La Quinzaine littéraire n°32

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Numéro 32

15 au 31 juillet 1967

Une journée chez

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Howard Hawks: Faulkner et le cinéma

Joyce à Dublin .Mendès France ..Artaud Derrida . •Histoire du Far West .Hannibal

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SOMMAIRE

1

LE LIVRB DB LA QUINZAIN.

Antonin Artaud

Œuvres complètes (Tome VII)

par Henri Ronse

5 8

LITTBRATURE FRANÇAISE

Victor Serge Jacques Chessex

Les révolutionnaires La confession du Pasteur Burg

par Gilbert Sigaux par Claude Michel Cluny

fi

ENTRETIEN

9 10 11

LITTÉRATURB ÉTRANGÈRE

12 13

Une journée chez Soljenitzine

William Faulkner José Cardoso Pires William Goyen

Les chasseurs Joyce à Dublin Histoires diverses L'invité de lob En pays lointain

par par par par par

Per Olof Sundman

C.G. Bjurstrom Jacques Aubert Serge Fauchereau Georges Piroué Jean Wagner

14

HISTOIRE LITTÉRAIRE

Jean Cordelier

Mme de Sévigné par elle-même

par Samuel S. de Sacy

18

ART

Ed. et J. de Goncourt

par Antoine Schnapper

Jacques Thuillier John Russel

L'art du dix-huitième siècle et autres textes sur l'art Fragonard Seurat

PHILOSOPHIE

Jacques Derrida

L'écriture et la différence

par Fr~nçois Wahl

HISTOIRE

Gilbert Charles-Picard James J.Y. Liu

Hannibal The chinese kinght errant L'orchestre rouge Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français

par par par par

25

POLITIQUB

Jacques N antet

Pierre Mendès France

par Pierre Avril

28

REVUES

De Georges Bataille à Picasso

par Frédéric Lamotte

27

DOCUMENTS

Histoire du Far West

par Claude Michel Cluny

28

PARIS

Howard Hawks parle de Faulkner et du cinéma

Propos recueillis par Anne Capelle

29

POLICIERS

Une lettre pour le Kremlin

par Noëlle Loriot

31

QUINZE JOURS

Clay par Klein

par Pierre Bourgeade

Publicité littéraire: La Publicité Littéraire 22, rue de Grenelle , Paris 7. Téléphone: 222 .94 .03

Crédits photographiques

17 18

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21 24

Jean-Louis Rieupeyrout

Noel Behn

Direction: François Erval, Maurice Nadeau Conseiller: Joseph Breitbach Direction artistique Pierre Bernard

La Quinzaine

Administration: Jacques Lory

littéraire

Comité de rédaction: Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Bernard Pingaud, Gilbert Walusinski.

Notre proohain

2

Secrétariat de la rédaction : Anne Sarraute

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Directeur de la publication : François Emanuel. Imprimerie: Coty S.A. IL rue F.-Gambon, Paris 20.

Copyright: La Quinzaine littéraire.

par Jean Selz

p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.

Pierre Grimal Jean Chesneaux Albert Lalauze Gilbert Walusinski

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Droits réservés « T émoins » nO 21 Centre-photo Lüfti Ozkük G.A. Duncan Gartier-Bresson, magnum Centre Cult. américain Roger Viollet Roger Viollet Giraudon Sergio Larrain, magnum Droits réservés Giraudon Roger Viollet Marc Riboud, magnum Tchou éd. Photo-Chance Photo-Chance Marc Riboud, magnum Delpire-Productions


LB LIVRE DE LA QUINZAINE

«Moi, Antonin Artaud» Antonin Artaud Œuvres Complètes (Tome VII) Gallimard éd., 496 p.

...ü s'agit, puisque nous sommes en vie, de vivre en refusant la vie, de regarder les choses du côté où elles montent et non de celui où elles s'aplatissent sur le sol, de les regarder de celui où elles vont disparaître et non de celui où elles s'installent dans la réalité. Antonin Artaud.

rapport inédit qui se noue, chez Artaud, entre l'œuvre et la folie, dans la mise en scène de la folie par l'œuvre, ni la question de l'écriture de ce rapport, de ces formes, de sa texture et - pourquoi pas? - de son style1 c'està-dire de la singularité, de la sauvage solitude de sa voix. Discours intermittent, parole déchiquetée, feuillets excoriés, pages volantes, mais non pas « œuvres complètes » comme nous continuons d'intituler, par aveuglement au désordre intime du texte, la graphie de cette

Des textes d'Antonin Artaud nous parviennent donc, de loin en loin, à intervalles irréguliers, publiés par les soins d'une main vigilante et anonyme. Peu à peu, ils se laissent prendre dans un tissu de références où ils ont été appelés depuis vingt ans, et , malgré une courte éclipse, à couvrir d'abord la fin et le renouveau du théâtre contemporain, la naissance d'une nouvelle convention dramatique, une révolution de la dramaturgie, une technique de formation de l'acteur; à figurer ensuite - à travers les recherches de Michel Foucault et de Jacques Derrida le tournant de l'histoire de la pensée où nous sommes, où l'bistoire même devient « chose passée », où la pensée se trouve confrontée, inlassablement, avec ses limites théologiques, par delà les masques humanistes ou anthropologiques; à s'intégrer enfin au mouvement d'une révolte anarchique et confuse, lourdement et anecdotiquement répétitive, comme celle de certains épigones de la beat generation qui utilise le nom d'Artaud comme caution d'une entreprise que l'on peut dire, en dernier ressort et au sens large, de réforme morale. Diversement, ces recours à Artaud, concentrés autour des essais qui constituent 'le Théâtre et son double, contribuent à faire de cette œuvre qui n'est rien moins qu'une œuvre, mais l'entreprise forcenée du désœuvrement - un exemple. Le prix de cette exemplification, d'ailleurs inévitable, risque toujours d'être la négligence de l'intonation, l'aveuglement aux formes du discours, à l'organisation matérielle du texte et à l'articulation des textes entre eux, l'inattention surtout à ce qui constitue le grain de la phrase d'Artaud, et à ce qui lui confère sa force incomparable d'évidence (dans certaines pages du Van Gogh, par exemple, ou du Vorage au Pays des Tarahumaras).

La place occupée par Antonin Artaud dans une généalogie du langage de la violence dont les jalons attendent encore d'être posés d'Héraclite à Sade, de Sade à Bataille - , cette place qui ne peut être contestée et à l'établissement de laquelle se relayent les commentateurs, cette place ne devrait pas occulter complètement le La Quinzaine littéraire, 15 au 31 juill« 1967.

« voix de chair ». Là où d'autres disait, en effet, Antonin Artaud - proposent des œuvres, je ne prétends pas autre chose que de montrer mon esprit ( ... ) Je ne conçois pas d'œuvre comme détachée de la vie. C'est donc plutôt « biographie » qu'il faudrait proposer comme nom à cette expérience (au sens où, pour Artaud, l'art et la mort sont solidaires): biographie pour servir, comme disait Baudelaire « à expliquer et à vérifier pour ainsi dire les mystérieuses aventures du cerveau »;

biographie pour entrer dans l'intimité que réclame cette écriture lourde, sanguine - « écriture de vie (de mort) » ; biographie enfin, comme par décision de l'écrivain, pour en fermer dès l'abord l'accès à l'indiscrétion des auteurs de thèses, des historiens de la littérature. Biographie dont paraît aujourd'hui le tome septième qui groupe Héliogabale ou l'anarchiste couronné, les Nouvelles Révélations de l'Etre et un dossier de lettres correspondant à ces deux ouvrages, échelonnées du 15 avril 1933 au 21 septembre 1937 période dans laquelle viennent s'inscrire deux événements déterminants: le voyage d'Irlande et celui du Mexique, double prélude à l'expérience raisonnée de la folie.

Ouvrage né d'une commande d'éditeur, il en excède très largement le sens; c'est par l'éclat de l'écriture, par le dosage des thèmes historiques de pure érudition et des sollicitations personnelles, l'un des textes les plus fascinants d'Artaud, proche du Van Gogh (dont on espère qu'il sera bientôt réédité) par le souci de se peindre soi-même dans la figure centrale. L'histoire d'Héliogabale, coïncide, pour Artaud, avec celle d'un peuple où le théâtre n'était pas sur la scène, mais dans la vie; elle comporte effectivement quelquesunes des scènes les plus violentes d'un théâtre de la cruauté.2 Héliogabale ' naquit en 204 à Antioche sous le règne de Caracalla ~t peut-être de ses œuvres). La famille des Bassiens - qui règne sur le temple du soleil à Emèse - , conduite par la mère du futur Héliogabale, assit son pouvoir sur un parricide et le ' maintint par l'exercice systématique de la terreur et de la cruauté. Comme l'écrit Artaud: il est difficile de trouver dans l'histoire un plus parfait assemblage de crimes, de turpitudes, de cruauté, que celui de cette famille où les hommes ont pris toute la méchanceté et la faiblesse, et les femmes la virilité. Monté sur le trône à quatorze ans, Héliogabale en descend à dix-huit dans le sang. En quatre ans seulenient, il a réussi à incarner la guerre des principes qui l'habite - , « polémique » dont son corps même est le lieu puisque, inverti, roi pédéraste, servant du Soleil, l'empereur d'Emèse est un prêtre du Masculin. Peut-être est-il permis d'interpréter, à ce point, le texte d'Artaud comme le récit mythologique de l'avènement de la métaphysique c'est-à-dire du monde de la coupure, de la faille, du dualisme et, en dernier ressort, de la séparation névrotique des pl,hlCipes sur laquelle l'Occident platonicien n'a cessé de se fonder: « La vie d' Héliogabale, écrit Artaud, me Antonin Artaud

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«Moi Antonin Artaud»

paraît être l'exemple type de cette beau, comme il se doit pour celui pourrait nommer une « politique » !orte de dissociation de principes; qui mit un tel acharnement « à et une cc religion » d'Artaud et c'est l'image religieuse, de faire oublier sa famille et son toutes deux également hérétiques.s l'aberration et de la folie lucide, nom ». Dernier trait de sa saisis- « NoU! ne sommes pas prêts à l'image de toutes les contradictions sante ressemblance avec celui qui placer dans leur vraie clarté les humaines, et de la contradiction écrivit: « Moi, Antonin Artaud, dix dernières années de la vie dans le principe, que j'ai voulu je suis mon fils, mon père, ma d'Artaud » : cette phrase de Blanchot, qui a presque, aujourd'hui, mère, et moi. » décrire en lui. » dix ans, demeure entièrement apLa contradiction dans le prinplicable à la lecture des Nouvelles cipe: telle pourrait être la défi«Les Nouvelles Révélations; et, sans doute, pournition :oreme de l'anarchie. « Avoir RévélatioDs de l'Etre» rait-on se demander si elle sera le sens de l'unité profonde des jamais dépassée, si la lumière pourchoses, c'est avoir le sens de l'anarchie », de ce principe - qui est Ton forcé, prophétique, oracu- ra jamais se faire. Mais il se peut absence de principe - au regard laire, qui s'affirme dès le titre, aussi que le propos de ces fragduquel l'unité et la contradiction comme pour donner la mesure de ments doive se situer au delà de ne peuvent être séparées. L'anar- ces révélations, délice d'interpréta- toute distinction de lumière et chie englobera ainsi le point de tion, recours à l'astrologie, aux d'obscurité, de raison et de folie, vue de la différence, de l'origine tarots, appel pathétique à l'inspi- qu'il soit - du moins - un alliage ,- sans origine - de la différence ration, dédicace ultérieure de l'un des unes et des autres. Enigme qui naît avec l'avènement mortel des exemplaires de cette plaquette invincible dont l'excès de sens se de la figure humaine (la religion à AdoH Hitler: l'opacité de ces brise dans le non-sens. Peut-être de l'UN qui se coupe en DEUX notes est complète. Sans doute, n'avons-nous pas atteint l'âge de pour agir) ; l'anarchie jouera donc pouvons-nous savoir, par l'inter- raison ' qui nous permettrait d'encomme ferment anti-chrétien; si médiaire de la correspondance, que tendre vraiment cette révélation la différence est toujours déjà là, les voyages au Mexique (1936) et spasmodique de l'être. Nous pouan-archique, l'histoire comme for- en Irlande (1937) furent décisüs vons, à tout le moins, indiquer que me de la différence est privée dans le mouvement qui porta Ar- c'est de ce côté aussi qu'il nous d'origine pure, de' degré zéro; c'est taud à une redécouverte du divin faut ausculter, aujourd'hui. la fin de l'esprit de commence- par idenlÜication avec cet Etre ment - esprit chrétien par excel- dont il continue pourtant d'affir« Lettres lt lence3 - contre lequel Artaud vit mer qu'il a cessé d'exister; sans insurgé. doute pouvons-nous entendre la Mais Héliogabale est aussi, par tentative d'Artaud comme un efPeu de correspondances sont son nom, « l'heureU!e contraction fort pour réimposer le surnaturel, aussi étroitement liées à l' « œugrammaticale des plU! haute$ dé- pour transformer la confession dé- vre » que celle d'Artaud; dans nominations du ' soleil», voire chirante du torturé en l'affirmation la mesure où, précisément, cette même, selon la vieille cos~ogonie souveraine du sage-fou ou du fou- cc œuvre» n'est pas composée phénicienne, le nom du Désir. sage, de celui qui signe ces notes d'œuvres finies, où, dès lors, toute C'est-à-dire, une fois encore, la du nQm de REVELE. Mais cette manifestation textuelle, toute trace force d'unité, puisque la fonction « conversion », cette foi nouvelles biographique, doit être SUl'Veillée. d'Eros, a toujours été de maintenir ne peuvent être confondues avec Entourant Héliogabale et les Nou, ensemble ce qui demeurait séparé, celles de la religion chrétienne. Et velles Révélations, ces pag~ rede surmonter la coupure et d'unir si le sacré en demeure l'enjeu, c'est groupent des lettres adressées à par exemple le plus bas et le plus une figure anti-chrétienne du sacré Jean Paulhan, à Anaïs Nin, au haut. En ce sens, l'aventure d'Hé- - ou du moins antérieure à l'ins- docteur Allendy, à Anne Manson, surtout à Cécile Schramme, jusliogabale (contre-type exact de titution des églises chrétiennes celle de Van Gogh, suicidé de la qui se trouve ainsi révélée. Figure qu'à la rupture de leurs fiançail!ociété) peut être tenue pour exem- dont les deux faces entrent en les, et à André Breton. Le cœur plaire de cette « !orte de faim contraste violent (ce ,qui n'est pas en est, peut-être, le désir de se vitale, . changeante, opaque, qui la moindre des obscurités du texte): fondre dans l'anonymat, de sacriparcourt les nerfs de ses décharges, un monothéisme magique et un fier la singularité de son nom et entre en lutte avec les principes , retour au paganisme 81y heurtent, donc de son expérience. Mon nom inteUigents de la tête » : l'histoire en effet, ' sans conciliation. Contra- doit disparaître, lit-on dans une d'Héliogabale est en effet doublée diction que Maurice Blanchot· a lettre à Paulhan pour justüier la par une intense circulation, pareil- pu mettre en parallèle avec celle décision de ne pas signer le Vorage le à celle qui se déroule autour du de Nietzsche, écartelé entre la au Pays des Tarahumaras. Il y Soleil dans les égouts du temple vérité païenne de Dionysos et la insiste, un peu plus tard: même d'Emèse, de sang, d'urine, de révélation du Crucüié, ainsi pas d'initiales, mais les trois étoiles sperme et d'excréments (l'excré- qu'avec celle de Holderlin partagé qui précédaient les lettres à J acment joue toujours comme le corps entre l'Unique, dieu des chrétiens, ques Rivière, car mêmes des initiaétranger du Corps propre, comme et le sacré qui est la mise en jeu les limiteraient l'action. Or, dira-t-il la forme « intestine » de la dif- de cette unicité. Mais Blanchot un peu plus tard, ce qui importe férence). Vision solaire et vision ' nous fait aussitôt reconnaître que dans tout cela c'est l'affirmation . excrémentielle composent ainsi ce parallèle n'aide guère à com- de l'anonymat. « une guerre de merveille!, d'anoprendre le paradoxe du texte d'Armalies natureUes, de spectacles taud (et que, de toute manière, Peut-être est-ce là, dans cette rituels splendides », dont l'image l'écart entre les expériences ne sourde décomposition, dans ce lent la plus révulsive reste, sans doute, peut être éludé). Sans doute, la effacement de toute pensée personaprès celle de l'installation de l'em- clinique rendrait-elle compte de nelle, que l'impouvoir d'Artaud, pereur à Rome et du régime qu'il ces oscillations, mais elle placerait i'effondrement central de son esprit impose au Sénat transformé en ainsi, autour de 1937, une coupure vient ~ résoudre - hors de toute assemblée de femmes, celle de la définitive dans l'œuvre d'Artaud. quiétude, toute réponse transformort d'Héliogabale assassiné dans Découpage abusü puisque cette mée en question. Parcours que l'on les latrines de son palais par les cc aliénation » s'accompagne d'une peut suivre depuis Héliogabale où hommes de sa garde et traîné jus- extrême lucidité et que l'on trou- s'affirme encore la croyance en la qu'au bord du Tibre, éventré, verait aisément; d'autre part, dans Jorce éruptive des noms, en une maculé de sang et d'excréments. les ouvrages antérieurs à cette cou- véritable cahbale glossolalique où Ainsi finit Héliogabale, comme pure - dans Héliogabale notam- le nom propre d'Héliogabale, par écrit Artaud, en d'atroces funérail- ment - une semblable contradic- exemple, est surdéterminé d'impliles, .sans inscription et .sans tom- tion, active à définir ce que l'on cations sacrées, où il apparaît

comme une véritable incarnation de celui qui le porte (au point que celui-ci se trouverait presque porté par lui). Peut-être voyons-nous, ici, comment prend fin la biographie de l'enfant illégitime (ainsi se nomme-t-il dans une lettre à Cécile Schramme ), errant à la recherche d'un nom propre, découvrant, à bout de course, que même cette reconnaissance par la loi du langage lui est interdite, affirmant à la fin l'effacement du partage hypocrite entre les affaires publiques et les affaires privées, prénant congé de nous sur ces mots : Beaucoup sont terriblement émw de ce que je suis en train de faire. Henri Ronse 1. Le style d'Artaud ne peut être mesuré comme celui d'une œuvre d'art c'est-àdire d'une totalité harmonieusement achevée. Mais il y a néanmoins un style de cette pensée, de cette écriture, qui procède par glissades, court-circuits, ellipses, contractions, absence de transpositions entre les segments de discours. Il faudrait lire, par exemple, comment Artaud s'écarta progressivement d'une forme « artistique li alors que ses premiers poèmes - ceux que lui refusa, pour la NRF, Jacques Rivière de facture post-symboliste appartient au plus pur Il style artiste ". Peut-être y aurait-il chez Artaud un souci quasi-flaubertien de la forme, peu à peu renversé en un consentement à la force, à l'énergie brutalll de la parole ( « le .uis de ceux qui croient que l'on doit écrire comme l'on parle ", dit-il en marge d'Hélio&abale) qui ne doit pas nous lIlBSqUer pour autant la forme même dans laquelle cette force s'articule.

2. Il serait intéressant «le mettre en parallèle l' Héliogabale et le Gille. de Raïa de Bataille: même soumission impatiente de la réflexion à l'histoire, à l'exposé discursif, même oscillation entre les sources historiques et le délire d'in· terprétation, même contrainte et même en plus d'un évident paral. liberté lélisme ,des sujets.

3. L'usage qui est {ait ici du concept de di/férence témoigne de la dette contractée par quiconque se voue aujourd'hui à Artaud, à l'égard de Jacques Derrida (La généalogie de ce concept de di//érence reste à écrire en confrontant, par exemple, l'usage qu'en fait Derrida et celui de Heiddeger - dont la négligence aujourd'hui n'est que l'une des formes de la naiveté philosophique où s'emporte parfois le discours critique). 4.« La cruelle raison poétique » in Antonin Artaud et le théâtre de _tre temps. Cahiers RenauIt-Barrault, numéro (double) 22 et 23.

5. Il nous faut ici nous souvenir de la contestation violente qu'il fit du mot d'ordre du 0: Surréalisme au service de la Révolution ", mais résister en même temps à toute interprétation réac~ionnaire (comme il le dit nettement dans une lettre à Breton: la Droite à laquelle je perue est la Droite de l'Homme et non la stupide réaction), pour que soit reconnus les paradoxes de cette « politique » à laquelle d'ailleurs Artaud se refuse - écrivant, par exemple, à Breton: « VOIU n'ave: [HU pu trouver place cUms la PoI.ilique car la Politique est le fait des hommes et voua êtes un Irupiré et les Hommes n'ont jam.ais voulu des lrupiréa ». De même cette « nJi. gion » est dépouiUée de toute méta· physique de la Présence pleine, consolatrice et salutaire: ... « c'e.t en cherclumt fINE](JSTENCE, dit-il dans une lettre à Breton, que j'ai découvert ce que c'était que Dieu. Si je pqrk donc de Dieu ce n'est [HU pour vivre . moU pour IJU)wir. »


LITTÉRATURE FRANÇAISE

Un téD1.oin irremplaçable Victor Serge Les révolutionnaires (Les hommes dans la prison Naissance de notre force Ville conquise S'il est minuit dans le siècle L •affaire T oulaev ) Le Seuil éd., relié, 962 p.

Victor Lvovitch Kilbatchiche, (Bruxelles, 30 décembre 1890, Mexico 11 novembre 1947) signa Victor Serge ses premiers articles, en 1917, dans Tierra y Libertad. Sa « carrière » d'écrivain s'étend donc sur trente années. Mais il faut mettre le mot carrière entre guillemets : il écrivit comme il vécut, en homme d'action, en révolutionnaire, en témoin. Ses livres pourraient tous, ou presque, porter en épigraphe cette phrase qui se trouve dans Mémoires d'un révolutionnaire : « Celui qui parle, celui qui écrit est essentiellement un homme qui parle pour ceux qui sont sans voix. » Il n'est pas possible de voir dans les cinq romans réunis sous le titre Les révolutionnaires un ensemble où se reconnaîtrait une esthétique cohérente. Victor Serge compose des romans pour dégager le sens de certains événements historiques à travers des destinées particulières ; il anime, masqués mais souvent reconnaissables, les acteurs des drames qu'il a connus, auxquels il a participé. Ne pas le prendre pour ce qu'il n'est pas : romancier historique, avec le bénéfice de la distance, sachant comment les choses vont tourner. La fiction, chez Victor Serge, n'a pas de conclusion obligée, elle n'est pas dramatiquement construite ; elle sert de véhicule à une expérience, et à une foi. Plus tard, sans doute on étudiera dans le détail la vie et l'œuvre, inséparables, de Serge, on le situera, dans l'histoire sociale et l'histoire littéraire, à sa place singulière. Sa dimension vraie est là, venue d~s deux domaines : anarchiste, communiste, oppositionnel, homme des prisons et des exils, il témoigne pour le communisme héroïque, contre les dégénérescences du pouvoir absolu ; écrivain, il prend le roman comme il le trouve, ne le réinvente pas, mais parvient (dans L'affaire Toulaev en particulier) à une exécution intense et dépouillée ; sans sacrifier le contenu, le témoignage intellectuel et moral, sans le gauchir, Serge atteint à une sorte de beauté : la décomposition du pouvoir révolutionnaire dans L'affaire Toulaev, le désespoir de ceux qui sacrifient consciemment leur vérité et la vérité immédiate à la durée du parti, ce couloir obscur et sans fin où ils cheminent, l'art de Tolstoï ne l'aurait pas rendu plus présent. L'art de Serge, quand il ne sacrifie pas, comme machinalement (et dans son premier roman, par

inexpérience) à une rhétorique romanesque, à un besoin d'orner, de ({ composer » - cet art nous atteint par son dépouillement, son renoncement aux effets. Il est fort quand il restitue des conflits, quand il atteint, en quelques répliques d'un dialogue, au niveau d'une métaphysique politique. Koestler, Sperber, Malraux, Silone, Serge : les œuvres des acteurs-témoins de la grande crise communiste de:! années trente seraient à mettre en parallèle, en dehors de toute préoccupation esthétique. Dans ce concert, la voix de Victor Serge, brouillée parfois, (car elle est celle d'un homme enfoncé dans une action. un passé, des amitiés, cent choses tues) donnera l'accent de l'ardente inquiétude, l'accent de la profonde vérité anarchiste survivant à toutes les disciplines. Serge n'était pas d'une pièce et ses Carnets gardent la trace de bien des interrogations, avec des analyses politico-sociales reprises, corrigées. Mais si ses expériences multiples l'avaient fait à la fois ouvert et anxieux, elle n'avaient pas éteint la flamme qui bl"ûle dans Ville Conquise Pétrograd en 1919, ni dans S'il est minuit dans le siècle ... Sortir de la révolution, il ne le pouvait pas. Ni consentir à ce que la révolution qu'il avait servie fût défigurée par le sacrifice des meilleurs. Un sens aigu, obsessionnel même, de l'Histoire, ne lui arrache pas ses fidélités. Elles se

Victor Serge

manifesteront dans la transposition romanesque. (Mais il ne faut pas chercher de ({ clefs » à toutes les pages), dans une confidence répétée sous des masques changeants. La ({ vérité » romanesque est presque toujours contradictoire avec le sens, les sens opposés que peuvent revêtir des événements historiques ; aussi bien les romans de Serge ne racontent pas des faits mais ressuscitent des situations. Il faut les lire parallèlement aux Mémoires de l'auteur, parallèlement aux œuvres des autres témoins du schisme. Ils prennent alors tout leur éclat - un éclat un peu sourd, obsédant, parfois insou-

tenable, œuvres imparfaites, si on les compare à .celles conçues dans la perspective d'un accomplissement, d'un triomphe artistiques qui englobent une signification morale ou révolutionnaire. Victor Serge cherche la vérité ; il emploie les moyens d'un essayiste, d'un moraliste et d'un mémorialiste plus que les moyens propres du romancier. Et cela n'a rien qui doive écarter de lui le lecteur. Au contraire : mieux vaut, cent fois, les formes parfois mal ajustées, les cahots du récit, et le style carré que tel équilibre obtenu aux dépens du vrai. Victor Serge ne pratique pas le savant (et admirable parfois) dosage des vertus esthétiques et des valeurs révolutionnaires qui ont donné naissance à de beaux livres ; il n'est pas l'homme de l'harmonie, mais le témoin passionné, crispé, véridique. Il lutte pour quelque chose qui ne vaut pas plus que l'art, mais qui justifie ou justifiera - l'art. , C'est un romancier pour demain, et pour un long avenir. Sa chronique des années désespérées est irremplaçable. Elle touche à la fois à Don Quichotte et par certains aspects, très précis, aux essais de Trotsky sur la littérature et l'art. Finalement cette prose-là pèse plus lourd dans l'histoire des idées et des hommes que beaucoup de feux d'artifice. Cet art est gagé et engage qui s'en nourrit. Gilbert Sigaux

Un combat inséparable du siècle Entretien avec Me Gérard Rosenthal Me Gérard Rosenthal, avocat à la Cour (en l\ttérature: Francis Gérard) a bien connu Victor Serge. Il a accepté de répondre aux questions que nous lui avons posées. Quand avez-vous connu Victor Serge?

- l'ai entendu parler de lui dans les années de mon extrême jeunesse, au temps de l'affaire Bonnot et des ({ bandits tragiques ». Lors du procès des amis de Raymond-La-Science, se détachait la figure d'un jeune intellectuel slave, poursuivi avec sa maîtresse pour n'avoir pas refusé un asile éphémère aux hors-La-loi de l'anarchie. C'est ainsi que j'appris, avec une profonde émotion, l'existence de Victor Kilbatchiche. - C'est beaucoup plus tard que vous l'avez rencontré? - A Moscou, lors du dixième anniversaire de la Révolution. Quatorze ans après son procès et après quatre ans de gueTTe et dix jours qui ({ ébranlèrent le mon-Je », Victor Serge était devenu le COTTes-

La Quinzaine littéraire, 15 au 31 juillet 1967.

pondant à Moscou d'une revue, Clarté, fondée par Henri Barbusse et de jeunes intellectuels communistes français. Il nous a reçus dans son petit appartement de la capitale soviétique. Nous participions aux entretiens nocturnes qui prolongeaient les réunions clandestines des vieux bolcheviks, des ouvriers et des étudiants qui menaient contre la bureaucratie stalinienne la lutte de l'opposition de gauche. Je me rappelle en particulier comment, les bras accrochés à ses bras, Pierre Naville et moi avons franchi dans la neige les rangs des miliciens à cheval qui barraient la route au cortège funèbre de lotté. Trotsky et Rakovsky avaient pris la tête du cortège. Nous les suivions parmi les tombes du monastère des Vierges. - N'est-ce pas lui qui, precisement, , vous a fait rencontrer Trotsky?

- Si. Exactement le lendemain du jour où Trotsky fut exclu du parti communiste. Cette exclusion

coïncidait avec la célébration d'une victoire: celle de la révolution dont Trotsky avait été le premier artisan. - Victor Serge fut lui-même emprisonné ?

- Plus exactement, assigne a résidence, dans ce qu'on 'appelait un ({ isolateur ». Revenus à Paris, nous menâmes campagne pour sa libération. Staline le laissa partir d'U.R.S.S. Il consacra alors le meilleur de son activité à la défense des révolutionnaires opprimés. Il anima notre Comité d'enquête sur les procès de Moscou, créé avec Alfred Rosmer, André Breton, Andrée Limbour, Magdeleine Paz, André Philip. Il s'employa activement, avec Colette Audry, Michel Collinet, Louis Vallon, Julian Gorki1?-, à défendre les révolutionnaires du P.O.U.M. catalan, combattants de première ligne dans la gueTTe civile contre Franco et qui subissaient les coups meurtriers du Guépéou. Il appartenait à cette

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IllNTBJ:TIEN ~Un

oombat inséparable du sièole

poignée d'hommes irréductiblement dressés contre les crimes staliniens et qui, pour cette raison, étaient définitivement marqués et isolés, même dans la gauche. - Il avait été un des premiers communistes ? - Oui. Après avoir appartenu aux premiers cercles anarchistes de la banlieue pansœnne, aux comités syndicalistes catalans du temps des pistoleros. Jusqu'à son exil mexicain, en passant par les imprimeries secrètes des révolutions allemandes, par les isolateurs

Let! œuvres de Victor Serge Outre les romans rassemblés dans ce volume, Victor Serge a publié :

Lénine 1917, Librairie du Travail, 1926. coulisses d'une Sûreté générale, l'Okhrana. Librairie du Travail, 1926. L'an 1 de la Révolution russe, récit. Librairie du Travail, 1928. Littérature et Révolution, Valois, 1932. Mer Blanche, nouvelles. Feuillets bleus, 1936. Destin d'une révolution, U.R.S.S. 19171937, Grasset, 1937. De Lénine à Staline, Le Crapouillot, 1937. Résistance, poèmes, les Humbles, 1938. Portrait de Staline, Le Crapouillot, Grasset, 1940. Les derniers temps, roman, Grasset, 1951. Vie et mort de Trotsky, Amiot-Dumont, 1951. Le tournant obscur, les Iles d'or, 1951. Mémoires d'un révolutionnaire, Le Seuil, 1951. Carnets, Julliard, 1952.

