où nous allons tout droit dans la fissure évidente. La recherche de l’itinéraire ne faisait pas parties des difficultés !
Il y a une playlist attachée au topo de notre ascension. Certaines de ces chansons ont été diffusées par ses baffles. D’autres sont celles que j’ai chantées pendant cette ascension ou qui résonnaient dans ma tête. Je vous laisse deviner lesquelles… Les chansons de La Chaltenense (42 à 48) sont ajoutées à la playlist collaborative du CAB « CABaret Best motivation vibes ». Toi aussi partage le son qui t’envoie en l’air et t’envoie balader ! Disponible via : https://miniurl.be/r-3qsv
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Après une longueur de 60 m de doubles poings, mon corps était déjà fracassé. Jon m’a rejoint comme il pouvait. « Je suis vidé » me dit Jon, « Je pense qu’il vaut mieux que tu continues, sinon on va perdre beaucoup de temps. » Des mots qui me sonnent comme de la musique dans les oreilles. J’adore le bout tranchant de la corde ! Ce damné talon glissait, désespéré je cherchais une manière de coincer pour reprendre mon souffle. Peu importe : un genou, une jambe, un bras, la poitrine, un double poing, un poingmain… Je perdais les quelques centimètres de terrain si précieux. Mes poumons criaient, mon genou droit était broyé. J’étais dans la gueule du monstre et il faisait tout pour me recracher. Le camelot numéro 6 qui gigotait, branlant, était ma seule protection sur 30 m. La situation était sérieuse. « Nous aimons tous le reggae ! » dynamitait de ces fichus haut-parleurs ! Je pouvais condamner cette fanfare, rester indifférent, ou je pouvais en profiter, mais le choix était le mien ! J’ai souri en admirant cette situation absurde. Puis je me suis concentré un instant sur la sensation de l’air qui entrait et sortait de mes narines, j’ai absorbé pleinement la magie de ces vibrations et j’ai chargé le dragon en full force. L’escalade était impitoyable : plus de 350 m d’offwidth rusée soutenue, sans aucune vire. Tous les relais suspendus. Le numéro 6 était la seule protection qui correspondait à la largeur de la fissure. On en avait deux. Je grimpais en les remontant et dès que je trouvais un endroit où je pouvais mettre autre chose, une fissure, une écaille, je faisais un relais. Si non je risquais de me retrouver en bout de corde sans possibilités. C’était impressionnant de voir la corde penduler librement sur 30-40 m entre deux relais, sans passer dans une protection. « Je ne sais pas si on te l’a déjà dit, mais tu es très courageux. » me dis « El hippie ». Je ne le prends pas personnellement, ce ne sont que des mots. Parfois le relais consistait en un numéro 5 et un numéro 6 triangulés, cela me laissait avec un seul numéro 6 pour la prochaine longueur. Il faisait froid ! Certaines longueurs m’exigent plus d’une heure de lutte. Jon montait en second rapidement, parfois comme il pouvait, parfois en remontant sur la corde, mais il faisait en sorte d’être rapide. En redémarrant j’étais à chaque fois frigorifié et j’avais besoin de quelques mètres pour réchauffer le moteur et arrêter de greloter. Mais Jon passait bien plus de temps suspendu à m’assurer au relais, sans mouvement. Pourtant il ne lâchait aucune plainte ! Je commençais à me
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demander si j’étais le seul à approcher ma limite du froid. « Toi aussi tu as froid ? » je lui demande. « Évidemment ! » il me répond. Ça m’a rassuré, je n’étais pas malade. Mais quel plaisir d’être avec quelqu’un de toujours aussi positif et heureux d’être là-haut ! Mes orteils comprimés dans les chaussons s’étaient transformés en glaçons. Impossible de trouver du répit au relais : mes chaussures étaient loin dans le sac de hissage, il faisait trop froid pour être pieds nus et défaire les talons des chaussons risquait de les envoyer à tout jamais dans l’abysse. Plus tard un journaliste me demandera : « Pourquoi est-ce que vous avez choisi une fenêtre aussi froide pour cette ligne ? » J’ai rigolé ! « Mais il croit qu’on a l’abondance de choix de créneaux en Patagonie ? Ce n’est pas l’alpiniste, mais la montagne, la météo et les condi qui choisissent ! » C’était une saison sèche, les parois avec glace et neige était instables, le rocher était en condition, la ligne nous appelait. Peut-être qu’il ne faisait pas particulièrement froid ? Peutêtre étaient-ce plutôt des conditions habituelles ? « On a tous les deux eu des petites gelures au bout des orteils, rien de grave, mais on m’a laissé savoir que je peux oublier une carrière en « mannequin de pieds ! » Regardant Jon qui montait en second, j’ai remarqué de grosses traces de sang dans la fissure. « Comment est-ce que le sang est arrivé au-dessus de lui ? » C’était mon sang ! J’avais les chevilles déchiquetées, signe d’une mauvaise technique. « Je suis content de ne pas être le seul à me faire détruire ! » me dit Jon. Ma veste et mon pantalon étaient en lambeaux. Des crocodiles préhistoriques étaient sortis des profondes entrailles du Fitz pour dévorer notre chair et notre âme. Les marques de dents sur mes vêtements et chevilles en étaient la preuve. Une autre journaliste me demandera : « Comment décrirais-tu le processus d’érosion qui se passe à l’intérieur de l’off-width pendant votre passage ? » Je l’ai rassurée : la fissure n’a pas beaucoup changé, l’érosion était surtout sur notre peau et nos vêtements ! Épuisé à chaque relais, je montais mon regard vers la suite : plus que la même chose jusqu’à perte de vue ! Je ne savais pas combien j’allais encore pouvoir en bouffer… Mais c’était exactement ce que j’avais demandé ! Je n’allais quand même pas me plaindre d’un rêve sublime ! C’était magnifique !
À la tombée de la nuit, le monstre était toujours aussi redoutable. Des plaques de glace rendaient le numéro 6 inutile, il fallait être attentif à l’emplacement, choisir l’endroit libre de givre. À plusieurs reprises, mon esprit m’a supplié de me pendre, juste pour quelques secondes, ce serait tellement plus facile. Mais je regardais cette pensée sans y prêter attention et je le ramenais vite en mode combat. J’attaque un double poing qui s’est transformé en aille-de-poulet pour ensuite me faufiler dans un tube d’accouchement. Après un long combat, j’entends un vague « Bout de corde ! » dans l’obscurité, juste au moment où j’arrive sur du terrain plus facile. « Tu es sur une vire ? » me supplie Jon. « Oui ! », ma réponse est libératrice. Hallucinant ! Une vire ! Quel confort ! Pas besoin de gérer le lovage des cordes, plus de baudrier qui cisaille la peau et empêche la circulation du sang vers les jambes et enfin la possibilité de déchausser !
Amène-nous au sommet ! « Ok je prends le bâton » me dit le Jon, « attache toi ! ». « Amène-nous au sommet ! ». Dans l’obscurité, Jon contemple un chemin de scrambling entre glace, neige et des forteresses de granite insurmontables. À plusieurs reprises, il doit rebrousser chemin pour repartir dans une autre direction. Il y a eu un moment de désespoir où nous semblions être entourés de culs de sac. La nuit rendait cette partie finale tellement plus complexe et intimidante. Enfin, j’entends le déverrouillage des chaînes qui dit : « C’est bon, j’ai trouvé le passage ! ». À 3 h 40 du matin, nous trébuchons sur le sommet. Nous célébrons un bref moment, puis nous nous installons pour un bivouac frileux. « Maudit vent ! » aboyait Jon. Le vent était en train de lui empêcher de vivre la raison principale pour laquelle il était monté sur ce point culminant. « Impossible de rouler ! ».
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« Pourquoi n’aviez-vous pris qu’un seul sac de couchage pour deux ? » m’a demandé la journaliste. « Vous aviez tellement envie de faire la cuillère ? » Certainement pas ! Je pensais que la journée nous donnait amplement le temps de grimper ces 500 m et de redescendre. Mais l’escalade avait été tellement exigeante et mon combat pour chaque millimètre tellement lent. La plupart des voies dans la face sud font référence à l’endroit d’origine des ouvreurs : « La Colorado », « La Californienne », « La Washington », « La Canadienne », « La Suisse », « La Française »… On a décidé de nommer la voie « La Chaltenense » , la voie de Chalten, en hommage à notre long séjour à Chaltén et à la communauté locale, qui nous a accueillis à bras ouverts et avec un bel esprit. C’est la « ligne royale » de la face sud de Cerro Chaltén, le nom pour le Fitz Roy en Aonikenk, la langue indigène. Cela se traduit par « le volcan » ou « la montagne en fumée », en référence aux nuages qui semblent s’accrocher au sommet en permanence.
1. Selfie de Jon « El Hippie » avec Sean dans la première longueur. Photo : Jon Griffin © 2021 2. Sean sur l’approche vers Paso Surperior. Photo : Jon Griffin © 2021 3. La rimé traversé, au pied de la paroi, le moment de ranger le matos de glace et de mettre les chaussons. Photo : Jon Griffin © 2021 4. Approche de la Brecha de los Italianos vers la face sud du Fitz Roy aux premières lueurs de l’aube. Photo : Jon Griffin © 2021 5. Jon admire l’offwith en perte de vue qui nous attend. Aguja Poincenot en arrière plan. Photo : Jon Griffin © 2021
Je m’attendais à une nuit de grelottements et d’attente au sommet, mais à ma surprise on a réussi à somnoler et les premiers rayons d’espoir, de libération et de lumière sont apparus aussitôt. Au premier mouvement une crampe violente a lancé dans mes adducteurs, me rappelant le combat de la veille. Je criais de souffrance ! J’étais incapable de mettre mes chaussures, comment allais-je pouvoir descendre ? Lentement les douleurs se sont dissipées et petit à petit j’ai pu me déplacer. « Ça te va si je fume tranquillement mon joint avant d’entamer la descente ? » me demande el Hippie. « Ça me va très bien. »
Chez Vincent STUDIO GRAPHIQUE
À la lumière de la frontale, après une longue journée de descente, on marchait rapidement à travers la forêt. « Pourquoi est-il si pressé ? » me demandais-je pendant que je faisais de mon mieux pour suivre les pas de Jon. Le vent patagonien soufflait fort, déchirant tout sur son chemin. Heureusement qu’on n’allait pas passer une autre nuit là-haut. Jon avait envoyé un petit message texto à sa chérie argentine pour prévenir qu’on était sur le chemin du retour. Au travers des haut-parleurs une voix chantait : « Si je dois grimper une montagne pour gagner ton amour je le ferai ! »
SEAN VILLANUEVA
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DOSSIER DE FREYR À LA MONTAGNE
Cap Expe © 1999
Leçons d’en haut DOMINIQUE SNYERS Patrick frappa ses gants l’un contre l’autre. « Dom, je vais tenter une sortie pour évaluer la situation dehors », me dit-il en se dirigeant vers l’ouverture. À l’instant même où il perça la neige de son poing, une rafale de vent secoua les murs de la grotte. L’ouverture par laquelle il sortit se reboucha presque instantanément.
Février 1996, Aiguille Verte à Chamonix. Je restai seul entouré de glace, dans un silence encore plus déstabilisant que le vacarme de sa sortie. Nous étions partis de très bonne heure du refuge d’Argentière pour profiter du créneau météo annoncé, escalader le couloir Couturier à l’Aiguille Verte et rejoindre ensuite à ski la gare du Montenvers, juste à temps pour attraper le dernier train à crémaillères vers Chamonix.
Nous avions eu toutes les peines du monde à passer la rimaye. Le couloir s’était avéré être tout en glace et la tempête nous avait rattrapés. Nous nous étions réfugiés dans une grotte creusée de nos mains dans le flanc de la montagne. Enfin, je devrais plutôt dire « une grotte que Patrick avait creusée de ses mains », car moi j’étais juste capable, allongé sur le flanc, d’évacuer avec mon casque la neige qu’il m’envoyait. Nous y sommes restés 36 heures sans manger et par deux fois je dus repousser les avances insistantes de l’hypothermie. Tous les journaux télévisés de France et de Navarre s’inquiétaient de la disparition du célèbre alpiniste Patrick Berhault. Tout le petit monde de la grimpe et de l’alpinisme retenait son souffle. Et lui, il me sauvait simplement la vie.
Novembre 2019, Hospice du Grand-Saint-Bernard Le vent qui soufflait en rafales ralentissait la progression de nos skis vers l’Hospice. J’avais l’estomac noué. C’était là que, trois ans après cette aventure à l’Aiguille Verte avec Patrick, j’avais enfin réussi à coucher sur papier ce que j’avais
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Avec Alexis, nous devions cette fois rejoindre Dorsan et Antoine, mais surtout Florian, Pablo et Pierre, trois des Flolopapys sur lesquels je venais de réaliser un film documentaire1. Ces quelques jours ensemble au Grand-Saint-Bernard étaient un prétexte pour lancer l’organisation de l’expédition que nous avions planifiée pour l’été suivant au nord-ouest de Vancouver, dans la chaîne du Mont Waddington.
