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United Mountains of Europe
ELINE LE MENESTREL
Arthur Delicque © 2021
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United Mountains of Europe commence avec cinq jeunes femmes, on ne peut plus différentes, réunies par notre amour des montagnes et notre engagement environnemental. Nous avons entre 23 et 26 ans et lors de notre première rencontre, l’idée est née ainsi: et si nous faisions un trip à travers l’Europe pour montrer que c’est possible de pratiquer des sports de montagne de manière durable?
Notre idée d’aventure s’est vite élargie d’une dimension intellectuelle. Inspirées par des fleuves d’Inde, de Nouvelle-Zélande et d’Australie qui ont récemment acquis le statut de personnalité juridique, nous nous sommes demandé: «Que se passerait-il si les montagnes d’Europe avaient des droits? Est-ce que cela pourrait nous aider à faire face à la crise environnementale ? » Alors nous avons décidé de faire ce voyage aussi pour aller à la rencontre de différentes communautés qui vivent dans les montagnes, pour les écouter, recueillir leurs idées, leurs demandes, leurs témoignages et leurs avis sur la question d’une déclaration des droits des montagnes d’Europe. En parallèle, nous avons fait un autre constat: en tant que pratiquants de sports de montagne, nous
L’équipe de United Mountains of Europe: Dans l’ordre Sara Segantin, Alessia Ioti, Adele Zaini, Eline Le Menestrel et Giorgia Garancini.
sommes aux premières loges pour observer les conséquences du réchauffement climatique. +1,5 °C en général sur la surface terrestre, c’est +3 °C en montagne. Beaucoup d’initiatives environnementales voient le jour au sein de la communauté outdoor pour faire face à cette crise, mais elles sont un peu isolées, comme des étoiles dans le ciel. On s’est dit qu’on avait besoin d’un projet qui regroupe le tout, comme une constellation, pour créer un réseau. D’où le « United » : on voulait relier les initiatives déjà existantes, ne pas repartir de zéro même si on apporte une dimension nouvelle – la notion de déclaration des droits des montagnes. On a donc eu envie que notre voyage finisse à Bruxelles, capitale européenne, pour partager notre expérience, porter la voix de la communauté outdoor et cocréer des solutions concrètes avec des membres des institutions européennes. On a ressenti le besoin de se parler et de se voir en vrai. On voulait que les différents acteurs se rencontrent, qu’on ait des discussions ensemble. On voulait rassembler la richesse des points de vue. L’idée de base était d’écrire une déclaration des droits des montagnes et de la proposer toutes les cinq au Parlement européen le 11 décembre car c’est la journée internationale des montagnes. En creusant le sujet, on s’est rendu compte que définir une montagne d’un point de vue juridique était en fait très compliqué (merci l’effet Dunning-Kruger !). Nous ne sommes ni juristes, ni spécialistes. Puis on a appris que certaines déclarations des droits des fleuves restaient d’ordre symbolique. Or, on ne veut pas seulement avoir une belle déclaration, on veut qu’il y ait des répercussions dans la réalité de la gouvernance et dans les politiques de conservation des régions montagneuses. L’efficacité est une valeur du projet depuis le début. L’urgence est trop grande pour les belles paroles. Donc, deux mois avant le jour J et malgré la situation sanitaire, on a décidé d’organiser un évènement plutôt que de nous rendre toutes les cinq au Parlement. On a voulu que le réseau créé par notre initiative se concrétise afin d’ouvrir un autre type de porte.
