La Quinzaine litéraire n°15

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Ulnzalne littéraire

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Numéro 15

1 au 15 novembre 1966

Exclusif:

Laurent Schwartz parle. La vérité sur

Louis XIV. Jérôme

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morte? Céline. Brice Parain

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SOMMAIRE

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par Jacques Lacan

par par par par ,par par

Alain Clerval Roger Borderie J.R. Clara Malraux Henri Hell Guy Rohou

Maurice Barrès

Œuvres complètes

par Jean Duvignaud

Une leçon de littérature

par Ezra Pound

La mort de L. F. Céline Pierres

par Maurice :Nadeau par Claude Michel CIUl

Chateaubriand et Marie-Antoinette

par José Cabanis

Wilhelm Fraenger

Le Royaume millénaire de Jérôme Bosch

par Jérôme Peignot

J osé Richard kan Duquesne

L'aventure moderne de l'art sacré Vivre à Sarcelles?

par Françoise Choay

Dominique de Roux Roger Caillois

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Retour à Freud ?

Le voyage en écriture Sodome-ouest Le grand scandale Les grain,es de l'orage Une journie inutile La ville des fous

lUJJllrlON t8

par François Châtelet

Yves Véquaud Jérôme Deshusses Hubert Gonnet Clarisse Francillon Janine Brégeon Michel Bataille

NEblT 88AI8

La France marchande d'églises Entretiens avec Bernard Pingaud

Trois poèmes de Nelly Sachs

OBBL

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Brice Parain

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POlarlQulIi

Jacques Garelli

La gravitation poétique

par Michel Deguy

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plll,IaO OPJlIE

Werner J aeger

A la naissance de la théologie Essai sur les Présocratiques

par Jean Bollack

te lnSTOIRIl

Pierre Goubert

par Emmanuel Le Ro)

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François Fejto

Louis XIV et vingt millions de Français Budapest 1956

H. Gunsberg

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POLITIQUIi

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~ris

par Ciaude Estier

Entretien avec Laurent Schwartz

par Gilbert Walusinski par Pierre Bourgeade

Wesselmann et le grand nu américain

par Jean-Louis Ferrier

Publicité Littéraire: 71 rue des Saints-Pères, Paris 6 Téléphone 548.78.21.

Crédits photographiqw

l) 80CTOBRE

François Erval, Maurice Nadeau

Conseiller Joseph Breitbach

Comité de Rédaction Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Gilbert Walusinski f: ' Informations: Marc Saporta

La Quinzaine littéraire

Direction artistique Pierre Bernard Administrafion Ja:cques Lory Rédaction, administration : 13 rue .de ~esle, Paris. Téléphone 033.51.97. Imprimerie: Coty S.A. Il rue F .-Gambon, Paris 20

:

par Victor Fay

p. : p. 1 p. Abonnements : : p. Un an ; 42 F, vingt-trois numéros. 1 p. Six mois: 24 F, douze numéros. >! p. Etudiants: six mois 20 F. , p. 1 Etranger: p. 'Cn an: 50 F. Six mois: 30 F. i p. Tarif postal pour envoi ! p. par avion, au journal. p. p. Règlement par mandat, p. chèque bancaire, chèque postal. p. C.C.P. Paris 15.551.53. , p. p. Directeur de la publication : , p. François Emanuel. p. Copyright La Quinzaine littéraire p.

Publicité générale: au journal.

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Coll. particuliè Doc. P.'C'.F. éd Uifti Ozkok Charles Barbu Roger Viollet Annette Léna Léon Herschfr; Sca~oni ; Laro, Roger Viollet Musée du Pra' Musée du Pra, Doc. Mercure ' Roger Vioilet Roger Viollet Eric Lessing, Il Gisèle Freund Gisèle Freund Shunk-Kender Geoffrey Clem


LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Le faux-fuyant hUDlaniste autres, Français et associés, tout potre avenir derrière nous, dans l'ombre de Racine à la Ferté-Milon? « Nous ne sommes plus la lumière du monde. Nous sommes deBrice Parain Entretiens avec Bernard Pingaud venus un pauvre petit pays qui aurait besoin de retrouver la vie Gallimard, éd. 168 p. perdue. l'ai lâché le mot. Nous ne vivons qu'à moitié. Bien confortaVoici, en tous cas, un de nos blement, tranquilles, considérés, maîtres. Ce qu'il a découvert, de- même un peu aimables, aussi ? On puis plus de trente ans, il l'a expo- ne vient plus chez nous que pour sé, modestement et fermement, et nous écouter. Nous n'avons rien à il l'a imposé. Son pouvoir a chemi- dire. Sauf, peut-être, notre ennui, né discrètement, hors de la mode que nous savons habiller avec éléet de l'emphase, sous les aspects gance. Nous sommes des enfants divers, de l'analyse philosophique gâtés. que voulez-volts. Nous at'ons Brice Parain La France marchande d'églises Gallimard, éd. 128 p.

Brice Parain avec Anoa Karin" dans

Vivre sa vie, le film de Jean-Luc Godart.

au roman en passant par l'autobiographie, mais avec l'opiniâtreté de ceux qui sont bien un peu gênés de dirc ce qu'ils veulent et qui n'hésitent pas à faire savoir ce qu'ils ne veulent pas. Et, ceux de ma génération, philosophes et littéraires, savent bien ce qu'ils doivent à ces Recherches sur la nature et les fonctions dit langage, à l'Essai sur le Logos platonicien, alors que la pensée française s'ingéniait encore, méconnaissant les linguistes géniaux qu'elle avait engendrés, à déterminer si le langage est un bon ou un mauvais instrument de la pensée. Brice Parain est à l'automne de son âge. Il se retourne sur soi, sur nous, qui, finalement, quels que soient nos différends et nos différences, sommes quotidiennement comme lui, pauvres Français, angoissés et engoncés, rêvant du passé - qui fut plutôt glorieux et riche - , satisfaits du présent qui, dans l'ensemble, n'est pas trop déplaisant - , sans goût pour l'avenir - qui, de toute évidence, manque de vitalité - . Il y a un côté « ancien combattant » chez Brice Parain ; mais, nous, fils de Jeanne d'Are, de Louis XIV, de Marat, de Napoléon, du colonel Dreyfus, de Verdun et de l'appel du 18 juin, ne le sommes-nous pas tous devenus un peu ? N'avons-nous pas nous

tout eu, la gloire, la richesse, la puissance. Après, c'est toujours un peu difficile ». Mais quoi ? Cette situation, pour pénible qu'elle soit, offre ses avantages. Elle invite à prendre ses distances, à chercher à savoir de quoi il retourne, de quoi il s'agit. La France, marchande d'églises est une méditation libre, qui va de ci, de là, de la signification de l'offensive de 1915 à celle de l'Analytique de Kant, et qui s'articule autour de cette question que n'a cessé de p0ser Brice Parain : celle du sens de la parole, dite ou fixée dans l'écriture. Et grâce à la clarté exemplaire de Bernard Pingaud qui, par ses questions, sait ramener son interlocuteur à l'essentiel, les Entretiens qu'ils eurent et qui furent diffusés à l'O.R,T.F. ap. printemps 1964, cette méditation, volontiers flottante et allusive, se trouve ramenée à quelques idées claires et fortes. Ancien combattant, Brice Parain l'est décidément! Mais sans gloriole. Il l'est comme un homme qui, des tranchées à l'expérience de la Russie en passe de devenir stalinienne et aux responsabilités de l'éditeur, ne peut cesser de se demander ce que parler et écrire veulent dire, qui découvre, pour ainsi dire, à la fois originairement et empiriquement, le poids et la vacuité

La Quinzaine littéraire, du 1"' au 15 novembre 1966.

du langage, qui sait que là est l'énigme et que toutes les modes se brisent, les unes après les autres, à ne pas vouloir prendre, de plein fouet, le problème qui se pose alors.

souplesse du langage pour développer une rhétorique pseudo progressiste du cc pour », du « contre ) et du « dépassement » afin de digérer, imaginairement, la dramatique efficacité du mensonge. Pour Bien avant, en effet, que la ré- remplacer le grand Absent, il inflexion ait fait du langage le thème vente aussi le sujet libre, puissance privilégié de la recherche, Brice créatrice, toujours capable, finaleParain a montré que dans la ma- nient et pourvu qu'il prenne sur soi nière dont il conçoit et pratique le de se mettre à distance de lui-même langage, l 'homme se définit et cons- et des autres. Mais où est-il ce sutitue l'image implicite qu'il a de jet existant ? Rien qu'un postulat soi-même. Il y a trente ans, déjà, ou, plutôt, un mythe, Ce n'est jail nous adressait cet avertissement : mais que dans le langage qu'il se traitez ainsi la parole et l'écritul'ù et donne, comme une fiction grammavous serez traité en conséquence ! ticale, comme un terme qui permet Et déjà il mettait en évidence le de -relier, _en un discours acceptable, faux-fuyant humaniste, qu'il re- des incarnations successives, tout prend et développe, avec une ten- entièrœ elles-mêmes pénétrées de dresse ironique dans la France, langage. « Brice Parain, ça n'existe marchande d'églises et dans ses En- pas... Le moi Parain est un moi tretiens. L'humanisme ne com- entraîné dans un mouvement poétiprend pas à quoi il s'engage et, du que et métaphysique, qu'il n'a pas coup, il rend possible, par ses équi- voulu, qui date de la nuit des voques qu'il entretient, les menson- temps, et qui s'en va très loin, très' loin, au delà de lui, on ne sait trop I!:('~ qui ont fait notre vie si fausse. où, qui est peut-être au service de la vérité, une sorte de travail imL'alternative est simple: ou bien, nous nous plaçons dans l'optique possible à refuser ... » d~ la théologie et nous avons bien Au service de la vérité. Laquelraison de penser alors que nos paroles vraies seront sanctionnées, vé- le ? Brice Parain, quant à lui, mo~ rifiées à plus ou moins brève éché- destement, ironiquement, tire pluance par l'ordre divin, dont la tôt du côté de la théologie ; il la perfection ne pourra que réaliser regrette ; et pour faire bon poids, il l'authenticité qu'elles portent ; ou va à la messe, « bien qu'il ne soit bien nous renonçons à cette garan- pas messeux ». Ce « radoteur de tie transcendante et nous devons langage », comme il se nomme luilaisser à l'homme lui seul, avec les même, n'oublie rien de sa campamoyens dont il dispose, le soin gne natale, du cerisier qu'il aime d'administrer la preuve. Or, non voir fleurir, « comme un repos », seulement ces moyens sont passa- de sa famille « où on ne parlait pas blement débiles, mais encore l'hu- bien ». Mais il ne dit rien, ni dans maniste, mal conscient de ses limi- son essai ni dans ses entretiens, qui tes et des dommages que lui a cau- soit une leçon. Il ne propose pas sés la mort de Dieu, refuse de com- une nouvelle conception de Vhomme, de l'histoire ou de l'Etre. Il se prendre ce nouvel état de fait . contente de souhaiter une réforme pédagogique mineure ; la suppresA la vérité, souligne Brice Pa- sion de la dissertation comme exerrain, « il n'y a pas de compromis cice scolaire ( qu'il compare aux entre l'humanisme et la théologie ». tristes sermons du dimanche) mais, Cela, le théoricien de l'homme-dieu quelle que soit la volonté qu'il a ne le saisit pas bien ; il continue de ne pas jouer le prophète, d'être confusément à croire que quelque toujours en retrait, il nous invite, part, dans le je par exemple, le sans outrance, à la plus audacieuse verbe est écrit, qui attend qu'on le des entreprises : il nous signale dise. Il oublie que, désormais, la qUe, peut-être, le moment èst venu seule preuve légitime qu'il puisse - toute la vie est bête, bête à en donner, c'est son acte et la réussite. pleurer - d'essayer de réapprendre Le prêtre consacre l'hostie : celle- à parler, de comprendre que le lancie devient effectivement le corps gage est, précisément, ce qu'il y a du Christ. cc L'humaniste qui n'en- de plus difficile à manier - parce treprend pas ce qui est nécessaire qu'en vérité, c'est lui qui nous mapour mettre sa conduite en accord nie - que nous devrions nous conavec ses paroles est un croyant at- duire dans cette civilisation où les tardé, ou clandestin. De même moulins des paroles sont plus stril'écrivain qui n'est pas un militant». dents et lancinants que les moulins Il suppose encore une Providence, à prière des Thibétains -:- comme ce qu'il affuble de noms divers et par- paysan qui, arrivant à la ville, s'efle, par exemple, de l'efficacité pra- force d'énoncer patiemment, en se tique de la théorie comme telle. ou, reprenant, face à des interlocuteurs encore, se confie au jeu de l'his- trop habiles, ce qu'il a à dire et ce toire, tribunal universel... pourquoi il est venu. Ce porte-à-faux, qu'il accepte trop souvent, il le doit à son origine. N'est-il pas, en effet, un théologien laïcisé ? Pour maRquer son ambiguïté foncière, il invente la dialectique, forme moderne du « divertissement » théorique, qui use de la

Si Brice Parain n'était pas né dans la campàgne· française mais dans les taillis allemands, il aurait été quelqu'un comme Heidegger. Tout compte fait, je préfère Brice Parain. Malgré la messe. François Châtelet 3


EXCLUSIF

Jacques Lacan Les Ecrits de 1acques Lacan paraissent ces jours-ci, aux Editions du Seuil. Ce rassemblement de 900 pages intéresse non seulement la psychanalyse, et les sciences qu'on dit de l'homme, mais l'ensemble des activités qui touchent au langage : son interrogation croise celle de la philosophie, et ses réponses viennent se ranger parmi celles du savoir rigoureux. C'est l'ensemble organique d'une pensée en son articulation cohérente qui va pouvoir être embrassé d'un coup. D'un coup et en un moment· particulièrement éclairant, puisque Lacan ne s'est pas contenté de rassembler des textes mais les a relus, commentés à la lumière d'une préoccupation qui s'~st affirmée de façon croissante dans son enseignement au cours des dernières années, et dont l'insistance surprendra (bien à tort) plusieurs : celle d'élucider comment le pas de la psychanalyse est celui de la science et comment s'y annonce le retour à la science, du sujet. L'extrait que nous avons choisi dans une conférence prononcée à Vienne pour le centenaire de la naissance de Freud, noue en un . sty~ de parabole quelques thèmes essentiels : l'urgence pour la psychanalyse déjà abâtardie d'un retour rigoureux à Freud ; que la vérité de Freud (celle de l'inconscient) est nouvelle, de se découvrir à nous non dans une de ces aventures de la pensée où traditionnellement cherchent les philosophes, mais dans la seule matérialité de la parole (dans le signifiant), et d'abord en ses accidents ; que le postfreudisme est à dénoncer précisément pour ce que le sujet qui s'était découvert à Freud véhiculé par le jeu purement symbolique de la chaîne signifiante, fait rechute aujourd'hui dans les objectivations du moi psychologique et de ses mirages (mirages qui s'inaugurent avec l'identification de l'enfant à son image dans le miroir, et qui se couronnent dans la fascination d'une certaine pratique analytique pour le « moi » et ses « résistances »); enfin, que voir se lever dans le langage la vérité de l'inconscient, c'est doublement la situer: non dans la magie d'une révélation mais dans la rigueur d'un système de lois, non dans la présence pleine de la chose mais dans ce qui, de la chose, doit à tout jamais se dérober pour que s'y assure la prise du symbole ; de là que ce qui s'introduit de récurrence ou de répétition dans le fonctionnement de notre discours s'y repère comme resurgir et réitération d'une mort. F. W.

Le sens d'un retour à Freud, c'est un retour au sens de Freud. Et le sens de ce qu'a dit Freud, peut être communiqué à quiconque parce que, même adressé à tous, chacun y sera intéressé : un mot suffila pour le faire sentir, la découverte de Freud met en question la vérité, et il n'est personne qui ne soit per~onnel­ lement concerné par la vérité. Avouez que voilà un propos bien étrange que de vous jeter à la tête ce mot qui passe presque pour mal famé, d'être proscrit des bonnes compagnies. Je demande pourtant s'il n'est pas inscrit au cœur même de la pratique analytique, puisque aussi bien celle-ci toujours refait la découverte du pouvoir de la vérité en nous et jusqu'en notre chair. Une vérité, · s'il faut dire, n'est pas facile à reconnaître, après qu'elle a été une fois reçue. Non qu'il n'y ait des vérités établies, mais elles se confondent alors si facilement avec la réalité qui les enteure, que pour les en distinguer on n'a longtemps trouvé d'autre artifice que de les

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Jacques Lacan

marquer du signe de l'esprit, et pour leur rendre hommage, de les tenir pour venues d'un autre monde. Ce n'est pas tout de mettre au compte d'une sorte d'aveuglement de l'homme, le fait que la vérité ne soit jamais pour lui si belle fille qu'au moment où la lumière élevée par son bras dans l'emblème proverbial, la surprend nue. Et il faut faire un peu la bête pour feindre de ne rien savoir de ce qu'il en advient après. Mais la stupidité demeure d'une franchise taurine à se demander où l'on pouvait bien la chercher avant, l'emblème n'y aidant guère à indiquer le puits, lieu malséant voire malodorant, plutôt que l'écrin où toute forme précieuse doit se conserver intacte. Mais voici que la vérité dans la bouche de Freud prend ladite bête aux cornes: « Je suis donc pour vous l'énigme de celle qui se dérobe aussitôt qu'apparue, hommes qui tant vous entendez à me dissimuler sous les oripeaux de vos convenances. Je n'en admets pas moins que votre embarras soit sincère, car même quand vous vous faites mes hérauts, vous ne valez pas plus à porter mes couleurs que ces habits qui sont les vôtres et pareils à vous-mêmes, fantômes que vous êtes. Où vais-je donc passée en vous, où étais-je avant ce passage ? Peut-être un jour vous le dirai-je ? Mais pour que vous me trouviez où je suis, je vais vous apprendre à quel signe me reconnaître. Hommes, écoutez, je vous en donne le secret. Moi la vérité, je parle. « Faut-il vous faire remarquer que vous ne le saviez pas encore ? Quelques-uns certes parmi vous, qui s'autorisaient d'être mes amants, sans doute en raison du principe qu'en ces sortes de vantal'dises on n'est jamais si bien servi que par soi-même, avaient posé de façon ambiguë et non sans que la maladresse n'apparut de l'amour-propre qui les y intéressait, que les erreurs de la philosophie, entendez les leurs, ne pouvaient subsister que de mes subsides. A force d'étreindre pourtant ces filles de leur pensée, ils finirent par les trouver aussi fades qu'elles étaient vaines, et se remirent à frayer avec les opinions vulgaires selon les mœurs des anciens sages qui savaient mettre ces dernières à leur rang, conteuses ou plaideuses, artificieuses, voire menteuses, mais aussi les chercher à leur place, au foyer et au forum, à la forge ou à la foire. Ils s'aperçurent alors qu'à n'être pas mes parasites, celles-ci semblaient me servir bien plus, ,qui . sait même ? être ma milice, les agents secrets de ma puissance. Plusieurs cas

observès au jeu de pigeon-vole, de mues soudaines d'erreurs en vérité, qui ne semblaient rien devoir qu'à l'effet de la persévérance, les mirent sur la voie de cette découverte. Le discours de l'erreur, son articulation en acte, pouvait témoigner de la vérité contre l'évidence elle-même. C'est alors que l'un d'eux tenta de faire passer au rang des objets dignes d'étude la ruse de la raison. Il était malheureusement professeur, et vous fûtes trop heureux de retourner contre ses propos les oreilles d'âne dont on vous coiffait à l'école et qui depuis font usage de cornets à ceux des vôtres dont la feuille est un peu dure. Restez-en donc à votre vague sens de l'histoire et laissez les habiles fonder sur la garantie de ma firme à venir le marché mondial du mensonge, le commerce de la guerre totale et la nouvelle loi de l 'autocritique. Si la raison est si rusée que Hegel ra dit, elle fera bien sans vous son ouvrage. « Mais vous n'avez pas pour autant rendues désuètes ni sans terme vos échéances à mon endroit. C'est d'après hier et d'avant demain qu'elles sont datées. Et il importe peu que vous vous ruiez en avant pour leur faire honneur ou pour vous y soustraire, car c'est par derrière qu'elles vous saisiront dans les deux cas. Que vous me fuyiez dans la tromperie ou pensiez me rattraper dans l'erreur, je vous rejoins dans la méprise contre laquelle vous êtes sans refuge. Là où la parole la plus caulte montre un léger trébuchement, c'est à sa perfidie qu'elle manque, je le publie maintenant, et ce sera dès lors un peu plus coton de faire comme si de rien n'était, dans la société bonne ou mauvaise. Mais nul besoin de vous fatiguer à mieux vous surveiller. Quand même les juridictions conjointes de la politesse et de la politique, décréteraient non recevable tout ce qui se réclamerait de moi à se présenter de façon si illicite, vous n'en seriez pas quittes pour si peu, car l'intention la plus innocente se déconcerte à ne pouvoir plus taire que ses actes manqués sont les plus réussis et que son échec récompense sop. vœu le plus secret. Au reste n'est-ce pas assez pour juger de votre défaite, de me voir m'évader d'abord du donjon de la fortereSse où vous croyez le plus sûrement me retenir, en me situant non pas en vous, mais dans l'être lui-même. Je vagabonde dans ce que vous tenez pour être le moins vrai par essence : dans le rêve, dans le défi au sens de la pointe la plus gon~orique et le nonsense du calembour le plus grotesque, dans le hasard, et non pas dans sa loi, mais dans


Retour à Freud? sa contingence, et je ne procède jamais plus sûrement à changer la face du monde qu'à lui donner le profil du nez de Cléopâtre. « Vous pouvez donc réduire le trafic sur les voies que vous vous épuisâtes à faire rayonner de la conscience, et qui faisaient l'orgueil du moi, couronné par Fichte des insignes de sa transcendance. Le commerce au long cours de la vérité ne passe plus par la pensée : chose étrange, il semble que ce soit désormais par les choses : rébus, c'est par vous que je communique, comme Freud le formule à la fin du premier paragraphe du sixième chapitre, consacré au travail du rêve, de son travail sur le rêve et sur ce que le rêve veut dire. « Mais vous allez là prendre garde : la peine qu'a eu celui-ci à devenir professeur, lui épargnera peut-être votre négligence, sinon votre égarement, continue la prosopopée. Entendez bien ce qu'il a dit, et, comme il l'a dit de moi, la vérité qui parle, le mieux pour le bien saisir est de le prendre au pied de la lettre. Sans doute ici les choses sont mes signes, mais je vous le redis, signes de ma parole. Le nez de Cléopâtre, s'il a changé le cours du monde, c'est d'être entré dans son discours, car pour le changer long ou court, il a suffi mais il fallait qu'il fût un nez parlant. « Mais c'est du vôtre maintenant qu'il va falloir vous servir, bien qu'à des fins plus naturelles. Qu'un flair plus sûr que toutes vos catégories vous guide dans la course où je vous provoque : car si la ruse de la raison, si dédaigneuse qu'elle fût de vous, restait ouverte à votre foi, je serai, moi la vérité, contre vous la grande trompeuse, puisque 'ce n'est pas seulement par la fausseté que passent mes voies, mais par la faille trop étroite à trouver au défaut de la feinte et par la nuée sans accès du rêve, par la fascination sans motü du médiocre et l'impasse séduisante de l'absurdité. Cherchez, chiens que vous devenez à m'entendre, limiers que Sophocle a préféré lancer sur les traces hermétiques du voleur d'Apollon qu'aux trousses sanglantes d'Œdipe, sûr qu'il était de trouver avec lui au rendez-vous sinistre de Colone l'heure de la vérité. Entrez en lice à mon appel et hurlez à ma voix. Déjà vous voilà perdus, je me démens, je vous défie, je me défile : vous dites que je me défends. » Le retour aux ténèbres que nous tenons pour attendu à ce moment, donne le signal d'une murder party engagée par l'interdiction à qui. conque de sortir, puisque chacun dès lors peut cacher la vérité sous sa robe, voire, comme en la fiction galante des « bijoux indiscrets », dans son ventre. La question générale est : qui parle ? et elle n'est pas sans pertinence. Mal· heureusement les réponses sont un peu précipi. tées. La libido est d'abord acçusée, ce qui nous porte dans la direction des bijoux, mais il faut bien s'apercevoir que le moi lui·même, s'il apporte des entraves à la libido en mal de se satisfaire, est parfois l'objet de ses entreprises. On sent là·dessus qu'il va s'effondrer d'une mi· nute à l'autre, quand un fracas de débris de verre apprend à tous que c'est à la grande glace du salon que l'accident vient d'arriver, le go· lem du narcissisme, évoqué en toute hâte pour lui porter assistance, ayant fait par là son en· trée. Le moi dès lors est généralement tenu pour l'assassin, à moins que ,ce ne soit pour la vic· time, moyennant quoi les rayons divins du bon président Schreber commencent à déployer leur filet sur le monde, et le sabbat des instincts se complique sérieusement. La comédie que je suspends ici au début de son second acte est plus bienveillante qu'on ne croit, puisque, faisant porter sur un drame de la connaissance la bouffonnerie qui n'appartient qu'à ceux qui jouent ce drame sans le comLa Q-uinzaiue littéraire, du 1"' au

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novembre 1966.

prendre, elle restitue à ces derniers l'authenticité d'où ils déchurent toujours plus. Mais si une métaphore plus grave convient au protagoniste, c'est celle qui nous montrerait en Freud un Actéon perpétuellement lâché par ' des chiens dès l'abord dépistés, et qu'il s'achar· ne à relancer à sa poursuite, sans pouvoir ralen· tir la course où seule sa passion pour la déesse le mène. Le mène si loin qu'il ne peut s'arrêter qu'aux grottes où la Diane chtonienne dans l'ombre humide qui les confond avec le gîte emblématique de la vérité, offre à sa soif, avec la nappe égale de la mort, la limite quasi. mystique du discours le plus rationnel qui ait été au monde, pour que nous y reconnaissions le lieu où le symbole se substitue à la mort pour s'emparer de la première boursouflure de la vie. Cette limite et ce lieu, on le sait, sont loin encore d'être atteints pour ses disciples, si tant est qu'ils ne refusent pas de l'y suivre, et l'Ac· téon donc qui est dépecé, n'est pas Freud, mais bien chaque analyste à la mesure de la passion qui l'enflamma et qui a fait, selon la significa. tion qu'un Giordano Bruno dans ses Fureurs héroïques sut tirer de ce mythe, de lui la proie des chiens de ses pensées. Pour mesurer ce déchirement, il faut enten· dre les clameurs irrépressibles qui s'élèvent des meilleurs comme des pires, à tenter de les ramener au départ de la chasse, avec les mots que la vérité nous y donna pour viatique : « Je parle », pour enchaîner: « Il n'est parole que de langage ». Leur tumulte couvre la suite. c{ Logomachie ! telle est la strophe d'un côté.

On ne contestait pourtant, à s'essayer à ces prémisses, l'usage d'aucune forme de communication à quoi quiconque pût recourir en ses exploits, ni tes signaux, ni les images, et fond ni forme, aucun non plus qu'aucune, ce fond fût-il un fonds de sympathie, et la vertu n'étant pas discutée d'aucune bonne forme. On se prenait seulement à répéter après Freud le mot de sa découverte : ça parle, et là sans doute où l'on s'y attendait le moins, là où ça souffre. S'il fut un temps où il suffisait pour y répondre d'écouter ce que ça disait, (car à l'entendre la réponse y est déjà), tenons donc que les grands des origines, les géants du fauteuil furent frappés de la malédiction promise aux audaces titanesques, ou que leurs sièges cessèrent d'être conducteurs de la bonne parole dont ils se tr~uvaient investis à s'y asseoir cidevant. Quoi qu'il en soit, depuis, entre le psychanalyste et la psychanalyse, on multiplie les rencontres dans l'espoir que l'Athénien s'atteigne avec l'Athéna sortie couverte de ses armes du cerveau de Freud. Dirai-je le sort jaloux : sous le masque où chacun venait au devant de sa chacune, hélas ! trois fois hélas ! et cri d 'horreur à y penser, une autre ayant pris la place d'elle, celui qui était là, non plus n'était pas lui. Revenons donc posément à épeler avec la vérité ce qu'elle a dit d'elle-même. La vérité a dit : « Je parle D. Pour que nous reconnaissions ce « je » à ce qu'il parle, peut.être n'étaitce pas sur le « je » qu'il fallait nous jeter"mais aux arêtes du parler que nous devions nous

Freud à Londres, juillc.>1 1938.

