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Un topo de grimpe urbaine échafaudé à Marseille par un grimpeur belge

Un topo de Geoffrey Delhaye © 2021 grimpe urbaine

échafaudé à Marseille par un grimpeur belge

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GUILLAUME VANDE GHINSTE

L’histoire commence il y a plus de treize ans quand pour la première fois on me parle d’un sport un peu atypique qui consisterait à sauter de toit en toit à travers la ville.

Je vis à cette époque dans le Hainaut, à Brainele-Comte, où les sauts entre les toits ne courent pas les rues. Je me renseigne donc un peu plus, un peu mieux, et découvre alors que ce fameux sport, le parkour, ce n’est pas juste sauter entre les toits, jouer au Yamakasi. Non. Le parkour c’est une discipline absolument incroyable aux potentialités infinies. Je me plonge donc à tête perdue dans cette pratique. L’art du déplacement, comme l’appelle son initiateur David Belle, naît dans les années 1980 dans les banlieues parisiennes. Cette méthode d’entraînement issue de l’hébertisme consiste à se déplacer en milieu urbain (surtout) d’un point A à un point B le plus efficacement possible. Pour parler plus clairement, tout ce qui se présentait devant nous, un banc, un mur, une barrière, une rampe d’escalier, on les grimpait, les franchissait, les sautait, on les transformait en un terrain de jeu à ciel ouvert avec une diversité de mouvements et de déplacements inépuisable. Cette passion m’a dévoré pendant de longues années. Passer mes journées à pratiquer ce sport dans la ville m’a gratifié d’une vision toute particulière de cette dernière.

Quand une cage d'escalier devient un dévers à bonnes prises

Giovanni Brajato © 2021

Kita en plein effort dans la «Ramp'hard» - 6c+ à la Major

J’ai appris à aimer ces coins de rue jamais empruntés où seule la vision d’un traceur (pratiquant du parkour) peut trouver du charme. J’ai appris à communiquer avec des inconnus intrigués par notre activité; appris aussi à me concentrer, à effacer le brouhaha ambiant pour ne pas tomber au moment d’un saut engagé; appris à percevoir la ville sous un autre prisme, à l’aimer et à vouloir la défendre; appris donc à m’intéresser aux enjeux qui l’animent et compris à quel point l’espace qu’elle occupe, l’espace public, figure l’importance capitale dans les liens qui nous rassemblent en tant que citadins. Au cours de ces années, j’ai découvert la grimpe grâce à ma sœur aînée, avant tout dans l’optique d’affiner mon entrainement «parkour». J’ai donc enfilé des chaussons d’escalade pour de temps à autre grimper en salle. New rock une soirée, Itinéraires AMO une autre, découverte de la salle intimiste de Terre Neuve ou celle, chaleureuse, de Doische. Mais c’est quelques années plus tard que le coup de foudre intervient. Fraîchement débarqué à Marseille, je grimpe pour la première fois en falaise. Au grand air. Le plaisir, certes véritable mais incomplet, de l’escalade en intérieur se voit comblé par la découverte de cette nouvelle manière d’avancer verticalement. Je tombe alors pleinement dans le monde féérique de la grimpe. Les Calanques comme terrain privilégié et tout le sud-est de la France pour des rêveries infinies. Cependant, le lien qui me rattache à la ville est indéfectible… La suite est simple, claire, limpide. Je m’initie à la grimpe urbaine. La grimpe urbaine se pratique de plusieurs façons. La plus connue, sans doute grâce à sa dimension impressionnante et sa diffusion médiatique, est la grimpe de buildings. On a toutes et tous en tête les ascensions d’Alain Robert qui est et reste la figure emblématique de la discipline. Mais il n’en est pas le père fondateur. À la base, un jeune alpiniste anglais, Geoffrey Young, rédige pour la première fois en 1899 un topo guide de grimpe des bâtiments de l’université de Cambridge. Il cherche en cela à se moquer des alpinistes de l’époque qui se prennent trop au sérieux selon lui. Il s’agit là de la première «trace» officielle de grimpe urbaine. À la suite de ces quelques ascensions, d’autres suivront le mouvement. Parmi eux, Harry Gardiner, grimpeur urbain états-unien, qui gravira plus de 700 bâtiments aux États-Unis et en Europe. La façon dont il escalade et dont sont médiatisés ses exploits se rapproche fort de ce qu’on connaît actuellement. On peut donc légitimement le considérer comme le précurseur de la grimpe de gratte-ciel telle qu’on la conçoit de nos jours. Dans les années 80, un jeune grimpeur français, Alain Robert, fait parler de lui grâce à ses enchaînements de voies dures dans le sud de la France. Il est proche du top niveau sans être le meilleur, mais il réalise de nombreuses voies à leur niveau max en free solo intégral. Ce qui fait toute la différence. Parmi elles, «La nuit du lézard» un 8a+ majeur de Buoux, la falaise à la mode à l’époque ou encore «compilation» un 8b dans les gorges d’Omblèze. Par la suite, encouragé dans sa carrière par des sponsors, il se met à la grimpe de buildings. Visitant Chicago d’abord, trouvant l’inspiration sur les bâtiments de la Défense à Paris, ensuite, où il réalisera de nombreuses ascensions périlleuses. Des dizaines de gratte-ciel ont donc vu passer « le spiderman» français (on repassera pour l’originalité du surnom…) et ce dans les plus grandes métropoles mondiales.