Toutes ces années de vagabondages alpins, en un instant, se virent remises en question. Le chanoine à qui j’annonçais mon arrivée par téléphone m’avertit qu’ils étaient arrivés aux petites heures la veille. Cela m’étonna, sans non plus me tracasser outre mesure tellement j’étais absorbé par les souvenirs que ces lieux faisaient remonter en moi. Je n’étais vraiment pas préparé à ce que j’allais découvrir en poussant la porte de la bibliothèque de l’hospice. Les regards vides qui m’accueillirent me pétrifièrent. J’avais en face de moi cinq jeunes en état de choc, quelques heures à peine après avoir survécu de justesse à une avalanche2. Cela fait des années que j’entraîne et filme des jeunes en montagne. Des liens forts se tissent qui font aussi naître en moi un certain sentiment de responsabilité. La tempête qui venait de s’abatte sur eux brisa quelque chose en moi. Toutes ces années de vagabondages alpins, en un instant, se virent remises en question. Ce n’était pas tant la perspective de ma propre disparition qui me tétanisait, mais plutôt celle de tous ces jeunes, forcément mal armés comme je l’avais été face à la dureté implacable de cette Montagne, pourtant toujours aussi attirante. Je connaissais le long chemin nécessaire pour se remettre d’un tel choc. Je me mis donc du mieux 1 - Voir www.flolopapys.com 2 - Voir le récit de Pablo dans l’Ardennes & Alpes n°206, 4e trimestre 2020.
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que je pus à leur écoute pour que, petit à petit, eux aussi puissent renaître. Mais en moi, béante et froide, une crevasse s’était ouverte dont je ne distinguais pas le fond. Elle me suppliait de partager les enseignements que j’avais tirés de nos erreurs avec Patrick dans le couloir Couturier. Je voudrais ici essayer de tenir ma promesse et partager avec vous trois des leçons chèrement apprises là-haut. La première est une évidence : toute course en montagne nécessite une préparation sérieuse. Il faut choisir son itinéraire et en identifier les alternatives, les passages difficiles, les points de décision, tout en y associant un horaire. Il faut ensuite consulter les prévisions météorologiques, s’informer sur les conditions récentes du terrain et rassembler le matériel adéquat. J’avais loué une chambre aux Houches pour souffler après six mois intenses à clôturer ma thèse de doctorat. J’avais signalé ma disponibilité et mon envie de grimper à Patrick. La météo venait d’interrompre son projet d’enchaînement de plusieurs faces nord, le forçant à abandonner son matériel à la Brèche du Râteau. Il était bien décidé à y retourner dès que possible. Une éclaircie se présenta, trop petite pour ses projets, mais suffisante pour « s’entraîner et garder la pêche ». Il me donna rendez-vous au téléphérique des Grands Montets pour prendre la dernière benne et escalader le Couloir Couturier le lendemain. Sur papier, l’objectif constituait un compromis raisonnable entre mon manque d’entraînement et son besoin de rester en mouvement. En bonnes conditions, le couloir Couturier est une course de neige sans difficulté majeure, sans être facile non plus. « Prends des skis d’approche légers. Nous les porterons à la montée, ils nous permettront de descendre rapidement vers la gare du Montenvers », me glissa-t-il à l’oreille comme si tout cela était évident. Je n’eus jamais le temps de trouver ces « petits skis d’approche », mes bons vieux skis de randonnée allaient faire l’affaire. Nous avons quitté le refuge d’Argentière sous un ciel étoilé qui confirmait l’éclaircie annoncée. Toute la neige de la nuit avait dévalé en bas du couloir et nous donna toutes les peines du monde à passer la rimaye. Une glace dure nous ralentit ensuite. Très vite mes manques d’entraînement Page précédente : Patrick et Dom en route vers la Face Nord du Cervin, Septembre 1999 Ci-contre : Patrick Berhault au Mont Blanc du Tacul à la recherche de la goulote cachée de l'Aiguille de Saussure, Février 1997
Dominique Snyers © 1997
vécu là-haut. Il m’avait fallu tout ce temps pour enfin tourner la page et redémarrer.
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et d’acclimatation me firent souffrir, aggravés encore par le poids et la longueur de mes skis. Patrick, lui, gambadait devant, pestant sur la qualité du matériel qu’il avait dû emprunter en dernière minute. À la sortie du couloir, le brouillard et la neige nous engloutirent. Qui ne s’est jamais laissé dépasser par l’enthousiasme que nous inspire la montagne ? Tous, nous avons déjà sous-estimé cette phase de préparation, surtout lorsqu’il s’agissait de suivre un partenaire bien plus expérimenté que soi. Cela n’en reste pas moins une erreur aisément évitable. La deuxième leçon concerne l’importance, lors la progression, d’identifier et de s’imposer des points de décision où la cordée toute entière réévalue la situation. Où en est-on au niveau de la forme individuelle de chacun, de l’horaire et des conditions météo ou de terrain ? Cela faisait des années que nous nous connaissions et que nous grimpions ensemble, Patrick et moi. Il connaissait mon niveau et surtout comment je réagissais dans les moments plus difficiles. De mon côté, grimper avec Patrick, l’inventeur de la
danse-escalade, c’était bien sûr d’abord un plaisir pour les yeux. C’était aussi accepter du mou dans la corde et un assurage souvent minimaliste comme lorsque j’arrivais au relais et qu’il attendait mon arrivée sept mètres plus haut pour continuer. Reprenant mon souffle, je découvrais aussi souvent un petit bout de fromage ou un bonbon caché dans un renfoncement de roche. Mais ici, plus le mauvais temps s’installait, plus il accélérait. Je m’efforçais de suivre. À la sortie du couloir, le vent et le brouillard gommèrent tous repères. Ma veste, prise par le gel, se transforma en une cotte de mailles fort peu commode pour suivre le ballet incessant des allers-retours qu’il m’imposait sur ces arêtes de plus en plus vertigineuses. Je n’étais plus qu’un zombie plantant l’un après l’autre ses crampons et piolets dans la glace. Mon esprit ne fonctionnait déjà plus alors qu’une évidence glaçante s’imposait petit à petit à moi : l’alpiniste de légende qu’était Patrick Berhault s’était perdu et moi bien avant lui. C’est alors que se passa quelque chose d’extraordinaire. Patrick s’arrêta, le regard tourné vers moi.
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Une fois à sa hauteur, il me hurla dans l’oreille pour contrer le bruit du vent : « Je suis perdu, tu ne sais pas d’où l’on vient ? Dans quelle direction sont les Aiguilles Rouges ? » J’en restais bouche bée et son visage changea aussi. Je crois que c’est à ce moment-là qu’il prit conscience de mon état d’épuisement. A posteriori, c’est toujours facile à dire, mais sans doute aurions-nous dû faire demi-tour avant d’en arriver là. Tellement d’éléments plaidaient en ce sens. Les conditions de glace du couloir n’étaient pas bonnes, il y avait longtemps que nous savions que nous ne pourrions tenir notre horaire et que la nuit allait nous
Patrick reprit son errance aérienne et je le suivis tant bien que mal. J’admirais son combat et sa détermination. Il finit par se résigner et s’asseoir dans un petit creux vaguement protégé du vent. « Nous allons passer la nuit ici », me dit-il, les sourcils couverts de glace. Curieusement, cela me parut être la chose la plus naturelle du monde. Le vent soufflait de plus en plus fort. Le temps de nous installer suffit à nous recouvrir de neige. « Patrick, est-ce que nous n’essayerions pas de creuser un abri dans la neige ? », m’entendis-je murmurer. Il me regarda et sans un mot se mit à creuser avec ses piolets. J’essayai de me lever pour l’aider, mais ma poitrine explosa. Allongé dans la pente, je réussis toutefois à écoper la neige avec mon casque. Cela dura des lunes.
Je n’étais plus qu’un zombie plantant l’un après l’autre ses crampons et piolets dans la glace.
La grotte était juste assez grande pour nous accueillir tous les deux. Il nous restait un quart de camembert, vite avalé. Nous nous sommes endormis. Le lendemain la tempête redoubla de force encore. Patrick essaya d’agrandir notre refuge pour que nous puissions taper des pieds et nous réchauffer. Ce qui devait arriver arriva, le toit s’effondra et je me retrouvai une fois encore seul, allongé dans la neige pendant que Patrick creusait un nouvel abri. L’ivresse de l’hypothermie m’enveloppa de visions étonnamment douces. Petit à petit, je m’envolais. C’était agréable.
rattraper, mais surtout, j’étais dans un état de fatigue inimaginable. Le point de non-retour était toutefois déjà bien derrière nous, il fallait maintenant juste survivre et sortir de cette galère. La troisième leçon que j’ai retenue de nos aventures là-haut est sans doute la plus importante et la plus belle. On est toujours plus fort pour traverser les tempêtes lorsque l’on collabore et que les fragilités, des uns comme des autres, peuvent se dire et s’entendre.
Patrick dans Mr De Mesmaeker à l'Aiguille du Midi, Juin 1994
Je me souvins alors que j’avais dans la poche de mon sac une boussole, je la sortis tout fièrement. Il me demandait la direction des Aiguilles Rouges de Chamonix, mais épuisé dans ce brouillard épais, je dus constater en regardant l’aiguille aimantée que j’étais en fait incapable de dire avec certitude lequel des deux côtés, rouge ou blanc, indiquait le nord. Ce n’était pas non plus le genre d’objet qui encombrait le sac de Patrick. Il regarda la boussole un moment et finit par éclater de rire. C’était notre premier fou rire de la journée et cela faisait du bien. Nous n’étions pas sortis de l’auberge, mais nous étions encore bien vivants. page 18
Dominique Snyers © 1994
Lorsque Patrick osa m’afficher sa fragilité en m’avouant s’être perdu et en poussant l’humiliation jusqu’à me demander mon avis, il me sauvait en fait la vie. J’étais en train de m’éteindre et par sa simple question, il me rappelait que j’existais encore.
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Patrick m’appela pour que je le rejoigne dans sa nouvelle cache, mais mon corps ne répondait déjà plus. Il s’approcha de moi, me secoua les épaules et nos regards se croisèrent. Je lus la peur dans ses yeux, une peur terrible qui me tira de mon délire. Ma tête reprit le contrôle de mon corps et, d’un coup, y fit remonter la température. Je réussis même à me lever et rejoindre l’abri. Patrick venait pour la seconde fois de me ramener à la vie. À partir de ce moment-là, nous avons commencé à échanger et même blaguer ensemble. Nous avons rempli nos gourdes de neige pour la faire fondre dans nos vestes. Les gourdes passaient ensuite de main en main pour partager les quelques gouttes qui en sortaient. Cet étrange ballet devint rituel. Jamais je n’oublierai la complicité fraternelle de ce moment.
sauvé, il me surprit une fois encore en me déclarant : « Tu sais Dom, j’ai fait des erreurs là-haut et à plusieurs moments, malgré ta fatigue, tu m’as dit des trucs essentiels comme de creuser la grotte, de s’hydrater avec les gourdes pleines de neiges, … » Il énuméra ainsi une multitude de petits détails que j’avais pour la plupart oubliés. Lui, l’extra-terrestre de la grimpe, il avait réussi dans la tempête à entendre son compagnon de cordée exprimer des choses inaudibles. Par cette écoute bienveillante, il m’avait permis d’exister à ses côtés. C’est cela et uniquement cela qui m’a donné la force de survivre. Patrick, tu es un fameux monsieur et je te tire mon chapeau, tout comme je remercie aussi le PGHM de Chamonix pour le magnifique boulot qu’ils font.
Nous passerons une seconde nuit dans ce trou pour en ressortir le lendemain, après 36 heures. Le brouillard était toujours épais, mais le vent s’était calmé. Il nous laissait deviner, comme un supplice, le ronflement irrégulier d’un hélicoptère à notre recherche qui s’approchait et s’éloignait sans cesse. Au bout d’un long moment, des traces d’urine sur la glace nous indiquèrent que nous avions atteint le sommet. Sur le coup, elle me parut bien étrange cette habitue de l’alpiniste occidental de souiller ainsi le sommet, là où nombre de cultures préfèrent placer leurs dieux.
La nuit dans son sommeil, Patrick continuait à jouer des piolets et arrachait tous les tuyaux qui lui rentraient dans le bras.
Le ciel bleu déchira les nuages. L’hélicoptère fonça sur nous. Je levai les bras en l’air pour l’appeler et Patrick hurla : « Non Dom, on descend par le couloir Whymper ! » Alors là, c’est moi qui le fixai dans les yeux. Cela déclencha le seconde fou rire de notre ascension.
C’est, de toute évidence, cette même qualité de relations humaines qui permit à ces cinq jeunes de survivre à cette tempête nocturne au GrandSaint-Bernard dans laquelle ils n'auraient jamais dû se retrouver. Loin des discours guerriers de conquêtes de sommets et autres exploits, c’est aussi surtout cela que la Montagne nous enseigne. Seule la tendresse fraternelle nous permet de traverser les tempêtes. Celles-ci toutefois, ne l’oublions pas, peuvent souvent être évitées par une préparation méticuleuse et une meilleure lucidité dans la gestion du groupe et de l’instant. Faire demi-tour à temps reste le plus bel acte de bravoure de l’alpiniste, qu’il soit chevronné ou pas.
Nous passerons la semaine suivante dans la même chambre d’hôpital à Chamonix à soigner chacun une gelure au même doigt, mais surtout à nous laisser gaver pour reprendre du poids et des forces. La nuit dans son sommeil, Patrick continuait à jouer des piolets et arrachait tous les tuyaux qui lui rentraient dans le bras. J’avais toutes les peines du monde à le calmer. Tout cela nous a fortement rapprochés et nous sommes souvent repartis ensemble, dans la face nord du Cervin notamment, où il m’a initié à un monde dont je n’imaginais même pas l’existence.