Que faites· vous du préverbal, du geste et de la mimique, du ton, de' l'air de la chanson, de l'humeur et du con·tact af-fec·tif ? D A quoi d'autres non moins animés donnent l'antistro· phe : ({ Tout est langage: langage que' mon cœur qui bat plus fort quand la venette me sai· sit, et si ma patiente défaille au vrombissement d'un avion à son zénith, c'est pour dire le sou· venir qu'elle a gardé du dernier bombardement. » - « Oui, aigle de la pensée, et quand la forme de ravion découpe ta semblance dans le pinceau perçant la nuit du projecteur, c'est la réponse du ciel ».

arrêter. « Il n'est parole que de langage» nous rappelle que le langage est un ordre que des lois constituent, desquelles nous pourrions apprendre au moins ce qu'elles excluent. Par exemple que le langage, c'est différent de l'expression naturelle et que ce n'est pas non plus un code ; que ça ne se confond pas avec l'information, collez-vous-y pour le savoir à la cy· bernétique ; et que c'est si peu réductible à une superstructure qu'on vit le matérialisme luimême s'alarmer de cette hérésie, bulle de Staline à voir ici. Si vous voulez en savoir plus, lisez Saussure.

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Œuvres d'E. Pottier

Elie Wiesel

Si l'auteur des Juifs du Silence a choisi d'aller passer les fêtes juives à Moscou, au moment même où son livre • était publié à Paris (il paraîtra en no• vembre aux Etats-Unis dans le magazine Saturday Evening Post) c'est parce que tous ses amis pensaient que le risque Armand Colin qu'il courait, en entreprenant un tel voyage, était trop grand. Armand Colin met en souscription J'ai refusé de jouer le jeu de la peur, une première tranche de 10 volumes dit Wiesel. Il a prouvé qu'il avait raison, de l'Histoire de la Langue française de car le voici revenu en France, malgré Ferdinand Brunot, rééditée par ses quelques incidents désagréables et soins . quelques brimades sur lesquelles il préfère ne pas s'étendre. L'important, pour l'auteur, c'est que Editions de Minuit les Juifs soviétiques qui lui avaient confié le message qu'il a rendu public Les Editions de Minuit annoncent dans son livre, lui ont su gré de reveun nouveau texte de Samuel Beckett: nir pour leur rendre compte de sa Bing, le 13' tome de la Corresponmission. dance de Diderot et un Nietzsche de Déjà, d'ailleurs, les controverses Gilles Deleuze. commencent. Selon bien des COm' munistes ou des sympathisants, ie il· Garnier vre ne constitue qu'une œuvre littéraire, purement lyrique, voire halluM. René Pomeau, professeur à la cinée, et non un document. Sorbonne, devient directeur littéraire Au mieux, Wiesel n'aurait rendu de la collection des Classiques Garcompte dans son récit de voyage, à et de la collection de poche Garnier travers les communautés juives de nier-Flammarion . Secrétaire général de l'URSS, que de la peur rétrospective la Société d'Histoire Littéraire de la de la génération aînée - celle qui li France et directeur de la Revue d'Hissouffert des persécutions sous l'occu· toire Littéraire de la France, M. René pation allemande et sous Staline. Si Po me au a publié plusieurs ouvrages les jeunes générations sont exemptes sur Voltaire et Beaumarchais, et réde cette peur - comme cela semble cemment, un essai sur le XVIII" siècle, aussi résulter de la narration - pourintitulé L'Europe des Lumières (voir quoi attirer l'attention sur un problème « La Quinzaine littéraire ", n° 8). Les qui semble en voie de solution? Ne éditions dans les Classiques Garnier risque-t-on pas de faire reculer cette de la Nouvelle Héloïse, de Rousseau solution en rappelant avec trop d'inet de l'Essai sur les mœurs, de Volsistance que le problème se pose? taire, ont été établies par M. René A cela Wiesel répond qu'il a été Pomeau . Emile Zola est le romancier le plus demandé dans les bibliothèchargé explicitement d'un message et ques. Le plus vendu en livres de poche. Le plus adapté au cinéma. qu'il l'a fidèlement transmis. Au deLe plus traduit. Et pourtant. les deux tiers de son œuvre sont, L'homme et la société meurant, les critiques que lui adresdepuis quarante ans, introuvables en librairie. Voici enfin cette sent ses amis d'extrême-gauche ne œuvre géniale et multiple, dans une somptueuse édition intégrale. Une nouvelle revue Internationale de font que souligner l'une des contrarecherches et de synthèses socioLe Cerole du Livre Préoieux présente: dictions du système communiste logiques vient de paraître aux Editions quant au problème juif tout au moins. la totalité des œuvres publiées du vivant de Zola. Anthropos, sous le titre L'homme et D'une part, en effet, la peur la plus 31 romans la société. Dirigée par Serge Jonas 4 recueils de contes et nouvelles irraisonnée pèse sur les communautés et Jean Pronteau, ancien directeur 6 volumes d'œuvres critiques juives en URSS. D'autre part, les autod'Economie et Politique, elle publie 3 volumes d'écrits polémiques rités soviétiques semblent impuisnotamment, dans son premier numéro, . 1 recueil de poèmes santes à freiner le mouvement d'enl'itinéraire spirituel de G. Gurvitch, le 8 pièces de théâtre thousiasme, par exemple, qui pousse, début d'une étude de H. Lefebvre sur une fois l'an, au moment de la fête toua les recueils posthumes. Claude Lévi-Strauss ou le nouvel de la Thora, les jeunes juifs à venir théâtre, mélanges critiques, journaux de voyage, écrits pOlitiques, éléatisme, un article de Jan Szczedanser par dizaines de milliers devant etc. panski sur La sociologie marxiste la synagogue de Moscou. Cette année, empirique, des articles de J. Duviles tanes demeurés inédits : ils sont d'ailleurs revenus pour la PâS. Jonas, C. Luporini, F. Bon gnaud, plusieurs recueils d'articles que juive, d'après les derniers renet M.-A. Burnier, et, surtout, un inédit la totalité des contes et comédies demeurés en manuscrits seignements rapportés par l'écrivain . plus d'un millier de lettres inédites ou qui n'avaient jamais de Karl Marx: Formes antérieures à De son récent voyage, Wiesel rapété réunies en volumes. la production capitaliste, extraits des porte en effet des informations comla critique de l'éconoFondements de Une édition sûre et moderne plémentaires. A la suite de la manimie politique, que publieront bientôt Tous les textes sont établis avec le plus grand soin par une festation qu'il décrit dans son ouvrage, les Editions Anthropos. équipe que dirige Henri Mitterand , Agrégé de l'Université, avec la quelques arrestations avaient été opécollaboration des descendants d'Emile Zola et de la Société rées l'an dernier. Elles n'ont pas été Littéraire des Amis d'Emile Zola. Pologne-Bongrie maintenues plus de vingt-quatre heures Les préfaces, confiées aux meilleurs critiques d'aujourd'hui, foret sont demeurées apparemment symment une configuration critique qui éclaire d'une lumière nouvelle Etudes et Documentation internaboliques ou, en tout cas, sans effet: la destinée littéraire de Zola. tionales (29, rue Descartes, Paris 5.) si, de l'avis du témoin, il y avait dix annonce la sortie d'un dossier PologneUn appareil historique mille jeunes gens juifs de plus, cette Hongrie 1956, choix de textes et de année que l'année passée, dans la rue Notices, notes et appendices, nécessaires à l'intelligence de chadocuments présenté par Pierre Broué, que œuvre, chronologie systématique de Zola dans son temps, de la synagogue, organisant avec des une étude sur le mouvement ouvrier index des personnages et des lieux, bibliographie, voilà pour journaux enflammés une gigantesque françaiS devant le problème du poul'apport historique. retraite aux flambeaux, cela signifie, Il fallait encore présenter l'homme. On trouvera sa biographie, par voir par Michelle Perrot et Annie au moins, que les mesures d'intimidaArmand Lanoux, en tête du premier volume : Zola vivant. Kriegel, préfacée par Ernest Labrousse. tion sont demeurées sans portée. 2000 illustrations de qualité Mais cela ne contredit-il pas la peur Thoma~ Mann des juifs soviétiques dont il rend compLes photographies réalisées par Zola lui-même, les gravures et les • caricatures de l'époque, les images des premières éditions illustrées • te à chaque page de son livre? Non, Le Centre culturel allemand et le des Rougon-Macquart, reconstituent les décors successifs de l'œu• répond-il, car les procès dit « éconovre, révèlent les sources de son inspiration et marquent l'étendue • Gœthe Institut (17, avenue d'Iéna, miques • intentés de préférence conde son succès. • Paris 16.) consacrent, jusqu'au 10 notre les Juifs se poursuivent et - seLa première grande photothèque littéraire du XIX· siècle. vembre, une · exposition à Thomas lon lui - les Juifs se transmettent de Mann. bouche à oreille, d'inconnu à inconnu, dans la rue, telle nouvelle tenue enBON pour une documentation GRATUITE Nouveau prix core secrète, concernant la condamnaà adresser au CERCLE DU LIVRE PRËCIEUX 6, rue du Mail. Paris 2° • tion à mort de tel ou tel de leurs corVeuillez m'adresser, sans aucun engagement de ma part, la luxueuse documentation A l'occasion du centenaire de la religionnaires. gratuite concernant le ZOLA complet. • '13'ssance de Julien Benda, un prix Wiesel qui reconnait loyalement NOM .... . .. . . ........... ... .......... .. .... , ........ ,.... . ............... .. ...... ...... . ~~\~b~~e o~e n~~~~:re s~~a67~é~e~~é : ; dans son ouvrage que la peur ressentie par les Juifs soviétiques semble irraisonnée, n'en fait pas moins longuement la description de cette peur _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ - - - - • Puy en Velay, et de ses manifestations étranges.

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Pierre Brochon a réuni et présente les Œuvres complètes d'Eugène Pottier, ouvrier, poète, Communard, auteur de l'Internationale. A paraître chez François Maspero.

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15 volumes reliés pleiD cuir Prix spécial de souscription: 26 Fparmois

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PRIX NOBEL

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Trois poèlDes de Nelly Sachs Le! deux lauréats du Prix Nobel de littérature 1966 sont des écrivains juifs, mais tout un univers les sépare. Joseph Agnon, né en Polo· gne, ut citoyen israélien, il écrit en hébreu. Nelly Sachs est née en Allemagne, vit en Suède et écrit en

allemand. Ses poèmes sont dans la grande tradition de la littérature allemande: à travers la voix de cette frêle femme, on entend l'orage de l'Ancien Testament, mais écrit dans le verbe de Holderlin et le style des expressionnistes. En la

couronnant l'Académie suédoise s'est rappelé le martyre juif, mais a distingué, en même temps, le plus grand poète que l'Allemagne ait connu depuis la disparition de Bertolt Brecht et de Gottfried Benn.

(

Nell,- Saclu

MaU qui dono

Vous les témoins

Mais qui donc vida vos chaussures de leur sable quand vons dûtes vons levez pour mourir? Ce sable qu'Israël était allé chercher sable erratique le sable brûlant du Sinaï mêlé aux gorges des rossignols mêlé aux ailes du papillon mêlé à la poussière de nostalgie des serpents mêlé à tout ce qui nons vint de la sagesse de Salomon mêlé à l'amertume née du mystère de l'absinthe

Vous les témoins sous les regards desquels on assassinait comme on sent derrière soi un regard vous sentez dans votre dos le regard des morts

o doigts vous qui avez vidé le sable des chaussures des morts demain déjà votre poUSsière sera dans les souliers des hommes à venir :NOU8

porions tant de blessures

Nous portons ~nt de blessures que nous croyons mourir chaque fois que la rue nous lance un mot méchant La rue l'ignore mais elle ne supporte pas un tel fardeau Elle n'est pas habituée à voir sur elle entrer en éruption un Vésuve de douleurs Chez elle ont péri les souvenirs des temps primitifs depuis que la lumière est devenue artüicÎelle et que les anges ne jouent plus qu'avec des oiseaux OU des fleurs ou meublent de leur sourire le rêve d'un enfant

v. Qubusaine littéraire, du 1"

au 15 novem.bre 1966.

Combien d'yeux mourants vous dévisageront quand quittant vos cachettes vous cueillerez une violette? Combien de mains levées pour implorer dans les rameaux martyrs enlacés des vieux chênes ? Quel poids de souvenir croît dans le sang du soleil couchant ?

o les berceuses inchantées dans le cri nocturne de la tourterelle Plu's d'un aurait pu rapporter des étoiles Et maintenant c'est la vieille fontaine qui doit le faire à sa place Vous les témoins qui n'avez levé de main meurtrière mais qui ne débarrassez pas de votre nostalgie la poussière, Vous qui restez là où elle s'est métamorphosée en lumière.

traduit par Lionel Richard.

ROMANS FRANÇAIS

Un bilan en creux Yves V équaud Le voyage en écriture Gallimard éd. 184 p. Le Voyage en Ecriture est un long monologue dont la continuité épouse le caprice des associations d'images, l'enchaînement libre des idées, et au cours duquel le nar· rateur dévide ses souvenirs, ses réflexions, expose sa philosophie aigre-douce, douce·amère de la vie. n a trente ans, n'est pas à l'aise dans son corps, se demande pour· quoi vivre, juge la comédie sociale harassante, déplore de perdre au fil des jours la fraîcheur des impressions et la liberté sauvage de l'enfance. Comment a-t-il pu en arriver là ? 1 La paresse, la distraction, l'habi· tude ont fait leur œuvre, et le voilà soudain qui avance d'un train d'en· fer, s'éloignant un peu pIns des sources vives de son passé, de son imprescriptible domaine, de ce royaume féérique où sont ses biens les plus précieux, le long d'une route tracée d'avance et dont le .p arcours ne présente pas d'attrait , particulier, bien au contraire, mais des paysages et un horizon sans nuance, qui se répètent à l'infini. Bilan donc, mais bilan en creux, où l'écrivain n'additionne pas ses chances ou ses erreurs, n'évoque pas ses années d'apprentissage, mais cherche à oublier les leçons appri. ses, à se délivrer du viatique de l'école, de la famille, de la société, de l'amour pour retrouver l'enfant indompté de naguère. Avant que le personnage n'étouffe l'homme, le chemin en écriture conduit celui q'ui l'emprunte vers 1,lU espace in· térieur, Une dimension personnelle où s'accomplir, respirer, marcher de son allure spontanée. Entre ·l a comédie qui dénature sa ·f igure et l~ chimères qui l'aspirent vers des cieux impossibles, il est difficile d'approcher l'homme tel qu'en soi·~ême il se révèle. Le refns d'entrer . dans le monde des , adultes, de sacmier à la société et à l'histoire incite naturellement à s'inventer un paradis dont les délices ont la saveur des mots, de ces mots turbulents qui recOmposent l'univers selon les règles secrètes de la poésie. Le Voyage en Ecriture est, aussi bien, celui de la recon· quête des Terres magiques du langage sur les prescriptions du devoir, des usages, de l'altruismè, de l'ou· bli. Le dédoublement, le rêve, la folie libèrent les fantasmes où s'expriment le plus vü et , le plus pur, le plus inaliénable de soi. L'auteur s'aventure avec prédi. lection dans les sentiers de l'enfance, les joues en fe1J(' Îa mèche rebelle, à la recherche d.e souvenirs qui surgissent au détour d'une phrase. En se fustigeant, en déchi· rant avec une allègre férocité le masque dont, par vanité et pusillanimité, nous acceptons tous plus ou moins de nous déguiser, Vé· quaud cherche à retrouver l'expression d'un naturel difficile. Alain Clerval 7


Bricolage Jérôme Deshusses Sodome-ouut Flammarion, 318 p. Un mauvais livre, ça arrive. Et même c'est ce qui arrive le plus souvent. Mais il est une catégorie de livres particulièrement irritants: ceux qui auraient pu être bons. A cette catégorie appartient, je crois, le Sodome-ouest de Jérôme Deshusses. Un grand sujet. Traité par un jeune écrivain maDÜestement doué. (En particulier il possède ce don très rare et très estimable de s'exprimer avec une belle aisance simpIe). Et avec cela nous obtenons quelque chose qui n'est ni du Kafka, ni du Miller, ni du Le Clézio. Et c'est très bien, en un sens, que cela ne soit rien de tout ça, puisque c'est du Deshusses. Mais ce qui est gênant c'est que Jérôme Deshusses, ' sans parvenir à nous faire entrer dans sa danse nous donne tour à tour la nostalgie de ces auteurs. Le sujet du livre est un drame brûlant, le nôtre. Je veux dire, celui de tout homnie qui se « désintéruse ou désupère du mouvement qui l'appelle en avant » pour reprendre la citation de Teilhard de Chardin, donnée en exergue. Et comment, plongé qu'il est dans l'invraisemblable gâchis de fausses valeurs du monde où nous vivons, ne désespérerait-il pas ? Rien ne nous appelle plus en avant. Le cœur se

Jérôme Deshruses.

grippe, coincé entre lIue production sans but et une consommation sans joie. Jamais le « supplément d'âme » invoqué par Bergson n'a fait plus cruellement défaut. Au contraire, l'écart se creuse et il semble bien en effet que le seul but vers lequel nous tendons plus ou moins consciemment soit la guerre dite totale. Les allées et venues délirantes de ceux qui y croient, ou qui croient y croire comme dirait Prévert, ou qui se sentent un peu coupables de ne plus y croire, comme ce « charlatan » d'Abraham Z. le narrateur de Sodome, sont de plus en plus dérisoires. Les événements

~()l1l plu;; qu'un bavardage aussi futile que furieux. Ils constituent néanmoins la seule réalité à laquelle s'accrocher. Cette réalité n'est pas seulement désespérante ; elle est aussi multiforme et cette vaine prolixité à laqut'lle on se heurte sans pouvoir en n'nir fi bout (impossible de lui donner un sens, impossible même d'en faire simplement l'inventaire) mène tout droit au désarroi. « Saturé de tant d'existences particulières, montagnes, plantes, insectes, anthropes, je me disais que le monde est nombre et que tout le reste n'est que décors et anecdote. le me trompais,

de l'Actualité ne

La chair et l'esprit Hubert Gonnet Le grand scandale Ed. Buchet/Chastel, 468 p. Le sujet de ce livre, en leur temps, eût tenté Bernanos ou D!>Stoïevsky, dit le prière d'insérer. On peut aussi rêver non pas au roman qu'aurait écrit Bataille, mais aux remarques qu'il aurait pu développer sur un tel sujet: l'abbé Jacques Dupin a tué sa jeune maîtresse et arraché à son ventre l'enfant qu'il attendait d'elle.

La progression du roman de Hubert Gonnet est celle d'une enquête policière: qui a tué? Pourquoi? Comment? Le lecteur suit sur la page de gauche les efforts policiers pour dénouer le mystère, lit sur celle de droite le monologue intérieur du meurtrier (la mise en page parallèle de l'objectivité et de la spécificité ne · fait rien gagner en profondeur au récit; il eût été préférable de les intégrer, en variant les temps comme Flaubert jadis, en utilisant une sous-conversation comme Nathalie Sarraute "'11.jow-d'hui). Toutes les qu.estions 8

posées au prêtre l'étant par un policier, les motivations cherchées à son acte sont de l'ordre le plus humble: charnelles et psychologiques (quelle hérédité ?) Et comme le prêtre a le désir de sortir de la longue période de secret qu'il s'était imposée, il raconte volontiers sa vie; cet embroussaillement de la pensée et de la raison revient à la mémoire dans un ordre qui déconcerte. L'organisation de ce livre honnête et probe en est la partie faible. Quoi ? rien dans ce remuement des profondeurs qui demeure obscur? L'appétit de la chair, et le désir de sainteté (hué, frappé, le prisonnier vit humblement la passion) seraitil tout ce qui a conduit au crime sans que la volonté de transgression s'en mêlat? L'abbé parle bien du diable ; il se prête à lui. Une de ses maîtresses est beaucoup plus fascinée que lui par le mystère du sacré, l'élégante et boulotte Marie Dormoy qui choisit ses amants parmi les curés, les oblige à réciter leurs prières avant de se concéder à eux. Elle seule paraît habitée par l'esprit de provocation, fascinée par la ligne de non-retour. Que le pl'être, le. premier, ait

accompli le geste de possession, se précipitant vers la chair, la sachant mère du rire et de la souffrance, est tout autant la marque de l'impossibilité de l'esprit à subsister hors de tout contact avec le sensible, que celle de la perpétuelle tentation du franchissement. Ce qu'entend le prêtre c'est moins l'appel de la chair que celui du démon de la perversité. Pourquoi ne céderait-il pas au vertige qui lui fera immédiatement connaître la réalité du caractère sacré dont il est porteur? La perdition fait la preuve de l'appel ressenti. Ainsi s'approche-t-il peu à peu de ce qui est à l'origine de toute passion. Son drame, peut-être, réside-t-il dans le lait que l'on peut consacrer, mais non dénouer. La destruction seule permet de défaire ce qui fut; mais ce coudoiement insensé de la chair et de l'esprit ayant eu lieu, l'homme et la femme n'auront d'autre échappatoire que leur mutuelle destruction. Deux êtres, ici, s'octroient un sacrement sur lequel ils ne pourront pas revenir, l'un de la chair, l'autre de l'esprit_

J. R.

je me trompe aussi en pensant le contraire ». Ainsi s'exprime Abraham Z., vers la quinzième page de Sodome, à un moment où je croyais etlCOre avoir entrepris de lire un grand livre. D'où vient l'échec ? Très vite le souffle se brise et les \ï~ions que l'on nous promettait s"avère plutôt courtes. Une certaine vanité, justement dénoncée, de l'Actualité va bientôt presque exclusi, ement constituer la matière d'un 1Î\ re qui, en fin de compte se construit sur ce qu'il condamne sans pour autant le recréer. « Il y a un lORe: silence au cours duquel j'ai {l1"sieurs fois envie de tout lui di. (' : l'Univers, la Mort, le temps qui IJUS'!! sur les anthropes, et combien tontes leurs histoires de communisme et d'espionnage et de luttes politiques et sociales m'indiffèrent et m.> fatigue ». Voilà une proclamation sympathique. Mais c'est aussi une proclamation maladroite quand on la fait juste avant de se lancer soi-même dans une sombre histoire d'espionnage, de jeunes filles enlevées par d"obscurs réseaux, aux implications politiques à la fois banales et complexes. Trop souvent on a l'impression de lir{' 11' havardage des journaux dont ce livre prétendait tout d'abord dénoncer l'absurdité. Bien entendu les noms changent. Mais peut-on vraiment parler de « vision }) ? Un exemple : « Alors commence la Bataille du Partage les hommes de droite disent la Bataille de la Honte ». En fait de vision il s'agit le plus souvent de la transposition plate de l'univers dans lequel nous évoluons. On ne peut même pas dire qu'il s'agisse d'l!ll « collage » effectué à partir de l'actualité. (Pratique dans laquelle un Le Clézio excelle lorsqu'il se contente tout simplement d'énumérer sur une demi-page des slogans publicitaires dont le gâtisme nous abreuve - et alors, à quoi bon transposer ?) Non. ~out au plus s'agit-il du bricolage d'un monde déjà puant. Henry Miller, plus à l'aise sur le Trolley ovarien de son Tropique du Capricorne que Jérôme Deshusses dans son express Transsodomien, écrit : « La vision précède tout rangement ou réarrangement. Le monde ne rancit pas. Tout grand artiste, par son œuvre, réaffirme ce fait. L'artiste ne bricole pas l'univers : il le recrée par la force de son expérience et sa façon de concevoir la vie ». Deshusses objectera-t-il qu'il n'a plus de façon de concevoir la vie et que là, précisément, gît son désarroi ? Alors c'est ce sujet-là qu'il faUait traiter. Mais pourquoi le délayage de ce qui ne l'intéresse pas nous intéresserait-il ? A force de serrer de trop près l'histoire de « L'Homme-espèce qui fait grève faute d'un mouvement qui l'appelle en avant », on court tout simplement le risque de voir le lecteur faire grève à son tour puisque l'intérêt d'un mouvement analogue (sur le plan de l'écriture cette lois) lui est maladroitement retiré.

Roger Borderie


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Sexe : féminin Clarisse Francillon Les graines de l'orage Ed. Pierre Horay, 212 p. Durant les deux cents pages de Graines de l'orage pas un instant celle qui en est le personnage pri. vilégié ne quitte, physiquement du moins, le pavillon où elle et les siens - la famille J udrin a le goût des fêtes - célèbrent un anniver. saire tout en pendant la crémail. 1ère. Voilà donc l'unité classique re. trouvée mais avec quels autres moyens et à quelles autres fins! Dans ce lieu clos où évoluent quel. ques hommes et quelques femmes consacrant par leur réunion même leur transfert de classe, l'univers entier d'ailleurs pénètre: nous savons à quelle date le petit céré. monial se déroule, nous apprenons par quels événements publics et privés il fut précédé, dans quel contexte historique et social il s'in. sère. Nous.mêmes, devenant grâce à un monologue qui semble émaner d'une voix collective, qui tantôt s'élève ici tantôt là, membres de la

ROBERT SABATIER

veau. L'écriture de Clarisse Francil· Ion est fluide, certes, mais d'une • fluidité qui doit peu à la nature • - la plupart de ses images nais· • . d'm - et • sent d,un entourage cIta des gestes prosaïquement bourgeois • la contraignent soudain à la préci. • sion. • Ces apparitions de l'existence • quotidienne, le jeu est amusant de • roman les imaginer traitées par un écri· : vain naturaliste ou populiste. Abou. • "Une imagination romanesque riche, évocatrice, captivante. Un très tirait·il à nous rendre plus proche • bon roman". Robert Kanters - LE FIGARO LITTERAIRE. "Avec maîtrise, cette grand.mère veuve depuis la • Robert Sabatier passe de la verve coruscante à la sentimentalité, première guerre, cette mère qui • du panache cosmopolite à l'introspection, du jeu subtil à la tendresse, du clin d'œil mutin à l'inquiétude". Alain Bosquet - LE MONDE. "Ce fut, peu de temps, infidèle, ce frère • grand romancier, ce romancier puissant qu'est Robert Sabatier". inquiétant. tout ce milieu d'artisans • R.-M. Albérès - LES NOUVELLES LITTERAIRES. "Un roman chaleureux, quelque peu artistes devenus indus. • fiévreux. Les amateurs de pittoresque vrai et poétique vont être triels? Je ne le crois pas. Mais • comblés". Roger Giron - FRANCE-SOIR. "Un vrai roman, un bon enfin le drame de l'héroïne - à • roman, solide, cohérent, chaleureux. Le meilleur des neuf livres de la vérité il n'y a dans ce livre ni • Sabatier". Jean Bourdler - MINUTE. "II faut admirer la maîtrise avec drame ni héroïne mais les mots • laquelle Robert Sabatier entrecroise ou fait coïncider les dimensions sont commodes - se prêterait, en • du concret et du symbolique, de la sensualité et du mythe". André y perdant sans doute en évidence • Miguel - LES BEAUX-ARTS "Imaginez L'Idiot écrit, anticipativement, et en subtilité, à un traitement • par Flaubert". Robert Poulet - RIVAROL. "Giraudoux aurait aimé ce traditionnel: une femme aime un • Chinois d'Afrique". Jacques Brenner - PARIS-NORMANDIE. "Le plus beau roman qu'ait écrit Robert Sabatier. Une vie vraie, rendue avec homme pour qui elle ne compte • une concision imagée jamais atteinte par le romancier". Jeanine Moullnguère. Il est vrai que située dans • LE SOIR... Son meilleur rompn". Jacques Valmont - ASPECTS DE LA un pàssé même proche, cette Al-· : FRANCE. "Je vous souhaite à la tecture de Le Chinois d'Afrique le plaisir berte obsédée à chaque heure de • que j'ai éprouvé moi·même à le découvrir". P. Humbourg, "Une écriture sa vie par un amant qui depuis • légère, un rythme endiablé". Christine Arnothy - LE PARISIEN LIBERE. des années ne lui accorde que quel. • ques instants par semaine, nous la • verrons assise dans l'embrasure • d'une fenêtre tricotant en rêvant. : Aujourd'hui sa rêverie se trouve • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • contrainte à contourner des obsta- • des concrets: Alberte exerce avec • efficacité et goût une profession qui • ne lui permet pas d'abandonner • 1 Un des livres les plus longtemps la réalité. • Reste que cette femme d'action • passionnants et les que chose mène, comme en contrepoint, une • plus excessifs de qu'on ne pourquête entêtée du bonheur. Et voilà • cette année". ra oublier ... que ses gestes atteignent au sym- • (Alain Bosquel. J'admire MARCEL bole: sa marche vers la mort s'ac. • COMBAT) compagne de la plus universelle • MOREAU" (Alain Bos· recherche, évoque celle de Mrs Dal- . : quet, COMBAT) "MOREAU loway qui, dans son errance à tra- • se dépasse... On se tue, on vers Londres rencontre, comme le • se dévore, on se viole, on pasjeune Bouddha quand il sortit de se tout naturellement de l'accouson palais, la pauvreté, la maladie • plement à la philosophie.. . Le livre et la mort. Mais ne serait-ce pas • surtout l'universel échec que dans : est rucJe, mais admirablement ' écrit et sa recherche à elle rencontre une • d'une tension constante". (Pierre Descargues, Alberte pleine pourtant d'une ac- • TRIBUNE DE LAUSANNE) "LA TERRE INFESTIEE ceptation courageuse et plus qu'à • D'HOMMES a un sens dans l'histoire littéraire demi lucide ? • de 1966." (R.-M. Albérès. LES NOUVELLES LITTÉRAIRES). La phrase - nous l'avons dit _ •

Le Chinois d'Afrique

EDITIONS ALBIN MICHEL

MARCEL MOREAU

Clariue Francillon

famille rassemblée, nous trouvons contraints d'éprouver la. vie comme elle le fait. Ecrite avec le souci de ne pas figer le déroulement des existences, de rendre les fluctuations que font naître en une créature humaine ses rencontres avec d'autres humains avec la solitude ou l'arilour, la joi; ou la tristesse, comment cette œu. vre ne ferait-elle pas penser quel. que peu à celle de Virginia Woolf, la grande aïeule de tant d'entre nous ? Mais le jeu de la sensibilité féminine s'exerce ici sur un ·tout autre univers que celui de l'intel. lectuelle anglaise et de ce fait nous livre une création toute différente : :Ii l'outil, parfois semble être le même. !!On maniement s'avère nou·

qui suit ce pélerinage est le plus souvent longue et souple, à peine retenue par des virgules, rarement arrêtée par des points, dépourvue absolument de points virgules. Vers la fin nous la trouvons, à certaines pages disposée en alinéas, semblables un peu à des versets qui suivent le rythme d'une· respiration. Celle-ci est spécüiquement féminine comme le livre en son entier est spécifiquement féminin; ce qui, selon moi, constitue un éloge. Une fois de plus j'ouvre Une chambre à soi et lis : « Il serait infiniment regrettable que les femmes écrivissent comme les hommes ou vécussent comme des hommes, carl si deux sexes sont tout à fait insuffisants quand on songe à l'étendue et à la diversité du monde. com· ment nous en tirerions-nous avec un seul? » Clara Malraux

La Quinzaine littéraire, du 1'" au 15 novembre 1966.