Copenhague, Londres ou encore Marseille ont finalement été les premiers lieux de pratique du bloc urbain.

Suivent un paquet d’années sans que personne ou presque ne lui emboîte le pas. Mais depuis maintenant 2 ou 3 ans une dizaine de grimpeurs, principalement européens et français particulièrement, apprivoisent à leur tour les plus hauts sommets urbains. La figure de proue de cette nouvelle génération s’appelle LéoUrban. Vous pourrez retrouver une interview retraçant son parcours dans mon livre. Mais j’y reviens plus tard. La seconde manière de grimper dans la ville m’intéresse bien plus. Le bloc urbain ou urbanbouldering ou encore buildering se pratique depuis longtemps à l’instar des blocs de la forêt de Fontainebleau que les alpinistes parisiens utilisaient comme terrain d’entraînement. De nombreux autres utilisaient des murs de leur ville pour exécuter des traversées dans l’objectif prévisionnel d’ascensions montagneuses. Copenhague, Londres ou encore Marseille ont finalement été les premiers lieux de pratique du bloc urbain. Mais il faut attendre le début des années 2000 et se téléporter à Montréal pour voir les premiers grimpeurs se saisir différemment de la discipline. Le «crew des oiseaux» va pour la première fois chercher des lignes esthétiques et dures s’inspirant du bloc en milieu naturel. Ils partagent leurs trouvailles via des vidéos qu’ils postent sur internet (Dist-Urban Behavior sur Dailymotion pour les plus curieuses/curieux d’entre vous). Cela va permettre d’ouvrir le champ des possibles et en inspirer d’autres dans les villes des quatre coins du monde. À Genève notamment, mais aussi San Francisco et surtout Londres, une des villes qui jusqu’à présent détient le plus de blocs urbains. À Marseille, une vraie communauté s’est créée au cours de ces quatre dernières années. À la base, une volonté de faire découvrir la ville autrement

Ardennes & Alpes — n°212

et de se la réapproprier par le sport. Mais rapidement l’idée d’un projet plus grand et qui pourrait ancrer à long terme la grimpe urbaine dans la cité Phocéenne germe dans mon esprit. J’entreprends alors d’écrire un livre topographique reprenant l’ensemble des blocs repérés dans les huit premiers arrondissements (arrondissements centraux de la ville). J’aurais pu réaliser une carte interactive reprenant simplement les différents lieux de pratique. Mais pour plusieurs raisons, je voulais sortir ce livre sous un format papier. La première était de suivre la longue et belle tradition du topo de grimpe, ouvrage magique qui fait voyager dès son ouverture. Comme le dit Alexis Loireau dans son essai La grâce de l’escalade: «Puisqu’ils contiennent presque toujours des images ou des textes évocateurs, les topos constituent des invitations au voyage. Comme le randonneur qui se voit déjà marcher dans la nature, quand il se penche sur une carte à grande échelle, le grimpeur s’imagine en action dès qu’il se plonge dans son topo».

