La Quinzaine littéraire n°33

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UlnZalne littéraire

2 F 50

Numéro 34

1"' août 1967

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n excentrique: Bertrand SS •

Droits d'auteur. à StockholDl .R. Queneau Montherlant .Une graDlDlaire scientifique

Bataille entre Nietzsche et Lénine


SOMMAIRE

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

5 8

PO~SIE

"1

CORRESPONDANCE

8 9

FIGURE

11

15

par François Bondy

Raymond Queneau Gisèle Prassinos Louise Herlin

Courir les rues Les mots endormis Le versant contraire

par C. Gutman par Alain Clerval par Roger Borderie

Victor Segalen

Lettres de Chine

par Clara Malraux

Bataille et Nietzche Bataille et Breton

par Jean-Pierre Faye par Alain Jouffroy

ROMANS FRANÇAIS

Hélène Cixous Romain Gary Georges Conchon Jean-Pierre Abraham

Le prénom de Dieu La danse de Gengis Cohn L'apprenti gaucher Armen

par par par par

M~MOIRES

Nino Frank

Mémoire brisée

par Gilbert Sigaux

ROMANS ~TRANGIlRS

Giorgio Bassani Giovanni Dusi Costas Taktsis

Derrière la porte Ma femme Le Troisième Anneau

par Georges Piroué par A.-R. Fouque par Robert André

PARU A

Arno Schmidt

Trommler beim Zaren

par J aéques Legrand

12

13

The Autobiography 01 Bertrand Russel

L'~TRANGER

Rémi Laureillard A. C. R. L. Marie-Claude de Bruhnoff

18

AR T

Georges Arnulf Katharina Otto-Dorn Uya Vogt-Goknill

Vingt estampes pré-colombiennes L'Art de l'Islam Architecture de Turquie ottomane

par Pierre Bernard par Marcel Marnat

18

BIBLIOPHILIE

Henry de Montherlant

La Rose de sable

par Lucien Galimand

19

GRAMMAIRE

Jean Dubois

Grammaire structurale du français

par Daniel Georges

20

MISE AU POINT

Arthur de Gobineau

. Essai sur l'inégalité des races humaines

par Jean Duvignaud

22

PHILOSOPHIE

L. Soubise Pierre Aubenque

Le marxisme après Marx Le problème de l'Etre chez Aristote De la logique à la théologie

par André Akoun par François Châtelet

par Michel Borwicz par Alexandre Bennigsen

Guy de Bosschère

Veilleur, où en est la nuit? Réforme et révolution chez les musulmans de l'Empire russe Le Parti travailliste et la décolonisation de l'Inde Pouvoir et société dans le Pérou contemporain Autopsie de la décolonisation

par Georges Lapassade

Jules V uillemin 25

HISTOIRE CONTEMPORAINE

Alexander Donat Hélène Carrère d'Encausse Georges Fischer François Bourricaud

par Pierre Souyri par Louis Mercier

28

REVUES

« Les Temps modernes »

Le conflit israélo-atabe

par Jacques Nantet

29

POLICIERS

Peter Loughran Audrey Erskine Lindop

Londres-Express Compte à rebours

par Juliette Raabe par Noëlle Loriot

31

QUINZE J'OURS

Jacinthes

par Pierre Bourgeade

Publicité littéraire: La Publicité Littéraire 22, rue de Grenelle, Paris 7. Téléphone: 222.94.03

Crédits photographiques

Direction: FrançQis Erval, Maurice Nadeau Conseiller: Joseph

Br~itbach

Direction artistique Pierre Bernard Administration: Jacques Lory. Comité de rédaction ': Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Bernard Pingaud, Gilbert Walusinski. '

La Quinzaine littéraire

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Directeur de la publication : François Emanuel. Imprimerie: Coty S.A. 11, rue F.-Gambon, Paris 20.

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David Hurn, magnum Cartier-Bresson, magnum Bulloz Droits réservés Roger Viollet Roger Viollet Roger Viollet Lüfti Ozkok Lüfti Ozkok Cartier-Bresson, magnum Georges Arnulf Roger Viollet Marc Vaux Roger Viollet Roger Viollet Centre doc. Juif Cartier-Bresson, magnum Sergio Larrain, ~agnum Magnum Gallimard éd.


LB LIVRE DB LA QUINZAIN.

Un· exce~trique •• Bertrand Russel Mémoires pouvait se livrer familièrement à une comparaison entre Gladstone et Lénine.

The Autobiography of Bertrand Russel, 1872-1914 Allen and Unwin Londres 1967.

Parler avec Leibniz

Ce premier volume de l'autobiographie de Bertrand , Russel nous mène jusqu'à sa quarante-deuxième année et au seuil de la Première Guerre mondiale, dans laquelle son pacifisme militant lui vaudra des amendes (ayant fait dori de la fortune dont il avait héritée, il était alors dans le dénuement), l'expulsion du Trinity College à Cambridge, et finalement six mois de prison. A quarante ans, « Bertie » se disait qu'il y avait aussi des avantages à perdre sa jeunesse, sans penser probablement qu'il lui restait encore à retracer cinquantetrois années d'une vie d'aventures intellectuelles, politiques et éroti· ques, sur lesquelles il s'explique avec une égale franchise. Poursuivra-t-il son travail de mémorialiste jusqu'à son quatrième mariage, conclu à quatre-vingts ans, et jusqu'au célèbre « tribunal Russel » contre les crimes de guerre au Viêt-nam, dont il a été à la fois l'inspirateur et le mécène ? Ici, dans ce premier volume, nous ne trouvons pas le récit ' traditionnel de la révolte d'un jeune . homme de caractère indépendaht contre une famille oppressive bien i{1le de nombreuses lettres de grands-parents et de tantes nous donnent le sentiment que ce milieu conformiste a réellement dû peser sur lui. Nous sentons plutôt la continuité d'une liberté de grand seigneur, d'une tradition d'excentricité et de militantisme. Son père avait perdu son siège aux Communes pour avoir prôné le contrôle des naissances, et sa mère fut publiquement insultée par la duchesse de Cambridge, qui la traita de « sale radicale » et de « sale Américaine ». A l'âge de trois ans, « Bertie » était orphelin, mais le souvenir de lord et lady Amberley, ses parents, demeura toujours présent à sa mémoire. Dans cette famille, le sens de la liberté allait loin, car, nous apprend Russel, ses parents partageaient leur lit avec le tuteur des enfants. « Celuici, qui était tuberculeux, ne pouvait pas se marier, mais ma mère estimait qu'il avait néanmoins droit à une vie sexuelle normale. » Elle y pourvut donc en personne. Sur la famille de « Bertie », alliée à tous les « grands », il y a d'innombrables documents. Son grand-père, lord John Russell, était cet homme d'Etat anglais qui avait rendu visite à Napoléon à l'île d'Elbe. Et sa grand-mère était une amie de la veuve du prétendant Charles Stuart - battu en 1742. C'est une, expérience historique exceptionnelle , que celle d'un homme qui, par son témoignage direct et celui de ses proches, se meut ainsi à travers deux siècles, et qui dans ses Portraits de La Quinzaine littéraire, 1"

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Dès lors, on pourrait s'étonner que l'œuvre de cette vie, si abondante, fasse une place si mince à l'histoire, et même à la notion d'historicité, qui ne paraît pas avoir intéressé le philosophe. Même l'histoire des idées n'est pas son fort, et nul ne prétendra que l'Histoire de la pensée occidentale soit un de ses écrits vraiment marquants. La logique pure, la réflexion morale, la prise directe sur l'événement l'emportent constamment chez lui sur l'histoire, dont il aura été un témoin engagé, un acteur même, à sa manière, mais qui ne fut jamais au centre de sa réflexion. Pourtant, deux de ses livres - le tout premier, qui est une étude sur la social-démocratie allemande, et celui de 1920 sur

31 août 1967.

la Russie des premier temps du bolchevisme (qui rappelle les jugements de Rosa Luxemburg) restent des ouvrages vivants, originaux, et que l'on consulte toujours. Son engagement politique, ses aventures les plus étonnantes appartiennent à la deuxième partie de sa vie. Dans ce premier volume, on retrouvera maints épisodes déjà narrés en d'autres livres, mais parfois sous un autre éclairage. On relira avec une fascination toujours 'nouvelle le récit de son amitié avec Joseph Conrad, car par leur style et leur manière de réagir devant le monde les deux hommes nous paraissent infiniment éloignés l'un de l'autre, et pourtant une sympathie et une admiration mutuelle immenses les unissaient. Russell regrette que Conrad soit désormais oublié - mais il se trompe, heureusement. Dans ce volume de grand format, on ne trouve que cent trente pages de récit, auxquelles s'ajoutent

Bertrand Russel

une centaine de pages de lettres, imprimées en caractères plus pe~ts. Ces lettres sont d'un intérêt inégal. On lit avec amusement celles de « granny » et de « auntie », qui évoquent une famille affectueuse et étouffante, mais on trouve aussi une multitude de « billets » qu'il reçut en des occasions telles que son élection dans quelque société savante ou l'obtention d'une distinction. Elles semblent là pour étoffer un livre un peu mince. Ce récit d'un style à la fois vivant et sobre, s'anime par l'évocation d'un drame intellectuel et de plusieurs tragédies personnelles. Russell avait rapidement mené à bien la rédaction des Principes de mathématique; il se sentait alors l'égal de Newton et de Leibniz, et déplorait de ne pas être le contemporain de Spinoza. « le m'imaginais parler avec Leibniz, dit-il, et je me demandais si d'ici deux siècles quelqu'un aimerait s'imaginer qu'il parlait avec moi. » Au moment d'exposer systématiquement sa logique mathématique, il se heurta à des apories, des paradoxes insurmontables, et il lui fallut neuf années d'un travail acharné pour mener son travail à bien. Il estime que cet excès d'abstraction a émoussé son esprit, et qu'il n'a plus jamais été capable d'une concentration aussi intense et rigoureuse que par le passé. De l'avis des connaisseurs, c'est en effet dans la logique mathématique que Russell a donné complètement la mesure de son génie, et , non pas dans la vaste partie ultérieure, « voltairienne », de son œuvre et de son action qui, pourtant, aurait suffi à la gloire de tout autre. Wittgenstein fut son élève, et Russel, comprenant aussitôt l'originalité du jeune Autrichien, se mit lui-même à son école.

Liaison soandaleuse Son mariage avec une Américaine, son aînée de cinq ans, se révéla incompatible avec son travail sur les Principia, et jamais le célèbre conseil : Lascia l'amore e studia la matematica, ne fut plus fidèlement suivi.. , Russell raconte qu'un jour, pendànt une randonnée solitaire à bicyclette, déjà absorbé par les problèmes insurmontables de l'axiomatique, il s'avisa soudain qu'il n'aimait plus AUys. Il rentra , aussitôt pour lui en faire part, et quitta la chambre commune. Il vécut encore neuf ans auprès de son épouse qui, elle, l'aimait toujours ; deux fois par an, il s'efforçait d'avoir des rapports avec eUe, mais toujours sans succès ; et pendant ce temps il ne fréquenta aucune autre femme. Tout cela est raconté sur un ton très « matter of fact », et même glaçant, comme s'il y avait là à la fois une gêne et une déci-

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Un excentrique : Bertrand Russel

sion d'écarter cette gêne, considérée comme une superstition. Plus tard apparaît soudain lady Ottoline Morrell, avec qui il afficha une liaison qui scandalisa beaucoup de gens, et notamment le mari de cette dame. n n,ous parle aussi du bref amour avec une des quatre filles d'un gynécologue américain qu'il séduisit alors qu'il était l'hôte de son père '- les trois 'sœurs se relayant devant la chambre pour éviter fa découverte. n abandonna cette jeune fille en 1914 (toutes ses passions sont alors mobilisées par la guerre) et elle sombra dans la folie, soit par tendance congénitale, soit par chagrin.

Marz Brother Ces épisodes parfois cocasses, parfois atrocement tristes, sont plutôt enregistrés qu'évoqués. Jamais le lecteur ne se sent pris. On a l'impression - et pas !lCulement parce qu'il est toujours là - qu'un immortel traverse d'autres destinées, plus courtes que la sienne, sans que celle-ci en soit vraiment affectée, et cela bien qu'à plusieurs reprises il affirme le contraire. n y a chez Russell une sorte d'adolescence infiniment prolongée - c'est l'impression que j'ai eue lorsque je l'ai vu la dernière fois, voilà dix ans, dans le hall d'un hôtel parisien, lisant un roman d'Edgar Wallace et dans son exprt'ssion un côté ct: Marx Brother ». Sa maturation intellectuelle s'opère de deux manières: par la pensée logique et par l'activisme

moral, sans qu'on puisse découvrir le principe d'unité, sinon dans une sorte d'élan mystique auquel se ct: , sceptique passionné », (c'est le titre de la biographie de Russell par Alan Wood) s'abandonne parfois. Ce sceptique a beaucoup d'humour. Dans une importante étude consacrée au penseur et au militant, l'historien Golo Mann, le fils de Thomas Mann (Neue Rundschau, deuxième trimestre 1967), rappelle le pastiche d'un nécrologue du Times que Russell écrivit en 1937, dans l'hypothèse de sa mort à l'âge de quatre-vingt-dix ans. Russell y faisait dire au Times que le défunt avait écrit d'importants ouvrages sur la logique mathématique, mais que par la suite son jugement excentrique et déséquilibré révéla son manque de profondeur intellectuelle, et qu'il resta attaché jusqu'à sa mort à un ct: rationalisme plat et suranné »_

le facteur sonne à toutes les portes, mais il n'est pas nécessaire que tout le monde sonne à toutes les portes. »

aussi active les nombreuses prÏsell de position soient entachées parfois de contradictions et d'erreurs de jugement. Russell lui-même a été quelquefois son propre critique, et le plus sévère. Il y a dans Attitudes poUtiquH sa vie et ses opinions une excentricité qui est le revers d'une indépenCe premier volume de souvenirs ' dance d'esprit totale, mais aussi de n'offre pas' encore l'occasion de la conscience de l'appartenance à faire l'histoire des idees et des pas- l'une des familles qui ont dirigé sions politiques de Russell, parmi ce qui fut, dans sa jeunesse, le lesquelles le pacifisme a joué un plus grand Empire du monde. Mais rôl", dominant. Devant la menace on y trouve avant tout un Il non d'Hitler, il fut hostile au réarme- conforollsme li authentique, la voment de la Grande-Bretagne, qui lonté permanente d'assumer toutes Il comme le Danemark lI, estimaitles conséquences de chaque prise il, trouverait la sécurité dans le dé- de position - et cela jusqu'à la sarmement. De toute façon, une prison, la ruine, le « déshonneur JO. occupation nazie serait moins ter- n y a aussi une bonne hUmeur rible qu'une guerre. n changea sur constante, nudgré une tendance à ce point, et en 1944, il rentra des la mélancolie, et un courage tranEtats-Unis, par cargo, au moment quille qui ne se dément jamais. La où les missiles tombaient sur Lon- personnalité est attachante, parfois dres. Pendant la crise de Cuba, il irritante, mais toujours excéptionécrivit des lettres très sévères au nelle. Quelle aubaine, en vérité, président Kennedy, et très aima- que d'avoir pour contemporain un On trouve dans les écrits de bles à Khrouchtchev : dans le pre- tel ancêtre si fraternellement souRussell bien des exemples de cet mier il voyait un belliciste, et dans cieux de l'avenir de l'espèce 1 On humour et de ce goût du Il self- le second un sauveur de la paix. ne se lassera pas d'écouter le récit disparagement li - expression dont Précédemment, il avait lancé un de cette vie, capricieusement raconle français, pour de bonnes raisons, appel pour la non-prolifération des tée' mais avec une vigueur incisive. n'offre pas d'équivalent. Son ir0- armes nucléaires, qui fait de lui le Rien de plus éloigné de la sénilité nie ne s'exerce pas seulement sur précurseur de l'actuel projet. Tou- que le grand âge de Bertrand Ruslui-même, et il y a aussi chez tefois, au lendemain de Li Seconde sel. M. Dean Rusk, qui a fort gr0sRussell un côté farceur. Son hu- Guerre mondiale, il avait proposé sièrement fait état de cet âge pour mour est à la fois très traditionnel- de menacer l'U.R.S.S. d'une guerre refuser l'invitation du Il Tribunal lement britannique et très person- atomique, pour la contraindre à de Stockholm », - n'importe quel nel, et il .s'unit volontiers à la logi- s'intégrer dans un Etat mondial, et autre argument aurait été à la fois que. Ainsi, le roi George lui dit au cours des années 50, il fut le plus convaincant et plus convenaun jour : ct: Vous avez eu une vie penseur occidental le plus vilipendé ble ! - ferait bien de lire cette aventureuse, mais, n'est-ce pas, il ' par la presse communiste du monde autobiographie, ne serait-ce que ne serait pas bon que tout le mon- entier. pour y trouver une leçon de style. de mène une vie comme celle-là? » n nous paraît assez naturel qu'à Russell répondit : « n est bon que travers une vie aussi longue et François Bondy

CENSURE

Italie La Gana. de Jean Douassot, qui a été publiée il y a quelques mois en Italie, était l'objet de poursuites auxquelles, probablement, le Vatican n'était pas étranger. On se souvient en effet que la Vierge et le Pape y sont qualifiés, par le jeune héros de Douassot, d'assez peu respectueuse façon. L'affaire vient de venir devant le Tribunal de Milan où le ministère public demandait pour l'auteur, son traducteur, son éditeur italien, une peine de dix mois de réclusion ! Fait extraordinaire dans les annales de la Justice : le Président déclare qu'après avoir lu la Gana il la considère comme une œuvre d'art et prononce un verdict général d'acquittement. Le ministère public prétend faire appel de cette sentence. On espère qu'il ne se donnera pas ce ridicule ,

Le poète espagnol Pedro Lezcano a été condamné à une peine de six mois de prison pour avoir écrit des

vers que l'armée espagnole considère comme Insultants pour elle, Salvador Sagaseta, responsable de la publication dans le Diario de las Palmas a été, quant à lui, condamné à deux ans de prison. Ce dernier avait été acquitté pour le même délit au mois de décembre dernier, mais la Cour martiale suprême avait fait appel du jugement, Il semble que les poursuites se soient multipliées cette année, en Espagne. Un autre jeune auteur, Miguel Sanchez-Mazas, a été condamné par contumace à douze ans de prison pour avoir écrit dans des journaux françaiS deux articles hostiles au général Franco. Parmi les livres qui avaient été publiés sur la foi des nouvelles dispositions de 1966 (abolissant la censure du moins en théorie), et qui ont néanmoins été saisis, figurent des œuvres aussi importantes que le recueil Lettres du peuple espagnol de Gil Robles, et un roman d'Isaac Montero, En fait, la loi Imaginée par Manuel Fraga Iribarne, ministre de l'Information, semble être utilisée de façon beaucoup plus stricte que son auteur lui-même ne l'avait prévu. Fraga Irlbarne avait cru que la suppression

de la censure préalable déclencherait un processus irréversible et les soupapes de sécurité qu'il avait Introduites dans son texte ne lui semblaient, apparemment, que peu dangereuses, En définitive il remplaçait la censure a priori de l'administration par une censure a posteriori des tribunaux en se fiant à la bonne volonté des juges, Ceux-ci ont en effet carte blanche : ils peuvent condamner à leur gré tout écrit qui manque • au respect de la vérité et de la morale -, qui • compromet la paix extérieure et l'ordre intérieur -, ou désobéit • aux principes du • Mouvement National • - c'est-à-dire, la doctrine officielle. Avec des dispositions aussi vagues, la loi permet d'entamer des poursuites contre n'importe qui, selon les besoins. En fait, le pays ne paraît pas encore près de bénéficier de la démocratie comme le prouvent les voies de faits exercées récemment encore par des membres de la • Brigade Sociale • contre le jeune dramaturge Alfonso Sastre - l'un des rares représentants du théâtre espagnol contemporain qui a vu sa maison mise à sac après qu'il eut pris position en faveur des revendications des étudiants.

'& uûon et importaûon en Grande-Bretagne Une importante controverse se déroule dans les colonnes du Times Llterary Supplement de Londres au sujet d'un problème dont la Quinzaine littéraire exposait les données au début de la saison dernière. Il s'agit de l'importation de livres américains en Angleterre. Les éditeurs anglais sont menacés par l'Introduction, sur leur marché intérieur, d'ouvrages Imprimés aux Etats-Unis et dont ils projettent ou entreprennent eux-mêmes la publication. Etant donné le dynamisme dont font montre les éditeurs américains, les AnglaiS craignent désormais que leurs propres presses ne soient d'abord fortement concurrencées et qu'ensuite leurs éditeurs ne soient découragés d'imprimer en Angleterre les livres qui peuvent être fabriqués - à moindres frais, vu l'ampleur du marché américain outre-Atlantique. La question pourrait se régler de façon contractuelle et les lois existantes sur le droit d'auteur le permettraient sans doute, mais il n'est pas sûr que les auteurs Intéressés tiennent toujours leurs propres intérêts pour convergents avec ceux des éditeurs anglais.


POÉSI.

Le Paris d'un écolier dans la brioche il a même un furoncle dans le nez la noce se réjouit, bouffe de la brioche elle est empoisonnée, la noce venue nocer près du lac jaune un jour d'hiver au boÏ! de Vincennes Pas de psychologie, pas d'atten· drissement : un fait tout nu. Les visages de Paris se glacent. Dé· pouillés avec recherche, ils présen. tent au lecteur un portrait type. Paris, c'est le Paris des petites gens, des employés, des rien-dutout ...

un commerçant ferme les volets de sa/boutique/ quelqu'un passe il vient d'acheter du pain.

elle-même l'est un peu car parallèle et perpendiculaire à la rue Lacuée

Raymond Queneau Courir les rues Gallimard éd., 188 p.

Le Paris de Queneau c'est celui du photographe. Pas besoin d'une élégie pour un mur qui se délabre, pour un coin de la ville qui change de visage. Un bout-riiné suffit. Le Paris de Queneau c'est celui du quotidien, voire de la banalité. Mais le philosophe guette sa proie. Chaque geste se '~harge de délivrer un message. Pas bien gros, pour sûr : le message de la petitesse. Figé dans sa page bien blanche Paris prend vie. Il ressemble étonnamment à ces rédactions d'écoliers à qui l'on demande de décrire un lieu. Le spectacle de la rue par exemple. Ce qu'on y voit, tout d'abord. Des maisons, <!?' grands murs, des boutiques. Rien n'est moins poétique. Une énumération froide fera l'affaire.

Comme il fallait s'y attendre il y a rue Biscornet le Biscornu caférestaurant. La rue

Paris, c'est une succession de plaques bleues gravées d'un nom et d'une date. Les noms ne disent rien. Il s'agit de rafraîchir la mémoire des Parisiens. A quoi peuvent bien servir . les dictionnaires ?

Bobilloi ( ... ) c'était un écrivain qui se fit tuer au Tonkin il avait écrit un roman Une de ces dames ... La rédaction s'étoffe un peu. Mais notre écolier joue de malice. Il jongle avec sa culture et son érudition. Un peu désabusé, il égrène au long des pages un chapelet de faits historiques dûment datés. La rue de tous les jours se charge d'un passé inconnu. Les morts ressuscitent. Paris, sans le vouloir, devient le centre d'une réflexion philosophique. Mais l'écolier n'explique rien, il se contente de décrire. Paris, c'est la ville des Morts. Il y a les inconnus, « l'adjudant F.T.P.

fusillé par les Allemands à vingt et un an », il y a les morts illustres, sur qui veillent les pigeons. Pour un instant le temps est aboli. Les vivants et les morts cohabitent. Queneau, poète de la Mort, n'est plus celui de l'instant fatal. L'amertume se cache et ne s'explicite pas. Elle naît de la rencontre fortuite d'un piéton de Paris et de sa rue. On vit dans le Paris d'aujourd'hui, promenant les souvenirs du temps passé. Les vespasiennes s'en vont, les graffiti aussi. L'îlot insalubre 7 qu'on va raser n'inspire au poète qu'une mince réflexion : « faut que j'aille voir avant que tout ça ne disparaisse ». Philosophie pratique et bon enfant qui transforme en banalité le sujet d'une élégie. Et soudain t'out s'arrête. Le promeneur reprend ses droits. Queneau découvre le monde du fait divers. Ce n'est pas tout à fait le spectacle de tous les jours. C'est un quotidien transformé. Juste assez pour pouvoir n'en retenir que le côté risible. Et le rire jaillit du dénuement de l'expression : le marmiton crasseux crache

C'est une vie sans mystère, coulant monotone dans la monotonie. Et pourtant Paris ne sommeille pas. La foule anonyme travaille dans une ville qui change d'allure. Mais le travail n'a d'intérêt que s'il fournit une anecdote ou contribue à fixer, pour un instant, le visage de Paris. L'ératépiste, le taximane, le repasseur de couteaux n'auront qu'un temps. L'équilibre est instable. Et dans peu de temps ils seront tous partis dans le passé. Les vues défilent \ présentant un Paris qui se perce de trous, qui blanchit à vue d'œil - et reflètent l'image de la ville, vue par un écolier qui sait aussi rêver. Qu'il était doux le temps passé ! Mais d'un clin d'œil malicieux, d'une entorse à la syntaxe, la dissertation sévère tourne à la « rigolade ». Mais le rire est amer, teinté de mélancolie. En brouillant les pistes, Queneau se joue du lecteur comme il se joue de Paris. Paris n'est qu'un prétexte : le prétexte d'aiguiser un réflexe poétique. Pourtant Paris vaut bien une promenade. C. Gutman

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collection "poésie "1

1 LORAND GASPAR

dirigée par MARC ALYN JEAN-CLAUDE WALTER

LE QUATRlElD LE ETAT SISMOORAPDE DE LA MATIERI APPLIQUE Prix Guillaume Apollinaire 1967

ROBERT GOFFIN

GISELE PRASSINOS -

KAMAL PIERRE DALLE NOGARE IBRAHIM

LE VERSANT NOIR

LES .MO'lS ENDORMIS

DUTS-FONDS

"Memeur livre du premier trimestre 1967" choisi par le Comité du SJIldicat des Critiques Littéraires

BABYLONE, LA VAOBE, LA MORT

EJ(1 FLAMMARION

La Quinzaine littéraire. 1" au 31 août 1967.

s


Les Dlots endOrDlis Gisèle Prassinos Les Mots Endormis Flammarion éd., 144 p.

Les Mots Endormis sont, tels les lucioles qui se balancent dans la nuit d'été, ces fusées, ces globes de feu qui inscrivent leur trajectoire lumineuse sur l'opacité du ciel. Le recueil de Gisèle Prassinos rassemble essentiellement des textes qui

sein de la réalité la plus prosaïque. -d'un effroi glacé, se déroulent dans C'est, par exemple, la rencontre du un espace nocturne où l'assassinat spectre de Chateaubriand et d'une dispose ses fastes funèbres, le taprocession de lépreux près des bernacle de l'horreur. Un animisme berges de la Seine, qui par suite informe le soleil ou les pierres, des d'un bouleversant effet sacrilège têtes décollées ou des mains pétrinous informe que le monde vacille fiées glissent au fil de l'eau, peusur ses bases. L'humour corrosif de plant l'ombre de leurs palpitations ces textes, parents du Revolver à de méduse. Des paraphes sanglants cheveux blancs de Breton, tient au dessinent sur l'eau ou dans un ciel naturel avec lequel le poète énonce livide leurs emblèmes fatals. Tantôt des réalités contradictoires. Un ter- Yves Tanguy, tantôt Chirico sem-

Certains poèmes d'inspiration moins onirique pourraient figurer dans un bestiaire, un herbier ou un lapidaire. Ils célèbrent, avec la minutie passionnée de Francis Ponge, la pomme ou les corneilles, mais qui seraient doués d'un certain anthropomorphisme. Il semble alors que le poète, après avoir épuisé les sortilèges de l'ombre, cherche avec une sagesse un peu laborieuse à retrouver le sens des mots de la tribu.

Calcinée la viande de la souffrance Illimitée et facile Facile est l'apparence Vivante et difficile.

Gisèle Prassillos

ont été écrits ces trente dernières années par une main aveugle, anxieuse de dresser l'inventaire et de décrire les mœurs de la flore ou de la faune étrangère, qui ont tiré d'un long séjour aux portes de la nuit une 'démarche et une apparence qui surprennent notre raison! C'est de nécropoles, de forêts, de stalactites engloutis sous les eaux que paraissent surgir les étranges fêtes oniriques célébrées ici. Les premiers poèmes de ce recueil s'inscrivent dans la plus pure tra<ijtion surréaliste, on ne peut lire certaines pages sans .leur associer aussitôt certaines images baroque du Chien Andalou. La violence poétique est obtenue par la réunion disparate d'objets dissemblables, désaccordés sinon hostiles dont le . voisinage insolite nous dépayse au

Louise Herlin

Le ' Verwnt contraire Coll. « Le Chemin " Gallimard éd., 117 p. Nous sommes pris - d'entrée - par le chant; nous sommes emportés par un courant qui dispense, dans le premier temps, d'avoir recours au « sens » des mots. C'est d'abord leur agencement qui nous entraÎile. Quelque chose nous arrive avant même que la signification de la phrase ne nous apparaisse. C'est que dans la poésie, plus que dans toute autre forme d'écriture, le rythme, la structure sont aussi un langage. Le sens (prosaïque) se dissimule longtemps sous des métaphores subtiles. Il y a comme un secret à percer, co.m me un monde magique auquel on n'accède pas sans effort. Et c'est 'a u chant qu'il appartient de nous mener aux portes' de ce monde.