/1

••••••••••••••••••••••••••••••• • • • • • • • • deux nouveaux vrais MARIE romans" romanesq ues " • déjà deux grands succès. .: MAURON • • • • • : • • a1l HIen de hov.nee, • _e ehromq1le fa_i ua1 e pl,Iae de, bruit et de fureur • • • • le r6cit d'_ amour • p81lt-itre impoaible, faee • à l'Aventure et à l'Blnolre

Châteaux eJ,e cartes

Sarah Cortez

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Seghers


Le poids du quotidien IIi de la pudeur - y compris la haine pour ses proches et les velléités meurtrières qu'elle nourrit parfois à leur égard. Le récit de Janine Brégeon, de la première à la dernière ligne, va au galop, sans le moindre temps mort. Et ce galop verbal, violent, cru et saccageur a l'accent du plus parfait naturel... Il a ou il emprunte l'accent du naturel? C'est la question qu'on se pose après la lel'ture des « interviews» que Ja-

nine Brégeon a donnés ù divers périodiques. On lit Une journée inutile comme un document qu'on est tenté de croire autobiographique tant il est, jusque dans sa démesure, criant de vérité. Or, il n'en est rien. Il s'agit d'une œuvre d'imagination sinon d'un vrai roman. On admire alors d'autant plus le savoir-faire de Mme Brégeon, presque trop grand pour un premier livre, presque trop habile. Henri Hell

Le roman d'un architecte Michel Bataille

La Ville des fous Robert Laffont, éd. 351 p.

L'ennui' de vivre...

Janine Brégeoll, Une journée inutile Gallimard éd., 148 p.

qu'elle , a contre tout, contre lout ce (et ceux) qu'elle aime et qu'elle déteste en même temps, contre sa condition de femme dépendante de l'hoÏnme, d'un mari - ce personnage avec qui on passe ses nuits et ses jours sans arriver à le comprendre. Bref se laisser aller à une crise de « nausée» au sens sartrien du terme - pour , peu de temps, le temps d'une journée inutile, puisque selon les mots qui terminent le récit de Janine Brégeon, c( demain il faudra vivre», autrement dit rejeter la paresse, le laisser-aller, surmonter l'ennui, oublier que la répétition, la routine et l'habitude font partie de la vie tout ce que la narratrice ne peut supporter.

« Il y a dea matins où je sais que je ne me lèverai pas. C'est plus fort que moi je ne me lèverai pas. Même s'ü fait beau ça m'est bien égal. Ce jour-là, pour moi, il ne fait pas beau, c'est tout. Et s'il pleut, tant mieux, qu'il pleuve et que toute la vüle soit noyée. le n'aime pas les gens, je n'aime pas mon mari, ni ma petite fille, ni mon petit garçon. Qu'ils sortent sous la pluie, qu'ils tombent dans des fondrières, qu'ils aiel1t de la boue par-dessus la tête, c'est tout ce que je demande. le' ne ferai pas un geste, je ne pleurerai pas. » « Il dit (Pierre, le mari) que je On voit le ton, dès le début el de quoi il s'agit: de la protestatio,n , ne serai jamais heureuse parce que de la révolte d'une jeùne femme je ne m'intéresse à rien parce que . ,. . de vingt-cinq ans, mariée et mère Je n mme personne parce que Je ne de deux enfants, contre la vie quo- crois en rien. Parfois il prétend que tidienne, contre la vie tout court. je suis possédée et il veut me faire Pourtant, elle n'est pas plus mal· exorciser». A sa façon certes, Suheureuse qu'une autre: elle n'esl zanne est une possédée .( et bien des pas laide, elle est même jolie, elle femmes le sont comme elle) : toute a un mari qui l'aime et qu'ellf' livrée à son instinct et à ses ner.!s, aime, elle a deux enfants qui sonl . incapable de les dominer, voloncomme tous les enfants, charmant/< taire et capricieuse, comédienne et agaçants selon les moments, eUr (sincère, mais comédienne) avec les fait de la peinture pour passer h, autres et avec soi-même, acharnée temps, elle a une vie matérielk , avec une véhémence rageuse à ne sans questions, elle habite un ap' savourer que !( l'ennui de vivre», partement confortable, etc ... - seu· à faire ~ouffrir ceux qui l'entourent lement voilà, il y a des jours où et à souffrir elle-même de les faire le trantran de la vie quotidiennt' souffrir. Mais cette possédée n'a pèse lourd, où la vie se décolore : nul besoin de se faire exorciser, ni et Suzanne n'a alors envie ni dE' de voir un psychiatre: l'écriture se lever, ni de faire le ménage. In est pour elle, et sans doute pour cuisine, et la vaisselle, ni de R·O(~. l'auteur, un véritable exorcisme. Et cuper des enfants qui vraiment de fait, Suzanne soliloque comme sont insupportables, ni même de un malade le ferait chez son psyse laver. Rien, ne rien faire. Nf chanalyste. Elle dit tout ce qui lui pas bouger, rester au fond de son passe par la tête, avec cynisme et lit à rêvasser, à ressasser les griefs brutalité, sans souci de la morale

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Cette Ville des fous se lit d'une traite malgré sa longueur et quelq ues facilités qui n'entament pas la maîtrise du romancier. La figure c:.,' ntrale sinon le personnage prinl'ipal - est celle de Victorien Sauvage que l'on ne peut dissocier Je la destinée du narrateur et du métier qu'ils ont- en commun et qui est pour eux un sacerdoce : l'architecture, cet art premier dont tant de médiocres « grands ensembles» ou « pavillons» pourraient nous faire croire qu'il est le dernier des métiers. Si l'on s'interdit de considércr le roman de Michel Bataille comme la biographie à peine déguisée d'un des plus grands créateurs de ce siècle, c'est sur deux plans qu'on doit le lire. Il y d'abord l'intrigue proprement romanesque du jeune architecte Georges Amyot qui nous conte le difficile apprentissage de son métier, sa surdité, ses démêlés avec le monde et ses amours contra· riées avec Véronique. Cet architecte, dont le maître, parce qu'il en a reconnu le talent et la secrète intransigeance, a fait son disciple. la narrateur montre le combat désespéré qu'il mène contre la bêtise des hommes, leur mauvais goût et la haine jalouse et tenace de ceux qui détiennent l'autorité, du ministre au spéculateur, du chef de cabinet au « promoteur ». Mais c'est la destinée de Victorien Sauvage qui donne au livre et sa vérité et sa grandeur, cette lente montée d'un homme vers l'isole· ment et vers la lumière, engagé dans le même combat désespéré q li i ne peut pas s'achever par une victoire mondaine mais par un plus pur triomphe - celui d'une vérité pressentie, possédée à l'instant de la mort et toute dressée contre la routine. Le roman débute et ",'achève par la même, scène: celle des obsèques nationales de cet architecte célèbre et méconnu mort voici à peine un an, dont' le monde entier reconnaissait le génie mais que 'son propre pays insulta. Non: méprisa, ce qui est pis.

Condamné à une surdité presque sans espoir, il sera donné au jeune architecte d'estimer par l'absurde et à leur juste poids les paroles de tous ceux qu'il côtoie journellement: sans les entendre, sans même suivre le mouvement de leurs lèvres, il pressent leur pensée, c'est-à-dire l'inanité absolue de presque tous leurs propos. Et c'est muré dans le silence qu'il comprend : le monde véritable est dans le mutisme, le travail, la poursuite sans nulle compromission d'un dessein qu'il sait être essentiel, qu'il réalisera peut-être mais que Victorien Sauvage par sa mort qu'il veut solitaire,

Michel Bataille

« seul avec lui-même, réduit à son âme, au soleil nu de sa pensée») rendra exemplaire: (1 ( ••• ) il mettrait le monde dans son tort; il romprait à son détriment l'équilibre du ciel et de la terre; il rendrait ainsi fatal, par un retour de pendule souverain, que justice lui soit rendue, dans les temps à venir et pour toujours. » Guy Rohou


HISTOIRE LITTÉRAIRE

, Du nihilisnte a la parade Maurice Barrès Œuvres complètes Club de l'honnête homme, éd. 3 vol. De Barrès, Lucien Herr dit qu'il fut un « écrivain de petite ville » transplanté à Paris. Léon Blum (qui l'admirait) estime que son œuvre est « incasable », en cela proche parente de celle de Rousseau. Oui, si l'on retire à Rousseau son piétisme et qu'on ne garde que sa nature d'exilé ... Quand on lit ou relit Barrès, aujourd'hui, on est frappé par une sorte de modernité qui ne tient certes pas aux idées, mais à l'attitude de l'écrivain devant les idées. Est-ce sa nature de provincial ou d'homme de l'Est qui affronte à Paris une vie politique dominée par des hommes du Midi (Gambetta, Jaurès) ? Est-ce un détachement plus profond? Le Barrès qui, au Quartier latin, lance et rédige seul une jeune revue appelée Taches d'encre, qui écrit l'Ennemi des Lois, dialogue avec insolence avec les « maîtres » de son époque, Renan ou Taine, et promène le visage d'un étranger dans le siècle: c'est un anarchiste. Un nihiliste même qui, quelques années plus tôt, en Russie, aurait lancé quelques bombes sur de lymphatiques archiducs. A cette époque, l'anarchisme véritable, le seul authentique bien entendu, est celui de Proudhon. ou de Kropotkine. De l'anarchisme, le jeune Barrès ne retient point la saisissante vision sociale, celle de l'autogestion des petits groupes et d'un Etat, simple service public, dépendant des citoyens. Ce qui l'attire c'est le nihilisme désinvolte des années fin de siècle, proche de celui de Des Esseintes, de Marcel Schwob. Ce nihilisme lui fait prendre vis-à-vis de son temps une sorte de distance dont il ne guérira plus. Dans Un Homme libre ou le Jardin de Bérénice, malgré l'affectation souvent gênante de la langue, on découvre un écrivain de race pour qui les idées comptent moins que l'attitude qu'elles ' entraînent et les modifications qu'elles provoquent sur la vie psychologique. A considérer Barrès sous cet angle, on découvre un profond détachement de l'existence en général et particulièrement de la crédibilité des idées. Ce nihilisme prend divers aspects: du scepticisme passionné et amer à l'obsession de la mort dont J.M. Domenach a bien parlé dans son Barrès par lui-même l'éventail est large. Cette extension du registre répond surtout à la variété des aspects du style. Loin de se servir de sa langue et de son art pour dessiner sa figure comme le pensait Thibaudetl , Barrès construit un instrument, un langage avec les figures successives que lui impose son scepticisme. Malheureusement, cet instru-

Maurice Barrès

ment n'est pas tout à fait forgé dans ses premiers livres. Il faut attendre Du Sang, de la volupté et de la mort et les livres « politiques » ou sociaux comme les Déracinés ou l'Appel au soldat pour en trouver l'accomplissement; c'est au moment où Barrès se dédouble. Philippe Garçin l'a bien dit2 : l'évolution de Barrès est celle d'un double jeu, d'un « double-je », dirions-nous. Il se cache sous le drapeau du nationalisme chauvin au moment où il tente de freiner son nihilisme en l'accrochant à une croyance un peu ferme. Mais quelle anxiété dans ce « nationalisme » !... Barrès aurait-il entrepris d'écrire ces notes en marge de son œuvre (et rassemblées dans les Cahiers) s'il n'avait, en même temps, dû écrire Colette Baudoche? Sur ce « nationalisme » aussi, il y aurait beaucoup à dire. Et d'abord, si l'on se reporte à l'époque, qu'il fut une réaction qu'on pourrait qualifier d' « européenne » contre le « colonialisme » républicain et laïc. Peut-on oublier que Jules Ferry, Lorrain comme Barrès, estime que le trop-plein des forces et des « énergies nationales » doit être lancé en Afrique et particulièrement en Afrique du Nord? Que le peuplement de la Tunisie et de l'Algérie par des Alsaciens se justifiait par la propagande civilisatrice ? Sans parler de l'Indochine ou de l'Afrique noire. Le futur fondateur de « l'Union .p our la

1.& Qaimaine littéraire, du 1" au 15 novembre 1966.

vérité » ne publie-t-il pas à ce moment un opuscule où il montre que le colonialisme est l'expression même des idées laïques et républicaines? Contre ce nationalisme d'expansion, Barrès affirme son nationalisme anti-prussien -_. plus qu'anti-allemand d'ailleurs. Il estime que le destin de la France est en Europe et que le danger du militarisme d'outre-Rhin est plus grand que ne peut être profitable l'aventure outre-mer vers laquelle Bismarck, avec une habileté diabolique, avait lancé la France, au Congrès de Berlin. Les hommes, surtout les écrivains, ne sont pas séparables de la trame vivante dans laquelle se mêlent et s'affrontent les croyances et les idées. Le nationalisme de Barrès est issu de son éducation et de la défaite de 1871. Son « boulangisme » est un rêve que partage, faut-il le rappeler, une portion très importante de la classe ouvrière. Comment oublier que la Commune de Paris a été une réaction populaire contre l'envahisseur monarchique, et que le parlementarisme des notables orléanistes et républicains est né de tractations immond~s avec l'occupant? Henri Guillemin a publié là-dessus des documents saisissants3 • Ce nationalisme reste une idéologie. Parce que Barrès ne lui demande qu'une. justification sociale. L'intéressant n'est pas d'ex-

pliquer un écrivain par les idées collectives de son époque, mais de savoir pour quelle raison, ~u milieu de ces représentations géné. rales, apparaît un individu. Or, Barrès se préférait à toutes les idées. Par là apparaît ce caractère d'exilé qu'on peut trouver dans son œuvre, presque à chaque page. Non d'un exil à la manière d'Ovi. de, mais à la Chateaubriand ou à la Camus: celui d'un homme qui se sent étranger à la vie de son temps et qui mesure à la fièvre qu'elles lui inspirent les « idéesf~rces » qu'il rencontre. La coupure dans l'œuvre de Bar· rès, c'est l'Affaire Dreyfus. L'hom. me qui injurie ceux qui viennent de signer une pétition contre les exactions d'une justice coupable et que Clémenceau, dans l'Aurore, vient de baptiser d'un terme nouveau, celui d' « intellectuels », ce sont des gens comme lui. Or, cette prise de position l'isole, l'éloigne à jamais de ces « intellectuels D qu'il feint de. dédaigner parce qu'ils sont des « déracinés D. Son anti. sémistime politique est un suicide4• Voilà ce qui donne à ses livres politiques leur ton singulier. Pour Barrès, il n'existe plus désormais que des passions et des )déologies. .Les idées n'existent ' plus. Il faut relire Les Déracinés, l'Appel au soldat ou Leurs figures - où André Siegfried voyait le témoignage le plus remarquable sur la vié poli. tique de la fin du siècle dernier. Barrès y crée le genre du roman politique. moderne où se mêlent comme ils se mêleront dans les Conquérants ou les Cloches de Bâle - les personnages réels et les personnages de fiction. On y trouve un jeu, subtil, entre le style, la passion individuelle et les « engagements » politiques. Et, chez ce Boulangiste, quel mépris, au fond, pour le héros déjà vaincu qu'est Boulanger! Précisément, Barrès ne pouvait plus adhérer à une doctrine: il rêve d'un attachement de l'homme à des institutions positives (rêverie inspirée d'Auguste Comte et à la. quelle Maurras donne une forme politique), mais la société dans la. quelle il vit rend impossible cet enracinement en raison même du changement quasi permanent qu'en. traîne le développement économi. que. Il se promène au milieu des paysages et des idées comme un voyageur traqué. Il prend la pose, il parade, il affirme, il mâche la cendre de ~a jeunesse. C'est un étranger qui parle, l'homme de nulle part qui cherche à se percher s~r la branche d'un arbre mort. Jean Duvignaud 1. L'œuvre de Maurice Barrès, Gallimard. 2. « Critique lI, nO. 175, 176. 3. Cette curieuse suerre de 70, Gallimard ·

éd. 4. Faut-il rappeler que le premier signataire de cette pétition est Marcel Proust ? Ce qui n'empêche pas Proust et Barrès de correspondre, pendant pl1lllÎeurs 1IlJDéea.

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INÉDIT

Ezra Pound •• une leçon de littérature Il Y a un an jour pour jour que le poète américain Ezra Pound fêtait son quatrevingti~m~ anniversaire à Paris, après quarante ans d'absence. Il venait, invité par les éditions de l'Herne qui révélait son œuvre en France : les Cahier N° 6 et 7! présentaient l'homme et l'écrivain - traducteur, essayiste, pamphlétaire, compositeur, économiste, homme-orchestre de la littérature anglo-saxonne des années 1914-1930 - , en même temps que paraissaient les cantos pisans! dans une traduction de Denis Roche. Aujourd'hui paraissent simultanément trois de ses essais majeurs : Esprit des littératures romanes2 , Comment lire! et l'A.B.C. de la lecture!, {( à l'usage de ceux qui voudraient s'instruire ». L'auteur avertit le lecteur qu'il a voulu produire un manuel qui puisse être lu par ceux qui ne sont plus à l'école ou par ceux qui ont souffert dans leurs études. Au moyen de phrases simples, précises, ~ficaces, le maître de T.S. Eliot donne une méthode pour étudier la poésie et le roman, séparant de manière draconienne ce qui est bon de cette énorme masse d'écrits considérés comme valables, qui a surchargé l'enseignement, et qui est condamnable pour avoir répandu cette très pernicieuse idée qu'un bon livre est obligatoirement un livre assommant.

La littérature, le langage Le Langage a été manifestement cree pour - et sert manifestement à - la communication. {( La littérature est une somme d'informations qui RESTENT des informations. )} Mais il y a des degrés à cela. Votre commu· nication peut être plus ou moins valable. L'in· térêt de ce dont vous faites état peut être plus ou moins durable. Je ne peux pas, par exemple, épuiser l'intérêt du Ta Hio de Confucius, ni celui des poè. mes homériques. Il est très difficile de lire une même histoire policière deux fois. Ou disons que seul un très bon cc policier )} supportera une deuxième lecture, après un temps assez long, parce qu 'on l'aura lu très vite la première fois et qu 'on l'aura pratiquement oublié. Mais ces phénomènes sont purement naturels, ils servent d'échantillons étalonnés, d'instruments de mesure. Car il n'y' a pas deux personnes pour qui ces cc mesures » soient identiques. Le critique qui ne tire pas des conclusions personnelles en refaisant ses propres mesures est simplement une personne sur qui on ne peut pas compter. Il ne prend pas lui-même des mesures, il ne fait que reproduire les conclusions des autres.

KRINO, faire sa propre sélection, choisir soi-même. Voilà ce qu'est la critique. Personne ne serait assez fou pour me demander de choisir à sa place un cheval ou même une automobile. Pisanello a peint des chevaux de manière telle qu'un cheval fait penser à sa peinture, et le duc de Milan l'envoya acheter des chevaux à Bologne. Je ne sais absolument pas pourquoi on ne peut . appliquer à l'étude de la littérature un tel procédé de cc sens du cheval ». Pisanello n'avait qu'à REGARDER les chevaux. On ne peut que penser que, pour comprendre quoi que ce soit à la poésie, il suffit de 12

faire une ou deux choses ou les deux à la fois. C'EST-A·DIRE LA REGARDER, ou l'écouter. Ou bien même y réfléchir un peu. Et pour être bien conseillé il suffirait d'aller trouver quelqu'un qui s'y CONNAISSE. Si vous voulez apprendre quelque chose sur une automobile, iriez-vous trouver quelqu'un qui en a construit une et l'a conduite, ou bien quelqu'un qui en a simplement entendu par1er? Et de deux personnes qui ont construit des automobiles laquelle choisiriez-vous ? Celle qui en a réussi une, ou celle qui n'a fait qu'une guimbarde? Irez-vous voir l'automobile ou bien vous contenterez· vous de sa description ? Dans le cas de la poésie, il y a, il me semble, beaucoup de choses à considérer. Il semble bien n'y avoir, en plus, qu'un très petit nombre de descriptions valables. Dante dit: cc Une canzone est une composition de 'mots mis en musique. » Je ne connais pas de meilleur point de départ. Coleridge ou De Quincey dit que la qualité cc d'un grand poète est partout présente et nulle part visible distinctement », ou quelque chose de ce genre. Mais ce serait un point de départ plus dangereux. Et c'est probablement vrai. La remarque de Dante est un meilleur point de départ parce qu'elle fait partir le lecteur ou l'auditeur du moment même où il regarde ou écoute réellement, au lieu de distraire son esprit de cette réalité au profit d'une chose qui n'est qu'une approximation déduite ou supposé liée à la réalité, et pour laquelle l'é!Jidence n'est qu'une extension particulière et limitée de la réalité. La littérature n'existe pas dans le vide. Les écrivains, comme tels, ont une fonction sociale définie, exactement proportionnée à leur valeur EN TANT QU'ECRIVAINS. C'est là leur principale utilité. Tout le reste n'est que relatif, et temporaire, et ne peut être estimé que selon le point de vue de chacun. . Les partisans d'idées particulières donneront plus de valeur à des écrivains qui sont de leur

Le langage est le principal moyen qu'ont les humains de communiquer. Si le système nerveux d'un animal ne transmet plus de sen· sations ou de stimuli, l'animal dépérit. Si la littérature d'une nation décline, cette nation s'atrophie et périclite. Votre législateur ne peut inventer des lois pour le bien du peuple, votre chef ne peut com· mander, votre peuple (s'il s'agit d'un pays dé· mocratique) ne peut instruire ses cc représentants » de ses besoins, que grâce au langage. Le langage nébuleux des escrocs ne sert que les tentatives temporaires. Une certaine somme de communication, dans de nouvelles spécialités, passe par une formulation mathématique, par les arts plastiques, par les diagrammes, par des formes purement musicales, mais personne ne propose de subs· tituer ces formes à celle du discours ordinaire, personne ne pense même qu'il soit possible de suggérer une telle chose. L'homme sensé ne peut rester assis tran· quillement à ne rien faire quand son pays laisse mourir sa littérature, quand la bonne littérature ne rencontre que mépris, de même qu'un bon docteur ne peut avoir la conscience tranquille quand un enfant ignorant est en train de s'inoculer la tuberculose comme s'il s'agissait simplement de manger des tartes à la confiture. Il est très difficile de faire comprendre aux gens cette indignation impersonnelle qui vous prend à l'idée du déclin de la littérature, de ce que cela implique et de ce que cela produit en fin de compte. Il est à peu près impossible d'ex· primer. à quelque degré que ce soit, cette indi· gnation, sans qu'aussitôt l'on vous traite « d'aigri ) ou de quelque autre chose du même genre. Néanmoins « l'homme d'Etat ne peut gouver· ner, le savant ne peut communiquer ses dé· couvertes, les hommes ne peuvent se mettre d'accord sur ce qu'il convient de faire, sans le langage » et toutes leurs actions, toutes les cori-

Ezra Pound, en. Ifalie, 1965

avis qu'à des écrivains qui ne le sont pas. Ils attribuent - c'est très souvent le cas - plus de valeur à de mauvais écrivains qui sont de leur parti ou de leur religion qu'à de bons écrivains d'un autre parti ou d'une autre Eglise. Mais il existe une base qu'on peut estimer exactement, indépendamment de toute question de point de vue. Les bons écrivains sont ceux qui gardent au langage son efficacité, c'est·à-dire ceux qui en conservent la précision et la clarté. Il importe peu que le bon écrivain veuille être utile, ou que le mauvais écrivain veuille faire du tort aux gens.

ditions de leur vie sont affectées par les défauts ou les qualités de leur langue. Un peuple qui croît dans l'habitude d'une mauvaise littérature est un peuple sur le point de lâcher prise sur son empire et sur lui-même. Et ce laisser·aller n'est en rien aussi simple et aussi scandaleux qu'une syntaxe abr)-lpte et désordonnée. Cela concerne la relation entre l'expression et le sens. Une syntaxe abrupte et désordonnée peut être, par moments, tout à fait honnête, et une sentence minutieusement construite peut n'être, par moments, qu'un minutieux camouflage.


La «oharge» du langage « La grande littérature est simplement du langage chargé de sens au plus haut degré possible. » Dichten = condensare. Je commencerai par la poésie parce que c'est la forme la plus condensée de l'expression verbale. Basil Buntint, alors qu'il feuilletait machinalement un dictionnaire Allemand-Italien, découvrit que cette idée de poésie comme condensation du langage était pratiquement aussi ancienne que la langue allemande elle-même. \( Dichten » est le verbe allemand correspondant au substantif « Dichtung » qui signifie « poésie », et le lexique donnait comme équivalent italien le verbe qui signifie « condenser ». La « charge » du langage' se fait de trois manières différentes: on reçoit le langage tel qu'il est transmis par la race. Les mots ont des sens qui font partie « de la peau de la race elle-même »; les Allemands disent « wie in den Schnabel gewachsen » : comme ça lui pousse dans le bec. Et le bon écrivain choisit ses mots en fonction de leurs significations. Mais la signification d'un mot n'est pas faite tout .l'une pièce, n'est pas définie aussi exactement que le mouvement d'un cavalier ou d'un soldat sur un échiquier. Elle surgit avec des racines, avec des associations. Elle dépend du lieu et de la manière dont le mot a été communément utilisé, elle dépend aussi de ses utilisations brillantes ou qui valent la peine d'être conservées. n est pratiquement impossible de dire « couleur chair » sans qu'aussitôt un ou deux de vos auditeurs pensent à un vers déjà lu. Les chiffres ou les mots liés à des inventions humaines ont des sens bien tranchés, bien définis. C'est-à-dire des sens plus « incisifs » que ceux des « associations » d'un mot. Bicyclette, aujourd'hui, a un sens bien tranché. Mais tandem, ou « bicyclette pour deux personnes », fera sans doute jaillir une image des années passées sur l'écran mental du lecteur. Il n'y a pas de fin au nombre de qualités que les gens peuvent associer à un mot donné ou à une sorte de mot, et la plupart d'entre elles varient d'un individu à l'autre. n faut pratiquement remonter jusqu'aux textes critiques de Dante pour trouver Une table OBJECTIVE des ,catégories de mots. Dante disait des mots qu'ils étaient « flatteurs » ou \( broussailleux » suivant les différents BRUITS qu'ils faisaient. Ou pexa et hirsuta, « bien peignés et hirsutes » • Il les avait aussi diviSés suivant leurs différentes associations possibles. DE TOUTE MANIERE on continue de charger en sens les mots de trois façons, appelées « phanopoeia », « melopoeia » et « logopoeia :D. On utilise un mot afin de projeter une image visuelle dans l'imaginaire du lecteur, ou bien pour le charger de son (pour ce faire, on peut utiliser des groupes de mots). En troisième lieu, on prend un risque plus grand en utilisant le mot avec l'idée déterminée d'une relation à un « usage », c'est-à-dire à un genre de contexte dans lequel le lecteur l'attend, ou est habitué, à le rencontrer. Ce moyen-là est bien le dernier à utiliser, seuls les gens sophistiqués le font. (Si vous voulez vraiment comprendre de quoi je veux parler, il vous faudra lire, en fin de compte, Properce et Jules Laforgue.) Si vous partez, en littérature, à la recherche a: d'éléments purs », vous finirez par découvrir que la littérature a été créée par les poupes de personnes suivants :

t.. QuiuaiDe littéraire, du 1er ou 15 novembre 1966.