Les

de , la déportation, il' a éprouvé profondément la force et l'épreuve d'un combat inséparable du siècle. - Que pensez-vous de l'écrivain ? - Il cumulait les activités de révolutionnaire, d'écrivain et de moraliste. Si, parfois, il compensait l'une par l'autre, il en a tiré la matière de romans extraordinairement directs et vivants qui révèlent et conservent pour nous la peinture des milieux et le cours des événements. L'écriture évoque Gorki, et le su jet dépasse celui-ci. Son Affaire Toulaev est, à propos du procès Toukhatchevsky, plus grand et plus utile que le Zéro et l'Infini. - Vous le considérez surtout comme un témoin ? - Certaines œuvres littéraires constituent le complément indispensable et inégalable des documentations les mieux fournies. C'est vrai de Germinal ou de la Débâcle. C'est vrai du Feu ou des Jours de notre mort. C'est vrai de ce que Victor Serge appelait ses romans_ - Un rapprochement vient à l'esprit: l'Espoir, la Condition humaine, les romans de Malraux. - V oilà qui intéresserait un amateur de « vies parallèles ». Beau sujet de thèse: confrontez les destins respectifs de Victor Serge et d'André Malraux. 6

Un homme des C&D.tons suisses Jacques Chessex

La confession du Pasteur Burg. Christian Bourgois, éd. 96 p.

Je m'appelle Jean Burg et j'ai trentesept ans... Les voies du Seigneur étant ce qu'elles sont, le brillant élève des séminaires calvinistes se voit confier un village de montagne particulièrement difficile. Les premiers pas du jeune pasteur sont autant de faux pas : il remplace un vieillard benoît qui se souciait peu de réveiller les consciences. Les vaticinateurs sermons sur la montagne de Jean Burg consternent donc un peuple accoutumé à la luxure, l'égoïsme et l'hypocrisie et au demeurant confiant dans le sommeil du Dieu de Calvin. Jean Burg monte le ton. Ses ouailles sournoises' font qu'il est sévèrement rappelé à l'ordre par ses supérieurs... ' Cela commence par être le portrait d'un homme que Chessex fait surgir du blanc de la page à grands traits d'encre - on pense aux dessins fameux de Val10tton qui excluaient toute nuance. Enfant, étudiant, je vivais à distance, nous apprend le pasteur. Sans amitié, sans élan, sans tendresse : une flamme froide qui ne brûle que pour Dieu. Cette flamme, qui puise sa rigueur et sa force dans l'Institution de Calvin, seule et quoti. dienne lecture de Jean Burg, éclaire la figure d'une solitude. Il se retranche de la vie parce qu'elle n'est que corruption, dégradation; il n'entre dans le monde que pour le remettre en ordre, animé d'une fureur glacée. La foi qu'il reçoit ne le prépare pas à l'amour ni à la charité, mais au combat - et de cela il fait profession avec une lucidité sans repentir puisque le doute lui est absolument inconnu : l'aime l'ordre avec une espèce de fureur. Et je veux l'ordre. l'ai toujours eu le sentiment que Dieu m'avait choisi comme instrument à cause de mon goût extrême pour la rigueur... Et ceci : l'ai toujours éprouvé (j'éprouve encore) une sorte de passion jalouse pour les régimes politiques autoritaires, car la sévérité ardente des dictatures semble s'inspirer directement des mécanismes d'une grammaire très rigoureuse qui exerce sur mon esprit une merveüleuse fascination ... Je n'ai jamais cessé d'avoir la nostalgie d'un Etat fort, placé sous le regard d'un Dieu impitoyable... Il venait d'écrire : Dieu triomphe dans ces systèmes purs. Ce portrait d'un homme des Cantons suisses, que Jacques Chessex a construit avec une application tout aussi impitoyable que le regard du Dieu souhaité laisse apparaître, sous le visage de Jean Burg, celui qu'il nous faut accepter dans toute sa crédibilité : le fanatique. C'est peutêtre la vieille Genève combattante qui se lève du fond des âges pour reprendre la parole de Dieu et la révolte de Calvin, mais c'est surtout - et cela fait la force du livre et contraint de lire au-delà de l'anecdote le procès des désordres de la foi. Etrange aventure que celle de Jean Burg, sans doute, mais que les faits divers les plus récents pourraient justifier. La porte étroite où s'engage le pasteur, sûr de ses forces et de l'assentiment de Dieu, convaincu d'être même le glaive choisi pour frapper et redresser les âmes, débouche soudainement sur la passion la plus naïve, la plus simple et aussi la plus totalement acceptée : Jean Burg décide de souiller la fille d'un homme riche et puissant au village pour humilier l'orgueil et flétrir le vice, mais il se prend à son piège et s'éprend de Geneviève ... Le récit pouvait être celui d'un combat : la colère sainte animant le ministre de Dieu cédant à l'amour, la mission de vengeance luttant contre la découverte, puis contre l'acceptation d'un bonheur que tout condamne mais qui justifie de vivre ... Or, la foi ne se divise pas : Burg vit l'amour comme il vivait la haine. La pax:ole divine éclaire différemment ce caractère entier, qui lui prend tour à tour ce dont il a soif avec la même ferveur, la même passion. Dans son commerce avec le Dieu impitoyable, il pouvait écrire : l'avançais tout entouré

de sa porole formidable... Comme si $(J voix eût été un puissant fleuve dont les flots en roulant m'étreignaient, me pressaient, me soulevaient... Et brusquement, ce qui le presse, l'étreint et le soulève au point de lui faire abandonner ce désir forcené de venger la vertu, fût·ce justement par les armes du vice et de la dégradation, c'est l'amour de la victime qu'il avait reconnue, qu'il venait de séparer du troupeau pour l'im-

Jacques Che&ex

moler. Il ne s'interroge pas sur la nature de l'ange qui retient son bras - ni sur la nature du geste. Je m'étais cru seul

et glacé, instrument d'ordre aux mains de Dieu, arme aiguë qui combattrait le mal ... Mais la même vérité m'obligeait à voir que la solitude et la crainte avaient été mes plus mauvaises conseillères, et que j'avais cru entendre le Seigneur là où il n'y avait que ma propre faiblesse. Voilà la charnière, le moment où le livre bascule pour nous présenter, non pas un autre Jean Burg découvrant la vie et l'amour, mais l'autre profil d'un homme excessif, qui ne sait exiger d'une morale que la justification de ses passions. Le fanatisme a métamorphosé son objet. Et quand tout s'effondre, c'est contre soi qu'il l'exerce, dans l'adoration de sa culpabilité. Le talent de Jacques Chessex dans ce petit livre, la sobriété du récit et son classicisme, la conduite rapide d'une intrigue au fond toute « spirituelle », ou plus exactement morale, a pu nous rendre attentifs à un débat dont tout pouvait nous incliner à croire, a priori, qu'il était anachronique... Mais quand on referme le livre, on n'en est plus bien certain. Pour nous, qui connaissons mal ce rigorisme et qui souffrons peu ~ pour une fois : Dieu merci! de l'emprise d'une religion dont la loi régente encore la vie si près de nos frontières, ce récit éclaire comme une lanipe de bien curieuses ténèbres! Et, peut-être, un pays inconnu ... Claude Michel Cluny

Alexandre Soljenitzine a adressé au dernier Congrès de l'Union des écrivains, à Moscou, une lettre que la presse mondiale Q reproduite. Il y réclame la suppression de toute censure et demande à l'Union de prendre enfin la défense de ses membres, y compris et surtout ceux qui sont persécutés par le pouvoir. Il révèle que, pour sa part, au cours de perquisitions dont a Q été victime, le M.V.D. lui a dérobé ses archives littéraires, « assemblées depuis quinze à vingt ans », le manuscrit d'un roman Dans le premier cercle, et qu'a est en butte à une campagne de calomnies. Il se plaint de ne pouvoir publier les ouvrages qu'a a achevé d'écrire : un récit, une pièce de théâtre, un scénario de film, et il proteste contre la ségrégation dans laquelle on le tient à l'égard du public. « Ainsi on a définitivement étouffé mon œuvre, on l'a bâillonnée, calomniée. ' » Il n'est pas pour autant découragé. Fort de son « devoir d'écrivain », il déclare vouloir le remplir jusqu'à la mort. Cette mort, il est prêt à « l'accepter » car « personne, conclut-il, ne peut barrer la route à la vérité. » Cette lettre de Soljenitzine a profondément remué l'intelligentsia et immédiatement suscité ' l'approbation de plusieurs dizaines de membres de l'Union, apparemment décidés à secouer la tutelle des stalinistes honteux et de leur chef de file, Cholokhov. Antérieurement à cette lettre, Sol jenitzine avait reçu un journaliste slovaque, Pavel Liczko, qui a donné le récit de cet entretien dans Kulturny Zyvot. La Vie littéraire de Cracovie l'a publié à son tour_ Il nous a paru intéressant de résumer pour nos lecteurs les déclarations d'Alexandre Soljenitzine traduites par Stanislas Kocik. Le journaliste commence par déclarer qu'au cours de la visite qu'il a pu r.mdre à l'écrivain, chez lui, à Riazan, il s'est convaincu qu'un homme qu'il tenait jusqu'alors surtout pour un professeur de mathématiques et de physique était en réalité un écrivain de profession, et que l'auteur d'Une journée d'Ivan Denissovitch s'était préparé toute sa vie à ce métier, consciemment, et en s'imposant une discipline sévère. « Comme on le sait, commente le journaliste, la vie elle-même l'a également préparé à ce métier. » Il évoque l'enfance et la jeunesse de Soljenitzine. Nous apprenons en particulier que l'adolescent était doué pour le théâtre et que, n'avait été une affection du larynx, jugée incurable, il aurait voulu devenir acteur. La partie de l'entretien où Soljenitzine rapporte ses souvenirs de guerre et son arrestation est particulièrement intéressante.


Soljenitzine

Une journée chez Au début de la guerre, il est versé dans le train des équipages, c parmi de vieux Cosaques malades li. Il a sous sa garde quelque quatre-vingt-dix chevaux dont il lui est évidemment difficile de venir à bout. Non sans peine, il parvient à se faire affecter à l'artillerie. Il participe à tous les grands combats du front et sa conduite lui vaut, outre de nombreuses décorations, le grade de capitaine. En janvier 1945, alors qu'il commande sa battcrie en Prusse orientale, il est soudain prié de se rendre auprès du commandant de sa division, le général Trawk.ine. Celui-ci lui demande de lui remettre son revolver, deux officiers lui arrachent ses épaulettes et ses décorations. Pourtant, par on ne sait quel mouvement du cœur, le général Trawk.ine ne peut s'empêcher de lui serrer la main. « Ce Beste du général \ Trawkine est un du plus grands actes de bravoure que j'aie pu voir durant la dernière guerre », commente Soljenitzine. « Quant à mon arrestation, poursuit-il, elle était la , conséquence de ma naïveté. Il est interdit aux soldats du front de révéler à leurs correspondants les opérations dans lesquelles ils sont engagés. C'est normal, je le savais. Ce que j'ignorais, c'est qu'ü était également interdit de penser. Or, j'avais écrit à un ami des lettres où je donnais mes vues et mes opinions, où je m'exprimais librement, en particulier aur Staline que je prenais garde, toutefois, de ne pas nommer. l'estimais que Staline s'était éloigné du léninisme, qu'il était responsable du échecs du début de la guerre, et je n'aimais pas sa grossièreté. Pour dire tout cela dans des lettres, il lalLzit, certes, être jeune et inconAdéré. Si j'ai pu revenir des camps, c'est aux .mathématiques que je le dois. l'étais en effet incapable de travaüler physiquement, et je n'avais aucune envie de me compromettre moralement. le travaülaia aur des chantiers de C6ns-

tructian, aux environs de Moscou, ou à Moscou même. Un jour, la direction de la prison se livre à une enquête sur nos qualifications et capacités. le réponds que je suis mathématicien et physicien. On me verse alors au centre scientifique de la prison. Un fameux centre, entre parenthèses, et d'un niveau si élevé que plus d'un scientifique en liberté aurait été honoré d'y travailler. l'y ai vécu quatre de mes huit années de détention dans d'assez bonnes conditions : j'avais la qualité de détenu mathématicien. Après ces huit années, j'en ai passé trois dans un camp du NordKazakstan, au centre d'un grand bassin minier. C'était un camp « spécial » où les détenus portaient leur matricule imprimé sur le front, sur la poitrine, sur les genoux et dans le dos. l'avais le numéro SZCZ 232. C'est là que m'est venue l'idée d'écrire Une journée d'Ivan Denissovitch. « Tout autant qu'un siècle d'histoire européenne, une seule journée de la vie d'un paysan peut servir de canevas à un roman, disait Tolstoï. Or, de toutes les tragédies ' qu'a vécues notre pays, celle des « Ivan Denissovitch » a été la plus terrible. le n'ignore pas qu'ü est plus facile d'écrire sur soi-même. Il m 'a paru plus important, plus intéressant aussi, de m'occuper des autres, et du destin de la Russie. le voulais en finir également avec les mensonges sur les soi-disant camps de rééducation. Oui, c'est au camp que m'est venue l'idée de décrire une seule journée de la vie d'un homme. » Soljenitzine donne ensuite son opinion sur la littérature contemporaine. « l'ai été élevé dans l'intimité , des écrivains russes. Les circonstances de ma vie ne m'ont pas permis d'acquérir des connaissances plus étendues. (A ce moment, Pavel Liczko remarque : « Mon regard se porte sur la bibliothèque de l'écrivain, j'y vois les œuvres d'Anatole France, maints auteurs classiques de tous pays, des livres

anglais, etc. ») Or, la littérature russe s'est toujours préoccupée de ceux qui souffrent. On entend dire chez nous que l'écrivain doit embellir la réalité, parler du lendemain et regarder vers l'avenir. Il est évident qu'on fait fausse route et qu'une littérature pareillement orientée ne fait que justifier le mensonge. Elle relève du faux-semblant, de ce que j'appellerai la cosmétique. La nature de l'écrivain est d'être inquiet, de se poser des questions et, en toutes circonstances, il doit être guidé par son devoir artistique. Il doit dire ce qu'il voit, montrer comment sont les choses. En littérature, tout embellissement de la réalité est trompeur et nocif. le ne suis pas un grand connaisseur de la littérature mondiale actuelle. l'ai pourtant l'impression - une impression toute personnelle qu'une bonne partie de la production littéraire occidentale s'en tient aux apparences. Pour cette raison que depuis plusieurs décennies, l'Europe occidentale n'a pas connu de sérieux bouleversements internes. C'est la, profonde sensibilité de l'écrivain aux processus sociaux qui donne à la littérature ses fondements. L'Europe de l'Est - dont, à mes yeux, la Russie fait partie intégrante - a subi, au contraire, de profondes transformations. C'est pourquoi j'envisage son avenir littéraire avec beaucoup d'espoir. Toutefois, l'écrivain n'a pas seulement des devoirs envers la société. Son obligation la plus importante est celle qui le lie à chaque individu. Or, il arrive que la société ne puisse venir en aide à l'indivi4u, sans compter que chaque homme a quantité de problèmes que la collectivité ne peut résoudre à sa place. Avant de devenir membre d'une société, l'homme est déjà une entité physiologi9,ue et spirituelle. Les devoirs qu'a l'écrivain envers tout homme ne sont pas moins grands que ceux qu'il a envers la société. » « Quelles conditions la société doit-elle assurer à l'écrivain pour,

qu'il puisse rèmplir sa mission ? » demande l'interviewer. « Critiquer l'écrivain de façon objective, répond ,Soljenitzine, voüà tout le devoir de la société. » Il ajoute: « Il ne faut pas choyer l'écrivain. Au contraire, celui-ci doit être constamment prêt à subir l'injustice. C'est le risque que lui fait courir sa vocation. lamais sa condition' ne sera facile. » On aborde ensuite les problèmes de technique romanesque. Soljenitzine avoue sa prédilection pour le «roman polyphonique», un genre de roman « où tout personnage - au moment où l'action le met en lu,mière - peut jouer le rôle principal. C'est de cette façon que l'auteur est responsable de tous ses héros, fussent-ils jusqu'à trente-cinq. Il ne donne la priorité à aucun. Il les assume et les légitime tous. Mais alors, il n'a pas le droit de perdre pied. Dans deux de mes livres, j'ai usé de cette méthode. l'espère bien m'en servir une troisième fois. » Le journaliste rapporte qu'au moment où il lui a rendu visite à Riazan, en mars dernier, Soljenitzine mettait la dernière main à un roman de trois cents pages environ : Section ontologique. Outre ce nouveau roman, l'auteur de La maison de Matriona a écrit trois pièces de théâtre: Le cerf, La prostituée du camp, terminées en 1954, et un drame consacré aux problèmes ' moraux des pays les plus développés, terminé en 1960, le roman Dans le premier cercle dont l'un ' des protagonistes s'appelle Joseph Staline, ainsi qu'une quinzaine de courts récits. Aucun de ces ouvrages 'n'a vu le jour. « Pourquoi ? » demande Pavel Liczko. « le ne me suis pas encore décidé à les soumettre aux lecteurs », répond Soljenitzine. Pouvait-il faire une autre réponse au rédacteur d'un journal de démocratie populaire? Nous savons désormais ce qu'il en est : tous ces ouvrages sont retenus pàr la censure et l'auteur n'a pas de plus cher désir que de les voir publier.

...............................• ....................................... . '

collection "poésie "1

.' 1

dirigée par MARC ALYN LORAND GASPAR

JEAN-CLAUDE WALTER

LI QUATRIED

LE SUIIOOUPBI I!AT DI LA IlATlERI APPLIQUE

Pra

Guillaume ApolliDaire 1967

ROBERT GOFFIN ,

GISELE PRASSINOS

KAMAL PIERRE DALLE NOGARE IBRAHIM

LEnRSUT NOIR

LES ,II0TS ENDORIUS

BlUTS-FONDS

"Memeur livre du premier trimestre 1967" choisi par le Comité du Syndicat des Critiques Littéraires

BABYLONE, LA VAOBE, LA 1I0RT

~~ FLAMMARION

La Quinzaine littéraire, 15 au 31 juület 1967.

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REVUES 'ÉTRANGÈRES L'avant-garde italienne et un mensuel soviétique en français « Quindioi »

et de la presse de consolation -, Ouln· dicl ne veut ouvrir aucun dialogue, même polémique, et entend, au moyen Dans un format tout à fait excepd'. opinions partisanes et factieuses » tionnel, pour ne pas dire révolutionêtre • un sain élément de désordre-. naire (six pages 70 x 50), l'avant-garde On ne perçoit pas toujours le lien italienne lance une nouvelle feuille de cohérence qui s'établit de l'article annoncée depuis assez longtemps : de Giuliani .Cérémonies sadiques de la Ouindici (Quinze, du nombre primitif Critique », consacré parallèlement à de ses fondateurs-collaborateurs pasCritique et vérité de R. Barthes et à sés depuis à vingt-cinq). Le directeur Letteratura come menzogna de G. Manresponsable de cette publication menganelli) à • Qui a peur des communicasuelle (n° l, juin 1967). Alfredo Giutions de masse -, de G.-B. Zorzoli (Eco liani, n'est pas en France le plus connu dans. Communications n° 6, souligne la de ces vingt-cinq noms que l'on reposition ambiguë et inconfortable de trouve pour la plupart dans 1 Novissl· l'intellectuel face à ce problème), en mi puis dans Gruppo 63 qui fonda ~ passant par l'article de Sanguineti in· Palerme ce qu'on appelle la néo-avant· garde italienne (voir à ce sujet : 1 No- titulé • La littérature de la cruauté-. Pourtant, à travers tous ces articles, visslmi, poesie per gli anni 60, anthodeux thèmes apparaissent : d'une part logie de cinq poètes, présentation d'A. le problème culturel comme souci maGiuliani, Milan, Rusconi 'et Paolazzi. jeur, d'autre part l'affirmation que cet1961 (Coll. • Biblioteca dei Verri » dirigée par Luciano Anceschi) - Gruppo 63, . te néo-avant-garde est effectivement un groupe militant. La preuve en est la nuova letteratura, 34 scrlttori, Palerl'article de Gheorghi Breitburg (par mo 1963, Milan, Feltrinelli, 1963 - en ailleurs traducteur en russe du Guéfrançais : l'Expérience des Novissimi, pard) publié dans Novi Mir contre le in Cahiers du Sud, n° 382, 1965, préGroupe 63 tout entier et que reproduit sentation et traduction de poèmes). intégralement Ouindici comme. preuve En revanche, Edoardo Sanguineti a été d'existence» et nécessité de combat. traduit en français (Capriccio Italiano, En fait, ces deux thèmes se renconle Seuil, 1964) et le Monde du 20 juin 1967 consacrait un article à son der- . trent dans la conclusion de l'article d'A. Porta (. Trois hypothèses contre nier roman Il Gioco dei Dca (en cours la normalisation de l'écrivain ») : de traduction aux Editions du Seuil). • L'hypothèse d'une • culture nationaD'Umberto Eco, on connaît l'Œuvre oule, ne peut être acceptée en Italie verte (Le Seuil, 1965, Coll. • Pierres parce que non actuelle ; donc, pour Vives ,) Signalons enfin le roman de s'opposer .~ la violence (capitaliste), Nanni Balestrini, Tristano, également on ne peut qu'augmenter le potentiel en cours de traduction au Seuil. d'une culture • partisane " on ne Pas de déclaration de principes, ou, peut que participer à la formation plutôt, une sorte de non-déclaration, d'une culture de • clan » . Ceci siqnifie une mise au point ironique, mi-grinçanrester à l'intérieur avec la violence : te, mi-puérile, sur un ton de bonne huaccepter la révolution et la réaliser meur provocatrice et, pourrait-on dire, en groupe • comme si - elle était véde santé. Pour Ouindici, l'avant-garde ritablement réalisable. en Italie se porte d'autant mieux qu'elle La cohérence n'est peut-être pas le a plus d'. ennemis» déclarés à combatcritère pertinent de l'ensemble des tre. Elle veut tenir le pari d'une révoœuvres produites par les individus d'un lution permanente, attaquant, sans regroupe, mais certaines Incohérences, lâche et le plus souvent à travers la du Surréalisme à Tel Ouel, n'ont pas littérature (pOint de départ priviléempêché de tels groupes de lutter glé), • tous les aspects - culturels contre le conservatisme, le parti pris et politiques - de la conservation linmalveillant, ignorant, de quelques • enguistique -. Sachant que les écrits nemis - faillis qu'ils se sont trouvé de ses collaborateurs ont suscité .l'irocommuns. nie et le dédain de la critique officielle A.-R. F.

« Spoutnik » • Une nouvelle revue internationale fondée à Moscou prouve que l'U.R. S.S. bouge et que notre esprit est celui de la nouvelle civilisation russoaméricaine. » C'est en ces termes que le dernier numéro de Planète présente la revue soviétique Spoutnik diffusée depuis le mois de juin en français. Le premier mouvement serait sans doute de régler la question en voyant là une interprétation tendancieuse, mais l'examen du premier numéro de Spoutnik a vite fait de convaincre qu'il s'agit de bien autre chose. Spoutnik se présente luimême comme un • Reader's Digest » soviétique. Traduit déjà en anglais et en japonais, il connaît depuis quelques mois une diffusion considérable outre-Manche. Mais il convient de préciser qu'il est également à usage interne et sa diffusion en U.R.S.S. n'est pas négligeable. Etant donné les objectifs avoués de Spoutnik, il ne faut pas s'étonner si l'on y retrouve les divers ingrédients qui caractérisent les publications analogues en France, Constellation en particulier. Manque de rigueur, goût du sensationnel et du merveilleux sont monnaie courante. On est même surpris de voir sur la couverture du premier numéro de Spoutnik un dos de femme nue, qui reste fort chaste, mais représente , au regard des habitudes moscovites, une incontestable concession au • marché de l'érotisme ". De toute manière, la formule adoptée est tout autre chose qu'une simple tentative (d'une efficacité d'ailleurs fort discutable) pour attirer le lecteur occidental. Spoutnik traduit des tendances latentes qui, depuis le • dégel », s'expriment chaque jour plus librement, mais il est loin d'en être la seule manifestation. On pourrait citer les noms de chercheurs de réputation internationale qui consacrent leurs vacances à la recherche ... du yéti. Le journaliste Michel Rouzé, membre de l'Union Rationaliste, cite l'exemple d'une conférence qui s'est tenue il y a quelques mois à Léningrad. Son organisateur, le professeur Vassiliev, étudie depuis toujours la télépathie. La réunion de Lé-

AUTEURS ÉTRANGERS Edmund Wilson Le patriarche des lettres amerlcaines, dont on sait, à vrai dire, fort peu de chose en France, où quelquesuns de ses trente-trois livres ont été traduits, connaît à soixante-douze ans un nouveau triomphe. Sous le titre de Prélude, il commence la publication de ses mémoires, ce qui donne lieu à la réimpression de deux de ses œuvres de jeunesse, Galahad et 1 Thought of Daisy. L'auteur des Mémoires du comté d'Hécate est l'ancien mari de Mary Mc Carthy.

Philip Jloth L'un des membres les plus prometteurs de la génération que l'on appelle celle de la • Renaissance Juive », Philip Roth semble décevoir les admirateurs de Good bye Columbus. Son dernier roman When she was good, dont il avait annoncé qu'il marquerait un élOignement de ses sources d'inspiration judaïques fait l'objet de commentaires désabusés de la part des critiques. Ils reconnaissent le talent de l'auteur mais déplorent que ses dons soient gâchés dans l'exploration d'une psychologie banale. Un point cependant à retenir qui pourrait démentir cette mauvaise Impression : l'héroïne, 8

Lucy Nelson, est déjà sacrée • la Bovary du Middle West-.

sera sans doute au programme de la licence en 1967-68, sinon au programme de l'agrégation.

Thoreau 8vetlana Staline Le précurseur de la non-violence et du gandhisme (en 1830) va faire l'objet d'un numéro spécial de la revue Europe. Au sommaire, des études du professeur Jean Normand, de la Faculté des Lettres de Rennes ; de Roger Asselineau, de la Faculté de Paris, de Henry Miller et du grand spécialiste de Thoreau, Walter Harding qui étudiera • L'influence de la Désobéissance civique ", l'un des ouvrages de base dans ce domaine. Etant donné que les œuvres de Thoreau sont complètement épuisées en France, Jean-Jacques Pauvert a mis au programme de ses prochaines publications La désobéissance civique, Plaidoyer pour John Brown et le Journal de Thoreau. En même temps, les éditions Aubier feront paraître l'un des grands classiques du même auteur, Walden, dans une collection bilingue. L'initiative de ces publications revient en grande partie à la branche française de la Thoreau Society qui cherche à attirer particulièrement l'attention sur cet écrivain à l'occasion du cent cinquantenaire de sa naissance. Thoreau

Madame Aililuyeva - plus connue sous son nom de jeune fille: Svetlana Staline - publiera, le 16 octobre, un livre attendu avec quelque impatience: Vingt lettres à un ami. C'est en effet le titre peu compromettant que porteront les mémoires de la réfugiée politique la plus célèbre des dernières années, celle dont Kossyguine lui-même a parlé lors de sa conférence de presse de Glassboro pour la traiter de folle et porter l'anathème sur ceux qui • voudraient l'utiliser ». Bien entendu, le livre a trait essentiellement à son père, mais l'auteur entend en faire : « une explication de sa propre vie et des circonstances historiques qui l'ont entourée » . Une particularité intéressante ; l'ouvrage sortira des presses de Harper & Row en deux éditions simultanées: la première en russe (c'est-à-dire dans le texte original) la deuxième en anglais, bien entendu. Le manuscrit qui comprend quelque 80.000 mots, d'après ce que l'on dit, soit 300 feuillets est divisé en vingt chapitres ou • lettres ».

ningrad, accompagnée de pseudo-expériences, s'est déroulée devant une fouIe énorme, dans une véritable atmosphère de cirque. L'agence Novotni, éditrice de Spoutnik, en donna un compte rendu des plus élogieux. Il est vrai que certaines manifestations ou informations fausses ont donné lieu à plUSieurs reprises à des démentis de l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S. La publication d'une revue soviétique, même en langue française, ne mé. rite rait sans doute pas de susciter de polémique idéologique si elle n'attirait l'attention sur certains courants profonds de ce qu'il faut appeler la pen. sée contemporaine. Il est facile d'expliquer certains aspects du journalisme et même de la recherche scientifique ou pseudo-scientifique, par la recherche du sensationnel. Il est certain aussi que la mauvaise qualité de l'informat'ion est souvent à mettre au compte, en France du moins, du sous-paiement du travail intellectuel. Cette dernière explication n'est pas plus valable en U.R.S.S. qu'aux U.S.A. Et, quand au sensationnel , il n'explique, en fait, pas grand chose . Certes, depuis que les publications occidentales ont pénétré en U.R .S.S., il est compréhensible qu'une imitation souvent maladroite et naïve se soit portée sur des produits que leur longue interdiction a particulièrement valorisés. Il est évident que les Russes n'ont aucune raison de ne pas être attirés par l'érotisme et la violence. Ils en deviennent consommateurs dès que l'occasion leur en est donnée. Mais, lorsque l'on découvre que le goût du sacré, du magique, réapparaissent, après cinquante ans d'éducation matérialiste à outrance, dès que l'on relâche si peu que ce soit la censure, il y a là de quoi faire réfléchir. L'un des articles les plus curieux à cet égard s'intitule : • Des cosmonautes sont venus sur terre il y a douze mille ans. » Précisons qu'il ne s'agit aucunement d'un article d'anticipation ou d'un hypothèse donnée comme plus ou moins fantaisiste. L'auteur est présenté comme un scientifique qui nous livre le bilan de trente années de recherches. A première vue, son propos tend à démontrer qu'il n'y a pas de dieux, car les hommes ont appelés ainsi les créatures venues en touristes d'un autre monde, et qu'ils ont vues débarquer de leurs engins spatiaux (d'où la forme • ogivale - affectionnée par l'église catholique sic). Il s'agirait donc d'une propagande antl-religleuse, combien maladroite d'ailleurs. Mais, au fur et à mesure du déroulement de l'article, la proposition. Les dieux ne sont que des créatures réelles venues de l'espace - se change en • Les créatures qui vivent dans l'espace sont des dieux. , L'auteur n'hésite pas à fournir des pseudo-preuves de leur Intelligence surnaturelle et universelle et de leur immortalité. A ce propos se manifeste le manque de culture le plus flagrant (en particulier des textes religieux sur lesquels l'auteur s'appuie, apparemment par ouï-dire), l'interprétation abusive (. l'ange représenté par l'icône est assis dans une fusée et se tient de la main droite à un dispositif de commande que l'on ne voit pas sur la peinture (sic) et l'ignorance totale des théories sur la psychologie et les mythes entrées dans le domaine publiC depuis un demi-siècle . Ce qui paraît pourtant le plus Inquiétant, au delà de ce mépris de la culture universitaire solide, c'est le besoin de fournir au publiC soviétique une véritable justification mystique du programme spatial. C'est aussi ce glissement insensible d'un matérialisme sectaire schématique et superficiel à un idéalisme soudain révélé. Le matérialisme soviétique est malade, et il n'est sans doute pas le seul. Il serait bon d'y songer comme à l'un des problèmes essentiels de notre temps. J.R.


LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

Un souci d'exactitude Per Olof Sundman Les chasseurs traduit du suédois par Chantal Chadenson et Georges Perros Gallimard éd., 272 p.

Il y a deux ans, une chaleureuse et perspicace préface de Michel Butor attirait l'attention des lecteurs français sur un écrivain suédois, Per Olof Sundman, et son roman l'Expédition. C'était l'histoire d'un explorateur européen, traversant la forêt vierge africaine à la recherche d'un certain Kanchi Pacha. Pour écrire son livre Sundman s'était largement inspiré des récits de voyage de Stanley et plus particulièrement de son ouvrage la Recherche, la délivrance et la retraite d'Emin Pacha. Dans une note liminaire il avertissait son lecteur: « Mon livre n'a pour ob jet cette expédition de secours. »

pas

En effet, comme l'a fait ressortir Michel Butor, l'ambition de Sundman était plus vaste que le simple 'p rojet de raconter une histoire d'explorateur. La publication des Chasseurs en réalité antérieur au précédent aidera le lecteur à saisir les intentions profondes de Sundman, même si ces nouvelles risquent de lui paraître plus « exotiques» encore. Après l'ombre verte de la forêt vierge, voici la blancheur de la neige du Nord de la Suède. Nous y trouvons Sundman, non pas dans son milieu d'origine puisqu'il est né à Stockholm voici quarante-cinq ans - mais dans celui où son art s'est formé, au milieu des vastes étendues silencieuses et blanches et au contact d'hommes rudes et laconiques. Il n'est pas iiIdifférent qu'il y ait été un « étranger » comme nous. Là, il est allé à l'école du récit oral, ce récit « qui n'explique jamais pourquoi mais se contente de dire ce qui est », qu'il ne faudrait d'ailleurs pas confondre avec l'anecdote ou le récit dramatique,

Pe'r Olof Sundman

plus familier aux peuples méridio- appréciations, évitez les jugenaux : ici au contraire toute dra- ments. » Et ainsi le souci même matisation est exclue, il n'y a aucun d'exactitude devient une source effet, aucun « point » final, au- d'incertitude: c'est au contact des cune explication psychologique. données les plus exactes que naît Par sa tranquille énumération des le doute le plus profond. faits et son impassible relation des Chaque nouvelle est précédée mots et des gestes échangés, le récit par un petit texte de quelques. de Sundman se situe bien plus lignes, extraites ou non du récit, dans la lignée des sagas islandaises, qui expose en peu de mots le qui furent elles aussi transmises « sujet» de ce qui va suivre: entre par tradition orale, avant d'être ce texte et la nouvelle même naît notées par les clercs. Mais, ultime un vide, une curieuse tension, celle précision, il ne s'agit pas non plus même de l'énigme ou de la d'une littérature épique: on serait devinette, qui est elle aussi une plutôt tenté de la qualifier de des formes les plus anciennes de didactique, tant l'expérience y joue la littérature. Mais c'est en vain un rôle important. que dans la nouvelle on cherchera L'enseignement proposé par ces une réponse « définitive» à nouvelles n'a cependant rien de l'énigme posée. La nouvelle « Le dogmatique car l'expérience essen- , voiturier de mica » est de ce point tiellement pratique du monde et de vue exemplaire. Avant de comdes hommes 'n e conclut pas, ne tire mencer son récit Sundman pose la pas « la morale » des choses : pour question : « Y a-t-il quelque chose peu qu'elle se veuille sincère, elle de plus séduisant qu'une énigme reste tout le temps inachevée, ou- non résolue ? » et il répond aussiverte, tributaire de nouvelles tôt: « Oui, une énigme à la solu« observations ». « Dans le fond », tion problématique. » dit un des personnages de SundIl s'agira donc avant tout d'éviman intitulé « observateur profes- ter les fausses solutions. d'écarter sionnel » et apparemment ici son les réponses toutes faites: il reste- , porte-parole, « il s'agit de s'en tenir ra probablement toujours, si petite aux observations et à rien d'autre. soit-elle, une distance entre ce que Evitez les conclusions, évitez les nous trouverons et la vérité. Ce

vide donne un relief extraordinaire à ce qui l'entoure. Une recherche obstinée constitue donc le principal ressort des récits de Sundman et ses romans s'appellent l'Expédition ou l'Enquête, tandis que ses nouvelles portent des titres comme « Le chercheur », « L'observateur», « Le contrôleur ». De cette recherche il existe une forme privilégiée, la chasse, où il existe entre chasseur et pourchassé- des relations non seulement compliquées et sans cesse changeantes, mais réciproques: il ne s'agit pas en effet d'un gibier quelconque, mais d'une véritable « chasse à l'homme » à l'occasion d'un de ces « accrocs » dont parlait Butor, comme la folie, l'angoisse inexpliquée, la boisson, le « coup de bambou », le suicide qui ouvrent dans le tissu social un trou béant, mettant tout le reste en danger. Mais, c'est aussi à ces moments de danger, à l'occasion d'événements exceptionnels, inexplicables, en face d'individus soudain isolés que la vérité peut se modifier et s'enrichir. Le « chasseur » devra user de toute son expérience, de toute sa force de compréhension et de tout son silence pour épargner son gibier tout en le saisissant, et pour saisir cette vérité qui l'obsède tout en la laissant s'échapper: car quel besoin aurait-il de vérités mortes et de prochains mutilés? Une bonne dose d'humour et une certaine rouerie ne lui seront pas inutiles pour maintenir ensemble son sens social, son respect humain et son désir de connaissance. De là cette ruse paysanne, que l'on trouve si volontiers dans les nouvelles de Sundman, et les sousentendus qui font vibrer ses laconismes: r'eflets d'une sagesse qui se cache e~ qui évite de clore le débat. De là aussi cette poésie un peu rêche qui se dégage de ces récits ' et leur saveur tantôt forte, tantôt subtile, comme l'odeur des bois. C.G. Bjurstrom

..................................................... ................... . '

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garnie r- fI a ID ID a ri on La Quinzaine littéraire, 15 au 31 juillet 1967.

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"Une de nos meilleures femmes de leHres. .Mals dans le livre merveilleux et pudique qu'elle vient de nous donner, Je reconnais autre chose, qui touche au génie, au génie de Ja sensibilité et de la pureté. SI elle n'obtient pas le Femlna ou le Goncourt, Je m'en lamenteral"_ R.M.'ALBÉRÈS.(Les Nouvelles :Uttéralres)

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Joyce à Dublin

On se serait cru par moments la reclproque était vraie: « W e dans ce Dublin des environs de can't do without Joyce culturally »; 1900 dont les lettres et les pamEileen MacCarvill, qui a étudié les phlets de Joyce nous ont laissé années de jeunesse; le Pr Garvin, l'image féroce; . simplement, la qui rappelait l'écrivain à ses comhargne et la mesquinerie qui ne patriotes dans une série d'articles ; pouvaient plus s'exercer sur un enfin, « last but not least », Gerard écrivain à tous égards hors de O'Flaherty, un des animateurs, portée, de vagues « hommes de avec le poète Rivers . Carew, du lettres » dublinois les ont transDublin Magazine, et conseiller férées sur ses lecteurs_ technique très écouté du SympoCar on voit bien ce qu'une ou sium, est d'une rare compétence deux notules de la presse locale pour tout ce qui touche Ulysse et pouvaient reprocher au First JaFinnegans Wake. mes Joyce Symposium (15-16 Tout ceci nous ramène au Symjuin): leur prendre un homme qui posium, dont il est manifeste qu'il leur appartient, à eux seuls, pour fera date. D'abord, bien sûr, parce la raison décisive que leurs pubs que la famille de James Joyce, en favoris ont été jadis les siens. Les lecteurs de Joyce, d'ordinaire, n'ont que ses livres, et c'est trop peu sans doute. Tout ceci est fort compréhensible: il est plus confortable, aujourd'hui encore, de faire du folklore irlandais que de s'intéresser trop ouvertement à un auteur certes ' point officiellement banni, mais longtemps lu sous le manteau, et qui n'a pas été jugé digne de figurer au programme de l'Université dont il a été l'étudiant (les Pères Jésuites de son collège seraient sur ce point plus larges d'esprit). Il est très significatif que, trop absorbé par l'arrivée de Mrs Kennedy, the Irish Independent, journal national de l'Irlande, n'ait pas eu un mot pour Joyce en ce 16 juin doublement mémorable_ Faut-il encore préciser que les Irlandais ne pourront pas voir le film Ulysse dans leur propre pays ? Mais ne dramatisons pas: la M. Donagh Mac Donagh remet . situation est en train d'évoluer, et le masque de Joyce à son füs, certains responsables locaux se sont Giorgio Joyce. montrés compréhensifs. Mais justement il faut éviter que ce retour timide de Joyce à Dublin ne tourne à l'exploitation commerciale, ou la personne de son fils Giorgio, est même. simplement au fétichisme. revenue à Dublin après quaranteCertes, les « circuits joyciens », et cinq ans d'absence volontaire, pour particulièrement les itinéraires de y recevoir enfin, des mains de Stephen et de Bloom, ont une Padraic Colum, le masque de valeur documentaire très réelle l'écrivain qui leur avait été souspour le lecteur d'Ulysse, de même trait pendant vingt-cinq ans_ Le que la visite de Clongowes Wood, plus ancien, et fidèle, ami de Joyce, où Joyce fut pensionnaire, et où Frank Budgen, était là lui aussi. il situe plusieurs épisodes du Por- Ensuite et surtout parce que pour trait of the Artist. Mais aujour- la première fois des chercheurs de d 'hui le bilan reste positif, et d'ail- toutes les nationalités étaient réuleurs les antidotes sont à portée. nis: une soixantaine, appartenant On voit par exemple que le petit à quatorze pays_ L'impulsion, tout musée bien organisé par Miss Vi- naturellement, était venue des vien Veale dans la célèbre Mar- hommes qui ont su depuis queltello Tower de Sandycove, est en ques années établir des liens à la train de rassembler l'essentiel de fois personnels et publics entre les la littérature joycienne et, loin spécialistes de tous les pays : Thod'être seulement la Kaaba des joy- mas Staley, professeur à l'Univercistes, pourrait finir par constituer sité de Tulsa, et son James Joyce un centre d'études_ Mais surtout Quarterly (fondé en 1963), et Fritz le public -cultivé irlandais pourra Senn, de Zurich, co-fondateur, avec de moins ~n moins ignorer Joyce, Clive Hart (Australie), de A Wake et il trouve déjà sur place des spé- Newslitter (1962), bulletin consacialistes de qualité: Niall Mont- cré à la seule étude de Finnegans gomery, nourri, soit dit en passant, Wake. La récente rencontre n'est de culture française, dont les pre- que le prolongement de cet effort, mières études sur l'œuvre joycien- en union avec le Dublin Magazine ne remontent à une quinzaine déjà cité, et Board Failte, Office d'années, et qui proclamait, le jour du Tourisme irlandais': Quels en de Bloomsday, que si l'Irlande était . sont les fruits ? nécess~ire pour comprendre Joyce, Pour cette première rencontre,


Faulkne-r aucun thème n'avait été fixé, et la douzaine de brèves communica' tions, souvent encore amputées in extremis faute de temps, qui occupaient les deux demi-journées, appartenaient à des genres variés. En premier lieu des études détaillées de textes précis: identification et analyse d'une mystérieuse ballade de Dubliners (Donagh Mac Donagh); une excellente analyse du chapitre « Circé » d'Ulysse, étayée par l'étude des brouillons (Pr Norman Silverstein); celle, non moins minutieuse, de « A Mother » (Pr Ben Collins); la confrontation des notes françaises des « Holograph Notehooks » de la Lockwood Memorial Library avec des références de Finnegans Wake (J. Aubert). Ces communications fournissaient souvent des données nouvelles, mais n'étaient pas de nature à amener des confrontations entre les participants. D'autres, extraites d'ouvrages à paraître prochainement, proposent des conclusions d'ordre plus général, qui ne prendront tout leur sens qu'avec ceux-ci: le parallèle Joyce-Synge du Pr Stanley Sultan; « The Phallic Tree in Finnegans Wake », bonnes feuilles, si j'ose dire, de The Sexual Universe of F W (Pr Solomon), envisage un aspect du livre qui n'a reçu jusqu'ici qu'une attention discrète. L'excellent exposé du Pr David Hayman sur la farce dans Ulysse annonce une véritable théorie du genre. La communication de Sidney Feshbach, centrée sur une analyse des styles, nous invite à reconsidérer les premières œuvres sous un jour nouveau, mais elle se veut en même temps, et explicitement, « geste politique»: Joyce au total est une impasse, et n'apporte aucnne solution aux drames de l'homme d'aujourd'hui; le livre de S. Feshbach, couronnement de quinze ans de travaux, sera un « adieu à Joyce ». A cette interprétation, s'oppose l'optimisme de James Atherton, l'un des meilleurs spécialistes de Finnegans Wake. Ayant fait le tour du problème classique « Qui rêve dans Finnegans Wake? », le Pr Atherton affirme que « c'est chaque homme »; la conclusion n'est pas en elle-même révolutionnaire, mais ce qui est nouveau en revanche, c'est d'une part le rapprochement qu~il établit avec Teilhard de Chardin le Phénomène humain est la meilleure introduction à Finnegans Wake »), et d'autre part les conclusions politiques qu'il en tire : le monde pour Joyce est effectivement une seule famille (Earwicker, Anna Livia, etc.) et il est dangereux de sous-estimer son intérêt pour les problèmes politiques: la dernière œuvre proclame à chaque page son pacifisme profond. D'autres participants enfin ont indiqué des directions de recherche. Umberto Eco, d'abord, l'invité d'honneur, partant d'une analyse

«(

à la fois brillante et serrée d'une phrase de Finnegans Wake où se rencontrent Minucius Felix, l'apologiste chrétien, et Mandrake, le Magicien des bandes dessinées, conclut à la nécessité d'étudier Joyce à la lumière de la linguistique moderne. Le Pr F. Walzl attire l'attention sur Chamber Music, Exiles, etc. Le Pr Warner (Oxford) recense les domaines encore mal explorés: les divers manuscrits inédits; certaines sources médiévales; l'influence possible des Cantos d'Ezra Pound; celle de certains peintres modernes; les rapports possibles avec les Quartets d'Eliot; l'héritage joycien dans la littérature moderne et son rôle dans le bouleversement de la culture européenne. On eut aussi des révélations: Maciej Slomczynski, de Cracovie, le traducteur d'Ulysse en polonais, travaille à une traduction intégrale (la seule, sans doute, qui verra le jour) de Finnegans Wake. Il estime que la langue polonaise, deux fois plus riche que l'anglaise pour des raisons historiques, permet de mener à bien une telle entreprise. « C'est un problème purement technique, que nous pouvons résoudre: Finnegans Wake ne pose pas de problème théorique, philosophique. » Une autre tentative très intéressante est celle du traducteur hollandais d'Ulysse, John Vandenhergh (qui a déjà traduit Faulkner, Lowry, Miller, et va s'attaquer à Sterne ... ): il adjoindra à son texte un fascicule portant élucidation des difficultés les plus sérieuses, jusqu'ici accessibles aux seuls spécialistes dans des revues ou ouvrages dispersés. Il est à souhaiter que ce travail soit rapidement traduit dans tous les pays où l'œuvre de Joyce est largement diffusée, particulièrement en France. On voit que la recherche joycienne ne se réduit pas à une « industrie » à capitaux américains, comme on le dit trop souvent, et qu'elle n'est pas non plus une société secrète. Elle est en train de quitter le ghetto intellectuel où la paresse et la timidité des milieux cultivés, plus que l'arrogance des spécialistes, l'ont - si longtemps confinée. Une importante initiative rendue publique au cours de ce Symposium devrait l'y aider: la création d'une Fondation Joyce. Si l'impulsion, une fois de plus, est venue des U.S.A., plusieurs de ses fondateurs étant liés au James Joyce Quarterly, la plupart des pays d'Europe y sont représentés. Son avenir, et l'exécution de ses projets (création de bourses, organisation de la recherche, congrès, etc) dépendront des appuis qu'elle saura trouver. Mais il serait surprenant qu'elle ne s'impose pas très rapidement. Une chose est déjà acquise: le second Symposium aura lieu en 1969, toujours à Dublin. Jacques Aubert

La Quinzaine littéraire, 15 au 31 juillet 1967.

William Faulkner Histoires diverses traduit de l'américain par R. N. Raimbault et C. Zins Gallimard éd., 332 p. Avec dix-huit romans, cinq ou six recueils de nouvelles et quelques volumes divers, la presque to-talité de l'œuvre de -Faulkner est aujourd'hui traduite en français. Maintenant que l'on rassemble les

bIait particulièrement réussie et adéquate au ton et au tour de tel roman en cours qu'il voulait l'y enchâsser : six histoires étaient reprises dans Le hameau (et notamment L'incendiaire qui ouvre Histoires diverses) et Les palmiers sauvages n'était que deux histoires savamment entremêlées. Le soin apporté à la rédaction de ces histoires interdit d'ailleurs d'y voir des ébauches ou une activité secondaire ; toutes les innovations formelles

WiUiam Faulkner-

écrits épars de l'écrivain, on :q'attend plus guère la révélation d'un chef-d'œuvre. Pourtant, un recueil d'histoires - même diverses - de Faulkner est encore un petit événement ; je suis de ceux qui donneraient tout Sanctuaire et Parabole pour une histoire comme L'ours ou Une rose pour Emily. Faulkner s'est maintes fois défini lui-même comme un conteur d'histoires. « Je crois que je suis né avec le goût de raconter des histoires. » Certaines de ces histoires ont pu être reprises et insérées dans le cours d'un roman ; ce procédé familier à Faulkner a parfois été pris pour de la maladresse ou de la négligence alors que les conteurs de sagas et de mille et une nuits n'en usent pas autrement. L'œuvre de conteur de Faulkner n'est pas une distraction du romancier, un fourre-tout où éventuellement pùiser des idées, mais partie intégrante et essentielle de ce livre dont il parlait. C'est au contraire parce que telle histoire lui sem-

que le lecteur de Faulkner oonnaît bien se retrouvent ici au service d'une plus grande densité et d'une plus grande force : objets et personnages décrits. et mis en action sans les nommer, pronoms personnels ambigus, syntaxe ·désarticulée de longues phrases à méandres et · parenthèses. L'écriture la plus surprenante ici est peut-être · celle des Deux soldats, où tout est conté par un enfant de sept ans dans un patois campagnard dont le traducteur s'est efforcé de trouver. un équivalent savoureux.

Le gentleman-farmer de la petite ville d'Oxford, Mississippi, .qui s'intitulait « unique possesseur et propriétaire du comté de Yokna:patawpha » a voulu réaliser une saga · de la tribu (non pas une comédie humaine). Etrange tribu de blancs, de noirs, de rouges et de tous mélanges et couleurs intermédiaires. Faulkner rapporte à différentes époques l'histoire des grandes familles de son comté ; les Compson, ~ 11


Quel Portugal

~Faulkner

les Sartoris et les Snopes reviennent tout au long de son œuvre. Ces Histoires diverses furent publiées pour la première fois de 1932 à 1948, c'est-à-dire dans les années où Faulkner était en pleine maturité. Dans la plus ancienne, Le centaure de bronze, on ne s'étonnera pas de rencontrer une vieille connaissance, Snopes, et dans la plus récente, Chevalerie rustique, un personnage déjà rencontré dans L'ours et Les larrons, Boon Hogganbeck. On avance dans le monde de Faulkner comme dans une petite ville dont la physionomie des rues et de tous les habitants est familière. Le major De Spain figure dans La chasse et nous sommes aussitôt sûrs de l'avoir rencontré ,q uelque part. Etait-ce dans La ville ou ailleurs ? Le retour de personnages déjà connus ou de leurs dignes descendants - chez Faulkner, bon sang, comme mauvais sang, ne peut mentir pourrait rendre ce recueil monotone. Il n'en est rien. Ces histoires se déroulent à l'époque coloniale, pendant la guerre de Sécession ou dans un passé plus ou moins récent, ayant toujours pour cadre le vieux Sud traditionaliste et paternaliste (il y a également de cela dans certains films de John Ford comme Le soleil brille pour tout le monde). Leur variété provient surtout de la grande différence de ton : voisinant avec Ce sera épatant où un jeune enfant raconte comment il aide son oncle à voler, on peut lire Le mulet dans la cour, uile farce où l'on voit Snopes le voleur se faire berner par la vieille Hait. Parfois un même thème est traité de façon tragique puis de façon comique : L'incendiaire présente un pyromane entraînant son fils dans ses équipées, alors qu'U n toit pour le Seigneur montre un homme et son fils qui, à la suite d'un burlesque troc de chien, veulent réparer le toit de l'église en heures supplémentaires et y mettent malencontreusement le feu. On nous parle si souvent de Faulkner auteur pessimiste et noir qu'on oublie qu'il est aussi un grand humoriste; l'auteur de Sanctuaire est aussi celui des Larrons. Ces Histoires diverses sont finalement moins diverses que leur titre ne le laissait craindre. Deux ou trois sont sans rapport avec le reste du recueil; dans Pennsylvania Station, on voit deux clochards couchant dans une gare de New York, et dans Maison d'artiste, un romancier de quelque célébrité reçoit chez lui un poète pique-assiette. Bien qu'elles ile soient pas sans intérêt, leur absence aurait rendu le recueil plus cohérent. On aurait pu supprimer plus volontiers encore Ils ne périront point, nouvelle de circonstance au ton désagréablement patriotard. L'extraordinaire présence de la grand-mère Millard et de l'oncle Willy fait bientôt oublier ces petites inégalités. Serge Fauchereau 11

lose Cardoso Pires

J José Cardoso Pires L'Invité de lob traduit du portugais par Jacques Fressard Gallimard éd., 223 p.

Il n'est d'ailleurs pas exclu que ces procédés nouveaux ne préfigurent un nouvel aspect de l'esprit révolutionnaire, ne constituent l'ébauche, sur le plan historique cette fois, d'une sorte de déviationnisme. Il en est sans doute ainsi dans Ainsi en est-il de cet Invité de tous les pays - Italie méridionale, lob qui nous apporte du Portugal Pén ~nsule ibérique, Amérique lade désespérantes nouvelles. Quel tine - où les grands propriétaires Portugal? Presque rien une et l'Eglise, la police et l'armée pè- plaine desséchée où errent des bansent de tout leur poids sur le peu- des d'ouvriers agricoles affamés et pIe: la littérature n'y peut que que parcourent des patrouilles de refléter, contester et combattre soldats à chevaL Quelque part, un d'une manière feutrée ou directe village, Cimadas, où les paysans un certain état social. Ecrire, sous ont fait mine de se révolter: ailces cieux, c'est agir. leurs, une ville de garnison, Cercal Novo, où des recrues mènent l'exisSi ce besoin de revendication tence abrutissante de la caserne, plonge ses racines dans le XIX' siè- tandis qu'un capitaine américain cle, les formes narratives qu'il re- « l'invité . ,de Job » - préside à vêt aujourd'hui ne doivent rien, ' la démonstration d'un nouveau masurtout depuis la guerre, au roman tériel d'artillerie. doctrinal naturaliste ou progresEt que se passe-t-il ? Rien d'imsiste par lequel il s'exprimait na- portant ni de décisif. Des bouts guère. L'influence de l'expression- d'histoires qui n'auront point, pas nisme, quelquefois du surréalisme, tout à fait la fin tragique ou exemle récit à l'américaine - je pense plaire qu'on était en droit d'atà Steinbeck, à Caldwell - , l'uni- tendre. Cela s'arrête avant, cela verselle royauté de l'image insti- s'arrange à peu près, cela s'emtuée par le cinéma y sont certaine- bourbe dans le quotidien d'une ment pour beaucoup. Non seule- misère permanente. Un drame, ment on ne prêche plus, on s'abs- non :, tout !"lste, parmi beaucoup tient de démontrer, mais on néglige d'autres, un qnelconque pitoyable de peindre dans le détail la situa- moment d'une lente chute par pation à dénoncer, la société à réfor- liers vers une totale déchéance. Prudence à l'égard de la cenmer. Le flash a remplacé la fresque, la séquence brève le commen- sure ou esthétique délibérée? Il taire et le montage improvisé la es· düficile de trancher. Peut-être narration ' classique. les c1eux ensemble : de l'obstacle

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serait né l'organe, un nouveau mode de discours. Une fille, à Cimadas, est elllevée' à sa mère. Elle passe une nuit dans les locaux de la police. De vrais sévices, point. Il y a cependant là un prisonnier qu'on empêche de dormir en lui maintenant un bras en l'air. Et de Cimadas encore s'en vont deux hommes par les chemins, un jeune, Portela, et un vieux, Anihal, tout nourri de vieilles fables historiques, de rêveries sans fondement et qui espère avec entêtement être recueilli par son fils, soldat à Cercal Novo. Les deux compères y arrivent, hélas, à l'instant où, sur le polygone de tir, éclatent quelques obus yankees. Portela reçoit un éclat dans la jambe. On la lui coupe, on lui fabrique une béquille de beau bois dur et le couple revient au village, un peu plus cahin-caha qu'il n'en était parti. Le vieux fait de nouveaux projets : vendre, pour vivre, des brochures, de ces légendes du passé dont il a la tête farcie. Tout cela ne paraît guère cohérent et, semble-t-il, manque de substance. On se dit d'abord que Pires aurait mieux fait de nous donner, plutôt que ce récit filiforme et disparate, un recueil de nouvelles. Puis l'on s'aperçoit que ces tracés hésitants, traits de crayon plutôt que taches de couleur, que ces trous dans la narration, ces omissions, ces ajustages incertains finissent par évoquer tout un pays. On constate qu'en s'entremêlant ces itinéraires d'hommes insectes, ces fragments de biographies tislient l'étoffe d'une communauté , ~ous-développée, perdue dans un temps immobile et une étendue désertique. Un peuple, ses illusions, ses pauvres moyens de subsistance, ses artisanales débrouillardises, sa force d'inertie, sa sourde revendication apparaissent au travers de ces minces épisodes. Et non seulement ce peuple, mais sa situation dans le monde, la situation de notre monde où l'exploité et l'exploiteur ne font pas 'précisément bon ménage et où l'entraide internationale se traduit par la livraison d'un parc d'artillerie flambant neuf à des gens qui crèvent de faim. De quoi jouer à la petite guerre sur tous ces fumiers de Job qui, de la Méditerranée aux Caraïbes, étendent leur stérilité à la surface de la planète. Personne, l'ayant lu, n'oubliera le spectacle mesquin et fantasmagorique, à la fois cauchemardant et minutieusement observé, de ces bandes rivales d'enfants qui, excités par une sorcière en haillons, se ruent entre chaque salve de batterie sur le champ de tir bouleversé pour ramasser et se disputer les éclats d'obus qu'ils échangeront contre quelques sous. Cette vision n'est pas folklorique, pas régionali~te. Elle illustre, au-delà du pittoresque des circonstances, l'universelle stupidité de notre xx' siècle. Georges Piroué


Sortilèges William Goyen En un pays lointain Traduit de l'américain par Marcelle Wem Gallimard éd., 228 p.

Il y a une quinzaine d'années,

La maison d'haleine fut une révélation : la littérature américaine ne s'était pas arrêtée avec la génération perdue. Un univers naissait sous nos yeux, lyrique et incantatoire. Goyen, avec son écriture nostalgique, ramenait des pépites de son voyage au pays d'enfance. Ce livre fit son chemin à travers le monde. Depuis, nous avons attendu. Le fantôme et la chair a confirmé, sans toutefois l'égaler, le talent que nous avait révélé La maison d'haleine. Puis, avec son dernier roman, Savannah, ce fut la catastrophe : des hauteurs de Charity, William Goyen était tombé dans l'anecdote médiocre que la réussite de quelques scènes ne parvenait pas à sauver. Au moins, avec son second r0man, En un pays lointain, qui date de 1955, nous retrouvons William Goyen : moins pur que son premier ouvrage, son récit témoigne d.e la même démarche, du même univers et, dans sa chasse aux trésors oubUés, il ramène encore quelques diamants de la plus belle eau. Une fois de plus, il part à la quête d'un pays d'enfance, d'un pays où les racines sont encore vivaces. Marietta est une femme de trente ans qui travaille dans un bazar new-yorkais à l'enseigne du « Sortilège espagnol ». Cette Espagne, pour elle qui vient du Nouveau Mexique, c'est le sang de ses ancêtres, le seul rameau authentique de son existence. Alors, dans sa ,chambre, elle rêve, elle veut rebâtir cette Espagne où est né son sang. Et nous entrons bientôt en plein domaine onirique : dans cette chambre passent plusieurs personnages, tous plus pittoresques les uns que les autres. Elle devient un royaume fantastique. Mais on en-

William.

