La Quinzaine N°36

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Ulnzalne 1i ttéraire

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Numéro 36

Du 1er au 15 octobre 1967

ans

de la rentrée


SOMMAIRE

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Sous la direction de Georges P oulet

Les chemins act uels de la critique

par Bernard P ingaud

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ROMANS FRANÇAIS

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Pier:t;e Gu yotat Wi1liam Grorud Rezvani Jorge Semprun

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Su zalllle Pnm

Jérôme P cignol Mohamm ed Khair-Eddinc

T ombeau pour 500 000 soldats La nuit conjugale Les Années-lumière L' évano uis$e ment L'Espoir au cœur Le!' T)rmIfJi"ell,!.< 501l~ lA~ ébp.nier.< L'A m our a ses prlll C I~,' Agadir

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8~ o ignt~ C(j{;~:r'~'"

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Louis-René des Forêts Mau rice C havardès Rémi Laureillard Josanne Duranteau M.C. B.P . Alain Clerval Jacques Howle tt

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CORRESPONDANCE

Henry Miller

Lettres à A naïs N in

par Den is Roche

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ESSAIS

Yves Bonnefoy

Un rêve fait à Mantoue

par Raymond Jean

HISTOIRE LITTÉRAIRE

Edmp-c de la Rochefoucauld

En lisant les Cahiers de Paul Valéry

par Samuel S. de Sacy

ART

Liliane Brion-Guerry

Cézanne et l'expression de l'espace Les quinze mystères du Rosaire

par Françoise Choay

Le mouvement communiste en France, 1919-1939 French communism in the making, 1914-1924 The french communist party and the crisis of international communtsm Introduction à la vie politique Guide pour l'univers politique

par Annie Kriegel

16 1'7 18

J.-D. Rey et J.-M. Lacroix PO LITIQUJ:

Léon Trotsky Robert Wohl François Fejto

Jean-Yves Calvez René Pucheu 21 22

PHILOSOPHIE

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ENTRETIEN

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MUSIQUE

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HISTOIRE

par Albert Kohn par François Châtelet

Edith Thomas parle de Rossel

Propos recueillis par J osanne Duranteau

Nelly Caron et Dariouche Safvate

Iran

par Maurice Faure

Henry N. Smith Mark McShane Joseph Harrington

Terres vierges Une vague de délire Le voile noir

par Bernard Cazes par Noëlle Loriot

Direction: François Erva!. Maurice Nadeau

Publicité littéraire : La Publicité Littéraire 22, rue de Grenelle, Paris 7 . Téléphone: 222.94 .03

Crédits photographiques

Direction artistique Pierre Bernard Administratiqn : Jacques Lory Comité de rédaction : Georges Balandier. Bernard Cazes. François Châtelet, Françoisc Choay. Dominique Fernandez, Marc Ferro. Michel Foucault, Bernard Pingaud. Gilbert Walusinski.

littéraire

Secrétariat de III ré.daction : Annc Sarrautc Informations : Marc Saporta Assistante: Adelaïde Blasquez DoclLmentation: Gilles Nadeau Rédaction. administration: 43 , rue du Temple, Paris 4 Téléphone : 887.48.58.

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par Pierre Avril

Le gai savoir Hegel, philosophe de l'Histoire vivante

Frédéric Nietzsche Jacques d 'Hondt

Conseiller : Joseph Breitbach

La Quinzaine

par Jean Selz

Publicité générale: au journal. Abonnements: Un an : 42 F, vingt-trois numéros. Six mois: 24 F , douze numéros. Etudiants: six mois 20 F . Etranger: Un an: 50 F. Six mois: 30 F. Tarif d'envoi par avion : au journal Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal C.c.P. Paris 15.551.53 Directeur de la publication: François Emanuel. Imprimerie: Coty S.A. 11 , rue F.-Gambon. Paris 20. Copyright: La Quinzaine littéraire.

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Peter Gowland Droits réservés Marc Riboud, magnum Lüfti Ozkok Inge Morath , magnum Flammarion éd. Jerry Bauer J. Le Madec Philippe Tourjansky Cartier-Bresson, magnum Roger Viollet Roger Viollet Mazenod éd. Roger Viollet Roger Viollet Roger Viollet Roger Viollet Giraudon Droits réservés Thomas Hopker. magnum Keystone


LE LIVRE DE LA

QUINZAINE

Où en est la critique Les chemins actuels de la critique sous la direction de Georges Poulet Coll. « Faits et thèmes» Pl9n éd. 520 p.

Admirons d'abord le tour de force qui consiste à ramasser, dans un volume de dimension raisonnable et de présentation plaisante, le fruit de dix jours de discussions sévères, toujours animées, parfois tendues, sur la critique. Grâce au zèle patient de Jean Ricardou, les portes du sanctuaire de Cerisy s'ouvrent aujourd'hui pour la première fois à un large public qui pourra découvrir, sous la conduite des meilleurs guides, les « chemins actuels ») d'une discipline encore mal connue.

place que l'auteur avait accaparée. La plupart d'entre eux pourraient dire, avec Georges Poulet dans son intervention finale : « L'œuvre est là, en moi, non pour me renvoyer hors d'elle à son auteur, mais au contraire pour tenir mon attention indéfectiblement fixée sur elle. » Mais si telle fut hien, au moins à l'origine, l'ambition de la nouvelle

général de l'intelligence mode-rne devant les certitudes ébranlées de l'humanisme. Il n'est, pour s'en rendre compte, que d'observer avec quelle insistance les critiques réunis à Cerisy reviennent sur ce problème du sujet. « Il faut à tout prix sauver un je ), « Je veux à tout prix sauver la subjectivité de la littérature », répète Georges Pou-

L'œuvre, cette «étrange toupie» Le titre répond exactement au contenu du livre. Certes quelques délégués notoires manquaient à ces Etats Généraux de la critique qui se sont tenus, 'en septembre 1966, sous la présidence de Georges Poulet : Marthe Robert, Charles Mauron, Roland Barthes, Lucien Gold .. mann, Jean Starobinski, Georges Blin, Gaëtan Picon n'étaient pas là. Mais les absents avaient des amis dans la salle ou à la table des conférences ; et s'il est vrai que certaines tendances étaient moins bien représentées que d'autres, si le point de vue marxiste ou le point de vue psychanalytique n'ont été défendus que de façon oblique, au hasard des débats, on peut dire que, dans l'ensemble, ce recueil reflète fidèlement les certitudes et les hésitations, l'unité et la lliverûté de la « nouvelle critique »1. Je n'essaierai pas de résumer ici un ouvrage qui fourmille d'idées intéressantes et sur lequel on pourrait gloser à l'infini. A côté de quelques « lectures » remarquables (un portrait de Sainte-Beuve par JeanPierre Richard, une exégèse du théâtre de Sartre par René Girard), les considérations théoriques occupent l'essentiel des débats, et contrairement à ce qui se p:l""e en général dans les colloques, le niveau de la discussion n'est pas inférieur à celui des exposés. Il arrive même que les libres propos soient plus instructif~ que des professions de foi trop méditées. C'est au moment où les interlocuteurs se compren,nent mal, où les questions restent sans répONse, où, derrière les querelles de vocabulaire, se dessinent les oppositions de personnes et les divergences d'attitudes, que la critique cesse d'être une tâche de spécialistes pour devenir une activité qui nous concerne tous. On sait que, délaissant les ornières où s'enlisait une certaine prudence universitaire (enquête biographique, étude des sources et du milieu), les « nouveaux critiques » ont voulu rendre à l'œuvre une 1

Georges Poulet

critique, une difficulté se présente immédiatement. L'œuvre (cette « étrange toupie » dont parlait Sartre) n'est-elle pas, par définition, une chose qui « renvoie hors d'elle-même » : vers celui qui l'a faite, vers la société où elle est née, vers le sens qu'elle communique, vers celui qui la lit? Peut-on la comprendre sans recourir, ouvertement ou frauduleusement, à une intention expressive, à un mouvement qui la soutient, mais en même temps la travers!:: et la dépasse, rejoignant dans la communication littéraire deux sujets, celui de l'écriture et celui de la lecture ?

Sauver un «je» La réponse à cette question, ce n'est évidemment pas le texte critiqué qui la fournira. Elle se fonde sur une idée de la création qui est aussi, toujours, une idée de l'homme. Le désarroi actuel de la critique traduit d'une manière privilégiée (parce que l'homme n'est nulle part mis plus directement en cause que dans ses créations) un désarroi plus

La Quinzaine littéraire. du 1" au 15 octobre 1967.

let, pour qui l'acte critique consiste essentielfément à I( faire coïncider sa conscience avec la conscience d'autrui ». Mais qui est ce « je » si ce n'est pas l'auteur traditionnel? Pour Paul de Man, très influencé par les phénoménologues et par Heidegg~r, pour Jean Rousset, plus proche du structuralisme et de LéviStrauss, pour Boris de Schloeze'r, qui médite depuis des années sur le problème de la création musicale, et, semble-t-il, pour Georges Poulet lui-même, le «, je ») de l'œuvre ne peut être qu'un autre, analogue à ce « moi profond » dont parlait déjà Proust. Qu'ils se réfèrent à un « cogito », à une « conscience structurante », à une « présence parlante », il s'agit toujours d'un sujet actif, mais qui ne se donne pas et ne saurait donc s'étudier - hors du livre où il s'est, par l'acte même d'écrire, formé. « On n'exprime pas ce qu'on vit, on vit ce qu'on exprime », dit Boris de Schloezer, et Jean Rousset : « Je ne considère nullement l'auteur comme extérieur à t'œuvre. » Cette conception d'un sujet de la création qui coïncide, à la limite, avec la création même caractérise le courant le plus impor-

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tant et le plus ancien de la nouvelle critique, l'école dite « thématique ». Poulet comme Starobinski, Richard comme Rousset, avec des différences 'd'accent et de sensibilité, cherchent à sauver un « je » dans le respect absolu de l'œuvre où il s'incarne, et l'on trouvera une remarquable défense de cette position dans l'exposé du plus « formaliste » d'entre eux, Jean Rousset. Un courant plus récent, influencé à la fois par Lacan et LéviStrauss, hanté par l'image du Livre mallarméen, et groupé pour l'essen-' tiel autour de la revue Tel quel met en cause la notion même de sujet. L'auteur d'un livre, affirme Gérard Genette à la suite de Valéry, n'est « positivement personne ». Le livre lui-même n'est pas une œuvre déterminée, il n'est qu'un moment du langage, un « tissu de figures » à déchiffrer, fragment du Livre interminable que forment tous les livres de tous les temps. Jean Ricardou intervient à plusieurs reprises dans le même sens. Il se demande si la littérature n'a pas « une opacité irréductible», s'insurge contre « la volonté de rattacher des œuvres à un auteur », dénonce les pièges du « psychologisme » et du « réalisme », la menace de l' « expression », et condamne finalement toute interprétation du « texte » qui se réfère à un « hors-texte es_sentiel ». Ainsi ce qui est à l'œuvre dans l'écriture ne serait plus un « je », mais un « il » anonyme, travaillant « sous la dictée des lois immanentes au langage ». La « critique pure » que défend Genette aurait pour tâche, non pas de dégager ces lois (elle n'est pas une science), mais d'en étudier le fonctionnement dans les textes. Bien loin de s'opposer, selon lui, au thématisme, elle en serait le prolongement, la conséquence inévitable de la décision par laquelle les nouveaux critiques, à l'origine, ont voulu rompre le lien entre l'œuvre et l'auteur.

Le moi quotidien et le moi profond Cette conséquence, sur laquelle Georges Poulet s 'interroge2 , Serge Doubrovski la rejette vigoureusement. Il y voit au contraire la démission suprême et, comme il dit avec des accents qui rappellent Sartre tonnant contre Foucault, « le signe d'une liquidation générale de l'existence ». Pour lui, il n'y a pas de livre qui « se tiendrait tout seul -», de langage qui « se parlerait lui-même ». Céder aux sirènes structuralistes ou lacaniennes, ce serait renoncer à comprendre vraiment le langage littéraire qui n'est rien d'autre que « le sens de l'existence qui le porte ». Le critique doit choisir : ou bien « il remonte de l'œuvre donnée comme objet au mouvement de l'existence qui l'a produite », 'ou bien « il fait ndître le sens au moment où il échappe à toute existence, c'est-à-dire à toute perspective particulière et toute St-

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ROMANS F'RANÇAIS

VIENNENT DE PARAITREOU VONT PARAITRE :

JEAN-MARIE CAPLAIN

L'Ombre et la Lumière HUBERT GONNET L'Exécution CLAUDE JAMET Un Homme et des Femmes VIRGINIE DES RIEUl Chandeleur et Dorothée MARIE;.CLAUDE SANDRIN La Forteresse de Boue JEAN-CLAUDE SORDELLI L'Ecorce FRANÇOISE THIECK

Histoire d'une Nayika... La Princesse Angine

ROLAND TOPOR EDMOND BUCHET

,

Beethoven, légendes et vérités La Société du Spectacle

GUY DEBORD

NOEL LAMARE

La Jalousie passionnelle

JACQUES LORY

Guide des Disques CHARLOTTE MAURAT

Le Secret des Bronte MARCEL MOREAU

'Le Chant des Paroxysmes Chez

BUCHET /CHASTEL la-revue-dire-S7-basse-yutz-donne-Ie-meilleur

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: ~ Où en est la critique ?

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publie dans prestige de la poésie des éditions origi nales de chaissac, kieffer lorhQ, queneau, dune béalu, avec des gravures ou lithos de waroquier pentsch, fernand michel andré beaudin et vodaine pour-les-poètes-célèbres-ou-inconn'ûs-de--l'époque

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tuation contingente ». Dans le premier cas, l'œuvre est ressaisie comme totalité signifiante; dans le second elle n'est plus qu'une « fonne vide ». On voit peut-être mieux, maintenant, où se situe le débat et en quoi il déborde la critique. Si la distinction entre un homme de la vie et un homme de l'œuvre, entre le moi quotidien et le moi profond risque d'entraîner la disqualification de l'auteur (l'œuvre n'étant plus qu'un langage, une forme), à l'inverse, vouloir « remonter » le courant risque de nous faire perdre le texte lui-même et de nous ramener par un détour à l'ancienne critique (l'œuvre n'étant plus que le constat, la « totalisation » d'une expérience).

La seule sol11.tion raisonnable TI est difficile de résister à ces deux tentations, et c'est pourtant la seule solution raisonnable. Le domaine de l'art n'est pas celui de la vie : Malraux vient encore de ~lOus le rappeler. Mais cela ne nous dit pas où commence l'art et où finit la vie. Il faut bien: au surplus que l'un ait quelque rapport avec l'autre pour que Malraux lui-même ait pu écrire ces Antimémoires où son œuvre et son action se mêlent si étroitement. Si l'Oli appelle, d'un mot commode, dépassemt'lDt ce par quoi l'art « excède» ou « transfigure » la , vie, le problème de la critique - et, plus généralement, de toute réflexion sur les créations humaines, y compris celles qui ne prennent pas la fonne privilégiée d'une œuvre - ne peut être que de justifier ce dépassement. En fait venant après l'œuvre, quand le saut est fait, elle ne le justifie jamais. Elle ne peut que se tenir au plus près, d'un côté ou de l'autre de la frontière. Menacée à la fois par sa gauche, qui voudrait la ramener vers l'existence, et par' sa droite, qui voudrait la confiner au texte, la critique thématique me paraît tirer sa force de son ambiguïté même. La fiction d'un « sujet» qui coïnciderait avec l'œuvre, qui n'existerait qu'en elle et par elle, est probablement l'image la meilleure (la plus approchée) que nous. puissions nous faire d'un bond dans lequel l'expérience vécue est à la fois totalement conservée et totalement abolie, conservée comme sujet et abolie comme fonne. Elle répond à l'ambiguïté de l'œuvre, qui n'est rien en dehors de son sens et que pourtant son sens n'épuise jamais. Auquel cas, Georges Poulet n'aurait pas tort, il aurait pleinement raison de se « cramponner au thématisme ». Bernard Pingaud 1. En annexe aux débats, l'éditeur a eu l'heureuse idée de publier une bibliographie établie et fort bien commentée par Dominique Noguez. 2. « le crois de plus en plus que le thématisme ne suffit JKl$ ••• le prends de plus en plus conscience de l'importance d'une pensée critique formaliste. »

Pierre Guyotat Tombeau pour 500 000 soldats Coll. « Le Chemin » Gallimard éd., 496 p. Véritable pierre de scandale, sorte de machine de ~erre ' ou d'attentat perpétré contre l'idée rassurante d'une nature humaine éprise de paresseuse tranquillité et soumise aux impératifs moraux et aux institutions sociales destinées à en tempérer les excès, cette œuvre en montre incongrûment le revers, récuse toute autre perspective et ne trouve, à vrai dire, sa mesure que dan.s la pire démesure. Son outrance même éclaire le sens de cette audacieuse fiction dont l'intrigue sert de prétexte au déchaînement d'une cruauté presque insoutenable : on peut dire qu'elle est à la limite du lisible, aussi bien par son étendue , et sa monotonie ressassante que par ' la vigueur de ses descriptions et l'indécence de sa férocité. Tout y est lié à la violence d'une guerre coloniale ou s'ailro:ulcnt dans l'ombre les deux parties adverses, mais ici oppresseurs et opprimés (réduits à l'esclavage plutôt que victimes d'une quelconque répression politique) ne sont mis en scène que pour répondre à l'exigence d'une frénésie sexuelle sans mesure, car si les massacres, les tortures sont le. lot de toute guerre fratricide, ce n'est pas ici la vo· lonté de vaincre qui les commande, mais la seule passion érotique dont le ressort est la cruauté élevée à son plus haut degré. A la merci de forces obscures qui les entraînent, les dévient et les pervertissent, tous les personnages, quels que soient leur condition ou leur âge, sont dans un état de virilité exaspérée, et les victimes elles-mêmes n'échappent pas à cette loi implacable (qui a peut-être pris source dans la violence et l'iniquité), comme si l'extrémité de la misère et du désespoir était un ressort non moins vigoureux que le vertige de la domination. Car on voit bien que l'anarchie Rropre à l'état de guerre a favorisé l'irruption de ce monde turbulent et dénaturé où se trouvent abolies les frontières du noble et de l'ignoble, les distinctions hiérarchiques, les cloisons ethniques: une vocation commune assure la complicité de tous les protagonistes entraînés dans le vertige d'un immense désir d'accouplement et de fureur meurtrière dont la mort est pour chacun d'eux la ral;lçon vocation qui semble faire de tous comme un seul personnage anonyme, une sorte d'entité redoutable douée de capacités illimitées. Non moins intraitable que Sade quand il veut nous mettre en face de situations d'une brutalité conf~ndante, à sa différence cependant, Pierre Guyotat se ' borne à nous donner de toutes les aberrations sexuelles et criminelles une énumération descriptive que ne fondent aucun système idéologique,


A la limite aucune morale ni aucune logique, sinon celle de l'instinct; nul souci non plus de. magnifier l'abjection: c'est le règne du crime brut, fruit d'une aliénation collective. Chacun avec une égale évidence y est ré· duit à l'animalité pure et simple, fermé à toute autre possibilité que l'exubérance agressive à laquelle jamais ne s'oppose la résistance de l'esprit - pas plus que ne s'exer· cent sur elle, ensuitè, les représailles du remords. Nulle évasion par le biais de la conscience ne saurait donc y être fomentée. Et

et d'excréments, caves où les rats dévorent les agonisants, bordels d'enfants - , tout est mis en œuvre pour faire de la cruauté et: de l'égarement un exercice inépuisable et pourtant peu varié : accouplements incestueux ou contre nature, vampIrISme, égorgements, émasculations, parodies blasphématoires, viols et supplices cérémoniels d'enfants. L'homosexualité y est liée au goût du sang et de l'excrément. Un général gâteux auquel ses hommes sont soumis moins par les faux-semblants d'une dépendance

que ne règle aucun élément pondérateur. D'où la vitesse verbale extrême de cette œuvre qui, ponctuée de virgul~s (évoquant, si l'on veut, le souffle haletant d'un coureur de fond), semble ignorer le répit et jusqu'à la tentation du repos, comme si la prolifération accélérée des fantasmes assurait au langage son allure imperturbablement forcenée, non sans nous faire toutefois éprouver à chaque instant, par l'excès même de son énergie, l'épuisement de ce qui est infatigable. Peut-être ces supplices, ces--mises

monstrative, SI ce n'est que la violence semble n'avoir été introduite dans ce monde ténébreux et brûlant que pour méchamment le ruiner. Sans doute l'on entrevoit que sous le couvert de l'allégorie ce récit touche à une réalité personnelle, mais rien n'y est concédé /lUX facilités du réalisme, et même les scènes les plus précises si atroces qu'à les lire le cœur nous manque - baignent dans la clarté orageuse d'un mauvais rêve. Cette œuvre d'où s'élève comme d'un immense charnier l'odeur

Pierre Guyotat

Combattants algériens au repos dans une ferme.

ce qui liniite ces guerriers fictifs est ce qui leur permet de réaliser impunément tout ce qu'en temps de paix la loi leur eût interdit. C'est dire que le mal n'y tente pas son apologie : il s'y étale scandaleusement. Sur ce théâtre obscène et .sanglant, sorte de parodie sinistre, sur fond de destruction et de mort, du monde aberrant où nous vivons, aux décors le plus souvent sordides - abattoirs où le sang des bêtes se mêle à celui des hommes, latrines souillées de vomissures, de sperme

hiérarchique que par un égal appétit de jouissance et de massacre, abandonne tout sentiment de sa dignité, se vautre dans les chambrées et, à force de èrapuleuses débauches, finit par perdre la raison comme une machinerie usée qui déraille et vole en éclats. Avec une obstination jamais lasse, tous les excès de la perversité sont récapitulés et développés dans une suite de scènes hallucinantes : toujours à l'hécatombe s'ajoute l'hécatombe en un mouvement d'une puissance irrésistible et furieuse

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 octobre 1967.