1. Les inventeurs. Des hommes qui ont trouvé de nouveaux procédés, ou dont l'œuvre constitue le premier exemple connu d'un nouveau procédé. 2. Les maîtres. Des hommes qui ont réuni un certain nombre Je ces procédés, et qui les ont utilisés aussi bien ou mieux oUt' les inventeurs. 3. Les vulgarisateurs. Des hommes qui' sont venus après les précédents, et qui n'ont pas fait aussi bien qu'eux. 4. Les bons écrivains mineurs. Des hommes qui ont eu la chance de naître à une époque faste de la littérature de leur pays, ou bien à une époque où certaine branche de la littérature « sé portait bien ». Par exemple, ceux qui ont écrit des sonnets à l'époque de Dante, ou de courtes pièces de vers au temps de Shakespeare ou au cours des quelques décades suivantes, ou bien encore ceux qui, en France, écrivirent des romans ou des récits après que Flaubert leur eût montré comment faire. 5. Les hommes de lettres. C'est-à-dire ceux qui n'ont pas vraiment inventé quelque chose, mais qui se sont spécialisés dans un genre quelconque de littérature. On n~ peut pas les considérer comme de « grands hommes », ni comme des auteurs qui ont tenté de donner une représentation complète de la vie ou, plus simplement, de leur époque. 6. Ceux qui font la mode. Tant que le lecteur ne connaît pas les deux premières catégories, il sera incapable de « distinguer les arbres de la forêt ». n saura « ce qu'il aime ». n sera un « véritable amateur de livres » avec qne grande bibliothèque, des impressions magnifiques, des reliures d'un luxe inouï, mais il sera incapable de préciser le degré de son avoir, incapable d'estimer la valeur d'un livre par rapport aux autres, et il sera dans la confusion la plus totale, et même incapable de la moindre formulation quand il se trouvera en face d'un livre « t'n rupture avec la tradition », alors même qu'il sera capable d'avoir une opinion sur un livre qui date de quatre-vingts ou cent ans. n ne comprendra jamais pourquoi un spécialiste sera irrité de le voir parader, avec une opinion de seconde ou de troisième main, à propos des mérites de son mauvais écrivain favori. Nous avons déjà dégagé les trois procédés les plus importants pour charger le langage de sens, et ceci au plus haut degré possible: . 1. Projeter l'objet (fixe ou en mouvement) jusque sur l'imagination visuelle. 2. Produire des corrélations émotionnelles par le bruit et le rythme du discours. 3. Produire les deux sortes d'effets précédemment décrits en stimulant les associations (intellectuelles ou émotionnelles) qui demeurent dans la conscience du receveur en relation avec les mots ou les groupes de mots réels employés (phanopoeia, melopoeia, logopoeia). L'incompétence rendra manifeste l'usage d'une trop grande quantité de mots. Le premier moyen, le plus simple, pour un lecteur de tester un auteur sera de rechercher les mots qui ne lonctionnent pas, qui ne contribuent en rien au sens OU qui distraient du PLUS important facteur de sens en faveur de facteurs de moindre importance.

La beauté : une aptitude au dessein Voici une définition de la beauté : aptitude au dessein. Que ce soit une bonne ou une mauvaise définition, vous pouvez aisément vous rendre compte qu'une bonne partie de la MAUV AISE critique a été écrite par des gens qui

Euo Pound photovophié por

Richord Alledon.

prétendaient que tel auteur essayait de faire telle chose alors que précisément ce n'était PAS telle chose qu'il essayait de faire. Aussi incroyable que cela paraisse aujourd'hui, les mauvais critiques de l'époque de Keats jugèrent son œuvre « obscure », ce qui veut dire qu'ils ne pouvaient comprendre POURQUOI Keats écrivait. La plupart des perceptions humaines datent d'il y a longtemps ou sont dérivées d'autres perceptions, d'autres hommes particulièrement doués, bien avant que nous soyons nés. L'espèce humaine découvre et redécouvre.

Flaubert, l'arohétype « Un charpentier peut assembler des planches, mais un bon charpentier saura distinguer le bois sec du bois vert. » Les simples questions de construction ét d'assemblage de portions de phrase, de construction grammaticale, ne suffisent plus. Ces études finirent par se résoudre en un jeu oratoire, aujourd 'hui parodié dans les romans policiers au moment où s'y trouvent récapitulées de savantes discussions. Après de tels exercices de structure, le développement ne devait reprendre qu'en France d'abord, avec Stendhal et Flaubert. Une tentative pour montrer les choses telles qu'elles sont, pour trouver les mots qui correspondent. aux choses, l'énoncé qui dépeint et présente, au lieu qu'il commente, si brillant soit-il, si épigramI!latique. Flaubert est l'archétype. Les frères Goncourt codifièrent et prêchèrent · la pratique de Flaubert, après en avoir fait la théorie. Flaubert ne cessa jamais d'expérimenter. Avant même d'avoir terminé sa Salammbo, il l'appelait « cette vieille tocade » une vieille charade en vêtements de fantaisie. Laforgue devait parodier cette phrase de Flaubert en un sublime divertissement, un jeu, au meilleur sens du terme, des mots et des images. Copyright: L'Herne éd. 1. Editions de ' L'Heme, 27, rue de Bourgogne, Paris 7. 2. Editions Christian Bourgois. 3. Poète anglais, contemporain de Pound, auteur de · Redimiculum Motellarum, 1930, et de Poèmes, 1951.


MORT DU

ESSAIS

ROMAN?

Sur les pas de Céline Il est une Idée fausse qui semble profondément enracinée et selon laquelle les trois mols de la rentrée sont consacrés par les éditeurs à la publication d'Innombrables romans qui ne sont pas destinés, dans leur ensemble, à être tous vendus, mals qui représentent autant de cartes dans le grand Jeu des Prix littéraires. Il est admis que les ouvrages qui trouveront acquéreurs seront ceux dont parleront les jurys, en attendant la grande ruée sur les quelques lauréats. En fait, la situation des romans de rentrée dément. au moins cette année, l'opinion commune : au moment où les jurés commençaient à peine à échanger leurs opinions, un certain nombre d'œuvres avalent déjà ' connu un succès de librairie qui justifiait des réimpressions. Certes, on peut alléguer que Catherine Paysan, dont Les feux de la Chandeleur a atteint le 20' mille en deux semaines (la deuxième édition a paru presque simultanément avec la première) a bénéficié d'une prépublication dans un grand magazine féminin, et a conquis en outre un public fidèle au cours des années ce qui explique qu'elle ait pu se passer de l'appui des critiques. Mals la preuve est faite qu'un roman soutenu par une presse favorable, comme La dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil de J. Japrlsot, peut réaliser la même performance (deuxième édition, vingtième mille) .

Dominique de Roux La mort de L.F. Céline Christian Bourgois, éd. 218 p. Pour Dominique de Roux, Céline n'est pas seulement un prétexte. Il l'aime, il l'admire, et il l'a prouvé: par les deux cahiers spéciaux de l'Herne où, grâce à de nombreux témoignages et études, rien de ce que fut l'homme et l'écrivain ne semble avoir été laissé dans l'ombre. Il serait même porté à faire de Céline un vivant et un mort

librement la biographie, ne souffre pas de demi-mesures. S'il lui trouve des excuses pour son antisémitisme, pour la faiblesse de certaines œuvres qui manquent de souffle et d'inspiration comme l'Ecole des cadavres, il s'interdit de parler en critique et il ne se croit pas appelé à séparer le bon grain de l'ivraie. Les amoureux, on le sait, prennent l'objet aimé en bloc et ils ont raison d'agir ainsi: celui qui détaille les beautés de sa belle est tout près de la quitter, ou de l'aimer moins. Cette admiration, cet amour sont

Le s.ull Aux éditions du Seuil, c'est Le Prince de Casamayor qui en est à son troisième tirage (15.000 exemplaires) - grâce à la double Influence de la critique et de l'événement.

Albin Mlohe1 Chez Albin Michel, Le Chinois d'Afrique de Robert Sabatier a connu un nouveau tirage de 5.000 exemplaires après un départ de 12.000; réimpression aussi d'Une femme d'aujourd'hui de Jacques Brenner avec des tirages, I! est vrai, plus modestes (7.000 exemplalres), succès que l'on attribue à la presse féminine; et résultats Identiques pour Raymond Jean (Le Village) qui a bénéficié de l'appui des journaux de gauche.

Trois réimpressions 'sont déjà acquises chez Gallimard : Une Journée Inutile de Janine Brégeon, grâce à un accueil exceptionnellement favorable de la critique; L'avalée des avalés du Canadien Réjean Ducharme, qui fait figure de révélation; · et Fascination de Florence Asie.

Chez Julliard, on a réimprimé trois titres, Le jardin noir de Christine Arnothy, Les compagnons de la ForêtNoire de Michel Droit, parus en septembre et ce qui parait plus étonnant - Le diable dans la peau de Paulette Houdyer, publié en octobre; il est vrai qu'il s'agit d'une nouvelle version du crime des sœurs Papin qui a déjà Inspiré Les Bonnes de Genet et le film ,Les Abysses.

Plo...

az......

Enfin, aux éditions Plon, Le Gueuse de J.-P. Chabrol en est à son 35" mille (trOisième édition). A rapprocher; chez Grasset, le succès d'un ouvrage qui n'est pas, à proprement parler, romanesque, mals qui touche de très près au roman, par l'auteur et par le héros; Il s'agit de Nos vingt ans de Clara Malraux. suite de l'autobiographie IntituJée Le bruit de nos pas, qui relate ses débuts dans la vie, sux côtés d'André Malraux [troisième édi. tion. seizième mille).

Dominique de Roux

exemplaires, le troisième persoünage d'une trinité dont les deux premiers se nomment Antonin Artaud, Ezra Pound, ces autres «fous» de génie pour qûi la littérature, l'exercice de la poésie se confondaient avec une existence brûlée par tous, les bouts. Dominique de Roux prend bruyamment parti pour une littérature « engagée li. On voit de quelle littérature il s'agit, et de quel « engagement li. L'admiration pour Céline, dont il recompose avec passion et fort

parfaitement recevables. tétine Iut un géant, même parmi des conle"lporains qui n'étaient pas des nains - Dominique de Roux a tend .... ce à l'oublier - et son influence sur notre littérature d'après-guerre passe sans doute celle des prestipieux étrangers de meilleur ton, Joyr'c ou Kafka. Lui rendre justice, montrer son originalité et sa grandeu t. retracer sa vie misérable partagée entre l'exercice de la médecine à son niveau le plus humble et vouée littérairement à une œuvre de dé-

nonciation et de poesie, parler de « sacrifice », ce n'est pas vouloir le « réhabiliter », c'est tout simplement dire la vérité. Dans ce contexte, les fautes de l'homme demeurent cependant inexcusables et notre jeune paladin perd son temps à vouloir les justifier: considérées de face, reconnues, elles auraient figuré cette zone d'ombre qui donne du relief aux portraits les mieux éclairés, elles auraient ajouté à celui qu'il trace cette profondeur et ce mystère que Céline portait avec lui et que les meilleurs exégètes ont échoué à percer. Il est vrai que, pour l'auteur du Voyage, le temps des jugements sereins n'est pas encore venu. En exaltant Céline, Dominique de Roux poursuit un autre dessein, visible dès les premières lignes de son ouvrage: abaisser tout ce qui s'est fait en littérature du vivant de son modèle et après lui, jouer les Hercule dans l'écurie d'Augias. Dans le sillage de Céline, sur la trace de ses pas, s'essayant à emprunter son verbe, un pamphlétaire se révèle qui entend mener une guerre sans quartier contre la « décaùente NRF », les « bouzins de Tel Quel », l'intrusion de la philosophie dans le roman, la critique qui se dit plaisamment «créatrice», les gloires académiques ou académisables, les conformistes du nonconformisme, les arpenteurs géomètres du Nouveau Roman, etc. et qui dédaigne si peu les attaques ad hominem qu'on se demande quelle mouche l'a soudain piqué, ou quelle exigence le meut. En dépit du plaisir un peu pervers qu'on prend à ce jeu de, massacre, il faudrait créditer l'auteur d'un amour peu commun pour l'acte d'écrire, d'une sévérité envers lui-même qui égalerait celle de ses modèles, pour que ses atta-' ques revêtent la gravité qu'il leur voudrait. Dominique de Roux brûIe-t-il de cet amour ? Fait-il preuve envers lui-même de cette exigence? C'est ce que l'avenir nous apprendra. Le voici en tout cas engagé dans une voie où on le lui pardonnerait aucun retour en arrière. Nous n'avons, déjà, que trop de pamphlétaires se muant en cabots de salon, d'hygiénistes amoureux de leur propre vermine, de « durs » qui se révèlent à l'usage des, «demisels». La République des ' lettres leur a concédé une cage dorée dont elle leur permet de sortir de temps à autre pour se conserver elle-même en santé. Il serait pitoyable qu'un sincère admirateur de Céline aille les y rejoindre. Faut-il jouer à notre tour les censeurs ? Rien ne nous y autorise et, plutôt que d'augurer de l'avenir, bomons-nous à recommander la lecture de ce livre d'une franchise agressive, bien fait même s'il révèle dans l'écriture une pointe de pédantisme «culturel li, injuste parfois mais pour le bon motif, et animé de cette sainte colère qu'on dit l'envers de l'amour, son complément naturel. Maurice Nadeat


ÉRUDITION

Beauté des Roger Caillois Pierres Gallimard éd. 126 p. Une patience avide d'émerveillements: de très anciens Chinois et, qui en douterait? fort sages, ou Pline, ou Strabon, rassemblaient dans la mémoire des livres ces pierres dispersées dans le temps et dans l'espace. Roger Caillois recueille ensemble l'amour des poètes, la caution des historiens, la méditation des philosophes: dès 1560, un amateur de prodiges - il aurait pu être blasé - , écrivait ces lignes assez enthousiastes que je voudrais prémonitoires : « Il ne se trouve aucune chose plus admirable en nature, ni plus digne de contemplation philosophique, que l'excellence et propriété des pierres précieuses. Lesquelles depuis qu'elles sont tirées des entrailles et matrices de leur mère nourrice la terre, elles ravissent nos sens, et éblouissent nostre vue de telle sorte, qu'il semble que ce soit · quelque charme ou nouveau spectacle que nature env oye ·à nos yeulx.» L'admiration naïve de Boiastuau n'est pas,. on s'en . doute,

Agate

celle de Roger Caillois. Les vertus et les histoires fabuleuses qu'il nous rapporte dans la première partie de Pierres, il les groupe intentionnellement sous le titre de Mythologie, et comment ne pas penser qu'elles ont été retenues pour leur valeur exemplaire ? Du fabuleux, parfois, peut naître la fable ! C'est à Volsinies qu'on trouve les ' meules: quelques-unes passent pour se mouvoir d'elles-mêmes. Nous ne sommes pas loin d'Ailleurs... Mais il est plus juste de feindre d'ignorer Michaux. Ce rêve en puissance demeure nu sur la page, comme une pierre qui n'a besoin que de soi pour briller : La pierre obsidienne est noire, transparente et mate. On en fait des miroirs. Ils reflètent l'ombre plutôt que l'image des êtres et des choses. Dans cette ombre, on allait assister peut-être à la naissance du poème: mais telle l'eau dans l'agate, il reste prisonnier. Ces fragiles mystères des roches, nous en approcherons sans les dévoiler. Lapidaire amoureux, Roger Caillois protège ce qu'il exalte. La beauté ne peut être habillée que par le rêve ..• Toute la seconde partie du livre,

• pierres

Physique, est consacrée à la desLe 18 janvier 1815, ,s ur l'orore cription des pierres ou des cristaux de Louis XVIII, on exhuma le les plus remarquables que Caillois corps de Marie-Antoinette. Chateaupossède ou qu'il a pu connaître, et briand rapporte qu'au milieu « des il s'agit à la fois d'une description ossements, (il) reconnut la tête de et d'une exploration, d'un voyage la reine, par le sourire que cette à l'intérieur des formes les plus tête (lui) avait adressé à Versailétranges, et dont l'architecture, les les ». jeux somptueux et secrets soudain On sait qu'en 1787, présenté au nous apparaissent éclairés et leurs roi, il avait vu passer la reine. couleurs bougeant devant nous, «entourée d'un radieux et nom· éclatantes ou douces, avec leurs breux cortège », souriante, et paruptures et leurs transparences. De raissant {( enchantée de la vie». Il ce fabuleux désordre de formes et aurait donc retrouvé ce sourire sur de lumière, j'admire qu'une célé- 1 son cadavre, qu'il sut ainsi identibration passionnée sache nous dire fier, quand au début de la Restau· les lois morales. ration il fut {( chargé, dit-il, de Car il s'agit d'une éthique. et démêler les ossements parmi les qui nous est familière. Ce qui sauve ossements ». la création pure - née d~ l'inlasOn peut lire les procès-verbaux sable apaisement des siècles et de de cette exhumation dans une brol'usure, ce long acquiescement, ou chure publiée en 1815, chez Mme du combat pétrifié de forces alors .vve Lepetit, Libraire, rue Pavéeirrépressibles - , n'est-ce pas le don Saint-André-des-Arts, et intitulée d'émouvoir que porte en soi la La France en deuil, ou le vingt-un beauté dès lors qu'elle témoigne Janvier. L'année précédente, le 22 d'une victoire si fabuleuse, et si mai, le chancelier Dambray avait fragile qu'on ne saurait rien lui entendu cinq témoins. Un ancien ajouter? Nous retrouvons les styles avocat, un juge de paix, un grefennemis de l'usure et de la rupture, fier, un ancien vicaire de la Madela méditation et l'éclat, le travail leine, un officier, avaient attesté de lime et l'éclairage de la foudre, que les corps de Louis XVI et de la tendresse et la violence, la conMarie-Antoinette avaient été entervulsion et la sérénité: Les plus rés « dans des bières découvertes, abstraites déductions du calcul n'en chargées de chaux et de terre », au sont qu'un vaste écho par quoi l'in- cimetière de la rue d'Anjou. Le . telligence de l'homme répercute terrain avait été acquis par un cerimmensément une . première discitain Descloseaux, planté de saules pline. Lois peut-être informulées, et et de cyprès, et entouré d'une charqui gouverneraient l'inerte et l'ormille. Le vicaire de la Madeleine, ganique, et nous gouverneraient qui avait participé jadis aux obsènous-mêmes dans notre recherche ques du roi décapité, l'avait vu au de l'équilibre cn dépit de la blesfond de la fosse, « à découvert dans sure d'être. .. Méditation ou créala bière », avant qu'on répandît un tion, est-il de plus sûrs modèles de lit de chaux vive, « vêtu d'un gilet la beauté profonde que les formes de piqué blanc, d'une culotte de émergées des grandes acrimonies ? soie grise et les bas pareils». Un Et ceci encore qui est si vrai : notre autre témoin précisait que sa tête besoin de références, l'impérieux avait été «placée entre ses jambes». désir de signes retrouvés et déchifLe 18 janvier 1815, le chancefrés le mariage des formes et lier Dambray, Blacas. ministre df' de nos fables, comme une fatalité la Maison du Roi, le bailli de Crusde l'espèce! Ce beau livre rend périlleux un sol, l'évêque de Nancy et un chicommentaire qui risque de n'attein- rurgien, se rendirent donc dans dre jamais qu'à la paraphrase. II l'ancien cimetière de la Madeleine. faudrait être cle\<ant ces pages 48, rue d'Anjou-Saint-Honoré, de· comme le Chinois contemplateur venu le jardin de M. Descloseaux. devant sa pierre mervcilleuse, et se On note dans le procès-verbal que retirer du bruit et de l'agitation ce dernier, et plusieurs personnes pour que notre émerveillement de sa famille, étaient présents. Des porte ses fruits; voyager dans le ouvriers creusèrent le sol, et sous livre comme le sage voyageait dans un· lit de chaux, au milieu de débris la petite pierre, de caverne en ca- de planches, on découvrit des osseverne vers la sérénité. A cette ments, une tête, quelques lambeaux lumière, c'est encore notre ombre de vêtements, et « deux jarretières sur le mur que nous découvrons. élastiques assez bien conservées »" Lumière plus vive si nous relisons On ne douta pas avoir trouvé ce Images Images J • à défaut de pos- qui subsistait du corps de la reine. séder l'un de ces jardins de médi- On creusa un peu plus loin_ mai~ tation japonais (quelques pierres et la nuit tombait, et la suite des re· du sable), ou quelques cristaux cherches fut renvoyée au lended'une inimaginable géométrie où le main. Un troisième procès-verbal. fracas prodigieux de la création daté du 19 janvier, relate la décous'est enfermé dans le silence des verte des restes de Louis XVI: formes. La beauté des mots n'a pas quelques os, et une tête cc placée trahi celle des pierres, elle nous la au milieu des deux os des jambes ». Les mêmes témoins signèrent, mais fait mieux aimer. étaient là, en outre, le marquis dl' Claude Michel Cluny Dreux-Brezé, le vicaire-général Je l'Eglise de Paris, et le duc de 1. Images Images vient d'être édité chez J. Corti; (cf «La Quinzaine littéraire », Duras. premier gentilhomme de la Chambre, et ami de Chateaubriand. N° 10).

La Quinzaine littéraire, du 1"' au 15 novembre 1966.

Chateaubriand et Marie-Antoineite

Vermiller: Marie-Antoinette.

Un quatrième procès-verbal daté du 20 janvier constate comment les ossements furent placés dans des cercueils de plomb. Les mêmes témoins sont encore nommés, et ont signé~ On ne voit nulle part le nom de Chateaubriand. On pouvait se demander comment il avait discerné un sourire, sur un crâne qui baignait dans la chaux depuis vingt ans. Ces procès-verbaux très miD.utieux et détaillés, où mention est faite de tous les assistants, permettent de supposer que Chateaubriand n'était pas du nombre. Le duc ou la duchesse de Duras lui auront sans doute ' raconté la scène, et il a imaginé cette touchante mais peu vraisemblable anecdote d'un sourire sur· un crâne. Avait-on omis de lui signaler que le corps avait été rongé par la chaux ? On lui aurait épargné ce petit mensonge, que personne ne semble avoir relevé, même pas M. Henri Guillemin, grand collectionneur en ce domaine, voire inventeur. José Cabanis

Deveria: Chateaubriarnl.

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L'ART EN FORMAT DE POCHE

L'hUtolre

~e

ART

l'art

Livre de poche Illustré, Hachette 6 F. Au catalogue : Elle Faure, Histoire ~~ l'Art (5 . volumes) et l'Esprit des fOrmes (2 volumes) ; John Rewald Histoire de l'Impressionnisme (2 volu: mes) ; Herbert Read, Histoire de la ,peinture moderne ; Henri Focillon 'l'Art d'Occident (2 volumes) ; Eugèn~ r entln, les Maitres d'autrefois (le ul ouvrage de cette série dont la '~nte ait été décevante, ce qui donne .1) penser que Fromentin n'est plus à la mode) ; Jean Laude, les Arts de l'Afrl. que noire ; Publié après le festival de Dakar et lors de l'exposition d'Art nè. gre à Paris, ce livre a connu un vif succès. En octobre paraissait, dans cette collection l'Art et son histoire de Gombrlch, en deux volumes. En novembre ce sera le tour de la Civilisation de la Renaissance en Italie, trois volumes de Jacob Burckhardt. Sont en préparation, dans la même collection (Le livre de Poche Illustré), l'Art au siècle de Louis XIV par Bernard Teyssèdre et les Peintres espagnols (de la période romane à Goya) par Paul Gulnard. TIrage de départ 40 000 exemplaires. Idées-Arts, Gallimard, 7 F. Au catalogue : André Malraux, les Volx du silence, le Musée Imaginaire ; Paul Valéry, Degas danse, dessin; Pierre Francastel, Peinture et société ; Heinrich Wôlfflln, Principes fondamentaux de l'Histoire de l'art ; Peter C. Swann, la Peinturé chInoise ; Anthony Blunt, la Théorie des arts en Italie de 1450 à 1600 ; Paul Michel, la Fresque romane. A paraitre, un Paul Claudel, Intro. ductlon à la peinture hollandaise et un Max-Pol Fouchet, l'Art amoureux des Indes. Ces deux collections cherchent à présenter des textes fondamentaux de l'histoire de l'art.

2

Nouvielle. oolleetio. . Miroirs de l'Art, Hermann, 6 F présente aux érudits et aux étudiants des textes Injustement méconnus ou oubliés: textes de Léonard de Vinci ou de GUillaume Apollinaire, voire de Stendhal ou de Hegel, ayant tous trait à l'art, dix-sept titres parus. Le grand art en édition de poche, Flammarion-Unesco, 3,75 F. Seize volumes publiés, à raison de quatre par an, de 1962 à 1965. La série Interrompue par suite du désistement de l'Unesco, a été reprise par la collection 10/18. Flammarion a lancé en 1965 une nouvelle série, Images et Idées : deux titres parus seulement (R. Huyghe, les Puissances de l'Image ; et Maurice Barrès,Greco ou le secret de Tolède). Quatre sont à paraître. Maraboutscope et Marabout Unlver· slté, 5 F et 2,95 F. Trésors de l'art des Indes, de l'art gothique, de la pré· histoire, de la Renaissance. La deuxième collection, comprend parmi ses titres, une histoire mondiale de la peinture en six volumes et une série sur les Maîtres de la peinture.

Mu.6e de poche Chez Laffont. le livre musée; 9,30 F est une histoire de la peinture occidentale en douze volumes. Co-production sur une grande échelle, d'origine hollandaise avec la collaboration de dix pays. 20000 exemplaires 244 pages, 64 reproductions en couleurs, 112 en noir. Déjà parus: la Peinture grecque, la Peinture étrusque et romaine, la Peinture romane, les Manuscrits à peinture, la Peinture de la Renaissance, la Peinture du XVII', du XVIII', du XIX', du XX' (épuisé). L'essentiel est ici l'illustration : Le texte se limite à une courte Introduction. Histoire de l'art, chez Payot, 6,20 F. découpée en vingt volumes, une vaste étude parue en Allemagne sous la signature de professeurs d'Histoire de l'Art. Tirage 20000 exemplaires.

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L'enfer (détail : Satana~)

Wilhelm Fraenger Le Royaume millénaire de 1érôme Bosch Traduit de l'allemand par Roger Lewinter Dossiers des Lettres Nouvelles Denoël, éd. 272 p. Nombreux hors-texte. Tenter d'expliquer Bosch en parlant de cette vision, surréaliste avant la lettre, qu'il aurait eue du monde, c'est noyer le poisson ou, plutôt, les animaux et les monstres du Royaume Millénaire dans un pathos qui ne dit rien. C'est ainsi que de Max J. Friedlander à Charles de Toyay en passant par Ludwig Von Baldass et beaucoup d'autres, les ' « critiques d'art» sont parvenus à cette conclusion que le peintre du fameux triptyque n'était qu'un « faizeur de diables ». D'autre part, gloser sur la seule valeur esthétique de cette œuvre est également hors de propos. Quelque chose nous dit en effet que L'art n'a pas été le seul but recherché par l'artiste. Une signification se cache derrière ces rébus, une vérité se dissimule derrière ces symboles. L'attitude de Wilhelm Fraenger diffère de toutes les précédentes en ce que, sachant s'effacer totalement devant les tableaux du peintre en l'occurrence et presque exclusivement le Royaume Millénaire -

il ne s'est pas laissé distraire par sa beauté. C'est ainsi que spiritualiste ou, si l'on préfère, exclusivement intellectuelle, se présentant sous l'allure d'une véritable dialectique historique de l'œuvre de Bosch, l'interprétation de Fraenger ne devient, en fin de compte, l'œuvre d'un critique d'art qu'à force de perfection. Dans Le Royaume Millénaire, Fraenger voit .l'expression de toute une sagesse existentielle. Comment parvient-il à cette conclusion ? D'abord tout se passe comme si non seulement il remettait en cause la façon de voir des spectateurs de Bosch, mais comme s'il critiquait leur attitude face aux toiles du peintre. Il semble en effet, qu'entraînés par leur lubricité, ceux-ci aient généralement commis de graves non-sens: si on ne sait pas la regarder, l'œuvre de Bosch peut être facilement tirée du côté d'un érotisme de pacotille et ses exégètes n'étaient pas fâchés que les mobiles qui ont présidé à son élaboration restassent obscurs. Ce flou venait les confirmer dans leur délicieux et sirupeux malaise. Tout contribuait, il est vrai, à laisser dériver les amateurs de Bosch dans leur douteuse satisfaction. On ne savait rien, ou presque, de l'homIlle: ni quand il est né ni qui furent ses maîtres. Après avoir constaté que Le

Royaume était un triptyque et par conséquent une œuvre religieuse, à travers une minuti~use accumula· tion de petits faits et de recoupe ments multiples, Fraenger .parvien à ~émontrer que Bosch était w adepte de la secte dite du Libre Esprit. Au moyen d'une démonstra tion convaincante Fraenger now persuade que c'est, commandité pal le Grand Maître de la secte Ada· mite Jacob von Almaengien, quE Bosch a peint son Royaume, lE toile la plus importante de SOI: œuvre. Pour l'essentiel, le livre dE Fraenger se réduit à une minutieuse confrontation c;le la toile de Bosch et de la théologie Adamite. L'un des points les plus importants de celle-ci concerne la vie sexuelle d'Adam, d'Eve et de leurs descendants. Alors que, pour le dogme chrétien, Adam et Eve furent chassés du Paradis avant d'y avoir procréé, dans sa partie centrale le tableau de Bosch représente, lui, un paradis peuplé d'une multitude d'êtres nus que l'on dirait impliqués dans une bacchanale aux rites compliqués. En réalité, le triptyque tout entier est la représentation ésotérique de la manière, pour les Libres-Spirites, d'atteindre à la sagesse existentielle. Pour un Libre-Spirite, en effet, loin de précipiter les êtres qui s'y adonnent da~ la chute, le contact de chair, pour peu qu'il s'aecam-


&BCBITECTURE

JérÔlne Bosch décrypté joseph Richard L'aventure moderne de l'art sacré Spès, éd. Tout ' bilan ouvre sur l'action. C'est dans cette perspective que Joseph Richard, le créateur du Salon et de la revue Art Sacré a entrepris de recenser l'apport des arts contem-. porains à l'art sacré depuis la dernière décade du XIX· siècle où les peintres le redécouvrirent. Une place de choix est attribuée à l'architecture dont le répertoire très complet couvre la France et les pays étrangers et constitue un ouvrage de référence : on déplore seulement la subjectivité des descriptions et l'absence d'une vraie critique architecturale. Mais, soyons juste, le livre est rythmé par l'histoire des idées relatives à l'art sacré, non par des critères d'ordre plastique. Il s'achève sur une idée juste et une perspective stimulante : les structures urbaines et la position de l'église dans notre société ayant changé" il faut penser à neuf « l'équipement religieux des villes nouvelles». Pour cela, l'auteur propose le ~on­ cept de maison du sacré. Pourquoi non?