DOMINIQUE SNYERS
Nous avons beaucoup reparlé de cette aventure à la Verte. Un jour, il m’a même remercié de ne pas avoir craqué. Comme je refusais le compliment, argumentant que c’était surtout lui qui m’avait
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21 killon © 20 Dimitri Cric
DOSSIER DE FREYR À LA MONTAGNE
L’imagination le permet aussi… JEAN BOURGEOIS Le vieil homme vient de gravir lentement le sentier escarpé qui mène au départ de la voie normale de l’« Al Lègne ». Il sait que cette ascension sera la dernière de sa vie. Ce sera pour lui le point ultime d’une longue vie aventureuse où tout a débuté ici.
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Pour son dernier pèlerinage, il s’est débarrassé de son baudrier et de son casque, ne gardant en bandoulière que quelques mousquetons. Il noue autour de sa taille une corde de trente mètres, comme autrefois. Sa compagne de cordée le connaît bien, son premier, et est consciente de ce qui se passe sous ses cheveux blancs. Lui, dont on disait qu’il grimpait comme un chat, entame posément la première longueur. Son esprit se vide, il se plonge entièrement dans son escalade, les gestes naissent tout seuls, mais plus lentement qu’avant, moins fluides certainement. Le jeune homme impatient qui vient de l’investir se calme et éprouve le plaisir, de nouveau.
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Le court passage en face nord-est vertical et les prises sont excessivement usées. Le vieil homme préfère utiliser une cordelette pour y placer le pied, doutant que le vieux piton qui subsiste soit encore assez solide pour retenir une chute éventuelle. La « Chaire de Vérité » est atteinte, la perspective est impressionnante et, pour la première fois, le grimpeur est conscient de la hauteur atteinte. Le vieil homme invite sa partenaire à poursuivre le parcours de l’arête sommitale en tête de cordée, lui laissant la joie d’achever cette ascension comme il l’a lui-même éprouvée tant d’années auparavant.
Rien n’a changé, Freyr reste Freyr, un lieu magique, sacré même, pour le vieil homme qui vient de tourner consciemment une page de sa vie. Mais celle-ci reste nourrie à tout jamais de ces merveilleuses décades vécues intensément. Freyr était un dieu germanique qui avait la capacité de voler d’un endroit à l’autre. L’imagination le permet aussi…
JEAN BOURGEOIS
r © 2018
Quand sa compagne, qu’il assure à l’épaule, le rejoint au relais, leurs regards se croisent un instant et tout est dit. La fissure qui suit est délicate, sans être difficile. Il résiste à la tentation de la contourner par la gauche et reste fidèle à ses anciennes habitudes. En un éclair, il revit ses ébats au même endroit, sous la pluie, la neige ou le verglas. Et voici la descente en oblique qui conduit au passage de la « Banane ». Ce fut dans les années 1930 le passage clé pour poursuivre, lors de l’ouverture, la première ascension de ce massif. Le roi Albert 1er a été l’artisan de cette découverte. La corde qu’il a placée a disparu depuis longtemps, bien sûr, mais celle qui la remplace est pourrie, car plus personne n’emprunte cet itinéraire, préférant la variante supérieure de l’« Hypoténuse ». La vétusté de la corde fixe n’est pas gênante dans la mesure où le vieil homme s’y équilibre à peine, opérant par un léger sautillement le changement de pied sur la prise qui a donné le nom au passage. Toute la traversée est herbeuse à souhait, comme autrefois. Les odeurs végétales l’assaillent et le replongent dans le passé : va-t-il rencontrer la vipère qui vivait là ? Les lézards, curieux, hésitent à s’enfuir. Le vieil homme se souvient soudain de son ami Claude Barbier qui courait en solo dans ce passage pour réussir l’ascension de l’« Al Lègne »
Après le long parcours sur l’arête, voici les deux niches. La statue de la Vierge qui les surplombait avait déjà disparu lorsque le vieil homme avait choisi cet endroit pour son premier bivouac en paroi, 65 ans plus tôt. Depuis, c’est devenu l’aire de prédilection des faucons qui, après une disparition d’une trentaine d’années, ont décidé de revenir nicher ici. Par contre, ce sont des centaines de choucas qui ont fui Freyr pour trouver le calme ailleurs. Autrefois, ils nichaient dans tous les trous des parois, becquetant les doigts des grimpeurs impudents. La loutre n’habite plus au pied de la Tête du Lion, le tichodrome échelette ne vollette plus le long du rocher du Pape.
y De Sch utte
Les odeurs végétales l'assaillent et le replongent dans le passé : va-t-il rencontrer la vipère qui vivait là ?
en moins de cinq minutes… Tant d’amis de sa jeunesse ont disparu, qui d’entre eux grimpe encore ?
Geoffro
Au premier relais, l’horizon se découvre au-dessus des arbres. Tout est pareil : le méandre majestueux de la Meuse, le château et son parc, la route sinueuse et la verdure à perte de vue. Et pourtant, le vieil homme n’entend plus le bruit des péniches, ne sent plus l’odeur âcre du train à vapeur que jouait à cache-cache derrière le château en crachotant son épaisse fumée noire. Le bord de la route est désert, car depuis longtemps les badauds ont délaissé le spectacle de ces fous accrochés aux rochers. Les grimpeurs ne se hèlent plus d’un massif à l’autre pour exprimer leur joie juvénile et leur fierté d’être ce qu’ils sont.
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DOSSIER DE FREYR À LA MONTAGNE
Mon testament PAUL DE GENST À 95 ans, Paul De Genst est le plus ancien membre de notre Fédération. Il nous dresse le bilan de ses nombreuses années passées à pratiquer nos sports et en tire quelques réflexions personnelles.
Freyr En 1943, Pierre Brichard, un compagnon de mon âge, me propose d’aller grimper à Freyr. Plus tard j’ai eu l’honneur de grimper à Freyr et à Marcheles-Dames avec le « divin » Claudio Barbier, un grimpeur vraiment exceptionnel. Dans le « Super Dentier », sous le nez du « Lion », un piton fixé verticalement ne m’inspire guère confiance. À la fin de la traversée à droite, je me trouve au pied d’une paroi entaillée par une fissure verticale dans laquelle je trouve enfin un clou qui me paraît bon. C’est là que je commets une erreur magistrale qui est de m’en servir pour continuer ma progression, l’arrachant au passage. Cette erreur devra aussi être évitée lorsque, plus tard, les coinceurs apparaîtront. Ne jamais tirer dessus horizontalement ou en oblique vers le haut. Ma chute me laisse suspendu loin de toute paroi. Le piton dont je me méfiais a tenu bon ! Heureusement, je possède un anneau de cordelette noué autour de la taille. Je fais un nœud de Prussik sur la corde rouge et introduit mon pied dans la boucle de cordelette en fléchissant la jambe sur laquelle je me hisse, puis je crie à mon second : « tire la bleue ». Petit à petit cela me permet de remonter jusqu’au piton situé sous le nez du « Lion ». Je reprends ma progression initiale, et vois plus haut, trois coins de bois, mais lorsque j’atteins le premier, il est tout pourri. J’ai des pitons en U à mon baudrier mais ils sont beaucoup trop minces. Tentant le tout pour le tout, j’enfonce la tête d’un piton dans la fissure qui fait bien 3 cm de large. Je suis obligé de continuer de la sorte, car les coins de bois suivants sont tout aussi pourris. Enfin voilà une petite plateforme, où je fais relais. La suite est moins scabreuse et la voie réussie.
Mes courses en montagne En 1947, étant membre du CAB, je fais ma première course en montagne, à 21 ans : l’aiguille du Goûter (3 863 m), en solo. Cette fois je n’abandonnerai plus l’alpinisme qui devient une passion, jusqu’à mes deux dernières courses, faites à 81 ans avec un débutant : l’Index et la Petite Verte. Au total cela fait 300 courses, dont je suis toujours revenu sur mes deux jambes. C’est le résultat de ma prudence, de bons réflexes et d’une expérience grandissante, mais surtout d’un sixième sens qui m’a notamment averti d’une grosse chute de séracs et m’a fait deviner une crevasse totalement invisible. J’ai fait un détour pour l’éviter. page 22
Ardennes & Alpes — n°208
Mon stagiaire, qui a préféré aller tout droit, est tombé dedans. J’ai pu l’en retirer car je venais de l’obliger à chausser les crampons. Mon sixième sens m’a également sauvé dans bien d’autres circonstances. En outre c’est un fameux atout pour trouver le bon itinéraire. J’ai constaté que ce sixième sens était beaucoup plus efficace la nuit que le jour, peut-être parce que la vue ne vient pas le troubler. Enfin je possède une qualité que je tiens de mon père : ne jamais avoir peur, ce qui est aussi un gage de sécurité, à condition de rester prudent. En juillet 1950, je pars à Chamonix avec un débutant pour faire le Mont-Blanc. À la sortie du refuge du Goûter, aucune trace, au sommet, nous sommes seuls, ainsi que dans toute la montagne environnante. Aujourd’hui, c’est la procession sur l’arête des Bosses. Je déteste les sports de compétition, préférant me mesurer avec la NATURE, c’est-à-dire avec moimême. En montagne, la tête compte beaucoup plus que les muscles. Il m’est arrivé plusieurs fois de devoir aider un guide et même d’en sauver un d’une mort certaine. Il ne m’a dit qu’un seul mot, mais qui, pour moi, avait une grande valeur : merci ! Attention aux erreurs d’itinéraire, donc bien étudier le topo. Si, malgré tout on se trompe, surtout ne pas persévérer, car, en terrain vierge, le rocher est rarement bon. Revenir sur ses pas si c’est possible ou utiliser son GSM pour appeler les secours.
Les stages en montagne J’ai fréquenté pendant de nombreuses années le camp des Houches, remarquablement tenu par Michel Fagot. Avec l’accord de celui-ci, j’ai emmené en haute montagne des débutants dont le plus doué était Bernard Henris. Bien vite, nous devenons des amis, malgré les 30 ans qui nous séparent. Je décide d’attaquer le couloir Couturier à l’aiguille Verte (4 122 m. D.). Dans le haut, nous passons sur la calotte de la Verte, où en 1964, quatorze guides et aspirants de l’ENSA avaient trouvé la mort à cause d’une « plaque à vent » qu’ils n’avaient pas devinée. Sans doute ne possédaient-ils pas de sixième sens.
Il m’est arrivé plusieurs fois de devoir aider un guide et même d’en sauver un d’une mort certaine. En 1986, Éric Saintrond organise le stage de Tacconnaz. Ayant un moniteur défaillant, il me demande de le remplacer, bien que je ne possède aucun brevet. J’accepte malgré mes 60 ans. Un jour, au col de la Brenva, nous avons été témoins d’un mirage extraordinaire. Dans un mouvement lent, toute la montagne se reflétait sur le ciel. C’était magnifique mais aussi un mauvais présage, car, une fois au sommet du Mont-Blanc, nous avons été pris dans une terrible tempête de neige dont heureusement nous sommes sortis indemnes.
Attacher son piolet à son baudrier Beaucoup trop d’alpinistes sont morts parce que leurs crampons ayant dérapé sur une pente de glace, ils ont fait une chute alors que leur piolet est resté fiché dans la glace. J’ai expliqué cela à deux alpinistes qui ont bien assimilé cette technique et ont voulu l’appliquer lorsque, plus tard, ils ont pris un guide. Celui-ci la leur a impérativement interdite, craignant qu’à la descente, ils ne prennent leur genou dans la cordelette. Ils étaient furibonds. On peut facilement éviter cet inconvénient en remplaçant la cordelette par une sangle tubulaire à l’intérieur de laquelle se trouve un gros élastique qui règle automatiquement la longueur.
C’est le moment de tirer une conclusion de mes activités au sein du CAB qui m’a beaucoup aidé et m’a permis de me faire des amis pour lesquels je me suis dévoué. Leur reconnaissance m’a encouragé et j’ai compris que ce que l’on donne à bon escient n’est finalement pas un appauvrissement mais une richesse.
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Fig. 2
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Géologie des rochers de Freyr ALIZÉE ROOBAERT Localisés en province de Namur, les rochers de Freyr représentent, comme chacun sait, l’épicentre de notre univers. Mais ne t’es-tu jamais demandé la raison de leur présence à Dinant et de leur aspect (colonnettes, fissures, …) lorsque tu grimpes ?
Pour comprendre la formation des rochers de Freyr, il est nécessaire de faire un retour en arrière de plus de 350 millions d’années. À cette époque, appelée « Carbonifère » (de -359 à -299 millions d’années, Fig.1), la Belgique se trouvait à des latitudes proches et au sud de l’Équateur. La région de Dinant est alors recouverte d’une mer chaude, peu profonde et transparente (plateforme continentale) présentant peu d’apports terrigènes provenant du Massif du Brabant au nord. Ces conditions permettent alors le développement d’organismes marins tel que les coraux, les algues, les bactéries, les crinoïdes ou les mollusques. Un exemple actuel de ce genre de condition pourrait être illustré par la grande barrière de corail en Australie1. L’accumulation dans les fonds marins de ces organismes combinés à une boue forme ce que l’on appelle des roches « carbonatées » ou plus communément des « roches calcaires » (Fig.2).