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Tunguy : ,rour de lenteur. détail.

rorisme subtil ruine nos pauvres certitudes, dérange nos convictions les mieux ancrées, infirme nos théorèmes : « Quand il fit nuit, un homme sortit de l'eau. Il portait sur la tête un immense entonnoir de ficelle, ouvragé et orné de caiUoux pointus qu'il avait fait faire par un ferblantier de ses amis, en échange d'une pelote de fil rouge. » La logique devient démente, caduques ou presomptueuses nos idées les plus chères~ Le fleuve qui unit l'avers et le revers, la clarté du jour et l'opacité glauque de l'ombre est le lieu privilégié où s'ourdissent les conjurations, les métamorphoses qui, en brisant le cercle rassurant des relations causales, ouvrent béantes les fissures par où s'introduit le surnaturel. Toutes les scènes, empreintes d'horreur ou

blent avoir décoré les portants dressês pour ces messes noires. Les images sont moins gouvernées par des associations naturelles que par l'enchaînement des mots. Il semble que ceux-ci, pris de délire, privés soudain de leur ordre naturel, gravitent selon des lois inconnues ; une raison aberrante détermine de nouveaux rapports entre les choses et les êtres qui affranchis de leur pesanteur se déplacent vers des terres inconnues. Par suite d'une alchimie singulière, les attributs de l'animal, de l'enfant et de l'homme ont perdu leurs qualités familières pour acquérir d'autres vertus, ignorées ou t1xplosives. « Un autre enfant fit son apparition. Sur son ventre nu pendait une chose cylindrique et dure qui lui donnait l'air d'un évadé. »

. Le sens viendra un peu plus tard, quand nous relirons. A ce moment nous nous apercevrons que le texte ne devait pas seulement son étrange pouvoir à des artifices musicaux. Il est essentiel, dans un poème, que le chant donne ainsi l'illusion de précéder le sens des mots qni le composent. S'ils sont tous deux donnés en un même mouvement, c'est précisément aux vertus du chant que ce mouvement doit d'exister. Il y a, dans ces poèmes; un lyrisme grave, exempt de cris, qui nous guide avec sûreté vers le fond de son propos. Le ton est celui d'une inquiétude dominée. Louise Herlin sait contenir chacun de ses poèmes dans les limites d'une discrétion pudique. C'est à la fois haletant et retenu. Chaque vers est comme un essoufflement surmonté, un souffle repris, une tentative de retour au calme. Ainsi, les raisons du cri sont toujours là, laten-

tes; mais avec gravité, le conflit est résolu dans la langue, au sein même de l'entreprise d'écrire. De ce fait l'inquiétude ne brise pas le chant, elle se content d'affleurer. L'essentiel n 'c~~ pas dit, il est simplement suggeré. Ce maria~e du style et du propos est une autre réussite de l'ouvrage. Une certaine décence, déjà sensible dans le ton de la confidence, a conduit l'auteur - en ce qui concerne l'écriture proprement dite à faire fi de toute rhétorique brillante, de toute recherche sans lendemain; de tout effet spectaC!llaire. Rien n:est moins provocant (au sens péjoratif du terme) que cette écriture-là. Du coup, rien n'est moins gratuit. Entrée assez rare d,ans la littérature, que celle qui témoigne ainsi, d'emblée, d'une telle maîtrise.

Roger Borderie

La consistance, la couleur, le parfum et la figure des choses et des êtres, en vertu d'un constant déplacement ou d'un mélange des différents règnes, nous initient à une . nouvelle cosmologie. Les enfants deviennent invertébrés, les pommes deviennent visqueuses, l'herbe parle le langage des hommes. Mais toujours, le fantastique et la terreur gouvernent les obsessions du poète. De rares textes sont comme des moralités inversées, qui, au lieu de tirer d'événements singuliers un aphorisme ou une leçon d'application universelle, empruntent seulement au fabuliste l'accent et la rigueur, pour dire une parabole dont le sens, le déchiffrement est à jamais occulté. Parfois des poèmes pathétiques empruntent à l'événement leur résonance; jamais la poésie de Gisèle Prassinos n'est plus pure :

o lumière voler la lampe paisible pour donner l'ombre à mes yeux et en sentir la lourdeur extrême. Plus d'affreuses figures au gris du plafond ni de mains blêmes aux coins des portes. Poussière microbes intimes tournantes billes lumineuses. lumière volons la lampe paisible. (1940)

o

Il est passionnant de suivre l'évolution d'un poète, qui peu à peu s'est délivré des tentations morbi des, des vertiges et des raffinements somptueux de la nuit, pour exalter d'une voix transparente l'émotion ·du jour ou la raison recouvrée.

Toutes les roses ont éclaté Il rose entre le ciel et la terre Même une patte d'oiseau y serait de trop. Chaque fleur el;t un mot Chaque lèvre est une fleur L'instant fixé se croit vainqueur Mon corps engloutit la vie Cette vague Fille unique. Aujourd'hui est la graine d'hier Un cadavre pour demain. Alain Clerval


CORRESPONDANCE

Claudel et 'la Grande Muraille Victor Segalen

Lettres de Chine Plon éd., 278 p.

Le temps qui sépare le voyageur Segalen du voyageur Morand est assez court. Quant à Loti et Segalen, ils furent presque conte~po­ rains. Reste que ce dernier ne chercha pas dans l'éloignement un pur jeu de sensations mais considéra l'affrontement avec un pays nouveau comme un moyen de connaissance de lui-même et des autres. Segalen, malgré quelques particularités de langage qui datent, est notre contemporain. René Leys, son seul roman, s'organise autour d'un personnage aussi ambigu que ceux de nos plus jeunes auteurs. Les Immémoriaux, malgré un semblant d'intrigue, sont proches d'une enquête d'ethnologue, outre un élément poétique qui contribue à la révélation de « l'exotique ». « L'exotique », c'est-à-dire « la perception du divers », un pouvoir qui n'est que « le pouvoir de concevoir autre ». Nous possédons encore de lui des notes destinées à une étude restée inachevée : « Sur une forme nouvelle du roman », où l'on trouve ceci qui paraît singulièrement actuel : Ecrire la haine de l'auteur et le mépris du su jet. Tout cela, et une excellente thèse parue en 1961, de M. Bouillier1, devrait faire de Segalen un auteur de premier plan; il ne l'est que pour quelques-uns. Le livre qui vient de paraître sera-t-il une voie d'accès plus aisée vers cet homme dont le tort fut vraisemblablement de mourir à quarante ans ·sans avoir eu le soin d'administrer sa réputa-, tion, pris qu'il était par ses voyages - après son séjour à Tahiti il se rendit par trois fois en Chine par son métier de marin-médecin, par une étude approfondie du chinois qui lui permit d'êtr~ interprète, par des recherches archéologiques, par des goûts, enfin, qui ne furent jamais superficiels. Le premier voyage chinois, celui au cours duquel furent écrites les lettres ,qui viennent de paraître, fut accompli en 1909, en compagnie de Gilbert de Voisins, lui-même écrivain, auteur entre autres d'un roman qui ferait un bon western, le Bar de la Fourche et d'un récit ému, l'Enfant qui prit peur. En France, Segalen laissait une jeune femme et leur fils âgé de trois a:ns : tous deux devaient le rejoindre huit mois plus tard à Pékin. Cette correspondance, adressée à celle qui devait à son tour se confronter avec l'Empire du Milieu, se trouve donc être à la fois le compte rendu spontané de la rencontre avec un monde nouveau, le récit d'Ulie expédition aventureuse - traversée d'une partie de la Chine tantôt à cheval, tantôt en d'assez fragiles embarcations sur un fleuve que Segalen, pour la signification qu'il lui prêta,

Paul Claudel, ambassadeur en Chine.

Victor Segalen photographiani lm pilier funéraire à Mien·Tchéou. 1914.

préféra aux océans - et, aussi, une confidence sur l'enrichissement intérieur et . les projet littéraires qui en ~naissaient. . Comme les meilleurs écrivains de sa génération, comme presque tous ceux de la génération suivante, Segalen arriva en Orient tout imprégné du Claudel de Connaissance de l'Est. Mais il s'efforça de s'en libérer : dans René Leys, par la nature même du roman, dans Stèles par la forme resserrée du poème inclus dans le rectangle lapidaire de la stèle asiatique, au profond de luimême par son horreur du christianisme et son intérêt pour le mysticisme. Il rencontra Claudel consul en Chine. Le récit de la visite n'est pas le passage le moins bien venu de ces lettres. Le maître l'intéressa et l'agaça : « menton et bouche empâtée comme son parler un peu ». Mais leur conversation fut riche. Claudel lui déclara entre autres que « ce qui fait la supériorité occiden-

tale, c'est qu'elle possède à chaque génération cinquante hommes hors de pair » et aussi qu'il croyait « à

L!l Quinzaine littéraire. 1" au 31 août 1967.

la disparition totale de l'ancienne Chine et qu'il faui la voir vite et bien », ce qui n'était pas mal juger. Reste qu'après avoir reconnu avant cette rencontre « clair comme le

jour l'influence du style chinois sur (la) prose de Claudel », le visiteur

geons pas l'idée, évoquée en passant, d'un livre qui se serait appelé Mon valet chinois (cahier de service) où, sous la plume de son propre boy, il aurait mis « tout le narquois et l'exotisme » qu'il ne pouvait « loger ailleurs ». Tenons compte aussi de confidences sur ses modes d'écriture. Parlant d'un de ses projets qui connut un début d'exécution, il précisait « je le

compose en quelque sorte à rebours : sentir la Chine tout d'abord, puis la savoir, ensuite mélanger l'un à l'autre ». En d'autres pages

apprit ce jour-là du grand ' homme encore, nous le voyons s'intéresser lui-même « qu'il ne savait pas un , à la dialectique qui relie l'immobilité de la Chine à la fluidité de tant mot de chinois ». de ses formes : la pagode, il nous le Puis viennent les lettres écrites au cours d'une pointe poussée jus- rappelle, vient de la tente des noqu'à la Grande Muraille et au cours mades. Aussi rêve-t-il à la Mongolie de l'expédition en Chine centrale. et regardera-t-il avec émotion « les « Je sais aussi, écrit Segalen, que premières caravanes de chameaux l'excellente période de réflexion am- à longs poils en marche vers les bulante que je mène et avec un tel routes d'hiver ». On le voit, ces lettres sont ce compagnon (Gilbert de Voisins) est tout à fait propice à l'éclosion tu- qu'il .convient que soient des letmultueuse mais qui s'ordonnera tres : un fourre-tout. Mais quel merplus tard ». Aussi les projets abon- veilleux fourre-i:~!!t_ et 'qui rend le dent-ils, dont beaucoup n'aboutirent -lecteur complice d'un esprit presque pas, dont certains connurent une génial au moment d'un de ses pi~ ' réalisation incomplète, dont d'autres grands enrichissements. Quel plaienfin prirent place dans , Equipées sir aurait eu Segalen lui-même à 'se et Stèles. Notons le projet d'un plonger, s'il avait été un autre, dans essai sur le mystérieux - « le mys- cette correspondance aux « divers » térieux, la sensation de mystère n'est registres! Clara Malraux donnée qu'au moment où le réel va toucher l'inconnu » - et ne négli- 1. Mercure de France, éd. 7


FIGURE

Bataille et Nietzsche Le rôle de plus en plus important de Georges Bataille dans la pensée et les lettres contemporaines a été consacré cette année par la réédition de plusieurs de ses ouvrages. La Mort, Histoire de l'Œil ont paru aux éditions J.-J. Pauvert et la Littérature et le mal dans la collection ({Idées». J.-J. Pau vert a publié également un roman posthume Ma mère et la revue l'Arc vient de consacrer un numéro spécial à l' œuvre de Georges Bataille. Celui qui revient d'avoir vu, de la salle, les figures de la scène, va nous dire comme Mallarmé ce qu'il a crayonné au théâtre. Nous, qui n'avons pas vu la chose même, il va nous la montrer, ainsi « écrite au folio du ciel ». Qu'est-ce donc qui a lieu à ce moment-là ? ({ Un art, l'unique - dit encore Mallarmé - et qui est tel qu'ici « énoncer c'est produire ». Ce qui se propage là doit être serré de près, au travers de la prodigieuse prose- mallarméenne, au cours de ces textes qui ont longtemps passé pour des exemples de gratuite préciosité, alors qu'ils accrochent, par toutes sortes de raccourcis ou détours, ce qui se nomme ici de façon singulière ({ l'opération ou poésie ». L'opération qui donne, à ceux qui .n'ont pas vu, cette écriture crayonnée.

mais ces deux-là avant tout. Plus précisément : la lettre léniniste va engendrer sans relâche une double parole, celle que le premier des deux profère en tant que président du Soviet de Petrograd, et celle que le second organise au secrétariat du Comité Central et dans son bureau du Centre du Parti. Telle est la chaîne qui, issue de ces lettres, en diffuse l'écriture génératrice, et fait en sorte qu'elle va, peu à peu et soudain, envahir la rue. La vue crayonnée, et la parole par elle engendrée, vont entrer jusque dans les tissus muets des cités. Mais quelle est donc, présente çà et là, cette opération d'écriture qui peut opérer sur le visible à partir du non-vu?

On va d'abord répondre: aucun rapport entre ce çà et ce lil. Mais ce n'est pas si sûr. En 1937 paraissait une revue trimestrielle curieusew.e-n t dénommée Acéphale. Dont l'animateur avait - nom Georges Bataille. Dont certains numéros se retrouvent parfois: j'en ai deux sous les yeux (sur les quatre parus). L'un sous le titre de Nietzsche et les Fascistes. Le second simplement : Dionysos. A eux seuls, - les deux sous-titres désignent un point de vue capable de saisir un certain rapport, disons : entre idéologie et poésie. Le rapport qui permet de penser les différences. Le numéro Nietzsche a un sousUJl.e réparation titre, c'est ({ une réparation ». Il Mais voici qui est plus singulier s'agit de détruire ici la revendicaencore. Un homme enfermé par tion de Nietzsche par les nazis. des frontières (cellea de la Suisse) Investigation qui met en place tous est informé d'un événement fort les repères nécessaires : Nietzsche lointain (survenu en Russie). Lui, dans son rapport à Rosenberg, le . , . , . qUI n en a encore rIen vu, va ecrue doctrinaire quasi officiel du Troiet envoyer ses Lettres de loin : et sième Reich, ou à Baeumler, le celles-ci diront ce qui, effective- ({ philosophe» officieux. A Mussoment, a lieu là-bas, et comment lini également, jeune socialiste ou cette vue-là doit être saisie. Avant vieux dictateur. En chemin, la même de prendre pied sur le tâche de réparation menée par quai de la gare de Finlande, à · Bataille agrippe, en quelques zones Petrograd, il a commencé ainsi à décisives, les points de suture de faire en sorte que sa vue, .sa ,~ormu­ la pensée opérante. le, celle qu'il avait toujours dite En face de ce monde couvert de déjà, soit ({ conduite du royaume passé, écrit Bataille, ({ couvert de des formules dans celui de la patries comme un homme est réalité ». Que déjà il lui soit couvert de plaies », il n'existe pour « donné chair et sang». Cet lui pas d'expression plus paradoxahomme-là,Oulianov (ou Lénine) le ni plus grande que celle de est en train d'écrire déjà ses Thèses Nietzsche. Paradoxale: car la ligne d'avril, et se prépare à monter de partage du monde moderne dans son wagon plombé. oppose à ({ l'avarice chauvine, Ce qui s'écrit là va aller plus enchaînée au passé », ceux qui, tel loin encore, ne le sait-op. pas? Nietzsche lui-même, se donnent Retourné à l'absence, dans la clan- comme des sans-patrie les destinité, tapi en Finlande, puis . « déchaînés du passé ». Mais ces dans le quartier de Viborg, rue derniers sont aussi des enchaînés Serdobolskaïa, il va écrire à mesure à la raison. Quel sens aurait alors cette Révolution qui se fait : missi- le jeu du solitaire qui se propose\ ves secrètes et incessantes au rait, par surcroît, de « transgresser comité central, aux comités de avec la vie les lois de la raison» toutes les Russies. La transmission en excluant pourtant ce que s'effectuant, de cette écriture-là, pareille transgression risque, dans jusqu'à certaines paroles à le registre politique, de livrer en travers la voix métallique d'un gage aux forces rétrogrades? Car, certain Bronstein (ou Trotsky), et dit Bataille, « répondre aux exigenaussi par Sverdlov à la voix de ces de la vie même contre la raison basse veloutée, et d'autres encore, c'est en politique se donner pieds B

noms de Roger Caillois, Michel Lei· ris, Pierre Klossowski. Le numéro Dionysos informe le lecteur, par une Note, de sa fondation, comme communauté sans tête. Que l'arrière-plan soit celui d'une société secrète importe assez peu. L'important est ce qu'elle donne comme domaine, caractérisé par une certaine virulence. Ce domaine, que Bataille désigne du nom singulier de sociologie sacrée. Il recouvre ou plutôt relie les « points de coïncidence » entre deux ensembles de données. D'une part, les tendances obsédantes dans la psychologie individuelle. De l'autre, les structures directrices dans l'organisation sociale : celles qui « commandent ses révolutions ». D'un côté, le domaine où joue, comme dans l'analyse freudienne du rêve, le rapport entre les éléments latents de l'obsession et leur substitution manifeste. De l'autre, le champ où l'écriture et l'édition d'un certain Manifeste (d'un nommé Marx) peuvent propager certaines chaînes bien précises d'action et de transformation. Et ceci est à noter : ces points de coïncidence, que le collège communautaire de Bataille aurait eu pour tâche de repérer, jouent sur le double sens du mot manifeste. Dans les termes freudiens euxmêmes, le fameux transfert revient à créer de nouvelles éditions des anciens conflits. De semblable façon, la Révolution dont traite

et poings liés au passé ». Plus attentivement encore que les textes qui leur succèdent vingt ans plus tard dans l'Erotisme, ceux d'Acéphale tentent de mesurer, sur le modèle de l'expérimentation nietzschéenne, -ces mouvements que l'écriture de la transgression peut engendrer, et les sens qu'elle peut à la fois parcourir et marquer.

« Aoéphale » Mais d'autre part ce que Bataille appelle le mouvement de la vie ne se confond pas avec « les mouvements limités des formations politiques », sinon « dans des conditions définies ». Et il ajoute, en note : « une révolution telle que la révolution russe en donne peut-être la mesure ». A ce degré-là, les révolutions rusent étrangement avec la prévision intelligente. Le mouvement de la vie? Il est présent « dans,- des déterminations obscures, lentement actives et créatrices, dont les masses n'ont pas conscience tout d'abord». Ici est cernée une zone vive, un cercle d'énigme, où léninisme et nietzschéisme risquent une rencontre fort singulière, sous le seul signe peut-être qui leur soit commun, et quO i domine l'entreprise d'Acéphale, je veux dire ; Héraclite. A quoi s'occupe en effet Oulianov-Lénine au cours de l'an 1915 ? Aux choses sérieuses qui sont du

Lénine GeOT ges

ressort exclusif de « l'homme d'action », les armes, l'argent? En fait, Lénine s'applique en bibliothèque à noircir tout un cahier en récrivant « la philosophie d'Héraclite, l'obscur d'Ephèse ». Il s'attache à dessiner ce qui s'exprime dans les formules de ce dernier, « de façon charmante et naïve» : la transformation dans le contraire. Au bord même de la révolution russe, l'homme léniniste a fait une paradoxale jonction avec l'homme nietzschéen : le lieu en est cette région où, précise Klossowski avec le texte qui clot la revue, Nietzsche se ressouvient de ({ l'originelle unité de la vérité et de la fiction dans le langage s:;;;;iencieux» : celui du philosophe présocratique, celui des or_igines mêmes de la pensée. On s'en souvient encore : dans le projet de Bataille, Acéphale était destiné à être l'organe ou plutôt le lieu écrit d'un ({ Collège de Sociologie», où devaient apparaître les

Bataille jeune,

alors Bataille, dans se:: !'!''Jpositions sur la Mort de Dieu, ne doit pas être considérée seulement « dans ses tenants et aboutissants ouvertement connus et conscients». Mais au travers de son existence historique elle-même et au moment où elle s'introduit aux points les plus fragiles de la civilisation, elle « se manifeste aux yeux d'un monde muet de peur comme l'explosion soudaine d'émeutes sans limites». Ce qui va s'inscrire, ce n'est plus l'autorité divine, mais le temps « dont l'exubérance libre met les rois à mort ». Face au fascisme césarien et à son ossification militaire, il va donc s'agir, avec « l'exactitude divine du rêve», de disposer les opposés les plus virulents : liberté tragique, communauté « sans chef », tumulte explosif des peuples. Ce qui manque au mouvement antifasciste, écrit Bataille, c'est Numance, jouée dans des églises brûlées pal' des miliciens rouges, c'est « la


Bataille et Breton vérité religieuse » de Numance. Une hypothèse de l'Erotisme cherchera par quels liens, dans la peinture des cavC'r nes, la figuration répondait à une forme de transgression, la plus primitive de toutes : celle qui violait l 'interdiction de tuer l'animal. I nterdit de la chasse qui alterne évidemment avec le retour à la chasse. « Les images des cavernes auraient eu pour fin de figurer le moment où, l'animal apparaissant, le meurtre nécessaire en même temps que condamnable révélait l'ambiguïté religieuse de la vie. » Ce qui engendre ainsi la narration figurée, cette écriture toute première - la « grille » du chasseur de Lascaux , n'est autre que le mouvement et l'esprit de la transgression, l'esprit « dont la pensée est à la mesure du mouvement ». C'est la dialectique même, autrement dit, note Bataille : ce développement « par renversements ». Celui que dessinaient les sentences héraclitéennes et dont Lénine cherchait, à travers elles, le secret, en guise d'exercice préalable à toute révolution. A la source de l'écriture surgit cette possibilité permanente, dont parle Bataille à propos de Sade, de renverser la vérité.

Il y a, c'est vrai, des livres clés, des livres qui font que soudain l'on s'ouvre, l'on avance ... Où ? Dans la connaissance d'une passion sans limite, qui serait aussi la passion de la connaissance. Mais on ne lit pas ces livres sans prendre un risque : la pensée qui fut la « nôtre » avant la lecture semble s'éloigner le livre refermé, et, littéralement, on ne voit plus les choses de la m ême manière. Les livres de Georges Bataille, comme ceux d'Artaud et de Breton, ont aidé quelques hommes à changer l'aventure de la pensée en un soulèvement de tout l'être, où le corps lui-même est concerné, tan t il est vrai que l'action des idées, quand elle est véritablement une action, devient physique et se vérifie dans notre comportement le plus qu6tidien. La réédition de la Littérature et le mal sera considérée par beaucoup comme un événement. La re-

l'intensité de la passion, du crime, de l'érotisme. Quelque chose liait obscurémènt Breton et Bataille, quelque chose, aussi les séparait... Dans la tension qu'ils faisaient exister par les mystérieuses oppositions qui les maintenaient à distance, oscillait une étrange balance, qui pouvait conduire à des options ennemies, ou à un renforcement de la . cohésion révolutionnaire . Depuis 1930, en effet, l'histoire les avait conduits à cesser de se combattre. C'était aux articles de Documents que Breton s'en prenait, où Bataille se montrait un peu vague dans la définition du matérialisme . Mais avec les essais parus dans la revue Critique au lendemain de la guerre, Bataille allait s'engager au contraire, de manière de plus en plus précise jusqu'à la publication de la Part maudite, dans ce qu'on pourrait appeler (si l'on osait) une sorte de matérialisme exaspéré, au-

sa génération « naquit à la vie littéraire ». A la dernière page de ce livre, c'est encore à Breton qu'il fait allusion . De telle manière qu'on peut considérer la Littérature et le mal comme une tentative d'élucidation et de résolution des conflits qui opposèrent Breton et Bataille en 1930. On ne peut sousestimer la . portée d'un tel livre, puisqu'il est le carrefour à partir duquel le surréalisme croise enfin le chemin d'un homme qui lui est toujours demeuré proche (tout en gardant ses distances) et qui éclaira à sa manière les repères « cultu rels » communs à Breton et à lui.

Baudelaire Bataille ne se contente pas de faire « écho » au surréalisme : il affronte la pensée de Sartre qui, à ce moment, était la plus active, la plus prenante (celle qui se déploie

Georges Bataille.

L'An 19 André Breton

Nietzsche

Au commencement (de l'écriture figurée) était la transgression. Sur les sudaces et les volumes de la pierre, à Lascaux ou Altamira, ce qui commence, ce qui est là crayonné déjà en l'absence de la chose vue, n'est autre que le pouvoir redoutable par quoi l'histoire même, l'histoire comme travail et comme guerre, va commencer. Ici se mettent à l'œuvre ces « propositions actives de narration » par lesquelles la dernière linguistique s'efforce de déterminer (traduit en règles de récriture) le noyau grammatical d'une langue et sa capacité d'engendrement illimité. Se retourner vers ce pouvoir à sa source, tel était bien le dessein du collège acéphale dont Bataille a rêvé : projet qui est le plus proche de nos projets. Ressaisir ce pouvoir, par tous les doigts en même temps, dans sa trame et dans ses chaînes, comme lecture de l'idéologie enchevêtrée et comme pensée de la fiction, c'est redonner leur virulence à ces mots tra,nquilles et presque provisoires dont .Bataille s'est emparé : avec lui le mot « Sociologie » se fait aussi périlleux que le mot « Littérature » quand Breton et Aragon, en l'an 19, l'avaient changé en intitulé. Avec eux, dangereusement, ces deux mots désignent, double et renversé sur lui-même, le même champ. Ce champ-là est celui de l'écriture manifeste. Qui ne peu t prendre possession de lui-même sans se faire en même temps, et soudain, Manifeste d 'écriture.

lean-Pierre Faye La Quinzaine littéraire, 1" au 31 août 1967

lecture de ce livre nous oblige à nous situer dans la perspective tumultueuse où, au lendemain de la guerre, les hommes qui approchent aujourd'hui de la quarantaine, se trouvèrent engagés par les contradictions d 'un « existentialisme » militant les Temps modernes, Sartre, Qu'est-ce que la littérature - , d'un « communisme » stalinien qui se nommait en France Kanapa ... avec d'autres, et d 'un surréalisme, dont Breton revenu de son exil américain nous rouvrait la possibilité, l'ouverture fascinantes. Georges Bataille, au centre de ces contradictions, semblait faire exister un point de lucidité exemplaire, qui n'exaltait pas le raisonnement, l'analyse, mais les conciliait avec

delà de l' « Athéologie ». Par compensation fortuite, Breton allait accorder dans la même période une importance de plus en plus grande à l'occultisme, à la pensée .ésotérique, aux « Initiés » et, l'espoir d'une réconciliation effective avec le marxisme s'effaçant complètement à ses yeux, le surréalisme emprunta dès lors une voie politique marginale. Etranges chassés-croisés idéologiques, dont il faudrait d'ores et déjà débrouiller l'écheveau. Bataille déclare dans l'AvantPropos de la Littérature et le mal que ses études sont « l'écho assourdi » du tumulte de sa jeunesse, c'est-à-dire, précise-t-il, les « tumultes du surréalisme » dans lesquels

du Baudelaire à Saint Genet) et la conteste comme l'eût fait Breton. qui désapprouvait totalement l'in~ terprétation sartrienne de Baudelaire, et ne cachait pas quelques réticences à l'égard dl" Genet. Mais les arguments de Bataille contre Sartre ne sont pas ceux de Breton, ils récupèrent certains de ceux de l'auteur de l'Imaginaire, contre luimême, et dénoncent une volonté simplificatrice et contradictoire que, depuis, de nombreux écrivains ont tenu à dénoncer à leur tour . Bataille reproche à Sartre de faire comme s'il avait atteÎnt une vérité morale que Baudelaire aurait été incapable de sentir. Si, à l'égard

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Bataille et Breton

de Breton, il se· montre beaucoup ,d'une aération nouvelle de la vie ... plus prudent, c'est que la notion C'était peut-être ce que pressentait de souveraineté, d'opération souve- Boukharine, quand il concluait, raine - et celle de transgression dans son rapport de 1935 sur la (héritée de Mauss et de Caillois ), poésie au Congrès des écrivains soles deux idées majeures de Bataille, viétiques de Moscou, au « nonne peuvent pas contredire les volon- l'ntap'onisme de l'image (recours à tés exfrêmes que Breton fut le pre- l'irrationnel) et de l \idée, au nonmier à formuler, et dont le carac- antagonisme du « nouvel érotisme» tère provocant et implacable ne et du « sens de la collectivité » cesse d'agiter par en-dessous le de- dans le cadre d'un « réalisme sovenir de la pensée tout entière. En cialiste » qui ,« ne peut avoir d'aurefusant d'accabler Baudelaire sous tre objectif que , l'homme lui-le prétexte qu'il est « malheureux» même ». Breton a reconnu dans et... enfantin (selon Sartre), Ba- les formules de Boukharine, ne taille éclaire « le sens de son livre ». l'oublions pas, que « la poésie en Il le dit : le choix de Baudelaire, ,:essortait plus nécessaire, plus Vtqui consiste à se mettre en faute, vace que jamais ». oui, comme un enfant; « n'est-il C'est ce non-antagonisme que pas, dans son essenc~ , celui de la Bataille retrouve dans William poésie? N'est-il pas celui de l'hom- Blake, qui écrivit le Tigre en 1794, me ? » Et Bataille, qui fonde là, et grava une Image Vivine « au peut-être, ce qu'eût pu être une temps même où les têtes tommorale surréaliste, si Breton ne haient». Si Blake n'a pas trouvé s'était placé autrement dans l'uni- d'attitude cohérente, le tumulte de vers moral, déclare avec une vio- sa pensée nous communique aujourlente clarté: « Je crois que l'hom- d'hui encore son intensité. « Rien me est nécessairement dressé contre ne peut faire, écrit Bataille, qu'au lui-même et qu'il ne peut se recon- moment où l'histoire organise l'hu-

naître, qu'il ne peut s'aimer jusqu'au bout, s'il n'est pas l'objet d'une condamnation. » , Sartre

manité, de tels troubles, en dépit de leur signification infinie, aient plus que la portée d'une lueur furtive, extérieure aux mouvements réels. » Aujourd'hui, nous pouvons considérer que le surréalisme et la pensée de Bataille, tous deux accompagnés par la même notion de souveraineté, ne sont pas extérieurs aux mouvement réels, c'està-dire aux exigences révolutionnaires extrêmes, auxquels le stalinisme imposa une rigidité froidement criminelle. La poésie de Blake « appelle l'énergie, jamais la dépression ». On se rappelle combien Breton tenait au caractère 'ascendant de la poésie, quel dégoût lui inspiraient les images dépressives de certains « poètes » de très faible parole (Cocteau). Cette exaltation, qui pour certains ne relève que du romantisme, répond à la nécessité du désir, à la volonté d'arrachement que la poésie organise en mots, en images, parfois en gestes (le « dandysme » de Baudelaire, l'humour gestuel de Jarry) et que la révolution organise en actes. C'est le désir, le désir seul qui constitue le point de départ commun de deux séries de phénomènes et de signes que l'on oppose depuis toujours les uns aux autres, et qui ne peuvent se concevoir les uns sans les autres.