Le 11 décembre 2021 à Bruxelles
On a divisé la journée du 11 décembre en deux parties, respectivement nommées « introvertie » et « extravertie ». Le matin a eu lieu la partie «introvertie», où on a réuni des acteurs faisant déjà partie de la communauté outdoor pour un think tank. On était 25, dans une école. Il y avait des membres de la Commission européenne, des membres du Club Alpin Belge, de la FFME ou du Club Alpin Italien, des athlètes (dont Sean Villanueva, Siebe Vanhee), des pratiquants, des activistes, des gens qui travaillent pour des marques outdoor, notamment le spécialiste Sponsoring et Évènements de Salewa, venu à vélo des Dolomites. La matinée était organisée autour de deux ateliers visant à réfléchir à deux sujets préparés à l’avance. Le premier consistait à redéfinir notre relation à la nature en posant la question «est-ce qu’une déclaration des droits des montagnes serait utile pour cela, est-ce que c’est la première chose à faire?» et le second à repenser l’aventure, notamment en évoquant le transport, la performance et le changement culturel. Le mélange d’acteurs était vraiment intéressant et a permis des discussions très riches où les vraies questions étaient sur la table. Par exemple, lors du premier atelier, on a échangé sur la frontière entre, d’une part, s’adapter au système en place pour l’utiliser au service de nos fins et, d’autre part, changer les parties du système qui nous empêchent d’y arriver. Quels sont les leviers dont dispose la communauté outdoor pour engendrer un changement culturel dans notre relation à la nature ? Les institutions européennes peuventelles être notre point d’appui ? Ont-elles la capacité de répondre à ce qu’on leur demande? Comment écrire une déclaration des droits des montagnes pourrait et ne pourrait pas redéfinir notre relation au reste du vivant et du non-vivant? Une des idées qui est ressortie est que la
Avec United Mountains of Europe nous avons ouvert plusieurs portes: une porte pour les membres de la communauté outdoor qui souhaitent s’engager et qui ont pu rejoindre le réseau d’acteurs que nous avons réunis; une porte pour ceux qui ne font pas encore partie de cette communauté et qui sont attirés par la beauté des montagnes et tout ce qu’elles peuvent apporter; une porte vers un dialogue direct avec les institutions européennes pour cocréer des solutions concrètes avec nos décideurs. Concrètement, on ne peut pas encore vous dire quelles sont les prochaines étapes du projet. Mais si vous êtes intéressés d’y participer d’une manière ou d’une autre, n’hésitez pas à nous contacter! united.mountains.of.europe@gmail.com
pratique de sports en montagne peut être une alternative crédible à la croissance qu’on nous a vendue comme but ultime.
On peut voir les montagnes comme des lieux où définir notre identité et donner un sens à notre vie est possible, sans dépendre de la consommation de biens matériels qui est institutionnalisée dans nos sociétés. On peut dédier une partie du temps de nos pratiques outdoor à la prise de conscience du reste du vivant et du non-vivant qui nous entourent, à aiguiser notre attention. On arrive ainsi à ne plus voir les montagnes comme un terrain de jeu personnel, mais comme des entités avec lesquelles dialoguer et pourquoi pas comme des personnalités dotées de droits. Lors du second atelier, on a réfléchi à nos pratiques en se demandant si les montagnes étaient un endroit qui se prête à la quête de la performance comme c’est souvent le cas aujourd’hui. Et si nous mettions davantage l’accent sur l’aventure et l’expérience vécue que sur un chiffre ou un résultat? Qu’est-ce qui est extraordinaire dans nos sports et qui est-ce qui les définit? Nous avons parlé de tourisme durable, car c’est bien beau d’encourager les gens à aller en montagne comme on disait dans le premier atelier, mais cela n’a de sens que si c’est fait dans le respect des territoires, des paysages et du reste du vivant. Concernant le transport, on s’est demandé comment considérer nos déplacements comme partie de l’aventure pour leur donner une nouvelle dimension. On a fait apparaitre une relation primordiale entre le temps, l’espace et le tourisme durable que ces mots d’une participante résument bien: «En ne prenant plus l’avion, j’ai agrandit ma Terre». L’après-midi, c’était la partie extravertie. Nous sommes allés dans le parc du Cinquantenaire, tout près de la Commission européenne, un endroit symbolique parce que les grimpeurs belges allaient y faire des traversées avant qu’il y ait des salles d’escalade. Au début, on voulait grimper sur les arcades, mais on n’a pas eu l’autorisation. L’idée, c’était d’ouvrir le débat vers l’extérieur et de partager publiquement les trois demandes pour le Parlement européen, rédigées en amont à partir des témoignages, idées et demandes récoltées pendant notre voyage: 1. Reconnaître la nécessité d’un changement culturel qui redéfinisse la relation
«être-humain nature» afin de surmonter la crise environnementale. Faciliter le rôle de la communauté outdoor dans la conduite dudit changement. 2. Renforcer et repenser la législation de l’UE pour soutenir la mise en place efficace de systèmes et d’infrastructures touristiques durables. 3. Créer un groupe de travail réunissant des acteurs d’expérience et de connaissances diverses des montagnes ainsi que des membres des institutions européennes dans le but de rédiger la déclaration des droits des montagnes, afin de soutenir les communautés locales et les autres acteurs concernés dans la préservation des régions montagneuses. La dimension artistique avait une place centrale dans cette seconde partie de l’évènement. Cela fait un certain temps qu’on a les données sur la crise environnementale, pourtant, on a très peu agi. Peut-être parce qu’on s’est un peu trop
Le think tank à l’institut Saint-Stanislas (merci à eux pour les locaux!)