1 - Cet exemple est bien évidemment très simpliste pour un géologue
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Roche calcaire (gauche) et crinoide (droite)
Bien que l’ensemble des rochers de Freyr puisse être associé à des calcaires, tu l’auras sans doute déjà remarqué, les secteurs se différencient allègrement. Un exemple est celui du Pape qui, à l’œil nu, montre une roche massive homogène alors que tout au nord, le synclinal de Freyr montre des roches plutôt courbées et moins massives. Ces différences dans leur aspect reflètent des changements des conditions du milieu (ex : climat, variation du niveau marin, …) durant le Carbonifère qui induisent des différences dans leur lithologie (c.-à-d. dans leur composition). Allant des plus vieilles aux plus jeunes roches, les rochers de Freyr peuvent être regroupés en quatre grands groupes (Fig.1) : 1. Formation de Bayard (Tournaisien inf.) Roche de l’école et les Fissures Gorget Développement des crinoïdes qui, à leur mort, sont cimentés par des boues calcaires. > Calcaires gris foncé riches en crinoïdes et découpés en lames (c.-à-d. stratifiés).
2. Formation de Waulsort (Tournaisien moy.) Louis-Philippe, la Jeunesse, le Pape et la Tête du Lion Sur cette base riche en crinoïdes, accumulation de boues calcaires et construction d’un monticule (« récifs ») par des organismes vivants en colonies (éponges et bryozoaires) dans les mers chaudes peu profondes. > Calcaires gris très massifs.
3. Formation de la Leffe (Tournaisien sup.) Merinos, les 5 ânes et l’Al Lègne De part et d’autre de ces monticules de la Formation de Waulsort, formation de calcaires violacés.
4. Formation de la Molignée Synclinal de Freyr La formation des monticules crée des reliefs sous-marins de plus en plus importants et permet le développement d’une zone protégée, calme et moins bien oxygénée. > Calcaires noirs (riches en matière organique) stratifiés.
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VISÉEN
Livien
Est-ce la fin de l’histoire ? Et bien non, une fois les roches du Carbonifère formées, la Belgique et donc la région de Dinant s’est déplacée de l’Équateur vers nos latitudes actuelles. Ce processus de déplacement est associé à la tectonique des plaques. Durant son déplacement du sud vers le nord, la Belgique a subi des évènements tectoniques qui ont déformé (plissé et cassé) les roches comme un accordéon. La coupe géologique (Fig.3) nous montre le résultat des déformations subies. Lorsque les couches sont courbées (plis) en forme de U (ex : le synclinal de Freyr), on appelle cela un synclinal et un anticlinal quand elles se déforment en forme de A ; un accordéon étant une succession de A et de U.
Le Synclinal
Moliniacien
Le Mérinos
Neffe
Les 5 Ânes L’Al’Lègne
Molignée La tête du Lion
Leffe
Bayard Maurenne
Hastarien
Si tu veux en connaître d’avantage sur la géologie de Freyr, je t’encourage à consulter les sentiers géologiques et pédologiques de la Fondation Close : www.fondationclose.be/index.php ?rub= sentier-geo-pedologique-freyr
Waulsort
Ivoirien
TOURNAISIEN
Pour finir, à l’heure actuelle, les rochers de Freyr sont soumis à des phénomènes d’érosion et d’altération. Un exemple est la dissolution (ex : trous, gouttelettes) / précipitation (ex : colonnettes) lente de la roche à la suite de son exposition aux eaux de pluie acides.
Le Pape Le LouisPhilippe La Jeunesse Les fissures Georget La roche de l’école
Fig. 1
ALIZÉE ROOBAERT
250 m
Fissures Georget
NORD
Carrière
Louis-Philippe
Pape
Mérinos
Al’Lègne
5 Ânes Tête de Lion
Jeunesse
SUD
Carrière + 250 m
hique Surface topograp
0 m
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© F. Schmit d’après L. Dejonghe et F. Jumeau 2007
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Niveau de la meuse
Formations du Dévonien et du Tournaisien inférieur
Formation de Leffe
Formation de Bayard
Formation de La Molignée
Formation de Waulsort
Formation de Neffe
Fig. 3
- 250 m
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20 ry © 20 Loïc Deb
La traversée des Drus : une course majestueuse LOÏC DEBRY & GUILLAUME FUNCK JUILLET 2020. Cette année, Guillaume et moi nous sommes retrouvés à Chamonix. Après une petite mise en jambes, nous rejoignons le refuge de la Charpoua au pied des Drus. C’est ce sommet qui nous a appâtés. On ne s’imaginait pas encore ce que nous allions vivre là-haut.
La gardienne nous prévient, la traversée des Drus n’est pas à sous-estimer. La première difficulté de la course réside dans la traversée du glacier très raide pour accéder au début du rocher des Drus. Il est important de visualiser l’itinéraire sur le glacier la veille et de jour, sinon, c’est l’échec assuré. Malheureusement, le brouillard est très épais et on n’y voit rien du tout, tant pis !
On se lève à 1 h 30 du matin. On se rapproche rapidement du glacier : c’est un énorme tas de séracs et de crevasses très raide. Guillaume s’engage sous les premiers séracs quand tout à coup, on entend des bruits qui nous glacent le sang. Des grands « clac » font trembler le glacier sous nos pieds. Ne traînons pas ! Devant nous s’étendent des parois de glace raide et de dangereux séracs nous surplombent. On n’a aucune idée de l’itinéraire à prendre. Si Guillaume glisse, il nous entraîne tous les deux 200 mètres plus bas. Nous faisons demi-tour, tétanisés par le danger, pour se remettre en lieu sûr. Il est déjà 3 h 30, et on n’a pas avancé d’un iota. On est sur le point d’abandonner. On sait que la descente de la traversée se fait par le haut du glacier, là où il est moins crevassé. On commence donc à contourner la partie raide. L’objectif est d’atteindre une vire de l’autre côté du glacier. Normalement, si l’on rejoint cet endroit, du rocher facile devrait nous mener à l’aplomb de la voie. Après 30 minutes de marche, on évolue sur des pentes de neiges de plus en plus raides, mais moins crevassées. Finalement, on arrive à rejoindre une vire…, mais pas la bonne manifestement ! Il n’y a aucun accès facile pour rejoindre le pied du petit Dru. On aperçoit le bon itinéraire loin sous nos pieds. On s’écroule sur notre petit promontoire, quel échec ! Je suis certain que c’est la fin de notre course. Il est déjà 5 h du matin, et on est bien entamé. Guillaume remarque deux coinceurs derrière un gros bloc. Guillaume Funck et Loïc Debry Le lendemain de la traversée au campement, fierté et soulagement ! Chamonix-Mont-Blanc – juillet 2020
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À ce moment-là, on réalise que faire demi-tour est impossible. On est engagé à 100 %...
petit Dru. À ce moment-là, on réalise que faire demi-tour est impossible. On est engagé à 100 % dans la voie alors qu’il est tard et qu’on n’est pas tout frais. À partir d’ici, le topo dit huit heures pour atteindre le sommet du petit Dru, puis cinq longueurs pour rejoindre le grand Dru, puis une petite descente pour rejoindre les onze rappels qui nous mènent au glacier… On n’est pas sorti de l’auberge !
Après de longues délibérations, on décide de tenter un rappel sur les coinceurs. Nous voilà de retour sur le droit chemin. C’est top ! À part que j’ai oublié mes gants en haut.
On commence donc à escalader l’incroyable face du petit Dru. On progresse relativement vite sur le rocher. L’escalade est soutenue, mais c’est un terrain qui nous convient mieux. Guillaume commence à avoir du mal et je mène les longueurs dures. À plusieurs reprises, on fait demi-tour pour trouver un meilleur itinéraire, sauf que c’est encore plus dur ailleurs.
On se déplace rapidement sur le rocher et on arrive vite sur du terrain plus raide. Le rocher se prête mal à la pose de protections. En plus, on doit traverser des plaques de verglas peu attirantes. Deux heures plus tard, on arrive à l’aplomb du
Après des heures d’effort, on arrive enfin au sommet du petit Dru vers 15 h 30. Ça fait du bien d’être là-haut ! Mais on n’a pas de temps à perdre, et on entame sans tarder la traversée vers le grand Dru qui paraît si proche. Guillaume Funck © 2020
Loïc Debry escalade l’arête qui mène à l’aplomb du petit Dru. Chamonix-Mont-Blanc - Juillet 2020
Comme il est déjà tard dans la journée, la neige entre les deux pics est molle. La longueur, cotée 3c, devient un peu rock’n’roll avec la neige raide qui s’écroule sous nos pieds. On tire des longueurs, ça fait peur et on perd du temps. Trois longueurs dures nous attendent encore pour arriver au sommet du grand Dru. On se bat, on avance tant bien que mal, je finis dans une affreuse longueur en cheminée remplie de glace pour enfin déboucher au sommet du grand Dru ! Je suis à bout, épuisé, et quand Guillaume me rejoint en soufflant avec le visage décomposé, je fonds en larmes. Ça fait du bien de relâcher la tension comme ça. C’est super d’être au sommet ! À partir de là, c’est moi qui ai un coup de mou. Guillaume en revanche a repris du poil de la bête et passe en tête pour tailler les marches dans la neige qui est restée bien dure de ce côté-ci. Les rappels n’en finissent pas. Tout est un peu flou dans mes souvenirs. Finalement, on arrive au bivouac après 21 heures de course.
Ça fait tellement du bien de sortir de sa zone de confort pour après se retrouver au chaud dans la tente !
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gro ne Le Étien
De Briançon aux aiguilles de Chamonix : une histoire de style ÉTIENNE LEGROS De la terrasse du MOÖ burger, j’observe la faune de Chamonix qui transpire sous la canicule : les touristes du Midi se mélangent aux visages rugueux des montagnards, et les fesses galbées avec le dos des vielles rombières.
Je regarde nos doigts. Il ne nous reste plus grandchose ! Le calcaire du Briançonnais nous a bien entamé les peaux. Il faut dire qu’avec la fine équipe de Top Rock, on n’a pas vraiment chômé, et les jours de repos se sont bien vite perdus au profit des grandes batailles. Des falaises exceptionnelles comme les secteurs de Grand bois ou de Tournoux, où la beauté de l’Oisans sauvage s’invite sans pudeur, portée par ce petit air frais des cimes qui nous ferait presque oublier celui de la Meuse. On s’est arraché ce matin à notre tribu liégeoise du camping de Puy-Saint-Vincent, direction Chamonix, le temps de faire le plein de repas lyophilisés et de s’envoler avec la dernière benne. Je regarde Raph qui a déjà les yeux rivés sur le topo et je m’accroche à ma dernière bière. Le pilier nord-ouest de Blaitière déborde sur trois pages : 29 longueurs et 24 rappels, rien que ça ! Elle est juste en face de nous et nous ignore, bien trop occupée à prendre de la hauteur sur sa voisine, l’aiguille du Peigne. Demain, c’est grand beau et puis instable… On se met vite d’accord pour tenter demain. Tant qu’à monter là-haut ! On repérera l’attaque ce soir… Bientôt, la nuit tombe et fait disparaître la tente, laissant les dernières ombres se faufiler entre les cailloux, comme si aspirées par le silence enivrant
Raph Wynands méditation nocturne au bivouac de Blaitière page 29
Étienne Legros © 2020
Étienne Legros © 2020
tous les deux. Ça va se jouer au chrono ! J’ai les chaussons dans les starting-blocks et garde mes grandes phrases pour plus tard.
En haut : Adri Dupuis se promène dans L'eau rance d'Arabie. Étienne Legros repérage avant la nuit.
de la montagne, elles se pressaient à partir. Le temps de fermer les paupières et le réveil sonne : 3 h 30 ! C’est l’heure ! Les lumières des frontales balaient le névé et on se suit en silence dans les mêmes pas de la veille. Les pieds se font précis au-dessus de la rimaye et le souffle devient un peu plus court sur les grandes dalles qui surplombent le vide. Tenter une course comme ça, à la journée, c’est très ambitieux et on le sait page 30
Le départ est rude. Il l’est toujours dans la nuit. On a d’abord deux grandes voies à enchaîner pour accéder au sommet du pilier rouge : « Nabot Léon » et « Osez Joséphine », soit douze longueurs. La deuxième est pour moi, 6A full trad’ évidemment. La fissure se resserre et les prises de mains se font plus rares. Mes mythos rechignent à verrouiller les fissures, mais j’avance quand même parce que la nuit me fait peur. Très vite, l’aube nous rassure et amène avec elle une seconde cordée. La montagne n’est donc pas à nous ? Ils sont trois et avancent à une vitesse vertigineuse. Soudain, à l’aplomb d’une grande dalle, une tête surgit. Son visage est buriné par la montagne, ou peut-être est-ce le contraire. Il crie « relais », jette une dégaine, fait deux mouvements de bras et le voilà en train d’assurer. Le temps de me gratter les fesses et ils sont maintenant trois sur la vire ! Moi qui pensais grimper rapide ! J’hallucine ! Piqué au vif, je fonce dans la longueur suivante et déroule comme un chien de course. Ils font une petite erreur et Raph reprend l’avantage. On se renifle gentiment comme ça jusqu’en haut de « Osez Joséphine », et, en plus d’être efficaces, ils sont super sympas ! Je regarde l’heure : il est un peu moins de 10 h, soit moins de cinq heures pour douze longueurs en trad’, on est encore dans les temps. On rejoint les 17 dernières longueurs de l’arête, les cotations sont en chute libre, mais c’est pourtant loin d’être fini… Je descends une pile d’assiettes instables pour passer le premier des sept ressauts que compte l’arête de Blaitière. Les blocs sont superposés les uns sur les autres et semblent impatients de descendre plus bas. Je tape du pied et ils me répondent tous en chœur. Je descends à petits pas de chat en m’excusant auprès du plus gros d’entre eux. Cinq mètres trop à gauche et c’est 20 minutes de perdues… Je lève la tête et j’aperçois un sac jaune qui disparaît dans la gueule d’un grand dièdre. L’autre cordée vient de nous prendre deux longueurs. Mais qui sont ces mecs ? On le saura plus tard.13 h 30 ! On avance trop lentement… Le topo devient moins précis. Des longueurs de 100 m ! Pu…, mais il s’en passe des trucs sur 100 m ! Je tombe sur un gendarme vertical qui n’a pas envie de se laisser grimper. J’observe le névé pour le contourner sur la gauche : pas de trace de pas… Je regarde le côté droit balayé par
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les vents d’ouest et m’accroche à une grosse saillie de granite qui ne me dit rien qui vaille. J’installe un relais précaire… Raph me passe et s’engage en grosse. Il disparaît bientôt dans le vent hurlant en m’annonçant d’une voix virile qu’il avance… Le vent me fracasse et je commence à avoir froid, mes yeux restent rivés sur la corde qui s’emballe dans les rafales. Plus rien ne bouge ! L’alpinisme devient alors partie de pêche, on interprète les secousses sur la ligne… ça tire un peu, pas suffisamment… Est-ce la prise au vent ? S’est-il engagé au-dessus d’une dalle sans retour ? Je passe la corde derrière un becquet et regarde l’unique friend du relais avec anxiété. Les mots se perdent puis se raccrochent, il désescalade et je ravale le mou. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas juste que du temps qu’on vient de perdre dans cette bataille. 14 h ! On arrive aux vires fontaines, il reste dix longueurs et 24 rappels. Une cordelette jaune sur maillon attire notre regard. On est d’accord. On se détend enfin. Le temps vient de perdre toute son emprise et nous arrache même un sourire, l’espace d’un cliché. « Bah, il faut prendre ça comme un bon repérage pour la prochaine fois ». On lance la corde à la recherche du sommet de « Fidèle Fiasco » et de ses seize rappels.