Selon Bataille (et en d'autres termes selon Breton), la poésie est nécessairement « accompagnee d'une notion de souveraineté », mais « n'est à la fin qu'une évocation ; elle . ne change que l'ordre des mots et ne peut changer le monde. » Aussi s'insère-t-elle (c'est son mot) dans la sphère de l'activité, ,quand elle cesse d'être souveraine : comme le rire, l'érotisme, l'ivresse, elle devient un souverain mineur qui ne peut « contester l'empire . de l'activité » (il écrit cela Wi"ns la Méthode de méditation). Mais le surréalisme est quelque chose de plus que la poésie, c'est un mouvement de tout l'être (et non pas de « l'esprit ») qui va, par exemple, allumer la violence d'Artaud, faire craquer le carcan culturel, disloquer les « raisonnements », pour qu'une autre existence réelle devienne « possible ». Mais Sartre, qui a toujours pensé 'en-deçà des exigences extrêmes, ne peut concevoir le « Mal » comme l'impol1Sible : la morale l'entoure, il ne la domine jamais. En adhéKafka rant~ toute sa vie comme il l'a fait à Sade et à Lautréamont, Breton a préparé le terrain où une nouvelle Relire Bataille, c'est s'engouffrer pensée, pourrait se déchaîner, un ' terrain sur lequel Sartre n'a pu en riant dans l'histoire, subir son mener 'qu'un combat d'arrière-gar- vertige - et découvrir qu'il n'èst de (on peut en dire autant du Ca- ' rien de plus vain (~t' de moins mus -de t'Homme révolté). Ainsi, « poétique ») que de s'en lamenter. l'homme qni se condamne lui-mêm~ L 'histoire était pour Bataille le n'est pas, ne peut être l'homme conducteur de l'énergie qui le brûmalheureux (qui lutte en vain con- lait et qu'il savait reconnaître dans ' tre les contraintes qui pèsent sur tout ce qui détruit, dans tout ce lui), mais l'homme souverain, qui ,qui ridiculise l'idéalisme. Il insista fait de sa condamnation volontaire toute sa vie sur la fête, la liberté d'une découverte, déchaînée et, s'il est devenu avec l'instrument 10

Derrière tout cela, qui fut le malheur de Kafka, Bataille note bien qu'était « une joie si intense qu'il parle d'en mourir ». La phrase « Il fallut une révolution, le bruit des portes de la Bastille terminale du Verdict : « A ce moenfoncées - pour nous livrer, au ment il y .avait sur le pont une hasard du désordre, le secret de circulation littéralement ' folle » Sade, auquel le malheur permit de fut (c'est Kafka qui l'a dit), l'équivivre ce rêve, dont l'obsession est valent d'une « forte éjaculation ». l'âme de la philosophie, l'unité du A ce niveau, la souveraineté de la sujet et de l'objet; c'est dans l'oc- joie existe comme une donnée inécurence l'identité dans le dépasse- liminable du jeu et l'on ne saurait ment des limites des êtres, de l'ob- la distinguer de ce que Breton jet du désir et du su jet qui dé- appelait lui-même « la souveraineté de la pensée ». Au-delà de l'indisire. » Ce sont les limites conscientes vidu, la poésie que Breton toute des êtres qu'il faut en effet dé- sa vie défendit... contre vents et truire : l'isolement, la résignation, marées, n'est autre que cette don- ' la séparation, la mélancolie, l'in- née inéliminable, cette impulsion trospection même, fruits de l'idéa- souveraine qui permet de translisme le plus vain, le plus mort. gresser l'ordre de la société constiQuand Bataille parle de transgres- tuée - et sans laquelle la vie sosion, de potlatch, de dépense, c'est ciale ne sera jamais qu'une résià cela qu'il faut songer : à la fin gnation lugubre, asservie à des de l'individualisme révolté, au buts trop étroitement définis pour commencement de l'individualisme satisfaire un immense, un contirévolutionnaire, où le « Mal » est ' nuel, un irréductible besoin de à la limite l'éclat de rire de Blake, débordement. « l'attirance désintéressée vers la mort » telle qu'elle se fait jour Jean Genet dans W uthering H eights. La volonté d'aller « le plus loin possible» définit la valeur. Il ne saurait y C'est dans l'essai qu'il consacre avoir de contradiction entre les au Saint Genet de Sartre que Baexigences révolutionnaires les plus taille fait le mieux coïncider sa radicales, et l'intensité ressentie pensée avec le surréalisme : il le par les individus, les minorités : complète, en dénonçant les superc'est en les séparant qu'on interdit cheries de la pseudo-transgression. la possibilité même de la révolu- Pour Genet, l'opération n'est jation. mais vraiment souveraine, parce Là où la société constituée ne qu'elle manque de la loyauté qu'exipeut aller, l'individu révolution- ge la « vraie communication ». naire peut courir le risque inhérent Genet renverse, plus ' sommaireà la véritable écriture, risque qui ment que ne l'a fait Baudelaire, n'est pas négligeable car la recher- le Mal en Bien : car en excluant che de l'intensité « veut que nous son lecteur du jeu, en refusant la allions d'abord au-devant du ' ma- communication avec lui, Genet laise, aux limites de la défaillance ». veut « confisquer » la souveraineté N'oublions jamais que la société à son seul profit. Sartre croit, ,cuconstituée ralentit (ou stoppe) ce rieusement, que la recherche de que l'individu accélère, et que c'est Genet correspond à celle du « point précisément dans ce décalage iné- de l'esprit d'où la vie et la mort, le vitable que résident toutes les pos- réel et l'imaginaire, le communicasibilités de subversion, de change- ble et l'incommunicable cessent ment... et de fête. Si les commu- d'être perçus contradictoirement » nistes staliniens ont posé la ques- - et que ce point est la « saintetion : « Faut-il brûler Kafka ? », té » de Genet. et si « nul ne dispute à l'action Bataille, qui cite lui aussi cette l'autorité dernière », il n'en reste phrase de Breton à propos d'Emily pas moins que certains individus Bl"Ontë, et qui la complète par : tieiment le but de l'action comme « l'ajouterai : le Bien et le Mal , un leurre. la douleur et la joie. Ce point, Bataille commente : « Le point une littérature violente et la vio-

Blanchot l'un des plus profonds commentateurs de Sade, c'est dans cette perspective :

faible de notre monde est généralement de tenir l'enfantillage pour une sphère à part », - 4 de même, en général, personne ne tient l'erreur pour constitutive du vra,i ».

lence de l'expérience mystique le désignent l'une et l'autre. La voie importe peu: le point seul importe .», marque son désaccord avec Sartre, il accuse Genet de trahir

Mais enfantins, poursuit Bataille, nous le :;;ommes tous, absolument, sans réticences, è't même il faut le dire, de la plus surprenante façon : c'est ainsi (par enfantillage) qu'à « l'état naissant, l'humanité manifeste son essence». L'enfant, en Kafka, ne conteste paS « l'autorité qui lui déniait l'autorité de vivre ». Ainsi la culpabilite de ses héros croît-elle au fur ,et à mesure ' qu'ils poursuivent une injustifiable quête.

la souveraineté. Les « volontés à venir » annoncées par Breton et que Bataille a définies partiellement, il convipnt sans doute d'en préciser les termes pour dégager l'horizon révolutionnaire de la pensée, l'ouvrir (et s'y ouvrir) réellement, en le rapprochant de nous. Breton prophétisait que ces volontés devaient être plus implacables que la sienne ... En relisant Bataille, elles se réveillent.

. Alftin Jouffroy


ROMANS FRANÇAIS

Un ton plus grave Hélène Cixous Le Prénom de Dieu nouvelles Grasset éd. 208 p. Bu d'un trait, le philtre élaboré par Hélène Cixous laisse au palais un goût âcre, fort et composite. Mêlant les simples aux ciguës, le charme apaisant d'une écriture limpide au noir vénéfice du cri désarticulé, le livre déconcerte avant de séduire et d'inquiéter. Car ce recueil de nouvelles - qui sont contes, proses et libres poèmes - exige le temps, quatrième dimension d'une œuvre tyrannique qui demande au lecteur des inspirations répétées, une disponibilité de l'esprit, une instabilité de l'âme qui doit chercher sans cesse à travers et au-delà du livre son nord, son nadir et son zénith. Conte onirique, analytique, plongeant un degré au-dessous de la surface des claires pensées au point que s'abolit l~ réflexion et que naît une réfraction à travers le milieu sous-marin 'de la subconscience, la nouvelle d'Hélène Cixous expose beaucoup moins qu'elle ne recèle. Un être innommé traverse l'ouvrage entier, tantôt s'abandonnant aux fantasmes, aux réminiscences, aux appels impérieux d'une enfance oubliée ou égarée, "tantôt quêtant un peu d'existence au sein d'un univers protéiforme que hantent des mots trop éclatants, cherchant une impossible et dérisoire .c ommunication avec les Autres. C'est au terme d'une longue lutte marquée d'incohérence et de courage que l'homme trouve en lui-même une austère discipline, une solitude désabusée mais sereine, victorieuse des mots, où « seule

compte enfin la décision par moimême de ma propre éternité intérieure ». Victoire sur les mots, mais après quel périple, quels détours, quels périls! Les mythes antiques, et aussi surréalistes, freudiens, kafkaïens, tentent inlassablement d'orienter le flux du langage, de soumettre l'imaginaire, de l'endiguer, de le rassembler en lacs imprOVIses que menace la rupture. Au vrai la composition autoritaire et la profusion anarchique des images et des thèmes se combattent à chaque page, en chacune de ces dix nouvelles une architecture rigide ordonne fermement et fléchit les élans d'une parole qui est bien près de s'enfuir, par les portes, par les fenêtres, cri d'une âme collective ou d'un Moi avide de lumière et d'air, - d'évasion. L'auteur se défend mal de laisser s'épanouir toute une troupe de pulsions immatures, tant d'ors et de sanie .en ébullition. La plupart de ces nouvelles, aux titres claironnants ou mystérieux

(l'Outre-vide, la Lyre, le Sphinx, la Baleine de 1onas ) semblent adopter la forme schématisée du conte qui est, comme nous le

rappelle Marthe Robert à propos de Grimm (Sur le papier, Grasset éd.), un drame familial - parfois élargi ici aux dimensions de la Cité des hommes (la Ville) - où s'affrontent les Anciens et leurs eplgones. Mais Hélène Cixous projette le conflit dans une sorte de rite maléficié jusqu'aux parages d'une Mort omniprésente, tissu dont est faite notre vie, cette Mort qui apparaît tour à tour comme la mère, le père, le Dieu - le giron chaleureux où l'âme se recrée. D'autres nouvelles prennent leur essor dans un fantastique presque truculent : ainsi le dormeur du Veau de plâtre qui sort du sommeil par la mauvaise porte et s'aveugle d'un monde soudain

blême, distant, devenu néant d'un monde. Les mots, les rythmes, les reprises et redites, qui scandent un texte au," échappées trompeuses, concourent à donner au livre son véritable ton : une ironie grave, un humour envoûtant, mais haché, mais syncopé, humble ou souverain, qu'il faut poursuivre au défaut de la phrase sobre, au détour de la page grandiloquente, quand il ne s'épand pas soudain avec une singulière sévérité. Ainsi se prolonge le jeu guerrier, fantasque, toujours recommencé des mots et des signes, jusqu'à l'Anagramme final. Cherche-t-on alors une bonne fois à décrypter Dieu? Mais l'ouvrage entier est cette recherche du « pré-

L'éternel vagabond Romain Gary

La danse de Gengiz Cohn Gallimard, éd. 280 p. Romain Gary, livre le premier tome de ce gigantesque roman cosmique qu'il annonçait dans le manileste « Pour Sga. narelle », où il exprimait ses idées sur la littérature, et sa philosophie un peu disparate. Dans la Danse de Gengis Cohn, il a voulu fustiger l'invincible nostalgie qui pousse l'humanité à embrasser tous les systèmes et toutes les doctrines qui semblent prometteuses.

La farce est un genre qui permet d'affronter la plus terrible ~éalité, peutêtre de nous en délivrer. Une terreur rétrospective et sacrée, devant le massacre perpétré au cours de la dernière guerre, inspire à l'auteur une démesure et un dégoût qui se muent en sarcasmes. L'auteur a voulu écrire un roman pi· caresque, où les aventures de l'Humanité, de la Démocratie, de l'Histoire sont représentées comme un opéra.bouffe, ou un numéro à transformations, tel que les troupes ambulantes les animaient sur les tréteaux des cafés.concerts bavarois, afin de faire le délice des brasseurs de la Lorelei. Le Picaro est l'éternel vagabond, qui promène un miroir le long du chemin, où se reflètent les grimaces, les singularités des pays qu'il visite : dans une taverne, un estaminet, une échope de marchand, dans une gare ou un cime· tière, ce déraciné provoque des incidents qui ont un pouvoir révélateur sur la nature des choses et des êtres. Neveu de Rameau ou Don Quichotte, bouffon, chevalier ou trouvère, cet aventurier sans frontières, utilise la ruse, la rouerie, les mille ressources de Sganarelle, pour poursuivre son chemin, et ce faisant, souligner les travers, l'absurdité des institu· tions et des mœurs. En transgressant les lois, sans les affronter, le picaro gagne sur les deux tableaux : il ruine les fondements sociaux, en en dévoilant l'absur· dité fondamentale, et se dérobe à la ri· gueur des lois. Ici, le rôle de Picaro est tenu par un « Dibbuk », ce mauvais esprit ·qui dans la tradition hébraique, prend possession d'un homme. Fable philosophique, peuplée de symboles où, comme dans les Racines du Ciel, l'auteur veut montrer l'éternel tourment d'une humanité en proie à tous les pru· rits du spiritualisme, et qui, ' faute de savoir trouver des nourritures spirituel: les qui pourraient apaiser sa hantise de l'absolu, recherche dans tous les opiums de l'idéologie, dans les doctrines, dans tous les messianismes dévoyés, un remède à cette nostalgie insatiable.

La Quinzaine littéraire, 1"' au 31 août 1967.

nom» de Dieu, c1est-à-dire de l'inspiration première, de la pulsion initiale du souffle initiatique qui jaillit de l'individu tout seul qui connaît enfin ses pouvoirs. L'œuvre, on le voit, est ardue, elle communique peu malgré de fallacieuses séductions, elle est difficile à poursuivre en ses méandres, et pourtant on la poursuit avec une attention passionnée. Hélène Cixous s'est aventuréè, avec cet étonnant premier livre, dans tous les domaines lyriques et imaginaires par un chemin unique, une voie qui n1est que d'elle. On dirait ainsi qu'en ·~e joignant au concert de la littétature, elle a changé le la.

Rémi Laureillard

Tout-Rome Lily, la ny~phomane d'une maléfique et indestructible beauté, que tourmente un appétit dévorant, entourée de chevaliers-servants, dont la dévotion et les hommages sont impuissants à combler l'exi· gence démesurée, représente une Alle· magne mythique, cette Ondine des Niebelungen, émue par la nature, ili musique, l'art, avide de respirer l'encens des religions de la poésie, de la philosophie, mais que son hystérie sans cesse renais· sante, précipite toujours un peu plus en avant dans les convulsions de la violence. Lily, Messaline de l'Histoire, incarne une humanité prête à s'offrir, contre les deniers du rêve, à toutes les doctrines qui nattent son incoercible pro· pension à l'asservissement, à la soumission, qui est prête à se prosterner devant de nouveaux autels, fussent·ils comme les bûchers de l'Inquisition, dressés pour des autodafés expiatoires. Ses amants sont Wagner, Holderlin, Rilke, Nietzsche, qui, en fortifiant son inclination pour l'apothéose - et l'extase, lui · ont inspiré le goût insensé des pompes et des massacres. Le génocide de la Diaspora devient le symbole même de l'aberration qui saisit périodiquement une humanité en délire, torturée par des mythes déformants, aveuglée par son utopie, par les constructions mensongères qui depuis des millénaires sont proposées à son i4ôlatrie ou à son exécration. La mauvaise conscience de l'Allemagne devient celle de l'humanité toute entière. Son « Dibbuk », ce mauvais génie, l'âme d'un juif exécuté à Auschwitz, vingt ans plus tôt, installée dans le subconscient de son ancien bourreau, assiste au cours d'une enquête policière que mène celui-ci, devenu depuis, commissaire de la Ré· blique fédérale, aux' recherches effectuées pour retrouver Lily, cette grande dame à qui les hommages, si exorbitants soient· ils, ne seront jamais d'un prix trop éleve. Les idéologies, selon l'auteur, sont le produit de la culture, elles n'ont pu exercer une telle influence qu'auprès d'une humanité, que son passé et la civilisation disposent naturellement à en· tendre leur message. Le succès des doctrines totalit!lires, les égarements du nazisme, représentent les formes extrêmes de la déviation culturelle qui montrent que la civilisation est incapable de redresser la nature de l'homme. Les effets de Romain 'Gary' sont particulièrement voyants et faëiles. A ceux qui feraient grief à l'auteur d'utiliser des procédés sommaires, à ceux qui reculeraient devant l'énormité de certaines fi· celles, l'auteur pourrait rétorquer que les impostures de l'Histoire sont d'une grossièreté telle, qu'il est temps de les démasquer par tous les moyens. A. C.

Georges Conchon L'apprenti gaucher Albin Michel éd. 299 p. Qu'apprend donc cet « apprenti gaucher » ? A se servir de sa main gauche ? A devenir « homme de gauche »? A ê~re tout simplement gauche? On ne sait. Mais le roman est là, plaisant, alerte, plein d'un humour bonhomme, gouailleur ou malicieux, scintillant de tous les clinquant d'un Tout-Paris ou d'un ToutRome que composent ces gens de lettres, <;le cinéma, journalistes et critiques, souvent nommément cités ... Une trinité domine ce petit monde : Bernouiller, bel homme de trente ans, aimé des dieux et des femmes, doté de tous les dons, véritable homme.orchestre, qui, metteur en scène de cinéma, s'ap. pelle Godquin, et romancier, Despard. L'idée séduit, propice à d'intéressants dialogues intérieurs entre le cinéaste et l'écrivain, qu'interrompt parfois le simple citoyen de_ l'état civil. En vérité ce héros en trois personnes, tyranneau et bourreau des cœurs, inspirerait une sa· lutaire répulsion, s'il n'était ce • mannequin » charmant, sans autre esprit qu'une modeste suffisance et -qu'une culture faite de citations disparates, comme au cinéma. Tout le roman semble ainsi vouloir gentiment clapoter, on n'éprouve guère les grandes lames de fond de L'état sau· vage, mais un friselis léger fait d'amou· rettes sans lendemain, de gros chagrins vite consolés qu'accompagnent de faux suicides annoncés par télépathie et des coups de feu perpétrés par des cornus magnifiques et doux qui retentissent com· me les pétards des fêtes foraines. Cependant, par.delà ces mille et une facéties, les sourires à fossettes de ce bel ennuyé, les soucis frivoles ou obscurs d'un « play boy » à la trentain" trop bien gréée, on découvre peu à peu l'interrogation grave et même poignaute de l'écrivain Georges Conchon. Tout en maniant les multiples ficelles de ses per· sonnages, le meneur de jeu ne sait se défendre contre une certaine tristesse d'état, d'un état qui n'est · ni sauvage, ni civilisé, mais simplement humain. A faire voleter tous ces éphémères, ces pas· sions d'un jour, ces émois d'une heure ou d'une minute, Conchon s'égare, pru. à son propre tourbillon. Sans cesse il fa it de l'air, de crainte qu'on puisse, par vaine et dérisoire méchanceté, épingler sous la loupe ses créatures papillonnantes. Luimême se retire bientôt furtivement de la ronde. Et quand viennent les dernières pages du livre, paroxysme bouffon, que s'embrouillent tous les fils de ses ma· rionnettes, l'auteur n'est plus là, déjà parti, absent, en fuite, - ailleurs ...

R. L. 1]


, De Joyce a Svevo

L'exil volontaire

Jean.Pierre Abraham Armen Le Seuil éd. 160 p. En breton, Ar· Men signifie la pierre. !\rmen est aussi le nom d'un phare à wx kilumètres au large de l'île de Sein oU ]' ~uL"ur de ce récit a été gardien pendant uu long hiver. Il a volontaire· illent choisi cet exil. Une retraite plutôt, uu 1'011 peut d",<cendre en soi. Pour trouver quoi? Un calme insolite, dîl peut.être à un rythme inéluctable, l'angoisse aussi, la beauté. mais tout cela co=e mis à plat. dépouillé de toute contingence. L'au· teur écrit pendant ses veilles debout à l'établi, le dos contre l'un des piliers de fer qui soutiennent la cuve à mercure et l'appareil optique. Quel étrange moine mécanicien, dans un désert de vagues, de courant, de vent et de brumes! L'al· lumage et' l'entretien du fen sont autant de cérémonies rituelles. Le phare contient une multitude de poignées et de plaques de cuivre astiquées au chiffon doux avec une obstination d'esthète. Les parois vit'rées de la lanterne doivent être claires et nous apprenons avec un sourire que les marques oubliées par le chiffon s'appellent des « dimanches ». Armen a trois gardiens qui y séjournent deux par deux, retournant à terre tous les vmgt jours. Il y a Martin, au visage bleu et gris argent, à l'éternelle casquette où se cache un crâne haut et blanc sur lequel pendent quelques longs cheveux. Clet, le second, a toujours peur de quelque chose : la sirène de brume pourrait ne pas marcheJ:... Jean-Pierre Abraham, le na:'i'ateur, ne peut plus regarde!' la mer, il ne peut plus non plus entendre le ressac la nuit; il essaye de se perdre de vue et un jour, monté « dans la lanterne, j'ai tourné lentement avec le feu, m'appliquant à demeurer dans la zone d'ombre, derrière les trois panneaux éblouissants. On ne peut être plus invisible ». Il a choisi d'habiter une lampe, on pourrait - presque dire une perle, car il aime les perles, celles de Vermeer par exemple. Il a gardé avec lui trois livres: un album sur Vermeer - dans lequel il a épié les visages, celui de la Jeune Fille au turban surtout. Dans ces tableaux il ainle « l'air devant le mur du fond » et puis la brume et ces femmes-lampes. Son deuxième album contient des photos d'un monastère cistercien où, pendant des nuits, il s'est enfoncé jusqu'à entendre le bruit des pas des moines sur les dalles. Les gardiens de phare, eux, chaussent des sabots. Le troisième livre : des poèmes de Pierre Reverdy. Il les connaît par cœur. En décembre il se demande « qu'est-ce que je fabrique ici? » Il refuse la sérénité. En janvier, il refuse son congé à terre. En février, la sirène hurle. En mars, la tempête défonce la porte d'entrée, inonde tout... Puis le printemps arrive et le grand nettoyage, les gardiens sortent des brosses, des grattoirs, des décapants, des pots de peinture, ils s'agitent avec hâte et plaisir. Jean-Pierre Abraham avait déjà publié un court récit : le Vent. Il aime se promener dans les mots tout en restant lui-même immobile. Dans son phare, nous raconte-t-il, il a illustré avec des mots des dessins d'un de ses amis sur la mer. Il éc~it juste, des phrases courtes, épurées au maximum, parfois raides et malhabiles. Un sérieux sans âge, une poésie sans lyrisme. Ce livre est co=e une plaque de cuivre . bien .astiquée où l'on peut rega!:,der l'ombre du reflet d'un visage. Marie-Claude de BTunhoff

Nino Frank Mémoire brisée Calmann-I..évy éd. 320 p_

Nino Frank n'est pas de cette sorte de pêcheurs dont les souvenirs ont une taille extravagante. et improbable; si sa mémoire est bonne, précise, fidèle en maintes années, elle n'est pas ce monstre qui se souvient, à quarante ans de distance, de la suite exacte des jours, des couleurs du ciel, contenu intellectuel et nuance sentimentale. On ne trouvera pas dans Mémoire brisée une de ces résurrections continues du temps passé, belles et cohérentes comme un roman victorien; Nino Frank, qui a soixante-trois ans, est né à Barletta, en Italie, mais vit en France depuis 1926. Homme de cinéma (scénariste et critique), traducteur de Pavese, de Zavattini, il fut, avant cela, le correspondant parisien de 900 la revue de Bontempelli et le co-fondateur de Bifur, avec Ribemont-Dessaignes. Il avait déjà, dans Petit ' cinéma sentimental, esquissé quelques souvenirs. Ceux qu'il rassemble aujourd'hui sont plml graves, tout en restant d;une grande légèreté appa· rente. Nino Frank trace des portraits de Max Jacob, qui fut, en 1926, le premier à l'accueillir en France, de James Joyce, de Cendrars, de Malraux, et il évoque aussi, plus rapidement, Samuel Beckett, Italo Svevo, Max Reinhardt, Gottfried Benn, Georgio de Chirico, Alberto Savinio, Mac Orlan. Aucune complaisance pour les modèles, et encore moins pour soi; une approche précise, rapide, qui se veut limitée, et qui va loin. La vérité de certains des traits de Nino Frank, de quelques formules, la vérité de son long regard attentif (comme un film qu'il aurait tl.'urné jadis, qu'il développerait aujourd'hui, ne gardant que les imat:ves lisibles) beaucoup de ceux qui ont connu l'un ou l'autre ou plusieurs - des hommes cités llOurront en témoigner. Mais le lecteur trouvera cette garantie inutile : il voit et sent passer la vie, rappelée, réanimée, sans une hésitation dans la voix, avec une justesse constante. Pas de grands mots, ni de cris, ni d'extase; des silences, et une grande discrétion sur les «secrets» des amis et modèles; tant mieux : pour les secrets, il y a la police, les enquêteurs de magazine, et la famine potins; pour le lyrisme et les plaintes cadencées sur la fuite du temps, qui on voudra. Nino Frank nous livre ce que la vie nous donne (ou nous laisse) : des commence, ments, des esquisses, des morceaux, des rencontres et des départs; s'il est à l'aise pour passer d'un projet de duel entre Un critique d'art et un peintre (le récit est un chef· d'œuvre d'humour, une comédie toute faite) à un voyage en Espa. gne (tant que M. Franco sera là·

bas en poste, N. Frank peut « se brosser» pour être traduit dans la langue de Lorca), à une évocation du baron Mollet, c'est sans doute parce qu'il ne prétend pas imposer une unité à tout cela - qui fut un peu, ou beaucoup, de sa vie. Cette vie (toute vie) étant baroque, le plan du livre est, lui aussi, brisé, avec des interludes, savoureux et grinçants, où Nino Frank ironise, passe pour un bref instant devant le rideau avant que celui-ci ne se lève. C'est dans ce baroque, ce manque de « savante » ordonnance, dans le style aussi, à l'image de ce qu'il peint ou aBalyse, avec des coquetteries, des reche~ches (pas gratuites), des scintillements heureux, - c'est dans tout cela, cette saveur franche et acide, que tient le charme du livre; et c'est par tout cela qu'il nous touche, autant que par ce qu'il nous apprend sur Joyce, Cendrars ou Malraux, qui Ji'est pourtant pas négligeable, étant de première main et net de toute arrière-pensée. Rencontre d'une époque? Non, retouches et additions au portrait, toujours à reprendre, d'un morceau d'époque. Mais rencontre d'un ton, et d'un homme. Il semble qu'on

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_.

même homme, penché sur son passé avec une attention discrète, nous donnant à voir quelques photographies de son album. « Tel était Max Jacob en 1926, à Saint-Benoîtsur-Loire, tel était ... » Ce ton est celui d'un homme qui, pour avoir à plusieurs reprises (voir Monsieur Lilas) tutoyé la mort, sait tutoyer la vie et la surprendre, la saisir au vol, la fixer, en portraitiste adroit, en moraliste serein. « La pensée n'est pas mon fort ... Tenonsnous-en à l'anecdote» écrit-il quelque part. Et le livre porte ce sous-titre : anecdotiques. C'est façon de se détacher, et modestie si l'on veut. Mais si les anecdotes sont là, nombreuses, neuves, serties dans les cadres qu'il faut, elles ne font pas la vraie substance du livre, dont le poids est dans une analyse non pas involontaire mais indirecte et discontinue de la rela. tion du créateur avec son œuvre. Il faut lire ce que Nino Frank écrit de Joyce au moment où s'acl~ève Finnegan's Wake, lire aussi son témoignage sur Cendrars, dont il a vu les deux grands moments d'invention, et leur nature, un commencement et un recommencement, les premiers grands

....