Jean Duquesne V i~re à SlJrcell~ ? Ed. Cujas L'enfer (détail: le Monstre, l'Enfer des moines)

plisse dans certaines conditions, son unité. Pour un Adamite l'acte avec, surtout, l'innocence néces- sexuel est une prière. Si Dieu sousaire, peut être, au contraire, à haite véritablement l'union d'Adam l'origine d'une lévitation qui les , et d'Eve, ce dont nous ne saurions associe à la lumière divine. Pour douter puisqu'elle est à l'origine de les Adamites le Paradis et l'amour la race humaine, comment peut-on, sont indissociables, le Paradis est dans cet accouplement, déceler la faute originelle? Les Libres-Spirites l'amour. Ceci nous aide à mesurer la qui ont fait de l'amour la pierre gravité de l'attitude adoptée par d'achoppement de tout leur dogmet l'Eglise et des distorsions qu'elle a sont sortis de cette apparente imfait subir au message divin. A la passe en transcendant la vie sexuellumière des conceptions adamites le au point d'en faire la source de en matière de vie amoureuse et la spiritualité la plus haute. Pour sexuelle, il apparaît que la doctrine eux le plaisir sexuel amène à Dieu chrétienne propose aux hommes un qu'il fait comprendre. Il serait trop long de reprendre univers impossible et que la notion du péché, clef de voûte de toute ici tous les symboles cachés derla religion chrétienne, contribue à rière les êtres et les monstres, les précipiter ces hommes dans l'enfer. instruments et les alambics du On comprendra, dès lors, que l'en- Royaume Millénaire. Fraenger, qui fer de Bosch soit habité par des s'est livré à un véritable décryptage ecclésiastiques et des nonnes dont de l'œuvre de Bosch, a retrouvé la signüication de tous ses rébus et 't l'obstination» à demeurer dans le mal fait le malheur. Son trip- a justüié leur présence dans ce tyque a pour but essentiel de mon- chef-d'œuvre métaphysique qu'est trer l'état d'innocence de l'homme. Le Royaume Millénaire. Disons Même plongé dans la chair et les seulement qu'il ressort de l'analyse désirs, explique Fraenger, les Frères que les maîtres de la cosmogonie et les Sœurs du Libre-Esprit étaient adamite ont puisé dans le bric-àélevés par le Saint-Esprit à un tel hrac des symboles tant de l'Antiniveau spirituel qu'ils demeuraient quité que de la Bible. incapables de pécher. Très habilement, Fraenger ratL'univers adamite s'organise à la tache l'ensemble de son étude à perfection. Objet d'opprohre dans la notre vie d'aujourd'hui. Pour lui, théologie chrétienne,. la femme est la théorie adamite est la première ici re'habilitée. L'homme est rédimé tentative cohérente de reconquête par elle et, grâce à elle, retrouve de son équilibre entreprise par

La Quinzaine littéraire,

du 1"' au 15 novelnbre 1966.

l'homme avant ... la psychanalyse. D'autre part, de Joachim de Fiorf dont ' tout 'porte à croire qu'il fut l'un des plus grands théoriciens du Libre-Spiritisme à Novalis, Fraenger a tenu à relever les noms des philosophes et des poètes qui par leurs œuvres se sont , le plus rapprochés de ces conceptions. 'Une pensée de Novalis en particulier vient donner au grand thème LibreSpirite un accent d'une force et d'une poésie surprenantes: La religion chrétienne est la véritable religion de,la volupté. Pour la divinité et son amour, le péché est le plus grand des attraits. Plus on se sent pécher, plus on se sent chrétien. Le but du péché comme de l'amour est l'union· inconditionnelle avec la divinité. Les dithyrambes sont un produit authentiquement chrétien. Pour l'homme réellement pieux, rien n'est péché. Outre que le livre de Fraenger est une véritable aventure qui, ,à travers ce qui fut considéré comme une hérésie, conduit à la source du c'f?ristianisme à la , fois le plus pur et le plus humain, il nOJls coiûirme que Bosch est un ' peintre de génie en montrant qu'il fut un véritable maître à penser. Cet ouvrage qui a fait date dans tous les pays où il a été publié, il était urgent qu'il trouvât un éditeur en France. C'est désormais chose faite. Jérôme Peignot

Vivre à Sarcelles, c'est ce que fait Jean Duquesne depuis sept ans. Il nous livre son expérience dans un ouvrage vivant, rempli de faits et de chiffres. Les tares urbaines du célèbre « grand ensemble » sont analysées avec rigueur, mais aussitôt situées dans leur contexte économique et politique : Sarce~les n"est qu'un cas particulier, qui --- avec d'autres illustre un moment d'urbanisation en France et démontre, a contrario, la nécessité d'intégrer toute opération de ce genre dans des schémas globaux (communal, régional, national) d'aménagement. Ces thèmes, bien' développés, ont pour contrepoint le portrait social de la communauté sarcelloise qui réunit une surprenante diversité d'origines géographiques et ethni· ques. Parmi les comportements des Sarcellois on retiendra tout d'abord l' « ouverture partielle des barrières sociales » que provoque la réduc- , tion au même dénominateur architectural. Surtout, on ' notera l'extraordinaire prolüération des associa- . tions' et des clubs, en particulier dans le domaine de la culture. Certaines des propositions de J. Duquesne, relatives à la gestion des logements appellent l'attention, mê· me si l'on pense que les grands ensembles sont appelés à disparaître. Françoise Choay 17


~--------------------------~:POÉTIQUE

Gary - Laspam (Isabel d'Etchessary)

BIENHEUREUX CEUX QUI DORMENT Un roman du subconscient sur lequel se greffe une aventure policière ...cdtés rêves ... cdtés meurtres... cdté sorcière ... un tiercé du rêve du réel de l'impossible ... Il est doux de dormir et plus encore d'être de pierre !

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Jacques Garelli La gravitation poétique Mercure de France éd. 222 p.

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• • Le nouvel Hamlet devant la femme de pierre • • • Nouvelles Editions Debresse • • ' - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -.... • •

Les exercices de Garelli sont ceux-là mêmes que ne tolère à aucun prix l'enseignement de la littérature aujourd'hui en France et que les professeurs sanctionnent du pire sous-chef d'accusation majeure de « jargon philosophique en dissertation française » : c'est dire si le livre de Garelli est important et mérite d'être lu. La littérature étant une chose trop sérieuse pour être abandonnée aux agrégés des lettres, on appréciera que de très nombreuses pages de la Gravitation poétique consis. de textes PHItent en exp l',catwns LOSOPHIQEMENT rapprochés, situés, fouillés, déchiffrés, fondés. Garelli se joue à fond: pas d'allusions; il paie comptant: il propose une LECTURE de Beckett. de Ponge, de Genet, de Baudelaire, de Rimbaud, etc. L'aspect polémique n'est pas ici le plus négligeable: il s'agit vraiment d'arracher les textes au tastevinage de l'enseignement, à cette esthétique vague, tenace comme une moisissure, de l'appréciation psychologique de la ressemblance, en un mot au réalisme. Ce n'est qu'après plusieurs tentatives

que' de l'être-au-monde en termes de transcendance et de temporalité, c'est-à-dire de liberté, que l'auteur se tourne ; autrement dit c'est à la pensée de Heidegger et au dernier Merleau-Ponty qu'il demandera de lui fournir les termes qui permettent de circonscrire le site de la parole poétique, après réfutation (un peu expéditive) de quelques positivismes, dont celui. du premier Wittgenstein accusé de naïveté philosophique. Une série d'analyses montrent alors comment la présen. ce et l'appréhension du néant ont rendu, et rendent, possible l'acte de naissance du dire poétique moderne - à la manière dont déjà pour Mallarmé « le surgissement du dire poétique loin de redoubler la réalité, cherche à combler de ses images un néant initial qui se creuse en trou béant ». (Mais déjà la figure d'une telle paternité du néant ne nous était-elle pas proposée au début de la Divine Comédie, quand Dante inventait comme première créature poétique le Dante protagoniste du voyage aux Enfers, celui qui reprenait connaissanee dans la nuit du cœur où il avait sombré avec tout le monde qui était sien, quand seule affleurait la passion de· la terreur ?) La deuxième section du livre cherche à retracer « la genèse et la structure du dire poétique li. Elle impute à Baudelaire la découverte du caractère non-logique de la pensée poétique proprement moderne. L'analyse du Confiteor de l''Artiste montre que Baudelaire, comme Cézanne, découvre à l'origine de sa création cette vision pré-réfléchie par laquelle le monde se pense à travers l'œuvre qui n'est autre que la vie sourde de l'intentiQnnalité opérante.

• • • • • • • • • • • • • • • • • • '. • • • • • • • • • • • • • • • •• dl' ce genre que nous commence• rons peut-être à dépicardiser l'en• seignement, c'est-à-dire à rendre sérieuse la lecture de la littérature. On verra que Garelli ne se contente ° pas de ces audaces qui s'autorisent, r~e'l fi - -. • non sans excuses, à appliquer aux • œuvres le traiteIQ,ent philosophique, • en l'occurrence une conceptualisa• tion kantienne, husserlienne, sar• trienne, heideggerienne: son véri• table coup d'état consiste (à ses D'une manière qui, quoique sans • risques et périls, c'est possible) à • ajointer, à symphyser poétique et ressemblance, n'est pas sans parenté critique de la connaissance, à iden- , avec l'interprétation que Kostas : tifier même, au centre, la clé de Axelos proposait de Rimbaud, Gavoûte de la Raison Pure et la relli suggère que la poésie, là comme toujours, précède le moment source de l'écriture surréaliste. • La première partie du livre s'em- de l'explicitation philosophique, en : ploie à quérir le statut philosophi- l'occurrence que peu de décennies traducUon MARDRUS non expurgée • que du dire poétique en surmon- avant la philosophie de l'être-aumonde Rimbaud célèbre le mystère A cOté de la Bible et des poèmes homériques, la troisième • tant, en écartant les malentendus du dévoilement de l'Etre. « Le grande œuvre collective de l 'humanité a sa place marquée • les plus tenaces, en particulier celui

Toute la' srnlendeur voluptueuse:• r • de l ,0 )J;)t

LE LIVRE DES

.1 NUIT : MILLE NUITS ET UNE

d l' e expressionnisme: il n'y a pas une réalité présente mais muette que le langage devrait « traduire ». Pl 1 us oin, l'interprétation de la Lettre du v t t d l'ill . oyan e e umlnation « Génie », qui montre en profond eur 1a f'l' t' d e Baudl' 1 la Ion e aire à Rimbaud, sera pour Garelli l'occasion de disqualifier avec force la pérenne niaiserie de la criti'que traditionnelle: (c Vouloir dégrader l BON e poème en objet de culture, c'està d;re . 'f',cati' on onti' que pre, -. en s'gn, cise, sorte de proclamation louique o· ~ transmissible par compte rendu de : prose morale ou psychologique, est • une entreprise révoltante! Seule la g-;;;;';I- - - -;- - - - - - - - - - -,. connaissance de son origine ontolo1. '"volume • • ."LLE NUITS ET UNE Nom .............................. Profession ...... ........................ • gique, c'est-à-dire de son ouverture :'...d~':ôI:;j,.~·7~1~~~ ;~~ ~~~,.;,~~.:-: Adresse ............................. ........ .. ...... ... .. .... .. ............... sur tous les sens, peut révéler la orlll'ne, 1_ ••,..,.1 110 F, l1li .ou.er;. • ~~,~!...:: ':;;::;'"cr..,-:'~~"1 No C.C.P. ou bancaire ................. .. .. ... ........ .. ....... ........ démesure de son irréductible préI l P1rutlon.u ""me prix rfdull. sence.» 1loulerlpllon d_ 110 F. Signature '. C'est du côté d'une problématidans toutes les bibliothèques . Sindbad, Aladin, Ali Baba, • ont enchanté notre enfance. Mais la splendeur poétique, la gaieté truculente et l'érotisme naïf de ces contes mer- • veilleux, n'ont été révélés que par la traduction non édul- • corée du Dr Mardrus. En voici enfin le texte intégral dans la grande édilion que • nous "attendions : 8 volumes 16 x 21. sur vergé pur fil , illustré. de 100 compositions décoratives en six couleurs, somptueuse reliure pleine peau rouge, trancnes dorées, rehaussée • d' or et de couleurs, qui évoquent rubis, émeraudes et • perles r,?s.es. • La librairie PILOTE peut encore, pendant un cours délai, appliquer un prix de souscription extrêmement réduit pour • cet ouvrage de haute bibliophil ie: 880 Fies 8 volumes au • lieu de 1.000F, le prix de chaque tome (110F au lieu de 125 F) n'etant versé qu ' à sa parution, (un tome tous les 2 mois). • Le tirage étant strictement limité à 7.000 exemplaires, • demandez-donc d'urgence à la Librairie PILOTE 22, rue de • Grenelle une documentation grac ieuse ou, mieux, l'envol à découper ou à reco- Immédiat pour examen gratuit, avec droit de retour dans. pier et à adresser à la Librairie les cinq jours, du tome 1 qui vient de paraltre. Vous oe ris- • querez pas, ains i, de laisser échapper une édition que les PILOTE, 22, rue de o Grenelle, bibliophiles vont se disputer et qu i prendra sOrement une • .._ _ _ _·;.P:;:A.:.;R::.:'S:.;.7_ _ - - - très grande valeur. Ii •

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poème fait voir le monde parce qu'il est lui-même un monde qui se fait voir ». La troisième section est la plus ambitieuse, la plus difficile, et peut-être telle qu'elle ne peut pas ne pas échouer. Il s'agit pour Garelli de montrer que l'imagination transcendantale est l'imagination poétique. En philosophe, il rappelle longuement ce moment de l'Analytique kantienne (lui-même relayé par la lecture heideggerienne de Kant) où l'imagination est chargée de la synthèse transcendantale entre le concept et l'intuition. Garelli s'emploie à montrer qu'en cette place centrale, et laissée comme vide par le kantisme, c'est l'imagination poétique qu'il faut situer: réceptivité créatrice, tel est précisément le flux de l'écriture automatique, de sorte que c'est Breton et


CRITIQUES

De Rilllbaud à Beckett Homère sont poésie quoique non « automatique », ou, disons, favorisée par d'« autres automatismes ». On pourrait par là conclure que, du point de vue du philosophe, l'essai échoue d'une certaine manière ; mais un tel échec même est capital, car il est le signe de cette étrange dérobade de la nature du poétique devant la « recherche », aujourd'hui comme toujours; et par là l'échec s'en rapproche d'une manière essentielle. Il y a un abîme, peut-être faut-il le souligner au risque de déplaire, entre cette lutte sur la brèche avec la brèche l'irruption sauvage d'une brèche2 d'où coule l'inépuisable hémorragie des mots truqués, tronqués, auxquels la sagesse humaine cherr:he obstinément à conférer un sens! ») et le travail placide du linguiste sur la structure du langage poétique, pour qui « le sens d'un mot n'est pas affecté selon qu'il rime ou non avec un autre » (Jean Cohen, p. 29), et qui croit pouvoir écrire à propos de la Servante au grand cœur de Baudelaire, qu' « on n'enterre pas généralement les gens sous des pelouses » (p. 93). Mais la discussion avec les thèses affaiblissantes de Cohen est une autre affaire que les pratiquants de l'écriture poétique auront à instruire. Je voulais simplement dire que la richesse des analyses et l'ampleur du projet de Garelli font de la Gravitation poétique un livre à lire. Michel Deguy

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Jacques Garelli

le surréalisme qui accomplissent la promesse. « Le lallgage automatique est créateur parce qu'il est l'expression même de la réceptivité préréfléchie temporelle de l'être au monde verbal )J.

Le rythme poétique apparaît comme l'effort de mise en forme temporelle de l'unité antéprédicati.ve du monde ( ... ) Par le seul effet de son effort à être le poème rythme sa tension vers l'être. Certes, à ce point, l'ambition philosophiquel prend des risques peut-être excessüs, et il appartient aux philosophes, ici provoqués, de jauger rigoureusement la teneur d'une synthèse qui, tendant . à ramasser la pensée moderne, ne dit que fort peu de choses de Husserl, pourtant ici décisü; qui aime affirmer que Sartre a tout bien vu et bien dit quand il y a quelque apparence que l'auteur de l'Imaginaire ait sousestimé l'imagination et la poésie ; qui, enfin et surtout, méritera peutêtre d'être accusée de concordisme

par sa prétention. sans doute encore insuffisamment étayée en discours proprement philosophique, d'identifier la source transcendantale kantienne et cette manifestation empirique qu'est l'écriture automatique... Le débat est ouvert. Sur un autre plan, il sera permis de disputer avec Garelli si c'est bien une « opposition de nature» qui règne entre l'image-poétique (surréaliste par excellence) et la « métaphore », car n'est peut-être en cause ic.i qu'une acception affaiblie de la métaphore, comme à la fin du livre le symbole sera minimisé au profit du vocabulaire de la linguistique moderne, ce qui n'est peut-être pas légitime si l'on recharge à son tour le symbole de tout son signüié. Peut-être sont-ce, en effet, de telles simplüications qui entraînent Garelli à une sorte de -modernisme indüférent à saisir, dans cette même tentative admirablement compréhensive à l'égard de l'ère inaugurée par Baudelaire, par où des siècles de poésie depuis

1. Pour ne rien dire du fait que la termi· nologie se ramasse sur elle-même jusqu'à un sigle d'abréviation N.I.A.S.T.V. (= Noyau intentionnel à articulations sonores de tensions variables) qui sera jugé désa· gréable, bien que Garelli en justifie rem· ploi par le désir d'une désignation purgée de toute réalité ontique. 2. Ce sont les dernières lignes de l'essai; si je souligne brèche c'est parce que, bien sûr, le mot sert de titre au recueil des poèmes de Garelli (Mercure, 1966).

Critique de. oritique.

Les critiques seront aux prises le 15 novembre au sein de l'Institut de Littérature et de Techniques artistiques de Masse que dirige, à Bordeaux, Robert Escarpit. Sur l'initiative de celui-ci et dans le cadre plus vaste des journées SIGMA (Semaine de recherche et d'action cuiturelle) un certain nombre de critiques s'affronteront sur le thème, scabreux entre tous : « La critique et l'opinion littéraire -. Parmi les sujets que les organisa· teurs souhaitent voir débattre, il sem· ble qu'il y ait tout particulièrement celui du « choix -. Comment en effet. les critiques choisissent·ils les livres qu'ils lisent et pourquoi ? Logiquement, le débat de· vrait déboucher sur le rôle effectif que joue la critique dans la formation du goût et sur le marché de la lecture. Ainsi se trouverait posé le problème essentiel : qu'est-ce qui fait le succès d'un livre? Mais, pour la deuxième fois, sera attribué, en dehors de l'intervention des critiques, le prix de la seconde chance. Ce prix dont le montant (un million d'anciens francs) avait été remis l'an dernier à Roger Chateauneu fait l'objet d'une vaste enquête auprès du grand public, dont les résultats sont disséqués par des machines électroni· ques. Les critiques présents n'ont pas, pour une fois, le droit de choisir euxmêmes. Leur mission n'est que de com· menter le verdict populaire. Ont déjà accepté de participer à l'événement: Henri Amouroux, Pierre de Boisdeffre, Robert Escarpit, Max-Pol Fouchet, Robert Kanters, Etienne Lalou, Robert Sa· batier, Marc Saporta, Pierre Henri SI· mon. Anne Villelaur. Autocritique

En voie d'exécution (capitale) la sé· rie de cinq ouvrages à paraître aux éditions Flammarion sous la direction de Bernard Pivot et intitulée le Procès des juges. Cette mini-collection comprendra des dossiers qu'on annonce explosifs, sur la critique littéraire, théâtrale, artistique, cinématographique et sur la presse politique. Dès le mois de février 1967, la première sentence sera prononcée par Pierre Ajame (La critique clnématogra· phique). Suivront celle de Pivot lui· même (critique littéaire) et celle de Marcabru (théâtre) . l'emm88 orltique.

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La Quin.aine Littéraire 13, rue de Nesle, Paris 6" C.C.P. 15.551.53 Paris

La Quinzaine littéraire, du ,., au 15 nOl1embre 1966.

Sous ce titre, un nouveau prix sera décerné cette année, après le Femlna et le Medicis, avant l'Interallié. Son jury est exclusivement formé de jeunes femmes qui occupent des postes dans le journalisme. Marle-Claude de Brun· hoff (La Quinzaine), Michèle · Cotta (L'Express), Claude della Torre (,Europe N° 1), Geneviève Dormann (L Echo de la Mode), Daisy de Galard (Elle) ,. Katla Kraupp (Le Nouvel Observateur), Françoise Gilles (Radio Luxembourg), Paule Neuvéglise (France-Soir), Pler· rette Rosset (Candide), Jacqueline Wester (TV), Nicole Zand (Le Monde). Montant du prix : 1 100 F (100 F pour chaque membre du jury). Tendance: roman romanesque. Malgré le secret qu'a juré de respecter chacune des charmantes personnes impliquées dans l'affaire, on a entendu chuchoter les noms de Sébastien Japrisot, Raymond Bellour, Georges Bel· mont, Edmonde Charles·Roux, et sur· tout celui de Florence Asie. Mals souvent femme varie. Femme de Lettres aussi. 19


une révolution technique au service de la réforme de l'enseignement

•• PHILOSOPHIE • • • • • • • • •

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Pour aborder la pensée grecque d'avant Socrate, le public ne disposait en langue française, s'il voulait prendre une vue d'ensemble, que d'ouvrages anciens: Pour l'histoire de la science hellène de Paul Tannery (1887), ou le livre classique de John Bumet, écrit en 1892 et traduit en 1919 sous le titre l'Aurore de la Philosophie grecque. Le livre de W. Jaeger est donc bienvenu en France, puisque la synthèse qu'il tente offre une introduction qui se lit bien, et apporte en même temps une informa' tion judicieusement choisie. L'auteur fut en Allemagne et aux EtatsUnis, où il émigra, la figure la plus altière de la philologie grecque, successeur de Wilamowitz dans la chaire de Berlin, avant de devenir le scholar réputé qu'a connu Harvard. Il est vrai que la traduction de ces Gifford Lectures vient tard. Parmi les travaux qui ont fait la gloire de J aeger, l'Aristote (Berlin 1923), · qui introduisait, dans la masse compacte du corpus d'Aristote, la courbe vivante d'une évolution intellectuelle, n'a pas été présenté au public français, bien que la thèse qu'il soutient ne résiste plus toujours à l'examen qu'elle ne cesse de susciter. De la Paideia, histoire de la civilisation grecque d'Homère à Platon, le premier tome est tout juste sorti en français (Gallimard, 1964), trente

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'pourra trouver un intérêt autre que documentaire dans un livre qui éblouissait par sa maîtrise, mais qui né fournira peut-être plus de stimulant à la contradiction.

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1 200 C.E.S. à construire en 5 ans 1 Seule, l'industrialisation du Bâtiment peut y parvenir. Dans le domaine scolaire, G.E.E.P.-C.I.C., le plus ancien et le plus important des Constructeurs (4000 classes édifiées en 6 ans, pour 150 000 élèves; 2500 classes pour la seule année 1966), reste à la pOinte de ce combat. Grâce au dynamisme de son Service" Recherches ", à la 'puissance des moyens mis en œuvre, G.E.E.P.-C.I.C., ne cesse d'améliorer la qualité et le cbnfort de ses réalisations et de justifier la confiance grandissante qui lui est faite.

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Werner J aeger A la naissance de la théologie Essai sur les Présocratiques Les Editions du Cerf, 1966. 269 p.