~en

tend enore rouler les poids lourds, ceux-là mêmes qui, quand on a construit l'autoroute, ont détruit la beauté du Nouveau Mexique. Et c'est la fin du « sortilège (qui) a été tissé par le rêve qui passe sur ces personnages évanescents, s'éparpillant en un fouillis de ronces et de semence ». Nous avons quitté les grandes orgues de La maison d'haleine pour une musique plus intime, un air de flûte, plus proche de nous. Avec des moyens très simples, sans le moindre procédé littéraire, Goyen évoque admirablement l'angoisse de

Marietta à la recherche d'un foyer bâti sur « une matière durable », sa fuite vers un « ailleurs » où elle devient une véritable reine d'Espagne. Il poursuit par un chapitre où se trouve entièrement résumé son art : dans un Uniprix se trouve un oiseau, un Chapparal, un co.ureur-de-route que personne n'aime ni ne veut acheter. Marietta entre dans le magasin quand il est vide. Dans ce bâtiment, symbole de l'artificialité citadine, se noue un dialogue entre l'oiseau et la jcune femme. Tout se transforme aussitôt « comme s'ils avaient déjà entendu ce

cri, il Y a longtemps, en un lieu qu'ils avaient visité mais · d'où ils étaient revenus et vers où ils souhaiteraient repartir ». Goyen dans cette 'scène, est près de la perfection. Quand les créatures oniriques entrent en scène, si l'écriture de Goyen garde toute sa magie, elle tourne à vide. L'assise concrète n'est plus qu'un décor. Chacun des fantômes est l'une des formes de la solitude onirique de Marietta. Après avoir installé l'angoisse, l'auteur tente de l'incarner. Et cette solitude est totale. D'abord sexuelle, et les symboles abondent, qui ne nécessitent pas de fortes connaissances en psychanalyse. Ce pourrait être banal et fastidieux. Le don poétique, l'écriture sont ici une forme de salut. Goyen n'a pas son pareil pour trouver le détail anecdotique qui imprime une autre couleur à l'histoire : c'est, par exemple, la mandoline dont les cordes sont des cheveux de femmes et qui chante seule quand la hrise se lève. On est parfois à deux doigts de la mièvrerie. Si l'on songe à Faulkner (en raison de l'influence majeure qu'a subie Goyen), c'est à un Faulkner qui aurait gommé son âcreté, qui s'en tiendrait à un humour gris-rose. Il est pourtant difficile de dire que nous sommes au niveau de La maison d'haleine. Dans ce premier roman, la synthèse entre « le fantôme et la chair », pour reprendre le titre significatif d'un recueil de nouvelles, est réussie. L'onirique est le climat même de la chair. Ici, la chair se fait rare. L'héroïne « vit là-bas d'où elle est venue, c'est son refuge contre la confusion du monde, sa façon de demeurer au lieu pur où elle n 'est plus, proche de sa source ». Mais ce « là-bas» n'a plus le moindre Hen avec la réalité qu'el~ le cherche à évoquer. Seize ans après la publication de La maison d'haleine, on peut raisonnablement se demander si Goyen n'est pas l'auteur d'un seul livre. Jean Wagrur

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dirigée par FERNAND BRAUDEL, Professeur au Collège de France FRANCK BOURDIER

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PIERRE FOUGEYROLLAS

FRANCIS NEWTON

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UNE SOCIOLOGIE DU JAZZ

eJ:emple du Sénégal ,

JEAN STOETZEL

JEAN COHEN

STRUCTURE DU LANGAGE POÉTIQUE

VLADIMIR JANKELEVITCH

LA PSYCHOLOGIE SOCIALE

LA MORT THEODOSIUS DOBZHANSKY

L'HOMME EN ÉVOLUTION

EMMANUEL LE ROY LADURIE

BlSTOIBE DU CLIMAT DEPUIS L'AN m

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La Quinzaine littéraire. 15

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31 juillet 1967.

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Jean Cordelier Mme de Sévigné par elle-même Coll. « Ecrivains de toujours » Le Seuil éd., 190 p.

Nous sommes en 1675. Mme de Sévigné séjourne en ~retagne. Où il y a des troubles. La répression est brutale. « On a pris soixante bourgeois, écrit-elle le 30 octobre ; on commence demain à pendre. Cette province est un bel exemple pour les autres, et surtout de respecter les gouverneurs et les gouvernantes, de ne leur point dire d'injures, et de ne point jeter des pierres dans leur jardin. » 1676. Le supplice de la Brinvilliers. « Son ' pauvre petit corps a été ' jeté, après l'exécution, dans un fort grand feu, et les cendres au vent ; de sorte que nous la respirerons, et par la communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante, dont nous serons tous étonnés » (17 juillet). 1685. Louis .XIV vient de révoquer l'Edit de Nantes. Bourdaloue « s'en va, par ordre du Roi, prêcher à Montpellier, et dans ces provinees où tant de gens se sont convertis sans savoir pourquoi. Le P. Bourdaloue le leur apprendra et en fera de bons catholiques. Les dragons ont été de très bons missionnaires jusques _ici : les prédicateurs qu'on envoie présentement rendront l'ouvrage parfait» (28 octobre). Odieux, tout cela .? Le brave Lanson le croyait ; un peu jobard cette fois, et engoncé dans son col dur, et malhabile à insérer son lorgnon dans les interlignes. M. Jean Cordelier, lui, ne s 'y trompe pas plus que n'avait fait auparavant M. Antoine Adam. On pourrait parler d'h)lmour noir; davantage: d'un humour qui remplirait l'office d'un code secret (nous y reviendrons tout à l'heure). Il arrive ici qu'une phrase semble dire le contraire de ce qu'elle veut dire, quand on la sépare des indications infiniment légères et prudemment éparses qui lui font à distance un cortège discret : seules ces h . , d' '1 armonlques et resonances ece ent la vérité voilée.

Une bavarde M me de S '·' , li ' eVlgne, en rea te, est bouleverse'e par les cruaute's ml'll'• 1'" d' ,.. . taues et po ICleres un reglme lmplacable. « De telles vengeances rudes et basses, écrit-elle à propos .de la condaDIDatl'on de Foucquet, ne • t t· d' sauraten par tr un cœur comme celui de notre maître. On se sert de son nom, et on le profane ... » (22 décembre 1664). Cela veut dire qu'elle a jugé ; et qu'elle a résolu, pour l'avenir, quoi qu'il arrive, de ne J'amais se laisser "intoxiquer

i~.itF~i;~i;;f;;'; ·.· · · · •••·• · •·• •• ·••• •~! .~ ~t~i~fi~A~'d~~;''';~ ,

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avoir familiarisés, si lourds soyonsnous, avec les ruses agiles de cette pudeur. Détourner la tête de peur que le public n'aperçoive les larmes. Les pirouettes dissimulent une tendresse pitoyable pour toutes les victimes - quelles que soient les causes, voire les raisons, ou même la justification, ou même la justice, ou encore la nécessité de la sanction. On ne confesse pas ces choses-là. Retenir : manière, quelquefois, élective et raffinée de donner. Ce sont les choses' tues qui font le poids des choses dites. Ce que M. Jean Cordelier analyse avec une finesse et une acuité qui font de son livre une étude neuve, saisissante, entraînante. Il ne déforme pas : il approfondit. Il se garde d'omettre ce qu'on a coutume de chercher dans les Lettres : la grâce, l'allégresse, la hardiesse, la rapidité, la souveraine désinvolture du langage (de Retz à SaintSimon, tout droit, sans autre escale), le charme et la valeur de la préciosité et d'autre part, mille renseignements irremplaçables sur les mœurs, les genres de vie, les hommes et les événements - étant entendu que, rarement témoin ellemême, Mme de Sévigné tenait un ' bureau d'information équipé d'une , foule de bons informateurs. Mais il pense qu'elle n'est vraiment vraie que quand on croit qu'elle va caquetant pour ne rien dire. « C'est mon écritoire qu'il me faut », dit-elle. Cette bavarde a en elle-même de quoi intéresser plus encore que ses narrations. Le « génie » de celle qui raconte - M. Cordelier insiste sur le « génie » est alors pur de tout mélange avec ce qu'elle raconte. Ainsi son gentil babillage devient expression, son art de filer l'anecdote devient épreuve et exorcisme, ses petites maniè· res prestes deviennent littérature au sens noble du mot, c'est-à-dire re· cherche, . découverte, prise de conscience et formation de soi. Notre tort habituel est de juger d'elle sur ses morceaux de bravoure, trop faciles à mettre en anthologie. N'exagérons pas cependant; sur les « coquecigrues » du clair de lune par exemple (12 juin 1680), vous vous rappelez le commentaire de Proust: il s'agit de bien autre chose que d'un morceau de bravoure. Mais le ({ Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, » etc. (15 décembre 1670), le ({ Faner est la plus jolie chose du monde » (22 juillet 1671), la relation de la mort de Turenne (28 août 1675), la description du printemps breton (19 et 26 'avril1690), ce sont des pages - parlons sottement - trop éblouissantes. Nous ne faisons pas notre ordinaire des feux d'artifice. Il y a là souvent du baroquisme, tantôt flamboyant, tantôt précieux, voire mièvre si l'on peut parler d'une mièvrerie du baroque. . . Parure et parade pour séduire. Pour répondre à une réputation et combler une attente ; pour capter et pour entretenir, tâche épuisan-


Une vérité bien voilée te, directement ou par correspondants interposés, et à tout prix, les bonnes grâces d'une fille qu'agaçaient les débordements de la sollicitude maternelle. Beaucoup pour se plaire à elle-même, bien sûr, car ni la tristesse du cœur ni l'angoisse de l'esprit ne découragent la joie d'écrire; aussi pour confirmer, qui peut le plus pouvant se permettre le moins, un droit qu'elle n'entend pas laisser prescrire, le droit à la simplicité et au libre abandon.

Les soupirants Elle est née, déclare M. Cordelier, pour entrer en matière, à l'âge de quarante-cinq ans, le 6 février 1671 : c'est la date de la première lettre à Mme de Grignan ; de la première, du moins, qui nous soit parvenue. Vous le voyez, M. Cordelier aime nous bousculer, afin de mieux casser nos routines (jusqu'à appeler à la rescousse, sans

rassemblés dans les trois tomes de la Pléiade ; c'est beaucoup. certes : non pas autant que le veut la légende. n est vrai que ces chiffres et proportions n'ont pas de sens. Trop de lettres ont été perdues ; autant ou moitié autant peut-être (supputation tout aléatoire) qu'il en resle. « l'ai quasi toujours à écrire », disait la marquise. La correspondance avec Mme de La · Fayette ou avec le cardinal de Retz, entre autres, si jamais on les retrouvait, ce qui n'est ni impossible en droit ni vraisemblable en fait, pourrait bien distordre nos perspectives : nous déposons des conclusions sur le vu d'un dossier que nous savons incomplet sans savoir combien ni comment il l'est. Cessons de chicaner ; et après ces réserves, reconnaissons qu'il est improbable que des découvertcs nouvelles puissent rien apporter sur l'essentiel - sur cet espace du dedans dont M. Cordelier trouve les coordonnées et les dimensions dans

terprétations à la fois rudimentaires et délirantes auxquelles se complaisent quelques critiques modernes éperdus de modernisme. On fait état, sans mesure, d'un mot de Mathieu Marais : « Ce sont des lettres à sa fille où il y a plus d'amour que les amants n'en ont dit, depuis que l'on a commencé de s'aimer » ; et d'une phrase à Mme de Grignan absente de toutes les éditions avant celle de la Pléiade : « Pensez-vous que je ne baise point aussi de tout mon cœur vos belles jOlLes et votre belle gorge ? » (Vous trouverez d'autres pièces de cette procédure au premier tome de la Pléiade, dans l'introduction de M. Gérard-Gailly). Allons, allons, ne traitons pas la psychanalyse comme un article de bazar. Un cas ? Sans doute ; mais qui n'était pas tellement aberrant. « Elle est d'un tempérament froid, disait son indiscret cousin BussyRabutin, au moins si l'on en croit feu son mari. » Que la frigidité, dans sa jeunesse, ait pu la rendre

ldresse d'ILlte lettre de la llfarquise il sa fil/l', Uaclame de Grig"un.

La Marquise de Sévigné. portrait par Mlle de Vanteuil,

mollir, Van Gogh, Kafka, Beckett ou Marguerite Duras). Ne force-t-il pas un peu, cette fois ? Elle n'avait pas attendu si longtemps po~' contracter alliance avec son écritoire : ses premiers billets connus sont antérieurs d'un quart de siècle ; n'allons pas confondre d'énormes manques avec une absence. Et puis les lettres à la fille occupent moins des deux tiers .des 1.155 numéros

les lettres à Mme de Grignan. Il cite quelques lignes propres à convaincre, et aussi à troubler: « l'admire comme je vous écris avec vivacité, et comme je hais d'écrire à tout le reste du monde ( ... ) Comment? l'aime à vous écrire! C'est donc signe que j'aime votre absence, ma fille : voilà qui est épouvantable. » Il a le bon sens d'écarter les in-

La Quinzaine littéraire, 15 au 31 juület 1967.

agitée, dissipée, évaporée, inconsidérée, mondainement imprudente, cela serait assez habituel. Ni la malignité de ses contemporains ni la critique moderne ne :'le sont résignées à voir en elle, tout simplement, une femme soulagée du devoir conjugal (elle était devenue veuve le jour même de ses vingt-cinq ans) et qui n'avait plus envie de coucher avec ,personne. Ni avec Bussy.

tombeur cette fois déçu (elle aurait pourtant aimé l'aimer, malgré les défauts déplaisants qu'il avait, si seulement elle avait pu l'aimer) ; ni avec Foucquet, ni avec le prince de Conti, ni avec Turenne, ni avec le duc de Lesdiguières, qui comptèrenl parmi ses soupirants.

La Fronde Un complexe, si vous voulez ; une affectivité pressée de se défouler. Mais l'hypothèse d'une sorte de saphisme incestueux relève, au mieux, des aide-mémoire pour le baccalauréat (nos candidats d'aujourd'hui sont tellement affranchis). C'est du moins ce que je crois ; à tort, peut-être : toute preuve manque, évidemment, dans un sens comme dans l'autre. Les lettres perdues à Mme de La Fayette livreraient-elles des aveux, ou du moins des allusions aux confidences que devaient se faire à l'oreille deux femmes si amicalement liées, et si proches l'une de l'autre ? Mais saurions-nous déchiffrer de telles allusions, connaissant sa délicate réserve ? Quelles parts respectives attribuer dans ses réticences, à sa retenue spontanée et à la crainte du cl'.Linet noir ? « Ceux qui ont VIL dans ses lettres la marque d'unl! âme in..sensible, remarque M . Antoine Adam, ne semblent pas soupçonner que la police était en possession d'ouvrir les correspondances » ; l'opinion de M. Cordelier s'accorde avec la sienne. Sans doute Mme de Sévigné avait-elle quelquefois le moyen d'acheminer ses lettres par des voies sûres. En tout cas, les destinataires les communiquaient à des tiers, on faisait cercle' pour en écouter la lecture ; après quoi, les bavardages allaient leur train. Entre commérage et mouchardage. la fronlière flottait. Or l'épistolière était suspecte. Oui, elle roucoule d'aise lorsque, à une représentation d'Esther, Sa Majesté daigne lui adresser quelques paroles banalement affables; mais c'est en lI689, où le passé est bien mort. La tête ne lui a jamais tourné. Elle n'a guère intrigué, elle ne s'est point ralliée. Immanquablement ses meilleurs amis se sont trouvés du côté de ceux que « notre maître » détestait, et à l'occasion persécutait, le surintendant Foucquet. Bussy, déjà cités, et les survivants de' la Fronde comme La Rochefoucauld, résignés mais non convertis elle s'obstinait à leur rester fidèle - et les jansénistes, une poignée d'honnêtes gens irréductibles, dont la seule existence suffisait à tracasser le roi : leur rigueur effarouchait Mme de Sévigné, mais la manière dont ils prenaient au sérieux les choses sérieuses entraînait son esprit et son cœur. Un entraînement singulier la rangeait toujours du bord des mauvais esprits à surveiller. Samuel S. de Sacy

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ART

, De Watteau' a Fragonard E. et J. de Goncourt L'art du dix-huitième siècle et autres textes sur l'art Présentation de J .-P. Bouillon Coll. « Miroir .de l'art» Hermann éd., 256 p. Jacques Thuillier Fragonard Coll. « Goût de notre temps » Skira éd., 157 p.

Les Goncourt offrent le cas rare d'écrivains qui, tout au long de leur vie, ont consacré beaucoup de temps, d'amour et d'argent à l'art ancien ; collectionneurs, ils avaient réuni un fort bel ensemble de dessins du XVIIIe siècle. Bien que leurs articles sur l'art moderne soient nombreux, bien qu'ils aient joué leur rôle dans l'introduction en France du japonisme, tout naturellement la couverture du choix de textes présenté par J .-P. Bouillon porte le titre que les Goncourt avaient donné à leur ouvrage principal dans ce domaine : l'Art du dix-huitième siècle. Si les deux frères ne se sont pas intéressés exclusivement à ce siècle, ils ne sont pas non plus les auteurs de la résurrection d'un art peu à peu tombé en défaveur à partir de 1770 environ. J .-P. Bouillon rappelle opportunément le nom de leurs devanciers, Champfleury, Paul Mantz, etc., et qu'ils ne font guère que relancer une mode apparue vers 1830. A cette mode toutefois, ils ont donné une forme littéraire, un éclat, qui justifient dans une certaine mesure les idées trop simples de la postérité. Le XVIIIe siècle des Goncourt n'est pas un siècle entier. S'il va de Watteau à Fragonard, il exclut. la grande peinture historique ou religieuse, qui n'avait jamais été complètement abandonnée et surtout la réaction néo-classique qui domine le dernier tiers du siècle. Les deux frères avaient pourtant commencé par des articles sur la peinture à l'époque révolutionnaire, mais leur goût profond les portait vers l'image d'une !?ociété spirituelle et heureuse qu'ils se plaisaient à retrouver chez les . artistes du temps. Leur admiration est d'abord une nostalgie, leur plaisir est d'abord historique. Par là, ils restent dans la tradition : le dix-neuvième . siècle a le plus souvent recherché dans les œuvres d'art du passé d'abord l'image cl 'une société disparue ; de même que le cousin Pons retrouve dans ses Gérard Dow la Hollande du XVIIe siècle, sa richesse et sa paix, les Goncourt aiment chez les Saint-Aubin, chez Boucher, chez Fragonard la représentation . d'un art de vivre et de bien-vivre. Mais ils échappent à cette pente archéologique par leur amour de la peinture et du dessin, par leur capacité d'entrer dans le monde poétique èt non réaliste d'un Watteau, 'p ar les moyens littéraires qu'ils emploient. Comme Diderot dans ses Salons, 16

ils utilisent la description de tableaux, description souvent synthétique, qui rassemble et résume plusieurs toiles en quelques phrases. Forts de leur expérience d'amateurs et de collectionneurs, ils peuvent s'appuyer sur l'étude du métier pictural, décrit dans un langage qu'ils aiment à rehausser de mots rares ou inconnus. Parlant de la technique, dont ils ont bien senti l'importance, de Chardin, voici « des égrenures raboteuses du ' pinceau, des grumelots de la couleur ». Il y a là sans doute un défaut : à force de mots recherchés, d'épithètes précieuses, ce n'est plus un tableau que l'on voit mais l'écriture des Goncourt. Pourtant, les deux frères sont aussi historiens ; ils savent peser les influences, relever ce que Watteau, ce Flamand, doit à Venise ; ils accumulent les

frères. Non seulement ils aiment trop les chroniqueurs, Debucourt, Eisen, mais quand ils sont grands, ils n'en voient qu'un côté, ainsi de Moreau le Jeune dont les paysages, si modernes, ne les intéressent pas, ainsi de Gabriel de Saint-Aubin dont ils n'ont pas senti la vibration secrète et qu'ils réduisent, avec son frère, au mérite d' « avoir fixé la physionomie de la France, en son plus joli moment ». Le parallèle esquissé par le présentateur entre Baudelaire et les Goncourt semble un peu flatteur pour ces derniers. Alors que le thème de la modernité chez Baudelaire mène tout droit à la révolution de l'art moderne qu'est le déclin du sujet dans la peinture, chez les Goncourt, il ne s'agit guère que de capter l'instant qui passe. Les Goncourt n'ont pas créé la mode du XVIIIe siècle mais

...A!5

. Watteau

frères Goncourt.

l'Indifférent.

notes, dressent des listes, comme jadis un Mariette, accueillent en bas de page le baptistaire de Fragonard copié pour eux à Grasse par M. Senequier. On regrette un peu que les nécessités d'une collection de poche aient amené J.-P. Bouillon à supprimer presque tout ce soubassement du travail des Goncourt, ces « notules » qui fortifient les textes trop littéraires, trop gratuits, et faute desquelles le lecteur a souvent l'impression de lire non pas les Goncourt, mais un pastiche écrit par quelque Proust sympathique mais malicieux. L'Art du dix-huitième siècle n'est pas tout à fait seulement cette mousse irisée, cette image trop jolie d'une peinture trop aimable, c'est un livre que les historiens utilisent encore. Les seuls poètes que la France du XVIIIe siècle ait connus, selon les Goncourt, sont des peintres ; après Watteau, et loin derrière, vient Fragonard, « le petit poète de l'Art d'aimer ». Nous touchons ici aux limites, moins des connaissances sans doute que du goût des deux

ils ont grandement contribué à enfermer l'image que nous en avons dans de trop étroites limites. Ainsi de Fragonard. La leçon du livre que lui consacre Jacques Thuillier, .celle de tous les travaux sérieux dans ce domaine, est double. C'est d'abord la remise en question systématique des données dont nous disposons, puis l'effort pour embrasser l'ensemble des aspects d'une œuvre, classé et débarrassé de ses adjonctions postiches. Le ton d'une collection destinée à un large public empêchait de pousser trop loin la démonstration. Tel qu'il est, ce petit livre apporte bien des surprises. Que Fragonard ait été de mœurs réglées, passe encore, mais que la chronologie de son œuvre reste à faire, voilà qui surprendra bien des lecteurs. Les grands noms du XVIIIe siècle n'attirent pas les historiens d'aujourd'hui, soit que ces œuvres touffues et naguère trop célèbres effraient, soit que notre époque, plus pudibonde qu'on ne le pense, s'effarouche devant ces femmes trop nombreuses et trop

nues. Pour ne prendre que cet exemple, il n'existe pas un bon livre sur Boucher et aucun ne s'annonce. Chez Fragonard, les œuvres datées avec sécurité sont rares et elles sont fort diverses. Figures de caprice, esquisses dont le mouvement sinueux et sans cesse rebondissant fait tellement penser à l'art antérieur de Pellegrini (ces ébauches superbes sont parfois comme la transcription colorée de dessins vénitiens), scènes d'intérieur à la facture sage, rêves d'amour dans des bois que gagne l'ombre romantique, tout cela s'ajoute aux peintures et aux de~oins, les deux domaines à quoi. les Goncourt tendent à réduire l'œuvre. Toute cette carrière, dont Jacques Thuillier retrace' à merveille les grandes inflexions, dans une langue dont l'élégance est parfois un peu précieuse, se place résolument en marge du grand courant moderne de la peinture européenne qui, formé à Rome et en Angleterre, entraîne les contemporains de Fragonard vers ' le néo-classicisme et leur permet, par un paradoxe si fréquent en art, de renouveler le style par un contact intime avec l'art du passé. Fragonard, par le choix de ses sujets, par sa vision pittoresque, fait figure d'attardé. Pourtant, s'il échappe à « l'historisme » qui marque si fortement son temps, il rejoint parfois un des courants du néo-classicisme, qu'il faut éviter de réduire à sa composante archéologique. L'effusion lyrique du Vœu à l'amour, de l'Offrande à l'amour, si prud'honienne, est la contrepartie de la plainte non moins lyrique qu'exhalent les femmes sacrifiées, meurtries, dans les tableaux de David, mais indispensables à sa poétique. Présentant ses Sabines, David célébrait le pinceau « touchant et sévère » de Poussin. Gardons-nous de ne sentir battre, sous les chlamydes, que des cœurs sévères. Dédaigneux de l'histoire, ayant très tôt délaissé la grande peinture, l'Académie et les Salons, Fragonard atteint pourtant le plus haut niveau, comme en Angleterre son contemporain Gainsborough. Il le doit d'abord à son métier pictural dont Jacques Thl.lÏllier décrit admirablement les ressources variées en rappelant que ce « pur plaisir de peindre » est tout près d'être une nouveauté en France (bien que déjà Chardin ... ) Il est bon de méditer cette leçon, qu'on trouvera peutêtre bien prosaïque, qu'un très grand peintre est d'abord un grand praticien. Que pourtant l'exemple de Fragonard n'induise pas en erreur les visiteurs de la prochaine exposition Ingres la virtuosité ébouriffante d'un ruban de pâte déroulé et qui se détache sur un fond à peine esquissé n'est pas le seul beau métier possible, il en est de plus discrets, de plus contrôlés, dont le prix n'est pas moindre. Fragonard ne le savait-il pas déjà? Antoine Schnapper


La volonté créatrice musées français. Toutefois, les publications de ces dernières années nous rassérènent un peu en nous montrant que, dans ce domaine au moins, on cherche à se rattraper. En 1961 paraissait chez Gründ On pourrait dire de Seurat qu'il l'ouvrage capital de César de est le moins connu des peintres Hauke, Seurat et son œuvre, dont célèbres. Nous attendons encore, les deux volumes in-4° et leur soixante-seize ans après sa mort, la abondante illustration constituent grande exposition qui nous offri- un véritable catalogue réunissant rait pour la première fois une vue peintures et dessins. L'année derd'ensemble de son œuvre et qu'une nière, dans la Vie de Seurat, dermauvaise conscience semble perpé-' nier livre publié par Henri Pertuellement ajourner. Quelle hosti- ruchot avant sa mort (Hachette), lité ou quel remords éprouvent l'auteur surmontait, par une intédonc les Français au sujet de ressante documentation parabiographique, la difficulté d'écrire la Seurat ? Seraient-ils allergiques au pointillisme ? Nous avons pour- « vie» d'un personnage dont l'existant vu au Louvre, en 1963, l'ex- tence se dérobe si obstinément à position du plus fervent sinon du la curiosité de l'historien. Enfin, le plus heureux de ses adeptes, Paul Seurat de John Russel qui vient de paraître, traduit de l'anglais par Signac. En vérité, le retard traditionnel Paul et Frédérique Cuchet (Somoapporté à la découverte des grands gy), nous conduit assez loin et d'une peintres s'est révélé sans remède façon très captivante dans l'exploavec Seurat. Sa mort à trente-deux ration méthodique d'une œuvre 'a ns et la lenteur que sa technique dont le côté paradoxal est que son même imposait à l'exécution de ses élaboration fondée sur des données tableaux font que son œuvre est essentiellement scientifiques dedemeurée restreinte. Quand on vait aboutir à une interprétation commença de s'intéresser vraiment poétique de la nature où les faculà lui, ses peintures n'étaient plus tés imaginatives semblent avoir, en là - je veux dire plus en France. fin de compte, absorbé tous les C'est ainsi que le Louvre ne pos- éléments recueillis par . l'observasède qu'une seule de ses grandes tion. toiles, le Cirque. Encore ne s'y Nous savions déjà comment trouve-t-elle que grâce au legs, en s'est déroulée l'évolution esthétique 1927, d'un généreux Américain, de Seurat et comment, de lecture John Quinn. Les seules acquisi- en lecture, il éi.l1it parvem.. , a trations de notre grand musée natio- vers Chevreul (De la loi du nal concernent trois petites études contraste simultané des couleurs, sur le thème des Poseuses prove- et de l'assortiment des objets conant de la vente Fénéon, en 1947, lorés), David Sutter, Ogden Rood, et une :t;narine de Port-en-Bessin Maxwell, Charles Henry et autres achetée en 1951 sur les fonds d'une théoriciens des phénomènes vidonation anonyme canadienne. suels, à la conception d'un langage Les deux autres Seurat du Louvre, pictural ayant sa syntaxe et sa des esquisses pour le Cirque et grammaire, et où le principe du pour la Grande latte, sont des mélange optique avait déterminé la dons, l'un de Mme Doucet, l'autre seule technique appropriée à sa anonyme. rationalisation, celle de la touche divisée. Mais jamais encore nous Toute connaissance sérieuse d6 Seurat doit donc s'acquérir au- n'avions suivi Seurat de si près delà des frontières, principalement sur le long chemin que sa méthode aux Etats-Unis, à l'Art Institute de travail lui faisait parcourir de Chicago pour Un dimanche d'été entre la première pochade d'un à l'Ile de la Grande latte, au paysage désert (les vues d'Asnières pour Une baignade ou la Grande Metropolitan Museum de New York pour la Parade, à la Barnes latte) et la composition finale où ce même paysage n'apparaît plus Foundation de Merion pour les Poseuses (achetées 50.000 dollars que comme le décor au milieu duquel évoluent les nombreux perpar le Dr Barnes en 1926), puis à Londres, à la Tate Gallery pour sonnages qu'il a disposés avec la Une baignade, à l'Institut Cour- rigueur d'un exigeant metteur en tauld pour la leune femme se scène. C'est le grand mérite du poudrant, et à Otterlo, au Musée livre de John Russel de démonter' Kroller-Müller pour le Chahut et sous nos yeux, pour ainsi dire, le mécanisme d'une volonté créatrice quatre très belles marines. Voilà pour les œuvres maîtresses, mais exceptionnelle et de nous montrer, par une analyse pénétrante des d'autres toiles, moins célèbres mais non moins admirables et non moins toiles de Seurat et par leur confronnécessaires à la compréhension de tation avec un grand nombre de Seurat, se trouvent encore au dessins et . d'esquisses, la curieuse circulation des thèmes et des motifs Musée d'Art Moderne de New York et au Musée Guggenheim, à graphiques à travers une œuvre la Yale University, au Fogg Art où, finalement, la véritable personnalité du peintre est mise au jour Museum, au Cleveland Museum. Par la rareté de ses titres la indépendamment du procédé qui bibliographie française se trouve fit de lui, presque à son insu, le en situation harmonieuse avec les chef de l'école pointilliste. John Russel Seurat 225 reprod. dont 52 en coul. Somogy éd., 288 p.

La Quinzaine littéraire, 15 au 31 juület 1967.

Seurat

Etude pour la Grande Jatte.