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Nina Frank.

puisse reconnaître ce ton comme unique, sans dire qu'il soit un : la voix ne parle pas toujours sui· vant le même rythme et elle change (rarement attendrie, jamais tendre quand il s'agit du narrateur, ferme et amicale, parfois dure et, quand il le faut, sachant donner au mépris une force de fer rouge), elle change mais elle est toujours celle du

poèmes (Transsibérien, Pâque5 li New York) et le massif autobiographique des années 40, dans une lumière neuve. C'est dans ces pages qu'il donne la mesure de son talent d'essayiste. Mémoire brisée, essais brisés. La vérité n'est ni triste, ni gaie : brisée, et sans discours qui la remplace. Gübert Sigoux


ROMANS ETRANGERS

Une éducation sentimentale

L'éternel dialogue

l'aspect aussi bien psychanal)'tiqUf.· que sociologique du drame qu'il évoque, mais ce ne sont là que règles du jeu qui lui permettent d'avancer ses pions, de préparer ses coups, de nous les rendre suggestifs et émouvants, bref de mener en bon tacticien, en même temps que dans la plus totale insécurité, une passionnante partie d'échecs.

Giorgio Bassani

Giorgio Bassani Derrière la porte trad. de l'italien par G. Genot Gallimard éd., 292 p.

A ceux qui pourraient penser qu'à l'instar du roman, le récit est aujourd'hui à l'agonie, je conseillerai de lire ce livre. Ils y trouveront ce qu'ils étaient sûrs d'y découvrir et qui, de ce fait, les décevra : à savoir, la narration d'une éducation sentimentale - ou plutôt sexuelle - ratée, comme il en existe tant depuis que la littérature s'intéresse à l'adolescence. Le plus simplement du monde, sans excès d'aucune sorte, ni de scandale ni de pudeur - la réserve quand il le faut, les mots crus lorsqu'ils s'imposent - Giorgio Bassani raconte une banale histoire de collège dans le microcosme de laquelle se reflète l'ensemble des lois qui régissent la société, elle-même régie par la nature. Je ne lui vois point d'autre ambition. Mais, premier signe à relever, cette œuvre ne plonge qu'indirectement ses racines dans le souvenir vécu. Elle ne doit rien à la nostalgie de la jeunesse perdue; puis retrouvée par la grâce d'un certain talent. Je la croirais plutôt construite et inventée de toutes pièces, non pour jouir de quelque imaginaire passé, mais pour comprendre un très réel âge de la vie par le moyen de la fiction : le seuil de l'existence adulte et comment il se fait que parfois ce seuil n'est jamais franchi et qu'ainsi que l'indique le titre, on reste « derrière la porte ». Plutôt que la remémoration, Bassani pratique ici l'art en apparence plus commun, mais en vérité plus complexe, de la perspicacité à distance. Second sujet d'étonnement, il ne le fait pas en psychologue. Ni le commentaire introspectif, ni l'application d'une quelconque théorie scientifique à un problème qui pourtant s'y prêtait ne l'intéressent. Certes, on le seut attentif à

A travers ses jeunes personnages qui eux ne savent ni ,ce qu'ils sont ni ce qu'ils font, Bassani nous rend évident la foncière inégalité de situation et de comportement qui caractérise les rapports humains. Tel, qui paraissait faible et mis au ban du groupe, est en vérité, par Ja ruse et la connaissance qu 'il po~­ sède des dessous érotiques de la société, un tentateur très puissant. C'est le cas de l'élève Pulga à qui le narrateur accorde sa protection alors qu'en réalité tout le destine à subir, et jusqu'aux pires avanies, l'ascendant de cet avorton sagace. Tel autre appartient déjà à la race des importants dont l'avenir correct est tracé, professionnel et familial. Or, ces beaux dehors dissimulent la volonté hypocrite d'écraser tout ce qui ne relève pas de son clan. C'est le cas de l'élève Cattolica . qui, feignant de sauver le narrateur de l'emprise de Pulga, le précipite au contraire dans la géhenne des réprouvés. Quelle voie choisir ? Celle des justes qui entendent ignorer toute vérité gênante ? Celle des parias qui détiennent la vérité cachée ? Désabusé mais hésitant, certainement lâche, le narrateur ne se décide pour aucune à l'heure où lui tombent des yeux les écailles de l'innocence, et ce refus de décision est ' ce qui semble déterminer sa vie sexuelle à venir, probablement peu orthodoxe. Dans un monde si équivoque où l'impur Pulga promet le salut, la révélation de la vie telle qu'elle est, où le pur Cattolica n'est qu'incompréhension et cruauté, il demeurera lui aussi en l'état équivoque de celui qui refuse d'opter et s'en voit interdire le droit. « Derrière la porte », encore une fois. A ne pas agir, il arrive qu'on agisse, et à n'avoir pris soin d'écrire qu'un ' récit traditionnel, qu'on en dise plus que beaucoup d'autres. Si bien que, finalement, cette œuvre traduit une ambiguïté qui est celle du vrai classicisme, sa clarté pour se défendre étant, comme aurait dit Gide, une très « spécieuse ceinture », et baigne dans une ambiance de regret, de subtile fatalité qui font sa force et son charme. On comprend toujours trop tard. Peut-être aussi qu'un Juif riche ce qU'C.5t le narrateur - n'a jamais de pierre sur quoi fonder l'édifice de son univers intérieur. Cette solitude est poignante. Georges Piroué

La Quinzaine littéraire, 1 er au 31 août 1967.

Giovanni Dus;

Giovanni Dusi Ma femme Le Seuil éd., 256 pages.

Un homme et une femme: le narrateur, moi qui parle et elle ... ma femme. Le roman saisit le lecteur à ce moment de crise et de dissolution, ultime phase de l 'histoire d'un amour. Un couple se voit dans l'obligation présente de résoudre un passé lourd d'exigences déçues et « de l'Î1uJttentWn, de la cécï'té, de l'opacité de l'habitude ». Un malaise croissant les masque l'un à l'autre. C'est le temps de « cette cruelle obscurité qui accompagne tous les désaccords ». En trois étapes dont chacune développe rigoureusement son argument et sa conclusion, le récit décrit une succession de figures où les lignes - personnages en mouvement convergent, divergent, convergent à nouveau, se coupent ou se superposent en une confusion des sentiments, en une multitude d'attitudes contradictoires et souvent incohérentes, en une suite de situations difficiles ou inutiles, en quelques actes irréversibles. Le narrateur, incapable d'imaginer un instant qu'il n'est plus l'homme de ses rêves, pousse Luisa, par vanité, dépit, peur, ,- complaisance, provocation brutale ou insidieuse, défi, ironie, égoïsme retourné contre lui-même, à un adultère qu'il redoute plus que tout. Pour placer son drame à un autre niveau que celui de la jalousie, son imagination se plaît à engendrer un rival qu'il parviendrait à dominer si sa femme ne lui donnait tout à coup les traits réels d'un de leurs amis. Une suite confuse d'indices, de symptômes, conduit peu à peu le narrateur dans une enquête qui, alors même que, verbale, elle devrait surmouter une crise, policière, fixe cette crise à son coIlli.,le. Luisa lui avait avoué qu'elle ne l'aimait plus. Il sait maintenant qu'elle le trompe. Devant l'échec de toutes 'ses tentatives, de tous ses rôles, de sa bonne volonté, de sa' conscience prisonnière

d'un « théâtre» (où la lucidité dramatise les moindres actes), une dernière solution est envisagée : « voici donc la seule chose à tenter, la seule direction où s'engager: je dois inventer et créer, pour Luisa comme pour moi, une nouvelle histoire. » La dernière phase amorce une sorte de reconquête par le, langage où, à nouveau, la parole du narrateur enchante sa partenaire et s'offre, solution idéale, à résonner en elle en écho. A côté du seul dialogue réel, mise en cause et duel où s'opposent le « je » du narrateur (monologue par lequel il se dit lui-même) et le « tu » auquel sa femme l'affronte (et le décrit tel qu'elle le voit), se dévide un dialogue rêvé, substitut du dialogue impossible. Impossible, le dialogue peut seul être l'obligatoire « point aveugle où converge le récit» d'une communication suspendue : « en vérité, tout cela fait partie de l'éternel dialogue avec ma femme, un dialogue que je n'arrive plus à interrompre, auquel je rapporte tous mes actes et mli!S pensées » ... « le dialogue solitaire continue avec les personnages muets et désormais dociles qu'engendre mon esprit. » Le faux présent qu'est ici le présent de la narration, tente de combler le vide où se débat le monologue: « le me sens vivre dans mon absence », confie le narrateur qui rend par là encore plus concrète pour le lecteur l'absence presque continue dans le récit de celle à qui il s'adresse. Les mots, jusqu'ici impuissants, véhicules de surdité, de silence et de ressassement, seront seuls requis pour sortir de l'impasse. Le recours aux mots pour réinventer le dialogue fera fonction de véritable recours en grâce. « Dès que Luisa revient, et que je recommence à lui parler, je devine que m'en remettre aux mots est le seul moyen dont je dispose pour l'amener à nous redécouvrir. Même si nous nous entre· tenons d'autre chose que de nous et de nos problèmes, parler est mon seul moyen d'atteindre ma femme ... Et c'est ainsi que l'histoire de notre ~ 13


~"

Deux ' femmes

L'éternel dialogue

vie va devenir des mois durant l'histoire de nos conversations... C'est au cours de nos dialogues que Luisa devient vraiment cette femme nouvelle que je cherchais. » Par le rejet de ce recours en grâce, le texte dit, à ce moment de l'histoire où il s'articule sur une autre donnée que celle du banal malentendu, qu'il n'a rien de commun avec un type de littérature romanesque facilement assimilable à la presse du cœurl . Après l'échec de la parole inventée, le vrai problème, le seul, celui de. la communication se déplacera vers l'écriture, dans une série de lettres. Le narrateur s'en va. Ce lieu où se perdaient leurs mots s'écrit enfin en un point de correspondance où l'attente, acceptée comme fin, mesure et comble la distance que la présence de chacun donne volontairement à l'absence de l'autre. La convergence attendue tout au long du roman se trouve ainsi différée au seuil d'une séparation peut-être indéfinie. L'unité annulée fonde paradoxalement la seule preuve d'existence de ce couple. Et la dernière lettre du narrateur à sa femme termine ainsi le roman : « Il me suffit de savoir que tu existes, que tu es là... ,Voilà ce qui reste de notre amour : le sentiment de ton existence demeure pour moi l'ultime sentiment d'exister. » Cette enquête textuelle rappelle en bien des points la N otte de M. Antonioni. Giovanni Dusi a su éviter les écueils d'une première œuvre et c'es.t en fin de compte un roman qu'on peut lire d'une traite, pour le plaisir de plonger dans un univers romanesque bien .;;onstruit, ou par étapes, pour le plaisir d'analyser une situation où chaque couple un' jour se retrouve.

Costas Tak.tsis Le Troisième Anneau trad. du grec par J. Lacarrière Gallimard éd., 272 p.

Deux vies parallèles, puis entrelacées : celles de deux femmes. Athènes et Salonique pour arrièrefond. Technique du monologue intérieur. Les voix se répondent en canon pour conter mariage,

A.-R. Fouque 1. «Elle croyait qu'elle ne l'aimait plus parce qu'entre eux s'était installé un grand silence, ce silence qui .provoque tant de malentendus. » (Nous Del"'; N° 1.001.) '

m'autorise à me marier une quatrième fois, je me sens capable de prendre un quatrième mari ! Ne fût-ce que pour t'en faire crever ! » La chronique est menée sur un rythme vif et, autour des deux récitantes, vivent, vieillissent et meurent une bonne vingtaine de parents et de comparses. Ces existences nous sont contées avec minutie et sur une durée qui va presque de la naissance à la mort. P ar ce biais, l'événement pa-

Une rue de Salonique.

mort,naissances, remariage, en raÎt toujours fatal: ce qui pouvait somme le lot commun. ' Nina, .arriver, considéré sous l'angle de l'Athénienne, aura trois maris dont la mémoire, devient ce qui devait arriver, perspective avec ' laquelle l'un révèle pendant la nuit de nonous entrons volontiers en sympaces des penchants homosexuels, thie car le héros est victime. La dont l'autre sera un homme âgé, frappé d'hémiplégie, ' épousé par . prenuere personne du singulier intérêt, au demeurant le mieux des vient renforcer le sentiment de trois. Ekavi représente la petite- l'inéluctable en l'appuyant sur bourgeoise, proche du peuple. Elle l'ambiguïté d'une confidence. A sera accablée de malheurs domesti- v~us seul, je dis ... , souci de franques auxquels elle fait front avec chise plus ou moins rusé qui déun . optimisme sans défaillance. Au termine curieusement le passage à terme du récit, qui embrasse un l'imaginaire. Rien de plus équivodemi,siècle. Nina confie à sa fille que, si l'on peut dire, que cette qu'elle déteste : ({ Que l'Eglise voix confondue sans peine avec la

nôtre et avec laquelle nous entrons en connivence d'une manière presque jmperceptible, comme en reve, un rêve qui déroulerait une parodie du réel. Là réside le pouvoir de la fiction. L'écriture mime le discours omrique auquel nous adhérons sans réserve. En outre, les héros de ce type présentent d'une certaine manière une image exemplaire de la réalité. On voit le paradoxe : que l'imitation est . nécessaire, mais qu'elle soit si juste que l'on éprouve le sentiment impérieux du flux même de l'existence. Alors le romancier a bellu s'attarder, il nous passionne. Je pense à la remarque de Charles du Bos en marge d'Anna Karénine : ({ C'est ainsi que parlerait la vie si elle parlait ! » Le romanesque apparaît comme une transmutation du temps pour fonder une historicité factice. Toutefois, d'aussi grands modèles que Tolstoï ont un côté écrasant dont il serait injuste d'abuser. Notons seulement ' que nos deux héroïnes n'atteignent pas à l'image exemplaire. Pourquoi ? Sans doute parce que l'auteur a . déplacé peu à peu le centre d'intérêt, l'a orienté vers la réalité grecque en général, vers la condition inférieure de la femme dans . les pays qui touchent au monde de l'Orient. Un roman social s'inscrit en filigrane dans la trame des destinées individuelles : le sort de la moyenne bourgeoisie, celui de la . petite, qûi se confond avec le peuple, celle des rez-de-chaussée et des sous-sols d'Athènes où, de l'aube à la nuit, tailleurs, couturières, artisans s'Ileffairent dans la poussière, la chaleur 'i ,entre l'icône et le poste de radio qui dispense les ({ bauzoukis » à la mode. Le tableau est fidèle et attachant, sur la voie du naturalisme. Ce glissement intervient lorsque la personnalité centrale d'un livre manque de ce que l'on pourrait appeler la force mythique. Déficience que l'auteur a su tourner, avec talent, à son pr.ofit. Robert André

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PABU A L'ÉTRANGER

Arno Schlllidt ou la • raison ardente Arno Schmidt Trommler beim Zaren Karlsruhe, Stahlberg éd., 365 p.

Arno Schmidt ne cesse de nous étonner. Chacune de ses œuvres, brève ou longue, est une découver· te. Le volume qui vient de paraître ré!.lnit 42 textes : 23 sont des ré· cits, le reste, des textes critiques mais ces derniers occupent environ les deux tiers du volume : c'est dire si les récits sont brefs. C'est dans la brièveté qu'Arno Schimdt donne toute sa mesure, et même ses grands romans donnent l'im· pression de la concision grâce à leur prose axiomatique, à leur tech· nique de collage et d'agrégation, qui répond à la théorie de la « re· production conforme» du monde : celui-ci n'est jamais saisi dans son entier, mais par fragments. Procé· dant de Stifter, Schmidt refuse les grands sujets épiques pour se consacrer , au détail, à l'humilité de la vie quotidienne. Ce qu'il loue dans l'œuvre de LaWl"ence Sterne, c'est « une myriade. d'observations microscopiques des plus fines et des plus nouvelles, qui, avant lui, n'avaient jamais été fixées ; (prises dans la vie quotidienne d'ailleurs, uniquement dans la vie quo· tidienne, ce qui est une caractéristique infaillible de l'écrivain vraiment grand) ». Si l'on accepte ce critère, Arno Schmidt est « vraiment grand». Quelques-unes de ses brèves nouvelles, d'une densité et d'un humour explosifs, resteront des pages d'anthologie. Ainsi le Tambour du Tsar, dans laquelle un camionneur raconte, en un truculent dialecte, comment il a passé, au nez et à la barbe de tous les contrôles, un autobus en R.D.A., ou bien l'histoire de ce chirurgien numismate qui « soulage » (aux deux sens du mot) un autre numismate, lequel avait, pour passer la frontière, avalé vingt monnaies anciennes de grande valeur. Ou encore Rivaux, plaisant récit de la naissance d'un amour entre un historien et une jeune artiste peintre. Et surtout, les Histoires de Stürenburg. Reprenant une vieille tradition, Schmidt imagine un ingénieur géodésiste en retraite qui, chaque soir, devant un cercle d'amis, évoque ses aventures. Il n'yen a (provisoirement, nous laisse espérer Schmidt) que sept, et l'on reste sur sa faim tant elles sont belles. Jamais Schmidt ne s'était montré aussi plaisant, aussi aimable, que dans .ces histoires incongrues où le mystère (toujours expliqué) voisine . avec l'humour et la mélancolie. Il semble que la violence, la hargne même qui l'ont rendu célèbre et redoutable, se soient apaisées, de mê· me 'que s'est estompé le caractère arotique. Non que le livre soit pauvre en attaques contre ses bêtes noires (les plagiaires et les mauvais traducteurs, les paysans et les professeurs, le sabre et le goupillon).

mais elles sont moins massives que d'habitude. Ce sont plutôt des poin. tes, certes acérées, que des attaques de grand style. De toute façon, toujours il dévoile. Dans le Tambour du Tsar sem· ble dominer une sorte de tendresse pour la créature - tendresse qui, bien sûr, a toujours existé : l'œuvre de Schmidt est peuplée de personnages humbles ou malheureux, de femmes disgraciées (guerre à la pin-up !), de personnages historiques poursuivis par la fatalité (que

/lmo

lui un rôle de premier plan, et ce n'est pas pour rien qu'il a fait de son Stiirenburg un géodésiste qui lui ressemble comme un frère. Il n'a que mépris pour ceux qui n'en· tendent rien à ces sciences, et l'une des pages les plus amusantes du Tambour du Tsar est celle où il démontre, preuves à l'appui, que la scène de l'adieu dans Werther (9 septembre 1771) n'a pu avoir pour témoin le fameux clair de lune, puisque ce soir·là la nouvelle lune avait disparu en même temps que

Schmidt

cette fatalité s'appelle Eglise, Etat, le soleil. « Et ça veut êke des clas· ou société), de poètes maudits (nous siques !» soupire-t·U. Pour lui la précision, dont il est rencontrons cette fois .Fabre d'Eglantine). Nous retrouvons les un fanatique, va de pair avec l'honpremiers dans le micro-univers des nêteté intellectuelle~ En commennouvelles, petites gens qui vaquent çant par la précision langagière : à leurs occupations ou chevauchent rares sont ceux qui sachent critileur dada, et,. que l'auteur observe quer une traductiQn -I:omme il le d'un œil à la fôis critique et indul· fait (sa « démolition» de la tragent. C'est l'un de ces personna- duction allemande d'Ulysse est enges, à peine entrevu, qui fournit core dans toutes les mémoires) ; il son titre au livre (on sait que les est un adversaire déclaré de l'etc, titres d'Arno Schmidt proposent qu'il malmène joliment dans la Résouvent une énigme) : dans l'au· publique des Savants. D'autre part, berge de routiers où le narrateur tous les écrivains obscurs, oubliés se rend souvent parce qu'on y ren· ou simplement méconnus qu'il a contre des gens « qui ont vécu ou déterrés pour ses émissions à la raqui sont en plein dans la vie », une dio berlinoise, Ollt en commun cethabituée, du genre walkyrie, ne te rigueur intellectuelle. Il reprocesse de' répéter : « Mon père était che au Gœthe de Wilhelm Meister tambour du tsar : chez moi tout de n'avoir pas su structurer SOn livre, ou à Stifter ' d'avoir plagié est nature. » Tout est nature également chez J .-F. Cooper (l'l!ne des idoles de Schmidt, ses haines et ses amours, Schmidt) ou éludé, dans le Nachsa manière d'écrire, naturaliste si sommer, les côtés -négatifs de son l'on veut (dans la mesure où Joyce époque. Lui-même e~t posséd~ par est naturaliste), ses épanchements. cette honnêteté, et c'est de bonne La deuxième partie est consacrée grâce qu'il paie sa dette à Jules Verà des essais ou à des émissions ra- ne qui l'a inspiré pour certains diophoniques portant aussi bien sur passages de Kosmas ou de la Répu,l'éruption du Krakatoa en 1883 que blique des Savants, et surtout à sur l'astronome Gruithuisen, sur Lewis Carroll, qu'il considère comles Mormons que sur le calendrier me le « père de la li~térature moderrépublicain. Schmidt, qui se nom- ne » et à qui est consacré l'essai le me lui-même un « bibliophage », plus important de l'ouvrage. La littérature moderne dit-il, est ce bourreau de travail, cette « bête mentale », est l'un des hommes les reconnaisSable à quatre caractéristiplus savants de notre temps ; rien ques : 1. On écrit en prose (Schmidt ne lui est étranger, surtout de ce malheureusement, et c'est là son qui touche aux mathématiques et point faible, n'aime pas la poésie; à l'astronomie. Les cartes d'état- plus' exactement la grande poésie, major, lès jumelles jouent chez celle d'un Holderlin par exemple,

La Quinzaine littéraire. Z"' au 31 août 1967,

n'est pour lui que de la « bonne prose »). - 2. On écrit lentement (cf. Joyce). 3. La littérature moderne, consciemment depuis Freud, entretient avec les mots un rapport différent de ce qu'il était avant 1900. - 4. Enfin, il existe, dans la ' stJ:ucture et l'ordonnance Île l'œuvre, Ilne différence fondamentale.::ntre la forme ancienne et la moderne. Celle-là est conditionnée soeialement : elle est la « reprodu1tion d'habitudes socia· les », e~ fondée sur le rapport narrateur-auditeur (c'est justement ce que Sc~dt s'est amusé à faire dans les Histoires de Stürenburg), que ce rapport soit oral ou écrit, dialogué ou épistolaire : forme idéale, encore 'à ujourd'hui, « pour éclairer de deux côtés » une question ou un faisceau de questions. Le journal intime, première forme du monologue intérieur, amorce la seconde période ; subjective, elle est la « reproduction la plus fidèle possible de processus intimes» : le souvenir, le rêve, la « longue association de pensées » - dont la théorie, exposée dans Calculs l et II, expliquée par K.-H. Schauder (Les Lettres nouvelles, novembre-décembre 19.64), a été mise en pratique par Schmidt dans Kali auch Mare Crisium, et · par Lewis Carroll justement dans Sylvie and Bruno, ce romau étonnant où Joyce et Schmidt furent mortifiés de trouver, préfigurées, leurs propres recherches linguistiqu~s. Cette littérature est difficile. Littérature « pure », dit Schimdt, littérature de pionniers qui se fraient « à la machette un sentier dans la jungle de la langue et des « reproductions conformes» ... et... fixent de nouvelles observations microscopiques». L'autre est la littérature « appliquée» et appliquée par 99,9 % des. écrivains, « ceux qui empochent l'argent et obtiennent les prix, Nobel et autres, décernés à la médiocrité ».

ecnre ? » pour gagner quelque argent qui me permettra de poursuivre mes expériences sur la prose ? Ou pour signaler à l'attention un grand homme comme Lewis Carrol... » Ce que Schmidt ne dit pas, c'est qu'il est possédé par le besoin d'écrire, c'est sa religion : « A la base, l'agnosticisme ; sans pourtant qu'on se lasse de faire la chasse à ses propres erreurs et 1âcunes ; à part cela, travailler sans relâche. Ce qui, dans mOn cas précis, signifie produire de la littérature - ou écrire sur la littérature. » Alors,

« pourquoi

« Peut-être

Il en est très bien ainsi ; car Schmidt appartient sans conteste aux 0,10 % qui «produisent» de la littérature « pure ». Grâce à ses expériences, il mérite d'être mis à côté de Joyce, de Proust, de Hanns Henny Jahnn ; grâce à la beauté et au courage de son œuvre, il peut être considéré comme le plus grand écrivain allemand vivant. Jacques Legrand 15


ART

Estampes pré-colombiennes Georges Arnulf Vingt estampes pré-colombiennes (Arts Tolima, Calima, Quimbaya) sérigraphies en couleurs sur papier teinté, sous un carton entoilé. 40 p. grand format Diffusion Diff-Edit.

Tirés par Georges Arnulf d'un sommeil millénaire, les signes primitifs de l'art pré-colombien s'inscrive~t pour l'amateur dans une cruelle et fascinante orgie d'ocres rouges, jaunes, verts; crudités des craies, d'argile. Révélés, agraildis, ils ' gardent une silencieuse mouvance. Ils s'installent dans une aura de provocation brutale. Si une certaine désaffection à l'égard de l'estampe sanctionne la

renouvelle leur vie : la transformation des matières. Dans son liminaire aux estampes, l'artiste écrit que ces pièces, réalisées en tumbaga, alliage d'or et de cuivre traité avec des herbes spéciales, étaient réservées aux Caciques ou Chefs de tribu. Ils s'en paraient lors des cérémonies religieuses ou des manifestations guerrières. L'or n'étant pas employé en tant que métal précieux dans Je sens qu'on donnait en Europe à ce terme, mais en raison de son éclat et de sa ductilité. Nous retrouvonS cette intention de pure connaissance, de pure jouissance devant les signes mythiques tels quels, reproduits selon un procédé artisanal. Les figures des dieux, des héros, des guerriers, hommes jouant de la flûte, tenant

U'l motif pré-colombien tiré du livr" de Georges Arnulf,

beauté, comme mise à mort, des reproductions d'œuvres classiques et des lieux de grands vestiges, œla est dû à l'application à reproduire, avec des moyens qui ne conviennent pas (en d'autres temps la gravure sur cuivre, maintenant l'héliogravure et les autres procédés photomécaniques) des matières et des formes qui ne sont pas ainsi transmissibles.

leur sexe, oiseaux devenus broches, épingles, pe,c toraux et poignards existent soudainement pour nous. Et même si la signification de ces labyrinthes tracés sur les corps, de ces dessins sur les fronts, de ces coiffures nous échappe (l'histoire n'a donné jusqu'ici que peu de certitudes sur cet art) ils sont dans leur silenc~ :....- les passagers d'un rêve, d'une aventure redoutable. " Sur un _ papier teinté, spécialeEt l'on songe à André Breton ment fabriqué pour l'édition, « l'œil non prévenu» écrivant à Georges Arnulf a tiré, à l'écran de pr~pos des écorces des aborigènes d'Australie : De ce côté-là de la soie ' (sérigraphi~" si l'lm veut pochoir) des estampes étonnantes. terre, un tel document vivant peut Son enthousiasme des motifs mar- être encore - si tard qu'il soit telés, laminés; gravés à la main, du plus grand prix, dans la mesure ou fondus - en une pièce toujours où, nous dénudant les r:acines de unique ...:- selon le procédé de la l'art plastique, il ébauche en nous cire perdue des bijoux et des objets, une certaine réconciliation de d'orfèvrerie du Musée de l'Or de l'homme avec la nature et avec Bogota, l'a conduit à nous les faire lui-même. connaître avec un moyen qui Pierre Bernard 16

Katharina Otto-Dorn L'Art de l'Islam 60 pl. couleur, 120 en noir Albin Michel éd., 280 p. Ulya Vogt-Goknill Architecture de Turquie ottomane nombreuses ill. en' noir Office du Livre éd., 196 p.