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Ce retard singulier (l'Italie connaît ces livres depuis longtemps) ne tient pas seulement au conformisme et aux prudences de la librairie française, mais autant au système de nos Facultés, qui n'ont pas vécu la Réforme, puisqu'elles permettent aux étudiants d'achever leurs études sans avoir aucun souci ni de l'histoire des idées, ni de la critique des textes, ni même des œuvres que les programmes expurgent et que tronçonne la version. On risque de méconnaître ainsi une œuvre élégante et sérieuse. Chose remarquable d'ailleurs, le livre datait déjà quand il parut poUl' la première fois en Angleterre au lendemain de la guerre, plus de dix ans après que l'auteur eut prononcé les dix conférences qui le composent. Le texte en avait été traduit de l'allemand, les notes ( qu 'il faut lire) furent rédigées en anglais1• C'est le' livre d'un professeur de la grande école, qui, en démocrate éclairé, ouvre l'accès du séminaire à son public anglo-saxon. VinIormation ne lui fait pas dé-

faut, encore qu'il évite d'éclairer sa science par les définitions que la sociologie ou l'anthropologie de son temps lui fournissaient. Ce nouvel humaniste (propagateur de ce qu'on a appelé le Neuhumanismus) plaide la cause de l'histoire traditionnelle. Les présocratiques sont étudiés. de Thalès à Démocrite, dans leur succession chronologique. Héraclite (chap. 7) vient après Parménide (chap. 6). A la suite de K. Rein· hardt (Parménide et l'histoire de la philosophie grecque, Bonn 1917. un grand livre, inédit en France), Jaeger cesse d'appliquer à la critique de l'identité des contraires le fragment des doubles-têtes indéci· ses, qui, prises entre l'Etre et le Non-être, les confondent et les séparent tous deux par la même erreur. Parce qu'il lui importe de montrer que la théologie chrétienne doit à la Grèce les dogmes que l'on fait dériver souvent d'Orient, il remonte aux sources et suit la formation de l'idée de divin dans la réflexion des premiers philosophes. Le grand mérite des Milésiens (chap. 2) est d'avoir détaché du devenir un principe qui le fonde. J aeger découvre dans la définition de cette origine et de ses attributs l'effort d'une pensée théologique. La spéculation commencée avec Thalès diverge radicalement du mode théogonique d'Hésiode: elle se fonde sur l'expérience des sens, tandis que le mythe n'est pas conçu par l'auteur comme une structure ni comme une forme de pensée. mais plutôt comme un récit qui se passe de l'observation et que la philosophie destitue. Il fallait bien qu'Anaximandre fût un empiriste. pour que l'illimité invisible devînt un principe transcendant, propre à inspirer l'inquiétude religieuse. Ainsi l'éveil antithéologique de l'esprit scientifique, qu'admirent tant les Gomperz et les Burnet à la fin du XIX" siècle, privé de sa portée, fonde l'histoire de la théologie. La fin du VI" siècle voit la re· naissance du sentiment religieux. Ce renouveau ne se manifeste pas seulement dans le développement des sectes et dans l'importance que prennent les rites initiatiques. J aeger en voit le reflet dans les systèmes de Pythagore (figure complexe, qu'il néglige malheureuse· ment), de Parménide, d'Héraclite même. Leur œuvre repose, d'après lui, sur une expérience mystique. Elle peut alors ressortir à la psy· chologie religieuse. La révélation ne s'impose pas comme nécessaire, elle n'ouvre pas le monde; dotée d'un caractère subjectif, elle témoigne d'une sensibilité, religieuse en tant que telle. De l'éon (que le traducteur rend par étant) ou de l'unité des contraires; on peut dire alors qu'ils représentent le dieu, qu 'Héraclite lui ait donné ce nom ou que Parménid~ ne l'ait pas fait: un théologien déplorera l'absence de dieu dans ce mystère (p. 116). A la fin de l'histoire de ces


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Aux sources de la pensee temps, Zeus recouvre son nom, mais sa divinité s'est chargée des attributs que la philosophie lui a conférés, après avoir dépouillé le dieu rituel. Disparu dans la totalité cosmique, il ressuscite, identifié avec le Tout. Le progrès imite le mouvement de la spirale. Le livre débouche sur un aperçu de la pensée sophistique. Le fait religieux, autonomisé, suscite alors la réflexion. Lié à l'histoire des hommes, le divin est considéré dans sa fonction sociale. A l'origine des civilisations, on recherche les fondements de la religion. Pour le Socrate des Mémorables, la sollici-

tude des dieux l'emporte sur tout autre caractère: l'homme s'est vu ·combler de présents. Le sophiste qu'il incarne, dépassant l'incrédulité, accepte les croyances, implantées dans la nature, pour leurs bienfaits et leur âge immémorial. A la même époque, Prodicos enseignait que le nom des dieux s'était attaché à l'utile. Il semble à Jaeger que ces vues aient fourni par avance une réponse au matérialisme de Démocrite. Celui-ci ne s'embrouillait-il pas lui-même dans ses propres contradictions, en fondant la connaissance des dieux tantôt sur les pellicules qui se détachent sans arrêt de leur corps pour venir à nous, tantôt sur l'effroi que produisent les prodiges, tantôt sur la folle imagination de la mauvaise conscience? On voit le parti pris qui oriente l'arrangement des sujets. Dans la perspective providentialiste qu'il adopte, l'idée de gratitude redresse l'erreur de Démocrite. La Quin..inp littéraire. du 1"

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Les obscurités que garde l'œuvre pourraient stimuler l'effort de la compréhension, alors qu'on perçoit, sur ce point précis, la partialité et le défaut de la critique. L'atomiste n'entre pas dans le cadre théologique : il ne répond pas aux questions que formule la recherche éperdue d'un principe transcendant. D'où ce paradoxe que le dernier physikos, le dernier à construire un système personnel et clos, soit taxé d'incohérence et rangé du côté des historiens de la croyance. Au contraire, les dieux de Démocrite sont doués de la présence réelle. On sait de quelle matière chez lui ils sont

faits. Peut-être que la religion ne se laisse pas définir d'une manière aussi simple que le fait l'auteur. Ou alors ne serait-ce pas qU'Anaximène, père de Démocrite, n'avait pas séparé non plWl l'âme du Tout qu'ét~it l'air (chap. 5)? Aux défenseurs de la croyance établie, les philosophes du VI" et du V" siècle apparaissent comme des ennemis par leur rationalisme critique. Mais Parménide et Héraclite ne devaient-ils pas, dans les chapitres précédents, leur originalité à la force du sentiment religieux qui les animait ? La fragilité de la thèse se révèle dans cette ambiguïté qui tient à l'absence de toute définition véritable du concept. Mystiques d'un dieu caché ou réformateurs et critiques? Théologiens ou philosophes de l'Etre ? Les théogonies paraphilosophiques du VIe siècle sont détachées des mouvements qu'on appelle or-

l5 novembre 1966.

phiques, à juste titre (chap_ 4). Orphée, Musée, Linos sont des prête-noms. Mais elles ne relèvent pas non plus d'une influence orientale, comme on le prétendait il y a quelque cinquante ans, le caractère dogmatique qu'on y découvrait à tort paraissant étranger au libéralisme qui devait revenir à la Grèce. Elles reflètent le système élaboré par un poète original. C'est en reconstituant ces théogonies perdues, en particulier celle de Phérécyde de Syros, que J aeger découvre des relations complexes et le rôle d'une structure, alors qu'il est prompt, ailleurs, à réduire l'œuvre à son

foyer unique. De même la réinterprétation, qu'il leur donne en propre, est un procédé constant de la poésie archaïque et elle ne manque pas non plus à l'époque, que l'on chercha toujours à imiter. C'est à la physique milésienne, à Anaximène, que l'auteur voudrait faire remonter le concept d'« âme » ( chap. 6). Chez Homère, le mot psychè désigne à la fois le souffle vital et la créature .impalpable qui survit après la mort, la vie et la mort, le général et l'individuel. Homère fait apparaître une contradiction qu'on explique mal par un transfert, qui aurait confondu avec le fantôme de nos rêves l'exhalaison des lèvres expirantes. Anaximène donne à l'air le gouvernement du monde. La théorie de la transmigration peut alors s'emparer de ce principe, et, tandis que les Pythagoriciens font de l'air un incorporel, doter l'âme-souffle d'une conscience individuelle.

D'autres se sont attachés à la pensée archaïque pour y trouver l'unité de l'Etre, indivis là même où il se dédouble dans la pensée qu'il a de lui-même. Jaeger y voit poindre, bien qu'il s'en défende, les distinctions plus tardives, cause et effet, sujet et objet, spirituel et physique. Ainsi l'éon de Parménide, dans cette démarche qu'il appelle d'épistémologie critique, reste la forme pure d'une idée. Il donne bien la parole à ceux qui trouvaient cette figure trop vide pour fonder l'ordre du vivant, mais la séparation entre la métaphysique, comme il dit, et la physique, demeure entière, l'Etre, à ses yeux, fournissant l'idée d'une existence éternelle, propre à asseoir la con. naissance. La Vérité de la première partie du poème lui paraît alors d'autant plus fortement liée au concept du divin qu'il fait de la connaissance un acte d'essence religieuse, et le divin, du coup, réside moins dans l'Etre que dans l'expérience de sa découverte; d'où le titre du chapitre 6 : le Mystère de l'Etre. Mais la cosmologie antithétique de la seconde partie ne représente pas l'erreur, même originale. Elle ne décrit pas les illusions mortelles, afin que la révélation de l'Etre devienne, par contraste, immortelle. La confusion de l'Etre et du Non-être ne touche pas l'oppo. sition du jour et de la nuit qui se partagent la sphère de l'Etre. La méprise est monumentale, et la philologie, si sûre par ailleurs, prise en défaut, victime qu'elle est d'un préjugé spiritualiste et d'un effort de synthèse trop impatient. Animé de la même intention, Jaeger n'hésite pas à identifier le commun (koinon) chez Héraclite, qu'il interprète comme la loi naturelle, avec la loi divine. D'après Diogène Laerce, le livre des Muses se divisait en trois parties: le tout, la politique, les dieux. J aeger, né. . gligeant le sens des mots, rend le verbe diviser par comprendre (en. glober). Le dieu alors peut toujoU1'8 désigner le logos. C'est que les sphères ne se distin&uent plus; elles s'enchevêtrent, et le divin se mêle à tout. L'ouvrage se termine par l'ana. lyse d'un long fragment sur les origines de la cité, que l'on attribue à Critias. Là encore, les choses sont plus nuancées que ne le dit Jaeger. Le législateur n'invente pas Dieu ni la crainte, qui est innée. Mais, connaissant la véritable nature du divin et des hommes, il institue entre ces deux termes la relation qui lui est utile, et fixe la crainte sur un objet fictif, en logeant les dieux dans le ciel. Livre clair et riche, A la naù· sance de la théologie, apporte d'autant plus au lecteur qu'elle l'amène à réfléchir sur les thèses, brillamment présentées, d'un philologue trop sûr de son humanisme. Jean Bollack 1. La traduction française (anonyme) a été faite sur l'édition allemande de 1953.

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HISTOIRE

«Grand Siècle », vrainlent ?

Pierre Goubert

Louis XIV et vingt millions de Français Fayard, éd. 256 p.

de sujets, soit la population la plus forte du monde, après la Chine et l'Inde, avant la Russie et avant l'Allemagne. Sur ces dix-huit millions, quinze millions de ruraux (plus qu'aujourd'hui !). Trente mille villages, dont presque tous ont quatre siècles d'ancienneté ou plus encore. Un peuple de paysans maigres, tondus par les dominants de la Rente, par la triade vermoulue, mais toujours prospère, des Trois Etats: noblesse, clergé, bourgeoisie du Tiers, celle-ci généralement fort archaïque. Deux mille gendarmes et quelques centaines de bureaucrates, ministres, intendants, et grattepapiers. Enfin, coüfant le tout, juché en équilibre instable sur les sommets, le Roi, d'autant plus exalté, absolutisé, « surcompensé », qu'il est en fait moins 'puissant, qu'il a moins de prise et de pouvoir réel sur la société vivante de son royaume.

Depuis trente ans, une génération d'historiens a mis l'histoire économique en équations.... ou du moins l'a exprimée en graphiques, en tableaux et séries chiffrées. Pierre Goubert plus que quiconque. a contribué avec l'Ecole des Annales, à cette évolution souhaitable. La science y a gagné. Quant au grand public, rebuté et bluffé par la statistique, il a presque totalement ignoré cette nouvelle tendance. D'où les projets de Pierre Goubert, récemment accomplis dans Louis XIV et vingt millions de Français : puisque le point de non-retour est · maintenant atteint. puisque l'histoire mathématisante et quantitative est désormais sûre d'elle-même, reconnue et consacrée, il est bon de se tourner à Après le peuple, le siècle. En l'ocnouveau vers un public plus large. curence, 'c'est du long XVIIe siècle Et le moment est venu de remettre qu'il s'agit, tel qu'il se termine en l'histoire économique en bon fran- 1715, avec la mort du Roi, avant çais, en épisodes, en images vivan- le dégel de la Régence. tes et colorées. Le biographe des Pieusement gravée par Voltaire, Vingt millions de Français n'hésite l'image d'Epinal du « Grand sièpas à emprunter à l'histoire tradi- cle » est depuis longtemps défraîtionnelle, pour mieux la combattre, chie. Inversement, s'est imposé (deles procédés qui ont fait le succès puis Simiand, lu trop vite ou pas de celle-ci : le tableau, le récit, lu du tout), le cliché d'un « tragivoire le portrait. Et même un brin que XVIIe siècle », marqué par la d'humour noir ou rose ; et quand dépression économique et par la il le faut, le risque judicieux d'un « famine monétaire ». Goubert va anachronisme calculé. bien au delà de ces conceptions trop L'homme Louis XIV, dans cet simples. Et il propose une réalité essai, est à peine plus qu'un pré- , séculaire plus subtile. Le XVIIe siècle françaûi, après texte. Le vrai, le seul personnage. corps morbide, énorme, et .distendu, 1640, tel que le peint notre auteur, dinosaure aux formes , géantes èt à est en fait largement conforme aux la cervelle en tête d'épingle, c'est schémas de Malthus. Car les subsisle peuple français. Dix huit millions tances sont rares ; et les beDés

grouillent, faute de birth control. La mort fauche donc à tour de bras. Epidémies, famines géantes (1649-52, 1661, 1694, 1709) épongent tant bien que mal les excédents humains, et jugulent sévèrement une démographie surabondante. Si la nation crève, c'est d'un excès de fécondité, joint à l'insuffisance de productivité. Cela posé, qui est l'essentiel, Goubert refuse de noircir davantage le tableau. Il serait faux, selon lui, de voir le siècle de Louis XIV comme une période de régression économique et démographique, comme un recul sur toute la ligne. En dépit d'épisodes affreux, d'une stagnation générale, d'une récession fréquente, le peuple et le royaume de Louis paraissent tenir bon. Deux phénomènes paraissent marquer davantage les destins archaïques du royaume de Louis : la religion, bien sûr, et aussi la guerre. La guerre et la stratégie dominent, de leur présence écrasante, tout l'exposé de Goubert. Mais celui-ci reste inattentif, et il a bien raison, aux aléas tactiques des batailles, et aux péripéties sautillantes de l'histoire purement militaire, du type « tambour et trompette ». Guerre décisive entre toutes : celle de Hollande. En 1672, le royaume puissant et moyenâgeux de Louis XIV se lance à l'assaut de la nation la plus petite, la plus capitaliste, la plus sophistiquée du Continent ; à l'assaut de la Hollande, pays éclairé des banques et des flottes, des fromages et des tulipes. Goubert raconte, non sans une pointe de jubilation, cette sanglante affaire où le Roi-Soleil fut à deux doigts de se faire rosser par une poignée de marchands de fra-

mages. Avec raison, la guerre hollandaise est présentée, en quelques pages, comme un tournant fondamental du XVIIe siècle louis-quatorzien. Tournant peut-être plus important que la Fronde: car c'est à ce moment-là, vers 1672-1679, que certaines régions et certains secteurs de l'activité française basculent, pour quarante années, vers la crise et vers la misère ... Dans tout cela, on le voit, il n'est guère question des poncüs habituels de l'historiographie louis-quatorzienne. Guère question de Versailles (dont la grande époque, comme le note malicieusement Goubert, est bien postérieure aux véritables réussites du règne). Guère question non plus des maîtresses : la tendre La Vaillère, célèbre midinette du Colbertisme, la chaude et superbe Montespan, la réfrigérante Maintenon n'ont droit, dans l'ouvrage, qu'aux quelques lignes de rigueur. Ces rengaines et fredaines, qui ont fait la joie de générations de lecteurs et d'historiens, Goubert les abandonne décidément à leur triste sort. Car il a plus et mieux à dire : son tour de force, c'est justement d'avoir balayé l'accessoire, et l'événementiel superflu. C'est d'avoir bâti un livre passionnant, lisible d'un trait, avec des données capitales, mais qui, jusqu'à lui, étaient considérées, bien à tort, comme parfaitement ennyeuses, et comme indignes du grand public. Tel quel, ce livre est donc salubre. Il rompt et il tranche enfin avec la fastidieuse histoire en robe de bal et en gants blancs, du genre Si Versailles m'était conté. Aura-t-it un succès massü ? Je souhaite, pour ma part, cent mille lecteurs à ces Vingt millions de Français.

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Emmanuel Le Roy Ladurie


La révolution hongroise François Fejto

Budapest 1956 Julliard, éd. 288 p. Le dixième anniversaire de l'insurrection hongroise a été marqué, après plusieurs années de relative éclipse, par un renouveau d'intérêt pour les événements qui, du 23 octobre au 11 novembre 1956, ont ensanglanté la Hongrie et bouleversé l'opinion publique mondiale. Plusieurs ouvrages et études ont été publiés, qui, à travers le récit des faits, tendent à en dégager la signüication et la portée. Le plus complet et le plus concis est le livre de François Fejto qui concilie l'objectivité de l'historien avec la profonde sympathie pour les vaincus. Signalons aussi l'article de Raymond Aron, dans la revue « Preuves» du mois d'octobre, qui dresse le bilan politique, national et international, de cette « révolte contre le mensonge ». Il ne peut être question, dans ce compte rendu, de faire un résumé, même bref. des événements. Fejto le fait avec une extrême précision, en se servant de documents et témoignages les plus divers. Il établit une analogie entre la Pologne et la Hongrie à ce tournant d'octobre 1956 et, partant de cette comparaison, il conclut que c'est l'effondrement du parti communiste hongrois, son incapacité de maintenir le mouvement dans les limites de « la grande réforme » polonaise, qui a entraîné l'intervention des troupes soviétiques. Somme toute, Fejto croit, et Raymond Aron semble être du même avis, .qu'il existait en Hongrie une possibilité d'éviter l'affrontement armé et que cette possibilité a été perdue. Le stalinisme hongrois était plus brutal que le stalinisme polonais, les dirigeants de Budapest étaient moins souples que ceux de Var8ovie. De plus, l'explosion de Poznan, survenue en juin 1956, a permis aux leaders du PC polonais de préparer, dans une certaine mesure, la transition et la relève. Rien de pareil en Hongrie où les staliniens, au lieu de favoriser la transition, font tout pour compromettre Imre Nagy et où les responsables soviétiques, malgré leur désarroi et leurs hésitations, après avoir con· clu, sous la pression des masses, un compromis en Pologne, se montrent favorables à un compromis analogue en Hongrie, à condition qu'il ne dépasse pas les limites permises: celles du monopartisme à l'intérieur du pays, celle de l'alliance soviétique sur Parène internationale. Ces limites franchies, la coalition des. quatre partis rétablie et la neutralité proclamée, l'intervention soviétique devenait inévitable. Elle a encore été facilitée par l'affaire de Suez qui avait affaibli les positions de la France et de la Grande-Bretagne. Quant aux EtatsUnis, ils avaient respecté l'accord tacite SUl' le partage des zones d'in-

fluence et, conlIairement aux espoirs des insurgés hongrois, n'ont à aucun moment envisagé d'intervenir dans le conflit soviéto-hongrois. Tout cela est bien connu et ne fait que confirmer, à dix ans de distance, les analyses, justes dans l'ensemble, de la plupart des observateurs étrangers. C'est plutôt la place de l'insurrection hongroise dans le processus général de désatellisation et de libéralisation des républiques populaires qui reste à établir, ainsi que le caractère social et politique de cette insurrection. Les Hongrois ont-ils, en prenant les armes, ralenti ou accéléré ce processus? Ont-ils refait la révolution nationale de 1848? Ou ont-ils fait surgir des formes neuves d'action et d'organisation sociale? La désatellisation, amorcée par les Polonais, a été, pour un temps, freinée par la défaite du soulèvement hongrois; elle n'a pas pu être arrêtée. En Roumanie, elle a précédé la lente libéralisation du régime. C'est l'inverse qui s'est produit en Bulgarie et en Tchécoslovaquie. En Hongrie enfin, la libéralisation a été plus poussée que partout ailleurs, sauf en Yougoslavie, malgré les liens étroits qui attachent Kadar à l'U.R.S.S .. Elle y est plus avancée actuellement qu'en Pologne. Ce qui semble indiquer qu'une révolution vaincue porte en elle, malgré les souffrances qu'elle occasionne et les représailles qu'elle entraîne, plus de possibilités de réformes et de pro~t-~ qu'une révolution avortée. L'insurrection hongroise était spontanée. Aucun chef d'orchestre clandestin ne l'avait préparée ni dirigée. Nulle organisation n'a joué le rôle dirigeant, nul plan d'ensemble n'a été élaboré. Partisans et adversaires du mouvement était'nt obligés d'improviser pour faire face aux initiatives populaires. Et pourtant, les objectifs à la fois nationaux et démocratiques ont façonné l'action collective, lui ont inspiré une manière de faire déterminée. et, malgré les débordements 10: caux, des formes institutionnelles adéquates. C'était le triomphe de la spontanéité, si dédaignée par Lénine. C'était aussi la revanche posthume de Rosa Luxembourg, selon laquelle un parti révolutionnaire devrait se contenter de coordonner les formes de lutte surgies de l'initiative créatrice des masses. Passons sur les aspects nationaux du mouvement. La Hongrie insurgée avait été envahie et écrasée en 1848 par les troupes tsaristes. Le souvenir en était resté tenace. L'aspect social est cependant fondamental. Comités révolutionnaires et Comités ouvriers se sont imposés un peu partout comme des organes de lutte et de pouvoir. Encore faut-il, selon Fejto, établir une nette discrimination entre les pre. miers et les seconds. Les Comités révolutionnaires se substituent à l'ancien appareil de l'Etat qui s'est

La Quinzaine littéraire. du le< au 15 novembre 1966.

effondré. Ils ramassent le pouvoir devenu disponible. Les Comités ouvriers jouent dans les usines un rôle encore plus important. Ils remplacent l'ancienne hiérarchie autoritaire par les organes de gestion démocratique, corrigent les erreurs les plus flagrantes de planüication, améliorent les méthodes et les modalités de travail. En un mot, les Comités ouvriers étaient en train de transformer l'étatisation de l'industrie en socialisation, en faisant des producteurs eux-mêmes les gestionnaires de leur patrimoine collectü. Le souvenir de la Commune de Paris de 1871 et des premiers mois de la révolution bolchévique, l'exemple yougoslave enfin, faisaient surgir les formes spontanées d'auto-gestion ouvrière. C'était une révolution anti-totalitaire mais non anti-étatique. Son démocratisme élémentaire tendait à la fois à" faire des Conseils l'instrument du pouvoir et à rétablir les anciens partis, ceux du moins qui ne remettaient pas en question les conquêtes sociales du régime. Ainsi, spontanément, les travailleurs hongrois réalisaient le slogan de Lénine (Tout le pouvoir aux Soviets !) et supprimaient « le monopole du parti qu'ignore le marxisme de Marx» (R. Aron). Il serait donc inexact de parler d'une volonté délibérée de revenir nu parlementarisme. De telles a5-

mense mouvement qui avait englobé la nation tout entière. Mais, à aucun moment, les éléments contre-révolutionnaires n'avaient dominé l'arène publique, les Conseils révolutionnaires, et surtout les Conseils ouvriers, ayant veillé sur le caractère irréversible - sauf à la campagne - des grandes réformes économiques et sociales. Révolution faite par les communistes déçus, telle a été la formule la plus populaire et, probablement, la plus juste. Ouvriers et intellectuels - soutenus par les paysans - avaient défini des objeclÜs à peu près identiques et ont tout fait pour les réaliser. Peu importe que la poussée initiale soit partie des intellectuels et de la jeunesse. Les gros bataillons ouvriers sont venus vite en renfort et ce sont eux qui ont résisté avec le plus d'acharnement aux troupes soviétiques. L'expérience hongroise a confirmé ce que nous savions déjà : que les Conseils ouvriers étaient un instrument privilégié de lutte pour le pouvoir. Mais cette expérience a été trop éphémère et trop chaotique pour prouver que les Conseils ouvriers institutionnalisés, c'est-à-dire la démocratie directe, étaient réellement une forme nouvelle de pouvoir dans un Etat en dépérissement, comme celui dont parlaient Engels et Marx et que décrinit Tpninp il la \"l'ilIe de la

Budapest, 1956.

pirations existaient, à coup sÎlr. sans qu'on puisse affirmer qu'elles étàient, ou pouvaient devenir, dominantes. De même, des tendances anti-totalitaires se muaient parfois en tendances anti-communistes. Des éléments contre-révolutionnaires se sont mêlés au mouvement, ce qui était inévitable. Leur intervention explique en partie le subit retournement de Kadar qui, par crainte de perdre le pouvoir, se jette dans les bras des Soviétiques. Tout cela existait dans la confusion d'un im-

révolution d'octobre 1917 en RusVictor Fay sie.

On vient de publier en même temps Budapest de Tibor Méray. L'auteur était témoin et acteur des événements tragiques d'octobre 1956. Son livre est une synthèse remarquable de ce qu'il a vu, vécu, et d'une connaissance profonde de la Hongrie d'avant et d'après l'in~ surrection. (Laffont, éd.).


AVANT LES ELECTIONS

Les préparatifs · des prochaines élections législatives sont plus ou moins avancés, selon les diverses maisons d'édition. Chez Cal mann-Lévy, la collection Questions d'Actualités a programmé un bilan général du gouvernement gaulliste en trois volumes, d'ailleurs indépendants les uns des autres, mals qui ont été conçus comme un ensemble : Bnan politique de la ye République, par Pierre Vlansson-Ponté; Bnan économique, par Philippe Bauchard; Bnan agricole par François-Henri de Virieu. Ces trois volumes, à paraître à la fin du mois de janvier, ont été confiés délibérément à des personnalités dépourvues d'attaches politiques; leur compétence et le rôle qu'ils jouent dans la presse doit, en quelque sorte, servir de caution à la série. Parallèlement, le premier volume d'une nouvelle série Intitulée Nal. sance et mort des Républiques devrait paraître à la même époque, chez le même éditeur; Il s'agit de La IV· République dont l'histoire sera retracée par Jacques Julliard (suivront, .à des dates moins désignées par l'actualité Immédiate, la Naissance et la Mort de la 1'., de la II" et de la III" Républiques). Dans un esprit exactement opposé, ce n'est pas à des témoins objectifs, mais aux acteurs mêmes de la lutte électorale que la collection Idée. Actuelles (Gallimard) donnera la parole. Edgar Faure y publiera Prévoir le présent, tandis que François Mitterand prépare pour elle un texte dont le titre n'a pas encore été arrêté. Mis à part ces deux éditions, il semble qu'à moins de six mois des élections, les projets soient encore assez vagues. Certes Flammarion publiera le 22 novembre Le livre du citoyen français, de Raymond Lindon - une sorte de vademecum de l'électeur - mals c'est là un ouvrage de caractère plus général que spécifique de la consultation à venir. De même, l'étude de Léo Hamon, à paraître chez Grasset, au début de janvier, La France et la guerre de demain n'est pas à proprement parler un ouvrage de circonstance, encore qu'II prenne une coloration particulière en raison de sa date de parution. Mais, pour le reste, on en est encore au stade des nébuleuses. Aux éditions Stock, on envisage, depuis longtemps, un recueil de caricatures jlolltlques de Tim, commentées par J. F. Kahn, mals il ne semble pas que les pourparlers progressent vite, bien que le temps presse. En définitive, la campagne ne semble donc avoir commencé sérieusement que dans deux maisons d'éditions. Cela est peut·être. dO au fait que les élections présidentielles de 1965 avaient déjà donné lieu à un certain nombre de publications avec des succès fort Inégaux : si le numéro spécial ' du Crapouillot a été bien accueilli, les ouvrages de J. Derogy et J. F. Kahn (Les secrets du ballotage) avec 10.000 exemplaires, et celLiI de Salndrlchln et Poli (Histoire secrète d'une élection), n'avalent pa~ connu de tirages comparables à ceux de Th. White sur l'élection Kennedy aux Etats-Unis. A mi-chemin entre les deux élec· tlons, celle de 1965 et celle de 1967, La Table Ronde a publié, au mols de mal dernier une série d'entretiens Avant le tro!slème tour, qui continue à trouver des lecteurs. Les textes réunis par une équipe de Sciences Politiques et mis au point par des rédacteurs de Combat, comprenaient des déclarations de personnalitéS de tous bords, et l'on y retrouvait aussi bien Maurice Faure que François Mau· rlac, Lacoste-Lareymondle. ou Andrieux (de l'Humanité). On attend encore le gros ouvrage que "la Fondation Nationale des Sciences Politiques doit publier chez Ar· mand Colin, sur les élections présl· dentlelles de 1965.

POLITIQUE

La laïcité est-elle dépassée? H. Gunsberg Le parti gris Coll. Libertés, n° 43 J .•J. Pauvert éd. 128 p. La vie politique française est pé. riodiquement ponctuée d'affirmations reprises en chœur à gauche comme à droite mais qui ne constituent pas pour autant des vérités démontrées. Ainsi en est·il de celleci: «la laïcité est un problèmp dépassé D. La phrase, généralement, s'arrête là sans que jamais l'on ne précise en quoi et par quoi le problème est dépassé. Beaucoup de ceu" qui ont posé cette affirmation en postulat se sont d'ailleurs aperçus à leurs dépens tel M. Gaston Defferre dans cette fameuse nuit du 17 au 18 juin 1965 qui vit son entreprise présidentielle ruinée par l'obstination des amis de M. Le· canuet - que ce dépassement n'est pas aussi évident qu'ils le préten. dent. A .ceux qui se posent sincère· ment la question, je ne saurais trop conseiller de lire le petit livre de H. Gunsberg, le Parti "ris. qui vient à point remettre en lumière des réalités qu'il ne sert à rien de vouloir dissimuler. «Autrefois, rappelle Gunsberg, dès sa première page, il y avait les blancs et les rouges, les nobles et les républicains, les conservateurs et ' les «partageux)J, le parti noir et les laïques». C'était sim· pIe, c'était clair. Les choses sont bien différentes aujourd'hui du fait de la naissance d'un nouveau courant d'opinion, aux contours indécis, que l'on appelle pour la commodité, mais une commodité qui conduit à une certaine confu· sion, les «chrétiens de gauche». Le « parti gris )J, qui plonge ses grosses racines au M.R.P. et quel. ques petites au P.S.V., s'est donné pour mission, au nom du « modernisme», devenu le mot.clé, de bousculer les anciennes frontières politiques. L'objectif est, certes, louable, à condition de bien savoir ce que l'on veut installer sur le terrain conquis. Or, s'il se décerne à lui·même un pouvoir mobilisa· teur, s'il rêve de recouvrir sur l'échiquier politique français la vaste place qui s'étend entre le gaullisme et le parti communiste, le «parti gris D garde volontaire· ment une silhouette floue du fait même qu'il est «l'alliance de la carpe et du lapin, de la soutane européenne et de la tripe républicaine D. Réunir en une seule formation ces trois familles que Gunsberg nomme les «socialistes mous h, 11"'1 «catholique! éclairés» et les Il modérés dynamiquea D, c'était bien l'ambition de Gaston Deffer· re. Que la tentative ait été faite, passe encore. Ce qui est plus étran· ge est que beaucoup de ceux qui l'ont soutenue, loin de tirer les leçons d'un échec qui n'était quand même pas fortuit, s'appliquent de·

puis plus d'un an à en entretenir la nostalgie. J'ai sous les yeux en écrivant ces lignes une lettre signée par une dizaine d'anciens M.R.P., en rupture de han avec le Centre Démocrate, et qui ne voient d'au· tre issue à tous les problèmes poli. tiques français que dans une alliance étroite entre François Mit· terrand et Jean Lecanuet au sein d'une « force politique véritable· ment moderne, attrayante pour tous les citoyens attachés au progrès ). Le malheur est qu'une telle force politique est pratiquement impossible à constituer, précisé. ment parce qu'elle suppose la mise entre parenthèses d'un certain nombre de problèmes qui ne sont pas aussi « dépassés» que l'affir· ment nos bons apôtres du « parti gris D. Je sais bien que l'on dit ici ou là que si la querelle de la laïcité subsiste, c'est parce que la gauche jacobine s'y accroche désespéré. ment, en particulier dans toute la partie de la France qui se situe au sud de la Loire. Allons donc! D'abord, est·ce le fait de laïques attardés si les lois Barangé et Debré ont remis en question, depuis quin. ze ans, l'un des principes essen· tiels qui découlait de la séparation de l'Eglise et de l'Etat: à l'école publique, fonds publics, à l'école privée, fonds privés?