Plus tard, dans la vallée devant un litron de bière hors de prix, notre amie Pauline Delot (qui connaît tout le gratin chamoniard) nous apprendra que le leader de la cordée qui nous a déposés sur une vire s’appelle en fait Hélias Millerioux, guide de haute montagne et piolet d’or 2018 pour son ascension de la face sud du Nuptse. Wow, rien que ça ! « Dis-moi Raph, c’était une ou deux longueurs finalement qu’on a reprises sur leur cordée ? ». Allez encore quelques bières et v’la t’-y pas qu’on leur expliquerait presque comment placer les pieds. Le reste de la semaine est consacré à « L’eau rance d’Arabie » dans le pilier rouge et à « La contamine-vaucher » dans la face ouest du peigne. Avec « L’eau rance d’Arabie », Piolat signe encore une ouverture incroyable, passant là où le granit se joue des rayons du soleil pour former une ligne parfaite. De celle qui forge les beaux souvenirs, et où le sixième degré restera ce qu’il a toujours été… Merci à tous les copains (Raph, Tof, Val, Ju, Jerôme, Pablo, Jean, J-C, Flo, Franck, Raph, Max, Paul, Benoît, Adri, Pauline, Hélène) pour cette quinzaine inoubliable!
ÉTIENNE LEGROS
FICHE EXPÉDITION
Aiguille de Blaitière : arête NW Localisation : Chamonix, France Topo : « Mont-Blanc granite les plus belles voies d’escalade », t. 2, « Aiguilles de Chamonix » Type de rocher : granit Altitude : 2 300 / 3 522 m Dénivelé : 1 250 m Dénivelé des difficultés : 900 m Approche : prendre la première benne du téléphérique du Midi et descendre au plan de l’aiguille. Compter 1 h 30 depuis le plan de l’aiguille. Suivant la saison, prévoir crampons et piolet pour l’attaque du névé. Descente : 24 rappels depuis le sommet. Terminer par rejoindre la ligne « Fidel Fiasco »
Escalade : 29 longueurs. Après avoir parcouru « Nabot Léon » et « Osez Joséphine » sur le pilier rouge de Blaitière (jusqu’à l’avant-dernière longueur), poursuivre sur l’arête NW jusqu’au sommet de Blaitière. Difficulté : TD 6A IV P3 Matériel : 2 x 50 m. Jeu complet de friends, cordelette… Recommandations : superbe course qui mettra votre sens de l’itinéraire à rude épreuve, car passé l’avant-dernière longueur de « Osez Joséphine », l’itinéraire devient montagneux, complexe et engagé. Possibilité de bivouac à mi-parcours. Le bivouac au pied de la voie est très sympa et vous permettra un repérage providentiel avant le départ à l’aube. page 31
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La Dibona (3 130 m) Une flèche en plein cœur des Écrins ÉMILIEN CLONAN, avec ANTOINE BOVESSE, ANTOINE LACROIX & MARTIN LACROIX Nous sommes à la veille de l’ascension de cette aiguille qui attire nos regards depuis près d’un an. La tension se fait davantage sentir que l’an passé pour notre toute première expérience de course alpine (ascension de la Tête de Chat, aiguilles d’Arves). L’équipe sera la même. Antoine L. et moi-même, moins expérimentés et doués, serons sur la corde de Matthieu Brignon, dont nous avons de nouveau loué les services en tant que guide, tandis que Martin et Antoine B. nous suivront de près en autonomie.
Les raisons de cette tension sont multiples. Premièrement, quelques jours avant l’objectif, nous décidons avec Antoine de nous frotter au caillou de la mythique vallée du Vénéon. Nous avons alors pu constater ce que signifiait une cotation « mon-
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tagnarde ». Une autre source d’appréhension, et non des moindres, naquit lors d’une visite en famille du petit village de Saint-Christophe-en-Oisans, berceau local de l’alpinisme. Arrivés en haut de l’escalier menant du parking au centre du village, nous longeons l’entrée du cimetière. En y jetant un œil, plusieurs plaques commémoratives rendaient hommage à des alpinistes tombés dans l’ascension ou la descente du sommet convoité. Certes, les accidents sont rares, mais pas inexistants. Un Autrichien de 21 ans dévissait de 50 mètres le lundi où nous prenions nos quartiers au camping de la cascade de Venosc. Il faut reconnaître aussi que le confinement ne nous a pas permis de nous préparer comme nous l’aurions souhaité. Inquiétant avant de s’attaquer à ce géant de granit de 400 mètres. C’est l’heure du départ pour le refuge. Nous prenons le temps de bien vérifier notre équipement. Il ne s’agirait pas de compromettre le projet si près du but. Il est 15 h et notre retard sur l’heure prévue de départ pour le refuge ne nous écarte pas de notre feuille de route : on y va tranquille. Après le passage d’un torrent encore bien gonflé, c’est la première fois que nous la voyons. Elle semble encore loin, mais déjà sa silhouette nous impressionne et aimante nos regards. Quel morceau ! On va vraiment aller là-haut ? Arrivés au refuge, la paroi qui nous attend le lendemain se dresse à quelques dizaines de mètres. Nous commençons à imaginer les lignes qui seraient dans nos cordes. 19 h. Matthieu arrive au refuge après une montée record d’une heure et 35 minutes, le tout après une course matinale sur les sommets alpins. Ce guide est dans un autre monde. Quel itinéraire allait-il nous proposer pour ce projet ? Depuis que mon attention s’est portée sur ce sommet,
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Nous entrons dans la montagne par une faille qui nous oblige à nous contorsionner j’ai tout de suite repéré une voie, ou plutôt une combinaison de voies permettant de tracer un itinéraire ambitieux et élégant, tout en évitant des difficultés de niveau 6, encore un cran trop élevées pour nous. Bonne nouvelle, Matthieu nous propose d’emblée quelques itinéraires où les longueurs en 6 s’enchaînent. Il estime donc, sur la base de l’expérience passée, que nous sommes capables de nous frotter à cette cotation en haute montagne. Nous freinons quelque peu son enthousiasme. Nous n’avons aucune référence sur des ascensions de 400 mètres et de plus de dix longueurs. Je formule ma proposition, il acquiesce. Ce sera donc la « Berthet », « Boell », « Stofer ». L’itinéraire débute dans la face par la « Madier » pour ensuite bifurquer sur la droite et rejoindre l’arête et une portion de la voie « 7 d’un coup ». La suite de l’itinéraire nous fait retraverser la face par la vire « Boell » et nous retrouver sous le chapeau sommital. À gauche, un dièdre sauvage, puis retour dans la face sous les cannelures « Stoefer ». Un dernier contournement par la droite et le sommet. Magnifique ! Les choses sérieuses commencent.
Page précédente : Tous les cinq au sommet. De gauche à droite : Matthieu (guide), Antoine L., en dessous Émilien, Martin, Antoine B. Massif des Écrins - Juillet 2020. Le cirque de la Dibona : Lors de la marche d’approche. À gauche, la Dibona se dresse, impressionnante. Massif des Écrins - Juillet 2020.
Antoine Bovesse © 2020
Nous prenons notre petit déjeuner à l’horaire le plus tardif proposé par les gardiens du refuge. Pas de frontales, pas de regards embrumés, il est 7 h 30, il fait grand beau, et nous avons tout notre temps. Nous nous mettons en route, direction le centre de la face. Matthieu attaque la première longueur. Du 3 selon le topo…, mais cotée en 1933 (et cela a son importance). Je le suis. Un premier pas bizarre nous plonge dans le doute. Qu’est-ce que ça va
être dans le 5 ? Nous finissons la première longueur et nous sommes déjà dans le vif du sujet. Nous sommes à une cinquantaine de mètres au-dessus de notre point de départ. Le premier contact avec ce rocher est plutôt rassurant. Ça accroche dur. Dans la longueur suivante, nous nous retrouvons dans une partie insolite de cette voie appelée « Le tunnel ». Matthieu me prévient : « Va falloir que tu te faxes, Émilien ». Nous entrons dans la montagne par une faille qui nous oblige à nous contorsionner. Le casque tape, mais ça passe. Après une dizaine de mètres, nous retrouvons la lumière et un dièdre magnifique gravi en opposition. Superbe longueur. Matthieu consulte pour la première fois l’itinéraire. Nous devons bifurquer vers la droite pour rejoindre l’arête et la voie 7 d’un coup. Nous sommes alors régulièrement dans du 5 cependant, aucune difficulté ne freine notre progression. Les copains en cordée autonome ne semblent pas être effrayés par l’engagement dont il faut parfois faire preuve pour rejoindre le point suivant se situant parfois à une dizaine de mètres. Certes, lorsque cela est le cas il n’y a pas de difficultés objectives, mais il ne faut pas chuter, sinon… Matthieu, lui, est reparti dans un dièdre et disparaît de notre vue. Est-il arrivé au relais suivant ? Peut-on le rejoindre ? Nous devons être sûrs que tout est en ordre sans quoi nous risquons d’arrêter trop tôt son assurage, ou de débuter notre ascension sans que le système de sécurité soit mis en place. L’enjeu est de taille. C’est Antoine qui partira le premier. Nous inversons les rôles. Toute la cordée se retrouve accrochée à un relais « poupouille » où nous restons sur nos gardes. Nous ne nous relâchons pas dans nos baudriers, les ancrages n’étant pas suffisamment rassurants.
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Pour la première fois, Matthieu tergiverse un peu. Il monte, redescend, cherche la ligne à suivre pour quitter ce dièdre ombragé et herbeux et rejoindre le centre de la face chauffée par le soleil. Deux pas en 5 assez physiques nous mettent un peu à l’épreuve dans cette très belle voie, l’un peu après le relais, et l’autre environ à sa moitié. Matthieu choisit ce moment pour faire quelques clichés. Nous voici au pied des cannelures « Stoefer ». Des sillons creusent en effet la roche à cet endroit et ont eu raison de la dureté de ce granit magnifique. La paroi se redresse et l’on frise le niveau 6. Matthieu nous dira même qu’il a pris la liberté de modifier l’itinéraire de quelques mètres pour emprunter une voie cotée dans ce niveau de difficulté. Personnellement, je m’écarte de deux mètres de la ligne pour retrouver un peu de sérénité. Les copains, eux, iront tout droit, bravo ! Nous entamons alors ce qui allait être la longueur la plus époustouflante de la voie. Une fois l’arête contournée, une mini vire épouse une boursouflure qu’il faut soi-même épouser. En dessous, 300 mètres de vide absolu. Sensationnel ! Presque arrivés au relais, Antoine B. et moi-même constatons qu’une grosse prise de main gauche bouge et menace de tomber. Plus tôt dans l’ascension, nous avions eu l’occasion de voir et surtout d’entendre en direct la chute d’une pierre de taille modeste dans ce gigantesque toboggan. À une vingtaine de mètres, sur notre gauche nous
entendons le rebond d’un caillou gros comme une balle de tennis. Au-delà de la vitesse incroyable que peut prendre le projectile, c’est son bruit, son sifflement qui marque nos esprits. Qu’est-ce que cela doit être quand ça « parpine ». Après six heures d’efforts, nous sentons le sommet approcher. Nous progressons facilement dans une longueur contournant le chapeau sommital par la droite. Je vois alors Matthieu, une dizaine de mètres plus haut. Au-dessus de lui, plus rien, que le ciel bleu. « C’est pas vrai p…, j’y suis, sommet de la Dibona ! ». Pendant une minute je goûte pleinement le bonheur d’avoir atteint l’objectif. Je guette l’arrivée d’Antoine avec à ma gauche et à ma droite 400 mètres de vide. Un vrai départ pour wingsuit. On l’a fait, on y est ! Autour de nous le pic de l’Olan, le Soreiller, le Rouget, Ailefroide. Nous sommes assis tous les cinq sur le sommet et il n’y a guère de place pour un sixième.