à mort raffinées qui font ' figure d'immolations initiatiques ne sontelles décrites avec un tel luxe de détails que pour témoigner de la folie des hommes, que pour dénoncer les effets corrupteurs de la guerre. Cependant, il n'est rien dans ce livre qui nous autorise à prêter si peu que ce soit à son auteur une intention édifiante, ni même à le soupçonner de céder à quelque païve volonté de provocation. De toute évidence, c'est l'ohsession seule qui gouverne son inspiration, hors de toute visée dé-

écœurante de la 'm ort nous suffoque, mais, par l'intrépidité et l'am-' pleur de sa démarche, elle nous , fascine, alors même qu'elle touche les confins où ce qu'elle décrit cesse de nous concerner. Rappelonsnous cette parole de Georges Bataille : « Il est nécessaire de dire que la violence étant le fait de l'humanité en.tière, est en principe demeurée sans vo~x, qu'ainsi l'humanité eRtière ment par omission et que le langage même est fondé sur le mensonge. » Louis-René des Forêts 5


La qualité de l'amour William Grorud La nuit conjugale Le Seuil éd. 225 p. Un homme. Une femme. Mariés. Mais depuis plusieurs mois, séparés. Devant l'épouse revenue auprès de lui, l'homme parle ; il n'arrête pas de parler au long des deux cent · vingt-cinq pages de ce roman qui est un monologue têtu, ressassé, une tentative désespérée pour établir la communication entre deux êtres qui ont vécu côte à côte, des années durant, sans parvenir à fondre ensemble leur dou-

Mais ce n'est pas un futur d'enterrés vifs que William Grorud a voulu appréhender. Le passé seul l'intéresse. Le passé en lui-même d'abord, c'est-à-dire l'usure du temps et la cristallisation de la mémoire. ' Parmi les innombrables métaphores et symboles qui l'adornent, d'une façon çà et là un peu trop apprêtée, il en est un, plusieurs fois repris - celui de la plaque de sel arrachée à un chott du désert tunisien, conservée par le narrateur comme une amulette et dont le symbolisme est clair : les cristaux emprisonnés sous la carapace lisse et dure évoquent le temps qui em-

Scène tuiiiifienne.

ble solitude. Après tant de mots prononcés par la même bouche, sur un ton égal, la dernière phrase tombe comme la dalle d'un sépulcre : « Nous sommes de l'autre côté, là où le bonheur a le goût écrasé de la solitude, de .Jeux solitudes complémentaires, où tout ce qu'on a obtenu pèse si lourd qu'il n'y a plus rien à espérer, sinon un autre jour, un autre encore : nous disposons du temps comme des dieux lassés. »

prisonne le souvenir, fige la mémoire, rendant en quelque sorte imputrescible ce qu'il tue. De huit années de vie conjugale - jusqu'à la séparation - il reste dans l'esprit du mari l'indifférence de l'épouse distraite, plus coupable, selon lui, de sa distraction, que de l'avoir trompé avec Jacques, après que lui l'eût trompée avec Claude et avec Radhia. Bien que rappelé

avec complaisance lorsqu'il s'agit de ses propres infidélités, l'adultère n'apparaît jamais sous son aspect banal ou sordide, avec son cortège de lâchetés et d'hypocrisies, avec ' cette mauvaise conscience qui est l'inévitable fruit du pharisaïsme occidental. La Tunisie de l'indépendance, où le narrateur, Européen né en Afrique, 'OCcupe une cheire universitaire, est assez occidentalisée pour que les relations humaines y présentent les mêmes caractères qu'en France, sans que pour autant soient effacés certains complexes indigènes. Entre les deux populations, l'accord demeure ambigu, ce qu'analyse assez finement William Grorud, présent derrière le narrateur et fort d'une expérience de plusieurs années vécues en Afrique du Nord. Que Jacques, communiste déçu, ait trouvé un substitut à ses espoirs politiques dans l'aventure amoureuse ; que Radhia, Tunisienne de la haute bourgeoisie, soit devenue la maîtresse de son professeur français en partie parce qu'elle cherchait à briser le cadre familial ; ou que Claude, la cousine possessive, nantie par la colonisation, apparaisse finalement comme la vic· time des siens, l'essentiel n'est pas dans le destin de ces personnages (tous pourvus d'un nom et d'un état civil, alors que ni le narrateur ni sa femme ne sont nommés), mais dans la manière dont chacun réfracte le faisceau de la conscience éclairant le passé du couple. Les uns et les autres concourent surtout à construire un univers où les choses, indéfiniment reprises par la mémoire, « prolongées par une sorte d'appréhension glacée », sont à la fois offertes et refusées dans une distance qui leur donne « l'irréalité rassurante des souvenirs et la réalité foisonnante des rêves ». Entrecoupé d'incidentes à la deuxième personne qui rappellent opportunément la présence d'une épouse aux contours un peu flous,

le monologue se développe à travers une confusion volontaire et savante des temps, mêlant le présent et le passé, utilisant la similitude de gestes accomplis à des moments différents comme d'habiles transitions, ou encore ajoutant à telle scène un Ou plusieurs détails d'une autre scène et, par un procédé qui ressemble à la surimpression photographique, superposant temps, lieux et actions dans une , image dont le vaporeux se dissipe au fur et à mesure que .la dernière évocation efface les évocations antérieures. Si elle n'est pas absolument neuve, cette manière de faire est ici assez souple pour ne donner qu'à peine le sentiment de l'artifice. L'ouvrage lu, il n'est pas sûr que nous en sachions beaucoup , plus qu'en l'ouvrant sur la qualité de l'amour que celui qui parle porte à celle qui se tait. Des formules dont la frappe est juste (par exemple: « Il m 'est arrivé de penser que la preuve de notre amour était dans cet acharnement que nous mettions à le détruire »), des détails révélateurs sur l'intimité du couple ou sur les premiers signes de mésentente ne permettent guère une approche sentimentale de deux êtres condamnés à vivre en se blessant, et qui préfèrent comme le dit en une autre de ces formules bien frappées le narrateur - « le temps qui nous perd à celui que nous perdons ». Le personnage privilégié de ce roman - qui, pour être le premier livre de William Grorud, n'en paraît pas moins un ouvrage de maîtrise et de maturité est, au fond, le temps à la fois destructeur et fixateur du passé, dont la parole seule à la longue parvient à dissoudre les cristaux. D'où le mouve- . ment d'un langage qui, pareil aux vagues, revient à son propos sans cesse et avance dans une applH'ente immobilité. Maurice Chavardès

EDITEURS Editions de Minuit Quatre romans aux Editions de Minuit, dont deux de très jeunes gens : Récidive, dont on nous précise qu'en raison de certains excès, du caractère un peu particulier de l'ouvrage, il ne sera tiré que 500 exemplaires, et le Corps de Louise. L'auteur du premier, Tony , Levert, est âgé de dix-huit ans. Le second est l'œuvre d'un normalien de vingt-deux ans, JeanMarie Gardair. Les deux autres titres sont, d'une part, traduit de l'anglaiS, ta Mort que l'on se donne par l'écrivain irlandais Aidan Hlggins, d'autre part, le Libera, (du nom de la prière des morts dans la liturgie chrétienne) de Robert Pinget. Le livre sera accompagné d'une préface de l'auteur, tirée à part. A l'occasio'n du cinquantenaire de la Révolution d'Octobre, on annonce, dans une traduction de Gabriel Arout, un recueil de poèmes consacrés à la guerre et à la révolution russe , où figureront ,les .noms de quatre grands poè6

tes de cette révolution : Blok, Essénine, Maiakowski et Pasternak. Dans la collection • Critique -, parallèle à la revue du même nom, paraîtra une réédition de ,l'ouvrage d'économie politique de Georges Bataille, paru, en 1949 : la Part maudite, suivi de la Notion de dépense. Autres titres : De la grammatologie, de Jacques Derrida, dont paraîtra, ces jours-ci, aux Presses Universitaires, une étude sur la phénoménologie de Husserl, la Voix et le phénomène, le Mirage baroque de Pierre Charpentras, ouvrage abondamment illustré où l'auteur s'attache à dégager les méfaits de l'usage abusif qui a été fait de ce mot. La collection • Sens commun -, dirigée par Georges Bourdieu, animateur, avec Robert Aron, du Centre de sociologie européenne, fera paraître un recueil de textes inédits et d'articles parus dans diverses revues américaines du grand anthropologu& amé-

ricain Edward Sapir. Le livre s'intitulera Anthropologie et comprendra deux volumes : Culture et personnalité et Culture. Il sera précédé d'une i'ntroduction, de notes et d'un glossaire, par Christian Baudelot. . Deux autres grands c·lassiques dont les textes seront pour la première fois publiéS en volume seront égaiement à l'honneur : Ralph Unton, le sociologue américain, avec Connaissance de l'homme, et Marcel Mauss, le fondateur, avec Durkheim, de l'Ecole sociologique française, dont paraîtra le troisième volume des œuvres complètes sous le titre général d'Œuvres. Signalons enfin un ouvrage linguistique d'Emile Benveniste : le Vocabulaire des institutions indo-européennes. Un 'nouveau titre également dans la collection • Documents ", (où viennent de paraître le livre de Samir Amin : le Développement capitaliste en Côte d'Ivoire et celui de Moshe

Lewin, le Dernier combat de Lénine) : l'Education comme industrie, par Lêthanh KOÎ. Il s'agit d'une thèse où l'auteur analyse la situation de l'e'nseignement dans le monde pour en dégager les constantes qui pourraient permettre d'envisager une certaine industrialisation dans ce domaine. Enfin. dans la collection • Arguments " l'Homme planétaire, de Wilfried Desan, avec une post-face du directeur de la collection, Kostas Axelos. Il s'agit d'un essai sur l'homme nouveau que notre civilisation a mis au jour et auquel l'auteur a tenté d'appliquer ·les principes de la philosophie contemporaine. Et, par le fondateur de la psychanalyse existentielle, LudWig Binswa'nger, Essais de phénoménologie existentiale, recueil d'essais théoriques où , l'auteur s'attache .à dégager une synthèse entre la pensée de Freud et la philosophie de Heidegger.


Une autobiographie • •• IlDaglnalre Rezvani Les Années-lumière Flammarion éd., 445 p.

Rezvani est peintre. L'exercice de son art le laisse-t-il insatisfait, avide d'expressions nouvelles, libérées des multiples contraintes qui font de l'artiste ce « boutiquier » qu'il dénonce ? Quelques lignes retenues, parcimonieuses, jetées au détour d'une page, révèlent uneamertume réelle. « l'ai trop de griefs contre la peinture et le système qui l'entoure », écrit-il. « La peinture n'est plus un langage, le tableau est devenu un objet », objet livré à une clientèle ingrate, soumis à une vile cote des valeurs... En vérité Rezvani en a gros sur le cœur d'un monde oppressant, trop strictement mercantile et civilisé, d'une époque qui mène, par des chemins aberrants et dans l'indiffé· rence des hommes asservis, aussi bien au quiet embourgeoisement électro-ménager qu'aux massacres les plus cruels vécus dans la bonne conscience et le sentiment général d'une adéquation au progrès béné- · fique des techniques. Rezvani, peintre en colère, est un homme en colère qui refuse les nombreuses compromissions de ses contemporains. Autant qu'une autobiographie où l'imagination a sans nul doute sa large part, les Années-lumière sont un itinéraire, un long chemin de solitude, à l'écart de séductions mensongères, à travers toute la dureté et toutes les défigurations de notre temps. En nous contant, tout au long de ces quelque quatre cent cinquante pages, ce que fut son enfance apa. tride, à demi orpheline, ballottée enlre une famille russo-persane et maints collèges gouvernés par des popes ou des officiers tsaristes nos· talgiques, promenée d'Italie en Suis· se, de Genève à Paris, marquée dès onze ans par la guerre de 39, Rez· vani ne s'adonne guère à la vaine recherche d'un temps perdu, temps du malheur et de l'esseulement. Trop de souvenirs l'accablent, au point qu'il rejetterait volontiers tout un poids d'années grimacières, de moments douloureux, de confusion, d'abandon, d'absurde tumulte. S'il est parfois des instants plus lumineux dans cette destinée sans cesse bouleversée, ils sont, à peine vécus, déjà défigurés, pervertis, rendus suspects, et l'enfant mal aimé se voit bientôt refoulé, éconduit, rappelé à sa détresse solitaire. Ainsi sa quête de tendresse et de halte douillette auprès d'une belle-mère alanguie parmi les cachemires, importune le père qui n'y voit que coupable polissonnerie, voire péril, leuse rivalité. Le père lui-même, magicien et fascinant médium, té· moigne à son fils une affection sans mesure, le séduit par mille facéties venues d'un merveilleux Orient, mais l'écarte de sa voie aussi distraitement qu'il subtilise ses billes d'ivoire et ses foulards de soie_

Re:;vani

L'univers familial, trop chatoyant, trop cliquetant, attire autant qu'il inquiète le jeune garçon qui tente en vain de s'accrocher à toutes ces mains, de retenir tous ces regards, d'attirer à soi un peu de chaleur et d'attention. Et, au milieu d'un monde qui s'effrite joyeusement, qui glisse avec entrain dans le drame planétaire de la deuxième guerre mondiale - grand jeu pour adul, tes avides d'émotions neuves l'enfant, rendu rétif par trop d'ex· périences, refuse de « jouer », de se prêter à la mascarade grotesque et s'en va, tout seul, parmi les bombes, parmi l'étrangeté des choses et des êtres. Cependant le roman ne se limite pas au rappel d'années enfuies_ L'auteur évite la contrainte d'un personnage trop situé et caractérisé par son âge_ Il semble redouter l'artifice d'une trompeuse psychologie puérile et se superpose sans cesse sur l'image enfouie au fond de lui de l'enfant qu'il était. Il s'agit alors, moins de fouiller l'âme d'un petit garçon avec les outils malhabiles de l'adulte que de défricher le terrain vivant de la mémoire et de l'imagination conjuguées, moins de recueillir et de façonner les sédiments des années anciennes que d'élargir une vision totale où s'harmonisent tous les étages, toutes les structures de la conscience. Ainsi Rezvani n'a pas écrit une véritable autobiographie, mais une œuvre ro, manesque, champ infini de recherches et de modes d'expression. Dès lors l'auteur est omniprésent. recomposant les bribes éparses d'une existence à laquelle il donne un sens et une authenticité actuels, va· lable pour l'aujourd 'hui de sa pen. sée, élément d'unt' polémique vivante à l'assaut dt, forces maléfi, ques. d'absurdités flagrantes et

La Quinzaine littérairE'_ du ]" au 15 octobre 1967.

haïes. De là ce ton qui ne doit rien à l'enfance, cette manière pour l'auteur de ramener l'essentiel de son investigation au présent, cette sincérité fabulante qui se défie des vaines nostalgies, des fallacieux retours vers un passé en perditio.n . Le roman nous pousse à l'examen haletant mais ordonné d'un esprit en mouvement. Cette quête en avant ne se conçoit pas ici sans une vive agressivité, la mise en branle d'une imagination aventurière, les questions et remises en question d'idées trop façonnées, de mots trop usés, vraie débandade verbale qui mène à l'invention langagière la plus déroutante, étalée à pleines et denses pages. L'extrême prodigalité de l'auteur, la luxuriance de thèmes en apparence anarchiques, la virulence d'une écriture outrancière ne vont pas, tant est violent le trop-plein d'âme qui se débonde à travers ce livre volumineux, sans quelques boursouflures, un certain abattage, une complaisance marquée à se répandre dans un bafouillis de syllabes curieusement égrenées, voire de lettres assemblées en séries exclamatives. Or ces excès s'intègrent fort à propos dans le contexte discordant et grinçant. La dérision de l'écriture s'accorde avec la dérision féroce ou gouailleuse du récit. Telle saynète, fixée sur la page blanche, devient une sotie, et combien faudrait-il en citer de ces petits tableaux cruels et sensibles, animés de personnages en folie - goûter d'émigrés russes loqueteux discourant hors du temps, départ familial et grotesque pour accompagner le collégien vers une nouvelle pension, histoire croustillante contée devant un auditoire de « routiers» ébahis ... - , combien d'instantanés drôles et tragiques, de moments ténus où écla· te la raillerie, l'humeur satirique et

endiablée d'un auteur qui, à la démesure des choses, oppose la démesure de son rire fou ! Charriée par le torrent des pages, il semble parfois qu'une érotique envahissante va tout submerger. Inscrites dans le récit ou s'en évadant, les histoires s'enchaînent joyeusement aux histoires avec la lenteur calculée, le surprenant détail, les césures et les pauses d'un excellent narrateur. Rezvani, là encore, ne veut point se modérer, et ces interminables et cocasses tirades sur l'aventure toujours renouvelée des sexes nous entraînent dans des arabesques baroques et bienvenues, autant de haltes rieuses et oublieuses d'un mond~ trop sévère. De cette œuvre énorme et fourmillante, je n'ai pu donner i~i qu'une impression sommaire, globale, première vision plus intuitive que réfléchie, tant elle exige par ses dimensions et son infinie variété de thèmes et de résonances le nécessaire recul dU: te~ps. Elle me rappelle par pages, et surtout dans sa première partie le Tambour de Günter Grass_ Même agressivité, même dureté minérale, même débit acide qui corrode et déconcerte. Mais la chaleur, la couleur, et jusqu'à une certaine ingénuité du ton viennent bientôt étoffer, régénérer l'alacrité de l'humeur. Rezvani, qui semble s'être construit aujourd'hui, en dépit des épreuves subies, une quiétude heureuse et active, n'entend pas céder à un facile désespoir. Œuvre paradoxale, les Années-lumière tentént ainsi inlassablement de concilier des extrêmes, l'enfant et l'adulte, la laideur de l'Histoire et la beauté d'une destinée personnelle, les grimaces d'une époque et la volonté conquérante de l'homme seul. Rémi Laureillard 7


Neige et lilas Jorge Semprun L'évanouissement Gallimard éd. 224 p.

- révèlent un' ordre plus profond, peut-être, un sens plus secret de cette vie qui plonge en elle-même, en quête de coïncidence et d'accord. Les guerres se ressemblent, et les amours aussi. Et les blessures. C'est toujours le même étonnement. A force de recommencer sa jeunesse, on devient vieux. Comment sa~ voir qu'on a vieilli ? C'est dans l'immobilité, au sortir de l'évanouissement, qu'on peut recevoir le poids de toute la vie passée, - vie non pas longue, mais lourde. Trop de guerres, de peurs, trop d'amours ensemble, dont tout est vrai pourtant. Encore en oubliet-on sans doute ! Comment savoir si toute votre mémoire est revenue ? Il y a peut-être des visages qui se sont effacés, à tout jamais, 'ou les odeurs d'un jour de pluie, ou une lumière parmi les troncs d'eucalyptus. Perdus à tout jamais, comment savo~r ? Le temps de toute une vie n'y suffirait pas. A force de docilité aux images et aux mots, à force de passivité, - à force d'an:êt, en quelque sorte, tels souvenirs qui auraient pu se perdre « à tout jamais » se laissent rattraper pourtant. Comme ce goût amer des endives braisées, qui étaient un jour au menu d'un wagon-restaurant. Et même comme ce Premier Mai 1939, du côté de la place de la Nation, où sur les manifestants, en dépit du printemps, une chute de neige fine, bizarrement, voltigea. Neige et lilas font penser au Rosebud d'Orson Welles, - et même y font penser deux fois. Par cette longue enquête entreprise pour un mot sur la vérité la moins visi-

Vivre, agir, c'est, peut-être, se laisser distraire. Manuel, le narrateur de ce récit brisé, vient d'être blessé à la tête. Il disparaît dans un évanouissement. Et puis, il est un regard rouvert, dans une chambre où il y a des objets. Ces objets avaient des noms. Manuel cherche, et trouve. Mais, au fond et d'abord, ce sont deux autres mots qui lui viennent : la neige et le lilas. Pourquoi la neige? Le docteur dit qu'on est au mois d'août. Et pourquoi le lilas? Et pourquoi, incroyablement, les deux ensemble? Le malade veut à la fois échapper à la question qui l'obsède et lui trouver une 'réponse. Qu'a-t-i1, pour retrouver son univers? La neige et le lilas, - présence absente, absence interrogeante; et la douleur de la blessure, douleur certaine, bien présente... Présente? Mais aussi passée. Douleur retrouvée. En souffrant vivement au présent, le narrateur refait sur un autre mode l'expérience de tel moment déjà vécu : l'interrogatoire de la Gestapo, - pas si lointain, - avec son décor, son odeur, sa lumière, le bruit des bottes et des cloches, les regards. Les sensations de même sorte s'empilent, à travers la mémoire qui se retrouve sans pourtant se réorganiser clairement. Le désordre des souvenirs, la bouscu· lade des émotions, des douleurs, des couleurs, - toute chronologie piétinée, toute continuité refusée,

ble d'un homme, - et par ce tourbillon léger, - douceurs unies de l'oubli, du froid, de la mort. Encore une fois, ici, se reprend et se recommence le long itinéraire tortueux vers le point hypothétique où gît peut-être le fin mot d'une vie. Encore une fois, il faut s'émerveiller du grand prodige de nos complications souterraines. et rie cette grande innocence de chacun, accroché, pour finir, à quelque luge lointaine des temps de la première enfance, ou bien à ce petit miracle entrevu, d'une rapide avers~ de neige, au mois de mai, sur Paris. Il se peut qu'un jour le lecteur vienne à se lasser de ces choses étonnantes : il pourrait, par exemple, s'en trouver à la fin un peu moins étonné. Le plaisir hasardeux de ces promenades demeure toujours un plaisir, mais il perd un peu à la longue, me semble-t-il, de sa force de démonstration. Les ravissements de se perdre aux tunnels d'une mémoire intermittente, combien ne nous paraîtraient-ils pas infinitésimaUx si quelque écrivain surgissait, inimaginable encore, ar· mé d'un nouvel et vigoureux éclairage, qui saurait nous mont1:"~r avec autorité autre chos~ dans l'homme qu'un entassement de précièuses impressions ! Il faut, celui-là, que nous l'attendions comme le Messie. 1usqu'à sa venue, devenons connaisseurs en ombres et en demiteintes, enchantons-nous des clairsobscurs, habitons ces régions indécises de la psychologie littéraire, où les plus lourds secrets ne pèsent que neige et lilas. losane Duranteau

L'Ecole d'Uriage Bénigno Cacérès L'Espoir au cœur Le Seuil éd. 173 p_

L'Espoir au cœur est avant tout une autobiographie, qui fait suite à la Rencontre des hommes, où l'auteur racontait sa jeunesse et son apprentissage du métier de charpentier à Toulouse, sa ville natale, cependant que naissaient en lui le besoin de s'instruire et en même temps le désir de partager avec ses camarades une culture difficilement acquise. Les maladresses, les timidités cette appréhension de l'autodidacte devant la science dont une classe avait, depuis toujours, fait son apanage - se reflétaient dans le style de ce premier ouvrage. L'Espoir au cœur révèle davantage d'assurance dans l'écriture et si l'expression demeure padois un peu trébuchante, l'ensemble n'en 8

paraît que plus émouvant - comme une légère asymétrie dans les traits d'un visage peut conférer à ce dernier une beauté moins rigide. A la fin de 1942, l'Ecole des cadres d'Uriage s'étant sabordée, ceux qui l'animaient choisirent la clandestinité. Ils se retrouvèrent pour la plupart à la Thébaïde, vieux manoir construit face au massif du Vercors et d'où les « conjurés » partaient, à tour de rôle, vers les maquis alpins, porteurs non point d'armes mais de poèmes ou d'exposés destinés à animer les interminables veillées des maquisards. Pour l'ancien ouvrier manuel qu'était Bénigno Cacérès, la Thébaïde représentait un des hauts lieux de la culture, un refuge de l'esprit et presque le berceau d'un Ordre nouveau qui affirmerait « les réalités spirituelles constitutives de l'homme, la fidélité tou-

jours trahie mais toujours renaissante à un inaccessible idéal ». Formé par le compagnonnage, l'auteur ne se trouvait pas trop désorienté devant les règles et les rites. L'Ordre rêvé, cependant, ne devait jamais entrer dans la réalité. La Thébaïde incendiée par les Allemands, les survivants se regroupèrent au monastère d'Esparon, près de Monestier-de-Clermont, dans le Vercors. Esparon à son tour assiégé et détruit, ce sera, pour les « conjurés », la dispersion, mais non la fin de leur activité de résistants intellectuels. Plus tard, rendu possible par le travail d'équipe dans la clandestinité, ce devait être l'essor de l'éducation populaire ... « Avec une expérience déjà as· sez grande, j'avais pu, en quelque sorte, commencer mes humanités. écrit Cacérès en dressant le bilan des années 42 à 45. Il avait faUu

un aussi terrible cataclysme pour que je rencontre les hommes de la Thébfiide. lamais, dans mon travail, dans mon quartier, de telles rencontres n'auraient été possibles. » Comment le bien peut sortir du mal, voilà une des leçons de cet ouvrage où sont évoquées avec tendresse, fidélité ou ironie, les figures de con jurés tels que Pierre Emmanuel, Beuve-Méry (surnommé dans le Vercors Guillaume le Taciturne), Mounier. Dunoyer de Segonzac, Marcel Bar· bu. Poésie, fraîcheur, pureté, un certain don-quichottisme, l'amour aussi des choses les plus humbles redevenues pour un temps essentielles, une lucidité sans amertume concourent à faire de l'Espoir au cœur un de ces livres qui, au-delà de la littérature, témoignent pour le courage et la solidarité des hommes. M. C.


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Un monde clos Suzanne Prou Les Demoiselles sous les ébéniers Calmann-Lévy éd. 256 p.

Le deuxième roman de Mme Prou ressemble beaucoup au premier. Ce qui pourrait être un défaut chez d'autres me paraît, chez elle, le signe d'une authentique nécessité. On peut supposer qu'elle n'écrit pas pour se délivrer de ses obsessions ; elle veut seulement, en écrivant, les former de mieux en mieux, et par là sans doute, les tenir' en respect. Une femme, donc, d'âge incertain, de condition médiocre, à la fois curieuse et craintive, croit découvrir autour d'elle les signes d'un complot. On lui cache quelque chose, on lui tend des pièges, on la persécute. « On », c'est-à-dire ses propres compagnes. La pension Ortega joue, dans les Demoiselles, le même rôle que l'Œuvre dans les Patapharis: milieu clos, essentiellement féminin, peuplé de créatures bavardes et manœuvrières. Théâtre de l'action, il sert en même temps à multiplier les écrans

noise des aveugles qui l'entourent. Car ce martyre est aussi une élection, et c'est toujours pour quelqu'un, autour de quelqu'un que cristallise l'attention passionnée de la victime: l'invisible M. P. dans les Patapharis, la trop visible Solange dans les Demoiselles. Ainsi, progressivement, les rôles se renversent-ils, la victime trouvant ' dans l'épreuve qui lui est infligée l'occasion de montrer sa perspicacité, son intelligence, son héroïsme. C'est à bon droit que Mlle Savelli peut mépriser sa complice en espionnage, Mlle Féraud; elle voit, elle entend, elle comprend mieux, elle risque davantage, elle porte une plus lourde responsabilité, bref elle est initiée à un secret, tout le mouvement du livre consistant dans l'approche de ce secret qui ne sera jamais révélé totalement. S'il n'est pas révélé, c'est peutêtre, comme elle l'affirme, qu'on le lui refuse, qu'on veut .l'écarter, qu'on la craint. C'est peut-être aussi, plus simplement, que le secret n'existe pas. Car rien ne prouve que celle qui parle n'ait pas tout inventé. Dans les Pata-

mi-chemin de Julien Green et de • Nathalie Sarraute. Mais au lieu • de donner directement la parole au • personnage principal, la roman-. cière suppose cette fois que son • témoignage nous est transmis par • un détective privé, homme de bon • sens, un peu solennel, qui parle : de lui-même en disant « nous » • et à qui revient le soin de trancher. si les faits sur lesquels on le consul- • tait se sont réellement produits. • Bien entendu, ce pseudo-narrateur • ne tranche pas. Non seulement il • ne tranche pas, mais à mesure qu'il • rédige son rapport, la contagion • le gagne, si bien que c'est sur lui • que le doute se reporte en fin (]e • • compte, ajoutant à l'ambiguïté. première du récit une ambiguïté • seconde, celle-là même qui, depuis • que le roman existe, est propre à • toute narration. Il se peut que· Mlle Savelli, la pension Ortega, • les ébéniers noirs, la belle Solange, • et Jade, sa jeune prisonnière, tout. l'érotisme feutré qui baigne le. roman soient sortis de l'imagina- • tion complaisante d'un limier sans • envergure, double douteux de l'hé- 0 roine, et figure évidente du lec- : teur. Ce jeu de miroirs robbegrille- •

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entre la victime et son bourreau supposé. Les compagnes peuvent ne pas « comprendre », elles peuvent aussi préférer ne pas comprendre (pour des raisOns qui restent elles-mêmes à comprendre), elles peuvent encore comprendre trop bien: chacune, à sa place, pose un problème, ouvre une piste ( vraie ou fausse ), barre une issue (réelle ou imaginaire). Persécutée d'abord, l'héroïne est bientôt captivée. Elle préfère sa vie de terreur à l'existence insouciante ou sourLa Quinzaine littéraire, du

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pharis, il fallait à la narratrice se convaincre elle-même, et il en résultait pour le lecteur un sentiment d'artifice que le talent de Mme Prou n'arrivait pas à effacer totalement. Les Demoiselles marquelit à cet égard un net progrès'. On y retrouve l'humour acide, le goût du détail étrange et obsédant (les .p orte-savons de Solange, la perruque rousse de Mlle Pigou, le râteau du jardinier), l'invention méticuleuse, la science de l'exégèse qui situaient déjà le premier livre à

au 15 octobre 1967.

tien donne aux Demoiselles sous les ébéniers une dimension que n'avait pas le roman précédent, et paradoxalement, rend le postulat initial plus plausible: sans bruit, et peut-être sans la moindre idée préconçue, mais avec une sûreté de somnambule, Mme Prou prend ainsi une place de choix parmi le!' écrivains d'une époque soupçonneuse que la fiction séduit encore, mais qui ne peuvent plus croire à sa simplicité. B.P.