« Les murs de Byzance, la M osquée du Sultan Ahmet, Sainte SO" phie, le Grand Sérail : voilà, messieurs les bâtisseurs de villes, ce que vous pouvez mettre dans vos cartables ! » Ainsi s'exclamait Le Corbusier après un séjour fait à Istambul en 1911, voyage dont il ramena des carnets de croquis parmi ses plus beaux et ses plus significatifs. De ces merveilles si souvent évoquées, il en est pourtant comme des tapis et des céramiques « de Damas », fabriqués les uns au Caire, les autres à Constantinople : , mal étudiés, interprétés avec étourderie. Les fausses connaissances et les appréciations erronées se sont si bien multipliées sur leur compte qu'en plein xx· siècle on en est réduit à' revenir au B-A BA et à réinventorier patiemment ce que fut vraiment « l'art de l'Islam ». Ainsi s'interroge-t-on à nouveau sur ce qu'il souhaitait transmettre, sur ses origines, ses nuances, son évolution... Ainsi se manifeste aussi, bien clairement, le malaise traditionnellement ressenti par l' « Occident » face à cette civilisation jadis plus florissante que la nôtre mais qui, pour notre plus grand répit, déclina brutalement après le XIVe siècle et s'engourdit ensuite dans ce long sommeil dont nous connaissons, certes, bien les réveils et les cauchemars. A lui seul un contresens résume tous ceux dont on s'est longuement accommodé dans notre approche traditionnelle de la civilisation isla~ique : rien n'est plus souvent affirmé et commenté que certaine.., prohibition du Coran à l'endroit de tout art figuratif. Or le Coran lui-même ne -formule pas clairement une telle interdiction, et si peu qu'à toutes les époques de l'art ' musulman, et dans tous les territoires de l'hégémonie islamique prospéra un art figuratif plein de suc, mais que l'immense public occidental continue d'ignorer - mIse à par! l'exception mal expliquée des , miniatures persanes. Un ohvrage comme celui de Katharina Otto-Dorn doit donc affronter une t~~Jie d'autant plus redoutable que le sujet est immense (l'Islam s'étendit de l'Inde à l'Espagne) et que tout doit y être rééxaminé. Avec bèaucoup de prudence l'auteur se soumet à l'ordre chronologique, quitte ,à revenir en arrière lorsque tel développement l'entraîne trop loin de sa ligne principale (par exemple l'ayenture des Omeyades d'Espagne, 'après l'étude des-

quels il nous faut revenir quatre siècles en arrière, en Perse puis en Egypte, pour renouer avec l'évolution >mtérieure des Seldjoukides puis des Mamlouks). Ces zig-zags sont, heureusement, à l'image même d'un brassage de styles et de cultures dont les métissages feront l'un des intérêts majeurs de l'art musulman, lui apportant cette vie subtile qui en explique ,l e charme si souvent imprévu. Alors que bien des guides touristiques et toutes les médiocres « Histoires de l'Art » ont insisté sur la « fixité » de l'art islamique, l'intérêt du livre de Katharina Otto-Dorn est de montrer, au contraire, avec un luxe déferlant de références, combien ces apparences sont trompeuses et comment des apports extérieurs sans cesse renouvelés (Byzance et la Syrie, l'hellénisme, l'art des Steppes, les traditions turco-anatoliennes, plus tard le rococo français lui-même) ont, par ' des synthèses originales, renouvelé les styles et croisé les traditions dans le sens d'une prolifération créatrice sans cesse plus grande. Elie Faure avait déjà dit, contrairement à l'opinion impérialiste couramment admise, combien les métissages seuls étaient susceptibles de renouveler l'inspiration d'un peuple en « brisant ses rythmes ». Nulle part mieux, peutêtre, que dans l'art musulman il n'aurait pu trouver meilleures justifications d'une opinion aussi révolutionnaire. De l'héritage accablant des historiens nationalistes, l'ouvrage de Katharina Otto-Dorn fait magistralement litière. Il rend notamment aux Anatoliens et aux nomades de la Steppe l'essentiel d'une périodique fertilisation créatrice laquelle apporta, à chaque changement de dynastie, l'accent imprévu dont on pouvait redouter l'absence. Ainsi l'histoire mouvementée de l'empire islamique se confond-elle en partie avec celle d'un art d'une richesse exubérante. Iconographique (image du souverain assis « à la turque » ; motif plus révélateur encore de l'animal « steppique », la tête tournée vers l'arrière), rituelle (étages des mausolées abassides, correspondant aux deux phases des rites funéraires steppiques) ou simplement artistique (images commémoratives comparables aux balbals sculptés par les Mongols), l'argumentation prolifère et, débordant largement les influences reconnues (celle notamment des céramiques chinoises) anime de manière très dynamique cet inventaire historique d'un art qui récupère ainsi sa raison d'être. On se passionnera pour l'étude très attentive qui est faite des formes d'art nées sur les marges de l'immense zone de domination arabe, créations d'autant plus significatives que l'ancienne tolérance isla1. A cette bibliographie sommaire, il convient d'ajouter aussi deux volumes publiés par 5kira : le récent Trésors de Turquie et surtout l'ouvrage fondamental de Richard Ettinghausen consacré à la Peinture Arabe.


Art de l'IslaDl

La mO$quée du Sulta" Ahmed, à Istamboul.

mique multipliait les synthèses heureuses (Arménie, Mongolie, Europe centrale, ' art espagnol mozarabe). La migration des motifs iconographiques et l'étude des évolutions techniques achèvent de faire de ce tableau d'ensemble le premier qui restitue d'un seul bloc l'essentiel de ce que l'art doit à la civilisation musulmane. , L'auteur a été amené à sacrifier quelque peu les manifestations mieux connues des arts mineurs (céramiques, textiles, ' tapis, dinan· derie) mais il trouve le fil conducteur parmi ces styles innombrables ' dans l'architecture et les formes de décoration qu'elle exige (appareils de façade, décors stuqués, revêtements divers). L'étude de très nombreux édifices (dont le musée permanent se partage entre Le Caire et Istambul) apparaît en effet comme 1t meilleure approche imaginable car elle permet dt' restituer la réalité physique d'un mo"\de qui, plus encore que par son déF ":"e décoratif, doit se définir par son sens aigu de l'emboîtement des volumes, des articulations spatiales, de ces environnements tour à tour solennels ou confidentiels qui, dans le profane comme dans le sacré" consacrent le bien-être de l'esprit et flattent au tnieux son goût de l'illusion. Tous les visiteurs de l'Alhambra ont été confondus par ce charme de l' « espace musulman ». Ces espaces recréés contre une nature généralement inclémente sont, en définitive, la clef d'un art dont le sens véritable est de nourrir et de mieux contenir l'illusion. En analysant largement quel fut le physique architectural de maints palais disparus, en montrant quelle est la séduction des ancestrales mosquées de Jérusalem, Dh..nas ou Kairouan comme de La Quinzaine littéraire, 1" au 31 août 1967.

Revêteme"t e" terre émaillée, Perse, XIIIe siècle.

leurs adr,tirables descendantes ottomanes (ces chefs-d'œuvre de Sinan cités , par Le Corbusier) ce livre fait mieux appréhender le génie resté anonyme de tant d'architectes dont seules nos « cités radieuses » semblent saisir, enfin, l'héritage. Cette approche toute sensitive de la création musulmane, il est d'autant plus passionnant de la confronter avec celle que nous propose Turquie ottomane de Ulya Vogt. GOknill. Pour historiquement limi. té qu'il soit (XIve-xvIIe siècles), cet ouvrage d'architecte, magnifi. quement expressif, n'en aborde pas moins ce même aspect essentiel du problème, avec, cette fois, les préoccupations matérielles du cons. tructeur : problèmes d'urbanisa. , tion et d'irrigation (on sait qu'une grande mO,s quée s'accompagne non seulement d'une école et d'un bain public mais encore, en Turquie, d'un hôpital et d'une auberge), problèmes d'éclairage, d'utilisation du terrain,. enfin de technique et de 'matériaux. Au cours magistral de Katharina Otto-Dorn s'ajoute ici le réalisn.e d'un ouvrage auquel une 'illustration évocatrice rend le poids 8(tendu aux édiEices tout aussi bien que leur « respiration » spécifique aux vues intérieures. Avec l'étude révélatrice des arts et littératures érotiques récemment publiée sous le titre de Sarv é Naz (Nagel éd.), avec aussi le petit manuel paru naguère sur , l~_1"ch~tee­ ture islamique aux éditions des Deux mondes, il semble que l'on sera désormais bien coupable de traiter aussi légèrement que par le passé d'un art et d'une continuité créatrice jusqu'ici trop commodément abandonnés à l'amateurisme des collectionneurs et des antiquaires. M areel M a17UJt 17


BIBLIOPHILIE

Les· originales de Montherlant Henry de Montherlant La Rose de Sable illustré par André Hambourg Henri Lefebvre éd. 25 Fbg. Saint-Honoré, Paris. M. de Montherlant se complait à compliquer sa bibliographie. Déjà, en 1959, dans son essai le regretté Henri Perruchot se débattait, dans un astucieux classement. entre les « ouvrages comprenant, une édition ordinaire » et ceux « à tirage restreint non publiés en édition ordinaire ». De ce que Montherlant avait fait paraître de .la Rose de Sable, il croyait avoir, dans son catalogue, vu clair dans le mystere des éditions successives. Pourtant, son répertoire comportait encore des lacunes. Il signalait cinq éditions de l'Histoire d'amour de la Rose de Sable, ce titre, plutôt ce sous-titre, révé.ant, co;mme Montherlant s'en expliqua dans l'avant-propos de novembre 1953 de l'édition Plon de 1954 que le livre ainsi dénommé n'était qu'un fragment - « moins de la moitié du tf:;%le» d'~ne œuvre plus vaste. Mais Henri Perruchot, malgré l'entretien qu'il eut, pour conclure son essai, avec Montherlant, n'eut PIlS droit à une confidence essentielle sur l'histoire bibliophilique de cet ouvrage. Montherlant vient seulement de la livrer dans la préface qu'il a écrite pour l'édition de la Rose de Sable qualifiée d'originale du texte complet, « revu, corrigé, amplifié» par Henri Lefebvre. A cet éditeur de qualité, Montherlant réserve depuis longtemps, pour des « originales de grand luxe» de ses œuvres maîtresses, un royal privilège d'édition dont ne furent pas toujours dignes les illustrateurs élus. Si les eauxfortes de l'austère et mystique Michel Ciry convenaient à la Reine Morte (1942), si le burin de PierreYves Trémois, un des maîtres graveurs du siècle, évoquait bien le Cardinal d'Espagne, le choix de Marti-Bas, pour le Chaos et la Nuit put paraître contestable surtout que sa technique confuse contrastait, pour les habitués des éditions Lefebvre, avec l'élégante facilité de Mariano Andreu à qui fut confiée notamment l'illustration de « Don J.uan li. Donc, bouleversant le catalogue raisonné que croyait avoir établi Henri Perruchot, M. de Montherlant vient de révéler que, sous le pseudonyme de François Lazerge, il avait déjà, en 1938, fait imprimer par Ramlot et Cie une édition complète de la Rose de Sable limitée à 65 exemplaires distribués à des amis. Elle portait le titre de Mission providentielle qui devient, dans l'édition Lefebvre de 1967, le sous-titre de la deuxième partie. Est-ce seulement par ces jeux de titres que le nouvel ouvrage diffère de celui de 1938? Montherlant signale que sur son exemplaire personnel de Mission providentielle

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illustratlOlI de Alldre HambourJ; pour la Rose de sable.

il s'est livr~, entre 1938 et 1940, à croquis aussi qui servent de culs-de- més, dans une forme insolente et déune « révision partielle - manus· lampe aux chapitres sont excellents. pouillée qui est leçon de style, suffit crite - du texte» mais elle ne Mais certains pastels alertes, de à convaincre : « l'aurais fait porte, souligne-t-il, que sur de souks par exemple, restent sommai- la~t-il- le jeu de l'ennemi », et res dans leur souci de spontanéité. de rappeler, dans une sèche énu« petites COUpUTe$ ou corrections Mais ce qui surprend un peu, pour mération à allure de procès-verbal, de style ». C'est le texte de 1938, ainsi légèrement remanié, qu'il a une illustration du texte enfin à peu que les parties maintenant révélées donné à son éditeur Henri Lefeb- près complet, c'est que la partie du livre furent écrites « dans le vre. Celui-ci mentionne, en certai- jusqu'alors inédite n'ait pas séduit climat algérien de 1930-1938 ... nes pages, des « passages suppri- l'artiste. Il s'en est encore tenu à dont les jeunes générations n'ont més », une vingtaine au total. l'Histoire d'amour. Certes, la ten- aucune idée ». C'est à M. de Montherlant qu'ils .dance anticolonialiste, donc politi- . Aujoqrd'hui « après trente-cinq que, de la moitié aujourd'hui ans » il apparaît à Montherlant que sont dus, mais i1s « allaient précise-t-il - de quelques lignes à révélée de l'œuvre, n'était guère les temps sont venus ou la Rose quelques pages ». Il a conservé la propice à l'inspiration d'un peintre de Sitble n'est plus qu'un « docudactylographie de ces passages si figuratif qu'il a poussé la cons- ment histori';{ue ». Il l'exhume mais déclare ignorer ce que sont cience jusqu'à séjourner, pour donc, conscie~t qu'il y a « grand préparer ses illustrations, dans le intérêt, pour les œuvres et pour devenues ces pages « On les trouvera après ma mort ou on ne cadre même des amours d'Auligny, les hommes, à n'être pas d'actuales trouvera pas et, si on les trouve, la région de Tamghist. Mais les lité ». événements insurrectionnels des on en fera ce qu'on voudra. » Pour l'instant, avec ce système Ainsi, en fait, l'édition « origina- derniers chapitres qui provoquent d'originale illustrée qui est réédile » présentée par M. Lefebvre n'est la mort du lieutenant Auligny et tion d'un tirage confidentiel, deux qu'une réédition, avec de négligea- confèrent au roman un intérêt cents Crésus seulement ont encore bles coupures, de l'authentique historique sur lequel insiste Mon- accès à l'œuvre. C'est que l'édifice originale quasi clandestine de 1938 therlant pouvaient être aisément bibliophilique élevé par M. Henri mais les curieux sont d'ores et déjà évoqués par le pinceau, comme Lefebvre est de haut standing ! Les prévenus que l'une et l'autre ne auraient pu l'être aussi certaines prix le prouvent: 2.900 F pour le constituent pas encore une édition attitudes familiales, dans le deuil. tirage le moins cher, avec état définitive, la découverte des lacuC'est que, tout au moins, la définitif des planches, et de 5.000 nes volontaires étant laissée aux Rose de Sable ce n'est pas que sa à 12.000 F p'o ur une trentaine chartistes de la postérité ! belle Histoire d'amour, un peu d'exemplaires avec pastel ou peinT~ problème de la véritable origiressassée puisque déjà l'objet, sous ture en prime. Il paraît - et tant nale ayant été ainsi clairement des titres divers coiffant parfois mieux pour l'audacieux promoteur posé et loyalement résolu par Henry des extraits de fragments, d'une - que la souscription est presque de Montherlant, il ne faut pas dizaine d'éditions plus ou moins couverte. contester l'intérêt de l'édition noubienvenues1• C'est, dans sa version' Les lecteurs, car heureusement velle élaborée avec goût par M. présente, un livre d'importance, Montherlant en a, devront encore Henri Lefebvre. Les illustrations entièrement écrit de 1930 à 1932 et attendre. C'est a~tour de l'équinoxe sont de André Hambourg, peintre dont le principal personnage, Auli- de septembre que doit paraître, à qui des vpes aimables de plages gny, évolue en faveur des Nord- avec ses traditionnels et rares normandes et de Venise ont valu le Africains, se décidant et pàrvenant « grands papiers », une édition qui succès. La plupart de ses planches, à n'en pas tuer même si son insu- aura l'originalité d'être la première et en particulier les doubles, sont bordination a sa source dans son édition de la Rose de Sable sans belles, plus audacieuses de coloris amour pour Ram. illustrations ! que ses toiles. On aimera de chauLucien Galimand des évocations de la palmeraie où, Mais pourquoi cette fameuse enfreignant le règlement, Auligny Rose cl,e Sable est-elle seulement 1. En dehors de cinq éditions de l'Hismusarda volontiers. On trouvera publiée dans sa presque intégra- toire d'Amour, de 1951 à 1954, la preparfaits, malgré leur pose d'Olym- lité ? Dans sa préface - qui est, il mière illustrée par Chimat, le bibliographe patient "relève, au moins, des pia, deux nus de Ram, la petite faut le souligner, ce qu'il y a Pages d'Amour de la Rose de Sable « rose de sable ». Elle apparaît d'incontestablement original dans (Laffont 1949 . Lithos de Fontanarosa), bien telle que l'a décrite Monther- l'édition Lefebvre, Henry de Mon- La Cueilleuse de Branche:! (Flore 1951 • lant : « A l'image des roses de therlant s'en explique avec cette dessins de Jean Garcia) et cette Vie amousable, elle était en surface toute désinvolture qui n'est que de son reuse de Monsieur de Guiscart (Presses de la Cité, 1946 . burins de Jean Tray· grâce florale, et en réalité froide habituelle autorité. Le ton seul, sounier) qui n'était faite que de deux chaet inerte comme ces pierres. » Les verain, avec lequel ils sont expri- pitres de !'Histoire d'Amour.


GRAMMAIRE

Une gralnmaire scientifique nées par l'empirisme qui préside encore à la diffusion scientifique. La première rupture importante opérée par Dubois par rapport à 192 p. l'exposition traditionnelle concerne l'autonomie de la langue écrite. Cette dernière n'est plus considérée La grammaire jouit en France comme un épiphénomène une red'un prestige ambigu. Telle l'ar- production maladroite du donné mée, on lui sait gré de ses vertus' phonique, mais comme un système éaucatives, et ses glorieuses tradi- symbolique « sui generis '», ayant tions font' oublier le formalisme sa logique propre. On voit imméborné de ceux qui la servent pro- diatement qu'on rend du même fessionnellement. N'en déplaise à coup au socio-culturel la place qui certains, on ne saurait pourtant lui est due dans l'étude scientifitrouver à cette grammaire-là d'au- que de la langue. En effet, deux tre base que la nécessité sociale de codes sont simultanément décrits maintenir une langue littéraire ra- dans la Grammaire structurale du dicalement distincte de la langue français; mais si l'un, le code parlé parlée (dans toute la variété de (qui reçoit ici; dans son profil ses usages). Un manuel classique moyen son baptême universitaire), comme Damourette et Pichon est est par définition commun à l'enstricto sensu le reflet de la lan- semble des locuteurs dits francophogue parlée et écrite dans l'ensei- nes, l'autre est transmis à un gnement supérieur et dans les ins- deuxième niveau, qui n'est pas cetances qui y puisent leur légitimité. lui de l'apprentissage inconscient Le caractère « mandarinal » d'une commun à tous entre un et trois telle situation a été décrit et dé- ans. Ce niveau est celui de la socianoncé avec compétence et verve par lisation supérieure qui est l'apanage Queneau dans Bâtons, chiffres et d'une minorité (cf. Bourdieu et lettres. Il est caractéristique que la Passeron, les Héritiers). Mais par diffusion des concepts de la linguis- la médiation de l'école, de la radiotique scientifique (structurale) dans télévision, etc., le code écrit exerce, le milieu « philologue » ou « gram- en tal).t que norme valorisée, une mairien » français n'ait pendant influence certaine sur le déveloplongtemps eu la moindre incidence pement de l'autre. Il y a ·donc là sur la recherche concernant la lan- une interaction dont il faut tenir gue française elle-même : pourtant compte dans une étude rigoureuse on savait désormais que l'idée de et Jean Dubois a très bien vu qu'il norme, clef de voûte de la gram- était aussi nécessaire de les dévelopmaire traditionnelle, est une absur- per parallèlement que d'établir une nette séparation entre eux. dité. Le plan suivi respecte la dichotomie des grammaires classiques : Socialisation nom/verbe. La volonté de ne pas supérieure rebuter le profane par une terminologie inutilement « rénovée » L'ouvrage de M. Jean Dubois, donne d'ailleurs un grand intérêt dont le second tome vient de pa- pédagogique à l'ouvrage qui consraître, se propose précisément de titue une excellente introduction combler cette lacune. Comme à peu « sur le terrain » à la linguistique pres tous les Ilnguistes d'expression actuelle sans tomber. dans les facifrançaise appartenant à sa généra- lités de certaines grandes « syntion, Jean Dubois s'est trouvé mêlé thèses ». Toujours est-il que les à une série de problèmes de mé- catégories grammaticales mises en thode et de doctrine qui agitent jeu nous sont familières depuis une science encore jeune et bien l'école primaire; elles reçoivent simmoins assurée de ses fondements plement ici un statut qui n'est plus qu'on ne le croit d'ordinaire. Di<;Qns intuitif et faussement logique 1,'analyse logique » !), mais ribrièvement que, pour sa part, M. Dubois, s'il sc situe principale- goureusement fondé dans un sys. ment dans la ligne de Harris et tème. Ce terme de système, nous ' ne de Chomski, a toujours manifesté ' un intérêt soutenu pour l'école de l'avons pas introduit subrepticeHjemslev, et pour sa volonté tou- ment par égard à la place éminente jours affirmée d'une « algèbre lin- qu'il occupe dans les débats contemguistique ». Cette orientation lui porains, mais parce qu'il permet de est d'ailleurs commune, compte retrouver l'unité du projet de l'autenu des nuances, avec les autres teur. Un minimum de mise en membres de la dynamique revue perspective s'avère ici nécessaire, si Langages qui fait beaucoup, si- l'on ne veut pas en rester aux mégnalons-le au passage, pour réduire diocres querelles d'école (la lin. le décalage exagéré entre les recher- guistique n'en est pas plus exempte ches américaines et leur diffusion que d'autres sciences) qui accomréelle en France (de l'ordre d'une pagnent généralement le passage dizaine d'années à l'heure actuelle !) d'une période à une autre. Depuis Nous verrons d'ailleurs comment Saussure, l'idéal de la linguistique Dubois lui-même, qui a changé ou nouvelle était resté taxinomique : du moins sérieusement modifié sa sous le flux apparemment arbitraire problématique entre les parutions de la parole, le linguiste, fidèle de ses deux volumes (1965-1967), sectateur du principe de raison témoigne des perturbations entrai- suffisante, retrouvait l'ordre des Jean Dubois Grammaire structurale du français Vol. 1 : 220 p. vol. 2 Larousse éd.

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La Quinzaine littéraire, 1" au 31 août 1967.

structures, des rapports invariants et récurrents. Les problèmes laissés en suspens par ce schéma visiblement gestaltiste apparurent de plus en plus nettement lorsque se posèrent d'une part la question théorique de l'échec manifeste des structuralistes à donner la description intégrale d'une langùe selon leurs propres critères, et que des rêveries philosophiques comme la traduction automatique ou la constitution de langages documentaires devinrent d'impérieuses nécessités techniques.

Le Japonais On finit par se représenter la langue, disons très .grossièrement comme l'input d'un ordinateur, son programm,e d'instructions, qui génère les phrases correctes du code (ou séquences de symboles) et elle!! seulement. Beaucoup d'apories de la théorie précédente se trouvent ai~i réduites par l'importation judicieuse d'un modèle logico-mathématique. C'est ee que reconnaît Dubois avec une absence totale de complaisance quànd il écrit dans l'introduction du second tome : « La description d'une langue n'est plus l'exposé cohérent de règles de combinaison ordonnées selon des niveaux arbitraires.. . fa langue se présente dans cette 'perspective comme un ensemble non fini. » Est-ce à dire que pour être conséquent à ses nouvelles convictions théoriques, Jean Dubois devrait envoyer au pilon son tome 1 qui sentirait désormais le soufre ? Il n'y a en réalité aucune raison de le penser ni de le souhaiter. Qu'une « auto-critique» ait été comme on l'a vu ressentie comme nécessaire pour remettre les choses au point ne veut nullement dire que rien dans le volume « nom et pronom » n'est intégrable dans cette nouvelle optique. Or, Dubois suit (en 1965) le précurseur Chomski, non sans quelques efforts rétrospectivement assez curieux pour concilier à tout prix des conceptions incompatibles la grammaire se définit comme une analyse des unités de première articulation » p. 10). La Science, comme l'Histoire, avance masquée ... Mais au-delà des contradictions et des limitations circonstancielles d'une pensée qui se cherche, la préoccupation majeure n'a manifestement pas varié, à savoir la nature même du langage, -son schéma général de fonctionnement (la, « deep structure » de Chomski). D'où l'insistance sur la théorie de la communication, même si elle se fourvoie partiellement dans les métaphores cybernétiques (bruit, redondance), à travers cette terminologie à ' tout faire, passe une idée essentielle : la créativité du ' langage, vieille thèse de Humboldt reprise aujourd'hui par les grammairiens modernes. A présent Dubois a trouvé les instruments conceptuels adéquats aux ï~tuitions qu'il lui était malaisé de développer dans le climat positiviste et le

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culte de l'économie alors dominants dans ia linguistique française. Il s'appuie désormais sur une conception ,d u système qui exclut l'alternative pauvre structure/~­ toite puisqu'il ne s'agit pas (comme dans Dubois 1) de la m,pyenne des énoncés d'un corpus achevé, mais de simuler un automate logique pouvant produire toutes les phrases frimçaises, y compris celles qui n'ont jamais été prononcées! On comprend que les recherches surréalistes sur l'écriture automatique suscitent actuellement une curiosité imprévue du côté des laboratoires. Abstraction faite de sa méthodologie, la « grammaire structurale » n'est pas, il faut y insister, un ouvrage de combat réservé aux initiés. On y apprend comment distinguer les unités linguistiques selon des critères indiscutables (rang, distribution) dont le maniement n'a rien de complexe, sans passer par le recours au « sens » et les laborieux inventaires qui alourdissent les exposés traditionnels. Vous apprendrez avec quelque étonnement que le prestige du latin avait conduit les vieux grammairiens à établir une typologie démentielle des groupes verbaux, celle que nous avons tous appris, ô « Cartésiens » mes frères ! Bref la lecture de Dubois 1 et II ne vous classera peut-être pas automatiquement « in », mais elle procure un. sentiment de décrassage mental bien satisfaisant. Qui n'a entendu cette phrase d'un incroyable narcissisme : « le français est avec le japonais, la langue la plus difficile du monde » ? Je ne connais pas le système d'éducation japonais. Mais je suis malheureusement convaincu que le français reste une des langues les plus mal enseignées parmi les idiomes « de culture ». Le livre de M. Dubois, pren,:er effort dans une voie où presque tout reste à faire, prouve que ce n'est pas une fatalité. . Daniel Georges

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alors politiquement ,et biologiquement); il ne désigne pas encore « la terre et les morts», car il faudra attendre qu'Auguste Comte ait inventé son positivisme et son culte des institutions. Non, ce mot désigne, et surtout chez Gobineau, une certaine composition des valeurs, le système des Stendhal sombrera dans la folie : croyances et des modèles. Ce qu'il Gobineau et Nietzsche font de nomme « civilisation » et que nous Turin une ville sacrée. Que penser appelons aujourd'hui « culture ». de cette coïncidence? L'un et Il . caractérise une spécificité. TI l'autre seront falsifiés et utiijsés n'implique, dans la première partie par les chiens enragés du racisme de l'Essai du moins, aucune hiéraret du nazisme, l'hystérique Foerster chie ni valorisation physiologique. et Hitler lui-même. Mais qui est Lisez donc le premier livre de responsable de sa renommée ? Paul l'Essai. Un jour une étudiante m'a Bourget fait bien « connaître» apporté un essai dénonçant chez Stendhal... Gobineau le père du racisme Et Gobineau écrit les N ouvel- hitlérien. Elle n'avait certainement les asiat~ques, un chef-d"œuvre, les rien lu de cet auteur ni des auteurs Pléiades qu'affectionnait Roger du XIXe siècle. Vailland, un autre stendhalien. Pourtant, certaines intuitions de Tant de rencontres méritent atten- Gobineau frappent. Elles paraistion. Il y a là quelque chose dans sent aussi modernes que celles que la vie idéologique du siècle qui propose Auguste Comte à cette épodoit être entendu, même par des que, en tout cas aussi saisissantes dogmatiques. On vient de publier que celles de celui qui fut durant à nouveau l'Essai sur l'inégalité quelques mois son collaborateur, des races humaines. Ce serait le Tocqueville. moment de faire le point sur On s'aperçoit que Gobineau Gobineau. Mais tout le monde parle cherche d'abord les causes de la de ce livre, et . qui l'a lu, vrai- décadence des civilisations. Vieux ment? problème, lieu commun même, depuis Machiavel, Rousseau, Montesquieu et les juristes du XVIIIe Raoe et raoe siècle. L'intéressant est ({u'il estime que ces causes peuvent être D'abord, il y a ce titre. Absurde. internes aux ensembles humains. Correspond-il au thème du livre? On sait ce que Spengler fera de En partie, oui, mais en partie cette idée ... Gobineau pense que les ensem. l' seu1ement, sIon pense aux pages bles humains, les civilisations conset aux pages que l'auteur consacre tituent des totalités complexes dont à la supériorité des « arians» (ce ne sont pas exactement les toutes les parties se commandent entre elles. Il tend la main par « aryens »). Mais pas du tout si l'on songe à la première partie de là à Spencer et à Saint-Simon. Ces l'ouvrage, laquelle est d'une encre organismes portent avec eux la bien différente. Et puis, à cette somme des possibilités dont ils sont époque, Gobineau justifie ses crain- capables et par conséquent les tes. Il a eu peur de la révolution germes de décadence qu'ils implide 1848. Sa réaction est passion- quent. Ebauche maladroite sans née : il a cru (et ne s'est pas doute, mais ébauche de ce qui sera le « structuralisme» dont on ne trompé) qu'il assistait à la destrucsait vraiment s'il ne passera pas, tion de la classe sociale qui portait ' Madame de Rênal et la duchesse dans quelques années, comme me le dit un intellectuel du « tiers de Langeais. Il a vu sombrer le monde de Balzac et de Stendhal. monde», pour une dangereuse idéologie du déclin de l'Europe. Car, franchement, qui ne pense, Venons-en à ce terme de {( race » aujourd'hui, que les CUltUE<'" qui est dans le titre et souvent contiennent en elles-mêmes tou!:'.; dans le livre. Faut-il rappeler qu'il leurs possihilités, y compris cel L, ne désigne pas la même chose au de leur mort ? siècle dernier où il est utilisé par tout le monde? Q~i donc a employé ce mot pour la première Le petit arpent du fois dans un ouvrage historique Bon Dieu sinon Augustin Thierry chez qui Marx disait avoir trouvé une très Parce qu'il est « moderne » dans vive idée de la lutte des classes? Et c'était l'affrontement des Çer- sa définition de la culture, Gobimains et des Francs, une fantasma- neau n'accorde pas d'importance à la « théorie du milieu». Il estiml~ gorie stupide. même qu'une société ou une civili. :;)e toute manière, le terme a une autre acception : il ne désigne sation se développe avec d'autant pas 1'« ethnie» (ce sera pour une plus d'intensité qu'elle se heurte période ultérieure lorsque les Amé- li un univers géographique ingrat. ricains inventeront l'anthropologie TQynbee n'est pas loin avec son pour décrire ces Cuivrés, « les jd{>e du « défj », ni Gide répondant Peaux-Rouges» qu'ils éliminent à Maurras, disdplc exact d'Augus


• Gobineau n'était pas rac1ste te Comte, avec son image du peuplier transplanté. L'essentiel est de s'opposer à l'universalisme abstrait, lequel affirme que toutes les civilisations sont semblables. Mais faut-il oublier que les défenseurs , de cet universalisme abstrait, un « humanisme» bien sûr! sont, en ce temps, M. Thiers qui y trouvera de

à la supériorité de l'Europe puisqu'il affirme la spécüicité des civilisations humaines, des «races» comme il dit. Il écrit même sur l'Inde dont l'esprit authentique survivra, pense-t-il, à la présence britannique, des pages qui nous paraissent, avec le recul, supérieures à celles de Marx qui estimait, à la même époque, que l'Inde ne

aurait été capable?