Seurat tenait pourtant à ce qu'on reconnût l'importance de ce procédé, dont Signac disait qu'il était « une philosophie, et non un système », et il veillait à ce qu'on ne lui en contestât pas la paternité. A cet égard, il fut le plus pointilleux des pointillistes, et il se montra souvent agacé de voir s'augmenter de jour en jour le nombre des adeptes du néo-impressionnisme, prévoyant que l'intérêt s'en émousserait avec sa dispersion trop étendue, ce qui, d'ailleurs, devait arriver. A côté des sources scientifiques, quelques sources littéraires, plus discrètes, peuvent être remarquées dans les toiles de Seurat. Il est même possible que des influences réciproques se soient produites entre Mallarmé et le peintre, notamment au su jet de la Prose pour des Esseintes et de la Grande latte. Peut-être aussi faut-il voir une originede la Parade, dont les premières études datent de 1887, dans la Parade de cirque, le poème en prose de Rimbaud, publié dans la Vogue en 1886. Plus manifestes, bien entendu, sont les influences picturales. Toutefois, on ne pourrait en déceler que dans des périodes limitées aux premières et aux dernières années de l'œuvre de Seurat. Au début, elles concernent, passagèrement mais indiscutablement, Millet et Puvis de Chavannes. Russel établit également une comparaison entre la Grande latte

et l'Allégorie de Lorenzo Costa (1460-1555) que Seurat aurait pu voir au Louvre, mais les ressemblances qu'il y découvre paraissent un peu forcées. En revanche, l'impression produite sur l'auteur du Chahut par les affiches de Chéret ne fait pas de doute. Il en avait placardé une au mur de son atelier et il s'en inspira pour la première fois en 1889 en dessinant la couverture d'un roman de Victor Jozé, la Ménagerie sociale. En 1890, son dernier tableau, le Cirque, présen- ' tait cette singularité de réunir, dans une tonalité blonde habituelle aux œuvres de Chéret, un goût de l'arabesque directement issu de l'Art nouveau et quelque chose dans l'architecture même de la composition qui, outre sa tendance à la monochromie, annonçait sourdement, d'une façon tout à la fois frappante et indéfinissable, par le truchement mystérieux d'une référence à Cézanne, le cubisme analytique. En songeant à cette position singulière de Seurat, ainsi placé à mi-chemin entre Chéret et Braque, et qu'on peut, dans une perspective plus étendue, tout aussi justement situer entre Piero della Francesca et Balthus, il apparaît impossible de trouver une justification à la place étroite que lui assigne dans l'histoire de la peinture l'étiquette du néo-impressionnisme. Jean Sel: 17


PHILOSOPHIE

Forcer les liDlites Jacques Derrida L'écriture et la différence Le Seuil éd., 439 p.

Voici un an, dans deux articles sur La grammatologie 1, Jacques Derrida marquait quels préjugés métaphysiques sont liés à la tradition occidentale du primat de la parole sur l'écrit : qu'il y a une âme avant le corps, un dedans avant le dehors, un logos avant le signe (préjugés, mais qui sont peut-être la métaphysique même) ; il ne se proposait pas pour autant d'effacer le phono (ou logo) centrisme ce serait simplement rendre impossible la pensée - , mais de tenter de l'ouvrir, en déconstruisant ses concepts ; pour pousser au-delà de l'opposition écriture-parole, il remontait alors en deçà, vers ce dont est fait tout langage : de différences, et qui se conservent, qui sont donc autant de traces ; un langage, en ce sens, s'institue dès l'abord dans l'horizon d'une pré-écriture, d'une « archi-écriture » ; retour dont enfin les conséquences ne pouvaient qu'ébranler de proche en proche toute notre tradition : si le langage s'origine dans la trace-dedifférence, il n'y a plus d'élément simple ni premier, plus de pré-sence ni de pré-sens, il n'est plus rien qui échappe à l'espace et au temps naissants de l'archi-écriture (à « l'espacement » et à la « différance ») : il nous faut, et c'est difficile, apprendre à penser l'absence de l'origine. Ces quatre mouvements - description d'une tradition close, qui est celle-là même de la pensée ; affirmation qu'il serait vain de vouloir, sans contradiction, s'y arracher ; recherche d'une « économie » de l'enquête philosophique qui permette cependant une ouverture, qui nous laisse entrevoir ce qui se tient aux limites de la pensée, par un retour à ses origines ; indication qu'en cette origine se tiennent précisément la différence et l'écart, et donc l'absence d'origine ces quatre mouvements commandent tous les textes antérieurs et postérieurs à La gram matologie (de 1959 à 1967) que Derrida vient de rassembler sous le titre L'écriture et la différence. Telle est du moins l'hypothèse qui nous aidera pour un premier déchiffrement.

La métaph)'"sique, l'ouverture Ce qui, donc, rassemble tous ces textes est le point sur lequel ils fOOlt porter leur question Derrida, chaque fois, se place là où la tradition philosophique dont nous avons hérité vingt-cinq siècles des présocratiques à Hegel et Husserl clôt son réseau de concepts, où il devient 111

clair que ces concepts font entre eux système, là où les oppositions les plus vives qu'il nous a jusqu'ici été donné de penser dévoilent la communauté de leur origine et le lieu comme intérieur de leur conflit ; alors, avec ceux qui cherchent à forcer les limites, Derrida se demande si quelque chose n'est pas à penser qui excède notre système, si une ouverture n'est pas praticable vers un Autre qui ne serait . plus réconciliable avec le Même, qui serait à viser comme tel. C'est dire que l'enquête de Derrida trouvera son bien partout où un craquement semblera annoncer une mise en évidence de la clôture, et un effort pour y échapper. Derrida, par exemple, n'est pas spécialement concerné par le structuralisme - mais il lui importe de voir surgir là, dans une nouvelle description de l'humain, la remise en question du centre : « On a toujours pensé que le centre, qui par définition est unique, cons ti- . tuait dans une structure cela même qui, commandant la structure, échappe à la structuralité » ; l'événement de rupture est apparu quand on a dû penser « qu'il n'y avait pas de centre ... qu'il n'était pas un lieu fixe mais une fonction, une sorte de non-lieu dans lequel se jouaient à l'infini des substitutions de signes ». Retenons le mot jeu : dès que le centre fuit, c'est le sérieux et la solidité de l'être et de la vérité - rien de moins qu'on ébranle ; et c'est dès lors toute la tradition métaphysique, qui, Nietzsche l'avait noté, se lézarde, pour ouvrir sur l'aventuré d'une interprétation. Si Derrida se tourne vers une pensée non-hellénique, et nommément juive (Levinas), c'est qu'il trouve ici à interroger l'exigence d'un Autre absolu, un infiniment Autre (en fait, un Autrui) qui ne ~erait plus comme chez Platon l'Autre du Même (du moi), qui ne serait plus comme chez Hegel conservé dans le même temps que supprimé, d'un Autre irréductible, excédant la totalité de notre expérience et les ressources de notre Logique, un Autre qui veille, dieu négatif, aux marges impensables de la pensée. S'il commente l'œuvre de Fou~ cault, c'est pour en retenir la lecture la plus radicale et contester que la folie puisse être épuisée dans le geste (métaphysique) de la raison du XVIIe siècle (c constituant son contraire en objet pour s'en protéger » et l'enfermer à l'extérieur de soi ; plus radicalement, la Folie est ce silence qui hante dès toujPurs notre discours comme le sans:ordre des « mots salis langage » et du « langage sans appui », comme ce à quoi jamais nous ne pourrons donner la parole. Elle est le témoin du non-sens qui enveloppe de toutes parts notre exigence de sens, à quoi cette exigence ne peut s'arracher que par un " geste

de violence: « On pourrait dire que le règne d'une pensée finie ne peut s'établir que sur le renfermement et l'humiliation et l'enchaînement et la dérision plus ou moins déguisée du fou en nous, d'un fou qui ne peut jamais être que le fou d'un logos, comme père, comme maître, comme roi. » Dans le plus beau, le plus maîtrisé de tous ses textes, qui est aussi le plus récent, Derrida marque l'écart entre une philosophie comme celle de Hegel, forme ultime de la métaphysique, qui va jusqu'à récupérer la négativité au profit du travail du sens, et l'ébranlement que lui fait subir l'œuvre d'un Bataille. Opposition entre le maître selon Hegel, qui pour devenir conscience de soi a dû risquer sa vie, mais qui a su retenir ce qu'il risquait, et la souveraineté selon Bataille, qui pense le risque absolu de la mort, sans dialectique possible, sans récupération possible du sens. « Par le recours à l'Aufhebung qui conserve la mise... tout ce que couvre le nom de maîtrise s'effondre dans la comédie. » Une fois encore il nous faut donc lire le non-sens sous le sens, la dépense sous la mesure, le jeu sous le travail, l'absence sous la présence. « Le rire seul excède le dialectique: il n'éclate que depuis le renoncement absolu au sens. » Manière de dire que le rire ne se laisse pas prendre au sérieux (à la philosophie), qu'il est rire sur le sérieux, manifestation d'un négatif qui n'est négatif d'aucun positif ouverture sur un « point de nonréserve» et de « non-retour ».

Les raisons de la Raison Mais, nous l'avons dit, le mouvement aux limites s'accompagne toujours chez Derrida d'une coUscience aiguë de l'impossibilité d'avancer au-delà de la métaphysique sans passer par elle, simplement parce que la métaphysique est jusqu'à nouvel ordre l'implicite de la pensée, et qu'on ne pourrait sauf à se contredire s'y dérober sans renoncer tout bonnement à penser. De cela, la démonstration est tantôt de fait, tantôt de droit. De fait : Derrida consacre une importante partie de ses textes à montrer combien souvent une pensée qui se croit au-delà de la métaphysique y est encore, et s'aveugle sur elle-même. Comment pour prendre un simple exemple - parler avec Levinas de l'Autre, sans en faire un autre Moi, et sans recourir à une esserice identique du subjectif ? Ou comment ne pas voir que si l'extériorité de cet Autre n'est « pas spatiale », pareille métaphore n'en est pas moins lourde de présence et « signifie peut-être qu'il n'y a pas de logos philosophique qui ne doive d'abord se laisser

expatrier dans la structure dedansdehors» ? Même dém arche lorsque Derrida lit Artaud : certes, par sa contestation du primat de la parole au théâtre, par son horreur de tout ce qui nous dit avant que nous n'agissions, de tout ce qui nous « souffle » notre parole, Artaud conteste vivement la clôture de notre esthétique de l'expression (qui impliquerait que quelque chose soit déjà là, à imiter, à traduire) et de notre métaphysique dualiste ou théologique de la pré-existence ; mais parce qu'il rêve d'une unité reconquise au plus près de la chair, d'une parole qui soit mon souffle, d'un souffle qui soit mon corps, d'un corps auquel Dieu ne fasse pas la farce de devoir se souiller, ,Artaud accomplit encore, à sa façon, inversée dans la chair, cette vieille métaphysique du propre et de la présence' à soi, qui fournissait au dualisme spiritualiste ses plus vrais motifs. Mais le fait n'est ici que l'effet du droit. Que pourrait signifier « faire parler la folie », comme y prétend parfois Foucault, si la folie est l'Autre de toute parole ? « Quand on veut dire le silence lui-même, on est déjà passé à l'ennemi et du côté de l'ordre, même si dans l'ordre, on se bat contre l'ordre et si on le met en question dans son origine. Il n'y a pas de cheval de Troie dont n'ait raison la Raison ... La grandeur indépassable, irremplaçable de l'ordre de la raison ... c'est qu'on ne peut en appeler contre elle qu'à elle, on ne peut protester contre elle qu'en elle, elle ne nous laisse, sur son propre champ, que le recours au stratagème et à la stratégie. » Objection qui se retrouve avec Levinas : peut-on même « se nommer le non-grec ? » S'il s'agit, contre l'Un parménidien, de poser une pluralité irréductible, « ce qu'un Grec (Platon), n'a pu faire un non-Grec le réussira-t-il autrement qu'en se déguisant en Grec, en parlant grec, en feignant de parler grec pour approcher le roi ? Et comme il s'agit de tuer une parole, saura-t-on jamais qui est la dernière victime de cette feinte ? » Aussi bien l'excès ne se découvre-t-il qu'au bout de ce qu'il excè-de. Ici encore, l'étude sur Bataille est capitale. Puisque le pas de la souveraineté n'est que celui du rire sur la maîtrise, il faut bien d'abord « savoir de quoi l'on rit » : autrement dit, Bataille ne peut s'accomplir que par une « complicité sans réserve » avec Hegel, pas à pas, et jusqu'en ce point où, d'une rupture furtive, on fera surgir le risque qui le disloque ; prétendre lire Bataille sans reconnaître tout le chemin qu'il a fait avec Hegel serait s'interdire de comprendre une expérience des limites qui se définit précisément comme « au-delà» du savoir hégélien: « Loin d'interrompre la dialectique, l'histoire et


le mouvement du sens, la souveraineté donne à l'économie de la raison son élément, son milieu, ses bordures illimitantes de non-sens. » Je voudrais, pour ma part, insister beaucoup sur ce temps où Derrida ponctue avec rigueur l'impossibilité de transgresser la raison hors du discours et des voies de la raison. « L'histoire de la raison n'est jamais celle de son origine qui la requiert déjà. » On peut prendre ici date. Pour une lecture qu'étonne encore toute aventure aux limites, cet ostinato méthodologique pourra passer pour une nuance secondaire. On s'apercevra

et un silence, entre une finitude et un excès. Ecart lui-même en deçà du récit, donc de la naissance, puisque prétendre en ecrIre l'histoire serait « confirmer la métaphysique dans son opération fondamentale » : apprivoiser la négativité dans la présence. L'origine ne doit surtout pas être entendue comme retour à une origine. Le chemin de l'histoire a toujours déjà commencé par un «;létour ; le commencement de l'histoire est toujours déjà différé ; rien ne ' naît qui n'ait, avant tout avant, été traversé par ce partage.

qu'on va, la SalSIr, dans la tracede-différence - est celle aussi qui reste, en apparence, la plus furtive dans une partie de ce recueil. Mais on s'aperçoit bientôt que si La grammatologie, méditation sur le signe, mettait plutôt l'accent sur ce qu'a d'indépassable la différence comme espacement, les présents essais; centrés sur la stratégie par quoi nous pouvons, à partir du Logos, déboucher sur ce qui excède le Logos, permettent davantage de penser ce qu'a d'irréductible la différance comme retarcP. C'est qu'il s'agit de retourner contre elle-même la violence qui

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vite qu'il trace la frontière capitale fonde notre logique - sens contre entre ceux qui croient pouvoir non-sens, raison contre folie, le échapper à la violence métaphysi- ~ Même contre l'Autre; la vie contre que par une autre violence, et la mort - , pour retrouver l'acte nocturne (ceux-là se condamnant par ,lequel elle s'institue. Et pareil à dire le Logos sans le savoir, car retour se présente d'abord comme ici aussi, ici surtout, qUi veut faire un retour à l'origine de l'histoire. l'ange fait la bête), et ceux qui Car d'un côté, il n'y a d'histoire savent que c'est seulement au bout que de la raison (que serait, à la et dans l'accomplissement du Logos lettre, une histoire de la folie, ou qu'il sera, par un ,tour de remontée du sans-œuvre, ou du silence ?), à ses origines, possible de regarder et du sens, et du Même. Mais c'est par-delà. dire, d'autre 'part, que l'histoire s'ouvre avec la « dissension » entre le sens et son Autre. C'est « la décision par laquelle la raison La répétition, se constitue en excluant et objectil'effaoement, la vant la subjectivité libre de la différenoe folie (qui) est à l'origine de l'histoire ». Bref, l'histoire s'institue La thématique la plus personnel- non d'une présence ou d'un noyau, le de Derrida - la défaillance irré- mais d'un écart : du partage et médiable de l'origine, au moment de la différence entre un langage La Qu;nzaine littéraire, 15 au 31 juület 1967.

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Il faut donc renoncer à l'idée' de « original ». C'est pourquoi une

tentative comme celle d'Artaud refusant un spectacle qui se répète - un spectacle qui renverrait, figure métaphysique, à la re-présentation « d'un présent qui serait ailleurs et avant » - bute contre l'inaccessible lorsqu'elle débouche Dur le vœu d'UIi spectacle de « dépense pure » qui n'aurait lieu qu'une fois, qui n'aurait que la première fois: il n'y a jamais que des seconds temps, et c'est la répétition, comme absence à jamais J'aucun présent vrai, qui est première : « Il n'y a pas de mot, ni en général de signe, qui ne soit ' construit par la possibilité de se répéter. Un signe qui ne se répète pas, qui n'est pas déjà divisé par la répétition dans sa « première fois », n'est pas un signe. »

En fait, ce qu'il nous est ici demandé de penser est beaucoup plus difficile que l'idée encore simple que dans le langage, tout est toujours traduction (au moins du langage dans son ensemble) et qu'il n'y a pas d'original : ce qui est en cause, c'est quelque chose comme l'antériorité certes « illogique » de la différance ou du retard à tout concept de présents A ou B qui se succèdent. « Différer ne peut signifier retarder un possible présent » : le présent n'est luimême « possible que par la différance ». De cet ordre paradoxal, Freud au moins a eu un pressentiment aigu lorsqu'il s'est représenté la vie comme 'Un « retard » ou une « économie » de mort : on peut bien dire que la vie ne se protège elle-même « qu'en différant l'investissement dangereux, c'est-à-dire en ,constituant une réserve »; il faudra aussitôt ajouter qU'il n'y a pas d'abord la vie, ensuite sa défense, mais que la réserve (la différance) est la vie même, qu'elle seule est originaire, et que c'est en elle seulement que le sont à la fois l'existence présente et sa mort. Ainsi la vie psychique commence à un retard - selon le modèle neurologique qu'en propose Freud, la trace (sa forme originaire) est toujours déjà la répétition d'une force d'effraction (le « frayage ») dans des couches résistantes qui la conservent - et ne connaît rien d'autre que la variété de ces retards : rien donc que des différences entre des différances. Or, de même que, par un paradoxe singulier, l'idée de l'origine s'accompagnait dans la tradition métaphysique de celle d'un avenir infini (et du rêve d'une éternité), de même l'absence de l'origine se couple avec l'inévitable de l'effacement. ' C'est ce qu'a bien vu Bataille lorsqu'il oppose au maître qui croit pouvoir garder, par l'écriture, une trace de soi, l'écriture de souveraineté de dépense qui reconnaît au contraire dans la trace la double nécessité, en deçà, du dérohement, et au-delà, de l'effacement. La trace n'est produite comme telle que « si en elle la présence est irrémédiablement dérobée, dès sa première promesse, et si elle se constitue comme la possibilité d'un effacement absolu. Une trace ineffaçable n'est pas une trace. » , Aussi bien faut-il penser que la trace ne comporte jamais un support simple, mais qu'elle suppose un jeu de couches discontinu, entre lesquelles le contact n'est jamais ni constant ni rompu. C'est ce qui faisait représenter à Freud l'impression psychique comme l'inscription du frayage dans une topique de neurones inégalement perméables et dans une multiplicité de périodicités. C'e3t ce qui lui fit ~ 19


, HISTOIRE

~

Forcer les limites

surtout (et l'on imagine le poids d'une telle référence pour Derrida) méditer le temps de l'écriture comme interruption et rétablissement du contact au sein d'un jeu de surfaces - protégeante, imprimante, effaçante, retenante qui constituent toutes l'écrit au même titre : l'écrit est la période d'un retl\rd dans un système d'écarts. Propos qui donnent tout son sens à l'étrange conséquence où est conduit Derrida interrogeant Levinas sur une rencontre avec l'absolument Autre qui ne serait en rien une reconnaissance, qui ouvrirait l'histoire à son au-delà sans qu'il se puisse agir de désigner par là une quelconque ressemblance entre Dieu et -l'homme. Levinas, en ce mouvement ultra-judaïque, dit simplement: « Nous sommes dans la trace de Dieu. » Mais Derrida: « Proposition toute prête à se convertir en athéisme : et si Dieu était un effet de trace ? » Si le nom de Dieu ne recouvrait que l'effacement dans la rêverie de la présence, de ce que la trace implique de discontinu et d'effaçable inévitablement ? A ce point, la méditation de Derrida se referme sur la difficulté de penser à la fois la différence comme excès (de l'ouverture sur la clôture, de l'Autre sur le Même ... ) et comme inscription (dans un système, dans une structure ... ) « L'inscription, c'est l'origine écrite : tracée et dès lors inscrite dans un système, dans une figure qu'elle ne commande plus. » En un preJ. mier temps, nous avions appris à penser aux limites ; au dernier temps, penser aux limites, c'est penser que rien ne se donne qui ne se donne comme en jeu, dans le jeu, régi par le jeu (l'ordre des traces : Parchi-écriture). Forçons même : en un premier temps, nous n'étions pas loin des voies d'une théologie hypernégative ; au dernier temps nous sommes, pris dans la précarité de la trace, enfermés comme jamais dans l'espace athéologique. Distance qui s'exprime bien dans la double lecture (pour lui évidemment centrale) que fait Derrida de Heidegger : acquiescement à l'ouverture de l'étant sur l'être, et reprise par cette affirmation que la différence ontico-ontologique fonctionne comme une «pré-ouverture». Je ne dis pas qu'il faille choisir: c'est dans l'extrême de cet écart que gît, en sa responsabilité, la démarche du philosophe. La différence et la différan~e, si elles excèdent une pensée en surplomb, c'est paradoxalement par une pensée de l'inscription3 • François Wahl

i. Cf. La Quinzaine du 2 mai 1966. La grammatologie doit paraître prochainement en volume, considérablement développée. 2. Distinction toute relative. ~ trace est irréductiblement espaee et temps, ou mieu" espace temps. 3. Toutes les citations, sauf mention explicite, soul de Derrida.

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Gilbert Charles-Picard Hannibal Hachette éd., 270 p.

Il suffit d'un coup d'œil sur la jaquette qui entoure ce livre pour comprendre sinon tout ce que le texte nous apportera, du moins que plus grand parmi ceux qui ont voulu la perte de Rome ne suivra pas les chemins battus. Sur un fond rouge - l'imperator sanglant a-t-il, . inconsciemment, hanté l'imagination de J'éditeur ? - se détache, en clair-obscur (mélange d'ombre et de lumière qui symbolise assez bien l'état d.e' nos connaissances), le buste d'un adolescent, presque un enfant, dont la tête est ceinte d'un diadème. Le regard vide, l'œil privé de la pierre blanche qui l'éclairait autrefois, ne laisse pas d'être malgré tout assuré jusqu'à l'arrogance, le nez, dans le prolongement du front, se relève disgracieusement à la base, la bouche est hautaine, petite, et le menton volontaire. Mais ce qui frappe surtout est l'air d'extrême jeunesse : c'est un visa~ de jeune roi, mieux, de prince, fils de roi, au moment où il s'apprête à réclamer l'héritage d'un monde qu'il sait lui appartenir. On songe à l'anecdote célèbre, du serment prêté contre Rome : un enfant investi d'une mission à laquelle il ne faillira point. L'anecdote du serment n'est pas nouvelle ? Mais ce qui est nouveau, c'est de sentir que l'adolescent que · nous voyons ici est le même qui le prêta et lança, quelques années plus tard, ce que M. Gilbert Picard appelle justement un terrible « coup de bélier » contre l'empire de Rome. Sentir la continuité de cette !-.istoire d'un être; que l'on voit souvent en condottiere, en vieux routier, le terrible borgne toujours vainqueur et jamais triomphant, enlisé, finalement, dans sa conquête et impuissant même à sauver sa patrie.

Politique et économie Ce portrait d'Hannibal jeune - on a dit vingt-cinq ans probablement parce que c'est à cet âge qu'il commença les hostilités contre Rome, mais rien n'oblige à penser que cette image ne fut sculptée qu'à ce moment, l'impression est celle d'un homme sensiblement plus jeune ce portrait provient de Volubilis, et M. Gilbert Picard a personnellement contribué à faire reconnaître son attribution véritable. Et c'est là, le premier apport de l'archéologie à son livre. M. Picard, on le sait, est archéologue ; on sait aussi qu'il aime à démontrer que l'archéologie est une servante de l'histoire. Avec un sens très vif des hommes dont il analyse les pauvres restes, qui ont traversé les siècles, il ne se limite jamais à ces nécessaires et désolants catalogues d'objets qui ne sauraient être que provisoip~<;. Il nous a donné. naguère un Néron dont on a pu, dont on

doit penser beaucoup de bien. Son Hannibal est moins paradoxal. Il n'en est assurément pas moins solide pour autant. Nous connaissons Hannibal, essentiellement, par Tite-Live et Polybe, c'est-à-dire deux partisans de Rome, et son histoire est tout naturellement pensée selon les témoignages de ses ennemis. Non que ceux-ci l'aient accablé, devant l'his-

traordinaire analyse de ce que pouvait être, de ce que fut, la religion d'Hannibal, au sein de la religion punique dans son ensemble. Nous voyons que le clan des Barca, issu d'une grande famille d'origine métropolitaine p 0 s s é d ait son originalité à l'intérieur de la société et de la cité de Carthage : ils n'étaient pas totalement integrés à celle-ci, ils demeuraient

Le bouclier, en or, d'Hannibal.

toire, d'une haine inexpiable ; le Carthaginois abattu, rendu finalement incapable de nuire jusque dans sa lointaine retraite orientale, les Romains ne se sont pas défendus d'éprouver et d'exprimer à son égard une vive admiration. Les esprits chagrins assurent que ses vainqueurs se rehaussaient euxmêmes par cette apologie posthu.me - si le Punique était si grand, que n'était pas la ~ité qui en avait eu raison ? - mais cela serait-il que les éléments de cette apologie n'en constituent pas moins des données historiques dont il faut tenir compte. Mais le problème est ailleurs : les Romains étaient-ils vraiment capables de comprendre l'originalité, la pensée même de leur ennemi ? Ils le concevaient selon leurs lumières, et l'atmosphère même de ce moment du monde antique prêtait à toutes les méprises : il régnait déjà comme l'aube d'une communauté spirituelle celle qui ira grandissant à l'intérieur du mondlil devenu romain et les différences profondes tendaient à se dissimuler sous des modes d'expression COIr.muns. Les dieux, par exemple, recevaient, d'un peuple à l'autre, des noms identiques, issus de l'hellénisme, mais ils étaient, au fond, irréductibles. L'un des grands mérites de ce livre est .de nous présenter une ex-

de grands propriétaires terriens, CApables de réunir autour d'eux des milliers d'hommes liges, et nullement des marchands, liés à la fou. le des marins, artisans ,du port, traf'(Tuants de toute sorte qui n'avaient d'autre moyen d'existence, d'autre pensée que le commerce maritime. Et les Barcas n'adoraient pas tout à fait les mêmes divinités que cette plèbe. Plus séduits que leurs com· patriotes par le prestige de l'hellénisme, ils étaient à l'avant-garde du mouvement qui finit par ouvrir Carthage aux influences grecques. ' S'il est vrai que la première guerre punique lut un conflit essentiellement économique - et cela, M. Picard le montre avec une très grande vraisemblance la seconde, celle que les Romains appelaient « la guerre d'Hannibal », revêtit un tout autre caractère : les fins en étaient politiques, et toute sa stra,tégie fut, elle aussi, politique, les opérations se révélant dominées, dirigées, limitées, aussi, par les résultats politiques qu'en attendait Hannibal. La première guerre punique avait été voulue par les alliés italiens de Rome, sans doute les Campaniens, qui souhaitaient s'ouvrir les marchés siciliens. La seconde a été voulue par Hannibal, qui n'avait d'autre but que de dissocier, de disloquer la Confédération


Hannibal italienne formée autour de Rome et à son bénéfice. Hannibal, en somme, voulait remonter le cours de l'histoire. C'est peut-être là, au fond, l'une des causes les plus profondes de son échec. Remonter le cours de l'histoire en déchaînant contre Rome les hordes gauloises encore mal pacifiées qui occupaient les plaines' de l'Itali.e septentrionale, en annulant les vic-' toires remportées par Rome depuis un siècle, en provoquant la révolte des Samnites récemment soumis, en détachant, surtout, Capoue, de son alliée. Tout n'avait pas commencé avec Rome : l'Italie existait, et jouait un rôle dans le bassin occidental de la Méditerranée avant que la capitale latine ne prît une importance appréciable. Et Carthage était fort mêlée à la vie des peuples riverains de la Tyrrhénienne.

L'archéologie Rome avait changé tout cela, par son existence même. Elle avait réduit l'importance des Etrusques, alliés traditionnels de Carthage, puis s'était substituée à eux; elle avait aussi éloigné de la mer les Osques du Sud, qui figuraient, de temps immémorial, parmi les mercenaires recrutés par les Puniques. Cet état de chose, en vigueur au cours du v· siècle, et encore pendant une bonne partie du Ive,. était celui auquel Hannibal pouvait songer à ramener la péninsule. Nous avons (' Jnnu de telles pensées politique!', qui refusent d'accepter comme un fait avec toutes ses conséquences historiques l'unification d'un pays, qui rêvent de démantèlements sous prétexte qu'un Etat plus ancien ignorait l'unité. Rêveries que la réalité dément parfois cruellement. Stratège génial, quand il s'agissait de conduire des armées à la victoire, de manœuvrer l'adversaire, de l'attirer dans un piège, comme à Trasimène, de jouer sur ses nerfs .:...- et cela, Tite-Live, après Polybe, l'a bien montré - Hanni-

bal se fit des illusions quand il prétendit, de ses calculs, effacer Rome, la cité qui ne ressemblait à rien de ce que le monde avait connu jusque là. L'Italie après Rome n'était plus ce qu'elle était avant elle : une année qui passe, une génération d'hommes modifie irrémédiablement le réel, et il est vain d'aller là contre. . Les Barcides avaient fondé un empire punique en Espagne, et M. Picard en retrace à grands traits l'histoire, ouvrant ainsi au public français un domaine sur lequel l'information, en notre langue, demeure assez sommaire. Il va plus loin, il montre comment la domination punique a contribué à façonner la physionomie des pays celtisés en Languedoc et en Catalogne. Il y a là des pages dont les spécialistes de la Gaule méridionale devront tenir compte. Repris par ses préoccupations majeures, l'archéologue se penche sur le bilan des fouilles d'Ensérune et des oppida voisins de Narbonne, et çà et là jaillissent des traits de lumière, qui éclairent avec bonheur telle trouvaille singulière. Tel objet ne peut provenir, nous dit-on, que de la chapelle particulière d'un officier punique, un « occupant» · lais.sé par Hannibal pour protéger ses lignes de communication... Dans l'immense litière des âges, ce trésor infime retrouvé· inquiète un peu. L'archéologie ne renonce pas à faire la part du rêve.