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WALTER LEWINO

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ÉTRANGER Rêveuse bourgeoisie La Foire de Francfort

Comme chaque année , la Foire de Francfort bat tous les records précédemment établis. Pour la première fois le chiffre de quarante nations exposant leur production littéraire est atteint. Le chiffre des éditeurs participants augmente d'année en année. En 1966 on en comptait 2.540, cette fois-ci le nombre des 2.750 sera dépassé. 900 viennent d'Allemagne, alors que 1.850 se répartissent sur les cinq continents (l'Australie est également présente cette année). Pour recevoir dignemen.t les exposants, la Foire présente cette année de nouveaux terrains et de nouveaux bâtiments occupant une surface de 36.000 mètres carrés, par rapport à 29.000 seulement l'année dernière, nous dit-on avec une précision tout allemande . , Comme chaque année enfin, les libraires allemands ont distribué leur Prix de la Paix. Cette fois-ci ils ont fait un choix particulièrement; heureux en le décernant à Ernst Bloch, le pt.ilosophe le plus original parmi les penseurs marxistes. Robert Kennedy

La maison d'édition Doubleday vient de s'assurer pour la somme de 100000 dollars le prochain livre du sénateur Robert Kennedy (frère et ancien mi: nistre de la Justice du président John F. Kennedy). On compte déjà .22 livres sur Bob Kennedy (et ceux qu'il a écrits et, en particulier, the Enemy Within, qui décrit ses luttes comme Attorney Général des Etats-Unis). Lytton Strachey

Le Sunday Times s'est assuré la publication d'un ouvrage qui fera figure d'événement littéraire en Grande-Bretagne : la biographie de Lytton Strachey~ Ce personnage, fort peu connu en France, a eu une influence déterminante sur les lettres contemporaines. C'est en effet le créateur du groupe de Bloomsbury qui comprenait notamment John Meynard Keynes dont la théorie devait avoir sur l'économie mondiale des effets incontestables. Il y avait aussi parmi les habitués du groupe une certaine Virginia Stephen qui allait se faire connaître sous le nom de Virginia Woolf. En dépit de ses goûts qui l'orientaient en général vers d'autres amours, Strachey voulut épouser Virginia mais, non sans hésitation, celle-ci refusa cette union étrange. Le livre, écrit par un universitaire, Michael

Halrayd , porte un nom suggestif pour les Anglais : Love in Bloomsbury. James Baldwin

L'écrivain noir qui fut longtemps considéré comme l'un des plus virulents partisans de l'action directe semble fatigué des violences qu'il a contribué à engendrer. Outre qu'il a passé une grande partie de l'année loin des Etats-Unis - à Istamboul - le roman qu'il vient de remettre à son éditeur témoigne de sa lassitude. Intitulé Tell Me How Long the Train H's Been Gone (Dis-moi depuis combien de temps le train est parti) c'est l'histoire d'un acteur frappé par une crise cardiaque au milieu de son existence. Sa conclusion est qu'il a .fait autant de chemin qu'il pouvait et . que d'autres, maintenant, doivent prendre la relève. Truman Capote

Truman Capote, qui travaille à un roman : Answered Prayers, est parti en Californie voir le film inspiré par De sang-froid qui est presque terminé. Norman Mailer

Si le dernier roman de Norman Mailer, Why we are in Viêt-nam (pourquoi nous sommes au Viêt-nam), ne mentionne le Viêt-nam que deux fois (encore est-ce dans le dernier paragraphe de l'ouvrage), c'est parce qu'il a voulu écrire une sorte d'allégorie politique. Le livre traite de quatre chasseurs de fourrures en Alaska (un père qui suggère de curieuses pensées de haine et d'amour à son fils et deux comparses). Mais ces Nemrod manquent à toutes les lois de la chasse et abattent un certain nombre de grosses bêtes, dont quelques caribous et de féroces grizzlis, du haut d'un hélicoptère. l'allusion est claire. Un détail qui a son importance : le père et le fils sont texans. Milan :rast

Milan Fust, qui vient de mourir à 79 ans, avait été le fondateur de la revue Nyugat (Occident) ,le catalyseur de la Renaissance littéraire hongroise. Poète, dramaturge, philosophe, romancier, essayiste, Fust a été longtemps considéré comme l'une des figures les plus respectées de la littérature de son pays. Il avait été révélé en France par un grand roman où il traitait avec profondeur le thème de la jalousie - rabâché pourtant s'il en fut - qu'il parvenait à renouveler l'Histoire de ma femme.

Jérôme Peignot

L'Amour a ses princes Gallimard éd. 216 p. Autant par le style d'une élégance transparente que par sa démarche sinueuse, précise et légère, le livre de Jérôme Peignot se réclame à la fois de Benjamin Constant et de Drieu La Rochelle. Comme chez ces deux écrivains, la littérature sert à convertir en bonheur les échecs et la souffrance : en écrivant, l'auteur entreprend la sauvegarde et veut relever le prestige de son royaume intérieur si menacé par l'inconstance et l'inconduite féminines. Abandonné par sa femme qui lui a préféré son meilleur ami, de retour aux Etats-Unis · où il a vainement tenté de retenir une maîtresse qui le fuit, le narrateur rend visite à une amie d'adolescence, Adrienne, qu'il connut à Senlis pendant des étés lumineux. Adrienne, Senlis... On songe à Nerval, tant la rencontre de l'écrivain avec celle à qui ce livre est dédié ressemble jusque dans son cheminement imaginaire à la nature des amours de Nerval, transformant en filles de rêve des jeunes femmes dont les qualités réelles correspondaient si peu à ses songes.

Le narrateur fait le compte minutieux de ses échecs avec une sécheresse passionnée et une luci· dité, tantôt exaltée, tantôt morose qui le rend très proche des . héros de Rêveuse Bourgeoisie ou de tous ceux qui ont hérité d'Adolphe la violence exacerbée par l'excès de conscience, le goût de souffrir et de s'analyser, les tourments de l'amour se réchauffant à la lumiè· re de cette clarté impitoyable qui traque les ombres. Le goût de la souffrance s'accroît d'une exigen. ce qui fait fi de tout ce qui peut la contrarier, la possession de la vérité. Pour le narrateur, l'amour

est une expenence qu'il lui a été donné de vivre afin de mettre son cœur à nu, son âme au grand jour, et tirer de ses sentiments des principes dont bénéficie l'hu· manité tout entière. C'est pour. quoi n'a·t·il de cesse d'avoir fait le commentaire scrupuleux de sa passion à la femme qui l'inspire. La volupté se confond avec l'excœ de conscience et s'accroît de cette perfectibilité exigeante qui veut élever l'amour sur les cimes. Un lent et patient effort, une maîtrise et une conquête incessantes doivent triompher du désordre et des dis· cordances qui défigurent la souf· france, une vie malheureuse. L'écri· vain veut résoudre ses contradic· tions dans une lucidité, les résor· ber dans une harmonie qui les rachète et les répare. De cette ascèse, de ce dépassement, le livre tire cette élégance, cette musique élé· giaque si suave.

La démesure et la fièvre permettent d'approcher cette région lumineuse où la passion s'identifie à l'être. La lucidité, l'intelligence sont à la fois le poison et l'aliment qui aiguisent l'acuité des sensations et des sentiments en les épurant, d'où cette passion abstraite, désincarnée qui ne s'épanche jamais mieux que dans la solitude et dans l'absence. Le narrateur appartient à cette espèce de rêveurs qui ne peuvent goûter une expérience que s'ils la replacent dans une perspective imaginaire, la dimension de la mémoire, l'exaltation onirique ou les métamorphoses de l'art. De la su· rimpresgion d'instantanés transfigurés par le souvenir et de clichés enregistrés dans l'instant présent s'ensuit l'alchimie qui redouble ses plaisirs. L'amour n'est jamais plus beau que lorsqu'il se nourrit des couches superposées du temps et de la dis· tance qu'y introduit la littérature.

Alain Clerval

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ils étaient des grands succès du printemps ils seront encore des REST-SELLERS de l'automne...

LA FORET PERDUE LA SUPERBE

Maurice GENEVOIX de l'Académie française

André CHAMSON de l'Académie française

sont parmi nous

LES ROIS MAUDITS vol

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ECRIT AFRESNES LA GUEUSE

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les assassins

par SIMON WIESENTHAL Les extraordinaires aventures de l'homme qui d'Eichmann à Stangl (Treblinka) a traqué et fait traduire en justice 900 criminels de guerre nazis.

Collection "Témoins de notre Temps"


Une liberté rilnbaldienne

Mohammed Khair-Eddine Agadir Le Seuil éd. 143 p.

A Agadir, naguère, on s'en souvient, la terre trembla, la ville fut dévastée. Le livre de Mohammed Khair-Eddinc dont le titre évoque le terrible phénomène est l'expression lyrique. haletante d'autres violences, d'aut .!s paniques. Non plus celles, aveur' "S, de la nature, mais celles que . Histoire impose aux hommes. Toutefois, si forte est la secousse, ct s: total le désordre révolutionnaire, que l'événement foudroie certain-- comme une nécessité. A ceux-là il faut retrouver une identité, une demeure, et la promesse, peut-être, d'un « pays de joie jeune

et rutilante »,loin de l'errance et de la mort. Ce grand sujet n'a pas d'âge et la ligne en est simple : la condition des hommes est insupportable, du fond de leur déréliction les homo mes cherchent quelque joie, quel. que lumière. Mais, ici, les hommes sont nommés et le lieu et le temps nettement situés. Ce Maroc de l'auteur représente un de ces pays d'an· cienne servitude accouchant dans le sang de son avenir. Les personna· ges : roi, paysans, foule, commu· nistes, corrupteur, caïd, sergent, étranger, etc., sont ceux qui s'af· frontent. en des combats ambigus dans les pays sous-développés. Au cœur du récit, un être anony· me, un homme sans identité, la voix exigeante et exaltée d'un de ceux qui sont dépossédés du monde, ces

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Le prochain numéro de La Quinzaine littéraire

sera en vente

saDledi 14 octobre La Quinzaine li:téraire, du 1" au 15 octobre 1967.

• • • Petite Collection • Maspero • •• Romancero de la résistance • espagnole,en deux vol. •

JoMo KENYATTA

: Au pied du Mont Kenya

damnés de la terre dont Franz Fa· : non a dit l'aliénation, les rêves et • les tâches historiques. • Cet homme est requis pour « re· • dresser une situation particulière- • ment précaire ». Une sorte de mis· • sion lui a été confiée, il semble : mandaté pour redonner vie à la • ville rasée où règnent « le silence et • une résignation marquant jusqu'aux. pierres ». Au plus humble est im- • posé cette entreprise, mais cet hum- • ble n'est pas un homme d'ordre, ce : fonctionnaire d'occasion joue malle. jeu du monde. En fait, la contes· • tation de celui qui parle est totale, • il s'agit d'un homme traqué, réduit • à rien : ( Je suis, un point c'est • moi. » De sa mémoire brisée il ne : peut recueillir que des débris chao· • tiques : « Le ciel de ma mémoire • n'est plus le même, il est gris, sali, • répugnant, fatal, grotesque, c'est un • vrai chiffon.,. » Il s'agit d'un rebel· : le, et son projet finalement n'est • pas de reconstruire la ville nouvelle • laborieusement, ce n'est pas même. de retrouver le sens à jamais en· • glouti de l'enracinement ancestral, • Rebâtir la ville? C'est refaire le : monde, changer l'homme, redonner _ sens à tous ceux qui ont perdu • leurs raisons d'être, et, à la longue. patience des projetS temporels, - • car « on ne peut pas s'entendre avec : le Temps» - , est substituée l'idée • d'un départ absolu, d'une vie sans • stratégie, d'une sorte de révolution. permanente. Bref, l'homme proela- • me l'exigence d'un gai savoir, celui, • éclatant, de l'acte poétique transcen- : dant les malheurs de l'Histoire : • « Il faut bâtir sur du vide voilà. • Ne rien garder du passé... passé... • mauvais; sinon un souvenir si pas- • sible mais réinventé passé aux cou· • leurs d'une nouvelle vision, et par- : tant sain neuf... Je partirai avec un • poème dans ma poche, ça suffit. Je • t'aime, départ, brassée d'yeux s'ou- • vrant lentement dans l'aube. » • Ce départ, d'une liberté rimbal- • dienne, le livre ne se contente pas : de l'annoncer, il en donne, pour • ainsi dire, le mouvement. Moham· • med Khair-Eddine ne se soucie au· • cunement d'apporter l'intelligibilité • au processus historique qu'il subit, : il n'est pas attentif à la logique des. choses, il n'est sensible qu'à la vertu • transfigurante de la parole, et celle- • ci, par-delà tout souci d'appréhen-· . .ob"Jective, se const'tu ' • slon 1 e e t sor· ganise en un monde verbal assez: consistant, assez neuf, pour imposer. l'authentique présence d'une démar· • che, d'une exigence, • Qu'il s'agisse, dans les séquences • dialoguées de l'ouvrage, de ces pa· : labres d'un lyrisme iconoclaste qui. n'est pas sans rappeler celui des. Armes miraculeuses d'Aimé Césaire,. ou Ide ces litanies du sang qui rem- • plissent~6- si belles pages, une voix • angoiss • et agressive poursuit son : monolo e, forçant l'oubli des hom- • mes, le silence des ruines, la stu-. peur de l'Histoire, et cette voix. réanime l'espace d'Agadir, Victoire· du plus libre des actes contre « la • réalité rugueuse à étreindre ». : Jacques Howlett •

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L'ANNEE DANS LE MONDE

5 volumes parus'

ARTHAUD )2

•• CORRESPONDANCE • • • • • • • • •• Henry Miller avec Lénine et Modigliani réunis à Anaïs Nin à la Coupole. Il n'a, pas ' inventé • Lettres le 'Bateau-lavoir, ni les danses nè• Traduit par Pierre Alien • Christian Bourgois éd. 410 p. gres, ni les travestis de la guerre, • ni la gloire d'un montreur d'espa• dons, ni celle d'un propriétaire ana-

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Il faut · dissimuler cette pensée qu'Henry Miller est le dernier grand romancier américain vivant. Qu'il est aussi un romancier qui peint quand il a des insomnies, un grandécrivain accompagné de sa toutetendre-épouse, japonaise, petite, jolie comme une poupée, et qui tâche d'être aussi discrète que peut l'être la jeune femme d'un homme célèbre dans le monde entier et qui a trouvé commode de fêter en quelque sorte son jubilé littéraire par une lune de miel doublée d'un vernissage parisien. Chapeau donc à tout cela. Et que consternation et raillerie s'emparent de nos moutonnants esprits. Comme il se doit depuis la mort des grands alcooliques qui n'ont pas tenu le coup outreAtlantique. Les Hemingway et les Faulkner, qu'ils ne nous empêchent surtout pas de tourner en rond. Car nous on est les matous. La queue droite, fière, malgré l'envie qui nous tenaille, nous nous donnons, nous nous donnerons volontiers l'allure d'être les grands matous qui tournent autour de la charmante souris qui s'appelle Henry Miller. Car, malins, on ne risque pas de le « débiner » ? Ce serait tout de même trop grossier. Non, on l'ensevelira sous nos bonnes manières, sous l'épaisseur de notre tendresse . Et puis on se souviendra qu'il a écrit de très belles pages sur Rimbaud, sur Proust, sur Cendrars.

chronique, sudiste, botté de beurre frais et glacé dans ses dignités. Pendant ce temps-là il vivait par l'écriture, et une danse inégalée de l'enfer de l'écriture, sa Crucifixion en rose. Il se mariait pour mieux mendier. Ou il mendiait pour mieux se marier, je ne sais plus. Il se faisait bousculer sur les quais, sans démagogie. Il débarquait à Paris, sans un sou, sans connaître un mot de français, et sans lettre de recommandation pour Gertrude Stein.

Ce mur blanc

Et là il fait la connaissance d'Anaïs Nin. Il lui écrit qu'il écrit le Tropique du Cancer. Il apprend le français en lisant Albertine disparue et M oravagine, dans un coin de café, parce qu'il ne sait pas très bien chez qui il couche. Il mène donc cette vie qu'il nous semble bien avoir vécue autant que lui, à travers les Tropiques, Plexus, Max et les phagocytes, etc. On la 'c onnaît par cœur. Tout le monde sait qu'il a connu Durrell et Fraenkel, qu'il a parcouru la Grèce pour en ramener, au début de la guerre, le somptueux Colosse de Maroussi, qu'il attend pendant bon nombre d'années les millions qu'on lui doit pour les ventes énormes des Tropiques. Bien sûr de tout cela il parle avec Anaïs Nin. Cette correspondance, qui n'est qu'une faible partie de leur vraie Tout est prêt pour le grand show. correspondance, un peu tronquée Alors, voilà ce que je dis, en toute déjà dans l'édition américaine, foisimplicité : Miller est le plus grand sonne, fourmille, autant que celle là-bas, depuis Melville, depuis avec Durrell. Tout est ici recoupé, Hawthorne, depuis Poe. De même décrit, revécu, rediscuté. Cet ouqu'avant Pound, le vrai poète amé- vrage ne serait pas un miracle s'il ricain avait été Whitman. Whit- n'était que cela. Anaïs Nin avait un père riche man, qu'Henry Miller avait désigné comme le premier poète amé- et célèbre qui adorait l'intelligence ricain. Depuis les trois grands, ceux de sa fille et sa beauté et qui l'emdu demi-siècle précédent, depuis ces menait à travers le monde pour trois-là qui d'un coup, avaient at- voir ce monde et vivre en lui et teint tous les sommets, une généra- avec les grands hommes qui illustion était apparue qui avait passé traient ce monde merveilleux. C'est son temps à s'épaissir, à se fomen- donc cette femme-là que Miller renter éternellement, à se laisser ai- contre. Elle est la réceptrice (dont guiller par la force nationale : les nous n'avons hélas pas, ici, les réDreiser, les Sinclair Lewis, les pliques), elle est ce mur blanc, poli Twain et autres O. Henry ont eu ce . et affectueux que tout écrivain double talent de se maintenir au souhaite éperduement pour y essommet de la nouvelle vague indus- sayer ses balles, les façonner et les trieuse et d'initier leur monde à couper au mieux. En plus de son celui qui venait, celui d'une géné- incoercible journal ( une centaine ration qui fut dite perdue, sans de volumes écrits, dont le premier doute parce qu'elle n'eut jamais à tome vient seulement de paraître aux Etats-Unis), d'une bonne douse chercher. zaine de romans intéressants, elle Ces surhommes sont venus tous aura eu aussi ce talent de destinaensemble : Faulkner le chercheur, taire. Le texte des lettres de Miller Hemingway la légende ambulante, est neutre quant au fait que c'est Dos Passos qu'on oublie à toute vi- à cette femme qu'il écrit. Je ne vois tesse, Fitzgerald qu'on ne finira ja- pas d'autre façon de qualifier l'efmais de pleurer. Ces héritiers-là fet que m'ont fait ses deux lèc(seul Faulkner inventa vraiment) tures (en anglais et en français) : ont bu toute la gloire. Miller n'a une indifférence, mais, en -même eu que celle du déporté. Il n'a pas temps chaleureuse, un tact et en eu le bonheur de boire des pots même temps sa précision inimita-


des grands Américains

Hen.ry MiUer

ble dans lit reconnaissance littéraire. Par-dessus tout un manque de soucis évident par rapport au bienfondé littéraire, par rapport à l'illusion créatrice, par rapport à la réflexion. Et pourtant tout cela affleure, en plein intérêt, en pleine percutante réalité de la chose littéraire.

Le café Miroir J'avais l'intention de vous citer les pages qui traitent de tout ce qu'éveille en Miller la lecture d'Albertine disparue; le café Miroir à Dijon d'où il envoie ses impressions de surveillant de lycée à Anaïs Nin douillettement installée dans sa propriété de Louveciennes; sa tendresse et sa curiosité pour chaque élément imbriqué de cet exil .énorme; la liste des ouvrages que tel professeur aime et n'aime pas; la rue des petits bordels avec leur odeur de frites, et un certain nombre de rencontres objectives qui ressemblent aux décors « pla~tés » des romans de Julien Green. Et de tout cela, le café Miroir renvoie l'absolue réflexion d'une « lecture » d'ALbertine : « Il semble, que, plus je pénètre dans l'œuvre, plus je fais des apartés, des rhapsodies marginales. En vérité cette exposition symphonique de la jalousie est à ce point immense, détaillée, documentée, qu'elle épuise le sujet. La seule chose à laquelle on puisse penser, pour la comparer, est cette maîtrise totale de la forme musicale atteinte par Bach. » J'aimerais pouvoir tout citer de cette vie emplissant tout recoin de chaque page. C'est moins dissous et foisonnant que les Livres de ma vie, moins

répertorié que Plexus et Nexus.· Plus léger, la trame se dissolvant, dévorée par le jaillissement en avant. Il tire toujours trop loin en avant de l'oiseau, et l'oiseau ne rejoint jamais les balles. On file, comme lui, à sa vitesse, et ce qui détonne sans doute le plus par rapport aux ouvrages romanesques ou autobiographiques, c'est qu'on n'est pas vraiment tenu de lire aussi vite que cela se passe devant nos yeux (le rythme délirant de Plexus oblige à une lecture effrénée, sinon on n'est. lllus dans le coup. On croit qu'on va en manquer). Miller rend palpable le style ondulant et non inéluctable de l'exercice épistolaire. On le suit en souplesse. Pas de morceau de bravoure non plus alors que tout est ici de haut-vol, sur une paroi d'où il est impossible qu'il dévisse. Pas de temps faible, pas d'échappatoire, pas de redite. Lisez : A bord de l'ExochoFda 12 janvier 1940

Deux semaines en mer, et ü semble qu'un rideau soit tombé sur le récent passé. La Grèce est retombée dans le puits de l'expérience. Là, quelque chose m'est arrivé, que je suis maintenant incapable de formuler. Je ne suis pas en haute mer je suis déjà en Amérique. L 'Amérique était là dès le Pirée, dès que j'ai posé le pied sur le bateau. La Grèce s'estompe rapidement, meurt devant mes yeux. La lumière est ce qui disparaît en dernier, la lumière sur les collines, cette lumière que . ... . , Je naVaLS JaTTWLS vue, que Je n aurais pu imaginer sans l'avoir vue de mes propres y eux. La lumière incroyable de l'Attique! Si rien ne me reste que ce souvenir, c'est bien. Cette lumière représente pour moi la consommation de mes désirs et de ~

La Quinzaine littéraire. dit 1" ait 15 octobre 1967

mes expenences. J'y ai vu la flamme de ma propre vie consumée par la flamme du monde. Tout semblait se réduire en cendre, et cette cendre elle-même était distillée et dispersée dans les airs. Je ne crois pas qu'aucun pays, qu'aucun paysage, puisse offrir plus que cette expérience. On se sent non seulement intégré, harmonieux, ne faisant qu'un avec toute vie, mais - réduit au silence. C'est peut-être l'expérience la plus haute que je puisse concevoir. C'est une mort, mais une mort qui fait honte à la vie. M aintenant, sur le bateau, revenu sur la scène américaine, j'ai l'impression de vivre avec des gens qui 'ne sont pas encore nés, avec des monstres échappés de la matrice avant terme. Je ne communique plus avec quoi que ce soit. Je vis dans un monde de coquilles d'œufs brisées. Rien n'éclôt_ Les œufs, plus personne n'en demande. C'est comme cet état d'après la mort dont parlent les Thibétains. Ce qui m'arrive est tout aussi réel que si c'était la vie, mais ce n'est pas la vie. C'est quelque chose entre la mort et la naissance. Nous entrerons au port comme une cargaison de fantômes bien nourris, bien préservés et excessivement agités. On nous permet de rester en contact par radio avec tout ce qui se passe dans le monde, mais le monde est tau jours hors de portée. C'est l'endroit où il vient de se passer quelque chose, où il va se passer quelque chose. Mais pour nous, rien-n'arrive. Peut-être ai-je le très vague souvenir d'avoir été vivant, il y a peu de temps, bien vivant en plein soleil. Mais désormais une autre lumière m e baigne. Comme celle qui viendrait d'un réflecteur m étallique et glacé. La salle est dans le /loir. La scène est éclairée. Le rideau se lève. Henr y

On ne peut pas parler' d'Henry Miller avec son propre style, de même qu'on ne peut lui emprunter le sien. Ce qu'écrit constamment Miller c'est qu'il se met à écrire. Ce qu'il écrit à son amie écrivain, c'est qu'il écrit un Tropique, c'est qu'il écrit un ouvrage sur D_ H_ Lawrence, c'est qu'il écrit qu'il fait lire à ses amis la Maison de l'inceste qu'elle lui a envoyée_ Ce qu'il écrit, même dans son esprit d'épistolier démesuré, c'est qu'il invente l'écriture que les autres (Pound, Joyce, James, Proust) ont inventée pour dire qu'ils écrivaient. Et qu'ils n'étaient tous en fin de compte que cela_ Faisons l'ellipse : quoi d'étonnant à ce que Miller se soit inquiété du sexe d'Albertine, s'il est ici si bien assuré, désormais, que l'écriture s'exerce toujours comme à demeure dans l'aparté sexuel.