Antoine Bovesse © 2020
Matthieu, notre guide, au sommet. Massif des Écrins - Juillet 2020.
Il est temps de redescendre et c’est loin d’être une promenade de santé. Nous traversons le sommet pour redescendre de l’autre côté en deux rappels de 50 mètres (quelle sensation dans cet environnement !). En corde tendue, nous entamons une marche sur un névé qui requiert toute notre attention. La faute, et c’est le toboggan vers l’inconnu. Heureusement, les traces laissées par les cordées qui nous ont précédées nous facilitent la tâche. Ensuite, nous descendons quelques dizaines de mètres sur les fesses façon Loretan-Troillet1 de retour de l’Everest (toute proportion gardée). Le refuge est en vue, il n’y a plus aucun danger. Un dernier pierrier où certains s’adonnent au bloc est franchi et la bière nous tend les bras.
Nous entamons la descente d’un bon pas, non sans nous retourner régulièrement pour contempler cette montagne magique. Le soleil commence à descendre et souligne encore davantage le rouge de la roche. Une flèche à jamais dans nos cœurs.
ÉMILIEN CLONAN
Lien vers l’itinéraire (Camp to Camp) : www.camptocamp.org/routes/54995/fr/ aiguille-dibona-voie-berthet-boell-stofer
1 - C. Buffet, Erhard Loretan : Une vie suspendue, Chamonix, Michel Guérin, 2013.
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Un petit bout d’été dans l’Ubaye Expérience de Ludovic Martin (été 2019), mise en musique par Pauline François PAULINE FRANÇOIS Au cœur de la vallée de l’Ubaye (Alpesde-Haute-Provence), sur le parcours du GR 56, un refuge forestier situé à 1 832 m d’altitude offre un coin de nature calme et accueillant aux randonneurs. C’est précisément à cet endroit qui respire le bon feu de bois que Ludovic a posé son sac à dos pour plusieurs semaines, avec pour objectif de se forger une expérience du travail estival en montagne. Retour sur une expérience polyvalente, enrichissante et inspirante.
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Pauline François – Pourquoi s’être lancé dans cette expérience ? Ludovic Martin – Étant moi-même randonneur et diplômé accompagnateur en moyenne montagne, j’ai voulu découvrir l’envers du décor, connaître cette facette de la randonnée, appréhender la gestion d’un refuge dans toutes ses composantes. Et puis, dans un coin de ma tête, figurait (et figure toujours) le rêve de tenir un jour un refuge de montagne ; rêve qu’il me fallait confronter à la réalité du métier. J’avais hâte de voir comment j’allais gérer cette transition, ce passage de l’autre côté de la barrière. Quelles sont les démarches à entreprendre pour décrocher un job de saisonnier dans un refuge ? Une passion, une motivation tenace, un peu d’investigation sur internet, le choix d’un lieu, la candidature, la réception d’une réponse positive… Et l’aventure peut commencer ! Comment résumerais-tu les tâches qui t’étaient attribuées ? En un mot : la polyvalence ! Nous formions une équipe de quatre personnes, parfois secondée par des woofers. Mes tâches oscillaient entre l’accueil des randonneurs, la cuisine, le marché et les courses, la logistique notamment. Concernant la cuisine, la démarche instaurée par les gardiens consiste à utiliser un maximum de produits locaux, cultivés par des maraîchers du coin et cuisinés directement au refuge. J’ai appris la cuisine sur le tas, pour offrir des repas de qualité, sains et gourmands, aux randonneurs et aux visiteurs. page 35
À quoi ressemble une « journée type » ? Debout vers 6 h 30, ou en fonction de l’heure de petit déjeuner souhaitée par le groupe. Parfois, la veille, la soirée s’est éternisée ; dans ce cas la journée commence par un brin de rangement. Ensuite, on prépare le petit déj’ pour nos randonneurs, en veillant à satisfaire leurs besoins et envies. Une fois les groupes partis rejoindre les sentiers, on enchaîne avec la vaisselle, le nettoyage des salles, le lancement du feu et la préparation du plat du jour pour le midi. En effet, le refuge se situe à 45 minutes de marche d’un parking, et des touristes de passage dans la région viennent profiter de la vue le temps d’un déjeuner. Le personnel mange entre 11 h et midi, et les repas sont servis entre 12 h et 14 h. Ensuite, c’est reparti pour la vaisselle et le rangement. Vers 16 h, l’équipe se réunit autour d’un rapide goûter avant de préparer la mise en place et le repas du soir ; un seul repas est proposé aux randonneurs, qui ne tardent pas à débarquer ! Ils sont accueillis, on leur montre le refuge, les dortoirs, ils peuvent bien entendu se détendre autour d’un apéro avant le repas du soir, synonyme, comme souvent en montagne, de moments d’échange et de complicité. La soirée se clôturera plus ou moins tard, en fonction de la fatigue et des liens qui se créent. C’est le schéma d’une journée type, sept jours sur sept, avec de temps à autre une soirée de libre.
L’émerveillement est toujours présent, et la vue de la montagne depuis le refuge était splendide. De plus, le contrat était clair, je savais à quoi m’attendre, je m’engageais à travailler des semaines complètes ; pas de mauvaises surprises, pas de frustration. Recommandes-tu cette expérience ? Sans aucun doute ! Pour toute personne qui aime la montagne, c’est une expérience à vivre. Une expérience différente de celle d’accompagnateur ou de randonneur, parfois dure, imposant des contraintes et des sacrifices. Une expérience intéressante, qui permet d’apprendre rapidement les différentes facettes du métier (gestion, cuisine, accueil) et également de se rendre compte d’une certaine réalité économique, des moyens nécessaires et parfois manquants pour faire vivre un refuge. Une expérience enrichissante, dans les rencontres qu’elle autorise, les relations entre les membres du personnel, les échanges avec les clients, les soirées à refaire le monde, les retours positifs, représentent autant d’interactions qui font grandir.
Ainsi, en dépit des contraintes, les moments vécus en travaillant là-haut promettent une parenthèse inspirante loin de certains problèmes de la cité, créent des souvenirs intenses et invitent à poursuivre l’expérience…
PAULINE FRANÇOIS
Ludovic Martin © 2019
Saint Pons – Juillet 2019
Avec des journées si bien remplies, as-tu profité de la montagne ? Quand on aime pratiquer activement la montagne, ne ressent-on pas une petite frustration ?
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Sans boussole ni GPS Découvrir la navigation naturelle ALBAN CAMBE (auteur, formateur Bushcraft) Sheryl Powell a été très chanceuse. Quel soulagement pour elle que d’être enfin bringuebalée à l’arrière du quad d’un ranger avec son chien. Les arbres du parc de Thonotosassa défilent derrière la sexagénaire, affaiblie par quatre jours de perdition, égarée dans les montagnes de la Californie. La mère de famille aura été sauvée par le même instrument qui l’aura perdu en premier lieu : son smartphone.
Vous croiserez facilement en randonnée l’une de ces personnes dont le regard est rivé sur un téléphone. Posez-lui la question : « Connaissez-vous la navigation naturelle, l’art de s’orienter en observant l’environnement ? » Invariablement reviendra l’exemple de la mousse. Galvaudé, certes, mais témoignant d’un ancrage de ces connaissances ancestrales même au sein des générations les plus connectées. Rangez votre téléphone dans une poche, ouvrez les yeux et votre esprit : voici quelques pistes pour s’orienter sans outil susceptible de tomber en panne ou de manquer de réseau.
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1. Une démarche simple Le premier auteur à avoir formalisé l’art de la navigation naturelle était un pilote de renom : Harold Gatty. Certes, observer pour s’orienter demande d’abord un effort intellectuel non négligeable. Avec la pratique, le raisonnement s’accélère jusqu’à devenir un instinct. Tristan Gooley, mondialement connu pour avoir approfondi les connaissances dans ce domaine, parle de « sentir les directions ». Faire confiance à nos déductions peut paraître déraisonnable de prime abord. Considérons cependant que la boussole en tant qu’instrument de navigation n’a été inventée qu’au XIIIe siècle et que les humains ont appris à lire la nature pour aller du point A au point B depuis des milliers d’années. Cela force le respect.
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Les indices les plus évidents se trouvent dans le ciel : la course du Soleil, la position de la lune ou des étoiles, même les nuages peuvent nous indiquer clairement l’origine des vents ou refléter des informations sur le sol qu’ils surplombent.
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Viennent ensuite les paysages et les reliefs qui, embrassés du regard, donneront au navigateur naturel des indications sur les ressources en eau, la nature du sol, l’orientation lorsqu’il discernera une nette différence entre l’ubac et l’adret, par exemple. À une échelle plus proche, les arbres, les plantes et les animaux sont d’excellentes boussoles naturelles qu’il suffit d’apprécier à leur juste valeur pour retrouver son chemin.
Meissa Betelgeuse Bellatrix
Il est donc nécessaire de se (re)familiariser avec le monde qui nous entoure, d’essayer d’intégrer les uns aux autres les rouages de cette incroyable machinerie qu’est notre planète, la Terre.
Alnilam Alnitak
Mintaka
2. La mécanique céleste Glaive d’Orion
Saiph
Rigel
La course apparente du Soleil est à l’origine de presque toutes les boussoles naturelles rencontrées dans la nature. Dans notre hémisphère, il se lève à l’est et se couche à l’ouest en passant le plus clair de son temps au sud qu’il surplombe précisément en milieu de journée. Reflétant sa lumière, la Lune n’est pas en reste, mais se révélera utile principalement lors des croissants et lorsque sa face est pleinement éclairée. Ainsi, la pleine Lune est précisément au-dessus du sud à minuit là où les croissants indiquent également le sud lorsque l’on trace mentalement une droite passant par leurs deux pointes.
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Ardennes & Alpes — n°208
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Contempler le firmament est un spectacle époustouflant, même si trouver des lieux peu affectés par la pollution lumineuse devient de plus en plus difficile. Il reste aisé de trouver l’étoile polaire au moyen de la « grande casserole » (en allongeant le côté d’où est supposée couler la sauce). Cette petite étoile vous indiquera à coup sûr le nord. La constellation d’Orion est facile à reconnaître en un clin d’œil et nous aura déjà permis de retrouver notre chemin en plein hiver dans les forêts bretonnes. Son glaive indique précisément le sud lorsqu’il est vertical et la première étoile de sa ceinture (Mintaka) se lève à l’est et se couche également à l’ouest.
3. Quelques boussoles naturelles Lorsque le ciel est couvert ou que les frondaisons nous empêchent de profiter des indices précédents, quelques plantes et animaux de nos contrées se révèlent précieux pour ne pas perdre le nord. Si les forêts de plaine accueillent les digitales pourpres, en altitude, on retrouvera plutôt la digitale jaune. Ces deux cousines présentent cependant la même tendance à orienter leurs clochettes vers le principal ensoleillement : le sud.
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Alkaid
ÉTOILE POLAIRE
Alcor
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Mizar Aliot GRAND CHARIOT
x5 Megrez
Phad
Les arbres sont de véritables centrales solaires et cherchent à exposer au maximum leurs feuilles. Ainsi, ces êtres vivants ne sont jamais symétriques et leur feuillage est généralement déjeté vers le midi. Pour les arbres à feuilles caduques, cela se traduit par des branches plus horizontales et nombreuses du côté sud. Et que dire des lichens s’installant sur les troncs et les roches ? Ils se colorent davantage qu’ils sont exposés au Soleil. À ne pas confondre avec les algues qui fuient la lumière.
Dubhe Merak
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1. La navigation naturelle est l’art de lire l’environnement pour retrouver son chemin. © Alban Cambe 2. Lorsque le ciel est couvert, les paysages, les plantes et les animaux peuvent servir de boussole naturelle. © Alban Cambe 3. Orion est une constellation visible surtout en hiver. Son glaive indique le sud lorsqu’il est vertical. © CAB 4. Avec l’expérience, le navigateur naturel peut « sentir » les directions rien qu’en observant une photographie. Ici, le photographe regarde vers le nord. © Alban Cambe 5. Les digitales sont des plantes orientant leurs clochettes vers le plus fort ensoleillement (le sud). © Alban Cambe
Lors de nos randonnées en montagne, nous avons pu nous régaler de quelques myrtilles, de fraises des bois et de ces petits monticules grouillants que l’on rencontre au pied des sapins. Les fourmis sont des êtres vivants à sang froid, dépendantes de l’ensoleillement pour activer leur métabolisme. Elles construisent ainsi leurs bâtisses au sud des arbres. Eh oui, les fourmis sont délicieuses avec un goût acidulé et une texture craquante.
La navigation naturelle est donc, sinon un moyen de s’orienter sans instrument, une discipline qui appelle à la contemplation et à la reconnexion avec le monde naturel. Le cas de Sheryl Powell, perdue à cause d’un GPS bancal, sauvée par la lumière de son téléphone portable, doit nous rappeler que la technologie qui s’invite dans nos vies n’est pas là pour supplanter les connaissances basiques. Observer l’environnement, apprendre à le connaître et à le lire permettrait ainsi de réellement s’immerger, de comprendre comment notre monde fonctionne. Comment le monde réel fonctionne ; celui qui existe en dehors des écrans et qu’il nous incombe d’explorer.