Même pas

Marx. Alors, il chute. Il passionne le débat en introduisant l'idée de hiérarchie et de supériorité d'une race sur l'autre. Encore faut-il s~entendre : à lire l'Essai avec soin on constate que Gobineau postule d'abord l'idée d'un inégal développement des civilisations par rapport

qu'il ne sait comment rattacher son hypothèse aux idées évolutionnistes alors à la mode : la civilisation s'est répandue dans le monde à partir d'un foyer central, portée par un groupe d'hommes aux qualités éminentes. Alors, voilà la théorie des « arians» sortis de l'Asie centrale qui ensemencent tous les peuples avec d'autant plus d'efficacité qu'ils sont plus proches du foyer rayonnant de la civilisation. Et, soit dit entre parenthèses, Hitler qui cite quelques phrases de Gobineau pillées dans un de ces ouvrages de vulgarisation qu'iÎ était seulement , capable de lire, n'aurait pu citer les pages sur les Juüs ni sur les Noirs. Aurait-il osé dire, comme le fait Gobineau, que la civilisation tend vers le métissage et que le métissage est la condition de la grande création artistique ou culturelle? Aurait-il pu écrire sans se pâmer que « les ans et la poésie lyrique sont produits par le mélange des B~ avec les peuples noirs? »

Ull exercice mental

Temple de Madras. Indes.

Gobineau

bonnes justifications pour fusiller les Communards et Jules Ferry qui y puisera les assurances de son impérialisme colonialiste? A vrai dire, Gobineau est moins dangereux que ces idéologues. Il projette son goût d'une aristocratie de l'esprit et du cœur (très stendhalienne d'inspiration) sur une société de « canailles» (M. Thiers et M. Ferry sont pour lui des canailles, ne l'oublions pas). Ça ne déborde alors pas le cadre de la réflexion. Ni celui des rêves. Il ne croit d'ailleurs pas du tout

se libérerait que si elle se laissait coloniser et industrialiser par la Grande-Bretagne, son passé ne valant rien ... Gobineau nous donne une leçon de relativisme idéologique. Seulement, son enseignement dans l'Essai s'arrête ' là. Intervient alors le mythe. C'est que Gobineau ne trouvait point dans son époque une dialectique suffisante pour comprendre l'idée de la spécüicité et de la diversité des civilisations. En ce milieu du siècle dernier, qui en

La Quinzaine littéraire, 1" au 31 août 1967.

au modèle européen (ce qui est un lieu commun), puis , celle d'une supériorité des arians issus de l'Asie centrale, c'est-à-dire de ce monde iranien où il a vécu et qu'il a tant aimé.

Le mythe est ici. Nous sortons de l'analyse. Le rêve commence. Un rêve fou. Du moins, peut-on le caractériser : admettant la relativité et la spécüicité des civilisations, idée essentiellement moderne, il se donne en même temps pour un « düfusionniste» parce

Il est facile de faire de Gobineau un raciste. Et d'oublier qu'il ne propose cette idée d'une hiérarchie entre les civilisations qu'en raison de l'impo<JSibilité idéologique de son époque. Les limites de la pensée d'un temps sont cause trop souvent de l'aberration des espn'ts. Lui, Gobineau,' préférait pe~r qu'il appartenait, comme Stendhal et comme, de nos jours, ' Vaillant à la « race dés élus», à l'élite bénie des « Calendars fils de Roi et borgnes de l'œil droit ». C'est dire qu'il était conscient de l'importance de l'individualisme dans .une période de crise comme celle où il vivait. Or, rien n'est plus frappant que cela : au moment des périodes de changements sociaux, la société en gestation ne se mallÜeste pas par des courants colleclÜs mais pal' des individualités partielles qui représentent chacune pour elle-même les chances éventuelles de communion ou de participation nouvelles. Ces individus, atypiques ou « anomiques li, il faut qu'ils se sentent isolés et séparés. Il faut qu'ils cherchent en dehors des voies communes une possibilité non encore réalisée d'existence. La littérature ou les arts les expriment mieux que la pensée abstraite. Et Gobineau n'est grand que dans les Nouvelles ou les Pléiades. Pour le reste, comme le dit Hubert Juin, son préfacier, fort justement, il a été victime de son siècle. Nous dirions qu'il a préféré l'idéologie et le mythe à l'analyse. Sa pensée théorique est nn suicide. Mais il ne pouvait s'empêcher de se suicider. Nietzsche, après tout, est devenu fou ... Jean Duvignawl


PHILOSOPHIE

-Un catholique devant • le marnsme L. Soubise Le marxisme après Marx Aubier-Montaigne, éd., 347 p.

C'est une "étrange gageure que celle tenue par L. Soubise dans le Marxisme après Marx. Il veut rendre compte de certaines réévaluations du marxisme et, pour ce faire, il étudie quatre auteurs qu'il érige en groupe, voire en type. Ces quatre auteurs ce sont: K. Axelos, F. Châtelet, P. Fougeyrollas, H. Lefebvre. Le premier a quelque chose du terroriste que la lecture de Marx, Nietzsche, Heidegger aurait converti à une autre sorte d'aventure. Le second a le sérieux et la rigueur classique du grand universitaire héritier de la tradition philosophique et, peut-être, son prisonnier. Le troisième est fasciné par ces sciences sociales dont il se veut distant et critique. Le quatrième, dont la course est plus ample et plus ancienne, touche avec brillant à tous les domaines, cherche à séduire et y réussit souvent. Comme le constate avec pertinence F. Châtelet dans la préface de l'ouvrage, s'il s'agit de caractériser les courants importants du marxisme non orthodoxe, il y a des absences qui surprennent. La justification paraît bien mince qui consiste à voir dans leur commune dissidence une couleur politique semblable. Il est vrai que les quatre furent communistes et cessèrent de l'être. Il est vrai que les événements et les débats - origine apparente de leur rupture - furent les mêmes, et qu'on les vit tous quatre animer une revue qui aura sa place dans la petite histoire

des idées en France au lendemain de la mort de Staline: la revue Arguments. Mais c'est en rester à la pure extériorité et prendre l'occasion pour le larron que faire de ces contingences relevant de la politique (et non du Politique), la nécessité interne d'un courant de pensée convergent. La suite a montré la profonde différence qu'il y avait entre ces auteurs et, par là même, leur personnalité propre. On comprend dès lors la difficulté que rencontre Soubise à les coufer du même chapeau, organisant leurs pensées autour de problèmes qui n'ont ni la même signification ni la même importance chez chacun d'eux.

prolétariat? hélas! il révèle une hétérogénéité croissante, et les contradictions qui opposent travailleurs des pays industrialisés et travailleurs des pays sous-développés ne semblent pas être des contradictions secondaires. Quant au Parti, il met un véritable point d'honneur à réaliser dans ses instances et dans son fonctionnement ce type de bureaucratie que Marx analysait dans sa Critique de la philosophie de l'Etat de Hegel. En fait aucun des quatre auteurs ne bascule dans les facilités de la philosophie de l'histoire. La question de l'aliénation est pour eux l'index de problèmes plus que leur solution. Mais aucun d'eux ne voyait alors qu'il fallait contester Un des thèmes centraux retenu la question elle-même, parce qu'elle est celui de l'aliénation. Qui s'en relevait de l'idéologie. Aussi, vouétonnerait? Pour des intellectuels lant « dépasser la philosophie », qui découvrent que la politique les les quatre restaient à l'intérieur de a floués et qu'ils ont été les jouets celle-ci. Voulant déchiffrer le réel, du système, c'est là un objet de la praxis, ils s'enfonçaient dans réflexion privilégié. Il donne à la une sorte d'herméneutique « mapensée l'illusion d'une compréhentérialiste » qui indiquait la perte sion de cette perte-de-soi dont elle de la transparence stalinienne, la croit triompher et d'une récupérabrusque opacité de leur monde et, tion qui est libération. Peut-on peut-être, le début d'autre chose reprocher au penseur catholique qui s'incarne aujourd'hui dans qu'est Soubise de se réjouir de releurs routes divergentes. trouver là un monde familier? On Voilà peut-être l'important, que n'insistera jamais assez sur les Soubise n'a pas voulu faire parce ambiguïtés d'une notion qui laisse qu'il tenait à rester à l'intérieur Marx prisonnier de la philosophie de la philosophie et y dérouler les et qui - , placée au cœur du sysquestions traditionnelles: analyser tème - nous maintient, qu'on le ce groupe éphémère comme le vcuille ou non, dans l'horizon d'un , symptôme d'un éparpillement fuhumanisme chrétien avec son cortur; découvrir dans ses trébucherélat la glorieuse Parousie. L'hisments, dans son écrasement contre toire prend alors un grand H et les parois de l'idéologie, les nécesdevient la tragique odyssée du sités d'un nouveau champ probléSujet qui se perd et se retrouve. matique, et voir en lui à la fois Mais de quel sujet va-t-il s'agir? la fin d'une époque et l'annonce Qui va incarner la négativité por- d'une nouvelle figure de l'Esprit. teuse de la vérité du monde? Le André Akoun

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Pierre Aubenque Le problème de l'Etre chez Aristote essai sur la problématique aristotélicienne P.U.F. éd. 551 p. Jules Vuillemin De la logique à la théologie cinq études sur Aristote Coll. « Nouv. bibl. scientifique» Flammarion éd. 230 p.

Aristote est peut-être moins le « maître de ceux qui savent» -

comme le croyait le Dante - que le « frère de ceux qui cherchent ». Cette formule de Jacques Brunschwig (dans un article remarquable de la Revue philosophique, publié en juin 1964 à propos de la première édition de l'ouvrage de P. Aubenque), il faut l'appliquer effectivement aussi bien au choix de textes réunis par R. Weil pour la collection « U » d'Armand Colin qu'à la réédition de la thèse d'Aubenque et aux cinq études que vient de présenter J. V uillemin, professeur au Collège de France. Aristote qui, pendant vingt siècles, a nourri de ses textes et des commentaires qu'on en tirait, toute la pensée, la païenne, la chrétienne, la musulmane, est aujourd'hui, par la faute de la philosophie réflexive, un objet royal et froid, figé dans la galerie des ancêtres, en un lieu qu'on ne visite plus que par devoir ... Aubenque et Vuillemin, chacun à sa manière - des manières qui ne s'apparentent ni par le projet, ni par la méthode, ni par le style lui redonnent la vie. L'un et l'autre démontrent qu'Aristote continue, dans la culture contemporaine, de penser, qu'il n'est pas seulement une de ces fameuses « sources » auxquelles se réfèrent les spécialistes pour agrémenter leurs discours vides, qu;il est actuel, c'est-à, dire à la fois présent et, actif, au sein de notre recherche même. Ce "résultat commun, les deux interprètes l'atteignent en partant de présupposés radicalement opposés. Aubenque s'efforce de retrouver le texte même du Stagirite, non défiguré par une doxographie pléthorique, point encore « mis en carte» par le' thomisme, le postthomisme, le para-thomisme et l'antithomisme, dans la fraîcheur de ses explications ambiguës, si soucieuses de vérité et, pourtant, ennemies de tout dogmatisme. La lecture qu'il nous propose est passionnante, bien au-delà de ces exégèses magistrales auxquelles contraint l'Université. Vuillemin, lui, avec un courage exemplaire, s'exerce à traduire Aristote : il réclame le droit de passer les raisonnements aristotéliciens au crible des acquisitions de la logique moderne; il se demande ce quc devient la phrase aristotélicienne lorsqu'on la transpose, vingt-quatre siècles après, selon les normes du


Le lD.aître de ceux qUi• savent

langage qu'on tient pour exact et rigoureux, non sans raison; avec lui, le trisaïeul quitte le musée, retrouve la parole; et tant pis s'il lui arrive de bégayer ! Il n'y a pas à s'y tromper, d'ailleurs. Si Auhenque et V uillemin, tellement différents, donnent l'un et l'autre le sentiment d'une identique liberté, c'est que l'un et l'autre réc!1sent l'angélique Thomas, administrateur d'une c~rétien­ té en mal de théorie. Le thomisme est le mensonge de l'aristotélisme (comme on dit que Kant est la vérité de l'Age des Lumières). La métaphysique qui en résulte et qui sévit aujourd'hui encore jusque dans les manuels scolaires, est l'administration naïve de ce memsonge. Naïve, mais point désintéressée (voyez, par exemple, pour édification, le traité paru récemment dans la collection Marabout, intitulé La Philosophie, sous la signature de Jérôme Grynpas).

est son lot, le rêve d'un savoir irréalisable. Elle est, par essence, recherche de la science plus que science s'achevant en corps doctrinal : elle est indication de méthode plus que savoir constitué. Bref, « la science recherchée» est « science introuvable». Par nature. P. Aubenque insiste sur ce fait que l'interprétation chrétienne a utilisé tout en le minimi-

Science sans nom L'Essai sur la problématique ariStotélicienne de P. Aubenque tente donc de redécouvrir l'inspiration profonde du fondateur de la métaphysique. Métaphysique? Le terme n'apparaît pour la ' première fois qu'au premier siècle de notre ère. Pour Aristote, cette discipline fondamentale est « la science sans nom». Elle s'occupe non de ceci ou de cela, non de telle ou telle catégorie d'existants, mais de l'Etre en tant qu 'être~ On peut la désigner par l'expression « philosophie première». Qu'est-ce 'donc toutefois qui, étant premier, doit être dit en premier? L'être divin, incorruptible, immuable, semble-til. A la rigueur des termes, ce que la tradition va nommer « métaphysique », c'est la théologie ... Mais il n'y a pas de théologie possible. Toute théologie est, dans son essence, négative: il n'y a pas, pour l'homme, de savoir de Dieu. Et, cependant, l'exigence d'une science de l'être, d'une ontologie, s'impose. Depuis qu'Aristote l'a définie, la pensée, selon P. Aubenque, n'a pas réussi à l'éluder. La « science sans nom » est « la science recherchée». Cette recherche est, dans son principe, ambiguë : eUe veut dire l'Etre, mais l'Etre, pour l'homme, « se dit de multiples manières ». Entre l'Etre et le langage humain entre ce dont les hommes parlent et ce par quoi ils communiquent - il y a, à la fois, connivence et divorce : l'Etre se montre d'une telle manière qu'aucun discours simple n'y peut correspondre. L'ontologie cherche à délimiter, en définissant des axiomes, le champ même du dicible : elle distingue ainsi l'essentiel et l'accidentel, le construit et l'expérimenté, le perçu et le conceptuel, le nécessaire et le contingent. Elle réalise, habilement, dans la maladresse qui

sance d'une finitude radicale qu'il y a à penser et à prendre comme telle? Il y a à savoir, d'abord, que « retrouver la science », c'est, selon la suggestion d'Aristote, accepter l'inachèvement. Dans l'ordre-désordre sublunaire, le discours est multiple. Il s'articule logiquement, cependant, pourvu qu'on sache prêter attention à ce qui importe et qui demeure, pour

- les deux plus importantes sont consacrées à la doctrine des « catégories » et à la théologie d'Aristote - il s'interroge sur la validité de démonstrations que l'on a coutume de commenter et de répéter sans jamais s'assurer de leur structure logique. Cet effort de clarification est remarquablement réussi. La formalisation à laquelle se livre J. Vuillemin dévoile un certain nombre de postulats implicites, de procédés de raisonnement que la pensée moderne ne reconnaît plus. Il s'agit moins ici de critiquer ou d'expliquer Aristote que de l'expliciter et donc d'être en mesure de savoir ce que disent exactement les textes. Il apparaît ainsi que la lporphologie (qui est celle à la fois du langage et de l'univers d'Aristote - traversée par les oppositions du particulier et de l'universel, du concret et de l'abstrait - ) introduit une diversité qui rend tout à fait incertain le statut de la science de l'Etre en tant qu'être et qu'elle condamne finalement celle-ci à user du mode de raisonnement le plus faible : le raisonnement analogique. Depuis lors, la pensée s'est efforcée de simplifier et d'unifier cette morphologie èt cela , « en dégageant les structures générales de la Logique et des Mathématiques». Cette , abstraction, Aristote en pressentait l'importance : il ne , pouvait la mener à bien.

Une délivrancê Cette évolution positiviste, que J. Vuillen;lÏn juge positive, elle se marque aussi par l'élimination progressive d'une des notions-clés de l'aristotélisme, celle de puissance. Celle-ci, exclue de la Physique, par la révolution galiléenne, s'était réfugiée dans les Mathématiques: « la conception ensemhliste» des Mathématiques a mis fin à ce préjugé. Quant à l'idée de Dieu telle que l'entendait Aristote, une réflexion sur la notion de cause en manifeste la confusion. P. Auhenque nous sollicite de Arisiote retourner à l'Aristote originaire; J. Vuillemin nous convie à passer au crible de la pensée exacte quelques-uns des thèmes les plus caractéristiques de l'aristotélisme. Les deux types d'interprétation sont différents : le premier veut lui redonner sa jeunesse; le second le traite comme un auteur à qui sant que pour Aristote la l'homme, l'objectif essentiel ; s'y la critique philosophique doit coupure entre le monde supralu- reconnaître dans la réalité percep- s'appliquer pour assurer son propre naire où l'intelligibilité est tive, dans le monde physique. Le progrès. A celui-là, on peut reprosans doute , dominante - et le monde sublu- détour par l'ontologie, contraire- cher l'anachronisme naire - le nôtre, celui où s'intro- ment « au long voyage» platoni- cet Aristote humaniste fera-t-il duit, nécessairement, le désordre cien, a pour seule fin d'asseoir ce dresser quelques oreilles : l'harmo- est radicale. Inutilement béat, que l'expérience attestait: la vérité ' nie qu'on décèle facilement entre dans son organisation autarcique, londamentale de la perception, certains aspects de la pensée parfaite et lointaine, le Dieu imper- administrée par le contrôle effectif moderne et lui n'est-rolle pas ... une sonnel régente, impersonnellement, du langage. harmonie préétablie», écrit J . L'interprétation de P. Aubenque, Brtinschwig); à celui-là une foi le cosmos. Il invite cependant l'homme à construire cette ontolo- dont on ne signale ici que les positiviste. Mais, l'un et l'autre, en gie qui n'est pas science, mais arêtes, prend le texte aristote1icien tous cas, nous délivrent de l'Arisargumentation dialectique. Substi- comme tel. J. V uillemin fait tout tote de l'Ecole. tut? Compensation? Reconnais- le contraire. Dans ces cinq études François Châtelet

La Quinzair.e littéraire, 1er au 31 aoÛl 1967.

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DROITS D· AUTBlfB

La conférence de Stockholm

Après cinq semaines de délibérations la conférence de Stockholm a fini de réviser c la Grande Charte du droit d'auteur, la Convention de Berne (vénérable institution de 1886 remaniée quatre fois déjà, notamment à Rome en 1928 et à Bruxelles en 1948). Les problèmes qui se posaient étaient essentiellement de deux ordres : d'une part, il fallait aménager le texte existant afin de tenir compte de certaines considerations techniques, comme le développement des moyens mécaniques de reproduction des œuvres ; d'autre part, il était apparu nécessaire de faire entrer en ligne de compte des . impératifs politiques nouveaux. En fait, tant que l'on est resté sur le terrain technique, les modifications se sont révélées mineures ; le texte antérieur était suffisamment au point après 80 ans d'usage pour s'adapter à la plupart des circonstances. Sur le plan politique, par contre, il n'en. allait pas de même et t'on verra en analysant les princ.ipales. décisions de la Conférence ~'ert défîniti\,te, le .pofiti<pJ1t a· empfétê même sar. tetw:bnique. à. biea des ~

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grave. : t,'UJr$_S. n"accorœ pratique-.

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auctu\e' proteeti00 Intemationale dans ce domaine. Cr. PQtW es.s ayer d'attirer ce payS' dans. l'orbite de. la Comœntion à laquelte· Ft'adhère pas. encore-, les détêgtléa ont admis de creuser une brèche immense dans: te

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système existant : désormais, le principe des réserves est élargi au point que tout nouvel Etat adhérent sera libre de refuser la protection du droit de traduction dans la mesure où sa propre loi nationale l'y autorise ; pour un avantage aléatoire et lointain (l'adhésion de l'U.R.S.S.) c'est là un retour en arrière qui ne peut manquer de susciter de vives réactions. On estime dans les milieux spécialisés que la France, défenseur trnditionnel des auteurs - à la fois par doctrine et par intérêt de pays exportateur de culture s'est abstenue de faire jouer son droit de veto en raison des relations existant actuellement entre Paris et Moscou. Une atténuation a été apportée à cette disposition sur proposition italienne : les pays lésés pourront appliquer la réciprocité aux pays c pirates - ; ceci constitue peut-être une satisfaction morale mais aussi une nouvelle transgression des principes conventionnels qui n'admettaient pas de représailles de ce genre.

DJroü. einématographique• UlIt point sur lequel la France a eu gain de. cause mais qui ne comportait pas dïmplications politiques nettes. Q:IIlCeIIIe les droits sur le film. la& Français s'opposaient dans ce dDmaiiIe aux Anglais qui réservent la pert du. lion au producteur, et aux AIIamaods qui n'exigent pas entre les auaurs, et les producteurs de contrat nettement définI. Par une astuca tedlDique et juridique, la France a _ salfsfaction en demandant le ren. . .., problème aux lois nationales, de sorte que les producteurs devront !ralter par contrat l'étendue de leurs dnfts avec les auteurs s'ils ne veufent pas: aller au-devant d'ennuis pt.dfques- graves lorsque les films se.rom projetés en France où seule la loi française s'appliquera. Grâce à cette IlSblce qui consiste à faire' entrer en Itgne de compte la loi nationale dans ce domaine part;iculier, la délégation fraaçafse s'est adjugé un succès de dJpfornatie juridique. Pour le reste, elle n'a pas obtenu q,tle' fe respect de l'œuvre, (droit moralJ soit perpétuel, de sorte qu'il est limité à 50 ans après la vie de l'auteur. là aussi un droit de réserve subsiste. Enfin pour rester dans le

_il

domaine des aménagements techniques, alors qu'on espérait unifier la durée de la protection à 50 ans après la mort de l'auteur, la Conférence a conservé à deux pays communistes le droit à une durée de protection plus courte (Pologne et Bulgarie). Tels sont, en gros, les résultats de la négociation quant au droit pur : il ressort que des considérations politiques ont entraîné d'une façon générale un effritement de la protection des auteurs, mais sans conséquences graves, sauf pour le droit de traduction.

e:,

Les pays du Tiers-Monde Mais le véritable champ de bataille politique de la conférence était constitué par ce que l'on avait conçu comme un « protocole - et qui a donné lieu à une bataille acharnée dont 'Ies résultats semblent contestables. En effet, les pays en voie de développement réclamaient le droit de se servir des œuvres sans traiter avec les auteurs; or pour des raisons de politique internationale les gouvernements étaient enclins à leur donner satisfaction: de sorte que l'on allait assister au spectacle suivant: des Etats, dont la France, sous prétexte d'aider les pays sous-développés, consentaient à sacrifier les droits de certains de leurs concitoyens (et non pas des plus riches ni des mieux partagés) à savoir leurs auteurs, dans quelque 80 pays. D'aucuns prétendent que la perte est minime, puisque ces pays manquent d'un marché culturel, . mais on ne peut créer ce marché tout en refusant aux auteurs, principaux artisans de l'opération, l'exercice de leurs droits ainsi accrus. La solution proposée par les éditeurs français et la Société des Auteurs et Compositeurs était sensée et sage : s'il fallait faire des sacrifices au nom de la morale internationale, autant que ces sacrifices fussent partagés : chaque gouvernement paierait un tiers du manque à gagner des auteurs ; c'est-à-dire que deux pays étant toujours en cause (celui de l'auteur et celui de l'utilisateur) ['écrivain, par exemple, toucherait quand même les deux tiers de ·ses droits et abandonnerait le troisième tiers solution de compromis, encore fortement préjudiciabte aux auteurs mais

AUTEURS idée

ll\ rt'y Il pas L~lQgtemps tpJ8' _ forM81istu russes. Mt é.té renùs. brn.. ramm8ftt en h0nneur dans le- monde communiste. et red8œuverts: par le.s Occidentaux. CNdovslly qui était t'\JIl me du groupe aB a: subi les: vi:cis.siàldes.. tes fOrlllarl$teS, qui' coneevaieAt la Ifttérature CQI'tIRl& l1D& meNenfeus.a

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mécanisme et étudier- te mouve--

ment &'intêressafent pfus à la techni-

que littéraile qu'au- message délivré par tes. œuvr.es ca qui leur valut. après. une l'teure de glol'Il, nombre de persécutions et d'humUtations au df:. but des années trente et le silence se fit SUt eux jusqu'à I.a déstaliolsatian. Cbklnvsky rINient maintenant à ses premières thé.orles. mars c'est pour les. concilIer prudemment avec un marxisme plus orthodoxe,. Dans les deux. volumes des Povestl 0. Proze IL examine. la littérature étrangère, d'Homère à nos jours, et la littérature russe. Après être parti sur une

authentiquement

formaliste

et

d'une actualité encore indéniable à savoÎr que le mot est obscurci par l'objet qu'il désigne de sorte que ['écriVain a mission de restituer au

publiC une vision neuve à la place d'une: représentation falsifiée il finit par conclure que les plus grands auteurs de tous les temps n'ont cherdté à faire voir les choses sous UD lour nouveau que pour entraîner (consciemment ou inconsciemment) une condamnation de l'ordre social elCistant..

Lewi. Mumford Urbaniste

et

philosophe,

l'auteur

de New York et t'urbanisme (Seghers éd.) ou de Technique et civilisation (le Seuil ' éd.), est sans doute l'un des. théoriciens de la Cité Future les pfus écoutés. Il Vlent de publier chez Harcourt Brace & World un nouvel ouvrage qui est destiné, plus encore peutêtre que les précédents, à instaurer une doctrine dans ce domaine. Non pas que: sa thèse soit d'avant-garde,

bien au contraire. A l'étonnement général, il semble que les réflexions de Mumford qui l'avaient déjà amené à condamner le caractère anti-naturel de la ville moderne, le conduisent cette fois à des conclusions franchement rétrogrades : pour lui, il semble que la machine soit la cause de tous les maux de l'humanité. Mais sa c mégamachine - dont il voit le prototype dans l'Etat politique et économique sinon bureaucrat ique - donne lieu à des développements qui mettent en cause toute une conception claSSique de l' c homo faber -. Pour Mumford, ce n'est pas l 'usage de l'outil qui a fait de l'homme ce qu'il est 'mais le rêve et le langage. Les ethnologues et anthropologues s'Insurgent déjà et le vieux penseur doit en ce moment faire face à une véritable levée de boucliers. On lui reproche notamment une méconnaissance par trop grande des primitifs, qui seule ~eut être acquise sur le terrain. Selon les spécialistes, sa thèse ne serait qu'une vue de l'esprit. Elle n'en est pas moins séduisante.

néanmoins admissible. Or, l'on a assisté à une curieuse dérobade du gouvernement français - qui a d'ailleurs fait généralement cause commune avec les pays de l'Est, faibles exportateurs d'œuvres, donc peu lésés par c le Protocole " , mais prompts à accuser les auteurs d'impérialisme ; en effet le gouvernement français a combattu en commission (avant de s'abstenir au vote final) une proposition israélienne visant à faire étudier par un organisme international les pOSSibilités de rémunération des auteurs dans le cadre même du Protocole. La proposition n'en a pas moins été acceptée. La France aurait - dit-on - adopté cette position paradoxale de peur de voir les auteurs anglo-saxons bénéficier, plus que les français, d'un fonds collectif de rémunération.

Le contenu du « Protocole» Que contient donc ce fameux protocole ? (( s'applique, tout d'abord à quelque 82 pays dont la liste avait été dressée par les Nations-Unies et qui sont tenus pour « sous-développés • (l'Argentine, le Mexique et l'Uruguay qui figuraient sur la liste ont fait savoir qu'ils n'en demanderaient pas le bénéfice). Il est à noter que parmi ces pays figurent la Yougoslavie ou le Venezuela. Les privilèges accordés aux 82 Etats sont au nombre de trois : 1. Si pendant trois ans après la parution d'une œuvre elle n'est pas traduite dans la langue d'un pays du Tiers-Monde, celui-ci pourra la faire traduire d'office moyennant une indemnisation unilatéralement évaluée après avoir remis au consulat de l'auteur une mise en demeure. Au bout de dix ans la licence devient définitive .

2. Même si aucune traduction n'est requise, une œuvre peut être reproduite à des fins éducatives ou culturelles si elle n'est pas diffusée dans un pays donné au bout de trois ans, et dans les mêmes conditions . (( faut noter que, dans un cas comme dans l'autre, les œuvres ainsi reproduites ou traduites sans l'autorisation de l'auteur pourront être exportées dans d'autres pays du tiers monde . 3. Enfin si les fins poursuivies sont d'enseignement, d'études ou de recherches, dans le domaine de l'éducation les Etats du Tiers-Monde ont purement et simplement la .faculté de c restreindre • sans limite ni délai la protection des œuvres littéraires et artistiques pourvu que des dispositions c appropriées - soient prises par la législation nationale pour assurer à l'auteur une rémunération conforme aux normes de paiement des auteurs du dit pays. (( s'agit, en fait de retirer aux auteurs toute possibilité de discuter OU revendiquer le montant de leur rémunération, ce qui est en régression par rapport au droit du travail (quel syndicat accepterait que les salariés ne puissent discuter de la rémunération du travail ?).

La durée d'application du Protocole est en principe de dix ans renouvelables jusqu'à la prochaine conférence et au-delà jusqu'à la ratific1:ltion du texte que celle-ci adoptera soit quelque 20 ans, au moins. D'aucuns ont fait remarquer que si l'assistance culturelle aux pays en voie de développement .était un devoir international, il n'y avait guère de raison pour que, dans ce domaine ce soit les auteurs seulement, et non l'ensemble du pays, qui fassent les frais d'une aide accordée par leur gouvernement...