Le même désir instillé jusqu'à l'excès de pensée, le même repli sur le point constamment de se déployer, et l'insatisfaction exquise de savoir aussi ceci: qu'on ne pourra jamais être en-deçà, ni au-delà de son propre spectacle même si on cherche à tout moment à le projeter sur d'éventuels destinataires. Qui pourrait aSSl,lmer enfin le spectacle d'un écrivain? Qui le réfléchirait assez pour qu'enfin il entre dans sa propre action, en s'y commettant? La tendresse d'Anaïs n'est qu'un miroir plus tendre et plus posé que les autres. Tout ce qu'à vécu, tout ce qu'aura v:écu Miller n'existe plus. L'acte naufrage dans l'action écrite, celle-ci n'étant plus que cette fabuleuse réflexion asservie, incongrue dont nous avons ici le spectacle - et non l'illusion. Denis Roche


HISTOIRE LITTÉRAIRE

ESSAIS

Rêver en Italie Yves Bonnefoy Un rêve fait à Mantoue Mercure de France éd., 209 p.

Le rêve qui donne son titre à ce recueil de textes est le suivant. L'auteur raconte qu'au retour d'un voyage en Grèce en compagnie de Sylvia Beach, il s'arrêta à Mantoue pour visiter une grande exposition Mantegna. Tous les hôtels de la ville étaient pleins et il ne put trouver de chambre . que dans une petite locanda qui portait le nom merveilleux d'Al giardino. Là, après avoir vu quelques églises, il s '(mdormit et des images étonnantes traversèrent son sommeil. « C'était le printemps ou les prentÏers jours de l'été, j'entrai dans une maison blanche assez basse cachée au fond d'un jardin, et là je pris un escalier qui descendait en larges spirales, mais sans rien perdre du grand éclat de la matinée finissante, où se mêlaient le vert des feuillages et les taches mouvantes de l'orangé des fmits mûrs. A peine si une salle, où je fus soudain, se révéla moins brillante. Elle donnait par une porte-fenêtre sur le même jardin, dans ce qui paraissait ses assises les plus profondes, et c'était, cette salle asse~ exiguë, une cuisine meublée comme autrefois de . bois ciré et de cuivre. Plusieurs petites filles s'y pressaient en riant auprès de vastes fourneaux. Et une odeur délicieuse d'huile fraîche montait des poêles noires où des œufs cuisaient doucement. Je regardai ces minimes soleils grésiller dans les. parfums et les ombres. Et je vis que de temps en temps une des jeunes filles en prenait un dans une écumoire, pour

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le jeter dans des baqu.ets sur le sol, où beaucoup d'autres gisaient, végétant ou près de s' éteindre. Je m'étonnai de cette bizarrerie. « Mais qu'en faire, en vérité, me dit-on. Nous sommes les fées qui n'avons pas de besoins. Nous cuisinons pour notre plaisir. C'est ici la maison de l'immortalité. » Et de rire toujours, visages pleins et mobiles de l'enfance qui va finir . Après cela je fus dans une rue populeuse, ou plutôt c'était un chemin dont les parois étaient creusées de boutiques, aux arcades de pierre grise. Et devant l'une d'elles, entourée de passants, il y avait Sylvia Beach ... » Si j'ai cité ce . rêve, ce n'est pas simplement pour le plaisir très grand de le transcrire, c'est parce qu'il suffit de le lire une fois pour en sentir l'étrange tonalité nervalienne. Ce jardin, cette maison, ces jeunes filles, cette rue populeuse, c'est l'univers de Gérard et la « vieille fée des légendes au cœur éternellement jeune » dont il est question dans Sylvie, sans doute est-ce ici Sylvia Beach, telle que Bonnefoy la retrouve pour l'accueillir dans « ].1 maison d'immortalité » et lui rendre le plus beau, le plus léger, le plus juste des hommages. Pourtant, quelque chose de ce rêve dure et persiste en nous, plus encore que l'évocation de la vieille amie de Joyce, de cette transparente Sylvia-Sylvie: c'est la lumière douce et insistante qui en émane et qui éclaire encore le monde lorsque le poète s'éveille al giardino. cc une matinée de soleil, dans le chant touffu des oiseaux » . Lumière vive et pourtant tamisée d'un regard de poète qui se pose avec précision et ferveur sur les choses, sur les objets de l'art comme du monde réel, lumière de l'attention qui se diffuse à travers la prose d'Y ves Bonnefoy et lui donne cette pureté silencieuse, cette qualité, cette eau aimerait-on dire comme pour les pierres précieuses, que l'on rencontre presque à chaque page de ce livre. Car c'est d 'un rêveJumineux que naissent la plupart des méditations proposées ICI. Chaque fois que Bonnefoy ouvre les yeux 'sur un cc lieu », un paysage, une ville, un chp.f-d'œuvre d'architecture, un tableau, un livre, c'est la rigueur étincelante de l'intelligible qu'il tente de saisir, d'exprimer et de déceler sous l'apparence fugitive et mou-' vante. S'il pense aux beautés de Byzance, c'est le rapport heureux des formes qu'il découvre au-delà des lourds prestiges de l'or et de la gloire. S'il accueille les extravagances de l'art baroque, c'est pour y percevoir ce qu'il appelle ' une seconde simplicité c'est quand, dans des églises de village ou de petites communautés, ou plus eneore sans dout8 da'n s les œuvres les plus savantes, les plus 1',-, -: ..;cientes, d'architectes un peu v!cJlis, l'inquiétude des formes, les conflits de l'ornement et du nombre s'apaisent, d qu'une simplicité seconde se fait . soudain dans l'agitation consu-

«(

mée ») ou l'unité d'une « présence» en perpétuel devenir : ses pages sur Bernin et Borromini, à propos d'un ouvrage de Pierre ,Charpentrat, le montrent avec une singulière autorité. S'il parle des poèmes de Séféris, c'est pour y retrouver une pure ({ lumière d'octobre ». S'il évoque la peinture de Gaston-Louis Roux, c'est pour y capter la juste vibration d' « une vigne qui bouge dans ses ombres ». S'il décrit une haute statue l'Etranger ---:- de Giacometti, c'est pour en dire le chiffre secret. Tous ces textes qui furent « de circonstance » préfaces, hommages, compte rendu, ouverture d'un catalogue d'exposition - deviennent des méditations sur des essences. Rien de moins abstrait pourtant, de moins intemporel que ce livre. Yves Bonnefoy y apparaît comme un extraordinaire voyageur, un promeneur bien vivant, un étonnant connaisseur de l'Italie et de la Grèce, un inlassable visiteur de galeries, de palais, de couvents, de petites églises, de petits musées (cc Il n'y a pas de livre que je voudrais davantage écrire qu'un récit des musées du monde. Livre dont l'essentiel serait consacré aux galeries de peinture, et le chapitre le plus partisan, le plus injuste, elliptique d'ailleurs, allusif, presque muet, aux petits musées italiens»). C'est toujours sur le terrain, devant l'œuvre réelle et bien présente que son sens de l'observation s'aiguise et éveille sa réflexion . Rien ne le' montre mieux que cet admirable texte qui s'ouvre par une rêverie sur les grands chapeaux de Piero della Francesca (contemplés à l'église Saint-François, en particulier dans le Retour de la Croix à Jérusalem) - formes cylindriques évasées vers le haut, bizarres en apparence, mais messagères de l'humour le plus intelligent - et se prolonge par une pénétrante analyse du sens de l' cc ombre portée » en peinture, notamment chez Giorgio de Chirico. Mais quand Yves Bonnefoy réfléchit sur cc la poésie française et le principe d'identité » dans une longue étude où sa connaissance intime des ressources respectives du français et de l'anglais le conduit à peser avec exactitude ce qui fait la spécificité d'une langue, le pouvoir d' cc appel » des mots, l'ordonnance de la parole, c'est la même attention au concret qui caractérise sa méditation. Le rêve de ce poète est donc le plus éveillé qui puisse se concevoir. Il se nourrit de lumière intérieure et cc extérieure ». On en jugera par les hautes et claires visions des beaux textes - Sept feux - qui terminent ce livre. Remontons à la source : c( On assure que le rêve est un langage, et moi j'éprouve surt.out qu'il désigne et parfois même consen't cette parcelle d'or ({ audelà» que la main parlante veut prendre, cette blancheur qui dissout déjà la syntaxe qui la désire. » Raymond Jean

Edmée de La Rochefoucauld En lisant les Cahiers de Paul Valéry 3 vol. Editions Universitaires.

cc •• .]e pense à notre Taciturne, dit un Propos de 1932, à cet homme lunaire qui, chaqu~ matin de cinq à sept, bOLt du café dans l'Empyrée. » (Au café qu'il préparait lui-même dès le réveil ajoutons le tabac: le penseur désincarné avait besoin des excitants mineurs.) cc De là il nous voit tout petits, mais il nous voit très bien; et il laisse tomber sur nous ses copeaux de prose, accidents d'un travail sublime, sans aucun espoir ni aucun souci d'être . compris ou seulement lu... » Cet hommage d'un grand écrivain à un grand écrivain nous saisit. Sans aucune ressemhla-rtc-é, il rappelle celui de Balzac à Stendhal. Un auteur qui dans son œuvre accomplit à plein sa propre nature répugne nécessairement aux accomplissements d'autrui, qui d'une certaine manière annulent son propre effort. A moins d'une rencontre au sommet; tout à fait au sommet. En 1932 Alain apparemment ne pouvait encore connaître des Cahiers que les quelques collages de cc copeaux » que Valéry en avait publiés lui-même; nous allons en reparler. Des bribes. C'est seulement à partir de 1957 que le C.N.R.S . a pu prendre en charge la reproduction intégrale, en fac-similés , de ces documents auxquels Valéry attachait en secret une importance extrême. Intégrale ou à peu près, la photo admettant au besoin l'emploi de caches. Les 257 cahiers ou carnets originaux donnent, en 29 tomes, 28 000 pages. A un prix justifié certes, ,mais beaucoup trop élevé pour que vous sans doute et moi sans aucun doute puissions songer à en faire entrer la collection dans notre bibliothèque personnelle. Les trois volumes de Mme de La Rochefoucauld nous rendent le précieux service de nous en apporter non pas un digest, non pas des morceaux choisis, mais une sorte de résumé ou d'abrégé. A vrai dire, j'aurais préféré de simples morceaux choisis, qui eussent respecté l'abrupt, le discontinu, le rugueux, voire à l'occasion l'inintelligible du texte saisi naissant, à l'état de nature, dans les lueurs incertaines de l'aube. Mais la distance n'auraitelle pas paru peu franchissable pour le lecteur entre le mythe traditionnel de Valéry et le Valéry brut, sauvage et profond qui se surprend luimême, contrairement' à . sa propre doctrine, dans l'explosion' du spontané ? Mais , à l'inverse, n'est-ce pas justement cette distance qui agrandit à la fois l'un et l'autre Valéry par la monstrueuse extension qu'elle impose à notre préjugé? Mme de La Rochefoucauld a préféré prendre les Cahiers tome par tome, cocher dans chacun les notes les plus élaborées ou les plus accentuées ou les plus communicables,


Vingt-neuf « Cahiers » de Valéry les extraire, puis. tome par tome encore, les reclasser selon thèmes et affinités, enfin relier entre eux les fruits de sa cueillette par un commentaire continu, un commentaire biographique et critique propre à montrer que le Valéry ésotérique et le Valéry exotérique ne pouvaient être qu'un seul et même Valéry. A raison d'un chapitre par tome des Cahiers, son premier vo-

alors des recueils qu'il avait appe· lés Cahier B 1910, Rhumbs, Choses tues (qu'il ne faut pas intituler Choses vues comme fait ici un cor· recteur trop zélé), etc. Des cahiers aux recueils, quel rapport, au juste, et quelle marge d'élaboration? Mme de La Rochefoucauld n'avait guère à s'en occuper, ce n'était pas de son projet. Mais enfin la mesure de ce second degré, de cette

d'œuvres; et les choses dites venant prendre la place des choses tues, à la fin d'un processus infiniment instructif sur les réalités et vérités de la littérature regardée comme une des puissances actives de l'homme. Devant l'enthousiasme d'Alain Valéry se tenait réservé. On sait d'ailleurs par ses confidents que les commentaires d'Alain à Charmes

A lain

Valéry

lume couvre les tomes I-X (18941925), le deuxième les tomes XI-XX (1926-1938), le dernier les tomes XXI-XXIX (1938-1945). L'écrivain, nous dit-elle, « assurait avoir tiré des cahiers presque tout ce qui pouvait être publié ». Précaution farouche: s'il concédait à la mondanité ses journées entières, il entendait préserver le plus possible de ses aurores. Il parlait

génération seconde serait pour nous bien intéressante. Une bonne édition critique. Il arrive quelquefois que l'érudition sache se montrer intelligente. D'un côté, le jaillis!'ement aussi pur et aussi direct qu'il est possible de l'imaginer, en face de la doctrine exotérique de la fabrication litté· raire; et puis l'élaboration des mêmes textes poussée jusqu'à l'état

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 octobre 1967.

et à la Jeune Parque le déconcertaient. Son mot fameux, « Mes vers ont le sens qu'on leur prête », était au vrai, une dérobade devant lui précisément. Au début de 1940 il note après une rencontre : « Je suis comme toujours pas à mon aise avec lui. Il est d'une tout autre race. » Ne nous laissons pas engager sur des routes qui nous mèneraient trop

loin. Ce mot de Gide, cependant en 1920 : (( Valéry n'est pas humain. » Ainsi apprécié : « Je m 'embarrasse de cette mise au ban de l'humanité. Et pourtant cette inhumanité doit se réduire à quelque manière d'être très simple - si simple que c'est là précisément mon inhumanité. » Séparer l'esprit; et s'efforcer d'en réduire le schéma fonctionnel à des règles aussi strictement rigoureuses que celles de l'exercice de la mathématique ... Durant un demi-siècle, et nonobstant conjonctures, circonstances, vicissitudes, avatars et hasards, ce souci demeura pour Valéry la préoccupation la plus intime ; et constante, et obstinée. Nécessairement il rencontrait ell chemin la notion de Dieu, qu'il écartait avec agacement sans parvenir à l'éliminer, et celle de la positivité du néant qui déroute tellement et à bon droit les lecteurs des poèmes. et celle aussi du mysticisme avec lequel cet apparent sceptique acceptait si volontiers de faire UD bout de chemin. Devant ce for intérieur nous avons le sentiment de ressembler aux pillards noma· des qui ne savent qu'ébrécher leurs lances sur les contreforts d'une Grande Muraille. On se demande - avec trop de naïveté sans doute - comment la paysannerie d'Alain, vigoureuse, pulpeuse et juteuse, et non seulement tolérée mais revendiquée, pouvaIt s'accommoder de ces partis pris du retranchement. Mais Alain avait aussi son parti pris, qui était, sous la garantie et l'aval de la poésie, de tout admettre de Valéry ; et de respecter, en lui, tout. Et puis enfin ce faux paysan avait accueilli parmi ses familiers les plus proches Aristote ou Spinoza, Kant ou Hegel : la voix nouvelle qui se faisait entendre à lui n'avait pas de quoi l'effrayer. Et cependant, accepter sans réserve l'existence comme telle, sans dévotion' mais sans dérobade; accepter soi, ce soi porteùr et inventeur de l'esprit, d'abord comme chose parmi les choses; accepter autrui comme une présence amie par définition, et le semblable comme un semblable absolument : cette attitude fondamentale d'Alain ne paraît-elle pas très exactement opposée à celle de Valéry ? Peut-être l'eXpérience personnelle du poète en ses dernières années avait-elle assoupli sa dureté et hu. manisé sa rigueur. Témoin ces lignes qui terminent les Cahiers et qui sont peut.être, au printemps de 1945, huit semaines avant sa mort, son vrai « mot de la fin » : « Toutes les chances d'erreur. Pire encore, toutes les chances de mauvais goût, de facilité .v ulgaire sont avec celui qui hait... Le mot Amour ne s'est trouvé associé au mot de Dieu que depuis le Christ. » Nous humons ici un parfum nouveau de choses tues. Renoncement d'un vieillard malade et désabusé, ou découverte tardive d'un ultime degré de la sagesse? Samuel S. de Sacy 15


ART

Cézanne Liliane Brion-Guerry Cézanne et l'expression de l'espace Albin Michel éd. 288 p. Cé~a!1ne, on le sait, voulait pein. dre « la virginité du monde », en « découvrir les assises géologiques ». C'est pourquoi, le plus cultivé! des peintres de son temps œuvra, avec système et patience, à se défaire des conventions picturales, et par· mi celles-ci, de cette « forme sym· bolique » qu'on appelle la perspective . Ce rapport de Cézanne avec la représentation de l'espace est précisément la perspective choisie par Liliane Brion-Guerry pour saisir dans son développement l'œuvre du

selon L. Brion, le peintre d'Aix refit pour son propre compte la majeure partie des expériences révélées par l'histoire de l'art. Ainsi, par exem· pIe, la première période, celle de la Nouvelle Olympia ou de Don Quichotte sur les rives de Barbarie est rapprochée de la peinture antique avec son espace subjectif. La construction de l'espace, dans la deuxième période où, à Auvers, Cé· zanne subit l'influence bénéfique de Pissaro, est nettement différenciée d'avec la technique impression. niste et comparée au cloisonnement de l'espace médiéval. La période constructive (où, dans une lettre a Pissaro, Cézanne assimile le tableau à une carte à jouer) est pratiquement identifiée avec l'expérience cubiste dont elle sert à éclairer la

corde à l'organisation formelle des L. Brion. Peut-être, dans l'immense œuvres ont pour origine chez li- littérature consacrée à Cézanne, liane Brion l'enseignement des es- sont-ce encore les quelques pages théticiens et historiens d'art alle- de Merleau-Ponty4 qui corroborent mands, E. Cassirer d'abord et E. Pa- ct éclairent le mieux Cézanne et nofsky. Il est remarquable qu'elle l'expression de l'espace, à cause de en ait fait son profit il y a vingt la correspondance du projet cézaans, à l'époque où la mode et la nien et de la hantise des genèses querelle du structuralisme n'avaient qui habitait Merleau-Ponty. pas éclaté, où non seulement PhiloCependant, si le philosophe a resophie der symbolischen Formen 2 fusé de psychologiser et d'expliquer et Die Perspektive ais symbolische Cézanne par sa constitution schiForm n'étaient pas traduits (le der- zoïde, celui-ci n'en demeure pas nier ne l'est pas davantage aujour- . moins pour lui, avant tout, l'occad'hui), mais où les noms même de sion d'une phénoménologie de l'acleurs auteurs demeuraient inconnus te créateur, un type idéal. Et, en eD France. Il est cependant encore définitive, la dimension historique plus remarquable que ce Cézanne du peintre échappe. Pourquoi Cépublié en 1950 et réédité sans ta- zanne voulait-il retrouver un espapage en 1967, n'ait pas vieilli. Au ce natif, pourquoi ce projet - qui niveau de l'illustration ses schémas nous est clair aujourd'hui parce que

Cézanne par Pissaro

Cezanl1e

peintre. L'entreprj ·;e est à la fois austère et hardie qui refuse les facilités de l'anecdote et de la psychologie, la tentation des analyses de contenu et s'assigne pour tâche, face à face avec les tableaux, la recherche de leurs principes constructifs. Et c'est ainsi que l'interrogation directe et la comparaison des peintures permet à l'auteur de découvrir des types d'organisation spatiale et de dégager les cinq étapes qui jalonnent le parcours du pein. tre, depuis l'espace restreint où l'illusion de la troisième dimension est suggérée par la courbe et où le « point de vue » est mobile, jusqu'à l'espace unifié où « contenu et conten~nt coïncident ». L'aridité de l'analyse est tempérée par la référence permanente aux autres formes de l'espace pictural qu 'évoque la diversité de l'expression cézanienne, puisque aussi bien, 16

Pommes el oranges .

portée et les limites : en faisant apparaître à travers la Maison Maria, la Fillette de la collection Ro· senberg, Madame Cézanne au fauteuil jaune, l'impasse à quoi se heurte le Cézanne de Madame Cézanne aux cheveux dénoués ou des paysages de l'Estaque du Metropolitan Museum et de Baden, Liliane Brion apporte sa contribution à l'histoire du cubisme. On peut n'être pas toujours d'ac· cord avec ses références aux diverses conventions constructives de la peinture, qui mènent des mosaïques de Sainte-Marie-Majeure aux paysages chinois du VIlle siècle (comparés aux dernières Montagne Sainte - Victoire). Néanmoins, la précision et la qualité de l'information. leur donnent un pouvoir de stimulation assez rare. Son intérêt pour la « forme ») espace, le rôle de base qu'elle ac-

gardent leur efficacité, ses reproductions, modestes, en noir et blanc, démontrent, une fois encore, la valeur didactique des rapprochements judicieux. Seule, la bibliographie a été remise à jour et offre l'état de la question Cézanne en 1967. Aussi, ne saurait-on assez recommander la lecture du livre de liliane Brion. Il constitue aujourd'hui sans doute la meilleure introduction à Cézanne. A condition, bien entendu, qu'on ne lui demande pas une « explication » dont l'auteur s'est, par souci de rigueur, abstenu. Et pourtant - l'œuvre de Panofsky3 en témoigne assez - la méthode d'analyse mise en œuvre ici ne devrait-elle pas trouver sa justification et son aboutissement dans un dééhiffrement global? La question se pose du sens qu"il faut finalement donner aux analyses de

sont venus depuis Klee, Wols et Dubuffet pourquoi ce projet a-t-il pu naître précisément dans les années 1870, comment s'insérait-il dans le projet global d'une époque ? La logique de son entreprise exigerait donc que Liliane Brion répondît à ces questions dans un nouveau volume. La préface qu'elle vient d'ajouter à l'édition de 1967 laisse penser qu'elle est une des seules à pouvoir légitimement le faire et permet de souhaiter qu'elle démontre bientôt, en particulier, l'homologie de l'espace cézanien e.t de l'espace intérieur poétisé par Rilke. Françoise Choa)' 1. Picturalement, s'entend, de cet inlassable visiteur du Louvre. 2. E. Cassirer, Gallimard, éd. 3. E. Panofsky, 1924. 4. Sens et non-sens, Nagel. éd.