6. Les fourmilières s’installent principalement au sud des arbres. © Alban Cambe 7. Un arbre isolé joue le rôle de boussole naturelle, les branches exposées au sud sont plus nombreuses et plus horizontales. © Alban Cambe 8. Des coulées d’algues orangées marquant la face nord des troncs. © Alban Cambe 9. L’étoile polaire indique le nord. On la retrouve facilement à l’aide de constellations appelées « pointeurs » comme Cassiopée ou l’astérisme du Grand Chariot. © CAB
ALBAN CAMBE
Pour aller plus loin : A. Cambe, L’art ancestral de la navigation naturelle, Saint-Pierre-du-Perray, Memorabilia, 2018. T. Gooley, The walker’s guide to outdoor clues and signs, Londres, Scepter, 2014 H. Gatty, Nature is your guide, New York, Harper Collins, 1957 Vidéo, « Quelques boussoles naturelles » sur Youtube, youtu.be/Egc_cgPHa5k
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Les tiques MICHEL LEJEUNE, Médecin généraliste et alpiniste & MARC NOOTENS, Coordinateur Noyau Alpi et moniteur de secours Oyez oyez randonneurs, joggeurs, grimpeurs ! Avec l’arrivée des beaux jours, des ennemis invisibles nous guettent : les tiques ! Dans nos régions, elles peuvent nous transmettre la maladie de Lyme qui doit son nom à une ville du Connecticut où elle a été reconnue pour la première fois aux USA en 1976.
L’agent de cette maladie est une bactérie nommée Borrelia. Les petits rongeurs constituent le réservoir de ces Borrelia. Les tiques mordent ces petits mammifères pour leur pomper du sang. C’est ainsi qu’elles se contaminent. Les tiques étant sensibles à la dessiccation, elles vivent préférentiellement dans les milieux boisés avec des sous-bois très végétalisés. Elles sont situées dans le tapis végétal et les herbes à moins d’un mètre de hauteur. Elles sont capables de détecter la présence d’un hôte (animal, être humain) grâce à des capteurs. Elles se laissent tomber sur leur victime. Elles sont capables de passer sous les vêtements pour atteindre la peau où elles vont se fixer pour y faire leur repas sanguin qui dure 3 à 5 jours. La transmission de Borrelia se fait à ce moment, environ 24 h après le début de la ponction de sang (d’où l’importance de retirer la tique rapidement).
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La borréliose de Lyme est une maladie qui présente 3 phases :
1. La phase primaire : C’est la plus importante à reconnaître. De quelques jours jusqu’à un mois après la morsure de tique, apparition d’un anneau rouge pâle à croissance centrifuge appelé érythème migrant (cf. photo). Celui-ci doit avoir au moins 5 cm de diamètre et peut atteindre jusqu’à 30 cm de diamètre. Dans ce cas le diagnostic est certain et un traitement antibiotique sera prescrit pour 2 à 3 semaines. Malheureusement dans environ 20 % à 30 % des cas, cet anneau (érythème migrant) passera inaperçu !
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LE COIN SANTÉ
2. La phase secondaire : Elle survient quelques mois après une borréliose non traitée. Les symptômes suivants peuvent apparaître :
• fatigue très marquée • douleur articulaire : arthrite • atteinte de nerfs avec parésie voire paralysie, méningite : neuroborréliose • problème cardiaque
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3. La phase tertiaire :
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Des années après la morsure de tique, des phénomènes immunitaires secondaires peuvent entrainer des problèmes musculaires, cardiaques et autres.
En pratique La période à risque va des premiers beaux jours du printemps jusqu’au mois d’octobre. Toutes les tiques ne sont pas infectées : en moyenne 10 %. Étant donné que la prolifération augmente fortement avec l’évolution de nos climats, le risque de piqures a fortiori augmente.
La prévention La prévention passe par 3 étapes pour être efficace : • Le choix des vêtements : porter des vêtements longs (couvrant les bras et les jambes), clairs et unis (pour mieux repérer les bestioles) et fermés (fixer le bas de pantalon dans les chaussettes) ;
Après une activité à risque de morsure, contrôler qu’une ou plusieurs tiques ne se soient fixées sur votre peau : elles ont l’aspect d’un point foncé de 1 à 2 mm de diamètre. Le contrôle visuel systématique est à faire au retour de chaque sortie, plus particulièrement les zones de pression (aisselles, plis des genoux), le pubis, le nombril, le cuir chevelu et derrière les oreilles. Opérer l’examen en duo !
• Même si cela ne protège pas complètement, une couverture de pique-nique peut réduire le contact direct avec le sol (surtout en cas de sieste)
Enlever la tique avec une pince spéciale tire-tique pour éviter de l’écraser et par conséquent de vous injecter son contenu. Si la tique a la taille d’un petit pois, cela veut dire qu’il y a plus de 24 h qu’elle s’est fixée à la peau et donc il y a un risque de contamination. Après une morsure de tique, observer l’apparition dans le mois qui suit, d’un éventuel anneau de plus de 5 cm. En cas de présence consulter un médecin.
• L’utilisation d’un répulsif adapté aux différents âges des membres de la famille, sur la peau et les vêtements (attention, les répulsifs chimiques ne sont pas tous adaptés aux plus petits). Nous vous conseillons le produit naturel très efficace et adapté pour les enfants à partir de 3 mois : produit anti-tique naturel
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• Le contrôle visuel systématique D’autres types de tiques nous arrivent, dont le roumain porteur de l’encéphalite et la tique géante principalement porteuse du virus de la fièvre hémorragique croissant en Europe orientale. Nous avons tenu à vous rédiger cet article en raison des statistiques médicales relevant la forte progression de détections positives qui peuvent mener à des soucis de santé conséquents si elles ne sont pas soignées et traitées.
MICHEL LEJEUNE,
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& MARC NOOTENS,
Avant votre voyage, consultez l’Institut de médecine tropicale : www.itg.be/F/conseils-de-voyages
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Bruyne © Walter De
À la recherche des coins perdus Partie II MARK SEBILLE Dans la première partie, j’ai cherché des endroits où, loin des rochers, on grimpait de manière organisée, avant même que les salles d’escalade n’existent. Depuis 1987, on grimpe également « indoor ». La popularité de l’escalade en salle a immédiatement pris son envol, d’abord principalement à Bruxelles et dans le Brabant wallon. Un peu plus tard, une nouvelle vague a commencé en Flandre, puis en Wallonie. Là, il y avait de vrais rochers. Quand Albert De Cremer a ouvert Roc Evasion
FunRock, Wolvertem - 1993 page 44
en 1995, on disait parfois en riant que c’était du « surréalisme belge » de démarrer une salle d’escalade à quelques kilomètres des rochers de Dave. Cependant, je m’intéresse ici en particulier aux salles d’escalade qui ont fermé définitivement leurs portes.
La Belgique était leader François Savigny a inventé les prises d’escalade amovibles en 1983 et Pierre D’haenens a inventé l’escalade sur des panneaux en contreplaqué pré-perforés en 1986. Leurs idées sont devenues la norme universelle de ce nouveau sport. Dans les années 1990, la Belgique comptait environ 90 murs d’escalade, ce qui en faisait un leader
Blueberry Hill - Courtrai © Georges Cuvillier
mondial. Ils étaient souvent petits et situés dans les écoles et les salles de sport, mais rapidement ils devinrent de plus en plus grands. Les constructeurs belges, Alpi-In en tête, plus tard Top Rock, Pascal Hublet, Wall-y, Agripp, Hot Rock et Gravitz, ont été sollicités loin à l’étranger – même la Salle d’Escalade Mont-Blanc aux Houches (Chamonix) était alors aux mains des Belges. Après le boom des années 1990, il y a une rechute après le début du siècle. Certains murs d’escalade publics ont été enlevés après un accident. Les salles gérées par des non-grimpeurs se sont révélées mal pensées et par moments même dangereuses. Après tout, un mur d’escalade n’est pas un produit qu’on achète chez Brico pour une utilisation immédiate. Une salle d’escalade doit être gérée avec métier et passion, sinon les vrais grimpeurs s’en désintéresseront rapidement. Si Terres Neuves en tant que toute première salle d’escalade est toujours populaire aujourd’hui, c’est parce qu’elle est restée entre des mains conscientes et passionnées tout ce temps. La salle De Schorre à Boom était la plus haute salle d’escalade de Belgique avec des murs de 24 mètres, mais elle n’avait pas d’ouvreurs expérimentés. Les grimpeurs ne s’y sont pas intéressés et, après deux ans, elle a fait faillite. Je ne suis pas statisticien, mais après avoir visité cent quarante sites en Belgique, je découvre des données frappantes. Le nombre de murs et de salles d’escalade a toujours été légèrement plus
CS Bertransart - Nalinnes - 1989 ©Mark Sebille
élevé en Flandre qu’en Wallonie. 34 ans après l’ouverture de Terres Neuves, je constate que deux salles d’escalade en Wallonie ont fermé leurs portes et une à Bruxelles ; en Flandre, j’en compte 21. Une telle différence nécessite une analyse. Il ne s’agit pas d’une attitude différente du Wallon, du Flamand ou du Bruxellois. Les Flamands aiment aussi grimper en Wallonie et vice versa. Il y a de plus grandes salles en Flandre – Klimax et Biover ont chacune > 3 000 m² de surface grimpable – mais dans les compétitions nationales, 75 % des places sur le podium sont occupées par les grimpeurs wallons.
Privé – Commercial – Public Il y a des salles qui ne sont pas ouvertes au public. C’est là que nous voyons le plus de continuité. Par exemple, l’armée a une salle de voies au sein de l’École Royale Militaire et une grande salle de bloc chez les para-commandos à Tielen. De plus, il y a encore des parois, moins grandes, dans les casernes de Peutie, Eupen, Leopoldsburg, Evere et même à Marche-les-Dames. Un mur pour l’escalade en tête a récemment été installé à Seraing pour la formation de la police, des pompiers, des ambulanciers, des services de sécurité, etc. Un mur d’escalade dans une école est complètement différent d’une salle d’escalade commerciale. Certaines écoles ont des murs d’escalade assez grands, mais destinés exclusivement page 45
Freyr - 6 septembre 1986 © archive Pierre D'haenens
Klimzaal Bleau - Gand © Micha Reyngout
aux étudiants, comme Saint-Joseph à La Louvière ou Robert Schumann à Eupen. Néanmoins, il y a aussi des salles d’école qui fonctionnent très bien en dehors des heures de classe, comme à Altitude CCM, Bois de Fadji et Le Mousqueton. Autre constat : dans toutes les régions, on trouve également des murs d’escalade peu ou pas utilisés (à Termonde, Couvin, Philippeville, Liège, Bruxelles…). Ce sont tous des lieux gérés par la ville, inutilisés faute d’initiative de l’administration.
Pourquoi certaines réussissent-elles et d’autres doivent-elles fermer ? Certaines salles ont terminé leur existence avec un statut presque héroïque, comme Hungaria ou City Rock, tandis que d’autres ont disparu de notre mémoire après quelques années. Parfois, la fermeture d’une salle d’escalade est une combinaison de facteurs négatifs, souvent en cascade. Le développement de projets immobiliers est la cause la plus courante d’abandon des 24 cas examinés. À la fin du bail, le propriétaire de l’immeuble voit plus d’argent à gagner en construisant de nouveaux appartements qu’en prolongeant le loyer. Klim Indoor, RockTown, Skalpino, Bleau, Hungaria, De Muur et bientôt Blueberry Hill subiront également ce sort.
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Muriel Sarkany à Skalpino 1 décembre 1991
Cela n’arrive pas seulement aux propriétaires privés. À Gand, la ville a exproprié la salle Ucon pour la construction de la nouvelle bibliothèque municipale. À Enghien, c’est la fabrique d’église qui a mis fin à la maison des jeunes avec la salle Le Surplomb, afin de pouvoir construire des logements sociaux. Blueberry Hill sera encore ouverte cette année, mais doit céder la place à des appartements d’ici 2023. Jan Larosse, un entrepreneur expérimenté en gestion de salles d’escalade, déclare résolument qu’il ne s’y lancera pas s’il n’est pas propriétaire du terrain. Dans d’autres communes ou villes, une majorité politique variable a conduit à la démolition de la salle d’escalade, ce qui a clairement été le cas à Mortsel (De Karthuiser, plus tard Magnesia).
Faillites Dans d’autres cas, la faillite a mis fin aux activités, comme déjà mentionné pour De Schorre. Parfois, cela était dû à une mauvaise gestion (Wheels à Ostende ou De Fox à Bekkevoort). Ailleurs, par exemple à Klim Eskapade à Aalter, une décision d’urbanisme a été la raison du dépôt de bilan. Le centre sportif a été déclaré « hors plan de secteur » et devrait quitter son emplacement. Mais le propriétaire se servait de l’ordonnance pour cacher les mauvais résultats financiers. Symbio à Molenbeek a repris après la faillite du centre sportif Belgica.
Skalpino - Lokeren © Marion Demanet
Certaines salles ont terminé leur existence avec un statut presque héroïque, comme Hungaria ou City Rock, tandis que d'autres ont disparu de notre mémoire après quelques années. Dans quatre de ces cas, ce sont les autres activités du centre qui ont causé les pertes, pas le fait que la salle d’escalade n’était pas financièrement viable. Dans les deux régions principales, il existe des salles appartenant à la ville ou la commune où cette pression financière ne joue pas. Néanmoins, Stone-Age, Klimax et Entre Ciel & Terre sont très bien gérés sportivement. Dans d’autres centres publics, la salle d’escalade reste un endroit froid où tout est présent, mais l’ambiance club y fait défaut (Julien Saelens, Engreux, Forêt de Soignes). Ailleurs, la salle d’escalade est une entreprise familiale où la deuxième génération prend déjà le relais (New Rock, Roc Evasion, De Stordeur).