Et puis, passez au nord de la Loire, allez, par exemple faire une campagne électorale dans l'est ou dans l'ouest et soutenez dans vos discours que la laïcité est un problème dépassé. Si vous voulez en· tendre par là que la notion même de laïcité doit être purement et simplement enterrée, les applaudis. sements ne manqueront pas à l'homme de gauche que vous êtes et dont on louera, pour la circons· tance, la « largeur d'esprit ». Mais les bulletins de vote seront certai· nement moins nombreux que les applaudissements. Les cléricaux - car ils existent et le problème clérical, lui, n'est nullement dépas. sé! préfèreront toujours don· ner leurs suffrages à un catholique bon teint plutôt qu'à un socialiste même « mou D. C'est hien inutile· ment que le laïque se sera renié. Qu'on le veuille ou non, qu'on le regrette ou non, qu'on l'encou· rage ou non, la coupure existe bel et bien entre deux France au ni· veau de la laïcité. Et il s'agit de bien autre chose que d'une survi· vance d'un passé périmé. Etre laïque c'est avoir, certes, une cer· taine conception du rôle de l'édu· cation dans la formation d'un enfant, c'est penser que cette édu· cation doit être ouverte à tous, la même pour tous, ce qui suppose qu'aucune Eglise ne s'en empare.

La Quinzain.e Htt6raire

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SCIENCES

Entretien avec Laurent Sch'\Vartz Mais c'est beaucoup plus que cela. Etre laïque, c'est aussi avoir une certaine conception de la liberté humaine, de la démocratie, de l'organisation de la société. Cette conception, des chrétiens de gauche peuvent-ils l'avoir en commun avec des laïques? Difficilement s'ils se proclament eux-mêmes « chrétiens ! de gauche », ce qui veut dire qu'ils se considèrent d'abord comme « chrétiens» et seulement ensuite « de gauche ». Ils le contestent ? Mais alors pourquoi tiennent-ils au qualificatif ({ chrétien » et pourquoi ne se contentent-ils pas de celui ({ de gauche» ? La gauche est suffisamment généreuse pour ac· cueillir indistinctement des croyants ou des athées, des laïques ou des chrétiens, des catholiques, des juifs ou des protestants. Elle leur demande seulement de laisser leur religion au vestiaire. On me dira que l'Eglise ellemême a bien changé par rapport à ce qu'elle était encore au début . de ce siècle. C'est vrai et je crois qu'il serait grave de sous-estimer l'évolution qui s'est produite, en particulier depuis Jean XXIII. ! Mais qu'on ne tombe pas dans 1 'l'excès inverse: la preuve reste 1 quand même à faire que les pays où l'Eglise dispose d'une influence dominante · (Espagne, Portugal, Ita- . lie du sud, etc.) sont à l'avant-garde du progrès social et de la justice ! Ayant écrit tout cela qui rejoint assez ce qu'écrit Gunsberg, je 1 trouve malgré tout son pamphlet 1 trop sévère par sa généralisation. 1 Il dit lui.même, d'une jolie formu- . le, que ({ les chrétiens de gauche 1 sont comme les kangourous australiens, on tes croit tous de même espèce, et on découvre trente-six variétés». Et bien, plusieurs de ces variétés ont su, depuis des années, prendre leur place, sincèrement et définitivement, au sein de la gauche et la tenir avec courage et honneur. Il y en a au P.S.U., à la Fédération, dans les clubs et jusqu'aux frontières du parti communiste et leur influence n'est pas négligeable. Ils sont d'ailleurs parmi . les premiers à dénoncer ce i « parti gris» qui voudrait faire 1 croire à la possibilité d'un ({ no 1 man 's land» plus étendu que les ' i deux camps adverses. Ces homme~ 1 et femmes de gauche, chrétiens. vont à la messe s'ils en ont le désir et nul laïque n'a jamais songé à le leur reprocher - mais ils ne se réclament jamais de l'Eglise dans leur action politique. Contre la guerre d'Algérie, hier, contre celle du Vietnam, aujourd'hui, mais aussi pour la justice sociale, pour le progrès économique, pour la libération de la- femme, pour la réforme démocratique de l'enseignement, ils sont au premier rang du combat de la gauche. Tout simplement parce qu'ils sont d'abord pour le mouvement, alors que leurs coreligionnaires du ({ parti gris» sont d'abord pour la conservation. Claude Estier

Sous le prétexte qu'il faut être spécialiste pour suivre les progrès de la recherche mathématique, un événement considérable tel que le Congrès International des Mathématiciens (Moscou, 16-27 août 1966) est passé, dans la grande presse, presque inaperçu. Or, il s'agit, à notre sens, d'une manifestation

L.S. Ce qui saute aux yeux, dès l'abord, c'est l'extraordinaire vitalité de la recherche mathématique dans le monde entier: nombre croissant des chercheurs, ampleur et variété de leurs travaux. Au congrès de Moscou, plus de 4 000 inscrits provenaient de toutes les régions du globe: une majorité de citoyens soviétiques, profitant,

Et leur travail est fructueux. D'un Congrès de l'U.M.1. à l'autre, de Stockholm en 1962 à Moscou en 1966, il Y a renouvellement considérable des sujets traités. Le foisonnement des résultats obtenus n'entraîne pas comme on pourrait le craindre une diversification des mathématiques en branches étrangères les unes aux autres et telle qu'un spécialiste de géométrie algébrique, par exemple, ne comprendrait bientôt plus son collègue spécialiste ,de topologie. Tout chercheur doit, en mathématiques comme dans toute autre science, se spécialiser ; mais aussi bien par ses méthodes de travail que par les résultats qu'il obtient, chaque mathématicien confirme ou renforce la remarquable unité de la mathématique. Cette idée, qui est à la base de l'œuvre de Bourbaki, cette idée « tient bon ».

En face de cette prospérité générale de la science mathématique, faut-il comme certains l'ont dit ou écrit, parler d'un déclin de la suprématie française en mathématiques? Et, d'abord, est-il vrai qu'il y a eu une suprématie de l'école française?

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Laurenf Schwartz

scientifique de première importance. Nous avons rencontré M. Laurent Schwartz, professeur à la Faculté des Sciences de Paris et à l'Ecole Polytechnique, qui a bien voulu répondre à quelques questions. Vous avez participé au récent Congrès International des M athématiciens. Le public ne peut sans doute apprécier l'intérêt véritable des communications qui y furent faites, mais il est curieux de connaître les impressions d'un spécialiste.

La Quinzaine littéraire. du le. au 15 novembre 1966.

évidemment, de ce que le congrès se tenait chez eux, mais aussi plus de six cents Américains, plus de deux cents Français, des délégations nombreuses d'Asie, d'Amérique du Sud, d'Algérie, etc. Il serait plus facile et sans doute plus significatif de relever les pays non représentés: la Chine, l'Argentine (sans doute pour des raisons politiques), un certain nombre de pays en voie de développement (et qui ne peuvent tout faire en même temps). On peut donc dire qu'il y a de plus en plus de mathématiciens professionnels dans le mon-

L.S. Il faut se méfier d'une façon de parler rapide qui simplifie et déforme ce qu'elle prétend décrire. La recherche mathématique n'est pas organisée en équipes rivales placées, telles des équipes de football, sous les bannières nationales. Aucune science peut-être n'est aussi naturellement universelle que la mathématique (ne serait-ce que par sa langue, car elle fournit son propre langage de communication). Les communications entre mathématiciens de tous les pays sont heureusement très libres. Il y a pourtant des écoles nationales, des centres d'attraction et des équipes de bons mathématiciens se sont ainsi localement développées. Citons, en exemple, l'école polonaise. Au même titre, on peut dire que l'école française a eu, pendant plus de dix ans après la dernière guerre, un rôle éminent dans les progrès mathématiques. D'ailleurs, à chacun des congrès internationaux, en 1950, 1954 et 1958, une médaille Fields sur deux était décernée à un Français. A Stockholm, en 1962, les médailles furént attribuées à un Américain et à un Suédois; cette année, à Moscou où, pour la première fois, quatre médailles Fields furent attribuées, deux allèrent à des Américains, une à un Anglais et une il un éminent représentant de l'école française, notre ami Grothendieck. En quantité de médailles obtenues, on peut donc dire qu'il y a déclin de l'école française et ce signe me paraît traduire la situation difficile de la recherche mathématique dans notre pays.

D'où proviennent, à votre ces dilfic"ltés ?

av~s.

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INFORMATIONS Revues de langue anglaise publiées à Paris

• Entretien avec Laurent Schwartz L.S. Je vois deux raisons principales qui jouent l'une et l'autre mais de façon très différente. En premier lieu, il yale système de recrutement de nos grandes écoles scientifiques qui écarte des facultés des sciences un grand nombre d'étudiants de qualité. Ce dualisme facultés-grandes écoles n'est pas Iln fait nouveau; mais dans une période de développement industriel U joue à l'encontre des intérêts ,ie la recherche scientifique; et il n'est pas certain qu'il joue en faveur de l'industrie. On prend peu à peu conscience de ces faits : il y a des grandes écoles qui orientent leurs élèves vers les facultés : dans les facultés, le souci d'un meilleur contact avec l'industrie oriente l'enseignement de façon peut.être moins abusivement théorique. Autrement dit, je suis persuadé que notre système, si difficile que cela soit de le faire évoluer, s'oriente déjà vers une meilleure utilisation des milliers d'étudiants qu'il doit former. Mais cette évolution est beaucoup plus lente que celle qui est imposée par les progrès de la recherche. Pour le moment et pour des années encore je le crains, que de talents égarés ! En second lieu, je dirai que nous récoltons, en France, les fruits du succès de Bourbaki. Au moment où le besoin s'en faisait sentir, son œuvre a consisté essentiellement à mettre de l'ordre dans la nouvelle mathématique. Ce traité collectif en permanente révision, en constant enrichissement, répondait aux vœux de tous les mathématiciens, naturellement épris de construction harmonieuse et solide. Par-dessus le marché, il faut reconnaître que ce goût de la théorie bien construite convient à merveille à ce qu'on peut appeler, au moins pour la commodité 'du discours, l'esprit français: celui-ci se sent toujours mal à l'aise dans les domaines mal débroussaillés où les conjectures les plus inattendues peuvent être formulées. Aussi beaucoup de nos jeunes chercheurs préfèrent-ils apprendre de belles théories bien faites plutôt que de chercher dans des domaines ingrats. Toujours estil que dans ces dernières années, les anciennes conjectures importantes qui ont été démontrées l'ont été principalement par de jeunes mathématiciens américains, plus audacieux que les autres.

Quela remèdes voyez-vous à ces difficultés ? L.S. Pour ce qui est de l'opposition entre les besoins des grandes écoles et les besoins des facultés en étudiants de qualité, je vous ai dit que je vois se dessiner une évolution favorable vers un meilleur équilibre. L'autre difficulté est une question d'enseignement, d'orientation de notre pédagogie mathématique. Aux Etats-Unis, après avoir laissé longtemps la plus grande liberté à l'enseignement élé-

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The Pari. Revie.

Depuis treize ans The Paris Review maintient avec succès une même formule applicable à presque tous les numéros: une ou deux interviews d'une personnalité littéraire bien connue avec fac-similés de manuscrits, présentation d'un peintre ou sculpteur avec des reproductions de ses œuvres, enfin de nombreux textes anglaiS et américains. Eclectisme de The Paris Review: dans un même numéro des interviews et textes de Henry Miller, Ezra Pound, Samuel Beckett, Ingeborg Bachmann, André Maurois, Jorge Luis Borges. Une préférence exclusive n'est pas donnée aux célébrités; la revue est aussi ouverte à des écrivains et artistes qui ne sont guère connus_ A côté d'une interview d'Arthur Miller, de poèmes de LeRoi Jones, John Montague, Michael Benedikt, on trouvera dans la présente livraison, plusieurs nouveaux venus comme Rudolph Wurlitzer dont on remarquera la nouvelle, La Pieuvre. The Paris Review [Lawrence Bensky, Paris editor. 17 rue de Tournon, 6} Trimestrielle, 170, 200 pages, 5 F, Art

mentaire, on semble vouloir maintenant plus d'orga~sation dans les programmes: il y a des connaissances de base qu'il faut faire acquérir. De façon en 'quelque sorte symétrique, en France, où les programmes d'enseignement sont trop strictement conçus, il faudrait faire comprendre aux lycéens et aux jeunes étudiants qu'il y a, même en mathématiques, du champ pour « une certaine aventure ». De façon pratique, un cercle mathématique a fonctionné l'an derni~r aux lycées Condorcet et Paul-Valéry; des mathématiciens de la Faculté ont pris contact avec les futurs bacheliers de ces lycées et leur ont ouvert quelques perspectives sur des mathématiques « qui ne sont pas du programme du bac », mais qui n'en sont ni moins vivantes ni moins passionnantes. C'est une expérience à généraliser. Cela ne signifie pas, bien au contraire, qu'il ne faîlle pas, en même temps, 'f aire évoluer notre enseignemént tout entier selon les exigences conjuguées de la science et de la pédagogie!

Est-ce que nous ne nous éloignons pas de notre su jet, le congrès de Moscou ? L.S. Peut-être, mais un tel congrès est une bonne occasion pour les mathématiciens eux-mêmes de prendre conscience d'un problème singulièrement ardu: le grand public (et par conséquent les. jeunes étudiants) a droit à une information authentique sur la vie de la recherche mathématique d'aujourd'hui.

Nous vous sommes d'autant plus reconnaissants d'avoir bien voulu répondre à nos questions. En voici encore une: ce congrès avait lieu à Moscou; les mathématiciens ont-

ils eu l'occasion de préciser à cette occasion combien ils sont attachés à la liberté d'expression? L.S. Oui et de deux façons fort percutantes. Dès avant le congrès, M. Grothendieck, qui devait recevoir au congrès la médaille Fields, avait fait savoir aux organisateurs que, malgré son vif désir de participer à ces assises internationales, il refusait de se rendre au pays où Daniel et Siniavsky sont emprisonnés pour avoir voulu s'exprimer librement. Le professeur Smale, de l'université de Californie, a reçu lui aussi une médaîlle Fields ; connu comme leader du Comité Vietnam de Berkeley, il a tenu une conférence de presse sur la guerre du Vietnam, prenant une position très radicale ; et il a également stigmatisé la répression de la révolution hongroise par l'Armée Rouge en 19561•

Et maintenant, à quand le prochain congrès ? L.S. En 1970, à Nice. Pour la période de quatre ans qui nous en sépare, c'est notre collègue Henri Cartan qui a été élu Président de l'U .M.I. Lorsque des milliers de mathématiciens viendront du monde entier nous rendre visite, il dépend de chacun de nous, mathématiciens, et de la communauté de tous ceux qui enseignent les mathématiques, que nous ayons à leur présenter une école mathématique digne de notre passé et de nos espérances. Propos recueillis par G. Walusinski

1. Quel a été l'écho de la conférence de presse du professeur Smale dans les journaux moscovites? Je l'ignore. Par contre, dans le New York Times des 27-28 août 1966 les deux thèmes développés par l'éminent mathématicien sont relatés en détail. (G.W.)

ana

Literature

Art and Llterature, qui a bientôt trois ans d'existence, est très différente, la revue est belle (typographie de Pierre Faucheux) et comprend en encart de nombreuses reproductions d'œuvres plastiques. Elle est publiée en langue anglaise, mals elle comporte un bon tiers de traductions, du français, de l'allemand et de l'Italien surtout. Si un électlsme de qua,lIté peut définir The Paris Revlew, c est plutôt le mot • recherche - qui conviendrait à Art and Llterature. Ici ceux qui cherchent, là-bas ceux qui ont trouvé. Parce que Art and Llterature est, dans une certaine mesure, le porte-parole en Europe des peintres et écrivains de l'avant-garde new-yor' kalse. On trouvera dans le numéro 9. une excellente présentation du peintre cool Alex Katz par Frank O'Hara ; une étude de David Antin sur le nouveau paysage de D'Archangelo, un surprenant paysage de routes à lignes Jaunes, de panneaux, de barrières. IJ faudra s'arrêter à Yellow area, un tableau de Robert Mangold, rectangulaire et uniformément recouvert de Jaune: • Le plus intéressant -, dit sans rire L.R. Llppard qui commente l'exposition, car ces surfaces • ont une origine naturaliste - et même autobiographique -... Des poèmes de Peter Ouennell, WIlliam Burford, un acte de Gerard Malanga, des extraits du journal de Stephen ' Spender et un essai de Lawrence Gowlng sur la peinture de Turner. Parmi les étrangers notons la présence de Nelly Sachs, Eugenio Montale, Jean Vauthler et Robert Desnos. . Art and Llterature (J. Ashbery, A. Dunn, R. Moynihan, editors. 13 rue Payenne, 3) Trimestrielle 200-270 pages, 8,50 F. The Montparna... Berie.

The Montparnasse Revlew, jeune encore, en est à son deuxième numéro mais elle retient l'attention avec des poèmes de Patrick Bowles, Edouard Roditl, une Pièce en une scène d'Alfred Dhurssen, une nouvelle de James Ryan. Différentes de forme et d'Intention, ces revues ont un mérite certain et parfois des difficultés - à se maintenir en France et leur qualité est telle qu'elles devraient être mieux connues du public français. Ryan, editor. 261 bd Raspail, 14) 60-70 pages. 4 F. S. Fauchereau


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LETTRES

A « LA QUINZAINE»

Renseignement. Puisque vous déclarez préférer les critiques aux encouragements je me permets de vous donner mon opinion sur La Quinzaine littéraire. le rejoins certains lecteurs qui vous demandent de rester purement littéraire de donner des articles plus courts, de nouvelles rubriques, mais purement littéraires en excluant le cinéma, l'art pictural, etc. le vous renouvelle ma critique - ma lettre du 25-5 - concernant le désir de voir une analyse de livre comportant: Format, nombre de pages, prix de ce dernier. Vous avez certainement beaucoup de lecteurs provinciaux, ceux-ci ne peuvent acheter un livre en ignorant son prix, le nombre de pages, le format, et n'oubliez pas qu'il existe des lecteurs aimant la littérature, et ... peu argentés. G. Piou, Rezé-les-Nantes Nous avons déjà eu l'occasion de dire que nous n'avions pas le droit de donner. dans le corps du journal, le prix des ouvrages dont nous rendons compte. En revanche, ces prix sont indiqués dans la page bibliographique.

Picabia Salon des Surindépendants. Nous nous permettons de vous faire part de notre étonnement à la lecture d'un article relevé dans La Quinzaine littéraire (ler-15-10), intitulé: « Picabia-Dynamo n lequel précise à l'avant dernier paragraphe, page 6: « D'ailleurs, à la fin de sa vie, on le refusait encore au Salon des Surindépendants parce qu'il n'était pas dans la ligne. » Or, Picabia a exposé dans notre Salon durant quatre années consécutives. Nous vous prions de vouloir bien en conséquence ordonner un rectificatif à la prose signée: Jean-Jacques Lebel, dans l'un de vos prochains numéros. En effet. cette description infirme l'esprit de 'lOS statuts qui stipulent que les Surindépen. dants est un Salon sans jury et qui ac· cepte toutes les tendances. Le Président: Michel Devèzt'.

T.Uhard C'est avec le sentiment de respirer une bouffée d'air frais que j'ai trouvé dans ~otre dernière livraison l'article de P. B. Medawar, qui enfin ose expri,ner sur Teilhard une opinion dénuée de préjugés. Bien que je désapprouve le ton non privé de violence de ces propos, je les trouve entièrement justifiés. S'il nle paraît équitable de donner aussi la parole à un prosélyte de Teilhard, M. Tresmontant, celui-ci, malgré ses qualités éminentes de technicien de la philo· sophie, a été fort loin de me convaincre. Si la qualité de scientifique de Teilhard me semble incontestable dans le domaine de la paléontologie, qui n'est pas ma spécialité, elle ne s'étend aucunement au plan cosmique du Phénomène Humain. .'Vous souscrivons absolument à l'argument de M. Medawar, selon lequel Teilhard « ne sait pas ce qu'est un argument logique ou une preuve scientifique n. Nous ne contestons absolument pas l'am. vre paléontologique de Teilhard, mais ce Phénomène Humain débordant d'affirma· tions sans preuves, de présupposés, où l'auteur remplace les démonstrations par de, effets de style qui sont presque des calembours: « l'étoffe de l'univers », dont on découvrira avec une feinte sur· prise qu'elle a deux faces, avec des cour· bes « qu'on a tracées asymptotiques aa rayon de la terre n non pas en vertu d'une exigence de conformité à un phénomène. mais Il pour suggérer » une idée. Comme le dit si justement M. Tres· montant, Teilhard n'est pas non plus Ull philosophe. Que reste-t-il de Teilhard de Chardin? Une méditation théologique sur la nature qui fait de lui une sorte de fils spirituel de Bergson, d'un intérêt philosophique et

scientifique négligeable. et aussi un phé· nomène socio-littéraire causé peut-être par un désir naïf de cOllnaissance parmi le (( grand plLblic ll. Dr Wildcoats Arkham University, Mass, U.S.A. Toute l'attitude et l'œuvre de Teilhard de Chardin tiennent de ce fait que, chré· tien, il a voulu trouver dans les acquis des sciences positives une confirmation de sa vision du monde... Aussi a-t·il sollicité des disciplines dans lesquelles il n'était pas toujours compétent, et rassemblé un certain nombre de faits susceptibles de s'articuler en une synthèse adéquate de ses vues:.. Tentative dépourvue d'intérêt, cependant, parce qu'il est dans la définition même des sciences positives de ne pouvoir infirmer - ni confirmer - une foi. La science n'a rien à dire de cet ordre, et pour fonder une foi, une éthique et une théologie suffisent! Teilhard de Chardin aurait dû être théologien pour éprouver la suffisance de sa foi, et lire Kant pour ne pas prétendre obtenir des sciences ce qu'elles ne peuvent donner ... M. Domeignez, Lyon Ayant lu votre débat au sujet de Teil· hard de Chardin, je me permets de vous féliciter de votre objectivité; et même de votre courage: car il est en général im· possible d'émettre en France la plus lé· gère critique touchant à ce « Divin Jésuite ll. Comnte je suis un vieil ingemeur de Recherche, ayant pratiqué des domaines divers (ce qui nt'a évité l'abrutissement de la spécialisation) et ayant beaucoup pratiqué Teilhard de Chardin, les étu· diants de la Faculté des Sciences d'Orsay m'avaient demandé une causerie à ce sujet. Cette causerie n'a pu avoir lieu car j'ai dû me précipiter à Vancouver (Colombie britannique) pour y défendre avec succès - mon câble sous-marin 300.000 volts. /'avais rédigé le texte de cette causerie que je vous adresse à toutes fins utiles. J.·M. Oudin, Lauréat Institut de France et Académie des Sciences. Electeur CNRS, catégorie A groupe 3, Lyon. Nous ne pouvons malheureusement re, produire la causerie de notre correspon· dant. Il entend opérer une distinction entre Teilhard et le « teilhardisme », pour condamner le premier avec réserves et nuances, le second, sans appel: « opium du peuple et tranquillisant idéal pour la plèbe des sous.développés intellectuels qui, dans la Civilisation future seront de plus en plus voués au conditionnement infor· mationnel ll.

Baudelaire A propos de l'article de S. de Sacy,

Je regrette la Quinzaine Historique! J'ai toujours aimé les citations. Citer est, avant tout, désir d'écrire, mais tout aussitôt, renon· cement: dans un texte étranger, j'ai trouvé l'expression idéale de mon désir. Pourquoi, si je désire écrire: « Les crocodiles couchés sous les tamarins du fleuve exhalent une odeur d'ambre» l'écrirais· je autrement que Chateaubriand, qui l'a écrit? Et comment le pour· rais.je, puisque Chateaubriand, etc. Je m'interroge. Que de fois, m'asseyant devant la page blanche, ai.je écrit cette phrase véridique: « Longtemps, je me suis couché de bonne heure »! au dessous de quoi, j'écrivais mon nom. Et j'enchaînais: « Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n'avais pas le temps de dire: je m'endors. » Que de fois! Je n'ai pas de souvenirs d'enfance. Si quelqu'un veut savoir l'enfant que j'ai été. quels furent mes ré· veils. dans quelle chambre, qu'il lise A la Recherche du Temps Perdu: voilà ce que j'avais à dire. Ceci n'est pas vrai seulement pour l'enfance. Il y a quelques an· nées, tel Swann, je m'entichai d'une femme qui n'était pas mon genre. Elle avait certaine inclination pour ses semblables. Je l'ignorais. Les faits crevaient les yeux. Je ne les voyais pas. Je l'appris, par hasard, en relisant, un soir, l'interrogatoire que fait subir Swann à Odette, et les réponses que fait, d'un ton voyou. Odette à Swann : Venez voir le reflet de la lune sur le lac. «( Sans blague!» Je voyais bien où elle voulait en venir etc .. . phrases qui m'éclairèrent cruellement, à propos d'un récit que cette jeune femme venait de me faire et dont le mot· clé fut : « J'ai posé. » Il .y eut aussi cette jeune fille aux bonnes joues que je tentai de sé· questrer. Cet esclavage, auquel cette jeune fille consentit avec une scandinave paresse, et dont ma femme et moi étions également heureux, prit fin subitement: un matin, nous trouvâmes ]a chambre vide. La prisonnière s'était enfuie.

Je me vis mal lançant quelqul" Aimé à sa poursuite, et faisant explorer, à prix d'or, les cabines de bain, non de Balhec, mais de la piscine Deligny. Ces événements se passaient en 1960. Depuis l'an dernier · - cinq ans après - cette jeune fille cherche à revenir, et il lui arrive de passer une partie de sa soirée, sinon de sa nuit, assise sur la première marche de l'escalier, devant notre porte. J'ouvrirais bien. Ma femme s'y refuse. Pour elle, qui part, meurt. Cette jeune fille, quoique vivante, est morte. Il en est de même dans le Temps Perdu. Je sors de chez moi, je vois la jeune fille assise sur l'escalier, je touche ses cheveux, je ne dis rien, je passe, et, dans la rue, je me répète le télégramme que reçut, de Mme Bontemps, le Narrateur: Mon pauvre ami, notre petite Albertine n'est plus, pardonnez. moi de vous le dire, vous qui l'aimiez tant. etc.. . Le roman est plus vrai que ma vie même. Je rêve d'un roman qui serait fait de citations. Ces citations seraient comme d'immenses pans de murs. sur quoi s'élèverait, étrange et ana· logue, l'œuvre. Les mots m'ont fait. De littérature, j'ai fait ma vie. Saurai.je, de ma vie. faire de la littérature? ...

28 septembre. Breton meurt, grand poète délaissé. Il avait voulu ( changer la vie» par l'écl'iturf'. Or une part importante de la lit· térature, aujourd'hui, ne désire plus changer la vie, mais, consi· dérant l'écriture elle-même comme fin, elle s'abîme dans la contem· plation de son propre acte. Elle abandonne ainsi le monde à d'obs· curs spécialistes de la politique et de la foule, cependant que les lit· térateurs, à qui tout ce qui est humain, si l'on excepte l'écriture, devient étranger, tendent à former une classe de scribes, innocente, illustre, et inutile. Impossible in· nocence, me semble·t-il: de Platon à Breton, l'acte d'écrire n'est pas moins littéraire que politique. Séparer la littérature de la politique, c'est faire la politique des autres. Pierre Bourgeade

« Baudelaire remis en ordre », paru dans

La Quinzaine du 1" octobre, nous rece· vons une lettre de M. Henri PIard, pro· fesseur à la Faculté de Philosophie et Lettres de l'Université libre de Bruxelles. M. PIard signale qu'en choisissant comme texte de base, pour les Fleurs du mal. celui de la première édition (1857), Yves Florenne n'a fait que reprendre le parti adopté dès 1918, chez Gallimard, par F .F. Gautier et Y.·G. Le Dantec. Nous donnons acte à M . Henri PIard i de cette mise au point, dont nous le re· mercions. Toutefois, notre collaborateuT : Samuel S, de Sacy nous fait remarquer que le point de vue de F.F. Gautier a été abandonné par Y.·G. Le Dantec dans ses éditions ultérieures. M. Claude Pichois, qui est sans doute le plus savant de nos baudelairiens actuels, n'y est pas revenu lorsqu'il a refait récemment le Baudelaire de la Pléiade (non plus d'ailleurs que dans ses autres éditions des Fleurs du mal) ; non plus que M. Marcel A. Ruff, dans son édition de 1957 chez Pauvert. Si Yves Florenne n'a pas « inventé », il garde le mérite d'avoir « réinventé ». après un demi·siècle.