;

L'iconographie CODlparee J.-D. Rey et J.-M. Lacroix Les quinze mystères du Rosaire Coll. « L'Art et ses grands thèmes » 16 pl. coul. 192 reprod . nOIr Mazenod éd., 148 p. Premier ouvrage d'une collection dirigée par Lucien Mazenod, et qui sera consacrée aux grands thèmes sacrés et profanes dont s'est inspiré l'art de tous les temps, les Quinze mystères du Rosaire ont été pour l'éditeur l'occasion d'innover une technique de présentation qui cons· titue une méthode d'exploration historique en même temps qu'elle fait une large part au plaisir de la contemplation.

une fonction qui reste son privilège, et un intérêt que le musée ne peut nous offrir, lorsque ses confrontations en font un instrument d'étude comparée per mettant d'immédiates observations là où se montre toujours suspect le travail de la mémoire. Rien de plus regrettable, en effet, que des œuvres conçues pour

rouse, et dont les morceaux sont aujourd'hui répartis entre le Vatican et les musées de Lyon, de Rouen et de Nantes. Il en est de même pour le retable de la M aesta de Duccio dont une partie est restée à Sienne tandis que les sept autres fragments sont à Londres, à New York et à Washington . On s'expli-

Le livre, divisé en deux parties, nous montre d'abord, en une suite de planches en couleurs (dont les formats variés atteignent parfois, en double page, 38 centimètres de hauteur sur une largeur de 49centimètres), les quinze sujets illustrant les mystères « joyeux, douloureux et glorieux » du Rosaire : Annonciation, Visitation, Nativité, etc. Ces sujets ont été choisis dans l'œuvre de quinze peintres parmi lesquels, à côté de maîtres anonymes espagnols et italiens du XIIe et du XIIIe siècle, nous trouvons Giotto, Duccio, Fra Angelico, Filippo Lippi, Roger van der Weyden, .Jorg Ratgeb, le Tintoret, le Greco. Dans la seconde partie: sont repris les mêmes thèmes, cette fois par des reproductions en noir de petites dimensions, qui nous permettent de confronter (à raison de douze, parfois de vingt-quatre illustrations pour chaque thème) les différentes interprétations que leur ont données à travers les âges, et à partir de la plus ancienne représentation connue, des artistes de toutes disciplines, particulièrement des peintres, des enlumineurs, des mosaïstes et des ivoiriers. Les sources spirituelles de ces œuvres nous sont indiquées par des extraits de textes sacrés réunis par Jean-Marie Lacroix qui, en fin de volume, retrace brièvement, mais d'une façon savante, le développement historique de la tradition du Rosaire dont l'origine remonte à saint Dominique, c'est-à-dire au début du XIIIe siècle. En citant ce mot de saint Bernard, qu'on me pardonnera de trouver piquant : « Eve fut une épine, et Marie une rose », l'auteur rappelle l'étymologie du mot chapelet, liée à la très ancienne coutume de la couronne de roses décernée en souvenir du mystère marial et portée en guise de chapel. Enfin, toute l'iconographie est commentée par Jean-Dominique Rey de façon à éclairer les quelque deux cents œuvres reproduites par des observations esthétiques ou historiques qui contribuent utilement à donner il l'ouvrage son intelligence . et son unité. Si le livre d;art ne peut remplacer le musée, il prend en revanche

LIli ça

la Visitation , Espagne. XIII' siècle.

former un ensemble (les volets d'un triptyque par exemple) soient dispersées en plusieurs vHIes. C'est le cas, parmi beaucoup d'autres, d'une des œuvres les plus importantes de la dernière manière de Perugino, le polyptyque qu'il exécuta pour l'église abbatiale de Saint-Pierre, à Pé-

La Quinzaine littéraire, dit 1" ait 15 octobre 1967.

que mal, d'ailleurs, lorsqu'une telle dispersion se limite à un seul pays, qu'il ne soit pas possible de rassembler les morceaux séparés. La France ne possède que la prédelle du grand retable que Mantegna peignit pour l'église de San Zeno de Mantoue, mais pourquoi faut-il que deux

des éléments de cette prédelle, le Mont des Oliviers et la Résurrection, se trouvent au Musée de Tours alors que le troisième, la Crucifixion, est au Louvre? Nous pouvons les voir tous les trois dans l'ouvrage de Mazenod. Cet ordre d'intérêt que présen te la construction du livre réside aussi dans la comparaison qu'il rend possible en tre les différentes manières dont les artistes, en dehors même des particularités de leur style, ont imaginé la représentation de l'élément-clef d 'une composition. Pour le thème de la Pentecôte, par exemple, ce sont les langues de feu qui, selon les Actes des Apôtres, leur apparurent, accompagnées d'un bruit « comme celui d'un violent coup de vent », dans la maison où ils étaient réunis autour de Marie. Dans un évangile syriaque illustré par le moine Rabula en 586 et conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence, ces « langues de feu » surgissent au-dessus de la tête des apôtres comme de petits bouquets de plumes dont se seraient ornementées leurs auréoles. Sur une plaque d'ivoire du XI e siècle provenant d'un parement d'autel de la cathédrale de Salerne, les « langues de feu » dressées sur la chevelure des disciples, pareilles à de bauts chignons torsadés, les font quelque peu ressembler à des divinités indop.ésiennes. Toute différente est la façon baroque dont ces flammes furent synthétisées, à la fin du xe siècle, par l'illustrateur du Pontifical de Winchester : elles s'échappent du bec de la colombe qui plonge verticalement sur les apôtres, et forment comme le réseau de tentacules d'une pieuvre géante et agitée. En fin, sur un tableau d'autel du Maître de Cologne, du Xl v" siècle, et sur un autre d 'un anonyme d'Amiens du xv", l'aspect de flamme a disparu au profit d'une figuration de rayons lumineux évoquant une pluie fine ou plus précisément le jet d 'eau circulaire d'une douche . Un livre ainsi fondé sur le principe de la répétition et de l'enchaînement des thèmes met en lumière une caractéristique fondamentale de l'histoire de l'art et montre hien ce qu'elle est en réalité : une collection d'idées et de formes. Et dans les instants qu 'il passe à étudier les Quinzes mystères du Rosaire le lecteur se transforme en un collectionneur de langues de feu, d'ailes d'anges, de nimbes, de Vierges en état de lévitation et autres figures singulières à l'aide de quoi se des" sine sous ses yeux un des grands courants de l'histoire de la peinture: une aventure compliquée qui se déroule sous le triple signe de l'observation, de l'invention et de la confession. Mais entre l'attention portée à la nature et la projection de soi sur l'œuvre élahorée, l'art religieux reste dominé par la plus grande énergie dépensée par les facultés imaginatives jusqu'à l'avènement du surréalisme. Jean Sel:: 17


POLITIQUE

Trotsky Léon Trotsky Le mouvement communiste en France, 1919-1939 Textes choisis et présentés par Pierre Broué Ed. de Minuit, 723 p. Robert Wohl French commun,sm in the making, 1914-1924 Stanford U.P., 1966 François Fejto The french communist party and the crisis of international communism The M,I.T. Press, Cambridge, 1967.

Décidément l'histoire du communisme français n'est plus une histoire en jachère : le développement des publications qui la concernent attire même l'attention de la presse internationale puisqu'un journal comme la Neue· Zurcher Zeitung a consacré en août dernier une très longue recension à plus d'une quinzaine de titres parus dans les dernières années. Nous arrivent en outre des Etats-Unis deux livres importants, l'un de Robert W ohl qui prend les choses par le commencement, le second de François Fejto qui les prend par la fin, tandis qu'en France même Pierre Broué, poursuivant son inlassable travail de défrichement, nous offre un ensemble de documents majeurs: un considérable choix de textes que Trotsky, au cours des vingt années de l'entre-deux guerres, a consacrés au mouvement communiste en France. Robert W ohl est issu de cette féconde école d 'historiens américains spécialistes d'histoire européenne et plus particulièrement d'histoire française contemporaine qui s'est épanouie en Californie, à Stanford et à Los Angeles, sous l'impulsion de brillants chercheurs comme Gor· don Wright et Eugen Weber.

Première naissance Son ouvrage appartient au type de ces grands travaux universitaires de langue anglaise, fondés sur une information scrupuleuse et une technique éprouvée. Avec un sens sûr de la périodisation significative et au fil d'une analyse chronologique minutieuse, Robert W ohl montre comment il a fallu une décennie tout entière, de 1914 à 1924, pour qu'à la triple lumière de la guerre, de la Révolution russe et du bolchevisme (tel qu'en lui-même celui-ci se change avec l'échec de la révolution mondiale et l'expérience accumulée dans les premières années de la jeune République soviétique) naisse et renaisse une véritable section française de l'Internationale communiste. C'est qu'en effet la première naissance - en 1920 n'est que l'un de ces « bons )} compromis dont parlait Lénine, bon 18

à la seule condition de ne pas se faire d'illusion et de savoir que l'édifice ainsi dressé doit être démoli de fond en comble pour que, sur son emplacement, soit enfin, et sous le contrôle de l'Internationale, re· construit - programme dénommé bolchevisation - le monument sérieux. De son côté, le Centre des Etudes Internationales du Massachusetts Institute, dont on sait qu'il édite depuis 1963 une collection de travaux consacrés au communisme international (parmi lesquels une série spéciale, sous la direction de William E. Griffith, sur le communisme en Europe), a publié cette année une pénétrante étude de François Fejto. Travail de journaliste cette fois, mais d'un journaliste dont l'autorité en la matière est immense parce que sont connus son méticuleux souci de l'information précise et étendue, son intransigeante prudence en fait d'interprétation. Fejto traite. de l'autre décennie (19541964), marquée par hi difficile désenlisement d'un parti qui, de· puis l'époque lointaine de sa bolchevisation, n'avait cessé de travailler à mieux ressembler à l'image de lui-même que lui suggérait le mouvement communiste international sous direction stalinienne. Livre indispensable à qui veut reprendre le dossier de l'ajustement incertain auquel se livre le P .C.F. entre les péripéties galopantes de l'évolution française - modernisation "des années 50, décolonisation, gaullisme - et les péripéties non moins frénétiques du mouvement communiste international - déstalinisation, désoviétisation, polycentrisme, scissions et schismes. Les conclusions ne doivent pas moins retenir l'attention : elles soulignent que dans tous les domaines - sur le plan de ses structures internes, en matièr~ idéologique et politique - les alternatives cruciales auxquelles le parti est affronté ne sont pas encore tranchées. Sauf en ce qui concerne, mais c'est

une question déjà largement dépassée, la forme que devrait revêtir un mouvement communiste international unifié. L'entreprise de Pierre Broué relève, comme toutes celles de ce genre, d 'une même critique ou, du moins, suscite un même regret : elle se condamne à l'imperfection du fait qu'elle n'est pas une édition critique, c'est-à-dire exhaustive et éclairée par des introductions, des notes et des compléments volontairement érudits. Elle n'est pas davantage une édition promise à un vaste public puisque, retenant 70 documents (au, total, plus de 600 pages), elle n 'est pas impitoyablement " sélective et directement compréhensible par le plus grand nombre. Condamné à une formule intermédiaire, dès lors que l'éditeur ne concevait pas deux éditions nettement distinctes, Pierre Broué a fait "au mieux : en dressant le répertoire complet des textes parmi lesquels il a puisé pour son anthologie ; en établissant une chronologie comparée des faits qui en sont le support et qui intéressent respectivement la France, le reste du monde capitaliste, l'Union soviétique et la personne de Trotsky; en fournissant des repères biographiques sur les personnages majeurs mis sur la sellette. Mais surtout, en groupant intelligemment sa matière en quatre' grands ensembles correspondant aux quatre « moments )}, aux quatre « situations » dans lesquelles Trotsky s'est trouvé par rapport au mouvement communiste en France. Membre du Bureau politique russe, Trotsky analyse d'abord comme tel le procès de formation d'un parti communiste en France (1919-1920). Responsable de la « question française » au sein de l'Exécutif du Komintern, il tente ensuite de faire entendre au jeune et incertain parti français « la voix de l'Internationale » (1921-1923). Plus tard, leader en exil de « l'opposition de gauche », il souhaite se faire compren-

dre de ceux qui, comme lui, se rebellent en France contre la stalinisation (1929-1932). Enfin, après la constitution de la Quatrième Internationale, il tient de cette dernière le mandat d'intervenir dans les affaires françaises (1933-1939).

Un certain goût de la vie française Première question : d'où vient cet intérêt soutenu que Trotsky, vingt années durant, témoigna au mouvement communiste de notre pays? Il faut se souvenir, pour mesurer la singularité de la chose, que les bolcheviks d'Octobre s'intéressaient médiocrement à ce qui se passait sur les bords de la Seine : il ne faisait aucun doute pour eux que le destin de la révolution mondiale se jouait ailleurs, et d'abord en Allemagne. Faut-il voir ici un nouvel indice de ce que Trotsky nourrissait des perspectives stratégiques différentes de celles de Lénine? Je ne le crois pas. Je croirais plutôt que Trotsky éprouvait comme un certain goût de la vic française, au contraire de Lénine qui n'a jamais caché le souvenir mitigé conservé de ses séjours à Paris. Malgré ses mésaventures il fut expulsé en 1916 puis, dans les années 30, traité pièf.rement, sans égard et sans élégance Trotsky, lui, garda-t-il de l'affection pour le pays où il avait rencontré sa femme? Il est de fait en tout cas qu'il avait noué, dans le mouvement ouvrier français et surtout à la C.G.T., des amitiés et s'y était assuré des fidélités définitives alors que Lénine, dans les deux années de son exil parisien, demeura sereinement étranger tant au parti socialiste de Jaurès et de Guesde qu'au mouvement syndical. De cet intérêt que Trotsky lui témoigna, qu'en est-il résulté pour le mouvement ouvrier français ? Il y aurait là matière à un beau travail de recherche. En l'attendant, deux


et la France éléments me frappent qui peuvent ~araître contradictoires. D'un côté, Trotsky fait preuve d'une intelligence exceptionnelle des caractères originaux du socialisme français. C'est ainsi qu'il ne cesse de revenir, pour les analyser dans leur complexité, soulignant leurs faiblesses mais affirmant aussi leur grandeur. sur les deux traditions spécifiques, radicalement antagonistes mais toutes deux homogènes et significatives : la tradition jaurésienne et la tradition syndicaliste-révolutionnai. re. De Jaurès, à qui il consacre plusieurs études, il fait un portrait fouillé dans lequel revient· comme un leit motiv lc mot de « génic ». De la C.G.T., il retient, et c'est en effet fondamental, qu'on y rencontre des ouvriers, des « vrais ». Mais d'un autre côté, quand il s'agit de fixer pour le neuf Parti communiste français une orientation concrète, de définir une position d'avenir, Trotsky, implacablement, délaisse ces analyses et plaidc pour les solutions qui n'en ont cure et qui s'inspirent de la seule tradition bolchevique : c'est que, pour lui, et jus. qu'au bout, même" s'il faut en devenir raide et éassant, « l'Internationale communiste n'est pas un

rassemblement de partis ouvriers je ne l'ai fait par le passé - et - la voie qui fut effectivement nationaux. Elle est le parti commu· conformément à ce qu'on laissait à prise - était non seulement pratiniste du prolét(lriat international ». l'époque entendre dans les milieux cable (l'autre ne l'était pas moins) que mais elle permettait (avec de grands Aussi, « les communistes russes ont- diplomatiques soviétiques (ils) le droit et le det1oir, en exami- Trotsky n'était pas très chaud par- risques car, il faut le souligner. nant la question de l'admission dans tisan du processus qui fut effecti- c'était la voie la moins « orthodoxe )) la l l l e l nternationale des sociaux- vement suivi : ' processus qui fit au regard de la doctrine) d'espérer démocrates indépendants d'Allema- du jeune parti le produit d'une al- un véritable enracinement d' un gne et des socialistes français, de liance instable entre un courant large phénomène communiste en poser les conditions qui, de leur (très minoritaire) aspirant à se pla- France. Dans cette occurrence, Lé. point de vue, puissent garantir notre cer sur les positions du bolchevis- ninc, sc trompant sur un nombre parti international contre la liqué- me et le courant (très majoritaire) considérablc de détails, mal inforissu du vieux parti socialiste et per- mé, bousculé, semoncé, tiraillé, n'en faction et la décomposition ». Trotsky ne finasse donc pas et, suadé qu'il pourrait s'en tenir à sa était pas moins capable, avec une par exemple, parlant de la scission propre interprétation de l'eXpérien- assez stupéfiante clairvoyance, de dire exactement ce qu'il fallait faire, de Tours, il déclare bien haut : ce russe. où et quand il fallait le la ire , avec « La responsabilité formelle de cette quels hommes et quels risques. scission retombe sur eux (les réforLénine mistes) parce qu'ils sont restés dans Il en est pour l'histoirc du moula minorité et qu'ils ont quitté le vemént communiste en France com· parti. Mais naturellement, nous preCette réticence de Trotsky me pa- me pour l'histoire de la Révolution nons su"r nous la responsabilité po- raît bien mettre en lumière le nœud d'Octobre : on ne peut l'écrire litique et pas seulement formelle de la différence entre lui et Lé- sans tenir compte de ce qu'a écrit de cette scission, parce que c'est la nine : l'inaptitude de l'un et la ma- et pensé Trotsky. Ce serait d'ailscission entre les réformistes et la gistrale capacité dc l'autre, non à leurs encore plus dommage que révolution prolétarienne, qui repré- analyser, mais à se servir de la stupide : comment ne pas s'intersentent des tendances absolument conjoncture comme d'un outil de roger sur cette personnalité encominconciliables. » révolution. brante, exigeante, inquiétante, grinDurant l'année 1920, en effet, çante, ombrageuse, tendre, couraLa lecture continue des articles que Trotsky a publiés, l'année 1920, deux voies étaient ouvertes qui con- geuse, séduisante, complaisante à sur la nécessité d'un parti commu- duisaient à la formation d'une sec- elle-même, systématique, généreuse niste en France me conduit à pen- tion communiste française : toutes et imaginaire qu'était Trotsky ! ser, bcaucoup plus nettement que deux imaginables en principe.' L'une Annie .Kriegel

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VERNON SULLIVAN

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Elles se rendent pas compte

Et on tuera tous les affreux (·avec le roman de Vernon Sullivan)

PHILIPPE DRUILLET

Les aventures de Lone Sioane GUY PEELLAERT ET PIERRE BARTIER

Les aventures -de Jodelle

La Quinzaine littéraire, du J"' au 15 octobre 1967.

(traduit par Boris Vian)

Et on tuera tous les affreux

SURREALISME BENJAMIN PERET

Mort aux vaches et au champ d'honneur La brebis galante CLAUDE COURTOT

Introduction à la lecture de Benjamin Peret MARCEL DUCHAMP

Marchand du sel JACQUES RIGAUT

Agence générale du sùicide ARRABAL

Fêtes et rites de la confusion

JACQUES STERNBERG

Toi, ma nuit Un jour ouvrable La géométrie dans l'impossible

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Qu'est-ce que la politique? Jean-Yves Calvez Introduction à la vie politique Aubier-Montaigne éd., 222 p . René Pucheu Guide pour l'univers politiqUe Ed. Ouvrières. 240 p.

L'Introduction à la vie politique est d'abord l'œuvre d'un philosophe dont on n'a pas oublié les travaux sur Marx et qui a suivi attentivement les recherches actuelles de science Eolitique. C'est dire que son appr~che témoigne de préoccupations théoriques qui le conduisent à analyser d'abord les concepts: « l'entrée en politique », qui est la reconnaissance du terrain, suivie de chapitres consacrés au pouvoit, à l'Etat, aux droits de l 'homme, puis, selon une progression logique, aux « étapes de la démocratie ». Celles-ci débouchent sur une réflexion consacree au thème « Politique et soctete » avant de se terminer par une analyse de la participation démocratique. « La grande tâche constitutionnelle d'aujourd'hui, conclut Jean-Yves Calvez, n'est peut-être pas de décider entre Parlement et Président, mGis de déterminer tous les niveaux et toutes les procédures permettant l'emploi de la capacité de participation de chacun, le provoquant à la participation. » Au gré de ces enchaînements on aborde rapidement, mais jamais sommairement, les principaux problèmes doctrinaux qui, de Rousseau à nos jours, ne cessent de hanter la réflexion politique. L'auteur a tenu la gageure de poser ces questions essentielles en un peu plus de deux cents pages - fort denses il est vrai, et qui requièrent parfois une certaine familiarité avec le vocabulaire philosophique, comme ce passage où il est fait allusion à « l'être-là » et au « devoir-être »... Cette réussite est peut-être, la récompense d'un parti pris de modèstie de Jean-Yves Cal vez qui a puise chez beaucoup d'auteurs contemporains, dont il a retenu les conclusions en économisant les travaux d'approche ; il a pu alors concentrer ses efforts en vue de « faire entendre les concepts clés de la politique », de « les relier entre eux et, par là, aider à réfléchir sur les aspects fondamentaux de l'existence politique ». Le Guide de René Pucheu est lui aussi une provocation à la participation mais plus directe et aussi plus pressante. Soucieux de répondre à ceux qui considèrent avec suspicion l'objet de son livre, il entend ébranler leur réserve. La politique est une activité impure, complexe et décevante, mais elle nous concerne et nous ne pouvons faire qu'il en soit autrement. Bien plus, en dépit de ce qu'elle comporte de répulsif, elle mérite que l'on s'attache à elle. Telle est la conviction qui fonde le « plaidoyer 20

pour une réflexion » par lequel le livre débute. On se méprendrait toutefois si l'on imaginait des effusions : l'auteur ne recherche pas la facilité et il avertit d'entrée de jeu le lecteur par une citation d'Alain : « les problèmes politiques sont presque impénétrables... » Sensible à la modernité, qui est attention aux « faits porteurs d'avenir », Pucheu apparaît fort soucieux de n'écarter rien de ce que la politique met en jeu, mais il constate que celle-ci est « toujours recommencée ». Après en avoir exploré la nature, les raisons et les modalités, il analyse ce qu'il nomme « l'aujourd'hui de la politique » en procédant à une sorte d'inventaire, parfois vertigineux, des questions de notre temps : comment le présent a-t-il commencé ? La rareté aura-t-elle une fin ? Les

Daumier

analyses. Seuls des sots parleront de compilation : tout n'a pas été dit, certes, mais. beaucoup, et il importe autant de mettre un peu d'ordre dans les idées que d'en proposer de nouvelles ce qui n'est naturellement pas défendu. La modestie de la démarche de Jean-Yves Calvez se retrouve chez pucheu, car tous deux se veulent des intermédiaires utiles et situent leur originalité dans l'agencement des textes et l'éclairage qu'apportent certains rapprochements. Ce parti pris, plus rigoureux chez Calvez, plus effervescent chez Pucheu, est une incitation constante à la réflexion et, en ce sens, tous deux ont atteint l'objectif qu'ils s'étaient fixé. Second point commun : le choix des auteurs. La différence des approches suscite naturellement une grande variété de références, mais

le Ventre législatif, détail. (

classes peuvent-elles disparaître ? Guerre ou paix entre les nations ? Cette série de points d'interrogation, qui veulent stimuler mais non suggérer des réponses, s'achève par un second plaidoyer : « pour continuer ... » Ces deux livres relèvent par conséquent de démarches très différentes, l'un philosophico-juridique, l'autre 'plus situé sinon engagé. Mais s'ils sont assez largement complémentaires de ce point de vue, leurs parentés n'en sont pas moins intéressantes par ce qu'elles révèlent. L'un et l'autre partent de la conviction qu'une recherche sur un tel sujet ne peut qu'être collective car elle met en jeu un savoir multiple et complexe. Il ne faut donc pas craindre de faire appel, largement, ,aux travaux récents, ru même de s'effacer à l'occasion derrière des auteurs en citant leurs

on retiendra une prédilection commune pour quelques esprits dont on mesure à cette occasion l'influence. C'est notamment le cas de Bertrand de Jouvenel qui a marqué avec autant de profondeur que de discrétion la réflexion politique actuelle ,: il semble que l'on ne puisse plus désormais aborder certains prohlèmes comme on le faisait avant la parution de la Politique pure. Une observation analogue pourrait être faite au sujet de Georges Burdeau. C'est dire que, parallèlement aux débats qui mettent en cause des enjeux pratiques (les institutions, les forces politiques, etc .) et qui retiennent l'attention visible de l'opinion, le recours à une recherche plus sereine apparaît indispensable si l'on veut reprendre pied. Un péu négligée, la philosophie politique nous rappelle la précarité de nos certitudes.

De ce point de vue, enfin, l'Introduction à la vie politique et le Guide pour l'univers politique sont révélateurs d'une perplexité qui contraste avec l'assurance des grandes synthèses de naguère. L'expérience a cruellement démenti l'optimisme de celles-ci et jeté la confusion au sein des avantgardes historiques. Dans le même temps, une sociologie politique plus pragmatique habituait à la description prosaïque de la réalité et restaurait les valeurs du « raIsonnable ». L'espoir d'une réconciliation finale des éléments antagonistes (l'individu et la société, la liberté et le pouvoir) a cédé la place à la recherche de l'aménagement le moins inconfortable possible de leurs tensions. Tout cela, nos deux auteurs le savent et le disent, mais ils ne s'en tiennent pas à ce constat un peu désabusé. Leurs démarches dessinent, chacune de son côté, la recherche d'un même équilibre, mobile et menacé, entre la lucidité qui interdit de proférer désormais certaines affirmations, et le refus de la résignation. Pour Pucheu, par exemple, « le temps des militants est fini, si l'on entend par militant ce rebelle ... qui combattait afin d'en finir une fois pour toutes avec l'oppression, la pauvreté, la haine... » On prend donc acte de la liquidation des thèmes révolutionnaires qui ne pourront survivre qu'à l'état de mythes. Mais il ajoute aussitôt : « Le temps des aventuriers commence, si l'on veut entendre par aventurier cet homme rebelle et soumis au destin à la fois... » Et on refuse de limiter la politique à l'accomplissement des fonctions utilitaires que la science politique moderne est tentée de lui assigner. De son côté, J ean-Yves Calvez constate que les entreprises qui ont voulu réconcilier absolument la liberté et le pouvoir en supprimant « toute extériorité du pouvoir politique » ont abouti à des résultats contraires. Mais il estime insuffisante la participation que les « systèmes , représentatifs pluralistes tempérés » proposent au citoyen par l'intermédiaire des partis et des élections périodiques. Les deux auteurs se rejoignent en fin de compte, après avoir reconnu l'existence d'une tension qu'il n'est au pouvoir d'aucun système de surmonter par la vertu de son seul agencement, pour affirmer que la conciliation ne peut être que vécue. Ils invitent le lecteur, non à jeter leur livre mais à ne le considérer, celui-là et les autres, que comme un livre. « Le problème politique, conclut JeanYves Calvez, n'est pas problème de constitution seulement, ni simplement de programmes, de réformes ou de révolution " il est problème de vie. Bref, introduire à la politique ce doit être finalement intro .. duire à la vie politique. » Pierre Avril


PHILOSOPHIE

Un Nietzsche définitif Frédéric Nietzsche Le gai savoir Fragments posthumes, 1881-1882 Textes et variantes établis par G. Colli et M. Montinari. Traduits de l'allemand par Pierre Klossowski. Gallimard éd. 612 p.