L'hellénisme Quoi qu'il en soit, ce livrc pose des questions. Il en est une qui ne peut manquer de venir à l'esprit. Hannibal est l'un des Puniques les plus hellénisés. Nous savons aussi qu'il a entraîné Philippe V, le jeune roi de Macédoine, dans son alliance contre Rome. Nous devinons d'autre part qu'il s'est inspiré, plus ou moins, de la stratégie de Pyrrhos, en portant la guerre dans le sud de la péninsule. Mais, à Ro-

me, quelle était la position prise à l'égard du monde hellène ? M. Picard dit, avec raison, que la seconde guerre punique vit l'affrontement ultime des Puniques et de l'hellénisme Rome, naturellement, se trouvant dans le clan hellène. Il y a là comme une image brouillée, s'il est vrai qu'il faille superposer dans la personne d'Hannibal à la fois un conquérant hanté par le souvenir et l'exemple d'Alexandre, comme l'était Pyrrhos, un allié des rois issus des Diadoques, et le chef dûment mandaté d'un impérialisme punique. Comment ·se tirer· de cette contradiction ? Peut-être en refusant le dilemme. M. Picard lui-même nous y incite, lorsqu'il nous montre que le monde carthaginois est loin d'être monolithique. Reconnaissons aussi que le monde hellénique ne l'était pas plus, et qu'il est dangereux d'opposer, même en quelque sorte clandestinement, civilisation « sémite» et civilisation « hellénique », comme deux pôles. Il y a Carthage, et, dans Carthage, un clan qui veut la guerre, qui rêve de rétablir un Etat qu'est venu troubler le développement du phénomène romain. Celui-ci, de son côté, se développe dans un milieu complexe, se situe dans le reste de l'Occident méditerranéen et aussi (ce que, prudemment, M. Picard évite de préciser, le sujet soulevant trop de controverses), par rapport à l'hellénisme oriental. A l'intérieur de l'Etat romain, des tendances multiples s'opposent ou se renforcent; la tentation de l'hellénisme matériel, celle aussi d'un hellénism · ~'pirituel qui fi 'est nullement absent de la cité, dès le IVe siècle, des intérêts économiques, parfois des ambitions personnelles, tout cela .compose le phénomène romain, qu'il est vain de vouloir résumer d'une épithète. Il est bien probable que ... si Hannibal avait vaincu , les choses n'auraient pas été fort différentes de ce qu'elles furent, au moins sur le plan des affaires spirituelles du monde. L'hellénisme n'y eût pas

perdu, ni gagné grand-chose. Tout au plus les hommes n'auraient-ils pas connu les siècles de paix que leur donna Rome. Mais il est vain de penser que la civilisation punique se serait imposée, changeant quoi que ce fût à la culture du monde, alors que cette civilisation était, précisément, en train elle-même de s'helléniser, au moins aussi vite que celle de Rome. La seconde guerre punique n'est pas le choc de deux mondes; elle n'est épique que par la violence des combats, l'obstination des héroïsmes et des ambitions. Catastrophe déclenchée par un prince arrogant, au-dessus des lois, chef de clan et fort peu citoyen, elle ne revêtit véritablement son importance que par la réaction qu'elle provoqua dans Rome, la crise de croissance qu'elle· y déclencha. Hannibal n'avait fait, dans l'inconscience de sa vingtième année, que jouer avec des forces qui, finalement, l'écrasèrent, lui et sa patrie.

Pierre Grimal

O.R.T.F. France-Culture (348 m, ondes moyennes) projette une remarquable série d'émissions de caractère littéraire pendant les vacances. Il faut retenir. Profils de médailles " qui groupe un certain nombre d'auteurs de talent autour d'un personnage historique, servi par d'excellents comédiens : I.:undi 17 juillet. 13 h 40 : • Antoine et Octavie" par Marcel Jouhandeau. Mardi 18 juillet, 14 h : • Le divin Jules César " par J.-L. Curtis. Mercredi 19, 13 h 40 : • Tibère", par Félicien Marceau. Jeudi 20, 14 h : • Titus " par M. Déon. Vendredi 21, 14 h 10 : • Le soldat Dioclès" par Audiberti. Samedi 22, 13 h 40 : • Héliogabale • par Pierre Moinot. Lundi 24, 13 h 40 : • Julien l'Apostat. par André Fraigneau. Mardi 25, 14 h : • Vespasien" par Alain Allioux. Mercredi 26, 13 h 40 : • Domitien " par Jean Giono. Jeudi 27, 14 h : • Caracalla . par Jacques Perret. Vendredi 28, 14 h 10 : • Hadrien. par Marcel Schneider.

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ILEON CHESTOV œuvres capitales 1

LA PHILOSOPHIE DE LA TRAGEDIE

n -

LE POUVOIR DES CLEFS

m-

ATHENES ET JERUSALEM

SUR LES CONFINS DE LA VIE

en 3 volumes

La Quinzaine littéraire, 15 au 31 juillet 1967.

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Traditions chinoises d'insouDlission James J.-Y. Liu The Chinese knight errant Londres, Rouùedge et Kegan Paul, 1967, 242 p.

manière de scandale. Les rebelles errants sont tout aussi présents dans tous les genres du théâtre chinois classique, le drame des Yuan, le drame des Ming, l'opéra de ' Pékin. De toutes ces manifestations multiformes du you-xia, de tout ce cycle historique, sociologique et littéraire à la fois, M. James Liu donne à l'intention du grand public un tableau d'ensemble précis et vivant, et dont il n'existait jusqu'ici l'équivalent dans aucune

versant des forces sociales de l'ancienne Chine. L'admirable machine sociale, politique et idéologique du confucianisme n'avait pas, à beaucoup près, annihilé les forces d'opposition et d'insoumission. Ces forces d'insoumission s'exprimaient dans l'activité des you-xia, tout autant d'ailleurs que dans bien d'autres tendances, dont la synthèse n'a jamais été tentée : les lettrés dit fong-liu (d'humeurvagabonde), qui n'utilisaient pas leurs diplômes confucéens pour faire une

tation » au niveau de la psychologie individuelle (pp. 4 et 9). Certes, les you-xia venaient de milieux sociaux différents, les uns du peuple, les autres des notables. Mais cette diversité d'origine ne les empêchait pas de remplir une fonction bien définie dans la mécanique sociale chinoise. Ils exprimaient une réelle opposition à l'ordre social, mais seulement à l'intérieur de celui-ci, et ne constituaient donc en rien une véritable aternative historique. La contradiction qui les opposait à l'ordre établi 'ne pouvait se résoudre par un progrès de fond, mais seulement par l'échec individuel, ou au contraire par le compromis. Beaucoup de you-xia (seize, sur les vingt-cinq cas historiques que relate M. Liu), finirent dans la peau d'un ministre, d'un général ou d'un gouverneur de province. L'Ancien Régime chinois était fort habile dans l'art de la « récupération » des opposants.

« Zhu lia était un contemporain du premier empereur de la dynastie Han (ne siècle avant notre ère), natif du pays de Lu, le pays natal de Confucius. La plupart des gens de Lu pratiquaient le confucianisme, mais Zhu lia était un rebelle errant (you-xia). Il aida à se cacher de la loi des centaines d'hommes de caractère, et sauva leurs vies. .. Il ne se vantait jamais de sa puissance ni n'étalait sa bienfaisance. Au contraire, il allait jusqu'à éviter de revoir quelqu'un qu'il avait favorisé, de façon à ne pas risquer un remerciement. Aidant les gens dans la détresse, il se souciait d'abord des pauvres et des humbles. Mais, chez lui, il n'avait jamais d'argent d'avance, M. James Liu, comme d'ailleurs ne prenait qu'un plat à chaque repas, portait de vieux habits usagés, beaucoup d'autres Anglo-Saxons, et voyageait dans une charrette traduit you-xia par knight-errant, tirée par un bœuf. » chevalier errant. Dans sa concluCes rebelles errants, ces you-xia, sion, il esquisse un parallèle entre peuplent les deux millénaires de d'une part Zhu Jia ou les rebelles la civilisation traditionnelle chide Liang-Shang-po, et d'autre part noise. Ils étaient des hommes de les figures chevaleresques du cycle caractère, refusant les convendu Graal, des légendes arthurientions confucéennes de la vie sones, des contes de Chaucer et des ciale, l'étiquette, les compromis. romans de l'Arioste. Ne fait-il pas sions, le luxe. Ils vivaient d'expéfausse route? Il admet lui-même dients, aimaient la bagarre, ne reque, à côté de certains traits communs, le désintéressement, la généculaient pas devant le meurtre ou rosité, l'humeur batailleuse et le l'affrontement armé avec la pogoût de la vie errante, des diffélice. Ils venaient en aide aux paurences profondes séparent les « chevres et aux opprimés, cultivaient valiers errants » attribués à la Chil'équité et la générosité, méprisaient ne et leurs hom ologues d'Occident. la richesse. Certains d'entre eux Non seulement les you-xia chinois étaient fils de pauvres paysans, ignorent tout de l'amour courtois et mais d'autres venaient de familles de la dévotion à la Dame (ce qui de notables, dont l'atmosphère leur reflète la position subordonnée des était trop pesante. Certains moufemmes dans la société chinoise rurent au combat, d'autres se raltraditionnelle), mais, surtout, ils lièrent au pouvoir et exercèrent de défient ouvertement l'ordre établi hautes fonctions militaires, d'au· et les conventions sociales, les tourtres se retirèrent dans la méditation taoïste. nent en dérision avec humour, alors que les chevaliers errants du Les écrits des chroniqueurs chinois d'autrefois abondent en ' sil· moyen âge occidental vivent complètement en dehors de cet ordre houettes de you-xia et le grand Siétabli, dans une atmosphère idéale Ma Qian leur a consacré un chaet passablement artificielle. pitre spécial de son monumental Traité historique. Ils ont inspiré S'il y avait un rapprochement à Rebelle redruseur de tort, 8rc1vure chinoise. les poètes, et Li Po, un des plus faire entre les you-xia et un type grands poètes de l'époque Tang, historico-littéraire de l'Occident, ce avait lui-même mené la vie batailserait plutôt du côté des (( brigandsleuse des rebelles errants. Ils ont justiciers » que des héros de la fourni le thème d'innombrables chevalerie classique, du côté des contes populaires, ballades et ro- langue occidentale. Sans doute, il brillante carnere mandarinale, Robin Hood (cité d'ailleurs p. 203) mans, basés initialement sur la s'agit davantage d'un inventaire- mais préféraient s'enivrer au clair et des Salvator Rosa, des haidouks tradition orale, pour aboutir peu à répertoire que d'un essai. L'auteur de lune; les jacqueries paysannes ; balkaniques et des cosaques insoupeu à des chefs-d'œuvre authenti- nous présente surtout une longue les sociétés secrètes et leur idéolo- mis des steppes. M. Liu admet d'ailques de la littérature universelle. série de notices historiques et lit- gie de contestation de tout l'ordre leurs que ses héros sont, par rapC'est le cas en particulier du Shui- téraires, ne faisant à l'analyse et à impérial! ; le taoïsme et son effort port au Japon, beaucoup plus prohu, le « roman du bord de l'eau ,», la réflexion ,personnelle qu'une pla- acharné pour fortifier l'homme in- ches des rônin (rebelles errants) rédigé sous sa forme définitive au ce fort restreinte. Mais il nous dividuel face à la machine sociale. que des samurai. Ce qui nous raxv< siècle, et qui évoque les ex- procure un contact direct et con- Les rebelles errants, les you-xia, mène à nouveau au problème de ploits des cent huit héros rebelles cret avec cet aspect jusque-là si font partie de ces forces d'insou- l'insoumission dans les sociétés préde ,la forêt de Liang-Shang-po ; soit négligé de la civilisation chinoise mission, même si M. Liu n'envisa- capitalistes, ...et peut-être ailleurs. dit en passant, l'absence de toute . classique, et seul un érudit chinois ge guère le problème sous cet angle . lean Chesneaux traduction française du Shui-hu, pouvait nous permettre cette préIl se borne en effet, en ce qui une des lectures favorites' du jeune _cieuse découverte. concerne les aspects sociologiques 1. Nous avons ~éveloppé cette analyse Mao et de tant d'autres Chinois, Car ce que nous découvrons au de son sujet, à expliquer la rébel- dans notre étude sur les sociétés secrètes e encore en plein xx siècle, est une fond avec les you-xia, c'est l'autre lion des you-xia par une « inadap- en Chine (Paris, Julliard, 1965).

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Vie et

DlOrt

,

d'un reseau

Gilles Perrault L'Orchestre rouge Arthème Fayard, éd., 576 p.

La société communiste a ses légendes secrètes, appartenant pour combien de temps encore au patrimoine commun du mouvement international. Elles se transmettent par des traditions oraJes difficilement contrôlables. Elles émergent parfois au cours de polémiques fratricides, ou bien elles retiennent l'attention fascinée des chroniqueurs qui, cherchant à en déceler les sources, les font glisser sur le plan de l'histoire de notre temps. Le récit de Gilles Perrault consacré aux services de renseignements créés et mis en place par les Soviétiques sur le territoire du Ille Reich Gilles Pemwlt et des pays occidentaux occupés, en est un exemple récent. Gilles Perrault, utilisant une technique pro- tion clandestine, et qui ont en comche de celle de Truman Capote mun ce trait, souligné par l'auteur, dans De sang-froid, nous conte la d'être presque tous d'origine juive. vie et la mort du réseau surnommé Léopold Treppel', patron de l'Orpar les spécialistes de l'Abwehr chestre Rouge, juif lui-même, a ({ Die Rote Kapelle ». Cette termi- voulu en effet mettre aux postes" nologie traduit sans doute moins clés des hommes pour qui la lutte une dimension, considérée comme contre les nazis ne pouvait être classique de l'âme germanique, ' qu'une et sans ambiguïté. qu'un certain sens de l'observation, Hommes de l'Abwehr et de la teinté d'humour, des responsables Gestapo, manipulate~rs nés des de l'Abwehr. consciences et fonctionnaires de la Tout réseau, comme un orches- torture, qui gardent à travers leur tre, exige l'alliance subtile des ta- entreprise leur part de rêves perlents les plus divers et comporte sonnels et se révèlent humains, ses concertistes privilégiés, les trop humains, dans une recherche ({ pianistes » ou opérateurs-radio, désespérée de contre-assurances sans lesquels la quête du rensei- aux approches de la défaite. gnement devient u.., jeu sans objet. L'auteur décrit avec minutie la Les pianistes arrêtés et ({ retournés » permettent aussi la mise en vie quotidienne et banale des réplace et le déploiement du CI. funks- seaux et leurs problèmes les plus piel », technique subtile et ingé- divers, notamment financiers. Nul nieuse employée par les services n'oubliera les passages consacrés à allemands, et qui consiste à utiliser la Simex de Paris et à la Simexco les membres 'd'un réseau CI. retour- de Bruxelles, sociétés d'import~ né » en vue d'intoxiquer les ser- export chargées de ravitailler, au marché noir, l'intendance de la vices adverses. Wehrmacht en produits rares. OpéL'auteur excelle' à nous décrire ration qui non seulement permit, les « musiciens » de l'orchestre et grâce aux profits réalisés, d'assurer leurs adversaires. Officiers aristoune vie cossue et parfois brillante crates de l'antenne de Berlin, baaux membres du réseau, mais vards, mondains, précieux observateurs qui réservèrent aux troupes allemandes arrivées sur les fronts de l'Est des surprises pas seulement psychologiques, et surent mourir avec race dans des circonstances particulièrement atroces. Officiers de l'Armée Rouge introduits à Rotterdam ou à Bruxelles, transformés en Sud-Américains, pris du vertige de l'identification au point de se ({ retourner » de façon déconcertante lors de leur arrestation . Hommes et femmes des centres de Bruxelles ou de Paris, d'origine modeste ou non, qui surent, sans pour autant quitter le cadre de leur vie quotidienne, devenir des pions consentants sur un échiquier dont l'intelligence leur échappait. Communistes de l'appareil rescapés des purges du Komintern ou des Brigades Internationales, rompus à toutes les techniques de l'ac-

encore de découvrir et d'exploiter d'excellentes sources de renseignements. La personnalité de Léopold Treppel', alias Leiha Domb, aujourd'hui éditeur de littérature juive classique à Varsovie, domine le récit ; adversaires et partisans lui reconnaissent intelligence et caractère. Les fragments connus de sa biographie montrent que prisonnier ou non il a vécu certaines vicissitudes de l'histoire cQntemporaine, dans la Pologne. de Pilsudski, dans la Palestine anglaise et dans la France de la Ille République, sans oublier bien sûr l'aventure de l'Orchestre Rouge qui lui valut d'être arrêté par la Gestapo, de s'évader et de connaître enfin, lors de son retour en U.R.S.S. et jusqu'à la mort de Staline, les cellules de la Lubianka. C'est lors de son arrestation à Paris que Léopold Trepper donne sa pleine mesure, au moment où les services allemands mettent en place le ({ funkspiel ». Il réussit à convaincre ses interlocuteurs de sa coopération, tout en prévenant, bien que détenu, par un moyen simple et ingénieux, le centre de Moscou du caractère factice de sa collaboration.

L'épisode du CI. funkspiel » ne pourra que passionner les amateurs d'histoire contemporaine. Il fait apparaître que par ce procédé certains chefs nazis, en particulier de l'entourage de Martin Bormann, visaient à établir une liaison suivie avec les Soviétiques en vue de rechercher ou d'explorer des possibilités de paix séparée. L'auteur, à cette occasion, éclaire l'épisode connu de l'article de la Pravda de janvier 1944 annonçant sous la signature de son correspondant du Caire des pourparlers de paix séparée entre les Anglo-Saxons et les nazis. Ce n'était qu'un élément parmi d'autres du ({ funkspiel », dont le exécutants peu au fait des avances politiques cherchaient pour euxmêmes des possibilités de retournement ; certains réussirent. L'auteur, bien conseillé, a su parfaitement pénétrer l'intelligence des mécanismes et l'humanité angoissante des hommes ' qu'il fait revivre. Son ouvrage, quoique touffu, ce qui bien à tort. risque de décourager le lecteur, reste digne d'intérêt, d'une lecture attachante, et même, pour certains esprits politiques, passionnant. Albert LalaUZf'

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La Quinzaine littéraire, 15 au 31 juület 1967.

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ESPRIT1

Souvenir des obscurs

...................... : POÈTES PORTUGAI S

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• BRÉSIL 1967

Dictionnaire biographique du mouvemen t ouvrier français publié sous la direction de Jean Maitron . 1. 1789-1864 (3 vol. de 500 p.) 2. 1869-1871 (1 vol. paru) . Les Ed. Ouvrières.

•• mes

« Contester le culte des grands hom-

est la première conséquence de • l'impossibilité où nous sommes de cons• tituer le tribunal cOII.pétent en si grave matière. Comment proclamer qu'ils font .• • l'histoire lorsque les limites de leurs respomabilités demeurent si itnprécises? L'ex plicatiOl. serait-elle que l'histoire se • fait toute seule? A cette question que • pose Charles Morazé dans son récent es• sai la Logique de l'Histoire, le Dictionnaire du mouvement ouvrier français n'apporte-t-il pas, sinon une réponse com• pIète, tout au moins de précieux éléments • susceptibles de fonder une conception de • la nécessité historique? • Il existe des histoires du mouvement ouvrier; des histoires générales, comme • le classique Dolléans; rien d'aussi riche • et d'aussi complet, pour la France, que le remarquable the Common people de Cole et Postgate pour la Grande-Breta• gne. Il est vrai qu'il y a des ouvrages • spécialisés dont les meilleurs exemples • sont justement ,la thèse de Jean Maitron , sur l'HütoÏTe du mouvement anarchi.&te en France ou les deux . tomes de Rœmer • sur l'Histoire du mouvement ouvrier pen-• •• • • • • • • • • • • • • • • • • dant la première guerre moruIitrk ou ' . encore l'Histoire des doctrines 1IOCÏ4lu 19, rue Jacob, Paris, (,e. dans l'Europe contemporaine par GeorC. C. P. Paris 1154.51 ' · ges Lefranc. A côté de ces ouvrages de . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . synthèse, des biographies comme celle de • • Vaillant par Dommanget ou la magistrale • étude d'Isaac Deutscher sur Trotsky por• tent à notre attention la vie et la pensée • des leaders. Mais, le II: commun peuple » • aussi a fait son histoire et ses héros très • obscurs avaient aussi des noms, ils ont eu un destin ... : Jean Maitron, fondateur et organisateur de l'Institut français d'histoire BO,. ciale, était sans doute le mieux placé • pour concevoir cet ouvrage monumental : • de 1789 à 1939, recenser les noms de • tous ceux qui, au rang du militant com• me au rang de responsable régional ou , . national, ont apporté II: leur sueur », et ' . aussi parfois leur sang, au mouvement ,. ouvrier. Ouvrage nécessairement collectif, • et c'est déjà un trait remarquable de l'en• treprise que l'ardeur bénévole des cher• cheurs fouillant les archives départemen'. tales : instituteurs et professeurs ont , Cormé le noyau de ces équipes où l'on • relève aussi des archivistes et des vieux ;. militants qui n'ont pas oublié ... ,• Le plan adopté comporte quatre pério• des; les deux plus récentes, de 1871 à • la première guerre mondiale, puis de la • première à la seconde guerre mondiale, .• sont encore en chantier. La première, ' . celle de la préhistoire du mouvement ou• vrier proprement dit, va de 1789 à • 1864; elle est couverte par trois volumes • déjà parus qpi réunissent quelque douze • mille notices : de Abadie, menuisier à • Le Réole, qui fréquentait les clubs en : . 1848, à Zürcher, ancien instituteur qui . • fut administrateur du Républicain du Haut-Rhin. E xemples presque typiques et , • si les notices de Blanqui, de Proudhon, • de Saint-Simon sont bien plus dévelop• pécs (et permettent d'ajouter au texte • quelques illustrations, dont on peut par • ailleurs regretter la rareté), j'avoue trou: • ver plus d'intérêt encore à celles qui sau, • vent de l'oubli des hommes du rang, tel • ce Charles Ruroy, « paysan du Lude • (Sarthe), guillotiné le 28 mai 1816 sur • la place du village pour les troubles de , • la fin de l'hiver. La condamnation avait été prononcée la veille ». • Le travail est donc achevé pour cette • première période. Le quatrième volume • qui parait aujourd'hui va de Pierre Aab, • communard, déporté en Nouvelle-Calé1 • donie, à Jules Cardin, communard lui • aussi, mais qui eut « droit D, si l'on • peut dire, à trois ans de prison. Il cou• vre une période bien plus courte mais ' . essentielle : de 1864 et la fondation de • la Première 'Internationale à 1871 et la • répression de la Commune. Le choix des

Par J M Domenach. et M. More.-ra Alve's ••

noms à retenir posait des questions délicates à J. Maitron et M. Egrot qui ont dir igé la rédaction définitive. Ils s'en expliquent dans une préface qui nous éclaire sur les effectifs réels de la Première Internationale en France. Que ceux-ci n'aient jamais dépassé deux mille avant la Commune et aient été certainement inférieurs à cent après 1872, que malgré cela le prestige de l'Association internationale des travailleurs ait pu faire trembler les sociétés bourgeoises, il faut y voir une preuve de la force des idées, même quand elles sont fondées sur celles de justice et de liberté, et peutêtre, en comparant avec les réalités de notre temps, un encouragement pour ceux qui se méfient des « appareils » des par-

peut évidemment faire une plus lar ge place au communard inconnu, mais tout au long des notices. ccs fusillés inconnus nous accompagnent. Les notices plus longues nous rappellent aussi des noms plus proches de nos propres souvenirs : Allemagne, par exemple, ou Paul Brousse. Mais je reviens, malgré moi, à ces notices plus courtes, telles celle d'u n Louis Brossard, condamné par contumace, et qui fut peut-être un de ces dix-sept m ille non condamnés. mais exécutés ... Jean Maitron et son équipe savent que leur ouvrage n'est pas à l'abri des critiques. Par exemple, au fur et à mesure qu 'ils se rapprochent de notre , temps, le choix des noms à retenir est plus

L' HER MÉNE UT' 1QUE·

• LE MOYEN ORI ENT •.

JUILLET-AOUT 1967

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ESPRIT

L'Histoire sans frontières

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Photographia de swpects survèillés aux frontières , , en haut: Elisée Reclm et Louise Michel.

tis (ou de ces organisations qui ne veulent pas être des partis mais qui ont pourtant de puissants II. appareils »). En tête de ce volume, la liste des membres de la Première Internationale et des sections qui ont pu être identifiées : plus de cinquante pages d'informations précises et pourtant encore incomplètes, les auteurs en ont conscience ; seule une recherche systématique conduite internationalement pourrait espérer éviter toute lacune; espérons que ces recherches seront menées à bien. Plus brève, mais lourde de signification, la mention, à la page 82, de l'effectif probable des victimes de la Semaine sanglante; sans doute plus de dix-sept mille. Le dictionnaire biographique ne

délicat dans un ensemble de plus en plus vaste. Mais ces historiens creusent modestement leur sillon et ne souhaitent rien tant que des corrections et des enrichissements à leur travail. Les livres sont reliés et maniables, leur présentation modeste, le papier un peu gris et, je l'ai déjà dit, un seul horstexte par volume. Mais il faut noter que cette édition ne bénéficie d'aucune subvention et poùr faire survivre la mémoire de tous ces héros obscurs, il fallait la ' patience et la persévérance d'historiens également plus attachés aux réalités qu'aux apparences. Car Charles Buroy et Louis Brossard n 'ont peut-être pas fait l'histoire, mais que serait celle-ci sans la flamme qu'ils y ont mise?

Gilbert Walusinski


POLITIQUE

L'élargisS8ntent d'une tradition Jacques N antet Pierre Mendès France Centurion éd., 264 p. Le portrait que Jacques Nantet esquisse de Pierre Mendès France a été établi à partir d'entretiens au cours desquels l'ancien président du Conseil évoque les événements passés, précise les intentions qui avaient été les siennes, raconte un incident ou rétablit un détail. Comme il l'écrit dans sa lettrepréface, l'homme politique « doit accepter d'être un homme dont on discute », et il ajoute : « C'est à juste titre qu'on l'appelle aussi un homme public» puisqu'il « affronte ce qui est l'affaire de tous ». Mais il faut sans doute aller plus loin que le débat sur les options controversées pour saisir le sens d'une entreprise qui ne s'enferme pas dans l'actualité, même si celle· ci lui impose sa loi.-Dn aurait aimé à ce propos que l'auteur eût prolongé ses interrogations et pris en même temps davantage de recul, de manière à situer en perspective ce personnage, familier et mystérieux tout ensemble, qu'est un homme d'Etat. Le livre de N antet confirme par exemple que les étiquettes ne donnent qu'une indication superficielle et un peu vaine, bien qu'elle soit commode pour nos inventaires, car l'appartenance à une école ou à un groupe ne définit que les romanciers sans génie ou les hommes politiques médiocres. Les autres ne manquent pas de se rattacher à des tendances, mais qui ne révèlent que ce qu'ils ont de commun avec les membres de cette école, ou de ce groupe, c'est-à-dire un vocllhulaire, non la signification de leur dessein particulier. A la limite, l'ouvrage de Jacques Nantet suggère· que cette classification est parfois accidentelle : lorsqu'il nous apprend que Pierre Mendès France jugeait au début de sa carrière les

socialistes « trop théoriciens » et ne les avait pas rejoints pour cette raison, le lecteur malicieux ne peut s'empêcher de songer au P.S.U. Si les étiquettes, c'est-à-dire les partis, sont affaires de circonstances, il n'en va pas de même des grandes traditions qui aident justement à situer un personnage dans une perspective moins contingente. A ce propos, le choix du parti radical aurait gagné à être interprété en termes moins anecdotiques car Mendès France s'inscrit dans une ligne d'hommes de gouvernement républicains pour lesquels le pouvoir était l'accomplissement naturel, tandis qu'il n'était qu'une concession équivoque aux yeux des socialistes. (Il suffit pour s'en convaincre de comparer, aux explications en forme d'excuses présentées par M. Guy Mollet aux militants de la S.F.I.O., les exposés de Pierre Mendès France devant les congrès radicaux). Une tradition rationaliste et optimiste, donc, fournit l'éclairage indispensable pour apprécier l'apport original du mendésisme dont Nantet constate à juste titre combien il était en avance sur l'opinion des années cinquante, alors que ses thèmes se sont depuis largement diffusés. Pour l'histoire des idées, il aurait sans doute fallu rappeler les liens du mendésisme et de la « technocratie» : l'image . d'un homme politique moderne, entouré d'une équipe de spécialistes (on redécouvrit alors le brain-trust rooseveltien) allait de pair 'avec la recherche de l'efficacité et une certaine allergie aux controverses idéologiques. Le courant actuel des clubs y a d'ailleurs trouvé pour l'essentiel, avec ses principaux cadres, son approche distinctive. . Le goût de la rigueur et le souci des problèmes correctement p0sés se sont largement répandus depuis douze ans, mais ils ont perdu en chemin leur accent politique car l'apport de Mendès France avait été de montrer qu'il ne s'agissait

Tandis qu'à Paris, on interdit soudain Jodelle (éditée par Eric Losfeld). la ville de Lucca, près de Pise, .compte désormais une festivité supplémentaire au calendrier de ses manifestations touristiques : le Congrès annuel des Bandes Dessinées, dont sa municipalité sera co-organisatrice aux côtés des spécialistes romains des • fiumetti -. Pour les amateurs français, la petite guerre continue : le C.E.L.E.G. de Francis Lacassin qui avait participé aux précédents congrès, s'est trouvé éliminé du Congrès de Lucca au profit de sa rivale, la Socerlid (président Moliterni).

Censure Le 25 juin, une ordonnance d'interdiction de vente aux mineurs de moins de dix-huit ans, était prise à l'encon-

pas seulement de disciplines de techniciens ; il avait en somme proposé l'élargissement d'une tradition qui tournait à la rhétorique mais en même temps, il offrait un débouché politique à une génération plus pragmatique que ses aînés. Les événements ont été contraires à cette greffe dù rameau moderniste sur le tronc républicain classique mais il en faut retenir la parenté. Un des meilleurs spécialistes des problèmes de l'administration française, Jean-François Kesler, a

remarqué à ce sujet que l'idéologie du club Jean-Moulin, qui tient l'Etat pour l'instrument de l'intérêt général, « perpétue finalement la grande tradition radicale-socialiste dont il a simplement · répudié le laïcisme ». Faudra-t-il reconsidérer le sens de la laicité, qui n'est plus l'ogre anti-religieux que Jacques Nantet paraît encore redouter, mais qui n'est peut-être pas non plus la gâteuse que l'on se représente communément ? Pierre Avril

[LETTRES A «LA QUINZAINE»

INFORMATIONS Bandes dessinées

Pierre Mendês France

tre de l'album de bandes dessinées Les aventures de Jodelle publié par Eric Losfeld. Cette interdiction intervient après un an de vente, la veille même de la date de prescription. Le même jour, une interdiction de vente aux mineurs, affichage et publiCité intervenait à propos du roman-photo Satanik.

Dictionnaire des littératures Les Presses Universitaires de France annoncent pour la rentrée 1967 un Dictionnaire des Littératures par Philippe Van Tieghem. Cet ouvrage, qui comprendra deux tomes, groupera plus de 20.000 articles classés par ordre alphabétique d'auteurs et traitera, non seulement de la littérature française mais aussi des littératures étrangères et régionales. Il contiendra une bibliographie spéCiale par articles, une bibliographie générale en fin d'ouvrage et une filmographie littéraire.

