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Tijl Smitz, un nouveau président à la tête de l’IFSC Europe

Tijl Smitz

un nouveau président à la tête de l’IFSC Europe

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STÉPHANIE GREVESSE

L’International Federation of Sport Climbing (IFSC), la fédération internationale d’escalade sportive, est l’organisation faîtière qui regroupe les fédérations nationales d’escalade au niveau mondial, soit environ 80 pays. Elle a pour vocation de développer l’escalade sportive et, pour ce faire, elle administre et promeut notamment l’organisation de compétitions. Elle homologue ainsi plus d’une quarantaine d’événements chaque année. Elle se compose de différents continental councils, dont l’IFSC Europe. Le 13 novembre dernier, lors de l’Assemblée générale qui a eu lieu à Figueira da Foz, au Portugal, notre compatriote Tijl Smitz a été élu président de l’IFSC Europe pour les 4 prochaines années. Rencontre.

Stéphanie Grevesse : Tijl, on te connaît en tant que directeur sportif du Club Alpin Belge et membre actif au sein de CMBel. Comment en es-tu arrivé au poste de président de l’IFSC? Tijl Smitz: Dans le passé, j’ai toujours cherché à trouver les points communs des gens, à rassembler les différentes opinions et à défendre les objectifs communs qui aident tout le monde à avancer. À Leuven, en Flandre, au niveau belge soit en équipe nationale soit avec le Belgian Climbing Network, au CAB, … j’ai pu et je peux toujours travailler avec de belles équipes pour créer des projets qui montent haut. Au niveau international, les coaches européens m’avaient choisi comme représentant et, en 2016, CMBEL et le CAB m’ont choisi comme représentant à l’IFSC et l’IFSC Europe. Mais le fait d’avoir toujours été en contact avec plein de gens et d’avoir entendu beaucoup d’opinions et d’idées, finalement, j’imagine que c’est la raison pour laquelle je suis à ce poste maintenant. En plus j’avoue qu’au niveau belge, j’avais besoin d’un nouveau défi dans mon boulot. Avec une bonne équipe autour de moi (l’année passée, il y avait Ludo, Marco et Jean), ça fonctionne vraiment bien. J’ai un grand soutien de leur part. Maintenant, Marco s’en va et son remplacement s’organise. Normalement, une fois que son successeur sera en poste, on aura à nouveau une bonne équipe ici. Je constate aussi que pas mal de choses ont bougé pendant la COVID. On a eu le temps de discuter davantage avec les gens, les clubs, les entraineurs, les athlètes. On a pu travailler avec les athlètes en direct, là où dans le passé on avait juste des saisons qui s’enchaînaient l’une après l’autre avec les compétitions. On voyait à peine les athlètes. Ici on a vraiment eu le temps de les voir, de discuter avec eux, de faire de plus gros stages ensemble. Cela a permis aussi d’avoir une meilleure compréhension de ce qui est nécessaire. Tout cela fait que la dynamique en Belgique est en train de changer fortement. Je pense que ça avance bien, ça donne plus de plaisir. Le défi international est un extra qui donne encore un peu plus de piment à la sauce, pour moi personnellement. SG: Quelles sont tes ambitions, quelles sont les idées que tu as envie d’amener au cours des 4 années de ton mandat?

TS: Avant, je réfléchissais aux choix sur le format, j’avais des idées sur comment les compétitions doivent se dérouler ou sur comment organiser le