Cette édition monumentale el sans doute définitive des œuvres complètes de Nietzsche, inaugurée par le Gai savoir, pourrait porter en épigraphe l'aphorisme 102 : « Un 'mot pour les philologues : affermir sans cesse la croyance qu'il y a des livres si précieux et si royaux que des générations entières de savants se trouvent avoir bien rempli leur destination dès que, grâce à leurs efforts, ces livres sont conservés dans leur intégrité et leur intelligibilité - voilà la raison d'être de la philologie ... J'allais dire que la philologie suppose une noble croyance - à savoir qu'au bénéfice de quelques rares hommes qui toujours « vont venir » et ne sont jamais là, une très grande quantité de pénible, même de malpropre travail reste à fournir au préalable : tout cela, constitue de la besogne in usum Delphinorum. » Les éditions de Nietzsche jus-qu'en 1945 ne faisaient guère que reproduire l.'édition des Œuvres complètes publiée sous la direction d'Elisabeth Forster-Nietzsche, sœur du philosophe et épouse de l'anti:sémitc Bernhard Forster, conservatrice des écrits posthumes de son frère et grande prêtresse d'un Ilictzschéisme raciste et guerrier qui a nourri l'idéologie national-socialiste, aux yeux de laquelle Nietzs,che apparaît comme l'un de ses prophètes.

L"édition Schlechta La première tentative pour renouveler la connaissance de Nietzs(che a été l'édition de Karl Schle(chta (Munich, Karl Hanser, 1954:56) qui distingue trois groupes ·dans l'œuvre : les livres composés ,(Naissance de la tragédie, Considérations inactuelles, Ainsi parlait Zarathoustra), les recueils d'aphorismes du type du Gai savoir, publiés par Nietzsche lui-même en puisant dans ses cahiers de notes :selon un plan très peu apparent, ·et enfin les recueils posthumes, comme la Volonté de puissance, ,dont Schlechta conteste l'ordonnance systématique des aphorismes, à laquelle il substitue un ordre ,chronologique conjectural. Le principe de l'édition de Schlechta a été fortement critiqué par les spécialistes qui lui ont reproché avant tout de se contenter, pour les œuvres 'posthumes, de détruire la pré. sentation ' traditionnelle des fragments sans ajouter de matériaux vraiment nouveaux.

Le « Nietzsche-Archiv » de Weimar, qui renfermait tous les manuscrits et auquel on n'avait plus guère accès, a été transféré aux environs de 1950 au « Gœthe und Schiller Archiv », et rouvert aux chercheurs. C'est alors que deux érudits italiens, MM. Colli et Montinari, ont entrepris l'immense travail de déchiffrer tous les cahiers et carnets posthumes. L'édition allemande publiée chez De Gruyter, il Berlin, clont il paraît simultanément une traduction française et italienne, reproduit à la suite de chaque œuvre les cahiers et carnets contemporains de sa composition. Les aphorismes ont été classés selon un ordre chronologique moins conjectural que celui de M. Schlechta puisqu'il s'agissait seulement, en grande partie, d'établir la date de rédaction des différents carnets ou cahiers, la publication respectant l'ordre des fragments dans chacun d'eux.

et 11 (272) p. 399, de l'égoïsme défini comme « les effets des affects formateurs du troupeau ». Dans l'aphorisme 11 (219) nous identifions avec émotion li: la feuille 'portant le sous-titre: 6.000 pieds au-delà de l'homme et du temps» dont . parle Nietzsche dans Ecce Homo et où il avait jeté sa sou· daine découverte de la loi de l'Eternel retour ou du Retour de l'Identique. En réalité, à la suite de quatre autres idées, nous lisons au numéro 5 : « Le nouveau poids, l'éternel retour de l'Identique ... Nous enseignons la doctrine c'est le moyen le plus puissant de

Fragments inédits Si l'on considère la présente édition du Gai savoir, dont le texte traditionnel occupe 290 pages alors que les fragments inédits en occupent 310, on constate que le texte de Nietzsche a largement doublé de volume. Ces fragments qui vont de la note de lecture à des esquisses de plan, à la notation d'un état d'âme ou d'un plan de vie, à de brefs aphorismes, à des réflexions étendues et élaborées, auraient pu constituer à eux seuls la matière d'un recueil. On ne saurait dire, à nous en tenir à ceux qui nous sont présentés ici, qu'ils renouvellent notre connaissance de Nietzsche mais ils la complètent et l'enrichissent. Nous y rencontrons souvent différents « états » d'un aphorisme qui figure soit dans le Gai savoir soit dans les œuvres postérieures, en particulier dans Zarathoustra, auquel Nietzsche pensait déjà en ces années 1881-1882. Ainsi dans les fragmcnts inédits l 'aphorisme 11 (8) p. 299 : « L'égoïsme en tant que « mégalomanie » générale - à faire dériver dans le même sens - physiologiquement », apparaît comme une expression plus abstraite et schématique de l'aphorisme 162 du Gai savoir : « Egoïsme. - L'égoïsme est la loi de la perspective de l'âme qui fait ' paraître grand et lourd ce qui est proche : tandi.~ que toutes choses perdent de leur grandeur et de leur poids sdon l'éloignement. » Avec l'aphorisme inédit 11 (83) p. 329, nous avons affaire à un fragment plus éten'du 'où il n'est plus question de la perspective déformante mais du rôle social de l'égoïsme, « principe d'antagonisme salutaire dans la vie conjugale, dans l'amitié comme dans la vie des Etats, dans les corporations, dans les sociétés savantes, dans la religion, afin que croisse quelque chose d'authentique, de juste »,

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 octobre 1967.

Ces quelques exemples montrent l'importance de ces fragments pour suivre, à propos d'une idée, la genèse, la découverte successive de ses différents aspects, les contradictions et les repentirs de la pensée de Nietzsche. Toutefois, pour qu'il soit possible de suivre dans l'œuvre de Nietzsche ~hacun des thèmes avec ses variations, on souhaiterait que l'édition soit suivie d'un répertoire de ceux-ci avec la référence aux œuvres et aux aphorismes dans lesquels ils se rencontrent. La traduction de M. Klossowski, qui fait suite à celle d'Henri Albert (pendant une quarantaine d'années; la seule traduction française) et à celle de M. Vialatte (Gallimard 1950), bien que parfois moins précise dans le détail que cette dernière, est peut-être mieux accordée au souffle de la phrase nietzschéenne. On peut toutefois regretter que, pas plus que les précédentes, elle n'ait pu rendre en français les sous-entendus, les malices et les harmonies verbales du maître de la prose allemande (par exemple : aphorisme 60, inmitten des Brandes der Brandung, aphorisme 87, jene heimlichen unheimlichen Mitterniichte der Seele ... zu guter = und boserletzt). Mais on se heurte là à ces transpositions qui sont pour le traducteur autant de problèmes de quadrature du cercle. Si M. Klossowski a très soigneusement distingué, selon la terminologie des traducteurs de Freud entre pulsion, impulsion (Trieb) et instinct (Instinkt = instinct animal) pourquoi ne l'a-t-il pas fait (aphorisme 116) pour Humanitiit (humanitarisme, notion abstraite et M enschlichkeit = humanité, acte ou sentiment altruiste individuel) qui sont comme Trieb et Instinkt autre chose que de simples doublets 't

Enfin complet

f\ ietzsche

nous l'incorporer à nous-mêmes. Notre t:enre de félicité comme destin de la plus grande doctrine... » Et, afin de souligner pour lui-même l'importance mémorable dc cette inspiration: « Début août 1881, à Sils Maria, à six mille pieds audessus de la mer et bien plus haut encore par-delà tOutes choses humaines. » Ce thème du Retour éternel qui apparaît ici pour la première fois, seulement d'une manière allusive et énigmatique, se retrouve ensuite, analysé sous ses différents aspects, dans les fragments 11 (233) p. 385, 11 (235) p. 386 .

Ces critiques de détail mises à rart, la traduction de M. Klossowski représente en tout cas un progrès certain dans la traduction des poèmes rassemblés par Nietzsche sous le titre : Chansons du Prince Hors-la-Loi. On ne peut qu'admirer les belles transcriptions françaises des grands poèmes comme « La barque mystérieuse », « Ma chance», « Au Mistral» qui comptent parmi les sommets du lyrisme nietzschéen. ' Au total, le présent volume laiSse prévoir un Nietzsche enfin complet dans une édition monumentale, digne « des livres précieux et royaux » de ce philosophe, et dégageant, aux yeux du lecteur, selon les termes de MM. Deleuze et Foucault dans leur Introduction gé. nérale, « toutes ces possibilités de combinaison, de permutation, qui conditionnent mamtenant pou r toujours, en matière nietzschéenne, l'état inachevé du « livre à venir ». Albert Kohn 21


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Jacques d'Hondt Hegel, philosophe de l'Histoire vivante Coll. « Epiméthée » P.U.F. éd. 486 p.

Hegel Coll. « Philosophes » P.U.F, éd. 116 p. Il y aurait à faire une histoire des études hégéliennes en France. Elle serait édifiante. L'aventure - si l'on excepte l'épisode héroÏcomique de la correspondance Hegel-Victor Cousin, dans laquelle celui qui devint le flic de la « bonne pensée}) demandait à son aîné allemand de bien vouloir lui communiquer les recettes grâce auxquelles le public français aurait les meilleures chances d'assimiler les grandes leçons - commence avec Auguste Véra. Cet étrange Napolitain, comprenant qu'il ne pouvait être prophète en son pays, se fit, dès le milieu du XIXC siècle, le héraut de l'hégélianisme à Paris. Inlassablement, il entreprit des traductions: comme on les faisait à l'époque, simplifiant, coupant çà et là, adaptant; il écrivit une Introduction à la philosophie de Hegel. Il trouva un éditeur. Puis ce fut le blanc. Un blanc qui a duré deux tiers de siècle. Renouvier pillait Hegel; Hamelin s'amusait, scolastiquement, à juger qu'il valait mieux commencer par la catégorie de la Relation plutôt que par celle d'Etre. Ni l'un ni l'autre, qui cuisaient dans le bouillon d'une Université déjà morte, ne savaient très bien ce qu'ils disaient. Le retard français venait rejoindre et dépasser le célèbre « retard allemand ». Bergson, qui connaît Schelling, ignore Hegel. L'enseignement universitaire, à la même époque, s'arrête à Kant. Lorsqu'on en parle, l'œuvre hégélienne est présentée comme l'expression rusée et maléfique de la manie allemande pour les jeux de langage... Bref, le spiritualisme français, de l'époque des « Jules » (Lequier, Lagneau, Lachelier, c'est ainsi que, pertinemment, les nomme J.-F. Revel) jusqu'à 1930, élide l'hégélianisme. Celui-ci est comme s'il n'avait pas existé (alors qu'on le vole, le plus souvent sans le savoir). Durant cette période, le seul livre qui y est consacré est la traduction, en 1910, de l'ouvrage, critique et bien médiocre, de Benedetto Croce, Ce qu'il y a de vivant et de mort chez Hegel, (dont le titre seul indique à quel point le philosophe italien a méconnu l'essentiel de la doctrine qu'il voulait mettre en question, à savoir qu'elle est un système). Les années 1929-1931 sont marquées par un recommencèment effectif. La Revue de Métaphysique et de Morale et la Revue philosophique consacrent un numéro spécial à Hegel à l'occasion du centième anniversaire de sa mort. Deux

années auparavant, avait paru l'ouvrage de Jean Wahl, Le malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel, Dans les temps qui suivent, un certain nombre de marxistes, dont · Norbert Guterman et Henri Lefebvre, retrouvent, par leur réflexion sur les œuvres de jeunesse de Marx, l'intérêt de l'hégélianisme. Les Recherches philosophiques publient un important article de Karl Lowith ; entre 1933 et 1939, à l'Ecole pratique des Hautes Etudes, Alexandre Kojève professe des leçons sur la Phénoménologie de l'Esprit, qui se!ont publiées en 1947, par les soins de Raymond Queneau, sous le titre Introduction à la lecture de Hegel (une nouvelle édition, avec une note nouvelle et très importante de A. Kojève paraîtra en 1962); et l'année où se déclenche la deuxième guerre mondiale, paraît la traduction de Jean Hyppolite du premier tome de la Phénoménologie de l'Esprit.

Le théoricien du concret C'est incontestablement à Wahl, à Kojève et à Hyppolite que l'on doit l'introduction de l'hégélianisme dans l'Université française. Mais alors (en 1945) la pensée est tournée vers l'existence: le Hegel sur lequel on travaille, sur lequel travaille aussi le marxisme « ouvert», c'est celui de la Phénoménologie de l'Esprit" et des œuvres antérieures; ce sur quoi on met l'accent, c'est sur l'historicité, la vie, le désir, le travail: Hegel est considéré comme étant le théoricien du concret, ce terme signifiant tout à la fois la totalité, le devenir dramatique des hommes et la complexité existentielle; il est déjà presque Marx, un Marx à «fui aurait manqué la réflexion approfondie sur la réalité économique. Or, au cours de cette même période, le marxisme dit orthodoxe refuse précisément cette perspective : le stalinisme continue dé tenir Hegel pour un « métaphysicien », pour un défenseur de la réaction royale-prussienne, pour un mystificateur, dont le seul mérite est d'avoir formulé les lois de la dialectique, que Marx et Engels ont su dégager de leur gangue idéaliste, en la remettant « sur ses pieds ». Le débat est confus, constamment en porte-à-faux. Le Hegel des « hégéliens » est quasiment marxiste; mais le Marx de ce mar~ xisme-là est limité à ses œuvres de jeunesse, Quant au Hegel des « antihégéliens », il se réduit à l'exposé scolaire et caricatural de la fameuse trilogie thèse-antithèsesynthèse; de Marx, ne parlons pas: les « orthodoxes » ne lisent plus de lui que les citations qui figurent dans les œuvres de Staline. Dans cette affaire, qui a été jusqu'à-troubler les meilleurs esprits et qui a


Cent ans d'études hégéliennes

Hegel

marqué les étudiants de « la guerre froide », un événement survient: La publication, en 1950, de la thèse complémeI;ltaire d'Eric Weil, Hegel el l'Etat. L'analyse est d'une rigueur et d'une clarté admirables; il en ressort que Hegel ne fut, n'a jamais été ni un réactionnaire (ni II: subjectivement », ni « objectivement », comme on aimait à dire alors) ni un partisan de l'autocratisme prussien; il en ressort aussi que Marx et Engçls ne l'ont jamais considéré comme tel. E. Weil se plaît à rappeler la correspondance échangée entre ceux-ci, les 8 et 10 mai 1870. Engels y insulte l' « âne» W. Liebknecht, qui a osé, dans une note à un de ses articles, accoler au nom de Hegel le qualificatif cc prussien », et Marx renchérit sur la « bêtise de cet individu )J.

Une double hypothèque levée Depuis lors, -en France, les études' hégéliennes sc sont beaucoup enrichies et il semble que la double hypothèque qui pesait sur elles, l' « existentielle », qui considère la Phénoménologie de l'Esprit comme constituant le to"t de l'invention

hégélienne (lecture que bien des interprètes chrétiens continuent de soutenir), la « marxiste », qui s'en tient, dans toute sa critique, à une phrase de Marx mal comprise, commence à être levée. Il faut, bien sûr, comme toujours, que l'opération comporte ses bouffons: témoins les affligeantes approximations de Roger Garaudy dans Dieu est mort (où s'annonce la grande thaumaturgie réconciliant, dans les fumées de la dialectique, Hegel, le Engels de la Dialectique de la Nature et Teilhard de Chardin). Mais on est bien réconforté lorsqu'on lit un ouvrage aussi remarquablement informé et sérieux que celui qu'a publié, il y a trois ans, Eugène Fleischmann. la Philosophie politique de Hegel. C'est là un approfondissement, une mise en place de la conception juste définie par E. Weil. Et c'est. sans nul doute, le moyen, pour qui s 'intéresse à la théorie philosophique. de saisir les nuances de cette pensée hégélienne. qui a été l'objet de tant de malversations. Les deux récentes publications de Jacques d'Hondt vont dans le même sens. La plus brhe. le Hegel de la collection ( Philosophes ». est précieuse, non seulement par la

La Quinzaine littéraire. du I n au 15 octobre 1967.

qualité des textes hégéliens qu'elle sélectionne et propose, mais aussi et surtout parce qu'elle permet, une fois pour toutes, d'éliminer, par des références prétises, l'image habituelle que l'on se fait du philosophe de Berlin, doctrinaire hiératique et bien en cour, respectueux du pouvoir et défenseur de l'ordre. 1

Un philosophe vivant La jeunesse de Hegel est pénible: il refuse la charge de pasteur qu'on lui proposait pour s'exposer iux désagréments et aux aléas du préceptorat: à Iéna, il ne trouve pas les satisfactions professionnelles que ses travaux lui auraient permis d'espérer; ses amis lui obtiennent un poste stable: la direction de la Gazette de Bamberg: deux ans plus tard, il doit la quitter, parce que, informateur loyal, il a déplu aux autorités. Il accepte, alors, de diriger le gymllasium de Nuremberg: tandis qu'il rédige la Propédeutique philo.~ophique, il doit faire vivre un lycée en plein désarroi économique ct administratif. Il y a, certes, l'oasis de Heidelberg. Il y a, en 1818, la consécration de Berlin. Mais Hegel ne l'a pas obtenue parce

qu'il s'était résolu à devenir, enfin, conformiste: dans les Annales littéraires de Heidelberg, il venait de publier un article d'un libéralisme agressif. A Berlin, Hegel est bien reçu: il profite de « l'esprit nouveau » qui règ:te dans la capitale de la Prusse, pour quelques années. Il doit bientôt faire face aux cabales de la cour; il s'impose par sa rigueur; il se défend, « d'une manière parfois inélégante et maladroite », reconnaît J. d'Hondt. Le fait est, toutefois, qu'il n'est pas élu à l'Académie de Berlin; et que « la parution de son dernier article, sur le Bill de réforme anglais, dans le Journal de l'Etat prussien, fut interrompue par la ('ensure ». Ce n'est que rétrospectivement que Hegel est devenu l'image du philosophe officiel. Il a été, d'abord, un philosophe vivant. C'est la conception que nous propose l'autre ouvrage, beaucoup plus riche et étendu, de J. d'Hondt. L'ouvrage, bien qu'il présente une documentation remarquable et originale, est bien plus un plaidoyer passionné qu'une dissertation érudite. Jacques d'Hondt, qui part des œuvres dl" jeunesse, O1ais {fui s'appuie es!'('n· tiellement sur les Leçons sur /" ~


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Cent ans d'études hégéliennes

philosophie de l'Histoire, se fait le défenseur de Hegel. TI le défend contre de multiples accusations: celle d'être « réactionnaire », bien sûr; mais aussi celle d'être un -dogmatique, qui aurait soumis le matériau auquel il avait affaire, .le devenir de l'humanité, à un schéma préétabli et immuable; celle d'être un «antiquaire », uniquement tourné vers le passé. J. d'Hondt ét~lit, au contraire, que Hegel n'a cessé de lutter toujours plus victorieusement contre les pétrifications ~ que, à la fin de sa vie même, « ü lui est arrivé de mettre le système en péril pour satisfaire aux revendications de la recherche loyale ». Chercheur inlassable, il enrichit constamment son informa· tion ; et, du même coup, le lyrisme qÜi présidait quelquefois aux con· ceptions développées dans la Phénoménologie de l'Esprit cède la place à une vision plus large, plus réfléchie qui comprend plus facilement la référence aux événements concrets. Etonnamment attentif à son époque, Hegel va jusqu'à intégrer les faits de l'année précédente dans le cours professé en 1830; « collant son oreille à la plaine rase, il entend une clameur souterraine qui -'annonce les prochaines éruptions )J. Sa propre œuvre, il la soumet aux remaniements qu'impose nécessairement de Devenir maître de l'Etre. L'analyse a une force incontestable; elle emporte souvent la conviction tant elle est vigoureuse. Et nous attendons avec impatience l'ouvrage en préparation de Jacques d'Hon~t, Hegel secret. Car il est bien vrai que la pensée historienne actuelle - celle des historiens spécialistes, en particulier n'a pas « tiré de l'héritage hégélien tout le parti souhaitable ». Il est certain aussi qu'une œuvre comme celle-ci devrait être l'objet « d'une remémoration active, d'une intério'risation authentique ». Deux questions demeurent cependant_ La première concerne la place qu'occupe la Philosophie de l'Histoire dans le système. Elle en est, certes, le couronnement. Mais, précisément pour cette raison, elle ne saurait en être le noyau. Le noyau, et par ce terme nous entendons cela qui, de par son intelligibilité propre, administre la preuve; n'est-ce point plutôt la Science de la Logique ? S'il en est ainsi, ce qui assure la validité des Leçons sur la Philosophie de l'Histoire, c'est moins l'abondance des faits historiques consignés que la certitude, établie par la Science de la Logique, que « le réel est rationnel » (étant bien entendu que Hegel distingue soigneusement les catégories de présence (dasein), d'existence et de réalité). La seconde question porte, elle, sur l'assurance qu'a Jacques d'Hondt - assurance qu'il partage avec Hegel, d'ailleurs, cn un .certain sens - qu'existent des faits historiques et que la tâche de la pensée historienne est de bien repérer leur place et leur significa24

Bibliographie trad. J. Gibelin, Paris, Vrin, (1954-1959), 4 vol. Leçons sur la philosophie de l'Histoire (1822-1831), trad. J. Gibelin; Paris, Vrin, 1945; autre trad. de l'Introduction (sous le titre la Raisondaru l'Histoire, d'après l'édition HoIfmeister de 1955, par K. Papaioannou, Paris, « Le monde en 10· 18 », Paris, 1965. Article sur lu œuvru de Hamman (1822), trad. par P. Klossowski dans son édit. des Méditatioru bibliques de Hamman, Paris, Ed. de Minuit, 1948. Ces traductions sont disparates et leur valeur est inégale. La traduction de la Science de la Logique, par exemple, est, à peu près inutilisable ; celle des Principes de la philosophie du Droit est obscure et incomplète (on pourra la corriger utilement grâce aux autres traductions données par E. Weil ( Hegel et l'Etat) et par E. Fleischmann (La philosophie politique de Hegel). Par contre, la traduction - par M. de Gandillac - de La Propédeutique philosophique est exemplaire, remarquable par sa rigueur et sa clarté.

Vie de lésus (1795), trad. de D.-D. Rosca, Paris, Gamber, 1928. L'Esprit du christianisme (1798-1799), trad. de J. Martin, introd. de J. llyppolite, Paris, Vrin, 1948. ' Différence du systèmes de Fichte et de Schelling (1801), trad. de M. Méry, in Premièru publications Paris, Vrin, 1952. Foi et Savoir (1802-1803), idem. La Phénoménologie de l'Esprit (18061807), trad. et notes de J. Hyppolite, Paris, Aubier, 1939-1941, 2 vol. Propédeutique philosophique (1809-1816), trad. et introd. de M. de Gandillac, Ed. de Minuit, Paris, 1963. Science de la Logique (1812-1816), trad. de S. Jankélévitch, Paris, Aubier, 1949, 2 vol. Précis de l'Encyclopédie des Sciences philosophiques (1817), trad. Gibelin, Paris, Vrin, 1952. Principes de la philosophie du Droit (1821), trad. A. Kaan , préf. de J . Hyppolite, Paris, N.R.F., 1940; réédition N.R.F .. coll. « Idées », 1965. Introduction aux leçons sur l'Histoire de la philosophie (1819-1828), trad. de J. Gibelin, Paris, N.R.F., 1954. Leçons sur l'Esthétique (1820-1829), trad. S. Jankélévitch, Paris, Aubier, 4 vol.. 1944 (rééditées en in-16 par le même éd. ). Leçons sur la philosophie de la Religion.

A. Véra : Introduction à la philosophie de Hegel. Paris, 1855. B. Croce : Ce qui est vivant et ce qui

ut TlWn dmu la philo$ophie de He&el. trad. Burlot, Paris, 1910. J . Wahl : Le malheur de la comcience dans la philO$Ophie de He&el, Paris, P .U.F., 1929. A. Koyré : «Note sur la langue et la terminologie hégéliennes », Revue philosophique, nov.-déc. 1931. L. Herr : Article « Hegel » pour la Grarule Encyclopédie, in Choix d'écrits t. II, Paris, Rieder, 1932. K. LOwith : "L'achèvement de la philosophie classique par Hegel et sa dissolution chez Marx et Kierkegaard Il, Recherchu philosophiquu, 1934-1935. J. Hyppolite : Genèse et structure de 10 Phénoménologie de l'Esprit de ' Hegel. Paris, Aubier, 1946 (rééd. 1956). A. Kojève : Introduction à 10 lecture de Hegel, Paris, N.R.F., 1947 (2' éd. augmentée," 1962). J. Hyppolite : Introduction à la philosophie de l'Histoire de Hegel. Paris, Rivière, 1948. E. Weil : Hegel et l'Etat, Paris, Vrin. 1950. J. Hyppolite : Logique et Existence, essai sur la logique de Hegel, Paris, P.U.F. 1953. P. Chamley : Economie politique et philosophie chez Steuart et Hegel. Paris Dalloz, 1963. E. Fleischmann : La philosophie politique de Hegel, Paris, Plon, 1964. J. d'Hondt : Hegel, philosophe de l'histoire vivante, Paris, P.U.F. 1966.

tion par un travail d'intelligibilisation en profondeur. Au fond, la croyance à l'existence brute, pour ainsi dire - de faits historiques est le postulat commun à toutes les philosophies de l'histoire (et, bien souvent, à l'histoire scientifique elle-même). Or, l'histoire scientifique, dans sa problématique actuelle, n'en vient-elle pas à soulever l'interrogation décisive? Ne commence-

t-elle pas à approfondir théoriquement la pratique conquérante que, depuis cent cinquante ans, mais surtout depuis les travaux de Lucien Febvre, de Marc Bloch, de Fernand Braudel, de l'école des « Annales », elle a utilisée? Ne se libère-t-elle pas peu à peu des postulats qui ont oblitéré son développement, postulats qui lui vien. nent de cette discipline qui a nom « philosophie de l'histoire »? Ne

saisit-elle pas, de plus en ' plus clairement, que le plus dommageable de ces postulats, c'est précisément celùi qui pose l'existence de faits historiques ? Et, en fin de compte, la vérité de la Science de la Logique, plus péremptoire que celle que proposent les Leçons sur la Philosophie de l'Histoire, n'est-elle pas qu'il y ft, d'abord, à construire le fait historique ? François Châtelet

Tradumon fran\t&Î •• du œU9retl d. Hegel

Étude. importantes parues en langue française .ur l'hégélianisme

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ENTRETIEN

Edith ThoDlas parle~ • • de Rossel •.