La Quinzaine littéraire, 15 au 31 juillet 1967.

Sade et le despotisme Fidèle lecteur de la Quinzaine littéraire, j'ai souvent apprécié la haute tenue des articles qui y paraissent. C'est vous dire que j'ai lu avec surprise l'écho que son dernier numéro a consacré à mOn article sur « Sade et le rationalisme des lumières ». Grâce à une coupure habilement faite dans mon texte, l'un de vos collaborateurs me prête une phrase prudhommesque et ridicule. Les extraits cijoints vous permettront d'en juger. Légèreté ou malhonnêteté ? Je préfère croire à la légèreté : personne n'est à l'abri d'une inadvertance. J'espère donc que vous voudrez bien donner à ma lettre la suite qu'elle comporte logiquement : une rectification. Ce serait, je crois, la meilleure façon de prouver au fidèle lecteur que je suis, que votre revue n'a pas cessé de mériter son estime. Voici la phrase qu'on me prête Raison présente (n° 3). Un débat, " L'aliénation, mythe ou réalité »? et

une synthèse : « Sade et les lumières » de Jean Deprun, qui écrit à propos du despotisme : « Considérons maintenant le despotisme. Sade nous dit que l'homme est naturellement despote ( ... ) A-t-il raison? Eh bien, il n'a pas tout à fait tort. » Ce que j'ai écrit : « Considérons maintenant l'isolisme et

le despotisme. Sade nous dit dans une page que je citais plus haut que l'homme est naturellement despote; dans la note de Juliette que je citais également, il est dit en substance: « Profond Helvétius, vous avez insinué cela. » A-t-il raison? Et bien, il n'a pas tout à fait tort. » Le sens est clair : Sade n'a pas tout à fait tort de se réclamer d'Helvétius! Jean Deprun, Versailles. Nos excuses à M. Jean Deprun qui n'aurait pas eu « tout à fait tort » de se faire mieux entendre.

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RBVUES

De Georges Bataille à Picasso

Voici un deuxième numéro spécial (après celui de Critique, août-sepiembre 1963) consacré à Georges Bataille,c'est celui de la revue trimestrielle, L'Arc (chemin de Repentance, Aix-en-Provence). Dans son texte de présentation, Henri Ronse écrit : Cl Georges Bataille conduisait, pourrait-on dire, dans le style des ' h~toires de la littérature, une œuvre de philosophe et de romancier de critique littéraire et de critique' d'art de m;:>;stique. et d'érotolog~e, d'ethnolog~e et d economl$te - tout a la fois , tout ·ensemble et tout dans un complet désordre. De. sorte qu'il n'est pas, dans ce texte UlUque de Bataille, . articulé comme à p!usieur.s .voix et s'inscrivant sur pluneur.s re(,"'tres, d'ouvrage privilégié. Et pourtant, cMque livre peut être lu, ne peut qu'être lu, isolément. A condition toutefois qu'il soit pris comme le moment tran.sit.oire d'une porole inces.sante qui accompl,t, dans la singvlarité, dans l'anonymat d'une " expérience » la rencontre d'un corps et d'une écriture : au plein .sem, une biographie. » Suivent des études de plus ou moins grandes dimensions. Il faut retenir cell'; de Jacques Derrida : « De l'économie ~~inte à l'éc~momie générale, un hégélianisme sans reserve », qui met bien en V~\lr, dans un de ses chapitres, la difference entre maîtrise et souveraineté si essentielle à la compréhension de Bat~e tout entier : " Le maître est celui qui a la force d'endurer l'angois.se de la mort et d'en maintenir l'œuvre, tandis ~e la S?uveraineté apparaît dans cet · ~lat .de nre « qui constitue .son rapport a .la mort », " éclat de rire qui fait briller ~ pourtant la montrer, .surtout .sans la dire, cette différence. » Et Derrida précise très justement : " Cette gaiet~ n'apportient pas à l'économie de la VUl, eUe ne · répond pas « au .souhait de nier l'existence de la mort » bien qu'eUe en soit au.ssi proche que' po.s.sible. Elle n'est pas la convulsion qui .suit l'angois.se, le rire mineur, fusant au moment où on l'a « éCMppé belle » et .se rapportant à l'angois.se .selon le.s rapports du pasitif et du négatif. »

breux textes inédits sont présentés à la fin du volume, où l'on trouvera aussi une bibliographie qui prolonge et complète celle publiée dans le numéro spécial de Critique. Dans ce cahier de L'Arc aurait dû figurer, s'il n'avait été trop long, le texte de Philippe Sollers sur Bataille, paru

dans le numéro 29 de Tel Quel: " Le Toit, essai de lecture systématique ». Au chapitre intitulé « Le jeu », on peut lire cette remarque sur l'écriture tragique : « Cependant, la mi.se à nu de la my.stique (au .sem historique de ce mot) et de l'érotisme, la critique de leur.s fondement.s, .sont les · armes les plus efficaces contre l'idéologie naturaliste en tant· que celle-ci a mis l'accent su-,: l'interdit de la mort aux dépem de l'activité génétique pri.se, eUe, à la légère. L'affrontement direct et glis.sant de la mort (la my.stique) comme le sérieux, le tragique, a.ssocié.s à la .sexualité (l'érotisme) .sont alor.s bannis : il est interdit de rire de la mort mais le plaisir est devenu objet de plai.santerie. C'est pourquoi, dit Bataille, . « l'érotisme envi.sagé gravement, tragiquement, repré.sente un renversement ». Mai.s nous voyom au.s.sitôt comment l'écriture .se cMrge dé.sormais de ce renversement, comment elle a désormai.s le même .statut, la même fonction ~chel, Deguy fait précéder sa contriet en définitive le même .sen.s que l'érobution d une lettre à l'éditeur n ... ~ d' tisme : exclue, manœuvrant .sa propre b u t e IIlIlSl, " .. - scruepar l'expression de ' son exclusion. Nous comprenons mieux compule : ".Ecrire de Bataille est un projet ment eUe dait être imupportable à une que ~1u.sU!urs .scrupules entravent, et le idéologie qui restreint. le .langage à un ~~. "'~p?rtan~, celui-ci : avec queUe fawtrument (celui d'un savoir, d'un cil.'te .aUJour~ hui allons-nous nous ravi" réel »). L'écriture tragique (tragique tailler benoltement aux bibliothèques, non pas dans .son a.spect " expre.ssif 1) comme aux pharmacies ou aux centres mais dans le jeu réglé auquel elle con~ tran.sfusion, ne doutant pas que tout damne celui qui ·.s'y livre) prend· donc livre, q~lque .toxique, quelque dangefinalement le relais de la tramgre.ssion. reu.x . qu il se .soit voulu, ne soit un tranCommellt reconnaître cette écriture? En quillr.sant ou un donneur universel et c'est presque distraitement que nou.s nous prê- · quoi .se distingue;t~Ue de la " littérature li entendue dans .son .sem restreint ~ons à l'opération (mangeant, ou pensant (celui de la production d'une " œuvre») ? a, au~ ~~, ou fumant, regqrdant déjà Pourquoi ne peut-elle se donner que sous 1 apr~-midi au-delà du bord .supérieur le masque de la littérature et non comme du lwre... ). Il pourrait y avoir écœurescience ou philo.sophie? Pourquoi, alors ment ~evant la rapidité avec laquelle qu'eUe est peut-être la .science et la phino.us frehons, thé.sifions, a.ssimilons, exlosophie de son temp.s, est~Ue vouée à ce p.l'quons, comme .si la phrase écrite le masque de gratuité littéraire? » lwre, .por lu!-~ême ruineux de soi-m~me, Et plus loin, cette belle citation de rendait ausn moffen.sive que toute autre Bataille, ce magnifique appel au comet mo~o.tone t!a~. la ~ibliothèque, cett; " experUlnce ,nteneure li qu'un homme bat : " le me déroberai de telle façon est mort à .se forcer de frayer... li que j'impo.serai silence. Si d'autre.s reprennent la besogne, ils ne l'achèveront . Enfin I?enis Hollier, dans « La tragépas davantage ,et la mort, comme à moi, die de Gilles de Rais au Théâtre de la leur coupera la parole. » cruauté li, rapproche Bataille et Artaud Il éc.rit à. ce propos : " Cet effort pou; u desubl,mer » la culture et enraciner Bevue Ile M6taph)'uque l'art dans le corps pourrait nous autoriet Ile Morale ser, malgré d'indéniables différences à rapprocher B~ille et Artaud... Ne s~m­ mes-nou.s pas conduits étrangement prè.s La Revue de métaphy.sique et de modes plus profonds thèmes d'Artaud por rale a soixante-douze ans. Elle est publiée une phr~e de Bataille comme celle-ci : par Armand Colin. Le numéro d'avril« Le théâ.t re comme le sommeil rouvre à juin s'ouvre sur un vibrant hommage de la vie la profondeur cMrgée d'horreur.s la revue à Pablo Picasso, sous la plume et de .sang de l'intérieur des corin. » de Charles Lapicque qui termine ainsi : « Oui le jeune homme a vu juste: c'est Bref, ce cahier sur Georges Bataille est bien " Lui, le Roi ». Un Toi plus aveugle très riche : Y ont également collaboré : qu'Œdipe, malgré .son œil de lynx, et Michel Leiris, Marcel Lecomte, Jean-Miplus démuni qu'un .suppliant antique, chel Rey, Thadée Klossowski, René de malgré les .sourires de la Fortune. Car Solier, Jean Duvignaud, MaÎluel Rainoird, un labeUl' acMmé l'oblige à chercher à chacun étudiant, commentant un aspect tâton.s .son royaume chaque jOllT. Ou pluou un livre de Bataille dont de nom26

tôt, comme il di~, il le « trouve », mai.s c'est pour devoir le quitter aus.sitôt, l'Esprit ayant .soufflé .si fort en cet endroit qu'il est parti se refaire ailleur.s. Un roi plus solitaire que Philippe II dans son cabinet de l'Escurial, malgré des dispo.sition.s sociale.s et sociable.s devenues légendaires. Mais .s'il poursuit son œuvre à traver.s les déserts glacés de la création, c'est pour y trouver une compognie qu'il nous offre, ne pouvani luimême s'y arrêter. C'est là que nous touchons le paradoxe de l'inspiration et du génie. S'il eût fait avec la solitude une alliance moins essentielle, moins espognole, son œuvre ne pourrait nou.s apporter aujourd'hui le réconfort d'une si intime et .si irremplaçable pré.sence. » Ce numéro présente à la suite trois textes qui ont pour thème général l'esthétique et la création artistique : « L'esthétique de la concentration et l'esthétique de la rêverie », par L . Tatarkiewicz; « L'œuvre d'art comme création li, par M. Loreau, et OK Les conditions de la créativité des · peuples », par C. Konczewski. Enfin l'article de M. Schaettel : " Lecture et rêverie selon Gaston Bachelard » s'ouvre sur ces lignes : " Si tant de nos contemporains semblent incapapables de goûter la vraie poésie et l'art moderne, c'est e.ssentiellement parce qu'ils ne .savent pas .s'émerveiller et admirer, c'est parce qu'ils .s'en tiennent à une conception intellectuelle, cartésienne et figurative de la poé.sie et de l'art. JO

Bulletin Il. la 8oei6t6 frlUl~" Ile PhllOHphie La Société française de philosophie a été créée en 1901 par Xavier Léon et ses amis, entre autres Elie Halévy avec lequel il avait fondé auparavant la Revue de métaphy.sique et de morale dont on vient de rendre compte. Elle publie tous les trois mois un Bulletin (Armand Colin, éditeur) qui est le reflet fidèle de ses séances où les plus célèbres philosophes et savants (L. de Broglie, H. Bergson, Einstein, Benedetto Croce, Bachelard, Bertrand Russell) sont venus · faire un exposé qui est sujvj. d'une discussion. A la séance du 23 avril 1966, c'est Jean Paulhan qui était invité à présenter sa communication : « Note sur la pensée à l'état brut ». Ce texte vient de paraître avec un an de retard. Parmi les sages qui l'écoutèrent et qui prirent part à la discussion, se trouvaient notamment Jean Wahl, Yvon Bélaval, M. de Gandillac, Brice Parain, J. Hyppolite. Il est difficile, bien entendu, de résumer ou de citer un extrait de ce brillant exposé (d'un humour si raffiné) qui portait en fait sur le langage, mais qui laissa, comme le fit remarquer G. Villa, l'auditoire sur le mystère. On pourrait cependant détacher au débat cette réflexion de Jean Paulhan: « Les romans les plus épris de vérité .sont triste.s et déçus. le n'en vois pas un de L'éducation sentimentale à Guerre et Paix et à Ulysse, qui ne soit propre à donner au lecteur un grand désir de suicide; pourtant nous sommes tous, par nature, plutôt joyeux et confiant.s et même, nous continuom en général à vivre. Les meilleurs traités de morale et de PsycMlogie nous montrent, depuis Socrate, un homme replié sur .son propre mécanisme, égoïste et figé . Or le.s hom: mes de tous les jours, les hommes de la rue, sont communément entreprenants, généreux, et pro~pts à s'oublier euxmêmes, très bizarrement courageux. La bêtise même a chez eux grande allure. Mais il y a peu de livres qui ne semblent de nos jours écrits por des bourreaux. Heureux, le ramoneur et la petite blanchisseuse, le balayeur obscur, qui éCMppent aux ongles du romancier. »

Etudes (juin), la première partie d 'un essai important de Georges Morel : " Sur le sens du mot Dieu ».

Les Temp.s moderne.s 1juin), " Hamlet et Freud li par Jean Starobinski qui met

en parallèle, guidé en cela par Freud lui-même, la biographie de Shakespeare et celle de Freud : Shakespeare rédigeant Hamlet après la mort de son père, et Freud découvrant la théorie œdipienne dans les mois qui ont suivi la mort du père; mais il y a aussi dans ces pages extraites d'une préface à la traduction française de Hamlet et Œdipe par Ernest Jones, une excellente analyse de ces deux pièces. Freud encore dans " L'analyse originelle » d'O. · Mannoni : la relation de Freud et de Fliess, l'histoire mouvementée du délire de Fliess et du savoir de Freud. . En deuxième partie, trois articles d'ethnologie : Julian Pitt-Rivers : " La loi de l'hospitalité li . Pierre Clastres : Cl De quoi rient les Indiens? Il . A.-P. Elkin : " Medicine-men en Australie ». Et dans les Chroniques : " Picasso et le cubisme » par André Fermigier.

La Pensée (juin). " Science, machines et progrès chez Jules Verne Il, par Jean Chesneaux. E.sprit (juin). Cl Un peuple assassiné » (protestation de la revue contre l'agressi~n américaine au Viêt nam). " Recon-· naissance d'Albert Béguin JO, dans son introduction aux articles de C. Bourniquel, Y. Bertherat, P . Boyer, J.-M. Domenach écrit : « Dans un moment Olf l'on discute teUement de la critique littéraire (et où la vraie critique est .si rare), il s'avère que la métMde et la démarche de Béguin offrent un modèle étonnament adapté à de.s be.sow qui .sont les nôtres, et peuvent nous aider .sur-Ie-cMmp à répondre à des questiom qui flottent autour de nous. li The Paris review (N° 40). Une longue interview de Jorge Luis Borges par Ronald Christ. On y trouve cette réflexion sur Shakespeare : " le pen.se que lohnson, Wordsworth et Kipling .sont bien plus typiquement anglais que SMkespeare. le ne .sais trop pourquoi, mais j'ai toujours res.senti quelque cM.se d'italien, quelque CM.se de juif chez SMkespeare, et il est po.s.sible que les Anglais l'admirent à cause de cela, porce qu'il est .si différent d'eux. li Diogène (juin). Dans " Mysticisme et société JO par Gershom Scholem (traduit de l'anglais par Marguerite Derrida), on ~ut « Nous avon.s dit que le my.shque etmt un· per.sonnage exceptionnel de .sa .société. Nous pourriom dire au.s.si bien qu'il en est un per.sonnage dialectique. Dè.s l'abord, .son rapport à la société n'est pas de pleine cordialité : il est .sujet à de graves temiom. Le .sem de .sa quête originale, condui.sant à .s~n accomplis.sement mystique, l'avait séporé de la .société, avait établi une distance, parfois même creusé un abîme entre elle et lui. Même s'il décide emuite de rèvenir en arrière et d'établir une relation f~~ond6 avec un groupe d'hommes, ou s il y est contraint, ce mouvement est de nature dialectique. Il implique des ré.serves; car même dans le tumulte de l'activité .sociale, le my.stique reste con.scient de cette impulsion décidément anfi.sociale qui lui permit en premier lieu de devenir ce qu'il est. CMque pas dam une direction tend un fil qui va dans le sens contraire. -Il ne peut jamais y avoir un rapport naïf ou intact entre le mystique et la .société. li Paul Demiéville : " Les premiers contacts philosophiques entre la Chine et l'Europe li.

ID: :

Critique (juin). Gilles Deleuze: " Une théorie d'autrui » (Robinson, les robinsonnades et 111 perversion). Henry Raynal : « Kemeny et Vasarely ». Serge Fauchereau "La poésie américaine récente ». Revue des Sciences Humaines (avriljuin). « Autour de Ner.val et de l'ésotérisme ». Frédéric Lamotte


DOCUMENTS

Une odeur de bacon, de poudre et de sueur Jean-Louis Rieupeyrout Histoire du Far West Tchou, éd., 730 p.

Le 11 novembre 1955, à proxitqité d'Oklahoma City, capitale de l'ancien Territoire. Indien, devenu l'agricole et pétrolifère Oklahoma, on pouvait entendre un ministre du culte réformé appeler en ces termes l'attention et les grâces divines sur un morceau de terrain vague:

o Toi, Dieu des grandes plaines libres, qui jamais ne créa un Iromme sans l'aimer, nous Te prions de consacrer ce lieu en mémoire des hommes de la selle, afin que le meilleur du passé puisse atteindre à la postérité. Si d'aventure quelqu'un ici, sur cette colline, peut imaginer qu'il respire un peu de l'odeur du bacon frit sur un feu -de plein air ou du café bouillant sur les braises, qu'il entend gémir le cuir d'une selle fatiguée ou mugir le bétail dans les lointains du . crépuscule, nous Te remercierons, mon Dieu ... Cette cérémonie, ID:agnifiée par une homélie quasiment claudélienne, et se déroulant devant les gouverneurs des dix-huit Etats nés de la conquête de l'Ouest, consacrait la pose de la première pierre du National Cowboy Hall of Fame and Western Heritage Center. Pierre qui 'est donc aussi, en quelque sorte, la dernière de l'édifice américain... Depuis l'installation des colons anglais, français ou espagnols sur les côtes et le long des fleuves, du Rio Grande à l'Hudson, il y a toujours eu à l'ouest quelque chose de nouveau. Les colons y cherchaient des terres, les aventuriers des occasions, les Etats des frontières. Les Mormons y trouvèrent la Terre promise ; les Espagnols la défaite, les Indiens la destruction et les Etats-Unis des dimensions géographiques, économiques et politiques à l'échelle du monde. C'est cela que Jean-Louis Rieupeyrout a consigné en sept cents pages bien remplies, abondamment illustrées, et sur lesquelles flotte cette odeur de bacon, de poudre (oubliée par le pasteur), de cuir et de sueur (celle aussi de l'historien), qu'on suit à la trace de livre en film, de Fenimore Cooper en John Ford depuis qu'on a l'âge de raison des grandes personnes, c'est-à-dire précocement le goût de la bagarre et l'admiration pour la loi du plus fort, ou du plus astucieux ...

Les Etats-Unis, qui n'ont pas deux cents ans d'âge, s'offrent le luxe de posséder une histoire à l'intérieur de leur histoire : c'est celle du Far West (on pourrait y ajouter celle de la Ségrégation). Mais le mouvement d'un peuple bigarré à travers les grandes plaines du centre (qu'on appelait alors le désert américain), les défilés des

Rocheuses et les vallées ouvrant sur le Pacifique a pris couleur de légende. Plus encore, et sans aucun doute parce que la légende a retrouvé d'emblée les racines profondes de nos motivations éternellement confondantes - , la marche vers l'Ouest est devenue la seule ~entreprise de l'histoire du dix, neuvième siècle qui ait atteint à une grandeur mythique. Immédiatement : il suffit de reprendre les aventures de Buffalo Bill ou de Billy the Kid, par exemple, pour voir avec quelle aisance et quelle spontanéité l'Amérique se découvrait des héros, et était capable de se forger un folklore nationaliste suppléant à la Chanson de Roland par les accents du Deguello d'Alamo... Explosion d'exploits qui n'est pas retombée : près de la moitié des étoiles de la bannière de l'Union lui empruntent encore leur éclat. La légende ' et l'histoire ne sont pluS qu'une moderne chanson de geste, nourrissant la meilleure et la pire littérature, et surtout terrain de prédilection du film, ce qui explique probablement pourquoi le Far West a pu s'imposer à la civilisation occidentale, au point d'en être désormais indissociable. La floraison littéraire - et cinématographique - en cache cepen-

superbe et dangereuse odyssée des caravanes dans un 'océan d'herbes et de poussière... Ce scoutisme devenu continental et démesuré, s'imposant à coups de Bible et de fusils, c'était l'Aventure. Il n'est pas très difficile d'y déceler, sous des allures si neuves, la quête de la Horde, le retour à une très ancienne autorité' patriarcale, . le recours à la loi dans sa formulation et son application les plus primitive, et, ce qui est curieux chez ce peuple américain fait de -dix peuples divers, la découverte du racisme fondé à la fois sur la couleur (mais ce n'était peut-être que 'le prétexte, ou la justification) et le rapport du plus fort au plus faible ... La poudre, l'alcool et l'argent ont assuré la cOliquête. La religion de l'espace (c'est ce qu'un journaliste doué, à la recherche d'une définition de la poussée vers l'Ouest, nomma la Destinée manifeste de l'Union) avait pour vertu tous nos vices : si l'histoire en est haute en couleurs, ce n'est pas étonnant! Au terme de son livre, JeanLouis Rieupeyrout cite justement ces lignes de Frédérick J. Turner, professeur, en 1893, à l'université de Wisconsin, à propos du mouvement vers l'Ouest, et des conditions sociologiques qui ont marqué le

Geronimo, chef célèbre de& Apache&.

dant les racines comme l'arbre peut cacher la forêt. L'histoire du Far West, c'est un peu l'histoire de nos souvenirs d'enfance : ce train bariolé que tout menace dans Ba course, n'a-t-il pas, tiré par une locomotive elle aussi devenue légendaire, traversé nos lectures et nos films les plus chers ? Sans doute, ce que nous admirions, c'était la vie libre du trappeur, sans nous attarder au massacre des animaux à fourrures, et la

La Quinzaine littéraire, 15 au 3i" juillet 1967.

perpétuel débordement des frontières jusqu'au Pacifique : « Cette nécessité de renaître constamment, la fluidité de la vie en Amérique, l'expansion vers l'Ouest avec ses circonstances toujours renouvelées, sa connexion permanente avec la simplicité d'une société primitive, fournirent les traits dominants du caractère américain. » Et il dégage en ces termes le caractère de l'homme de l'Ouest : ...« Tournure d'esprit pratique et inventive,

prompte à trouver des expédients... façon magistrale de faire face aux questions matérielles... individualisme dominateur, source de bien ' et de mal, et aussi cet entrain et cette exubérance qui accompagnent la liberté... » Synthèse asseZ juste, et dont on retrouve les composantes à chacune des pages de la monumentale histoire de l'Ouest, dont Jean-Louis Rieupeyrout a démultiplié les rouages, pour la clarté et l'efficacité de son information, consacrant un ensemble de chapitres à l'historique des explorations, puis à l'exploitation économique des régions découvertes, enfin à leur exploitation politique, phénomènes précédant la conquête définitive et la mise en valeur de ces immenses territoires. Fourmillant de renseignements biographiques, de statistiques, de tableaux chronologiques et comparatifs, ce livre est il la fois une somme documentaire et une source de joie pour le lecteur toqué du Far West (et quand on a vu cinq fois Rio Bravo -- par exemple - , comment s'exclure de la liste !). Non seulement les personnages les plus louches acquièrent une identité, mais les héros retrouvent la leur, entre Mark Twain et le grand Sitting BuIJ. Et à mesure, on assiste à la genèse du mythe, dans les faits et les forfaitures, le mensonge délibéré et l'imagination, nourriture pour ce besoin d'admiration et de dévotion dont le super-objet n'est jamais, dans l'histoire du Far West comme dans bien d'autres, qu;une idole pour primitifs ... Les Peaux-Rouges avaient le bison, et les Blancs le cheval de feu ; il fallait aux seconds, pour leur gloriole, autre chose que la seule technicité ! Cc qui n'est pas sans rapport avec les tablcaux de chasse des braves pionniers, qui tiraient le Peau-Rouge isolé comme un lapin - pour le plaisir. L'énorme et passionnant travail de Rieupeyrout nous permet de les suivre, et nous initie aux secrets de la vie, des hold-up ou de la construction des wagons, les célèbres chariots bâchés, avec une remarquable richesse de détails. On apprendra donc, et ce n'est pas le moins surprenant dans ce livre pourtant riche en surprises, que les trappeurs « transportaient dans leurs voyages solitaires journaux, magazines et livres, surtout la Bible et Shakespeare. Leurs goûts allaient à l'histoire, aux biographies, aux sciences et (tenez votre chapeau 1) à la poé-' sie. » Ils défrichaient l'espace où allait passer le souffie de Whitman. Quant à Jean-Louis Rieupeyrout, il n'y a rien qu'il ne nous ait dit sur le Far West qui ne puisse réveiller notre mauvaise conscience et nOQ-e émerveillement ! On suit, pendant plus d'un siècle, l'Amérique en marche : il ne faut ni manquer le voyage, ni se passer du guide. Claude Michel Cluny 27


PARIS

Howard Hawks Ce grand homme de cmema est un homme très grand, très droit, avec une allure de seigneur un peu roide, une courtoisie attentive qui engage tout de suite aux questions. Ni sa silhouette, sans une once de graisse, ni le regard habitué à scruter ciels et visages, ni le teint hâlé, ni les rares gestes précis, ni

Je suis un homme qui raconte, avec des images qui bougent, des histoires qui lui plaisent et où les gens parlent comme mes amis et moi nous parlerions si nous nous trouvions dans les mêmes situations, devant résoudre les mêmes problèmes. - C'est en 1926 que pour la pre-

Ce n'est pas la lumière naturelle, mais c'est chaud... Le s'en trouve plus « vrai

plus lumineux, plus climat entier du film changé... Finalement ».

- Vous qui êtes de ceux qui ont défriché les voies du cinéma, vous intéressez-vous aux diverses tentatives de cinéma expérimental, en particulier celles de l'école de New York, et à des recherches telles que celles d'Andy Warhol? Il ne cache pas un certain dédain.

-

Ce

cinéma» usurpe son titre. Il n'a rien de nouveau. Personne d'ailleurs ne fait rien de nouveau. Je trouve mauvais les films de ces garçons. Les expériences techniques, d'accord, nous devons tous, toujours, continuer à en faire. Mais ce n'est pas neuf que de prétendre: « Il. ne faut pas raconter une histoire! » Cela rev.ient quand même à en raconter une, ou dix à la fois, mais mal. Et puis on s'extasie sur des trucs que nous avons déjà employés il y a trente ans, ou quarante ... Même dans la vie, ce sont des histoires que les hommes se racontent, leurs gestes, leurs paroles sont à chaque instant une histoire, un scénario qu'ils construisent plus ou moins bien. C'est une illusion et une duperie d'affirmer qu'on ne raconte rien, qu'on est seulement « témoin ». C'est peutêtre seulement plus facile... et plus difficile pour le spectateur. Howard Hawks

la voix admirablement articulée n'accusent les soixante-et-onze ans de mon interlocuteur. Dont quarante-et-un de cinéma. Toute l'époque héroïque. Celle qui lui est fraternelle, à sa mesure, et qu'il ne quittera pas, fût-il, par ailleurs, l'homme moderne par excellence. - Parce que, dit-il, il ne faut faire que ce que l'on connaît bien : ce qu'on aime. Ce qu'on est, sans tricherie. Et c'est ce que j'ai fait.

« Soarface » - Mais qui êtes-vous, Howard Hawks ? Vous avez dit, un jour, que l'important c'était d' « entendre l'essentiel des choses » ? De quelles choses? Et quel est cet essentiel d'après vous, dans le cinéma? - Raconter une histoire. Voilà l'essentiel, d'abord. Et dans l'histoire raconter des hommes, les rapports qui les lient ou les opposent les uns aux autres, le combat qu'ils mènent inlassablement contre les forces extérieures, pour affirmer leur existence d'homme, construire leur destinée. y a-t-il autre chose que ce combat? sous une forme ou une autre à quelque époque que ce soit? 28

mlere fois au cmema, vous avez utilisé quelques plans couleur dans Fig Leaves. Puis une série de films en noir et blanc. Considérez-vous aujourd'hui que la couleur ait atteint son point de perfection?

- La couleur a fait d'énormes progrès, évidemment. Techniquement, surtout à présent où l'on commence à se servir du procédé couleur- de la télévision, des possibilités infinies sont offertes aux réalisateurs de cinéma. - La couleur cinéma est une couleur dynamique, non statique ?

- D'accord, et il ne s'agit pas de faire un tableau, . ou d'en copier un, ou de rechercher des réminiscences avec une œuvre picturale. Je suis cinéaste, je ne suis pas peintre. Mais les pr9cédés dont se sont servis certains peintres méritent d'être étudiés pour trouver des correspondances dans l'utilisation de la couleur cinématographique. Vous verrez, dans El Dorado, il y a une autre lumière. C'est une expérience. l'avais remarqué que chez les grands peintres de l'Ouest, le sol, les murs des salons reflétaient toujours une lumière jaune qui ne montait pas jusqu'aux visages. Je me suis servi de réflecteurs de cette couleur à ras de sol.

que inconcevable - ce que font beaucoup de metteurs en scène actuels : j'ai produit à l'économie ! l'ai tourné avec les moyens du bord, dans des conditions difficiles, dans un petit studio encombré de vieux décors, plein de poussière. Sans vedettes! Paul Muni était vendeur dans une épicerie, George Raft, inconnu et Ann Dvorak chorus girl. On y a tous mis du sien!

«Monsieur Bébé »

« nouveau

- A propos d'histoires, Scarface reste je crois dans la longue suite de celles que vous avez racontées depuis Raad of Glory jusqu'à El Dorado en passant, pour n'en citer que les plus exemplaires, par Viva Villa, To have or not to have, The Red River, Only Angels have wings, Air Force, Dawn Patrol et Hatari, l'un de vos films préférés. Les raisons de cette prédilection sont de quel ordre: sentimental, moral (vous vous élevez contre le mythe du gangster) technique ou esthétique ?