IFSC/Board Meeting © 2021

développement des ouvreurs ou des juges ou des trucs comme ça. Finalement, et ça peut paraître un peu prétentieux, ce genre de questions n’est pas pour moi en tant que président. Selon moi, mon boulot comme président de l’IFSC Europe consiste simplement à garantir qu’il y ait beaucoup d’interactions, beaucoup de communication, que toutes les fédérations, toutes les parties prenantes puissent participer au projet. Dans le passé, plusieurs fédérations nationales ont pu avoir l’impression de ne pas être impliquées dans les choix de la fédération internationale. Par exemple, en Belgique, on avait l’impression que l’IFSC décidait ce qu’elle voulait et qu’on devait juste suivre. Pour moi, il très important que, d’une part, toutes les fédérations nationales qui sont finalement les membres de l’IFSC – l’IFSC n’existe que par cela – se sentent impliquées, intégrées et écoutées, puissent construire avec nous et puissent par exemple aussi aider les «petites» fédérations nationales à se développer et à avoir des échanges. Mais, d’autre part, il s’agit aussi d’avoir un bon contact avec les athlètes, les ouvreurs, les juges, avec tout officiel et tout organisateur de compétition ainsi qu’avec les médias, les sponsors. M’assurer que tout le monde comprenne pourquoi on fait ce qu’on fait: ce n’est pas juste pour les médailles et sûrement pas juste pour avoir de l’argent – pour ça il faut choisir un autre sport – mais c’est faire en sorte que tout le monde sache pourquoi il s’engage. Si tu donnes l’opportunité à des gens d’intégrer le projet, de participer au projet, alors ils vont décider euxmêmes jusqu’où ça vaut la peine d’aller, pourquoi ils le font et ils le définissent mieux ainsi. Ça, pour moi, c’est le boulot du président de l’IFSC. Je ne vais pas décider si le bloc va se faire avec deux ou trois zones, si le temps va être décisif en lead ou pas. J’ai bien sûr mes idées là-dessus et j’espère quelque part que les décisions seront claires parce que tout le monde partage les mêmes idées et a conclu que ça, ça sera la bonne décision, alors moi j’aurai juste à mettre ma signature. SG : Il y a donc une équipe qui s’occupe des aspects plus opérationnels, que toi tu vas valider? C’est le but. Au CAB, par exemple, on a un CA et on a une équipe d’employés. L’IFSC International se compose elle aussi d’un CA, auquel je participe en tant que représentant de l’Europe, et d’une équipe d’employés. À l’IFSC Europe, nous sommes uniquement des bénévoles regroupés en CA et nous avons l’avantage d’avoir un employé à raison de 10 heures par semaine pour le moment. Cela va évoluer. Finalement, tout le reste du boulot opérationnel qui doit se faire, c’est toujours dépendant du bénévolat qui vient des fédérations nationales et c’est en contactant les fédérations nationales qu’on va pouvoir organiser des choses. Déjà pour les compétitions, on a clairement besoin d’une fédération nationale qui souhaite organiser. Il y a une douzaine de compétitions par an au niveau européen. Alors il faut déjà 12 fédérations nationales différentes organisatrices. Mais à côté de cela, pour développer le paraclimbing, on va créer une commission paraclimbing européenne. Pour travailler le développement durable, on a une commission spécifique également ; pour le suivi journalier, il y a une commission sportive qui, un peu comme en Belgique avec la TCCC, se compose de représentants des coaches, des athlètes, des ouvreurs, des juges, des organisateurs, et ce sont eux qui prennent les décisions sportives ordinaires. Finalement, c’est la commission la plus importante. Les autres sont de nouvelles commissions: développement durable et développement sportif. Le développement sportif a pour objectif

Michaël Timmermans © 2021

L’International Federation of Sport Climbing (IFSC)

• L’IFSC a été créée en 2007 avec un but: faire de l’escalade un sport olympique. • L’IFSC est organisée sous forme d’ASBL basée en Suisse. • L’IFSC Europe est la plus grande fraction de l’IFSC. Elle compte actuellement 41 pays représentés par des fédérations nationales où œuvrent principalement des bénévoles.