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 novembre 1966.

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DROITS D'AUTEUR

L'ouvrage de A.E. Hotchner, Papa Hemingway que publie, ce mois-ci, le Mercure de France (Mrs Hemingway, la veuve de l'écrivain, a demandé à tous les éditeurs de son mari, dans tous les pays, de s'abstenir de publier ce livre) a fait l'objet d'un curieux procès aux Etats-Unis, devant la Cour Suprême du Comté de New York-l. Devant le juge Harry B. Frank J, Mrs Hemingway avait demandé en référé que soit Interdite la publication du livre de Hotchner en invoquant d'une part, le secret de la vie privée et d'autre part, le droit de propriété littéraire (droit d'auteur) sur les déclarations faites li Hotchner par son mari. L'auteur ou, li défaut, ses héritiers, ont en effet le droit exclusif de publier une œuvre. Dans le cas présent, Mrs Hemingway prétendait donc que les propos tenus par Hemingway - enregistrés ou notés par Hotchner - faisaient partie de l'œuvre de l'écrlvaln_ En outre, la veuve alléguait qu'elle préparait elle-même un livre sur son mari et que- Hotchner lui faisait une concurrence déloyale. La Cour, après avoir remarqué que la plaignante, étant la veuve d'un auteur Illustre, lauréat du Prix Nobel et du Prix Pulitzer, se trouve dans la catégorie des newsworthy persona litles (personnalités dont les faits et gestes relèvent du domaine de l'Information) et des figures of public Interest (personnes qui attirent sur elles l'intérêt du public) ce qui les place en dehors des lois protégeant le secret de la vie privée. La Cour ajoute que l'interdiction demandée par Mrs Hemingway est une mesure si radicale qu'elle ne peut être prononcée que sur le vu de droits clairement fondés sur des faits Indiscutables, d'autant plus qu'il s'agit d'une procédure d'urgence. Le juge constate ensuite que la plaignante « veuve d'un auteur de renommée mondiale, cherche à faire Interdire la publication d'un livre tenu pour une étude biographique, qui porte sur une partie de la vie de l'écrivain, et allègue outre la concurrence déloyale un abus de la confiance Impliquée par des rapports amicaux et confiants, mals n'apporte pas la preuve de ses droits clairs et irréfutables à l'interdiction qu'elle sollicite. ,. Il commente ainsi cet attendu: « La 101 ne protège le secret de la vie privée que si les révélations obéissent à des fins publicitaires ou purement commerciales •• (A noter, en passant, que la Justice ne considère pas le témoignage de Hotchner comme • commercial •. ) Il ajoute d'ailleurs que « le secret de la vie privée ne s'applique pas ordinairement aux ouvrages biographiques Important., qu'Ils soient ôu non -autorisés par l'intéressé •. Quant li « l'allusion faite par la plaignante aux déformations de certains faits, sans plus de précisions ni de détails, elle ne, suffit nullement à établir que le livre contient des affirmations fausses ou dénaturées susceptibles de Justifier le recours devant les tribunaux •• Quant au droit de propriété littéraire, le juge le définit, en l'espèce, comme celUi qu'a l'auteur de publier ou au contraire d'Interdire la publication de ses œuvres Inédites, aussi longtemps qu'II le jugera bon. Dans ce cas particulier, Il fallait trancher un point de droit extrêmement douteux: les propos tenus par un écrivain fO'nt-lls partie de son œuvre? Il faut bien dire que l'on se trouve Ici devant une décision de principe fort épineuse et c'est tout le nœud du procès. Il existe des précédents Illustres qui n'ont certes jamais donné lieu li litige mais qui tendraient li faire croire que les déclarations verbales d'un écrivain font parfOiS partie de son œuvre et sont, au contraIre, en d'autres circonstances la propr.iété de qui les rapporte.

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PABIS

le WesselDlann et , . .. nu alD.erlCmn

Wesselmann: Nu, 1966.

Lorsque Munet exposa Olympia, au Salon de 1865, le scandale provoqué par le tableau n'était pas dû seulement au style d'esquisse qu'introduisait alors l'artiste, mais au sujet représenté : un corps de femme, concret et palpable, au lieu de ces nudités exsangues vouJues par le goût académique. Son œuvre coupait de manière définitive avec l'idéalisation narrative, fondée ellemême sur l'imaginaire culturel historique et religieux - dont l'Occident s'était nourri depuis la Renaissance. L'intensité des couleurs, la solidité de la touche que les contemporains du peintre tenaient pour de la simple maladresse ne revêtirent de signification que dans la mesure où celui-ci tentait de donner à voir, une première fois, la r~alité sans voile du monde dans lequel nous vivons. Aujourd'hui qu'un siècle s'est écoulé, cependant, et que d'autre8 académismes sont nés qui masquent à nouveau le visible, il était devenu urgent que la peinture renoue avec la réàlité moderne. Là- réside l'importance de la nouvelle peinture américaine et, en particulier, celle de Wesselmann dont la première exposition parisienne s'ouvre cette semaine rue Mazarine1• Ce que cherche à exprimer Wesselmann, en effet, c'est l'environnement entièrement neuf de l'homme au sein de la société d'abondance. Il n'hésite pas à prendre pour thème de ses œuvres des au~os et des salles de bains, à effectùer des montages où interviennent des bouteil. les, des horloges, des transistors, des éclairages électriques adossés à . des panneaux qui éVC?quent des décors de cuisines. Lorsqu'il se tourne du côté du corps humain, d'autre part, il peint des nus tour à tour érotiques ou monstrueux, étendus la tête renversée en arrière, les seins provocants ; il les nomme Grand nu américain et il en numérote la série.

Sa peinture nous met face à face avec un archétype : celui de la pin up imposée par la publicité cinématographique, que les magazines illustrés reproduisent à des dizaines de millions d'exemplaires et dont nous reconnaissons la réplique jusque chez l'étudiante ou la vendeuse de monoprix. Au même titre que Manet - ou Matisse - Wesselmann doit d'abord être compris comme un artiste réaliste, car les personnages qui figurent dans ses tableaux sont ceux-là mêmes que nous voyons sur les plages durant nos vacances, que nous croisons et suivons des yeux dans la rue et dont l'image pénètre dans nos foyers par le truchement de nos épouses et de nos filles. Il y a, certes, « la femme lI, mais elle recouvre une notion abstraite, qui n'est jamais qu'au passé et de laquelle nous gardons une inépuisable nos-

Wésselmann: Nu, 1965.

talgie. Wesselmann, au contraire, nous montre « la poupée » ou si l'on préfère, en termes marxistes, ({ la femme réifiée li, c'est-à-dire la femme « inadjective » au sens que Robbe-Grillet donne à ce terme, telle qu'elle existe réellement, conçue et réalisée par notre société. Il utilise, pour y parvenir, un métier presque classique où jouent les imbrications précises d'aplats colorés, les emboîtements de formes, la netteté du tracé. Il s'efforce de donner l'impression d'une intensité objective, ainsi qu'il pouvait arriver dans la tradition lorsqu'un peintre cherchait la ressemblance ou appliquait avec une rigueur extrême les lois de la perspective. Mais aussi, devant la réalité nouvelle qui le fascine et qu'il veut néanmoins saisir, Wesselmann demeure comme étonné. Ses salles de bains, par exemple, où des blondes et des brunes somptueuses apparaissellt dans des baignoires de faïence, ne représentent pas seulement le décor quotidien de notre vie moderne, mais font glisser ce décor dans une sUl·réalité. L'artiste ne se contente pas de décrire. Sa description, à l'inverse, vise à ruiner le monde des objets, à le décentrer, à installer le doute au sein de la perception objective, un peu à la manière du bâton qu'on plonge dans l'eau et que l'œil ne pourra jamais recol· 1er. Sur le plan du nu, son réalisme se conteste de l'intérieur dans la mesure où il peint, au lieu de la .femme, un objet fabriqué. Le costume baroque, on le sait, avec ses rubans, ses drapés, ses nœuds, ses dentelles, de même que l'utilisation de la perruque procèdent moins du goût immodéré d'un luxe ostentatoire que du projet de casser, parce qu'elle est périssable, la forme humaine. Le baroque est une transcendance dans l'ordre matérialiste: Il exige que le visible se dépasse vers un au-delà du visible qui doit être lui-même visible. Au siècle du maquillage et de la chirurgie esthé-


Succès d'Octobre SUCCÈS DI: VENTE

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5 6 7 8 9

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T. Capote J.-P. Chabrol Uderzo - Goscinny Casamayor V. Leduc A.- Maurois J. Orieux G. Bataille P. Bodin J. Lartéguy

De Sang-froid La gueuse Astérix chez les Bretons Le Prince Thérèse et Isabelle Lettre ouverte à un je}l-ne homme Voltaire Ma Mère Une jeune femme Sauveterre

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3

7 6 2 7

3

1 7 4

SUCC~S DE CRITIQUE D'après les articles publiès dans les principClUS quotidiens et hebdomadaires parisiens.

1 2 3 4 5 6 7 8 9

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Clara Malraux Michel Leiris Janine Brégeon Suzanne Prou Réjean Ducharme T~man Capote Christine Arnothy Roger Rabiniaux J.-P. Chabrol Raymond Jean D. de Roux

Nos vingt ans Fibrilles Une journée inutile Les Patapharis L'avalée des avalés De Seing-froid Le jardin noir A' la chaleur des hommes La gueuse Le village La mort de L.F. Céline

Grasset Gallimard Gallimard Calmann-Lévy Gallimard Gallimard Julliard Suchet-Chastel Plon Albin Michel Bourgois

LA QUINZAINE LITT~RAIRE VOUS RECOMMANDE Romans françaçis Wesselmann: Grand nu américain, 1965.

t!que, W esselmann r~présente le corps féminin comme s'il était le costume de la femme, sans défaut, sans rides, échappant à l'usure de l'âge. Il le représente et en souligne la vanité. Nous nous situons à l'opposé du Dubuffet de l'époque des Corps de clames. Par l'utilisation des griffures, des tumescences, des empâtements, il s'agissait alors pour le peintre de montrer une bonne fois l'humanité nue, de l'installer dans sa vérité : le flux et le reflux de la vie. Wesselmann, pour sa part répand - dans son ambiguïté - un mensonge : celui de l'homme contemporain submergé par la profusion des gadgets et des biens de consommation. C'est pourquoi les fleurs tout à coup se figent dans l'angle de ses tableaux, tandis que les fruits deviennent des imitations si parfaites qu'ils semblent faux. C'est pourquoi, coincée dans un univers artificiel, la personne humaine devient elle-même artifice. Le réalisme inauguré par Manet se retourne ici en son contraire. Le

Grand nu américain a beau sourire de toutes ses dents : il n'en constitue. pas moins un défi et un avertissement. Dès lors qu'on envisage le problème de l'art au sein de notre civilisation technicienne, on pense immédiatement rythmes, pulsation, monumentalité. On en revient toujours à la vieille idée du fonctionnel et de la beauté nécessaire liée aux choses utiles, telles que les paquebots, les ponts, les locomotives: On évoque Delaunay, Léger. L'avancement des sciences, toutefois, engendre une humanité mythique qu'exprime Wesselmann. Avec lui une page de la peinture est tournée. Ce à quoi renvoient ses nus, qu'ils soient peints avec minutie ou exécutés en polyester, transparents et éclairés par derrière comme - des enseignes lumineuses, c'est moins à la tradition de Vélasquez ou de Cézanne qu'à celle du Jules Romain de la Salle des Géants, à Mantoue, et de Scamozzi. Jean-Louis Ferrier 1. Galerie Sonnabend; 12, rue Mazarine; à partir du 3 novembre.

La Quinzaine littéraire, du 1"' au 15 novembre 1966.

Pierre Bourgeade José Cabanis Réjean Ducharme Jean-Claude Hémery Maurice Roche

Les Immortelles La bataille de Toulouse L'avalée des avalés Curriculum vitae Compact

Gallimard Gallimard Gallimard Denoël Seuil

Fibrilles Nos vingt ans

Gallimard Grasset

Actes Picabia France, marchande d'églises La mort de L.F. Céline

Gallimard Seghers Gallimard Bourgois

Rationalité et irrationalité en économie Louis XIV et vingt millions de français

Maspéro

Souvenirs Michel Leiris Clara Malraux

Essais Michel Deguy Pierre de Massot Brice Parain D. de Roux

Histoire et Economie Maurice Godelier Pierre Goubert

Fayard

Art Wilhem Fraenger Jacques Soustelle

Le royaume millénaire de Jérôme Bosch L'art du Mexique ancien

Denoël

Correspondance, t. -4

Garnier

Arthaud

Classiques Balzac

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TOUS LES LIVRES

ROMARS rRANçAIS

Georges Michel Les timides aventures d'un laveur de carreaux Bernard Grasset, 12 F Un antl-héros moderne.

Bertrand d'Astorg La Jeune fille et l'astronaute Seuil, 12 F Un couple dans le monde moderne.

Irène Monesl Nature morte devant la fenêtre Mercure de France, 256 p., 18,50 F L'obsession de la haine et de la solitude.

Pierre Bourgeade Le. Immortelle. Gallimard, 168 p., 10 F Dix-huit portraits de femmes.

José Cabanis La bataille de Toulouse Gallimard, 6,50 F Voir dans notre n° 14 l'article de D. Fernandez

Flora Cés Pénélope de Mantoue Denoël, 192 p., 10,30 F Une femme d'aujourd'hui qui ose demeurer une femme d'hier.

Jean Chalon Le. couple. Involontaires Flammarion, 233 p., 12 F la volupté et le bonheur vus par un esprit picaresque.

Edmonde Charles-Roux Oublier Palerme Grasset, 17,50 F Des Siciliens à New York.

Gary-lasparn Bienheureux ceux qui dorment Niles Ed. Debresse, 383 p., 25,50 F Un philosophe et ses phantasmes.

Paulette Houdyer

Le diable dan. 1. peau Julliard, 320 p., 20 F Le dossier complet du crime des sœurs Papin.

Léna Leclercq Une poignée de vieillard. Gallimard, 14 F L'ennui fructueux d'une fille de vingt ans au milieu de ses grands-parents italiens.

Marle Mauron ChAteaux de carte. Seghers, 232 p., 12 F Histoire d'amour en Provence.

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Elisabeth de Neyrat La nuit polonal.e Gallimard, 216 p., 12 F Le retour à la vie d'une réfugiée politique grecque à Berlin-Est.

Catherine Paysan Les feux de la Chandeleur Denoël, 224 p., 12,35 F Par l'auteur de "Nous autres les Sanchez-.

Colette Peugnlez Sarah Cortez Seghers, 240 p., 12 F L'amour opiniâtre de deux êtres que tout sépare .

Robert Quatrepoint Oméga Denoël, 608 p., 21,60 F Le monde hallucinant de demain.

Michel Savignac L'Isoloir Mercure de France, 120 p., 5,40 F Une Investigation sur le silence et l'échec.

Pierre Silvain La fenêtre Mercure de France, 200 p., 12,35 F Le drame, entièrement dialogUé, d'un aveugle qui réinvente une -femme.

Jean-Pierre Viala Le ce888Z-I.feu Seuil, 12 F Après la guerre d'Algérie, la méditation d'un sursitaire appelé sous les drapeaux.

Gabriel Veraldl Le. e.plons de bonne volonté Denoël, 416 p., 14,40 F Réalités secrètes de notre époque.

Yves Véquaud Le voyage en écriture Gallimard, 184 p., 10 F La crise de la trentaine et son Issue : la création. Voir l'article d'A. Clerval p. 7.

Bernard Waller Une femme en ville Gallimard, 13 F La métamorphose d'une provinciale au cours d'un voyage à Paris.

LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

Brian W. Aldlss Barbe-grlse trad . de l'anglais par C. Saunier Denoël, 240 p., 6,15 F Après la guerre atomique.

Granby Blackwood Un sang mal mêlé trad. de l'anglais par J. Bernard Coll. Lettres Nouvelles Denoël, 224 p., 15,40 F La vie douloureuse d'un métis.

Pearl Buck Contes d'Orient Stock, 264 p., 16,50 F Un recueil de contes populaires et féériques dont l'auteur explique le symbolisme.

Josué de Castro De. hommes et des crabas trad. du portugais par Ch. Privat La faim dans les bidonvilles de Recife.

Mlklos Domahldy Les seize verrous trad. du hongrois par L. Gara et A.-M. de Baker Albin Michel, 208 p., 12 F Un groupe d'hommes quittent clandestinement leur pays.

Patricia Highsmith L'homme qui racontait des histoires trad. de l'américain par Renée Rosenthal Laffont, 312 p., 11 F Tragédies domestiques dans un cottage anglaiS.

Jack Kerouac Big Sur t rad . de l'anglais par Jean Autet Gallimard, 16 F. Un chapitre de la vie du roi des beatniks .

Helnar Klpphardt Joël Brand, Histoire d'une affaire trad . de l'allemand par M. Cadot Arche, 9 F Par l'auteur du " Dossier Oppenheimer ".

Mario Lacruz Tard dans l'après-midi trad . de l'espagnol par D. Eyquem Laffont, 288 p., 16,50 F La fascination du passé .

Philip Roth Laisser courir trad . de l'anglais par J. Rosenthal Gallimard, 42 F Une violente satire de la société américaine.

Erwin Strlttmatter Une tête pleine d'abalIIes trad. de l'allemand par Claude Prévost Editeurs Français réunis, 408 p., 18,60 F Un don Quichotte est-allemand.

Renzo Zorzl Une histoire de poules trad. de l'Italien par Armand Monjo E.F.R., 324 p., 15,45 F La lutte des partisans Italiens en 1944.

Joseph E. Garland Le solitaire du large trad. de l'américain par Gilles Malar Denoël , 288 p., 18,50 F La vie d'un célèbre marin .

Peter Hartllng Nlembsch ou l'Immobilité trad. de l'allemand par B. Lortholary Seuil, 12 F Prix des critiques allemands 1965.

Bertolt Brecht Poèmes, tome 4 Arche, 240 p., 15 F Poèmes entre 1934 et 1941 .

Pierre Emmanuel Ligne de faîte Seuil , 239 p., Choix de poèmes présentés par l'auteur.

Gérard Le Gou,,, Les bruits anciens Chambelland, 72 p. Poèmes en prose.

HISTOIRE LITTÉRAIRE CRI·TIQUE

Clément Borgal Anouilh, la peine de vivre Centurion, 200 p., 12,35 F Une analyse minutieuse et méthodique.

C. Maurice Bowra Chant et poésie des peuples primitifs Payot, 296 p., 28 F Les premiers aspects de l'art du verbe.

Jacques Cabau La prairie perdue histoire du roman américain Seuil, 19,50 F De la révolution des années 20 à la mutation actuelle.

Etlemble Poètes ou faiseurs? (1936-1968) Gallimard, 25 F 4' tome de "L'hygiène des lettres - .

G. Lanson Essais de méthode critique et d'hIstoire littéraire Hachette, 479 p.

Les chefs-d'œuvre de l'amour sensuel Planète, 480 p., 43,15 F De Ronsard à Sade, de Baudelaire à A. France.

Georges Badin Traces Mercure d :'rance, 72 p., 10,80 F Premier recueil d'un jeune poète.

Arnaud de Mareuil Lanza dei Vasto Seghers, 200 p., 7,10 F L'auteur du " Pélerlnage aux sources - .

Paul-Louis Mignon Le théâtre d'aujourd'hui de A à Z L'Avant-Scène éd. Michel Brlent et Cie 804 p. Un panorama du théâtre moderne.

Edith Mora Sapho Histoire d'un poète Flammarion, 462 p., 30 F Une traduction intégrale de l'œuvre de la première femme poète .

Michel Random Les puissance. du dedans Denoël, 448 p., 29,80 F Luc Dietrich, Lanza dei Vasto, René Daumal, et Gurdjieff.

Arthur Rimbaud dans les collections municipales de la bibliothèque du Musée Edité par la ville de Charleville, 260 p. ronéotypées (500 ex. hors commerce) Catalogue des richesses rimbaldiennes de Charleville.

ESSAIS PHILOSOPHIE

Jean Capelle L'école de demain reste à faire P.U.F., 266 p., 9 F.

Georges Charbonnier Entretiens avec Pierre Agraln sur l'homme de science dans la société contemporaine P.U.F. Coll. "A la pensée - .

E.R. Dodds Les Grecs et l'Irrationnel Aubier-Montaigne, 308 p. Le rôle de l'Irrationnel dans une culture vouée au rationalisme.

Leopold Flam Le crépuscule des dieux et l'avenir de l'homme P.U.F., 304 p., 30 F Faisant suite à "L'homme et la conscience tragique ", une étude des problèmes de l'historicité.


Ouvrages publiés entre le 5 et le 20 ootobre

A. Journaux, P. Desftontaines et M. Brunhes-Delamarre Géographie générale Encyclopédie de la Pléiade, 1.900 p., 66,80 F Introduction à la géographie physique.

Jean Cassou La découverte du Nouveau Monde Albin Michel, 432 p., 24 F La révolution de la Renaissance.

Claudine Mordrel Roger Benjamin L'éducation du couple et des parents Centurion, 13,90 F Un psychologue et un sociologue font le point.

Brice Parain France, marchande d'églises Gallimard, 6 F Voir p. 3 l'article de F. Châtelet.

Brice Paraln Entretiens avec Bernard Plngaud entretiens radiophoniques Gallimard, 9 F Voir p. 3 l'article de F. Châtelet.

Elle Wiesel Les Juifs du silence Seuil, 7,50 F Le dossier des Juifs d'U.R.S.S. Voir page 6, notre Information.

POLITIQUE HISTOIRE

Michel Bar-Zoar Ben Gourion, lé prophète armé Fayard, Biographie appuyée sur les carnets Intimes de l'homme d'Etat israélien.

Jacques Bourgeat Micheline Dupuy 1,000 petits faits vrais Hachette, 352 p., 16 F. Mille réponses sur l'Histoire et la petite histoire.

Yann BreklIIen La vie quotidienne des . peysans en Bretagne au XIX' slkl. Hachette, 368 p., 15 F ' Un passé qui explique le présent.

CLASSIQUES

Antonin Artaud Le théâtre et son double Idées.

Jean Dautun La relève de "or Société (Seuil).

Balzac

Alexandre Dumas Le docteur mystérieux Marabout

Philippe Erlanger Le Régent Livre de Poche.

Anatole France Monsieur Bergeret à Paris Livre de Poche.

Etiemble Confucius Idées.

Fromentin Dominique Livre de Poche.

Georges Friedmann Sept études sur l'homme et la technique Médiations.

La comédie humaine, Jean~acques

Nathan Leites La règle du Jeu à Paris préface de R. Aron Mouton, 305 p., Les grandes tendances de sensibilité en France contempo.raine.

Jean Trouillard Proclos Eléments de théologie Aubier-Montaigne, 193 p. Traduction et présentation du grand penseur néo-platonicien.

Faust Le Brésil, une Amérique pour demain Seuil, 15 F Les ressources et les problèmes d'une civilisation du métissage.

Alan W. Watts Amour et connaissance Gonthier, 192 p., 12,85 F Inspirée du bouddhisme Zen, une mise en question de la pensée occidentale.

ART RBLIGION OCCULTISME

André Bareau , W. Schubring, C. von Fürer-Haimendorf Les religions de l'Inde Payot, 336 p., 30 F Coll. • Les religions de l'humanité - .

Grillot de Givry Le musée des sorciers, mages et alchimistes Tchou, 450 p., 400 gravures, 54 F Les théories ésotériques. Réédition Guide de Paris mystérieux Tchou, 768 p., 15 plans et cartes, 600 grav. et photos. Une véritable encyclopédie à laquelle ont collaboré une vingtaine de spécialistes.

GrégOire Lemercier Dialogues avec le Christ Bernard Grasset, 16 F L'histoire du monastère en psychanalyse de Cuarnavaca.

Gershom G. Sholem Les origines de la Kabbale trad. de l'allemand par Loewenson Aubier-Montaigne, 527 p. Dans la coll. «Pardès consacrée à des études et des textes de mystique juive.

Georges Tavard Les catholiques américains. " nouvelles frontières" Centurion, 9,90 F La nostalgie du divin dans une civilisation technocrate.

Robert Tocquet Bilan du surnaturel Planète, 256 p., 17 F Métapsychique et parapsychologie.

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 novembre

1966.

Wilhelm Fraenger Le royaume millénaire de Jérôme Bosch trad. de l'allemand par Roger Lewinter Dossiers des Lettres Nouvelles Denoël , 272 p., 26,70 F Voir p. 16, l'article de J. Peignot.

Jean Giono Le déserteur Fontainemaure , Lausanne (dift. par la Société Française du Livre) 168 p., 30 pl. couleurs Les peintures naïves et admirables d'un homme traqué du 19' siècle.

E.A. Gutkind Le crépuscule des villes trad . de l'américain Stock, 208 p., 15 F Une mise en question de l'aménagement des villes et un programme d'action.

S, 6 et 7 présentation et notes par P. Citron . Coll. • L'intégrale » Seuil, 16 F le vol. Les trois derniers volumes de l'oeuvre, avec un index et une bibliographie des principales études balzaciennes.

Balzac Correspondance, tome IV Garnier, 960 p., 30 F.

Théophile Gautier Le roman de la momie Garnier-Flammarion. Théophile Gautier Mademoiselle de Maupin Garnier Sélecta, 14 F.

Eugène Sue La salamandre Denoël, 288 p., 18,50 F Un roman méconnu de l'auteur de - les Myst ères de Paris -

André Gide Si le grain ne meurt Livre de Poche.

Alfred Hitchcock Histoires à ne pas lire la nuit Livre de Poche.

DIVERS

Paul Morand Ouvert la nuit. Livre de Poche. Nietzsche La généalogie de

Jean Fondin La compétition automobile 1894-1966 Denoël, 296 p., 49,30 F Sa chronique quotidienne et sa légende.

Guy Mountfort

Maurice Pianzola Les Renaissances Planète, 73,50 F Etude de l'histoire de l'art et des civilisations de 1500 à 1700.

trad. de l'anglais Stock, 264 p., 127 il 1., 33 F

Le récit d'une expédition scientifique en Jordanie.

5.000 vignettes françaises fin de siècle Préface de Messin Pauvert, 256 p., 5.000 clichés, 70,40 F Les vignettes typographiques les plus originales du catalogue Peignot.

MUSIQUE FORMATS DE POCHE Pierre Schaeffer Traité des objets musicaux Seuil, 45 F Album de 3 microsillons d'accompagnement, 55 F Le résultat de quinze années de travaux, au Groupe de Recherche musicale de l'O.R.T.F.

René Jeanne et Charles Ford Histoire illustrée du cinéma Marabout T. 3. Le cinéma depuis la guerre.

Francis Jeanson Sartre Desclée de Brouwer.

Musset Poésies et poésies nouvelles Livre de Poche.

Louis Pauwels L'amour monstre Livre de Poche.

La vie d'un désèrt

Philippe Minguet Esthétique du rococo Vrin, 304 p., 36 ill. Le baroque et son histoire.

Gilbert Guillemlnault Le roman vrai de la III' République Livre de Poche.

Roger Peyrefitte Du Vésuve à l'Etna Livre de Poche.

Daniel-Rops L.'ombre de la douleur livre de Poche.

Georges Picca Pour une politique du crime Société (Seuil).

Geneviève Rodis-Lewis Descartes et le rationalisme Oue sais-je.

Divers

Ginette Mathiot Pierre Schoendorffer La 317' section Livre de Poche.

La cuisine de tous

Jules Verne L'ïle mystérieuse Livre de Poche.

Laurence Pernoud J'attends un enfant Livre de Poche Pratique.

Essais

Edmond Petit Histoire de l'aviation Oue sais-je.

Henri Casai et Pierre Vajda Les pièges de l'épargne Société (Seuil).

M.F. de La VlIIehuchet Guide du tricot Livre de Poche Pratique.

Littérature

Aristophane Théâtre, tome 1 et Il Garnier-Flammarion

la morale Idées.

les pays Livre de Poche Pratique .

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