- It was a challenge! Oui, Scarface ça a d'abord été une gageure, un match à gagner. l'aime ça. - Dans la vie, comme dans vos films vous êtes donc l'homme du combat singulier. Mais dans Scarface l'ennemi ce n'étai! ni la nature, ni une femme, mais votre héros le trouvait en lui-même. A chaque assassinat, c'était son propre meurtre qu'il préparait. Ce film est celui de la destruction qui appelle la destruction.

- Il ne peut pas en être autrement. Dans ce cas particulier, je tentais pour la première fois - envers et contre tous les magnats de l'industrie cinématographique de raconter une histoire qui n'avait pas leur agrément. Je m'attaquais à un sujet tabou. Alors j'ai fait - mais à Hollywood c'était pres-

La pudeur, la réserve, non seulement anglo-saxonne, mais aristocrate, de Hawks est peut-être à l'origine d'une légende qui veut qu'il ne sache pas s'expliquer sur son œuvre. Qu'il dédaigne d'employer un certain jargon métaphysique, pour ce qui n'implique pas, à ses yeux, un véritable langage métaphysique, est tout à sa gloire. La simplicité est l'apanage des créateurs. Il insiste :

- Je ne crois pas à la nouveauté. Cela n'a donc pas d'importance si l'on se répète. La vie est une incessante répétition d'actes, de situations, de paroles. Même si les apparences sont différentes. Dans le fond l'homme, sa destinée restent identiques. Très « simples ». Peut-être avez-vous raison. Mais cette simplicité, en profondeur, ne vous a jamais empêché de saisir, peut-être malgré vous, une complexité qui affleure peutêtre davantage dans vos comédies, plus féroces, que dans vos drames.

- La même histoire peut . servir à un drame et à une comédie .- on rit beaucoup, et il te faut, dans mes histoires les plus tragiques - Monsieur Bébé raconte un drame ... - Est-ce toujours la nécessité d'atteindre à la simplicité la plus grande qui vous fait recourir à l'utilisation de la caméra à hauteur de regard?

- Oh ! mais moi aussi j'ai fait un ou deux films en plaçant ma -:améra en haut, en bas, sur le côté ... Il rit, se penche brusquement sous la table, son cou se contorsionne et ainsi, en « contre-plongée », il constate:

- Est-ce que je vous parle comme ça ? Non, je vous regarde en face. Eh bien une caméra doit faire de même. Ces « trucs » n'ajoutent rien à un récit. Je ne les ai jamais aimés. Mais bien entendu ... Il s'empare de ma main, examine une bague, constate :

- Si je regarde cette bague, si elle prend de l'importance pour moi, je l'amène à mon regard, je ne vois plus qu'elle.


. , cinema

parle de Faulkner et du Le travelling, le gros plan se dessinent dans l'étonnant regard fait pour les horizons marins du pilote qu'il fut. Avec, peut.être, la sagesse des années il insiste :

- Tout est très simple. Le cinéma c'est la vie. Et dans la vie, finalement tout est très. simple aussi. Si mon cheval se cabre devant l'obstacle et risque de me faire tomber, alors ma caméra aussi doit se cabrer. Mais seulement alors.

ment : son univers. On ne parle exemplaire d'un certain univers bien que de ce qu'on connaît, ou typiquement américain, plus parplutôt de ce qu'on aime, la con- ticulièrement américain de l'Ouest. naissance, sinon intuitive, est se- Puisque je crois (il répète condaire. Les problèmes qui nous avec une grande fermeté « 1 beaniment dans la vie, nous ennuient lieve ») à cet univers ! Puisque je dans une œuvre. Il faut se passion- . l'aime et que je m'entoure de gens ner pour ce qu'on fait, sinon com- qui l'aiment.

- A partir de 1933, avec To have or not to have, vous avez très souvent ~u comme scénariste William Faulkner. Comment travailliez-vous ensemble? Etait-ce une collaboration étroite, comme Joseph Losey avec Harold Pinter, ou ... n m'interrompt:

- Vous savez, quand j'ai découvert Faulkner, personne ne le connaissait. Il travaillait dans une librairie. Il cherchait un éditeur. Tous les jeunes écrivains souhaitaient alors écrire pour le cinéma, c'était un art nouveau ... et puis, tellement plus intéressant financièrement pour eux! /'ai lu une de ses histoires, elle m'a plu. Je l'ai présentée. à un ami éditeur,. l'ai dit qu'il fallait la publier, que je trouvais ça bon, fort, qu'on devait s'occuper de cet homme, j'ai acheté les droits ' cinématographiques. Quand je l'ai rencontré pour la première fois, Faulkner était un garçon taciturne . ., Je lui ai dit : « Je suis Howard Hawks . •- Oui, a-t-il répondu, j'ai l~ votre signature au bas d'un chèque. Merci, » Et c'est tout. Après, nous sommes devenus de très bons amis. Alors, il parlait peu. Et toujours d'une manière déconcertante. Je ne sais pas encore si c'était de l'humour ou si, plongé dans son univers imaginaire, il se désintéressait de ce qui n'en faisait pas partie. Je me souviens. Nous étions un jour en voiture, partant pour la chasse, lui, Clark Gable et moi. Gabl; paraissait sur tous les écrans, · nous discutions littérature. Gable demanda: « Monsieur Faulkner, quels sont à votre avis les plus grands écrivains actuels? » Très sérieux Faulkner répondit: « Thomas Mann, Dos Passos, Hemingway et moi! - Oh ! vous écrivez, Monsieur Faulkner ? - Oui, et vous, M onsieur Gable, que faites-vous dans la vie? » A ce souvenir Howard Hawks rit silencieusement. Son long visage glabre retrouve l'humour avec lequel il devait observer ces d~ux « glories » qui font aujourd,' hui partie de son musée de fantômes. - En quoi consistait votre col' laboration avec Faulkner ?

- Comme moi, il n'aimait parler que de ce qui l'intéressait vrai-

où ils représentent un danger quand on est responsable de budgets de l'ordre de cinq millions de dollars. Les assurances refusent les risques d'hommes plus vulnérables, qui peuvent tomber malades, mourir ... Quant à ma misogyniemes héroïnes tentatrices, qui affaiblissent l'homme, le détournent de son destin ... eh bien, il y a d'une part cette sorte de femmes, et puis les autres. /'ai fait deux films avec Laureen Bacall. Etais-je misogyne? Ce que je n'aime pas dans certaines femmes, c'est tout ce qui en elles, sous prétexte de douceur, de faiblesse s'acharne à émasculer l'homme. - En somme, vous préférez la femme d'aujourd'hui, qui s'assume à ,c elle d'il y a quarante ans?

- Exactement, je femme moderne. '

préfère

la

Le matriarcat Malgré tout, sous-jacente, on perçoit l'horreur de tout Américain pur sang pour le matriarcat encore tout-puissant aux U.S.A. - Puisque vous avez choisi de « raconter des histoires » avec une caméra, que le cinéma a représenté l'aventure de votre vie, que vous en êtes un des pionniers, continuezvous à aller vous-même voir beaucoup de films? Et connaissez-vous les jeunes metteurs en scène français?

ment arriver à la fin d'un livre, d'un film? Comment s'attacher à son écriture, à son tournage, à sa construction dramatique? Alors, quand Faulkner avait une idée des personnages susceptibles de me plaire, nous nous rencontrions, il me racontait son idée, nous discutions de la psychologie des héros, comme nous l'aurions fait de gens de notre cfJhnaissance, nous examinions comment ils allaient s'affronter, et affronter le combat de la vie. Ce qui les unirait, aiderait à leur victoire ou à leur défaite, nous cherchions l'histoire... il faut une histoire qui oblige les hommes à sortir de leur uniformité. Si je m'enthousiasmais, alors il se mettait au travail, il écrivait le scénano. Mais celui-ci terminé, achevé... Faulkner se désintéressait-il ensuite de votre travail ?

De cet acte de foi, la naïveté est exclue, mais il implique un léger mépris pour les univers où ni le culte de l'honneur, ni celui de l'amitié virile n'existent plus. (( 'liant pis » semble dire Howard Hawks, si les autres ne sont plus comme nous étions, s'ils ont perdu leur intégrité, leur pureté. L'accusation est informulée, .elle se devine à des impondérables du regard, du sourire, de l'intonation. - Cet univers viril où l'amitié est un des ressorts essentiels de votre dramaturgie cinégraphique personnelle, a toujours paru rejeter, comme corps étrangers à un organisme sain, les enfants, les vieillards en tant qu'hommes inaboutis ou dégradés - et surtout les femmes, agents de destruction, de dévirilisation. Pourquoi ?

- Je suis content que vous me posiez cette question. On a dit pas mal de choses fausses à ce sujet. D'abord les enfants. Je les adore dans la vie. /'en ai moi-même cinq. De trente-cinq à douze ans. Mais au cinéma, sauf miracle, les enfants sont de détestables acteurs. La caricature d'un homme. Je n'aime pas faire jouer des enfants. Quant aux hommes âgés, je ne les considère pas comme une dégradation de - Pourtant dans vos plans on l'homme. Mais je fais des films décèle une sorte de démonstration ' violents où ils n'ont pas leur place,

- Absolument pas! Mes amis, donc Faulkner, de même que mes acteurs préférés, ont toujours leur mot à dire jusqu'à la fin du film. C'est très important pour l'authenticité des personnages. On ne découvre pas tout sur le papier. Au cinéma, les caractères des personnages se créent peu à peu dans le décor où ils évoluent.

La Quinzaine littéraIre, 15 au 31 juillel 1967.

- Bien entendu! Je vais beaucoup au cinéma. Je vous l'ai déjà dit: on a toujours quelque chose encore à apprendre. Les Français sont ceux qui connaissent le mieux le cinéma, qui en parlent avec le plus d'intelligence, qui, sur le papier expliquent le plus parfaitement ce qu'il faut faire pour être un vrai cinéaste, mais... - Mais ils ne (( réalisent » pas leurs théories, c'est ce que vous . voulez dire ? Mon interlocuteur, courtois, se contente de sourire et poursuit:

- On m'entraîne souvent voir un film « où il y a une lumière ... un plan... un mouvement de caméra... une technique de dialogue... » quelque chose de tout à fait original, jamais vu ou entendu. /'acquiesce, mais je pourrais citer des références de tous ceux qui créèrent le cinéma, dire « moi aussi j'ai employé ce procédé, ce cadrage. Et je n'étais pas le seul... » Je vous le dis: personne n'invente rien. -

Vous non plus ?

- Moi non plus. Ce n'est pas cela qui compte! c'est d'avoir quelque chose à dire et de le dire le mieux possible. Les moyens ne sont que des moyens. .propos recueillis par Anne Capelle 29


TOUS LES LIVRES

POLICIERS

Une prodigieuse parade ROMAIfS rRANçAIS

Claude Kosmann L'horizon tient parole Debresse, 29 p., 9 F.

Bérénice Bradeau La colline du pendu Oebresse, 123 p., 9,90 F La grande fraternisation des noirs et des blancs.

Albert Lentin Ultime Editions Psyché

Paul Cardéra Les temps heureux Oebesse, 123 p., 9,90 F L'adolescence, enfer . et paradis .

Le Kremlin en hiver.

Noël Behn Une lettre pour le Kremlin Traduit de l'américain par Marcel Duhamel Gallimard éd., 319 p.

L'entrée de Noël Behn dans la littérature d'espionnage a fait beaucoup de .bruit. Ses supporters ont invoqué à son propos John Le Carré, Graham Greene, Kafka, Sade ... J'en passe. Soyons sérieux. Une lettre pour le Kremlin a visiblement été fabriqué pour répondre à l'attente du plus grand public qui soit : les lecteurs américains. Avec John Le Carré, l'Angleterre avait sa « bombe» (un succès international, un grand film, quelques millions de lecteurs). Les Etats-Unis se devaient d'avoir la leur. Cela dit, ' il n'y a aucune c9mmune mesure entre L'espion qui venait du froid et Une lettre pour le Kremlin. Le Carré ne cherche pas à éblouir mais à démystifier. Sans clin d'œil au public, clairement, simplement, il nous montre le vrai visage de l'espion et nous explique son rôle dans la société d'aujourd'hui. Sa démonstration est d'autant plus convaincante qu'il l'insère dans une intrigue romanesque passionnante et parfaitement construite. En bon écrivain, Le Carré s'efface devant ses héros. Et ses héros existent, ils sont dcs produits de la vie et non pas de l'esbroufe. Noël Behn, lui, ne s'efface jamais. Il piaffe, tire les ficelles, brouille les cartes, escamote les difficultés, accumule les sous-entendus, fait du chiqué ... Un cabot? Mieux que cela : un homme dans le coup. Rien de ce qui peut plaire au public ne lui est étranger. Son objectif : étonner à tout prix. Il faut avouer qu'il se donne beaucoup de mal pour parvenir à ses fins. Mais ses personnages souffrent de cette laborieuse virtuosité : ils n 'atteignent jamais le stade de la vie et restent d'habiles marionnettes dont le destin nous laisse indifférents. Une lettre pour le Kremlin n 'est en somme qu'une prodigieuse parade : l'espion « puceau», l'espion machiavélique, l'espion fatigué, la vierge au cœur pur, la garce folle de son corps, l'amour tendre, 30

l'amour fou, les trouvailles délirantes, la peur au ventre, le cynisme à la boutonnière, le sentiment de l'absurde, les sacrifices humains, les tortures inhumaines, les bagarres, les poursuites, les coups de théâtre ... Rien ne manque, mais tout manque de force, ainsi expédié. Ce qui intéresse Behn, c'est de prouver qu'il est plus malin que les autres. Sachant que ses compatriotes considèrent les jeux de Lesbos comme le comble de la dépravation, il a vu là une belle occasion de se montrer suprêmement audacieux. Le choix de son couple de lesbiennes est un coup de génie : une Russe et une Noire. Il fallait y penser. Hélas pour les lecteurs français, l'exhibition de ces deux maladroites ferait sourire de mépris nos braves petites collégiennes. La seconde « audace» est franchement cocasse: La scène se passe dans une maison close de Moscou : un homme nu cède aux instances d'une femme nue et la frappe. Mais après lui avoir donné quelques gifles, le malheureux (c'est un espion américain «déguisé») menace de rendre ses billes si on. l'oblige à aller plus loin. 0 Sade ! Il faut tout de même reconnaître que Behn a du souffle et de la mémoire. Il manie un nombre impressionnant de personnages (qui, presque tous, ont un surnom), et saute de l'un à l'autre avec une superbe désinvolture. Le lecteur, lui, s'y perd. En fait, la première moitié du livre (consacrée au recrutement de dix espions américains, puis aux préparatifs minutieux de leur mission à Moscou) est confuse et souvent irritante. En revanche, la seconde moitié (la mission) est plus enlevée et constitue à elle seule un bon roman d'aventures. Mais, là encore, Noël Behn ne peut s'empêcher de soigner son public_ Il flatte sans vergogne la bonne conscience de ses compatriotes anticommunistes. Il n'est pas le premier ; . c'est pourquoi il en rajoute. Jugez vous-mêmes : presque tous les personnaŒes soviétiques de cet ouvra~e sont des dépravés : homosexuels, drogués, alcooliques, etc. A force de vouloir faire mieux que les autres, Noël Behn s'est fourvoyé : il a confondu complaisance et qualité. Noëlle Loriot

Franz Hellens Le dernier jour du monde P. Belfond, 126 p., 12,30 F Nouvelles fantastiques. Pierre-Clotaire Lucain Veillées guadeloupéennes Oebresse, 188 p., 12 F Treize contes créoles. Patrick Thévenon Aa roman-collage L'histoire d'Ariane Tchou éd., 288 p., 26 F Aragon racontée à l'aide de ciseaux d'un pot de colle et d'articles parus dans la presse internationale.

ROMANS ÉTRANGERS William Brinkley Des Infirmières pour Anzio trad. de l'américain par Jean Perrier Laffont, 424 p., 16,80 F L'amour et la guerre dans l'Italie du débarquement américain. Geoffrey Jenkins Opération petite ourse trad. de l'anglais par J. Brécard Lattont, 384 p., 15 F Missions secrètes dans l'Océan Indien. David Storey Radcliffe trad. de l'anglais par Jean Rosenthal Seuil, 348 p., 19,50 F La camaraderie ambiguë qui lie deux homm~s depuis le collège. P.J. Wellmann Les fils du mal trad. de l'américain Stock, 352 p., 19,50 F Les aventures des « Outlaws - de l'Ouest américain.

POÉSIE Kamal Ibrahim Babylone, la vache, la mort Préface d'André Pieyre de Mandiargues Flammarion, 140 p., 7,50 F

Un poète syrien de vingt-quatre ans.

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Renée-Lise Jonin Fleurs de pluie Debresse, 73 p., 12 F.

Louis Raymond Un tilleul à l'orange J.-P. Oswald, 128 p., 16,98 F

Jacques-Bénigne Bossuet Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture sainte Notes et introduction par Jacgues Le Brun Librairie Oroz, Genève, 478 p., 50 F Le fruit de l'enseignement poursuivi par Bossuet auprès du Dauphin.

Souvenirs d'une vie en Franche-Comté.

MÉMOIRES BIOGRAPHIES Kathryn Hulme Ma conversion trad. de l'américain Stock, 240 p., 17,50 F Par l'auteur de « Au risque de se perdre -. Wanda de Sacher-Masoch Confession de ma vie Préface de Pascal Pia Tchou, 312 p., 25 F Les .confessions de la «Vénus à la fourrure- , première femme de Sacher-Masoch. Marie Syrkln Golda Meir trad. de l'anglais par J. Hardy Gallimard, 312 p., 16 F Un grande figure de l'histoire d'Israël.

CRITIQUE HISTOIRE LITTÉRAIRE Yves Bonnefoy Un rêve fait à Mantoue Mercure de France 216 p., 50 F Préfaces, études sur des peintres, des écrivains, des poètes. Ronald Hingley Les écrivains russes et la société 1825-1904

Hachette, 256 p., 12,50 F La Russie impériale qui servit de cadre aux œuvres des grands romanciers russ·es. Arnaud Tripet Pétrarque ou la connaissance de soi Libr. Droz, Genève, 198 p., 51 F

L'unité de Pétrarque, du niveau psychologique au niveau esthétique.

RÉÉDITIONS. CLASSIQUBS

Pearl Buck L'enfant qui ne devait jamais grandir traduit de l'anglais Préface de M. Meignant Stock, 128 p., 8,25 F Le drame de l'arriération mentale et les nouvelles découvertes en ce domaine. Jean-Baptiste Chassignet Le mépris de la vie et consolation contre la mort Edition critique d'après l'original de 1594, par Hans-Joachim Lope Droz, 558 p., 67,20 F Un grand poète dont il n'existe aucune édition complète. Pontus de Tyard Les erreurs amoureuses Introduction et notes par John A. MacClelland Oroz, 327 p-., 50,40 F Un des poètes les moins connus de la Pléiade. Yvonne Castellan La culture serbe au seuil de l'Indépendance P.U.F., 166 p., 20 F La personnalité de base d'un peuple à . un certain moment de son histoire. Gilbert Cesbron Journal sans date/II Laffont, 256 p., 12 F Pensées, images, ébauches de poèmes et de récits. Roland Donzé

La grammaire générale et raisonnée de Port-Royal Francke, Berne, 258 p. Contribution à l'histoire des idées grammaticales en France Pierre Klossowski Sade, mon prochain Réédition précédé de Le philosophe scélérat Le Seuil éd., 192 p., 15F.

Pierre Benoit Œuvres complètes T. 1 : Le déjeuner de Sousceyrac Koenigsmark Introduction par Hubert Juin III. de R. Topor Frontispice de Carzou Cercle du Bibliophile, 344 p., 14,80 F Première édition des œuvres complètes de Pierre Benoit.

Louis Lavelle Chroniques philosophiques Psychologie et spiritualité A. Michel, 272 p., 15.42 F 25 chroniques parues

dans « Le Temps de 1930 à 1942 sur les relations de la conscience avec la valeur.


QUINZE JOURS

Clay par Klein

Ouvrages publiés entre le 20 juin et le 5 juillet

Joseph Majault La révolution de l'enseignement Laffont, 248 p., 9,90 F Les causes de la réforme, les transformations effectuées, les perspectives.

HI8TOIRB Konrad Adenauer Mémoires. Tome Il (1953-1956) . Hachette, 528 p., 35 F Dix annéds de politique allemande . . européenne, mondiale. Robert Aron (Textes présentés par) Histoire de notre temps Plon éd., 312 p., 15 F Deuxième volume d'un recueil collectif. Textes de Jacques Soustelle, Elena de la Souchère, Claude Jamet, J.-P. Rioux, Louise Weiss, etc., sur des problèmes d'actualité. Louis Charpentier Les mystères templiers 16 p. de hors-texte Laffont, 288 p., 16,50 F L'ordre qui naquit en France au XI' siècle et qui régna sur le monde pendant deux siècles. F.-W. Deakin et G.-R. Storry Le cas Sorge trad. de l'américain par Daniel Mart!n R. Laffont, 416 p., 24 F L'histoire d'espionnage la plus étonnante du siècle.

DOCUMENTS Frank Edwards Les soucoupes volantes, affaire sérieuse trad. de l'anglais par Nicolas Seitert Laffont, 282 p., 17 F. Pierre de Lagarde Guide des chefs-d'œuvre en péril . 143 illustrations Pauvert, 384 p., 21 ,10 F Le bilan de la fameuse campagne menée à l'O.R.T.F. René Mauriès Le Kurdistan ou la mort 16 p. de hors-texte Lattont, 240 p., 15 F Le dossier d'un conflit atroce qui ravage le Kurdistan depuis 1961. Pierre Milza L'Italie fasciste devant l'opinion française 1920-1940 54 illustrations A. Colin, 263 p. , 8,50 F. Juliette Minces Le Nord Maspéro, 200 p., 9,90 F Les conditions de vi e et de travail de la classe ouvrière dans le Nord de la France.

Roger Muratet On a tué Ben Barka Plon éd., 380 p., 20 F Une histoire de • L'affaire • par un ancien correspondant de presse au Maroc.

Hubert Monteilhet Le retour des cendres livre de Poche. Edgar Poe Histoires grotesques et sérieuses livre de Poche.

Michèle Ray Des deux rives Françoise Sagan de l'enfer Laffont, 296 p., 16,50 F La robe mauve de Valentine Le récit de celle qui fut livre de Poche. capturée par le Viêt-cong Michel de Saint-Pierre après avoir passé Les nouveaux prêtres six mois avec les livre de Poche. troupes américaines.

DIVERS René Alleau Guide de Fontainebleau mystérieux coll. • Les guides noirs • Tchou, 288 p., 25 F 200 photographies, relié. Mystères d'une forêt et d'un château. Art Buchwald Enfants de la grande société Trad. de l'américain par Fr. M. Watkins Julliard, 350 p., 18 F Sketches humoristiques sur la • grande société • annoncée par le Président Johnson. Carlo Bronne Histoires de Belgique Plon, 344 p., 25 F Choses vues, anecdotes, portraits, par un membre de l'Académie Royale Belge. Ephraïm Kishon La baleine a le mal de mer trad. de l'anglais Hachette, 240 p., 12 F Un héros typiquement israélien. Roger Price Le cerveau à sornettes Trad. de l'anglais par J. Papy coll. • Humour secret. Julliard, 216 p, 18 F. Daphné Sheldrick Nos amis dans la brousse trad. de l'anglais 26 illustrations Stock, 224 p .. 18 F Dans la collection • livres de nature ".

POCHE. Littérature Jacques Audiberti Le maître (le Milan livre de Poche. Vounghill Kang Au pays du matin calme livre de Poche. Federico Garcia-Lorca Poésies 1 - 1921-1922 Livre de poèmes Suites Premières chansons trad. de l'espagnol par A. Belamich Gallimard/Poésie. Félicien Marceau L'homme du roi livre de Poche .

La Quinzaine littéraire. 15 au 31 juillet 19fi7.

Patrice de La Tour du Pin La quête de joie suivi de Petite somme de poésie Préface de M. Champagne Gallimard/Idées.

Une plwto du film Cassius le Gtand.

J'aime la boxe. Quaud l'hiver se ramène sur Paris, ramenant l'ambition dans le cœur des Martiniquais déracinés, ces enfants prennent la route du Central où leur est promise, outre l'argent, pour peu qu'ils se démolissent avec une vigueur particulière le portrait, la gloire. Un boyau s'ouvre rue du Faubourg-Saint-Denis et mène, à travers des palissades violemment peinturlurées, rouge, bleu, aux portes du repaire-tabernacle, où deux messieurs bien mis, aux fortes pognes, l'œil gauche qui clignote et les portugaises décollées, procèdent à une lecture· studieuse des billets. Ils éprouvent, à en déchirer le coin gauche, en suivant plus ou moins le pointillé, des difficultés qui se comprennent si l'on songe que leurs mains, naguère, n'étaient faites qu'au direct, au crochet, à l'uppercut, bref, au massacre.

Jules Verne Deux ans de vacances livre de Poche. Vigny Poésies Préface de M. Arland livre de Poche. Essais Jacques Chastenet Winston Churchill livre de Poche. Sigmund Freud Moise et le monothéisme trad. de l'allemand par Anne Breton Gallimard/Idées Georges Friedmann Fin du peuple juif ? Gallimard/Idées.

Une ouvreuse athlétique, à ' qui je me garderais de faire du gringue sans permission, me précède en tanguant vers les fauteuils de ring, d'où jaillira vers moi sous peu, et tel de Junon vers le moufflet herculéen ce délectable jet de lait, un jet de sang. Faut dire qu'au Central, c'est jamais du chiqué et le sang coule. La foule, connaisseur, apprécie ça, et contrairement à ce qui se passe en général, vu que par l'esprit sportif et altruiste elle a tendance, ailleurs, à prendre parti pour le plus faible, elle est toujours, ici, pour le plus fort. Qu'un beau mec, bien en ligne, supérieur en poids et en allonge, écrabouille un minable, qui finit dans les cordes, en punching-baIl, et pisse le raisiné par tous les pores, elle est aux anges . On crie: « Tue-le! » Je crie avec. Ça nous plaît vachement, à nous, Français, les justiciers.

Jean Giraudoux Littérature Gallimard/Idées. B. Kouznetsov Einstein Marabout Université Michaël Levey La peinture à Venise au XVIII' siècle livre de Poche illustré-ArC. J.-E. Muller L'art au XX' siècle Encyclopédie Larousse de Poche. F. Nietzsche L'Antéchrist Introduction de D. Mascolo Pauvertjlibertés. Pie IX Quanta cura et le Syllabus Présentation par J.-R. Armogathe Pauvert/libertés. Haroun Tazieff Quand la terre tremble livre de Poche. Science et synthèse Ouvrage collectif Gallimard/ Idées Colloque organisé pour le 10' anniversaire de la mort d'Einstein at de Teilhard de Chardin.

1

On ne crie pas: ({ Tue-le! », aux U.S.A., dans les rings où Cassius-le-Grand triomphe. Cassius n'est pas venu pour tuer, mais pour sauver. « Bébé géant » selon ses fanatiques (et superbe bébé, on doit le dire! qui pèse 216 livres! qui a été léché par plusieurs ours !) il apporte à son peuple, noir par la race, aplati par le nez, musulm an par la foi, et photogénique

au plus haut point, les promesses de sa libération. Klein, pour qui la gueule fascinatrice des mannequins en vogue est sans secret, a merveilleusement photographié Cassius, caver-boy de première, aux yeux pervenche, et malgré des tonnes de muscles, joli tout plein. « Vole comme un papillon! Pique comme une abeille! » C'est le programme du minet, challenger foudroyant, qui pulvérise en 2'20", k.o. compris, le champion vieillissant Sonny Liston (sorte de montagne aphasique) et qui, sur sa lancée, prétend détrôner de son pouvoir et de sa gloire l'immémorial tenant du titre mondial toutes catégories: l'homme blanc. Le combat de Cassius est politique. Autour du héros dévastateur, la caméra de Klein nous montre les Noirs américains mobilisés: enfants à la mamelle, romanciers, écoliers, philosophes, plongeurs, comédiens, bookmakers, et jusqu'aux absolus leaders de Black Power: Malcom X, au curieux masque ironico-mystique, dont on ne peut douter, à je ne sais quel signe au coin des lèvres, qu'il mourra jeune, et ses formidablement mastocs successeurs. Tous affirment que le règne de l'homme noir arrive. Les Noirs ne dominentils pas les Blancs dans tous les domaines essentiels? ... Ne sont-ils pas les plus forts sur le ring, les plus rapides sur le stade, les meilleurs joueurs de saxophone, les incomparables champions du blues, des claquettes, du basket-baIl? ... Sur les bibles en usage dans le colored people, Dieu-le-Père est noir, Adam est noir, Jésus est noir. Le prochain président des EtatsUnis sera-t-il noir? ... On peut le croire. On peut même l'espérer. l'imagine très bien Cassius-leGrand succédant à Johnson-lePetit: les armes se taisent au Vietnam, les boves reviennent, c'est le délire, on danse le jerk dans tout New York, et l'univers entier, délivré du cauchemar texan , se livre à l'amour sans rémission. M ake love no war ! Je suggère à William Klein, anticipant de quelques mois sur ces fabuleux événements, de filmer ça .

Pierre Bourgeade 31


Hall d'exposition du Collège Expérimental de Sucy-en-Brie,

une révolution technique au service ·de larélorme de l'enseignement Le 5" Plan prévoit, dans les cinq années

à venir, la construction de 1 200 CES, 300 CEG, 26800 classes primaires et maternelles, que nécessite la scolarisation de 8 millions d'enfants. Une expérience de sept ans, un souci constant ,de perfectionnement technique permettent à GEEP INDUSTRIES de répondre à ces trois impératifs :

Rapidité - Quantité - Originalité. En 1966, GEEP INDUSTRIES a réalisé les collèges expérimentaux de Sucy-en-Brie, de Gagny, de Marly-le-Roi, dont l'architecture particulière a été étudiée pour répondre aux besoins pédagogiques nouveaux : salles de cours transformables, équipées pour l'enseignement audio-visuel, prolongées par des terrasses, « studios » d'équipe, combinant salle d'étude et chambre. Ces trois réa'lisations de GEEP INDUSTRIES démontrent que l'assemblage des modules industriaLisés ne signifie pas monotonie mais variété, élégance et ~ar­ monie.

OEEP-INDUSTRIES Procédés ALUMINIUM FRANÇAIS/ST-GOBAIN 22. rue Saint-Martin, Paris 4'. Tél. 272-25-10 - 887-61-57

Biltiment Externat du Collège Fxpérimental de Sucy-en-Brie,


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