Giovanni Brajato © 2021

Esther grimpe dans le panier

Geoffrey Delhaye © 2021

«Grimpe urbaine à Marseille – Topo de bloc urbain» aux Éditions du Chemin des Crêtes. Disponible depuis le 21 avril 2022

La deuxième était la volonté d’offrir plus qu’une simple «map». Je voulais que, par ce livre, les intéressées et intéressés puissent avoir une vraie vision de ce qu’est la grimpe urbaine, puissent pratiquer en toute quiétude et avoir entre leurs mains un bel objet agréable à consulter. Je l’ai donc agrémenté d’un historique le plus complet possible. J’y ai aussi intégré un guide pratique qui permet à tout le monde de savoir ce qu’on peut ou ne pas faire, les risques, les manières d’interagir avec les gens qui interrogent, les matériaux que l’on est amené à grimper,etc. J’ai rencontré des personnalités influentes de la discipline telles que Léo Urban ou Antoine Le Menestrel pour qu’ils donnent eux aussi leur vision et plein d’autres choses encore.

La troisième était de pouvoir faire de ce projet un projet commun et rempli d’énergies variées. Pour cela, de nombreuses amies et amis m’ont simplifié la tâche. Chacune et chacun m’ont offert leurs compétences et leur art pour créer un ensemble auquel je n’aurais même pas osé rêver (vision totalement objective bien entendu). Mais ce livre est avant tout un topo. Le travail de recherche de blocs, leur cotation, leur nom, leur déchiffrage, leur brossage,… fut de loin la partie la plus excitante de cette belle aventure. La joie de découvrir une ligne splendide n’a d’égale que le sentiment de se rendre compte qu’elle peut être grimpée. Nous avons alors ouvert plus de 300 blocs. La volonté première était de créer la plus grande diversité possible. Dans la physionomie tout d’abord. Nous avons trouvé des blocs en dalle, en dévers, du vertical. Des départs debout, assis, dynamiques. Des blocs hauts et très engagés, des blocs très techniques ne dépassant pas le mètre. Des blocs atypiques, des traversées d’entraînement,etc. Dans la difficulté et l’accessibilité aussi. Le débutant peut s’essayer sur des blocs à partir du 3 et les experts se casser les dents dans du 8.

Tout cela forme finalement un ensemble qui, je pense et j’espère, ouvre à une vision neuve sur la ville pour les pratiquantes et pratiquants de ce sport fabuleux qu’est la grimpe. Cela offre à la fois une alternative gratuite aux salles d’escalade qui (surtout en France selon moi) s’aseptisent de plus en plus avec des franchises dont le but principal se situe plutôt du côté du chiffre d’affaire que de la grimpe; des perspectives nouvelles de rencontres, d’entraînement, de challenge à la sortie de chez soi. Mais cela permet aussi de visiter une ville que l’on ne connaît pas via la grimpe, de se rapprocher un peu plus de son histoire architecturale et que sais-je encore?

L’avenir de la grimpe urbaine est terriblement excitant! Par ce topo, l’un des premiers de ce type, je pose une petite pierre qui peut-être aura un écho que j’espère puissant. Imaginez donc les topos de grimpe urbaine triomphant aux côtés des cartes et autres suggestions de visite dans l’office du tourisme de la ville que vous visitez. Imaginez le plaisir que conférerait la vision de personnes les yeux plongés dans un topo, crashpad sur le dos à la recherche de blocs cachés.

En attendant que tout cela devienne réalité un peu partout, je vous attends à Marseille pour une première expérience.

GUILLAUME VANDE GHINSTE

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