Skalpino - Lokeren © Marion Demanet
On pourrait en conclure qu’il n’y a guère de différence entre le sud et le nord, mais pourquoi alors seulement 2 salles ont-elles disparu au sud et 21 au nord ? Il semble que l’esprit d’entreprise soit plus grand en Flandre. Quelqu’un voit une opportunité commerciale dans le sport et crée un centre où l’escalade fait partie de l’ensemble. Dans certains cas, les choses ont rapidement changé quand, par exemple, on pouvait gagner plus avec le squash ou le fitness qu’avec l’escalade, ce qui est arrivé à Fun Rock à Wolvertem, NRG à Lier et Klimzaal Arend à Kalmthout. La situation était différente à Zottegem. Le propriétaire de Futura Sport est lui-même un grimpeur passionné, il a créé sa salle d’escalade en premier, les autres sports ont été ajoutés par la suite. Car là où la passion fait défaut, les chiffres dominent, et la rentabilité est la clé de la survie de la salle d’escalade.
Ceci nous amène à la seule conclusion que nous pouvons tirer de cette analyse : l’exploitation durable d’une salle d’escalade nécessite du métier, de la passion et du courage. Ainsi qu’un cœur et une âme pour l’escalade, et beaucoup d’huile de coude. Sans cela, la mort subite n’est qu’une question de temps.
MARK SEBILLE
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BILLET D’HUMEUR
Le vert à soi… JEAN de MACAR Guide de haute montagne UIAGM
Une opinion peut être sincère sans pour autant être immuable, une conviction n’est qu’une croyance… J’ai voulu exprimer une idée sur cette page, mais à peine ma plume déposée, mon opinion était modifiée, autre instant, autre croyance…
bergers connue pour sa gentillesse, la qualité de ses produits et le respect d’une tradition ancestrale. – « Bonjour Monsieur, ne seriez-vous pas le fameux Pouluch ? – Oui, c’est moi, répond l’homme au regard bleu intimidant et aux rides profondes comme sa vallée. – Quelle chance de vous rencontrer, puis-je vous demander combien de temps il faut pour monter au sommet du Granero ? – Aucune idée, jamais été là-haut. – Mais c’est impossible que vous n’ayez jamais gravi cette montagne, on raconte que vous êtes né ici et on vous appelle le roi du Pra ! – Là-haut il fait encore plus froid que dans ma grange, il n’y a pas d’herbe pour mes chèvres et encore moins de fleurs pour préparer mon genépi… – Vous pourriez au moins m’indiquer le temps qu’il faut pour atteindre le refuge ? – Marche ! – Pardon ? – Marche ! » Vexé le touriste soulève son sac à dos, se met en route et entend :« Trois heures ! ».
Ces quelques mots jetés sur le papier ont voyagé de Genval à Anderlecht, de Belgique en Maurienne, du plat pays en Italie…qui descendrait l’Escaut… Chaque fois, ils sont revenus parfumés, adoucis, grandis. Quelques vieux sages ont limé les arêtes trop aiguës, émoussé ma fougueuse passion. Le recul m’invita à corriger, mais l’amour du spontané décida qu’il fallait préférer l’honnêteté du sentiment au contrôle du savoir. Si ce texte que vous allez peut-être lire ne traduit que mon point de vue subjectif, il espère susciter une réflexion sur quelques thèmes rencontrés pendant mes années d’ermitage alpin. Si vous préférez tourner la page ce n’est pas grave puisque à l’instar de tout ce qui a été écrit sur l’univers de la montagne depuis cinq siècles, cette prose n’a aucune importance !
Le vert à soi… Sur le chemin menant au Mont Granero un randonneur rencontre le patriarche d’une famille de page 48
J’ai eu le privilège de découvrir la montagne au cœur du haut Val Pellice où les bergers règnent sur le plateau fréquenté par quelques rares et discrets alpinistes. Ici, les clefs pour accéder au respect sont la gentillesse, la sympathie, la patience, la modestie… Le niveau, le curriculum, la vitesse et l’audace font pâle figure face au sourire sincère et au fou rire spontané. Mille fois je suis passé devant Pouluch et sa famille, armé de piolets, cordes, mousquetons, skis et textiles de cosmonaute et mille fois j’ai observé ce sourire attendri qui semblait dire : « T’es un peu fou, mais je t’aime bien quand même ». Il nous regarde partir, vêtu d’une chemise en laine ouverte à moitié puisqu’il ne fait que -10° C, le vieux chapeau vissé sur le crâne et un mégot se consumant depuis au moins quarante ans… « Ciao ciao, buona passeggiata ». Lorsqu’on aime la montagne, la mer, la forêt ou le désert, la nature devient notre terrain de jeu, un espace que nous voulons authentique, brut, parfait et surtout vierge de toute pollution. Cette
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Au-delà des prouesses techniques et d'une reconnaissance sportive, le vrai sommet est dans la rencontre humaine, dans la différence et l'écoute. pollution dont nous citadins sommes les principaux producteurs, nous aimerions l’oublier, l’ignorer, l’occulter le temps d’une escalade, d’une rando, d’une traversée. Nous rêvons d’un monde pur et idéal pour échapper un instant à notre routine, à nos métiers, à notre ennui, à notre manque d’oxygène, à quelques miroirs peu flatteurs… Quelques heures en voiture, une heure en avion et nous voilà au jardin d’Éden, immergés dans cette carte postale que rien au monde ne pourrait défigurer, ternir ou modifier d’une virgule. Dans cette nature sauvage, où nous projetons nos fantasmes et puisons la lumière et l’oxygène épuisés dans nos villes, vivent, survivent des familles qui ne jouissent pas toujours des facilités avec lesquelles nous avons grandi et auxquelles nous demeurons enchaînés… malgré mépris, déni et aventures lointaines ! Dans les Alpes, une des principales ressources réside dans le tourisme. Restaurants, campings, magasins de ski, remontées mécaniques, secours, transports, boulangeries et autres structures permettant aux autochtones de payer leurs factures, réparer leurs maisons, se chauffer et nourrir leurs enfants. Le bûcheron a besoin d’une tronçonneuse, le gardien de refuge a besoin d’une motoneige, le moniteur de ski a besoin des remontées mécaniques, l’apiculteur a besoin d’un camion pour transhumer, le secouriste a besoin d’un hélicoptère et parfois…le guide aussi. Tout cela vient évidemment perturber l’image d’Épinal indispensable au touriste assoiffé de rustique, d’antique, de culture figée dans la glace sur laquelle il pourra planter son piolet, visser ses broches sans craindre la moindre brisure…le selfie en souffrirait. Imposer notre philosophie aux habitants des Alpes ressemble à cette tendance que nous avons de vouloir transformer l’être aimé en fonction de nos croyances, de nos fantasmes, de nos peurs. Et cela au nom de l’amour !
Il y a quelques années un randonneur particulièrement agressif insultait mon collègue guide et gardien de refuge lui reprochant de travailler avec l’hélicoptère. Sa réponse fut sans équivoque : « Je ne viens pas à Turin pour t’expliquer comment gérer ton métier, ta voiture, ta famille et tu ne viens pas en montagne pour m’imposer ta morale et tes convictions ». Ce personnage antipathique et belliqueux vivait à 60 km du site où se déroula cette anecdote, que penser d’un Liégeois, d’un Anversois, d’un Bruxellois, d’un Namurois vivant toute l’année et toute sa vie à 800 km d’un village alpin dont il prétend juger et maîtriser les us et coutumes pour sa semaine de vacances ? En Belgique nous avons suffisamment à balayer devant notre porte plutôt que d’aller coloniser une culture que notre œil de touriste, (si si de touriste), ne comprend pas suffisamment, n’écoute pas attentivement, ne connaît pas assez. Parmi les quelques pains sur la planche, nous avons par exemple… euh… l’équipement et la sécurité sur nos belges falaises ? L’alpiniste est un sportif comme les autres, il est invité en montagne pour y vivre son hobby en s’adaptant aux choix des habitants. En relisant pour traquer mes quelques fautes d’orthographe, je réalise avoir oublié de mentionner un détail. Je suis totalement convaincu par la pensée écologique et profondément amoureux d’une nature sauvage et immaculée. Malgré les nombreuses années passées dans un écrin idyllique et les centaines de personnes que j’y ai guidées, j’estime ne pas avoir toutes les cartes en main pour juger le comportement de celui qui y est né, y a grandi, y vieillira. Au-delà des prouesses techniques et d’une reconnaissance sportive, le vrai sommet est dans la rencontre humaine, dans la différence et l’écoute. Comment réagirions-nous face à un Japonais prétendant interdire les fritkots bruxellois sous prétexte que les effluves l’incommodent lorsqu’il mitraille de photos notre cher Manneken-Pis ? Comment réagirions-nous face au touriste américain voulant prohiber la production de l’Orval car il estime cette pratique indigne des moines ? Rappelons-nous de nos ancêtres colonisant le Congo…
Grimpons, skions, marchons, courons, buvons et chantons…remercions et rentrons à la maison sur la pointe des pieds.
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du 28 juillet au 1er août 2021 à
Waimes
beslack.be
Lire Une histoire d’échecs, la vie chaotique d’un alpiniste JEAN BOURGEOIS Si vous avez apprécié les tribulations de Mick Fowler et Vic Saunders en Himalaya, vous aimerez ce livre truculent de Vic. Il vous dévoile sans chichi ses histoires les plus détonantes, bien arrosées de bière, comme il se doit pour un britannique, et d’humour, anglais bien évidemment. Des débuts de grimpe dans les environs londoniens sur des murs lézardés aux aventures tempétueuses sur le Ben Navis, en passant par un combat de boxe ahurissant, et de multiples aventures himalayennes, tout cela l’amène après trente ans vers une association légendaire avec Mick, son ancien massacreur à la boxe. Une histoire d’échecs, ce n’est pas seulement ce que l’on croit d’abord, c’est aussi une allusion au jeu des échecs dont il fait un parallèle intéressant avec les situations extrêmes rencontrées en haute montagne. Imaginez comme lui un joueur dont la situation est telle que chaque option qu’il page 50
Une histoire d’échecs, la vie chaotique d’un alpiniste Victor Saunders, traduction Éric Vola. Éd. Nevicata 2021, 230 pages ISBN 978-2-87523-176-5
doit prendre l’amène immanquablement à la perte d’une pièce. Et pourtant, il est acculé et obligé, pour ne pas perdre la partie, d’inverser le cours des choses en prenant la bonne initiative qui doit l’amener à remettre l’adversaire en difficulté et lui faire perdre l’initiative qu’il avait acquise. Guide de haute montagne résidant à Chamonix, Vic est considéré comme un expert en avalanches. Mais il soulève ce paradoxe : pourquoi tant d’experts en avalanches se font-ils piéger par elles ? Sa réponse est irrévocable et vous la découvrirez en lisant ce livre, que je vous recommande.
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Jean Dorismond Lundi au jeudi
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PRÉSIDENT
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Didier Marchal president@clubalpin.be
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CENTRE DE FORMATION
Marianne Coupatez de 9h00 à 12h30 et de 14h00 à 16h30 T 08123 43 21 marianne@clubalpin.be COMPTABILITÉ Éveline Thomas Mardi et jeudi de 9h00 à 12h30 et de 13h30 à 15h30 (uniquement sur rdv) T 0495 88 50 46 comptabilite@clubalpin.be RESPONSABLE ROCHERS Joe Dewez T 0483 04 61 26
DÉCOUVREZ LES CERCLES du Club Alpin Belge sur clubalpin.be/cercles
HAUT NIVEAU NATIONAL
COORDINATION GÉNÉRALE/ DIRECTION TECHNIQUE
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Ludovic Laurence
Ysaline Sacrez (formations fédérales) Lundi, mardi et un jeudi sur deux. Françoise Evrard (formation des cadres sportifs) Lundi, mardi et le mercredi matin T 081/ 23 43 22 formations@clubalpin.be RESPONSABLE COMMUNICATION RÉDACTRICE EN CHEF A&A Marie Pierret Lundi, mardi et mercredi T 0497 99 77 88 marie@clubalpin.be
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COMMUNICATION BELGIAN CLIMBING TEAM
AGENTS TECHNIQUES
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Ardennes & Alpes
Revue trimestrielle du Club Alpin Belge IMAGE DE COUVERTURE Portrait Sean Rolo Garibotti © 2021
Fédération francophone d’escalade, d’alpinisme et de randonnée – Asbl Avenue Albert 1er, 129 – 5000 Namur Ardennes & Alpes est ouvert à tous les correspondants belges ou étrangers. Les articles n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Reproduction autorisée (sauf mention contraire) avec l’accord de l’auteur et mention de la source : extrait d’Ardennes & Alpes, revue du Club Alpin Belge, n°208
ÉDITEUR RESPONSABLE Didier Marchal GRAPHISME Chez Vincent - STUDIO GRAPHIQUE vincenthanrion@gmail.com @chezvinc (facebook · insta · linkedin)
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ELISABETH // Grimper en falaise permet d’associer l’effort physique et la communion avec la nature. Après avoir fait face à la difficulté, on se retourne pour se retrouver face à une vue imprenable sur une forêt, une vallée, une chaîne de montagne… Loin du bruit et de l’agitation de la ville. Cette sérénité m’apporte un bien-être mental. //
ADJAMA / LUNA
Harnais d’escalade et d’alpinisme avec tours de cuisse ajustables pour la pratique en falaise et en grande voie, disponibles en version mixte (ADJAMA) et en version spécifiquement adaptée à la morphologie féminine (LUNA). www.petzl.com