d’aider les différentes fédérations nationales à se développer et l’autre pointe vraiment les enjeux durables pour le futur de notre Terre-Mère. SG: Qu’est-ce que ça va changer dans ton travail au Club Alpin? TS: Avant, j’étais mi-temps directeur sportif et mi-temps coach. Depuis un certain temps, je faisais de moins en moins de coaching, car je sentais qu’il y avait de meilleures personnes pour faire ce boulot. Au fur et à mesure, j’ai perdu le fil et du temps s’est libéré. Le CAB a convenu que je pouvais consacrer une journée par semaine à ce boulot international. Là où, dans le passé, j’étais davantage sur le terrain, maintenant, je vais être davantage dans la gestion de dossiers et les choix stratégiques. Je vais continuer à être sur le terrain, mais avec une nouvelle casquette. En soi, mon boulot pour le CAB ne change pas tellement. Je sens déjà que j’ai clairement moins de temps libre, parce que certaines choses prennent plus de temps que prévu et qu’il y a des dossiers inattendus. C’est à moi de gérer cela personnellement. SG: Qu’est-ce que ça va changer pour la Belgique d’avoir un président belge à l’IFSC Europe? TS: Pour la Belgique, je pense juste qu’on sera encore plus au courant de ce qui se passe, même si je pense que si je n’avais pas été belge, mais tout de même président, la Belgique aurait été informée aussi davantage que dans le passé, parce que c’est mon envie en tant que président d’impliquer davantage toutes les fédérations nationales dans ce que fait l’IFSC. Il est certain que j’aurai connaissance des informations à l’avance et que je devrai en garder certaines confidentielles aussi. En tout cas, ça montre surtout la direction professionnelle qu’on prend dans notre sport : en Belgique, davantage de temps de travail est libéré pour construire notre sport et ça, c’est une bonne chose je pense. Ce n’est pas directement lié à mon élection, mais c’est quand même une tendance marquée. Par exemple, de plus en plus d’entraîneurs et d’ouvreurs travaillent dans ce sport, pas juste comme bénévoles. C’est cette évolution-là qui est une bonne chose. Le bénévolat est indispensable pour avoir une dynamique, créer une vraie vie de fédération, mais de l’autre côté, il faut aussi avoir des gens qui, vu qu’ils s’investissent à fond, qu’ils amènent des capacités, puissent s’investir en tant que professionnels. C’est une bonne chose pour l’IFCS aussi. Le CA de l’IFSC Europe compte notamment 4 employés de fédérations qui peuvent se consacrer à cette fonction dans le cadre de leur travail. Ce n’est pas une conséquence pour la Belgique, mais surtout une évolution très prometteuse pour le futur de notre sport. SG: Quelle est l’articulation de l’IFSC par rapport au COI dans le cadre de l’organisation des JO? Le COI a le monopole sur toute décision: il décide quel sport sera représenté aux JO, comment et dans quelle discipline exacte, le nombre de médailles, le nombre d’athlètes, etc. Finalement, nous avons très peu de pouvoir là-dessus en tant que fédération internationale. C’est un peu du lobbying: montrer que nous sommes capables d’être un sport mondial. Le fait qu’on a toujours eu le même prize money pour les femmes que pour les hommes, c’est un atout dans notre message vers le COI, comme

le fait que nous sommes axés sur la nature et le développement durable. Mais ce qui est le plus important pour le moment pour le COI, c’est de voir que l’escalade suscite beaucoup d’intérêt de la part du public. Lors des JO de Tokyo, des analyses ont été réalisées à propos du trafic sur les réseaux sociaux et l’escalade était le sport qui a été suivi de la façon la plus homogène dans le monde entier. Le skate-board, par exemple, était très suivi en Amérique, au Japon et au Royaume-Uni, mais peu dans le reste du monde, là où l’escalade était suivie à travers le globe de manière plus homogène. Et cela plaît au COI. SG: Comment peut-on expliquer cet engouement pour l’escalade? TS: Bonne question. Je pense que c’est urbain, c’est nouveau, il y a de plus en plus de gens qui testent ce sport à l’école, avec les scouts, les parents, lors d’une fête d’anniversaire, … De plus en plus de monde connaît le sport, c’est très accessible. Le côté social du bloc attire beaucoup de gens. Il y a donc, d’une part, beaucoup plus de pratiquants et, de l’autre, au niveau des spectateurs, ça semble fonctionner. C’est aussi lié au fait que ça vise les jeunes et, quand on vérifie le trafic sur les réseau sociaux, on se rend compte que ce sont surtout eux qui le génèrent.

J’ai toujours cherché à trouver les points communs des gens.