Jean-Claude Clébert

Après les Péi:roleusesI, vous publiez maintenant un essai sur Rossel. Pourquoi un autre livre sur la Commune? ED . T. Je pourrais vous répondre que mes sympathies vont à la Commune, et ce serait vrai. Mais il ne s'agit pas d'un livre sur la Commune. Il s'agit de Rossel. Rossel a été fusillé par l'armée à laquelle il appartenait, à l'âge de vingt-sept ans. Ce qui m'a attirée vers ce garçon, c'est le style de ses démissions successives et en apparence contradictoires qui expriment une même intransigeance, une même intraitable rigueur. Car enfin, aux Versaillais il déclare : « Mon général, je me range sans hésitation du côté de celui qui n'a pas signé la paix et qui ne I!ompte pas dans ses rangs de généraux coupables de capitulation ... » Puis, délégué par la Commune à la Guerre, et exaspéré par l'anarchie, la faiblesse, le verbalisme de ceux-là mêmes dont il se sentait le plus proche par le cœur, il démissionne avec insolence en ces termes: « Je me retire et j'ai l'honneur de vous demander une cellule à Mazas. »

ERDE.. ARIS

~ ÊVER

:DES ...

~CRATEAUX

:DE ~ LA LOIRE • par Armand Lanoux

• ••••••••••••••• • Edith Thomas

La Quin-mine littérair" . du 1" au 15 oclobre 1967.

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DREAMS OF PARIS TRAUMEN VON PARIS DREAMS OF THE CHATEAUX OF THE LOIRE TRAÜMEN VON SCHLOSSER DER LOIRE

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ED. T. Si bien qu'il sera joué. Ce sera, au théâtre Récamier, la Butte de Satory, par Pierre Halet.

Ainsi, vers 1934, j'ai écrit mon premier roman et j'ai reçu un prix ED . T. Je l'ai surtout bien vu en littéraire décerné par un jury de préparant mon livre sur les Pétro- droite. J'ai aussitôt adhéré à l'Asleuses. Et j'ai pu avoir en mains tout sociation des Artistes et - Ecrivains ce qui reste des papiers appartenant Révolutionnaires. J'ai ensuite déà sa famille. J'ai pu ainsi reconsti- missi~nné parce que j'étais en désactuer l'éducation de ce jeune poly- cord avec certaines violences (qui technicien d'origine protestante qui d'ailleurs me choqueraient moins est entré dans l'action porté par la aujourd'hui). J'ai quitté la Bibliofureur de la défaite, sans aucune thèque Nationale (encore une démisformation socialiste : confronté avec sion) pour devenir reporter à Ce le désordre et la confusion révolu- Soir où la guerre d'Espagne était au tionnaires, empêché d'agir, sub- premier rang de nos préoccupations. mergé de difficultés, il s'est retiré. Et puis, après avoir été très malaOr, cette démission, -- ce type de de, je suis entrée (par la petite démission correspond précisément à porte) aux Archives Nationales, en une expérience qui est celle de ma 1941. En 1942, j'entrais au Parti propre vie. Je me sens plus proche Communiste. Les réunions clandesd'un Rossel que, par exemple, de tines du C.N.E. se sont tenues dans l'inébranlable Louise Michel, qui la pièce où nous sommes; à l'Union avait une foi à soulever des mon- des Femmes Françaises, je faisais tagnes, et qui l'a gardée jusqu'à la partie du Comité directeur . Et j'ai été membre du parti jusqu'en 1949. fin. Ma démission a été pour moi une chose tragique et en même temps Pourquoi? absolument nécessaire. J'étais en ED. T. Ce que je veux dire, . désaccord sur la question du réac'est que pour rester tout à fait en lisme socialiste, sur celle des deux accord avec soi, pour être simple- sciences, prolétarienne et bourgeoiment logique d'un jour sûr l'autre, se (l'affaire Lyssenko me révoltait: il faut hélas plus d'une fois « dé- il était absurde qu'on imposât aux missionner », et risquer de paraître, biologistes de renoncer aux hypoaux yeux des autres, incohérent. Ce thèses de Mendel), -- enfin l'aflong chemin que je suis depuis mon faire yougoslave me paraissait tout premier livre est bien toujours le à fait ·faussée : Tito ne pouvait être même à travers les romans,. les poè- un fasciste ni un agent de la Gesmes, les essais et les événements de tapo! ma vie . Pourtant les déchirements, Je suis partie en donnant mes railes ruptures et les démissions, je les sons dans Combat que dirigeait alors Claude Bourdet. J'avais eu raison connais du dedans.

Les deux premiers titres de la collection RÊVER DE ... viennent également de paraitre en anglais et en allemand :

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Est-ce qu'il n'y a pas là matière d'un beau drame ?

Comment avez-vous rencontré le personnage de Rossel ?

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• à Saint Cermain

: des Prés ' doute, puisque 1" •• ouverte de 10 h confirmé les tht-ses. à minuit

trop tôt sans XXe congrès a auxquelles je croyais et qui avaient • fait de moi une hérétique. Mais je • ne peux plus faire confiance à des • '" gens qui forcent cette pratique dt" : la « double pensée ». La « vérité. du communiqué de guerre », c'est. VOUS pouvez ce que je ne supporte pas. • voir avant d'acheter Et bien entendu je n'ai jamais· tous les livres de fait, je ne ferai jamais d'anticomLa Quinzaine munisme. Le parti communiste me paraissait être la vérité de notre Livres d'art temps . Or il mentait. Ce n'était pas •• du monde entier tolérable. '

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D'où votre démission? ED. T. Oui. C'est tout à fait périmé, mais il y a une vieille notion à laquelle je tiens : la notion ,l'engagement...

Qui fait démissionner ? ED. T.

Quelquefois.

Etes-vous pessimiste . pour l'Clvenir? ÈD. T. Pas du tout. On peut espérer qu'une nouvelle génération apparaîtra, pour qui seront levées ces hypothèques du passé, pour qui le domaine de l'analyse historique ne sera pas un acte de foi.

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Nelly Caron et Dariouche Safvate Iran Coll. Cl Les traditions musicales» Buchet-Chastel éd. 248 p.

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La musique de l'Iran est une musique modale. Elle comporte douze avâz répar· tis en sept grands systèmes (dastâghs ) el cinq systèmes dérivés que l'on nom· me simplement avâz. La persistance de ces mots dans la théorie musicale suffit à accuser la diHérence avec la théorie musicale 'de l'Occident. Trois pages, en outre, présentent un tableau des intervalles des échelles iraniennes, d'après la théorie officielle des quarts de ton et un tableau des intervalles selon la pra ti- , que. Car il y a lieu de distinguer une théorie et une pratique : fi. la musique ira· nienne n'est pas tempérée, et elle com· porte des intervalles plU& petits que le demi-ton et que le ton, et plU& grands que le ton. Bien qu'aujourd'hui on parle par commodité, fi. de quarts de ton » et de " trois quarts de ton », ces désignations sont très approximatives... » «Un avâz, ou un dastâgh, se compose

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qui se succèdent dans un certain ordre appelé le cadif. Les gushés qui constituent un avâz ne demeurent pas immuablement dans l'échelle fondamentale de cet avâz : ils peuvent s'en évader à plusieurs re· prises, mais y reviennent, en particulier pour conclure. Passer insensiblement d'un gushé à un autre est un art difficile. »

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1-

Iran La musique iranienne est monodique ; sa dignité exclut les éclats. Elle exige la stabilité du tempo ; elle fait une large place à l'improvisation, elle pratique les répétitions, et son élément dominant est expressif.

Il y a dans chaque mode des notes prédominantes : ce sont la note-témoin, la note d'arrêt, le note variable et la note de foruol (conclusion). Les auteurs décrivent les instruments dont jouent les musiciens persans et indiquent les principes de leur jeu. Ils ne peuvent faire l'histoire de la musique iranienne, car les bibliothèques de l'antique ont toutes été détruites au cours de quatre destructions et pillages. Cependant ils comptent de grands théo· riciens et musiciens comme Fardi, X' siècle, Avicenne, XI' siècle, et Sapoddin, XIII' siècle. On connaît leurs ouvrages théoriques mais non leurs mélodies. 11 faut arriver à Fradin, au XIX' siècle. pour trouver des souvenirs et des vestiges précis. Il faut dire que des exemples musi· caux enregistrés accompagnent ces con· sidérations théoriques et leur donnent la vie; ce sont des disques des Traditions musicales, publiés dans l'Anthologie mu· sicale de l'Orient par l'UNESCO. Si ces notes sont un peu obscures, ce n'est pas ma fa~te, ni celle des auteurs. mais notre peu d'expérience des musiques modales et monodiques, capables d'infinies subtilités. Maurice Faure

• • •• O. R. T. F. • •• Télévision: parmi les émissions litté• • •

raires programmées par la télévision pour la première quinzaine d'octobre, on peut retenir :

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lundi 2 octobre, mercredi 4 et jeudi 5, 1re chaine, 20 h 35 : Portrait sou· venir: André Malraux.

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Vendredi 6 octobre, 2< chaine, 20 h 15 : Le brave soldat Sveik, de Jaroslav Masek.

Vendredi 6 : 22 h : Entretien avec Françoise MalJet·Joris.

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Samedi 7 octobre, 2" chaine, 20 h 35 : Antoine et Cléopâtre, de Shakespeare, présenté par Max-Pol Fouchet (couleur).

Samedi 7 : 22 h 30 : Biennale de Paris : langages poétiques contemporains.

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Dimanche 8 octobre, 1re chaine, 22 h 40: Stendhal. Jeudi 12, 1re chaine, 21 h 45 : Es· quisse pour un portrait de Roger Vailland. Vendredi 13, 2" chaine, 20 h 15 : La guerre de Troie n'aura pas lieu, de Giraudoux, présenté par Poirot-Delpech.

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de ; Claude Delmas, Histoire politique de la bombe. 22 h : Entretiens avec Françoise Mallet-Joris.

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Radiodiffusion : parmi les program· mes annoncés par France-Culture, 348 mètres: Dimanche 1er octobre: 12 h 10 : Victorien Sardou, présenté par Philippe Soupault et J. Fayet. 16 h 15 ': Noé, d'après la pièce d'André Obey. 23 h 20 : • Prélude pour la nuit • : Il était un géant aux yeux bleus : Na· zin Hikmet, de Jean Tardieu et Eve Griliquez. lundi 2 : 8 h 40 : Paul Valéry européen, par Claude Valéry. 9 h 05 à 11 h 15 : livres d'histoire récemment parus, et, à 23 h : André Fontaine, Histoire de la guerre froi-

Jeudi 5 : 14 h 10 : La commère, de Marivaux ,

lundi 9 : 8 h : Paul Valéry et la civilisation de l'ent~ndement.

'Mardi 10 : 8 h : Psychanalyse et littérature, par Geor~s-Emmanuel Clancier. 22 h : Entretiens avec Roland Bar· thes, par Georges Charbonnier. Mercredi 11 : 8 h 30 : Nietzsche. 20 h : Pierre Jean Jouve. 20 h 20 : adaptation de Paulina 1880 de Jouve. • Jeudi 12 : 20 h 20 : Biennale de Paris me révolté.

Le poè-

Vendredi 13 22 h : Entretien avec Roland Bar· thes, par Georges Charbonnier, suite. 22 h 20 : Biennale de Paris : Le poème révolté, suite. Samedi 14 : 21 h : Paulina 1880, de Jouve, suite . Tous les jours , du lundi au vendredi : le feuilleton L'homme qui rit, de Victor Hugo, adapté par Francine Malle~ , à 22 h 20, jusqu'au 11 octobre.


HISTOIRE

POLICIERS

.

La ,mystique de l'ouest . amerlCalD Henry N. Smith

Terres vierges traduit de l'américain par J. Collin-Lemercier Coll. « Vent d'Ouest » Seghers éd., 510 p.

Publiée par Seghers, la collection « Vent d'Ouest » est la seule collection de livres de poche consacrée aux différents aspects de la vie américaine: littérature, histoire, institutions, économie, etc. Editée avec beaucoup de soin (les traductions sont de bon aloi, l'appareil critique - notes et index r e pro d u i t intégralement), elle comporte déjà vingt titres, parmi lesquels on peut citer New York et l'urbanisme par Lewis Mumford,

cretlser sur le terrain le rêve vivace, formulé pour la première fois par Jefferson, d'une société composée quasi exclusivement de libres exploitants agricoles (yeomen). En effet, l'image collective d'un grand empire maritime exerçant l'hégémonie grâce à son contrôle de la nouvelle « route des Indes », ne servit d'idée-force auprès de certains hommes politiques que pendant quelques décennies. « Le

désir d'accéder au commerce asiatique servait de justification à l'expansion américaine jusqu'au Pacifique, mais une fois l'Orégon officiellement acquis en 1846 et la Californie en 1848, l'expansionnisme avait atteint sa limite naturelle, qui était l'Océan. Sa tâche était accomplie" de sorte que le

l'avenir, mais dans l'Ouest civilisé situé en deçà. » Ce vaste espace disponible offrit aux Américains une matière brute à transformer: « Le peuple américain se voit mar-

cher lui-même à travers ces déserts, desséchant les marais, redressant les fleuves, peuplant la solitude et domptant la nature » (Tocqueville).

Le professeur Nash Smith va plus loin, car il croit pouvoir affirm,er que durant le XIXe siècle, tout s'est passé comme si un grand dessein avait accaparé plus ou moins consciemment l'imagination des Américains, à savoir: utiliser cette réserve de terres vierges pour créer ce que le professeur Leo Marx (un élève de Nash Smith) appelle l un « paysage équilibré » (middle

· l ,';.:.. ~

4fachines à sous, Virginia City, N evada.

Couleurs locales (13 nouvelles régionales américaines) et Fils de l'Abondance de l'historien David Potter (sur la croissance économique des U.S.A.). Terres Vierges écrit par le directeur du département d'anglais de l'université californienne de Berkeley, est le dernier paru de la collection. Lorsque les Etats-Unis se sont créés à la fin ,du XVIIIe siècle, ils n'occupaient qu'une très faible fraction de leur actuel territoire: tout l'Ouest, des Appalaches au Pacifique, était vide, et ce vide a mis un bon siècle à se remplir. Cette immense présence a-t-elle marqué les Américains, et si oui, sous quelles formes? Telle est au fond la question à laquelle cherche à répondre Terres vierges. En fait il n'y a pas eu un, mais plusieurs Ouests: non seulement parce que le centre de gravité de l'Union s'est progressivement déplacé de l'Ohio vers le Mississipi, puis vers les Rocheuses, et la côte Pacifique, mais surtout parce que l'Ouest a été vu outre-Atlantique à travers trois « lunettes » fort différentes. Ce fut, simultanément ou successivement, le point de passage idéal pour des liaisons transcontinentales, le terrain des exploits de Bas-de-Cuir et de ses épigones littéraires, et enfin il faudrait dire surtout - l'occasion de con-

mobile initiàl cessa de jouer un rôle de premier plan dans l'esprit des Américains. » Le second visage de l'Ouest est évidemment le plus connu, mais l'auteur renouvelle le sujet par le biais de la sociologie littéraire. Il montre en effet que l'intrusion de l'Américain de l'Ouest - pittoresque, certes, mais inculte et socialement peu reluisant dans le réseau complexe des conventions romanesques fondées sur « l'al-

liance du pittoresque et de la distinction », l'a fait pénétrer dans tout un ensemble d'interdits implicites (concernant en particulier la façon de s'exprimer et les rapports amoureux) presque aussi minutieuselI\ent réglé que dans un archipel mélanésien. Certes on n'arrête pas le progrès, mais c'est seulement vers 1880, dans Roaring Ralph Lockwood, de Harry SaintGeorge, que l'on verra un personnage authentique de l'Ouest (un ancien Texas ranger) à la fois être heureux en amour et parler un anglais correct. Cependant les choses serIeuses se sont passées ailleurs que dans la Prairie ou sur la piste de Santa-

Fe. « Ce ne fut pas dans le Far West pittoresque situé au-delà de la Frontière agricole que naquirent les forces , qui allaient décider de

La. Quinzaine littéraire, du 1"' au 15 octobre 1967.

landscape), à mi-chemin entre le vieux monde trop industrialisé et urbanisé, et la barbarie du « wild west », où prédominerait la petite agriculture familiale, source de toutes les vertus personnelles et civiques. Au terme de sa démonstration trop longue pour être reproduite ici - il ressort que la croissance économique, et l'urbanisation qui l'a accompagnée, se sont en quelque sorte surimposées à un idéal agrarien ou pastoral qui leur était parfaitement antagonique, et qui pour n'être inscrit dans aucun texte juridique, n'en a pas moins fortement marqué la politique américaine. Il serait d'ailleurs prématuré de proclamer sa disparition définitive, si l'on considère, comme le suggère le politicologue américain Daniel Elazar ( the Public 1nterest, été 1966) que la décentralisation de l'habitat urbain vers les suburbs périphériques est peut-être la manifestation implicite d'une volonté de maintenir, au sein de la société technicienne, un certain mode préindustriel de relations avec le cadre naturel.

Bernard Cazes 1. The Machine in the Garden, Techno· logy and the Pastoral Ideal in America, Galaxy Book, Oxford University Press, 1967.

Mark McShane Une vague de délire Gallimard éd. 250 p .

t

Joseph Harrington L e voile noir Gallimard éd. 249 p. On y piétine le bon vieux roman anglosaxon, on s'y moque sans vergogne de mémé Agatha Christie et de ses superdétectives, on y met dans le même panier les bons et les mauvais sentiments, on y fait un pied-de-nez à la morale... Et pourtant cette Vague de délire commence comme un très classique roman policicr anglais : une pluie de lettres anonymes s'est abattue sur le village de LitÙe Doom, provoquant d'abord un suicide puis l'angoisse, puis la panique des habitants du village, parmi lesquels se trouve le « corbeau )). On croirait presque lire Agatha Christie. McShane a même emprunté à la célèbre romancière ses personnages favo- ' ris: un major retraité et bon vivant, une vieille fille cupide et un peu trop fouineuse, un jeune peintre superbement obsédé par son œuvr e, un veuf inconsola· ble et passionné de justice... Mais brusquem ent le ton change, et c'est corume si McShane partai t d 'un immense écl a t de r ire : sous sa plume soudain débridée et férocc, les brillants héros d'Agatha Christie perdent leur masque, deviennent des personnages de guignol. Les autres habitants du village, tous ces suspects transformés en détectives ama te urs, n'ont r ien à leur envier : maladroits, bornés, vaniteux et poltrons, ils composent une étonnan te galerie de fantoches, dont les « prouesses )) (ont penser aux meill eu rs gags de Jacques T ati . L'extravagante r echerche des emprein. tes digitales sur les lettres anonymes. consti tue le morceau de bravoure de Cl' petit chef·d'œuvre d'h umour qu 'est Un" vague de délire. Les professionnels de la chasse au cri. m e, qu'ils soient français ou américains prétendent qu'il n'y a aucune commune mesure entre leurs méthodes de travail et celles des officiers de police issus 'de la littérature ; que les vrais flics passent beaucoup plus, de temps à rédiger de fastidieux rapports qu'à jouer les hommes d'action ;. en bref, ,que, présentée dans son véritable contexte, une. enquête ne ferait pas un bon sujet de roman. II faut croire que l'auteur du Voile noir ne partage pas cette opinion puisque des interrogatoires et des rapports de po_ lice constituent la plus grande partie de son livre. Et j'invite les professionnels à les lir;, ca r malgré l'écriture elliptique, maIgre les termes techniques et les répétitions obligatoires, ils sont passionnants. II faut dire que l'affaire qui fait l'objet de ces rapports est particulièrement attachante : Laurie Callender, une jeune et ravissante New.Yorkaise, a été condamnée à vingt ans de prison pour meurtre avec prémédita tion. La victime : son amant. Malgré les preuves et les témoignages qui l'accablent, Laurie a toujours protesté de son innocence. Un an après sa condamnation, un de ses amis obtient de l'Hôtel de ville un supplément d'enquête. On confie le dossier au lieutenant détective Kerrigan en lui recommandant ~e faire. de l'esbronfe pendant quelques Jours pms de renoncer purement et sim. plement à ce 'supplément d'enquête. Mais Kerrigan est un flic scrupuleux. Avec une obstination pesante, il va étudier le dossier page à page puis reprendre l'enquête pas à pas, avant de découvrir l'infime détail sur lequel ses confrères ont glissé et qui aura le pouvoir de faire éclater la vérité. Un seul reproche à -l'auteur de cet excellent Voile noir : le tour de passe. passe de son psychiatre n'est pas très convaincant; du moins pour des Français. Car chacun sait que, pour les Américains, les iniracles de la psychiatrie sont quotidiens. . Cela dit, retenez ce nom : Joseph Harnngton. Son premier livre, Dernier damiciZe connu, était l"emarquable. Av€'c le Voile noir, il rejoint le petit grou pe des grands auteurs de la Série noire. Noëlle Loriot

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LETTRES A

« LA

QUINZAINE»

A propos de «Veilleur

1/ est cl"ir que M. Borwicz "aune pas mon livre. Ces!. naturellement, son droit le plus strict. Ce dont il est redevable ri ses lecteurs. à l'auteur et à lni-même. (" 'est une rarson l'alable de ne pas /"aimer .. . L'accusation principale de M . Borwicz est que: " Afin de se rappeler cc qu'il avait pu observer, M. Donat s'est trop forcément « documenté » dans (d'autres) ouvrages ... Et toute cette documen tation ... il l'inclut dans le texte de son livre à titre dc... souvenirs strictement personnels . JJ Cette acclLsation. injuste e t absolument dépourvue de fond ement. ne rnériterait guère de réponse si elle ne s'accompagnait de tant de mauvaise foi et de mé· chanceté de la part de M . Borwicz que les limites de la critique s'en trouvent singnlièrement outrepassées. Il ni et arbitrairement une étiq uette sur mon lit re : « Souvenirs strictement personnels JJ, bien que je ne l'aie jamais classé dans ce gel/re particulier. Aussi bien. se conformant aux règles ainsi dé<"Tétées arbitrairement par lui-m.ême, le critiqlLe accuse Cauteur'de ces « suuvenirs strictement personnels " de porter des œillères et de « sen tenir à l'optique qui fut la sienne ». Tout arrière-plan historiqlLe est interdit. toute citation de du cILlnents officiels (le rappor! du Cl Stroop) est criminelle. des rencontres fortuites avec d'autres textes deviennent « un prucédé de -très mauvais aloi » et 011 fait une affaire d'Etat de guillemets prétendûment manquants. l'adjure M. Borwicz de m "indiquer un seul livre de mémoires. dans la littérature mondiale, qui supporte sans dommage cette sorte de camisole de force! Bien sûr que je me suis documenté . rai vérifié des dates . la chronologie des événements. les lieux , les documents of· ficiels , Corthographe des noms propres. les termes techniques. .. l'ai donné à ce livre une exactitude qui fait souvent dé.faut dans bien des livres relatifs à l'holocauste. Y a-t-il mal à cela? M. Bortoicz ne se trolLvait pas dans le ghetto de Varsovie et ignore sa topographie (la meilleure preuve en est l'inexistence de certains endroits qu'il invente de tOILtes pièces dans sa récente contpilation sur le ghetto). Quant à moi, je connais intimem,ent chaque coin de Tue .. chaque maison et chaque pierre de cette terre sainte. Et voilà qu'avec sa bonne conscience maniaque, le critique décide de ce que j'ai pu voir 'et de ce que je n 'ai pas pu voir depuis lIla cachette! fT est évident que mon livre est clavantage 'lue des « soullenirs strictement persoit/tels » ou qu'un témoignage Darmi d'autres. En premier lieu, il se compose de quatre parties distinctes provenant de qu.atre auteurs différents : moi-même, ma femme Léna, mon fils Wlodek et Mme :Ifaginski. la catholique polonaise qui sau1

va mon enfant et dont le récit est incor· poré tel quel. Le livre n'a pas été écrit pour les « ghett%gistes » professionnels pour enrichir leur collection de documents. Il a été spécifiquement écrit pour /e grand public, pour les gens qui ne savent rien ou pas grand-chose de notre tragedie, et qui en ont compris encore nt oins. La leur présenter d'une manière lucide et compréhensible, une génération "près , leur montrer co mment, peu à peu. lïncroyaille devint non seulement possible, mais le destin même de millions d'êtres, faire bénéficier les victimes de leur compréhension et de leur sympathie. et attirer leur haine sur les bOlLrreaux et leurs valets, raconter la véritable histoire du déclin de notre civilisation. et réveiller leur vigilance par un choc salutaire - tel a été le propos de ce livre. Chistoire d'un certain Donat. si captivante qu'elle fût , n'a qu'une importance secondaire. C'est l'histoire de six millions de Donat foncièrement la n.ême. y compris les choses « déjà lues » et ex· ception faite de l'issue final e - qui importe réellement et fait l"intérêt du livre. Même si Tavais délibérément choisi de fabriquer de toutes pièces un certain Donat. en incorporant des histoires vraies d'autres Donat à la mienne, ç'aurait été mon droit tout à fait légitime et n'aurait diminué en rien la valeur du livre. Dans le contexte. les étiquettes et autres guillemets ne veulent rien dire. J'avais d'autres soucis, beaucoup plus ùnportants. Le livre ne fut pas écrit en "ue d'obtenir quelques lauriers ou pour de l'argent . JI s'agissait pOlLr moi de payer une dette à ceux qui sont morts, de leur élever un monument lIvec recueillement et humilité. Ce fut pour moi un véritable calvaire. Je suis à nouveau rentré. volontairement. dans la chambre des t~rtures et j'ai re· vécu le cauchemar de ces années dont le souven.i r ne veut pas s'éteindre. Ce n'est que techniquement que je suis l'auteur de ce livre : les vrais autelLrs en sont les six millions de Donat. Je me suis senti engagé comme dans une mission, presque impossible à rentplir. Je suis heureux d'avoir eu /a force d'aller jusqu'au bout, m,ais Je n'en tire aUClLne fierté , aucune vanité ... .. .Je suspecte M. Borwicz de ne pas avoir lu plus des trois premiers chapitres sur les neuf que comporte le livre. Autrement, comment expliquer que tant de passages capitaux aient échappé à son attention, passages que tant de gens considèrent comme une contribution des plus originales à l'histoire de l'holocauste ... Alexander Donat Michel Borwicz répond : Où, dans sa mISSIVe, M . Donat veut-il en venir? Infirme-t-il au moins une seule de la longue suite de constatations que j'ai formulées? Au contraire : conscient

.. en est la nuit?»