HISTOIRE CONTEMPORAINE

Un témoignage arbitraire Alexander Donat Veilleur, où en est la nuit ? trad. de l'américain 1 par Claude Durand Le Seuil éd., 412 p.

A. Donat vécut les drames du ghetto de Varsovie, depuis l'installation jusqu'à la destruction finale du plus grand « cimetière des vivants ». Déporté, il passa d'abord par le camp de Maïdanek et ensuite par d'autres hauts lieux du crime hitlérien. Aussi, s'attendant à lire un témoignage important, on prête d'avance à son Veilleur, où en est la nuit ? le préjugé le plus favorable, quitte à ne lui tenir rigueur ni d'inévitables répétitions de faits déjà connus, ni d'une surabondance d'exclamations et d'adjectifs peu nuancés. D'où alors provient cet écart, de plus en plus gênant et de plus en plus pénible, entre le texte de ce livre et l'impression qu'il provoque chez un lecteur orienté déjà vers ce sujet? Afin de se rappeler ce qu'il avait pu observer, M. Donat s'est trop fo~cément « documenté » dans des ouvrages parus sur les mêmes thèmes au cours des vingt années qui ont suivi la guerre. Et toute cette documentation qu'il a acquise ultérieurement au hasard de lectures hétéroclites, il l'inclut dans le texte de son lhre à titre de ... souvenirs strictement personnels. Pendant l'insurrection du ghetto par exemple, M. Donat (qui n'a pas été lui-même combattant) vé. cut dans les insolites conditions d'un abri camouflé. Au lieu de s'en tenir à l'optique qui fut la sienne, il préfère néanmoins prétendre qu'à p;<nlr de sa cachette il a su observer le déroulement des combats (livrés ne l'oublions pas - dans plusieurs secteurs éloignés et séparés les uns des autres !). Les décrivant, il confectionne et accumule, sans l'avouer, de piètres

Varsovie, 1943.

résumés de diverses publications dues à d'autres auteurs que lui. Dans le même chapitre, il dépeint avec force précisions' le comportement d'une foule chrétienne dans la zone dite aryenne : comme s'il y était. En vérité, il ne .fait que reproduire, détail par détaû, voire réflexiQn par réflexion, le récit documentaire de l'excellent écrivain A. Rudnicki, non sans l'aplatir pourtant. Il y a mie'ux : il n 'hésite pas à « consigner » les décisions et les démarches ~errières du général SS Stroop, commandant les forces hitlériennes engagées contre le ghetto. Il cit~ même textuellement les extraits des rapports que ce dernier a adressés à

ses supeneurs. Et tout cela~ !"épetons-le, à titre de souvenirs strictement personnels. Ce procédé de très mauWIÎs aloi dorine malheureusement le livœ tout entier! aussi bien les descriptions d'ordre général que les « in»tantanés» saisis (prétendument par l'auteur lui-même) sur le vif_ L'absence de discernement de M. Donat aidant, il incruste dans son texte même des anecdotes (1JU'on peut trouver dans les ouvrages sur l'humour noir du ghetto), mais en présentant leur contenu comme des faits réellement S'Urvenus. Une simple comparaison des publications d'où il a décalqué ses « observations » avec l'usage qu'il en fait en dit long. Surtout là où il dénonce

le comportement de ses co-victimes, il en rajoute : n'importe quoi et n'importe comment, pourvu qu'il puisse dépasser en noirceur Cf~ qu'il a pu dénicher dans les livres antérieurs au sien. Ayant une fois pour toutes réservé sa tendresse pour lui-même et pour son épouse, il n'a pour les autres personnes que la généralisation facile et les jugements qui, se voulant intraitables, ne prouvent tout au plus que son faible pour une creuse rhétorique de pacotille et une absence de toute réflexion véritable. Sous une apparence de témoignage, nous avons ainsi affaire à un entassement arbitraire de reader's digest : dénaturé par une gratuite tendance aux enchères, assaisonné par une auto-admiration sans faille, il est vrai, mais aussi sans une ombre de fondement perceptible. J'insiste là-dessus, et pour cause. Après le Cl t.em~ des témoignages:D relatifs à l'occupation nazie, nous assistons en effet au CI: temps des sensalirms » .sm- ces milmes thèmes_ N'a-t-4m pas récemment 'V1l .un jeune diibu.tant 'eIl mal cle puh1icifé faire ~ un prétmu1u. « documeataiœ .. et - après ''{IIe .ses :alLimlstjQDS lIÏea't èlé pmuries et l"eII.IluI!s ...auiœs - pu4er., camme si ole :ciea. SI.~était. JI'tw....

! ~ ~ ~ de n:scapé, «:eUe fois· qai, dési.reax de ~ eu· walem- lIIIIl ml~ .t8l'àif, ~ ~ !IIIIl kmr ~ allahu1atiOJ'B deS mm-wers en les lOJWIll

"ftÙr demain 'œl à mtt......."Ïope

présenlant

'CDJI1lDe

les fIOUvenÎ'rs

d'un témoin oculaire ? La belle préface que mon ami Elie Wiesel a eonseDÛ .à .écrire pour .cet 01lvr&ge m'a surpris.. Plein de bonne foi, il n'a pas SO\tpçonne :sans doute la véritable pr0venance des envolées de l'autenr~ I! suffit au demeurant de lire attentivement .cette préface, pour y déceler les grands doutes du préfacier.

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l"

nouvelle

bibliothèque

scientifique "

1

dirigée par FERNAND BRAUDEL, Professeur au Collège de France FRANCK BOURDIER

PRÉHISTOIRE DE FRANCE

PIERRE FOUGEYROLLAS

MODERNISATION DES BOMMES

FRANCIS NEWTON UNE SOCIOLOGIB DV lAU

exemple du Sénégal

JEAN COHEN

STRUCTURE DU LANGAGE POÉTIQUE

JEAN STOETZEL VLADIMIR JANKELEVITCH

LA MORT

LA PSYCBOLOfJIB SOCllLB \

THEODOSIUS DOBZHANSKY

L'HOMME EN ÉVOLUTION

EMMANUEL LE ROY LADURIE

HISTOIRE DU CLIMAT DEPUIS L'AN MIL

E- JE"

FLAMMARION La Quinzaine littéraire, 1" au 31 août 1967.

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Quatre La Russie Hélène Carrère d'Encausse Réforme et révolution chez les musulmans de l'Empire russe. Bukhara 1867-1924. Armand Colin éd. 320 p. Quand en 1867, les Russes pénétrèrent par la force des armes dans le territoire de l'émirat de Bukhara, ils trouvèrent dans ce territoire perdu d'Asie ce~trale une société musulmane qui pouvait à juste titre être considérée comme l'une des plus arriérées du monde, dont .les structures économiques, juridiques et mentales n'avaient, apparemment, guère évolué depuis l'époque de Tamerlan. En règle générale, en Asie comme en Afrique, la conquête coloniale et la pé-

nétration de l'économie capitaliste accompagnées de l'écroulement plus ou moins rapide des structures traditionnelles, comportaient du moins des éléments positifs en permettant aux populations indigènes d'accéder à une culture techniquement ,supérieure. A Bukhara, on n'observa rien de semblable. Le régime archaïque de l'émir fut préservé avec son administration médiévale, ses · tribunaux religieux, ses écoles qui ne dispensaient plus qu'un enseignement scolastique sclérosé, ses techniques primitives de production. Cinquante ans plus tard, à la veille de la révolution de 1917, rien en apparence n'avait changé. Or, cette immobilité n'était qu'apparente. Des forces révolutionnaires locales étaient en œuvre dont l'action, conjuguée à celle extérieure des bolcheviks russes, allait en quelques années faire éclater les structures anachroniques de l'émirat. Entre 1917 et 1924, Bukhara, emporté dans la tourmente de la Révolution d'octobre, a subi une transfoi'mation brusque et brutale qui devait mene]," ce pays arriéré et ses habitants du haut moyen âge à l'ère du socialisme. C'est l'étude détaillée de cette crise extraordinaire, unique dans son genre, et l'histoire de ses principaux acteurs, les réformistes musulmans, qui constituent l'objet du récent ouvrage de Hélène Carrère d'Encausse. La lecture de ce travail intelligent et impartial 1, admirablement préfacé par Maxime Rodinson, est passionnante car, selon une formule heureuse de Rodinson: « Dans ce coin de l'Asie s'agitaient déjà inaperçus de la grande scène du monde des prototypes des dramatis personre d'aujourd'hui. " La révolution à Bukhara a été « une première représentation des problèmes crucioux d'aujourd'hui '1. Elle ne fut en effet qu'un aspect local mais particulièrement typique. de la grande crise qui agitait alors le monde musulman et même tout le tiers monde, avec ses acteurs classiques. D 'un côté les nombreux et puissants défenseurs fanatiques du passé, groupés autour de l'émir : bureaucrates, serviteurs du culte, grands pro-

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priétaires fonciers... Face aux conservateurs, les novateurs intellectuels, institu: teurs, écrivains, « étrangers », principalement des Tatars de la Volga, ou autochtones ayant vécu à l'étranger, à Constantinople, Le Caire ou Beyrouth, qui prétendaient réformer de fond en comble la société, abattre l'absolutisme, concilie]," l'Islam avec le progrès du monde moderne et libérer les masses populaires de l'oppression et de l'ignorance. Entre les deux adversaires, le peuple bukhariote indifférent d'abord, puis paradoxalement de plus en plus hostile à ces intellectuels qui prétendaient faire son bonheur en brisant les cadres idéologiques traditionnels auxquels il était passionnément attaché. La description de ce phénomène évoque des comparaisons frappantes avec maint pays du tiers monde, où la ' même rupture mentale se produit entre . les masses et les novateurs qui se croient appelés à les conduire sur la voie du progrès et du bonheur. Mais à Bukhara un autre conflit plus grave venait de surimposer sur cette lutte classique des modernistes contre les conservateurs, celui opposant l'indigène musulman au Russe, fonctionnaire tsariste, ou représentant du pouvoir bolchevik. . La partie la plus passionnante et la plus originale de l'ouvrage est ~onsacrée à ce second drame et plus précisément à l'analyse pertinente de la confrontation de deux idéologies : le socialisme dans sa forme russe, et le nationalisme musulman, idéologie encore imprécise, mal théorisée mais puissante et d'autant plus séductrice qu'elle était mal définie. D'abord alliés contre l'adversaire commun le tsarisme et associés dans le partage du pouvoir, puis rivaux, les bolcheviks russes et les nationalistes musulmans allaient finalement se retrouver, en 1924, irréductiblement opposés les uns aux autres, recréant ainsi une situation comparable à celle d'avant 1917, Pour l'indigène, le Russe redevenait l' .« étranger » dominateur tandis que pour le révolutionnaire russe, l'indigène musulman était un arriéré incapable de comprendre ce qui est bon pour lui la dictature du prolétariat - .et dont il fallait mater les révoltes menées au nom de la défense de la tradition. L'ouvrage de Mme Carrère d'Encausse est une. contribution de qualité qui vient enrichir la collection de travaux français récents sur , le . problème national en Russie. II ne manquera pas d'intéresser non seulement les slavisants et les orientalistes, inais tous ceux qui suivent le problème si complexe des mouvements nationaux dans le tiers monde. Alexandre Bennigsen

1. L'ouvrage est sérieux, bien documenté et comporte une bibliographie impressionnante, mais dont le choix paraît quelquefois discutable. L'auteur a tendance à mettre sur le même plan les sources essentielles et les études de seconde, voire de troisième main. En règle générale, les travàux français sur le sujet sont systématiquement ignorés ou du moins ne sont pas cités, tandis que des travaux aussi médiocres que celui par exemple de Serge A . Zenkovsky, Pan-Turkism and Islam in Rlfssia, Cambridge, 1960. le sont trop abondamment.

L'Inde Georges Fischer Le Parti travailliste et la décolonisation de l' Inde Maspéro, ~d. 338 p . Les conceptions des question indienne ne ni précises : il y a points de vue que de

travaillistes sur la sont ni homogènes presque autant de leaders qui s'inspi-

rent, suivant des dosages changeants, de presque tous les courants doctrinaux qui ont marqué la pensée politique britannique : libéralisme, positivisme, tradition benthamiste, utopisme d'Owen, etc., et même marxisme, en ce qui concerne du moins l'LL.P. . Au-delà des nuances et des discordances, existent cependant, au sein du Labour , un certain nombre de vues communes ou apparentées. A de rares exceptions près - E.B. ~x qui rêve de voir de jeunes Anglais aventureux aller soutenir la résistance que les peuples coloniaux opposent à la destruction de leur civilisation par l'impérialisme - les travaillistes ne mettent guère en doute la légitimité de la mission que l'Angleterre accomplit aux Indes il appartient au gouvernement angla1s et au Parlement où les travaillistes pensent acquérir des moyens d'agir en ce sens, de guider les Indiens vers l'apprentissage d'institutions qui les rendront aptes au seH-government ... Sur les voies qui peuvent conduire à cette transplantation des institutions politiques anglaises ·~iu Indes, ·o n discute beaucoup; les uns pensent qu'il faudrait démocratiser les Etats princiers et leur rendre vie, d'autres songent à indianiser avec une lenteur prudente le Civil Service, ou b~n se demandent si les communautés villageoises de l'Inde ne pourraient pas constituer un cadre adéquat pour un déb~t d'auto-administration. Peu informés des réalités indiennes, les dirigeants du Labour se bercent volontiers de l'idée que l'Inde pourra éviter l'étape du capitalisme pour évoluer en même temps que l'Angleterre vers le socialisme grâce à l'action parlementaire du travaillisme. II est vrai que leurs conceptions .sur l'avenir ·socialiste de l'Inde ne sont guère que la projection de vues qui ont été élaborées à partir de l'expérience anglaise : lorsqu'ils voient dans les communautés villageoises indiennes les embryons d'une société socialiste à venir, ils transposent simplement leur doctrine du « socialisme municipal », lorsqu'ils souhaitent que l'industrialisation de l'Inde soit entreprise par l'Etat afin que soient évitées aux Indiens les cruautés de la phase bourgeoise, c;est encore la doctrine anglaise du « socia· ' lisme d'Etat » qui les inspire. Leur idéal aurait été, au fond, que les masses indiennes s'organisent sur le modèle du Labour, qui les aurait guidées, en même temps que les travailleurs britanniques, vers une réalisation g·raduelle du socia· lisme. Ces vues paternalistes ne changerônt guère entre 1919 et 1939. La révolution russe, l'éveil de l'Asie; le renforcement du nationalisme indien, contraignent le Labour à se préoccuper davantage de la question indienne. Mais si les. travaillistes admettent, non sans restriction, le droit de l'Inde à s'auto-déterminer, ils n'abandonnent pas pour autant l'idée de maintenir l'Empire. II leur appartient de le sauvegarder, bien mieux que ne le feraient les conservateurs, en le faisant évoluer vers un Commonwealth au sein duquel les nationalismes, les 'oppositions raciales et les antagonismes économiques seront dépassés. « Les communistes veu-,. lent faire éclater l'Empire, le Labour veut ' le socialiser. » Très vite cependant le mouvement nationaliste de l'Inde s'écarte des voies que · les travaillistes auraient voulu voir suivre aux Indiens. Eux-mêmes partisans d'une évolution graduelle, les nationalistes ont accepté la coopération avec les travaillistes. Mais les timidités et les len· teurs du Labour les déçoivent et à mesure que les masses indiennes sortent de leur inertie, les nationalistes affirment que c'est d'abord aux Indiens qu'il appartient de diriger leur propre action politique. La configuration que prend le nationalisme indien et les revendications qu'il formule mettent les travaillistes mal à l'aise. La mise en question des valeurs de l'Occident par Gandhi, les passions religieuses auxquelles il fait appel, les méthodes, pourtant pacifiques de noncoopération et de boycott qu'il préconise, font redouter aux travaillistes que l'agitation indienne ne compromette les résultats de l'inlassable patience par rapport

à laquelle s'ordonne toute la politique du Labour. Mais, surtout, les aspirations des nationalistes ne correspondent pas à l'avenir socialiste dont les travaillistes avaient rêvé pour l'Iude et ceux-ci sont prompts à redouter que le Parti du Congrès ne conduise les travailleurs indiens vers un regIDle d'oppression .plus lourd encore que celui que leur a fait subir l'Angleterre .. Cette :eréoccupation n'est pas d'ailleurs sans arrière·pensées : les industries indiennes, en ~ncurrençant celles de l'Angleterre, . ne provoqueront-elles pas des difficultés dont souffriront les ouvriers britamllques ? Sans rompre avec les nationalistes, les travaillistes s'efforceront de soutenir le dcfveloppement d'uA syndicalisme indien, qu'ils auraient volontiers opposé au Parti du Congrès, " pl\rti des millionnaires ». Mais dans ce domaine encore . leurs ~spoÎTs seront déçus : les syndicats indiens mettent au premier plan la lutte c"}ltre le capitalisme étranger et ne se la:,~nt pas séparer du nationalisme. La · sociétÉ' indieune refuse avec obstination d'entre~ dans les cadres qu'avait prévus )Jour elle le socialisme britannique. Les années qui suivent la Deuxième guerre mondiale ne feront qu'accentuer ce divorce : « T"u.- ne pouvons plus amener au socialisme l'Inde, Ceylan, la Birmanie, . il faut, leur ilccorder l'indé.pendance », admet Br/ü4;ford en 1945. La réalité a fini par faire céder « le po~ds des concepts ll . Pierre Souyn

Le Pérou François Bourricaud Pouvoir et société dans le Pérou contemporain Cahiers de la Fondation nationale des Sciences · politiques Armand Colin, éd. 318 p . Est-il possible de comprendre, et de décrire, . les structures sociales et les mécanismes du pouvoir d'un pays qui, comme le Pérou, ne 'relève d'aucun modèle classé, en n'utilisant qu'un matériel à la portée de l'homme de la rue : presse, romans, discours politiques, manifestes de propagande?, Le livre de François Bourricaud apporte une réponse affirmative et exemplaire à cette question. . Certes, l'exploitation de ces don.nées puisées · dans le tout-venant des informations publiques est-elle effectuée par un spécialiste, disciple de Parsons, qui · domine les techniques de la recherche sociologique,· et qui a mené des ènquêtes · systématiques · dans diverses régions du Pérou. Mais loin de faire montre d'ins. truments de mesure réservés ou de s'exprimer en jargon d'initié, l'auteur entend mèner sa recherche et conduire son raisonnement en honnête homme. Si bien que l'on retrouve . dans son étude une vulonté ' de participér à la l'rise de cons- . cience péruvienne, telle qu'elle s'ébauche actuellement. L'emploi d\i.n vocabulaire simple permet au chercheur de participer à · la création d'une opinion publique. C'est pourquoi les études de François Bou~ricaud sont discutées dans les quotidiens et revues de Lima "'!ns qu'aucune réserve portant sur sa qualit,é d'étranger soit jamais formnloie. . Ce n'est pdS que l'auteur · ménage les intérêts ou les susceptibilités des personnages et des groupes qui occupent la scène publique. Il est souriant, compréhensif et dur à la fois. Sa description des théories économiques et financières du milieu d'affaires qui s'exprir.< Jans les . cplonnes de la Prensa un des grands quotidiens de Lima - exclusivement basée sur des citations vaut une charge polémique. Les extraits carl.ctéristiques de discours présider:.!iels auraient leur place dans une .anthologie prudhom. mesque. Çà et là, un détail noté '-omme


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continents

par hasard situe le doctrinaire dans un chapitre consacré à la doctrine. L'étude porte essentiellement sur la période qui va de 1956 à 1964, période riche en expériences politiques et en interventions des diverses « puissances » réelles, qu'elles soient économiques, comme les grands groupes oligarchiques, « populaires» comme l'A.P.R.A. de Victor Raul Haya de la Torre, puis 1'« Accion Popular -;; de Fernando Belaunde, ou « techniques », comme les forces armées, ou encore de style nouveau, comme les diverses tentatives de guérilla. Elle prend comme point de départ la, vue communément admise d'une société où l'oligarchie règne souverainement et dont le jeu consiste à perpétuer un contrôle politique absolu, alors que les transforma· tions de cette société, l'entrée en scène de populations de plus en plus nombreuses et de plus en plus exigeantes font s'accumuler des forces explosives. A y regarder de plus près - et c'est là que la lecture systématique de la presse apporte un matériel précieux et passionnant - cette oligarchie n'est ni unifiée ni immobile. Elle tend certes à conserver ses privilèges, à entretenir une certaine mentalité de suprême arbitre disposant des moyens de répression. Mais cette conception correspondait à un Pérou où l'oligarchie était la société, où une grande partie des populations était marginale, où les clientèles étaient dociles et strictement dépendantes, où l'Etat était réduit à quelques services dirigés par des parents ou des fidèles. La conception peut se survivre, mais elle ne reflète plus toute la réalité. Entre propriétaires terriens la cassure devient évidente quand le problème de la réforme agrai.re se pose, car les intérêts liés aux entreprises de la côte ne sont pas solidaires de ceux des vallées et des plateaux andins. Libéraux et nationalistes se séparent et se combattent. D'autre part, l'autorité du « gamonal ,. ne peut plus s'exercer directement que là ' où la société d'autrefois s'est conservée intacte; mais dans les villes, et pour les mille questions po~ par l'urbanisation et l'industrialisation, des groupes, des services, des pa.rtis, des administrations interviennent ou fonctionnent suivant des règles nouvelles. Le roman de Ciro Alegris, El Mundo es ancho y ajeno, où étaient décrits les rapports entre patrons, cholos et Indiens, ne reflète plus un Pérou contemporain, plus complexe, moins compartimenté, davantage interdépendant, et où par conséquent les jeux politiques correspondent à de nouveaux espoirs, des volontés plus nettement exprimées, ou tout simplement à des « présences 1> que nul ne peut plus ignorer. La grande aventure de l'A.P.R.A., tentative de m<ll>ilisation de tout ce qui n 'était pas oligarchie pour balayer l'oligarchie et orgauiser un Pérou authentique, où le parti eût marqué l'Etat de sa jeunesse, de son idéalisme et de son esprit communautaire, semble elle aussi avoir perdu son caractère totalisant pour se limiter à la recherche d'une participation aux changements, dont le caraco tère prosaïque est compensé par l'insis-

tance mise à souligner les considérations morales qui cimentent le mouvement et apportent aux évolutions tactiques de Victor Raul une caution doctrinale. C'est le drame de ce que François Bourricaud appelle (1 ln petite gauche irréductible JJ de se heurter, en voulant reprendre l'idée de la mobilisation populaire et de l'assaut à l'oligarchie, à tout ce qui - organisations et militants - se trouve déjà engagé dans une société qui se crée en dehors du grand affrontement que laissait prévoir la société ancienne. Entre la volonté de combat des formations d'extrême-gauche et l'extraordinaire habileté des groupes oligarchiques à se cramponner, se placent les espoirs, les velléités, les participations effectives, étendues ou limitées, d'un Pérou qui n'est plus celui du XIX' siècle sans pour autant être déjà celui de l'expansion économique, de l'intégration des p0pulations indiennes, d'une classe d'entrepreneurs et d'un Etat d'efficace administration. L'échec d 'un Hl' go Blanco, sans doute le plus intelligent et le plus responsabl~ des leaders révolutionnaires, s'explique évidemment par la répression et par la pression des grands « latifundistes » de la vallée de la COllvencion, mais sans douk plus fondamen talement par le fait que ).,'8 membres d(',~ syndicats et des ligues I-:\ysannes évaluaient l'action et la violence en f\lnction de changements limités et non d'un bouleversement révolutionnaire apocalyptique. C'est par des considérations et des interprétations . de ce type que l'auteur examine, ,'ette fois en des termes plus théoriques, les perspectives probables que détermine l'accumulation des foyers d'in. quiétude, de ,mécontentement et de revendication, notamment dans la sierra et dans les bidonvilles. Cettt> addition d'énergies explosives débouche,-t-elle nécessairement sur un grand nouvement révolu· tionnaire, et le problème se limite-t-il, pour les lead~rs partisans de la voie courte. à trouver -le type de détonateur parfait? Tout en laissant l'interrogatic;m posée, François Bourricaud laisse entendre que l'hypothèse d'un dynamitage des structures ~~iales péruviennes est peu probable. Le livre se défend d'être prophétique. Son auteur, après une démonstration de savoir et de flair, demeure modeste; il se borne, en conclusion, à souhaiter u l'émersence d'un appareü d'information et de résulation qui permette à la société péruvienne de sentir un peu miew: ses propres problèmes à défaut de pouvoir ~es résoudre ». Louis Mercier

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d'Athènes. Ce nouveau système est fondé sur la propriété privée; il porte en lui une dynamique interne, un ressort neuf, une capacité particulière de développement qui va changer la face du monde. Retrouvant ici une idée chère à Georges Gurvitch, Guy de Bossehère nomme « prométhéenne » cette forme nouvelle d'organisation politique et sociale entreprenante, et qui porte en elle, nécessairement, l'expansion. Dès lors, voici réunies les conditions pour la conquête · et la domination, " du monde. Cette conquête progressive pren-

~e: ;de:n~~sa~ ~=rtupe':nU:e!;S ~i:; la recherche constante du ' profit. L'hom· me européen veut avant tout son bien· être. Sans doute, les aventuriers prométhéens, les soldats de la conquête serontils un jour remplacés par des bureaucrates. Mais le processus sera toujours et partout le même; la colonisation ne sera qu'une longue spoliation, une mise à sac de l'humanité tout entière. Cctte histoire faite . de meurtres, de vols, de traite des nègres. Guy de Bossehère la décrit, la peint comme une épopée ,candaleuse. Dans la phase ultime, les ad· ministrateurs envoyés par la Métropole auront pour mission de gérer les biens arrachés aux peuples asservis. Ce mouvement trouve sa véritable naissance avec la fondation de Cartba~e, et son-., aceès à une autonomie au mOIllll relative. Carthage se développe en dehorS du processus qui se déclenche avec les Grecs. C'est l'exception à la règle. Et. sans doute, à parler avec des images empruntées à une phase postérieure, ce n 'est pas la seule possession d'Ibiza qui suffirait à faire de la ville de Tanit une puissance coloniale, un empire colonial. Pourtant, la colonisation est déjà à l'œuvre dans la transformation en territoires dominés des domaines conquis sur le pourtour de la Méditerranée, alors même que l'asservissement des populations n 'y prend pas les formes radicale.s que nous connaîtrons ultérieurement.

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Le prochain #

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Jeudi 31 Août

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s'agit en-Cffet, de fixer, comme le :.:. Ici, pas, la tâche devient difficile. Il ne fait l'auteur avec rigueur dès les premières pages, Ull vocabulaire de la colonisation. Il s'agit avant tout de savoir ce que l'on doit faire entrer dan! cette catégorie, sans rien omettre, mais en évitant en même temps de vouloir tout • interpréter à partir de là: les grandes • . . . . . . . . . . . . . . . . .. invasions, certaines formes de domination • dues aux guerres saintes et à la propa' • gation des religions. Ainsi, les Croisades • conduisent à certaines formes de la co- • Ionisation. Mais pas le développement de • l'Islam; pas ses conquêtell. Guy de Boa- • chère soutient que ' les « Arabes » n'opt • pas asservi les peuples islamisés. La con- • version suffit ici, pour passer dans le. clan des vainqueurs, pour entrer dam. (1 l'Intemationale islamique ,.. Le christianisme européen, au contraire, est une • arme dans l'arsenal du colonialisme : les • peuples africains convertis par des prê-. tres européens sont maintenus dans la. dépendance. Leur foi nouvelle ne les. sauve pas en ce monde. • En quelques pages alertes, nerveuses •• et toujours d'un style serré, dur, haletant. parfois, l'auteur dét~t ~ à plais~r. . certaines légendes. C est bien un travail. de chirurgien et qui travaille, a~it dit • Trotsky, (1 au ~uteau » ; le . ton co"!l'. traste avec celm de nos mant, els d'histoire, ou même parfois, de phil(\~phie où • s'étalait une certaine imagerie coloniale,· assez complaisante à ces idoles que Boa- • chère jette ainsi, chemin faisant, par•• dessus bord. Il décolonise comme on. « déstalinise » ; en détruisant les Mythes; en brûlant les mausolées ; . iI délivrant l'esprit. On aura certainement déjà deviné, au terme de ce - trop bref aperçu, combien ce livre, par le ton comme par les thèses, est proche des ouvrages de Fano~. Il l'est aussi, - et peut-être d'abord, par le pessimisme de Guy de Bosschère à l'égard de l'Europe. Le vieux continent est au bout de son histoire. Il ne peut plus rien. Seuls peuvent prendre le re19, rue Jacob, Paris, &e lais, pour de nouvelles constructions, les C. C. P. Paris 11Sot-51 « damnés de...Ja terre ».

POÈTES PORTUGAIS

Tiers-Monde Guy de Bossehère

Autopsie de la colonisation Albin Michel, éd. 325 p. L'Europe n'est plus seule à donner un sens à l'Histoire; tel est le constat que fait Guy de Bosschère dans une Autopsie de la colonisation qui est ainsi, en tout premier lieu, une certaine autopsie de l'Europe. Ce livre est une méditation sans pitié sur l'Europe et sur son destin examiné à partir de ses origines, qui remontent, comme chacun sait, à l'aurore grecque de notre civilisation. Ici, voici vingt-cinq siècles, s'est allumée pour la première fois la lumière de l'Occident, dans des circonstances tout à fait singulières. Au moment où l'ensemble de ce qui constitue aujourd'hui le tiers monde semble assoupi dans les systèmes, soit de sociétés dites " primitives 1>, soit des Etats dominés par le cc despotisme oriental », une forme nouvelle d'organisation de la société, du pouvoir, des relations entre les classes a pris naissance du côté

La Quinzaine littéraire, 1" au 31 août 1967.