SG: Au niveau des compétitions internationales IFSC, comment vont s’organiser les sélections des athlètes pour les prochaines JO? TS: Pour le moment, nous avons le désavantage avec l’escalade d’être un sport invité. Au niveau des formats, c’est donc un peu compliqué. En natation par exemple, les athlètes savent dès leur plus jeune âge que faire pour devenir champion olympique. C’est beaucoup plus facile. En escalade, on est actuellement en 2022 et on ne connaît toujours pas le format exact pour Paris: ce n’est toujours pas confirmé. Le COI vient d’annoncer que l’escalade deviendra un sport fixe du programme olympique dès les JO de Los Angeles 2028. Cela va donc se définir dans le futur, mais actuellement on est encore dans l’incertitude quant au format et aux critères de sélection exacts pour les prochains JO. D’ici mars, suite à l’AG de l’IFSC aux États-Unis, il y aura des communications vers toutes les fédérations internationales avec le format et le système de qualification officiels. Cependant, on teste un nouveau format, c’est-à-dire boulder-lead d’une part et speed de l’autre. Le format boulder-lead sera testé cette année à Munich. Heureusement, entretemps l’IFSC a décidé de faire aussi d’autres événements test (parce que le championnat d’Europe qui sert de premier test, ça fait beaucoup de stress pour le nouveau président, rires). Ce qui est encore plus important pour moi, c’est de faire de bonnes évaluations après les tests et après l’événement à Munich aussi.

SG : Qui décide au final du format adopté pour les JO? TS: L’IFSC propose et le COI valide ou pas. Il y a bien entendu des interactions entre les deux organes et le COI donne des lignes directrices. Par exemple, on sait que pour le moment, le speed et le lead sont OK pour les JO, mais que le format actuel du boulder sera probablement revu. En effet, cette discipline est plus compliquée à comprendre pour le public, elle prend plus de temps et il est difficile de rendre la réalité de la compétition (plusieurs grimpeurs en même temps sur différents murs) sur un plan visuel pour les téléspectateurs. Des pistes sont actuellement étudiées pour rendre le format plus attractif. Évidemment, la question se pose de savoir si on va changer le sport. Je n’ai pas de craintes à cet égard: la grimpe en falaise existera toujours, pour le haut-niveau, c’est sûr qu’il faut chercher les pistes les plus intéressantes pour montrer le sport. Les trois disciplines – boulder, lead et speed – continueront d’exister, mais il est possible qu’elles changent un peu. Par exemple, prenons le combiné en ski: le

slalom y est plus facile que dans le slalom normal. Est-ce grave? Non, c’est toujours un beau sport à regarder. Certains déplorent que ce n’est plus leur sport, mais pour chaque individu, le sport est défini autrement, chacun vit son sport différemment, alors je ne m’inquiète pas trop là-dessus. SG: Quelques mots pour clore cet entretien? TS: J’ai un nouveau défi au niveau international, mais je serai assez proche de tout ce qui concerne la Belgique aussi. Ce n’est pas parce que je travaille pour l’international que je vais oublier la Belgique, cela me tient à cœur. Parfois on me demande comment je ferais dans le cas où je me trouverais en présence d’intérêts différents. Mais, au final, je n’ai pas d’intérêts différents: j’essaie de faire évoluer le sport, l’escalade, à tout niveau. Et si, par exemple, une décision doit se prendre au niveau européen et que je suis impliqué dedans parce qu’il y a des intérêts belges, je me retire de la décision. Cela vaut pour tout membre du CA. De même, si j’ai un avis personnel qui diffère de celui partagé par les fédérations nationales, je laisse l’Assemblée générale prendre la décision. Ce n’est pas à moi de trancher. Tout le monde doit aussi savoir que l’escalade essaie de s’organiser d’une manière démocratique au niveau belge également et qu’en cas de soucis, on peut toujours contacter un membre du CAB, de la KBF ou de CMBel afin d’en parler et de trouver une solution.

J’essaie de faire évoluer le sport, l’escalade, à tout niveau.

IFSC/Board Meeting © 2021

STÉPHANIE GREVESSE

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