Arthur Delicque © 2021
Ardennes & Alpes — n°211
Arthur Delicque © 2021
Ci-dessus: La partie extravertie au Cinquantenaire Ci-contre: Alessia en plein Live Graphic Recording
adressé à la partie rationnelle de l’humain. Nous voulions donc utiliser l’art pour nous adresser à la partie émotionnelle de l’humain; pour que l’envie de s’engager parte d’une émotion plutôt que d’un raisonnement cartésien. C’est pour cela que nous avons ancré UME dans notre amour de la montagne. On voulait l’exprimer en le mettant en musique ou en dessin pour que les gens soient émus et qu’en conséquence, ils aient envie de s’engager. Il y avait également une exposition avec des cartes postales récoltées lors d’une de nos campagnes: nous avions demandé à la communauté de nous envoyer une carte postale avec une idée, un poème, un point de vue, un dessin… L’évènement a été un beau succès. À peu près 150 personnes étaient présentes l’après-midi et il y avait une belle ambiance, pleine de bienveillance, de convivialité et de rêves. Notre campagne #NoMatterWhereYouAre, a eu lieu en même temps sur les réseaux, où des passionnés qui n’avaient pas pu faire le déplacement partageaient une photo en montagne avec une pancarte ou un message à faire passer. Le délai très court avec lequel nous l’avons organisé ainsi que la situation sanitaire n’ont vraiment pas rendue la chose facile. D’ailleurs, beaucoup nous ont suggéré de décaler le projet à l’année prochaine, pour avoir plus de temps pour s’organiser, créer ce réseaux d’acteurs et réunir plus de ressources. Les gens de la génération de nos parents avaient envie que l’on fasse les choses plus lentement, avec plus de soin. Mais pour nous, l’urgence était là. C’est maintenant qu’il faut redéfinir l’aventure et repenser nos pratiques. La crise du COVID a créé une opportunité que nous ne voulions pas laisser passer. On nous a aussi suggéré de faire un évènement virtuel, mais nous voulions nous rassembler pour de vrai. Ou du moins, essayer. Cela a été un investissement énorme, on a voulu abandonner de nombreuses fois et on a failli se taper dessus à plusieurs reprises. Mais on a beaucoup appris et on est très contentes du résultat.
Arthur Delicque © 2021
Alors un très grand merci au CAB qui nous a fait confiance deux mois avant le jour J quand rien n’était encore organisé et qui a décidé de s’encorder avec nous. C’était audacieux ! Cet évènement a été une belle réussite malgré le délai très court et le contexte COVID, car on l’a organisé en Belgique et que la Belgique a le merveilleux avantage d’être peuplée de Belges ! C’est l’enthousiasme, la bonne humeur, les belles valeurs et la capacité à rêver grand sans pour autant avoir le cou qui gonfle qui ont fait que ça marche. Un grand merci aussi à tous les participants, à Salewa et au Club Alpin Italien pour leur soutien, notamment financier, ainsi qu’à tous les généreux donateurs du crowdfunding. À bientôt au grand air
ELINE LE MENESTREL