BRÉSIL 1967

par J.-M. Domenach et M. Moreira Alvès

L'HERM,ÉNEUTIQUE

LE M,OYEN - ORIENT

JUILLET-AOUT 1967

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Lapœsade : 27


BEVUES

Israël et les Arabes Le conflit Israélo-arabe Numéro dossier • Les temps modernes -, 991 p.

des espèces de raisonnement de caractère mécanique. Lanzmann nous expiique, en effet, que les collaborateurs ar.abes à cette publication ont récusé (qu'II soit classé dans la nomenclaturo des • points de vue arabes -, ou dans celle des • points de vue israéliens -) la signature de Razah Abdel-Kader, Algérien, partisan fervent d'une réconciliation. Et puis, il est bien vrai que les attitudes conventionnelles l'ont emporté, ce qui ne manquera pas d'attrister, de surcroît, la gauche européenne pour laquelle, nous dit Jean-Paul Sartre, le dossier avait été établi. Dans ce contexte, Dov Barnlr pose la question fondamentale : si le sionisme est vraiment une des solutions Indispensables au problème des juifs, où y a-t-Il, de par le monde, une terre susceptible de les accueillir? L'examen de l'ensemble de ces difficultés est abordé par deux des collaborateurs européens de la livraison - ils sont Juifs français, de gauche, et de la même génération : Maxime Rodlnson et Robert Mlsrahi. Chacun bâtit une hypothèse. le premier à partir d'un judaisme sans spécificité, qui est poussé en Palestine par l'antisémitisme européen, qui y pénètre grâce à une puissance étrangère (la GrandeBretagne), et s'y Impose à l'occasion de la victoire d'un groupe de puissances européennes - ,les Aillés - sur un autre groupe - les empires centraux -, auquel s'étalent joints les Ottomans. Aux yeux de Misrahl, au contraire, le judaïsme a un contenu propre; sa nature lui fait aspirer au retour, et ce retour en Terre Sainte s'est effectué contre les Turcs comme contre les Anglais : les juifs et les Arabes étalent, au même titre, des colonisés. En somme Hodlnson et Mlsrahl concluent, l'un et J'autre, à la confrontation au Proche-Orient de deux mouvements nationaux, dont la naissance est, d'ailleurs, à peu près contemporaine : le sionisme, rejeton un peu tardif (II est, pourtant, parallèle à la tentative nationale unitaire en Italie) des divers mouvements nationaux européens, dans la confédération germanique, dans les Balkans, etc.; et le grand réveil du monde

Oue reste-t-II aujourd'hui de ce numéro spécial des Temps modernes sur la s,ituatlon au Proche-Orient, dossier de près de 1.000 pages, en gestation depuis un an environ et terminé juste à la veille de la guerre de six jours? Les libéraux des deux bords semblent avoir perdu la partie. Où sont les rêves de l'Irakien Nissim Rejwan sur l'épanouissement du judaïsme dans le monde islamique, souvenir du grand philosophe Bahya ibn Pakuda? Et du côté des Israéliens, que reste-t-II des spéculations sur l'Intérêt bien compris des Arabes, qui est la paix et non la guerre (Vossi Amitay), la contribution de l'Etat d'Israël à résoudre les problèmes économIques des pays arabes (Shaul Zarhl)? les passerelles d'un camp à l'autre se sont effondrées: l'op. tlmlsme du communiste juif Meir VIIner, la disponibilité du Druze Israélien Salman Falah. Une dure leçon est donnée à la gauche Israélienne (Slmha Flapan) sur les poSSibilités d'une gauche arabe. Rien n'aura été plus outrancier, pendant la • drôle de guerre et après le déclenchement du conflit, que les Etats prétenduement socialistes de l'arablclté. Enfin, toutes ' les combinaisons en vue du retour des réfugiés palestiniens sont dépassées (ceux-cI se trouvent maintenant, pour 80 % d'entre eux, à l'Intérieur du nouveau système Israélien), et le problème des Lieux Saints se repose en entier. Atallah Mansour, Arabe chrétlan Israélien, va se réjouir, tandis que s'inquiètent les masses musulmanes du monde arabe et les chrétientés d'Orient. Le calcul des responsabilités, lui-même, selon lequel en 1948 les Arabes auraient eu tort et en 1956 les Israéliens, s'efface devant le nouveau total à faire. Subsistent seulement chez ces dixsept Arabes asez représentatifs, chez ces vingt-six Israéliens de tous bords - majorité gouvernementale et opposition, dont quatre Arabes et un Druze - que Claude Lanzmann nous présente avec beaucoup de simplicité,

TAXES le ministre des Finances a décidé de pénaliser la littérature moderne et c'est bien l'un des aspects les plus étonnants des mesures économiques en cours . Jusqu'à présent, le livre était l'objet de deux taxes différentes : - D'une part, la T.V.A., soit 10 %, était perçue sur le prix de gros du livre, c'est-à-dire sur une somme qui représentait 66 % du prix de vente. Le montant de cette perception s'élevait donc à un dixième de 66 %, soit à 6,6 % du prix fort en librairie. Pour un volume que le lecteur payait 10 F, l'Etat prélevait donc automatiquement 0,66 F, au départ. - D'autre part, les libraires payaient de leur côté la taxe dite • locale -, soit 2,85 % du prix fort. Pour le volume de 10 F, cela faisait encore 0,285 F. - Au total, le publiC versait, au titre de cette double imposition quelque 0,95 F pour chaque achat de 10 F. Cette curieuse conception de l'encouragement à la culture qui consiste à favoriser la lecture des anciens et à pénaliser èeux dont dépend, en définitive, la perpétuation de cette même culture n'est pas sans avoir d'autres répercussions, pour le moins étranges. Ainsi, il était admis que l'auteur percevait en moyenne 10 % du prix

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arabe, qui va soulever la vague de la décolonisation. la question intéressante me paraIt alors être celle-cI : pourquoi l'un choIsit-il la vole arabe, tandis que l'autre affirme sa sympathie pour l'aboutissement de l'autre vole : IsraAI? Je ne crois pas aux raisonnements abstraits. Je suppose qu'il y a quelque chose, a priori, là-dessous. Pourquoi - considération bien plus Importante encore à prendre - en sommes-nous arrivés, aujourd'hui, à ce que (en gros) les Soviétiques soient les amis des Arabes, et les Américains les amis des Israéliens? " en fut, en son temps, tout autrement. Eliezer Beerl rappelle judicieusement qu'en 1935 et en 1945 les ennemis les plus achar· nés du sionisme avalent partie liée, en Irak et en Egypte, avec des grou· pements d'extrême-droite. Nahum Gold· mann évoque le soutien qu'il avait obtenu chez les Soviétiques, et nous nous souvenons qu'en 1948 l'agression des Etats arabes avait été un moment dénoncée à l'Est comme une manl· festation Impérialiste. Comment expliquer le retournement? On pourrait parfaitement imaginer le rétablissement de la situation antérieure, puisque, par exemple, les Arabes ont du pétrole, qui concurrenCe le pétrole soviétique, etc. Oue s'est-il passé, qui a entrainé d'un côté Maxime Rodlnson et de l'autre Robert Mlsrahl ? Rodlnson montre le bout de l'oreille quand il écrit : • " n'y a pas de solution révolutionnaire au problème Israélo-arabe. - A cela, un Robert Mlsrahl répondrait volontiers (je pense) : le socialisme. c'est la réconciliation des deux peuples. L'opposition des tendances amis des Arabes, amis des Israéliens - soutient donc des conceptions dif· férentes de la gauche; et c'est sur cette souche - particulièrement depuis 1956 que les Impérialismes divergents sont venus se greffer. En dépit du déchet considérable dO à sa date de parution, le dossier présenté par Jean-Paul Sartre et les Temps modernes fait ainsi pénétrer quelques lumières dans le subconscient de la gauche. ' Jacques Nantet

Un projet du Ministère des Finanoes de vente de son livre en librairie, à titre de droit d'auteur. Bien entendu, la T,V.A. entrait dans ce prix de vente et si l'Etat retenait à son profit 0,66 F sur un ouvrage de 10 F, l'auteur n'en continuait pas moins à percevoir 1 F. Déjà lui échappaient les 10 % sur les taxes locales: peu de chose sans doute, mais cela constituait une entorse au principe qui veut que l'auteur touche un pourcentage sur les sommes versées par le publiC pour l'usage de son œuvre. Désormais, la T.V.A. venant s'identifier à la taxe locale, l'ensemble des perceptions de l'Etat sur les livres modernes (12 %) échappe aux droits d'auteur. Ces droits seront en définitive inférieurs à 9 % des sommes versées par le public. On ne sait si cette dé'cision sera maintenue et appliquée. Des discussions sont en cours pour obtenir son amendement. Et ,le Premier ministre a, pour l'instant, refusé d'apposer sa signature. Dans un souci de simplification, Il était question, depuis un certain temps d'unifier ces deux Impôts ou plutôt, dans la pratique, de supprimer la taxe locale et de percevoir la T.V.A. à un taux supérieur et de la faire porter sur le prix fort (dans le cadre de la réforme générale de la T.V.A.). Ensuite le Parlement avait Introduit,

au mois de janvier dernier, une nou· velle notion dans le projet qui lui était présenté. Dans le but, semblet-il, de favoriser la culture, le texte approuvé par l'Assemblée faisait une distinction entre les ouvrages à caractère culturel ou éducatif et les autres. Les premiers seraient taxés il 6 % du prix fort (soit 0,60 F pour un volume vendu 10 F en librairie), tandis que les autres se verraient imposer à 12 %. Apparemment, une tel· le clause pouvait paraître sensée et répondre à des préoccupations logiques. Le problème se compliqua lorsque le gouvernement dut définir quels seraient les livres à caractère culturel ou éducatif. Il est évidemment très difficile de trouver un critère dans ce domaine, la plupart des livres étant, par définition, des véhicules de culture, à de rares exceptions près. Or, il était évident que chaque éditeur ne pouvait demander au ministère des Finances de trancher cas par cas. Le ministère s'est donc orienté vers une solution assez fâcheuse qui consiste à tenir tous les livres pour des éléments de culture, en dehors de la littérature moderne. Cette curieuse façon de concevoir la culture répond surtout à des besoins précis: quarante millions de francs étant en jeu pour le budget, il fallait bien faire

porter cette charge sur quelqu'un et la décision ne pouvait qu'être arbitraire. Selon la solution préconisée pat les Finances, ce sont donc les ouvrages du domaine public, notamment, qui bénéficieront d'une réduction d'impôt : leur part passe de 0,95 F à 0,60 F pour un livre de 10 F - ce qui abaisse encore leur prix, déjà favorisé par l'absence de droits d'auteurs à payer. Par contre les contemporains -- ,- et en particulier les jeunes auteurs, sur qui l'éditeur ne peut espérer faire le moindre profit, dans les circonstances actuelles seraient vendus plus cher. Pour résumer les inconvénients de la position des Finances à l'encontre des jeunes auteurs et des modernes en général on peut en dresser la liste suivante : 1. Leurs livres coOteront pl LIS cher (Impôt 12 % au lieu de 9,5). 2. la concurrence du domaine public sera plus grande encore (diminution d'impôt de 9,5 % à 6 %). 3. Ils verront leurs droits diminuer en chiffres absolus, bien que de fort peu (0,66 %). 4. Leur pourcentage sur le prix payé par le lecteur tombera à moins de 9 %, au total.


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POLICIERS

Catégorie de luxe

Hors-série

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Peter Loughran Londres-Express Trad. de Panglais par M. Duhamel Coll. « Série Noire » Gallimard, éd. 256 p.

Parce que Pagent littéraire de Peter Loughran était en même temps celui de Donald Mackenzie, romancier ' anglais plusieurs fois traduit dans la Série Noire, les épreuves de Londres-Express tombèrent un jour sous les yeux de Marcel Duhamel. Il lit le livre, s'enthousiasme, décide de le traduire et, après de longues hésitations qu'il rappelle dans .son avantpropos, se résoud à le publier_Certes, on peut s'étonner de trouver un .monologue intérieur de 250 pages à Pintérieur d'une collection où Pon cherche généra. lement l'action et la violence. Mais la publication d'un ouvrage qui se situe précisément en dehors de toute série n'est pas un cas unique dans la Série Noire. Ce qui est plus surprenant, c'est que, loin d'en être diminué, son unité s'en trouve en quelque sorte renforcée. Quoi qu'il en soit, le destin de Londres-Express n'est pas commun : publié à Lundres par Martin Secker et Wardug, éditeurs de Kafka, Tenessee Williams, Gunther Grass et Moravia, il accède brutalement dans son édition française à un tirage (et à unc vente) de 40_000 exemplaires, ce qui est

Peter Loughran

exceptionnel pour un ouvrage de cette sorte lorsqu'il est Pœuvre d'un écrivain totalement inconnu. Paradoxalement, il se prive du même coup de Pattention des critiques dont il aurait peut-être bénéficié s'il était paru dans une collection littéraire avec un tirage de moins de cinq mille exemplaires. Dès lors, on se demande comment l'aborder 'f Faut-il le lire comme un livre à part entière, ou, en quelques heures, s'y plonger totalement pour en oublier ensuite jusqu'au titre et au nom de l'auteur ? Au niveau d'un roman d'action, Peter Loughran ne décevra pas ses lecteurs, et il est parfaitement à sa place dans la Série Noire. Sans l'avoir calculé sans doute, l'auteur a. infusé dans son monologue intérieur une dynamique qui va crescendo. A travers les souvenirs, les cris, les appels, sourd une menace latente et l'appréhension d'un événement terrible et irrémédiable_ Malgré, ou grâ-

ce aux innombrables digressions, l'attention s'exacerbe, la patience s'énerve_ En ce sens Londres-Express est bien un r0man de violence et de suspense et l'un des meilleurs qui soit. Mais il serait dommage de s'en tenir à cet aspect et de se contenter de «parcourir» l'histoire comme on le fait souvent. La traduction de Marcel Duhamel restitue une invention verbale, un délire imaginatif qui emmêle réminiscences proches ou lointaines, désirs informulés et rêveries mythomanes, un langage à la fois vulgaire et poétique qui fait considérablement pâlir les élucubrations tant prisées du commissaire San-Antonio. C'est le cri de rage permanent d'un pauvre type enfermé dans une condition psychologique et sociale dérisoire. Il se veut cynique, il est larmoyant_ Il 'couvre d'injures muettes deux "nonnes lt installées à ses côtés dans le compartiment de chemin de fer qui sert d'uUÎté de lieu et de temps ' à tout le livre. Il blasphème, mais il dissimule honteusement les revues pornographiques dont il se promettait de longues minutes de plaisir. Il crie sa haine pour ces religieuses qui terrifient dit-il jusqu'aux enfants, pour affirmer un peu plus tard qu'elles sont tout ce qu'il y a de pur et de beau sur la terre. Le système social complexe qu'il échafaude en vue d'établir une liberté sexuelle absolue, débouche sur une vision puritaine idyllique « comme ça, les hommes ne seront plus tout le temps à courir après nos femmes et elles pourront rester honnêtes ». Obsédé sexuel par la force des choses, fleur bleue par soudaincs bouffées, il se torture puérilement pour une tache à son complet de sortie «si distingué ». Violent à briser les vitres d'une rue entière, il pleurniche sur ses bons sentiments ; philosophard tour à tour . intelligent ou stupide, Loughran nous livre crûment l'univers terne et exacerbé d'un Joyce des faubourgs. A Pintérieur du compartiment minable d'un train minable, l'affrontement de tant de sentiments contradictoires pre'nd soudain les dimensions d'une épopée. Le . résultat est si surprenant que l'on cède un moment à la tentation de croire à une supercherie littéraire, à une pseudo-œuvre populaire fabriquée par quelque écrivain en renom. Pourtant, l'auteur de Londres-Express n'a rien d'un mythe : jeune (29 ans), autodidacte, anglais d'origine irl~ndaise, il mène depuis l'âge de quinze ans une existence errante, de pays en pays, d'emploi en emploi. Aujourd'hui encore, il subsiste d'une paie de manœuvre à mi-temps (5 livres par semaine)_ Son livre n'est pas un ouvrage alimentaire ; il a été longuement remanié, récrit, réduit. Certains détails (traces de bombardement, allusions à l'application de la peine de mort) font penser qu'il a été commencé il y a déjà fort longtemps. L'auteur a vécu avec lui. C'est un livre naïf, comme l'on peut parler de peinture naïve. Qu'il plaisante, ricane, hurle ou pleure, Loughran nous livre une matière brute_ Son livre est semblable à l'accident qu'il relate : involontaire et atroce. Les amateurs de parodie, références et sl'cond degré n'y trouveront rien qui leur convienne. LondresExpress choque, étouffe_ Il pèse sur le lecteur sans l'adoucissement d'aucun voile littéraire. Il n'est pas un jeu.

ta Quinzaine littéraire, 1" au 31 août 1967.

Juliette Raabe

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Audrey Erskine Lindop

Compte à rebours Trad. de l'anglais par Colette-Marie Huet Stock, éd. 295 p.

Ce livre copieux, annoncé très discrètement, est le roman policier le plus intelligent que j'aie' lu depuis longtemps. Roman policier? Eh bien oui. ~ ses incontestables qualités littéraires, Compte à rebours en est un_ Un vrai. Et l'Anglaise Audrey Erskine Lindop est un écrivain_ Un vrai. Ce qui mérite d'être souligné_ Car, contrairement à ce que prétendent quelques gros malins, il • est exceptionnel qu'un bon auteur de • romans policiers soit également un boa écrivain. Et quand on a la chance de • tomber Sur cet oiseau rare dans une collection à 2,60 F ou 3 F, on le re- • trouve quelque temps plus ' tard édité • dans un format de luxe à plus de 10 F_ •

• •

Dès qu'un auteur de thrillers se double d'un véritable écrivain, il faut, pour l'imposer, le publier dans une collection de luxe. C'est navrant, mais il n'y a pas d'a1!lre solution_ Compte à rebours entre lui aussi dans cette catégorie de luxe_ Et ses qualités justifient hautement cette promotion. Un étonnant bonheur d'écrire, une intelligence aiguë, un humour ni noir ni « bien anglais lt mais presque pudique, des personnages férocement vivants, voilà ce qu'on découvre dès les premières pages de ce roman_ .Une fillette de quatorze ans, Wynne Kinch, raconte son histoire : on vient de l'arrêter_ Elle est gardée à vue. Son crime : elle a sciemment brouillé les pistes qui auraient pu conduire au dangereux étrangleur de jeunes filles que la police locale recherche depuis quelque temps. Pourquoi cette complicité? Nous le saurons bientôt. Orpheline depuis l'âge de trois ans, Wynne vit dans une petite ville de province, au sein d'une famille hétéroclite mais très unie : sa tante, une brave femme deux fois veuve, ses cousins Len et Helen (des jumeaux de dixhuit ans), son grand-père, et le merveilleux chef de famille, Georges, trente-cinq ans, fils du premier mari de la tante. Wynne n'a aucun lien de parenté avec Georges, ce qui l'autorise à se croire follement amoureuse de lui_ Or, une succession de faits troublants et d'indices ont amené la jeune narratrice à se persuader que l'étrangleur recherché par la police n'était autre que son amour, son Dieu : Georges. Elle a entrepris de sortir la nuit pour le surveiller. Elle a détruit ce qu'elle pensait être des preuves contre lui. Elle a fait tant et si bien qu'elle a elle-même échappé de justesse à l'étrangleur_ Mais est-ce bien Georges? N'est-ce pas plutôt Len, l'un des jumeaux? Nous ne saurons, bien entendu, le nom de l'assassin qu'à la fin. Voilà pour le thriller. Le lecteur est tenu en haleine pendant deux cent quatre-vingt-quinze pages, et c'est très habilement fait. Les amateurs seront com· blés_ Reste le véritable intérêt de l'ouvrage : la peinture, féroce et franchement drôle, d'un milieu petit-bourgeois anglais_ En quelques pages, Audrey Erskine Lindop nous fait oublier toutes les inepties qui ont été écrites ou filmées sur ce faux bon sujct : une certaine jeunesse d 'aujourd'hui. Quant aux parents, ils sont ici les parents pauvres, qui ' restent éblouis par l~ ' progéniture, et muets, même lorsqu'il faudrait crier pouce. Et, dominant tous ces personnages qui composent une galerie pittoresque. et fort animée, il y a Wynne, la narratnce, dont le ton est si juste, si savoureux, qu'il a valu à cet ouvrage d'être partiellement censuré à l'étranger.

La France est le premier pays qui publie une traduction intégrale de Compte à rebours. Il faut croire que n~~s avo~ vu mieux que les autres ce qu il f~alt voir dans ce livre tonique : une sensibilité et une lucidité rares.

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Dostoievski Crime et châtiment trad. du russe par Elisabeth Guertik Illustrations de Philippe Jullian Cercle du Bibliophile, 2 vol. 328 et 322 p., 14,80 F.

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A.H.w. Beck Les Télécommunications Hachet te . 256 p., 12,50 F. Historique, principes essentiels , aspects économiques . André Jacob Temps et langage A. Colin, 401 p., 48 F. La médiation linguistique du temps et la médiation t emporelle du langage. Angèle Kremer·Marietti Jaspers Seghers, 200 p., 8,40 F. Introduction à la pensée du grand philosophe allemand. René Schérer La phénoménologie des u Recherches logiques " de Husserl P.U.F., 370 p. , 20 F. L'int ention originelle de la réflexion de Husserl et son unité.

Pierre Demeuse 10.000 ans d'aventure humaine De la Préhistoire à la conquête du Cosmos Sodi, 295 p., 21 F. Les quatre ou cinq cents générations qui ont modelé le monde où nous vivons. Charlotte Haldane Tsou-Hsl, dernière grande impératrice de Chine trad. de l'anglais par Marianne Rachline Fayard, 256 p., 17,50 F. Le destin de la Chine entre 1861 .et 1908. Claude Monnier Les Américains et Sa Majesté l'Empereur Ed. de La Baconnière, diff. Payot, 222 p., 30 F. Le conflit culturel d'où naquit la Constitution japonaise de 1946.

DOCUMENTS Roger Bellet Presse et journalisme solis le Second Empire 60 illustrations A. Colin, 328 p., 8,50 F. L'irrésistible ascension de la presse à partir de 1860. Sabine Flaissier Marie-Antoinette en accusation Julliard, 480 p., 25 F. La reine de France jugée par les journaux de son temps. Marie-Noël Grand-Mesnil Mazarin, la Fronde et la presse • 1647·1649 67 illustrations A. Colin, 312 p., 8,50 F. Les « mazarinades " reflet de l'état d'esprit de 20 millions de Français. Pierre Labracherie Napoléon 1\1 et son temps Julliard, 320 p., 20 F. Napoléon III jugé par ses contemporains. Roger Muratet On a tué Ben Barka Plon, 378 p., 20 F.

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POCHE Essais Moshé Dayan Journal de la campagne du Sinaï 1956 Livre de Poche historique. Jacques d'Hondt Hegel P.U.F. Collection « Philosophes » Hugh Thomas Histoire de la guerre d'Espagne Tomes 1 et Il Livre de Poche historique.

Littérature

Leslie Charteris Le Saint à New York Livre de Poche policier. Pierre Daninos Les carnets du bon dieu Livre de Poche. Romain Gary Les racines du ciel Livre de Poche. Thyde Monnier Le rue courte Livre de Poche . Thomas Raucat L'honorable partie de campagne Livre de Poche . J.O. Salinger L'attrape-cœur Livre de Poche . Tolstoï Nouvelles : Maitre et serviteur Livre de Poche. Jul es Verne Face au drapeau Livre de Poche. Ernst Wiechert La grande permission Livre de Poche.


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QUINZE JOURS

Jacinthes Si les jacinthes, ou fleurs internes aux femmes, Mandiargues les extrait imaginairement de quel magma muqueux, algues marines, ou coquillages végétaux? ... et si Bonnier, alexandrin, en fait, par d'imprévus relais, ces cuivres surprenants... et si une femme enfin, Odette Lazar-Vernet, prétend, de ces éléments troubles, fabriquer un livre (mais quelles folies ne voit-on pas !...) alors, de ces jacinthes, naît un objet nouveau, où sont indissolublement mêlés bs pétales, la chair, et jusqu'à ces véritables cheveux noirs, objet, à proprement parler, inqualifiable!. L'origine de cette œuvre peu exemplaire fut une circonstance accidentelle. Dans une chambre, à la campagne, où André Pieyre de Mandiargues se trouvait, se trouvaient des jacinthes, fleurs vénéneuses, dont le parfum, insupportable aux dormeurs, corrompt toute réalité. Une main les ôta, 'provoquant ce témoignage de gratitude : les treize poèmes qui font Jacinthes, poèmes qui provoquèrent ces eauxfortes, eaux-fortes qui provoquèrent ce livre, métamorphose ultime de . l'incident. Par ces moyens, les fleurs anéanties nous sont rendues sous une espèce différente. Elles

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ces mutations invraisemblables, ces mouvements de la matière trans- muée. Elle va, par bonds irration- ._ nels, enfermant dans ses c~msé- _ quences foudroyantes des hiens irréductibles à leurs causes. Elle est une logique d'illogismes. La foudre est une analogie _ facile. Cependant la vitesse à _ laquelle le poème progresse, contre _ toute raison, d'un objet à l'autre, la justifie. Dès la première page de Jacinthes, Mandiargues nom- : me : le ciel d'orage, les mouettes, _ l'odeur de la fille épanouie, la _ chambre turque, et jusqu'à « la jouissance du jeune mort, qui serre les dents dans la jubilation de l'éclair». Ce n'est pas l'Ecole : du Regard! Ce n'est pas la trans- _ cription scolaire, exacte, et bota- _ nique de la jacinthe, telle que tels littérateurs-greffiers, l'œil myope obstinément collé sur les pétales, l'eussent décrite avec une mortelle : minutie! Mais c'est, par cette _ appréhension multiple, la poésie, _ tout ce qui, étant cette fleurabstraite, n'est pas elle. Les objets infinis que nous offre Mandiar- : gues, dans ces pages, sont-ils inclus _ dans cet objet fini : une jacinthe? _ Apparemment, non. Evidemment,. oui. De cette apparence à cette -

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vos livres de vacances • •

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HENRI TROYAT LA MALANDRE

GUY DES CARS DE TOUTES LES COULEURS

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FRANÇOIS PORCHÉ BAUDELAIRE

FRANK ELU LA MUTINERIE

de l'Académie française

Les Eygletlère

Histoire d'une âme

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Une eau·forte d'Alexandre Bonnier pour Jacinthes.

La Quinzaine littéraire, 1" ou 31 août 1967.

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JEAN ORIEUX VOLTAIRE ou la royauté de l'esprit

-• DUCHÉ ROGER PEYREFITTE --•• HISTOIREJEAN DU MONDE NOTRE AMOUR --• •

ont l'odeur enivrante du papier. On peut les lire. On peut les caresser, sous la forme, non plus de ces pétales liliacés, asymétriques et bulbeux, mais de ces pages, lisses parfois, parfois gaufrées. Douce est la fleur champêtre mais, dit Mandiargues, « Terrible est le nom de Jacinthes . Que je vois imprimé dans un livre noir En caractères plus blancs que les mouettes... » Il est vrai. Terrible est la genèse du poème. Cette cascade de transubstantiations échappe aux règles. Avec Rimbaud, comment ne pas la nommer : ALCHIMIE ? .•. C'est son nom propre. La poésie n'est que par

ANDRÉ KÉDROS MÊME UN TIGRE

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évidence est un abime : l'espace littéraire. Un disciple de l'Ecole du • Regard, sous Alexandre, ayant· réussi à fabriquer quelques lentilles : si ressemblantes que les oiseaux • eux-mêmes s'y laissaient prendre,. Alexandre lui fit offrir, en récom- • pense, un boisseau de lentilles. • Offrons un boisseau de lentilles • aux écrivains du Regard. Offrons • un bouquet de jacinthes à Man- • diargues. • Pierre Bourgeade •

SAMMY DAVIS ROBERT ESCARPIT YES, 1 CAN HONORIUS PAPE MICHAEL BLANKFORT MARC TOLEDANO HISTOIRE DE RACHEL LE FRANCISCAIN roman DE BOURGES RENE CONSTANT ROBERT CRICHTON MARCEAU LE SECRET OU LE CHATEAU DE SANTA VITTORIA EN ARDENNES roman roman

1. Jcu:inlhe., par A. Pieyre de Mandiargues. Estampes gravées à reau-forte par Alexandre Bonnier. Collection «. Paroles peintes ». Editions Lazar·Vernet, 26, rUe Vernet, Paris Ir.

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flammarion

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Hall d'exposition du Collège Expérimental de Sucy-en-Brie.

une révolution technique au service de la réforme de l'enseignement Le 5" Plan prévoit, dans les cinq années à venir, 'la construction de 1 200 CES, 300 CEG, 26800 classes primaires et maternelles, que nécessite la scolarisation de 8 millions d'enfants. Une expérience de sept ans, un souci constant de perfectionnement technique permettent à GEEP INDUSTRIES de répondre à ces trois impératifs : Rapidité - Quantité - Originalité. En 1966, GEEP INDUSTRIES a réalisé les collèges expérimentaux de Sucy-en-Brie, de' Gagny, de Marly-le-Roi, dont l'architecture particOlière a été étudiée pour répondre aux besoins pédagogiques nouveaux : salles de cours transformables, équipées pour l'enseignement audio-visuel, prolongées par des terrasses, « studios .. d'équipe, combinant salle d'étude et chambre. Ces trois réalisations de GEEP INDUSTRIES démontrent que l'assemblage des modules industrialisés ne signifie pas monotonie mais variété, élégance et harmonie.

GEEP-INDUSTRIES Procédés ALUMINIUM FRANÇAIS/ST-GOBAIN 22, rue Saint-Martin, Paris 4·. Tél. 272-25-10 - ,887-61-57

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