OU

de leur exactitude, il multiplie les {auxfuyants. Ses calques systématiques, aussi bien dans ses descriptions d 'ordre général que dans les « instantanés » saisis (prétendiimcnt par lui-même) sur le vif 'l Oui, avoue·t-il, mais ce sont des .. . « guillemets oubliés ». En réalité, il s'agit d'un procédé qu 'il applique avec un esprit de méthode si pédant que , tout au lonl( de son livre, il n 'a jamais (ne {iit-ce qu 'une seule fois par mégarde) oublié d'oublier ces guillemets. Tous ces " guillemets oubliés » (quel inventif mot d 'empr unt!) ne veulent-ils vraiment « rien dire » ? Non content de copier ses observations des événements (non sans les déformer pourtant J, M . Do· nat n 'hésite pas à reproduire détail

Résistant. ;, l'arsorie. par détail. réflexion par réflexion. voire image par imal(e - , des ouvrages littéra ires (non sans les affadir cependant J. P ar exemple : la Pâque d'AdoU Rudnicki. Publié en PoJol(ne il y a vingt ans et bien des fois republié , ce récit vient de paraître en français tout récemment (Les Fenêtres d'or, Gallimard éd. ). A la suite de cette coïncidence, l'excellent écrivain Rudnicki ne risque-t.il pas par hasard de se voir soupçonné d 'avoir « plagié )) M. Donat? Si je possédais ne fiit-ce qu 'une mInIme miette de méchanceté à son égard, dont M . Donat daigne me soupçonner, je n'aurais siirement pas manqué de souligner cet aspect. Or, je ne l'ai même pas mentionné. Et pour cause : si incompatibles qu'ils soient avec les bonnes mœurs d'écrivain, ce ne sont guère ces emprunts hétéroclites et multiples qui m'ont rendu le plus perplexe, mais leur accumulation indistincte, ayant pour résultat la destruction de toute authenticité de vision avec l'incontinence de l'arbitraire que ce manque d 'authenticité favorise. Mis au pied du mur, M. Donat déclare n'avoir jamais présenté son livre comme un témoignage qui, par définition, relate des choses vues et vécues. Qu'est-ce alors que ce volume, rédigé du début à la fin, à la première personne? Un ouvrage où l'auteur et sa petite famille ne cessent d'être l'objet des plus minutieuses descriptions. ce qui pour un témoignage se-

rait tout à fait légitime '? Mais alors, comment expliquer les laborieuses mises en scène ayant pour unique objet de faire croire au lecteur que M . Donat avait personnellement observé le déroulement d'événements qu'en réalité il n'avait pu voir '? Par exemple celte tortueuse description de la topographie et des imaginaires ouvertures d'une cachette, les visites du soir d'un insurgé, etc.. et tout cela pour (en guise d'observations personnelles) gratifier le lecteur « en oubliant les guillemets » d 'un piètre résumé du livre du ... commandant d 'un groupe de combat, Marc Edelman, (la traduction française des passages essentiels du texte de Marc Edelman se trouve dans mon livre sur l'Insurrection du ghetto cie Varsovie, coll. « Archives », Julliard éd.) . Il n 'est pas exact que le livre de M. Donat « se compose de quatre parties distinctes provenant de quatre auteurs différents ». Il n 'y a là que le texte de M. Donat (comptant 340 pages), auquel il a ajouté des annexes, signées respectivement par son épouse, son fils et une de ses amies. Tous ces suppléments ensemble totalisent quelques dizaines de pages, en tout e t pour tout. Or, le but de telles annexes est en principe très exactement déterminé- : vu que l'auteur d'un témoignage n 'est censé décrire que des choses qu'il a pu personnellement connaître, de pareilles annexes complètent ses observations et les recoupent. Si cependant ce témoin a déjà de toute manière mis dans son « témoignage n tout ce qu'il a pu (pendant les vingt ans de l'après-guerre!) glaner au hasard de ses lectures hétéroclites, à quoi bon ajouter de telles annexes '1 Que doivent-elles « recouper »? Au lieu de corroborer sa « thèse n, la présence de ces annexes, tout à fait respectables par ailleurs, met en évidence, au contraire, l'intention de M . Donat de faire bel et bien considérer sa relation comme des souvenirs strictement personnels. Le plus grave de mes reproches concernait sa tendance délibérée à des enchères aux dépens des persécutés : même là où il décalque ses « instantanéb », il en rajoute. Est-ce donc ainsi qu'il a voulu, comme il le prétend, « faire bénéficier les victimes de la compréhension et ue la sympathie du grand (?) public n? Se référer aux jugements d'autres critiques, animés de la meilleure volonté, mais ne pouvant avoir accès, pour des raisons d'ordre linguistique, - aux véritables sources de ses (C observations n, n'est dans ces conditions qu'une manière de jeter de la pOlldre aux yeux. Il m'étonnerait toutefois que même un critique qui ne connaît pas en l'occurrence la langue polo· naise, mais qui connaît le sujet, ne soit pas frappé au moins par la « facture li et le rapiéçage d" ce livre. Michel Borwicz

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TOUS LES LIVRES

Ouvrages publiés du 5 au 20 septembre ROMANS FRANÇAIS

196 p., 15,90 F. Celle du Président d'une république .

Yvonne Baby Oui, l'espoir Grasset, 176 p., 12 F. Un homme devant la «crise de la quarantaine" .

Christian Guillet Le temps du partage Flammarion, 280 p., 14 F. Le mariage et la découverte de la paternité.

Maurice Clavel La pourpre de Judée Ch. Bourgois, 224 p., 15 F. Les constantes de l'univers humain.

Serge Combard

Claude Jamet Un homme et des femmes Buchet/Chastel. 352 p., 18,60 F. Un Casanova moderne .

R. Laffont, 216 p., 12,60 F. L'écrasante chasse au bonheur.

Jean-Louis Curtis Un jeune couple Julliard, 256 p., 18 F La vie conjugale et ses difficultés ·dans le monde actuel.

Jean Dutourd Pluche ou ramour de l'art Flammarion, 312 p., 16 F. L'artiste devant la vie, les hommes, l'argent et les passions.

Claire Etcherelli Elise ou la vraie vie Coll. « Lettres Nouvelles " , Denoël, 284 p., 16,50 F. L'usine, le racisme et la sottise humaine vécus dans leur réalité quotidienne.

Malick Fall La plaie A. Michel, 256 p., 13,88 F. Un vagabond solitaire affronté aux passions collectives.

Claude Faraggi Le fou du jour Grasset, 224 p., 15 F. Un homme fuit en Provence l'étroitesse d'un certain humanisme.

Adèle Fernandez Dur soleil de Grèce Ed. Français Réunis, 240 p., 14,40 F. La Grèce familière, misérable mais fière.

La

Qu~ine

ROMANS ÉTRANGERS

Jean Pelegri Les monuments du déluge Ch . Bourgois . 288 p., 18 F. Une méditation fiévreuse .

Francis Clifford Chantage au meurtre trad. de l'anglais par Alyette Guillot-Coli Casterman , 256 p .. 15 F.

Elisabeth Porque roi Clés en main Grasset, 224 p .. 15 F. Rêve et réalité dans une villa louée au bord de la mer.

L.P . Davies L'homme · artificiel trad. de l'anglais par Elisabeth Gilles Denoël, 256 p., 6,15 F. Dans un petit village anglais, un curieux cas d'amnésie.

Jehanne Jean-Charles La virole Julliard, 192 p., 15 F. Le goût du malheur.

Jean Kolar Paradis parallèles A. Michel, 352 p., 18,60 F. Du « paradis socialiste " au «paradis méditerranéen " .

'Walter Lewino L'éclat et la blancheur A. Michel, 224 p., 12,34 F. Un portrait-robot de notre époque fait selon la technique du collage.

Anne Loesch Mange ta soupe et joue ton piano Grasset, 304 p., 16 F. Lt: • Tout-Tunis " disséqué sur un ton • pied noir".

Gérard Nicaisse La mémoire de Poitiers Julliard, 336 p., 18 F. Des Parisiens rêvent au soleil de leur jeunesse et de leur province natale.

Claude Ollier l'échec de Nolan Gallimard, 232 p., 12 F. Une enquête minuti~use autour de la disparition d'un homms.

Vladimir Pozner Mille et un jours Julliard, 352 p., 20 F. L'U.R.S.S. par un l'homme qui fa comprise et qui l'aime.

Rezvani Les Années-Iumière Flammarion, 455 p., 19,50 F. Voir notre numéro p. 17.

Jean Saint-Vernon Les masques de famille Julliard, 256 p., 18 F. Le passé, le futur, le présent : un destin d'homme.

Samivel Le foü d'Edenberg A . Michel, 496 p., 19,20 F. Seul contre tous dans un village alpin transformé en paradis pour milliardaires.

Françoise-Emmanuel ' Sauron Douce innocente Gallimard, 252 p., 12 F. L'angoisse d'une jeune fille seule à Paris.

Jean-Claude Sordelli L'écorce Buchet/Chastel, 224 p., 18 F. Un roman paysan d'un ton nouveau.

David Lytton ('herbe pousse au printemps trad. de l'anglais par Pierre Le Bahu Gallimard, 248 p., 12 F. L'Afrique du Sud vécue jusqu'à la révolte et la fuite par un Anglais.

Juan-Carlos Onetti Le chantier trad . . de l'espagnol par Laure Guille Préface de Max-Pol Fouchet Stock, 224 p., 14,10 F. Un grand romancier uruguayen.

Richard Powell Don Quichotte américain trad. de l'américain par G. Sollacaro Table Ronde 256 p., 15,45 F. La révolution dans une petite île des Caraïbes

Michele Prisco Jeux de brouillard trad. de l'italien par S. de Vergennes Flammarion, . 282 p., 16 F. Les répercussions d'un accident suivi d'une enquête judiciaire.

Guillevic Mes poèmes hongrois Corvina, Budapest, 276 p. Une quarantaine de poètes hongrois contemporains choisis et produits par Guillevic.

III. de Topor Cercle du Bibliophile. 2 vol. reliés, 440 et 508 p., 14,80 F.

Emile Zola Œuvres complètes. t . V: Germinal, l'Œuvre, la Terre. le Rêve Cercle du Livre Précieux, relié, 1.346 p., 50 F.

AUTOBIOGRAPHIBS MÉMOIRES

R.-M. Albérès Histoire du roman moderne A. Michel, 464 p., 15,42 F. Nouvelle édition mise à jour.

Charles Diehl La République de Venise Flammarion, 280 p., 16 F. La grandeur et la décadence de Venise .

Maxime Gorki . La mère trad. Elu russe par René Hunzbucler Cercle du Bibliophile. relié. 394 p.. 14,80 F.

Les chefs-d'œuvre du fantastique . Préface de Jacques Bergier 70 dessins Planète, 480 p., 46,25 F. Lovecraft, Doyle, Kafka , Maupassant, Borges. etc.

W. A. Lewis La théorie de la croissance économique Payot, 456 p., 25 F. Un important traité sur une des questions primordiales de notre temps.

POÉSIE

Claude Ollier Navettes Gallimard, 220 p., 10 F. Quinze textes de littérature résolument • fictive " .

Françoise Thieck Histoire d'une nayika, de ses merveilles ct des autres choses Buchet/Chastel, 224 p., 15,90 F. L'histoire d'un couple .

Pierre Caminade Reliefs Seghe'rs, 95 p., 9,90 F.

Hélène Parme lin La gadgeture Julliard, 400 p., 20F. Au volant de sa voiture, un homme recrée l'espace-temps.

Georges Walter Les enfants d'Attila Grasset, 416 p., 19,50 F. A Paris, dans le monde etes. exilés d'Europe Centrale.

Pierre Foray Visage du sens P.J. Oswald, 144 p., 13,20 F. Des poèmes répondant à des recherches actuelles .

littéraire, du 1" au 15 octobre 1967.

Meri Franco-Lao Basta ! Chants de témoignage et de révolte d'Amérique Latine Edition bilingue . Maspero. 256 p .. 30 .80 F.

RE ÉDITIONS CLASSIQUES

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Le ministère. du gel

Hubert Gonnet L'exécution Buchet/Chastel,

Jérôme Peignot L'amour a ses princes Gallimard, 216 p., 10 F. Voir notre numéro p. 10.

Alexandre Manzoni Les fiancés • Histoires milanaise du XVIIIe siècle " Préface et traduction d'Armand Monjo Ed. Français Réunis, 384 p., 30,85 F. Le premier grand roman populaire italien, paru à Milan en 1842.

Léon Tolstoï Anna Karénine trad. du russe par SylVie Luneau Préface de G. Sigaux

Bernard Barbey Aller et retour La Baconnière éd ., 184 IJ., 15 F. Journal de la • Drôle de guerre" 1939-1940.

Edward Crankshaw Khrouchtchev trad. de j'anglais par Anne Guérin Grasset. 304 p .• 18 F. Les étapes d'une étonnante carrière.

Anne Cublier Indira Gandhi Gonthier, 216 p., 16,95 F. La première étude française sur le Premier ministre actuel de l'Inde.

André Malraux Antimémoires Gallimard, 612 p., 28 F. Voir les nO' 34 et 35 de la Ouinzaine littéraire.

Vassili Soukhomline Les hitlériens à Paris Préface de J.M. Hermann trad. du russe par Lily Denis Ed. Français Réunis. 248 p., 16,45 F. Ou 9 juin 1940 à Juillet 1941. souvenirs parisiens d'un correspondant de presse .

PHILOSOPHIB

Jean Cadier Calvin P.U .F., 120 p., 5 F. Les bases philosophiques de la doctrine calviniste.

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Ouvrage. publiés du 5 au 20 septembre

Jacques Derrida La voix et le phénomène Introduction au problème du signe dans la phénoménologie de Husserl P.U.F., 128 p., 9 F. Par l'auteur de • L'écriture et la différence •.

Marcel Detienne Les maîtres de vérité · dans la Grèce archaïque Maspero, 150 p., 15,40 F. De la logique de l'ambiguïté à la logique de la contradiction.

Louis Lavelle Science-Esthétique. Métaphysique A. Michel, 264 p., 15,42 F. Troisième volume des • Chroniques philosophiques • parues dans • Le Tell1ps • .

Nassif Nassar

La pensée réaliste d'Ibn Khaldun P.U.F., 284 p., 24 F. L'actualité d'une des œuvres les plus Importantes de la culture arabe.

René Scherer La phénoménologie des • «Recherches logiques it de Husserl P.U .F., 376 p., 20 F. Introduction générale à la lecture de l'ouvrage qui ouvrit le chemin de la phénoménologie,

André Vergez Denis Huisman Histoire des philosophes illustrée par les textes Nathan, 445 p., 16,50 F. Les diverses doctrines replacées dans leur contexte historique.

Léon Deuel Le temps des écrits trad. de l'américain par Gilles Chahine 67 illustrations Stock, 492 p., 29 F. Ces chercheurs à qui nous devons la découverte des manuscrits.

Roland Dorgelès Lettre ouverte à un milliardaire A. Michel, 176 p., 9,87 F. L'expérience de cinquante ans de vie parisienne.

.Selma H. Fraiberg Les années magiques trad. de l'américain par Françoise Mer P.U.F., 336 p., 15 F. L'évolution de la personnalité dans les six premières années de la vie.

Le romantisme 1800·1850 Nombr. III. Planète, 256 p., 64,80 F. Les arts du monde entier dans la première moitié du XIX' siècle.

Michel Mansuy Gaston Bachelard et les éléments José Corti, 391 p, 32 F. Bachelard l'écrivain et le poète.

Gérard Marin Les nouveaux Fr.ançàis Grasset, 320 p., 17,50 F Les générations ascendantes face aux grands problèmes.

Maurice de Montmollin Les systèmes hommes.mac:jlines. . Introduction à l'ergonomje 50 figures P.U.F., 256 · p., 12 F. . La psychologie expérimentale du travail et des systèmes industriels .

ESSAIS

Dominique Barrucand Histoire de l'hypnose en France P.U .F., 240 p., 12 F. Les grandes figures de la psychothérapie et de la philosophie psychosomatique.

A. Caraco Le galant homme La Baconnière éd., 344 p., 21 F. Pour un art de vivre.

Jean Charon Les grandes énigmes de l'astronomie Nombr. photo Planète, 252 p., 19 F. Dix des énigmes que la science n'a pu encore éclaircir.

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Colloque de Neufchâtel 18·21 avril 1966 Etages tectoniques Nomb. graphiques, cartes et photos. La Baconnière, éd . 336 p. 81 F. Les écoles géologiques actuelles et leurs perspectives de recherches.

Roger Pelissier De la révolution chinoise Julliard, 320 p., 20 F Les origines historiques de la grande mutation maoïste.

Bernard Planque Machines à enseigner Casterman, 192 p., 15 F. L'enseignement à l'ère industrielle .

Henry Robert Les organes artificiels 25 figures, 4 hors·texte P.U.F., 156 p., 12 F. L'état actuel des recherches et les perspectives de la chirurgie de demain.

Henri Rondet Le péché originel Fayard, 334 p., 23,36 F Les rapports du dogme et de la théologie avec la science et la philosophie.

Jean Rostand Inquiétudes d'un biologiste. Stock, 150 p., 10 F. Du destin et des possibilités de notre espèce .

Jacques Sara no Connaissance de soi Connaissance d'autrui Centurion, 208 p., 12 F. Collection des • Psychoguides •.

David Stafford·Clark Ce que Freud a vraiment dit trad . de l'américain par Léo Dilé Stock, 256 p., 15,95 F. L'évolution et l'élaboration de la pensée de Freud.

HISTOIRE

Yves Cazaux Marie de Bourgogne A. Michel, 384 p., 24,68 F. L'héritage difficile de Charles le Téméraire.

Konstantin Katzarov La victoire manquée La Baconnière éd., 400 p., 36 F. Le sort de l'Europe vu par son Sud·Est.

Henri Lapeyre Les monarchies européennes du XVI' siècle Les relations internationales P.U .F., 384 p., 22 F. Les luttes politiques et religieuses, les institutions et les personnalités.

Georges Lefranc Le mouvement syndical sous la III' République Payot, 456 p., 36 F. De 1871 à 1940, 70 années d'histoire du syndicalisme français .

Paul Petit La paix. romaine P.U.F ., 414 p., 24 F. Le Haut Empire , de la fin des guerres civil es à l'avènement des Sévères .

Arthur Rosenberg Histoire du bolchevisme trad. de l'allemand par Armand Pierhal Présentation et notes par Georges Haupt Grasset, 360 p., 18 F. Par un des anciens dirigeants du parti communiste allemand .

DOCUMBNTS

Marc Baroli La vie quotidienne des Français en Algérie (1830-1914) Hachette, 200 p., 15 F. La naissance de la société • pieds-noirs -.

Christian Bernadac Les médecins maudits France-Empire, 288 p., 15 F. Les expériences médicales tentées dans les camps de concentration.

Mary Wickham Bond Comment 007 chipa son nom trad. de l'américain par Yvette Joye 1 hors-texte Ed . Français Réunis , 96 p., 6,70 F. Les méfaits de l'homonymie .

Jean Camp Christian Chabanis Les jeunes d'aujourd'hui Centurion, 160 p., 9,60 F. La jeunesse actuelle devant la diversité du monde .

Ben Dan L'espion qui venait d'Israël Fayard, 272 p., 14,56 F. L'affaire de l 'espion israélien Elie Cohen, exécuté par les Syriens en mai 1965.

Raymond Douville Jean-Donat Casanova La vie quotidienne des Indiens du Canada à l'époque de la colonisation française Hachette, 200 p., 15 F. La civilisation indienne et la naissance d'un peuple nouveau .

Fred Goerner Mission double: la fin du mystère Amelia Earhart trad . de l'américain par Madgeleine Paz Flammarion, 352 p., 18 F. La disparition de la célèbre aviatrice en en mai 1937.

Jean-François Kahn Pierre Durand Tout commence à Pétrograd Fayard, 392 p., 18 F. La Révolut ion d'Octobre tell e qu'ell e f ut vécue par l'homme de la rue.

Robert Kendall Ne dites jamais nègre trad. de l'américain par Anne-Marie Hauser A . Michel, 248 p., 16,97 F. Le témoignage d'un instituteur qui passa deux ans dans deux écoles pour noirs de Los Angeles. Moshé Lewin Le dernier combat de Lénine Ed. de Minuit, 176 p., 12,35 F. Lénine devant sa mort et devant la montée du stalinisme.

André Mannon Léa Marcou La République Fédérale Allemande Fayard , 352 p., 17,03 F. L'avenir de l 'Allemagne évoqué par deux spécialistes de politique étrangère. Jean Meynaud Dusan Sidjanski L'Europe des affaires Rôle et structure des groupes Payot, 248 p., 18 F. Les firmes européennes et américaines, leur constitution, leur capacité d'influence.

James Mill Au carrefour de la drogue trad . de l'américain par R. Fitzgerald Stock, 176 p., 15 F. Dans le monde des drogués américains.

R. Reicher-Sgradi Vietnam • T. 1 Nous sommes tous concernés Nomb. ill. J. Martineau , 464 p., 24 F.

Marcel Montarron Les . grand procès d'assises Préface de R. Floriot Planète, 312 p., 19,50 F. De la bande à Bonnot à • l'ét rangleur • Lucien Léger.

ART

Simon Wiesenthal Les assassins sont parmi nous trad . de l'américain par C.-H . Sibert 50 ill. photo. Stock, 400 p., 24 F. La chasse aux criminels de guerre cachés sous une fausse identité. Barry Wynne L'agonie du Tearoha trad. de l'anglais par J. Hall et J. Lagrange Flammarion, 220 p., 12 F. Le périple de 7 pêcheurs maoris perdus en mer.

POLITIQUE ECONOMIE

Samir Amin Le développement du capitalisme en Côte d'Ivoire Ed . de Minuit, 332 p.., 33,90 F. Peut-on sauver du blocage une économie contrôlée par le capital étrànger? Jean-Pierre Brûlé La nouvelle révolution de Mao 4 hors-texte Centurion, 224 p., 15 F. La Chine depuis l'entrée en scène de la nouvelle génération . Ghita lonescu L'avenir politique de l'Europe orientale S.E.D.E.I .S., 387 p., 25 F. Les re lation s entre l'appareil et la société dans sept pays commun istes.

Ingres Dessins Introduction de Waldemar George 32 reprod . A. Michel, 38 F. Pour le centenaire de la mort du peintre. John Rawlings Modèle Planète, 110 p., 56,50 F. Les nus du célèbre photographe américain.

THÉATRE

Beaumarchais Le mariage de Figaro Hachette, 342 p., 10,10 F. Figaro présenté dans la mise en scène de Jean-Louis Barrault. Molière Le Tartuffe Hachette, 342 p., 7 F. Le Talôtuffe présenté dans la mise en scène de R. Planchon . Barbara Garson Macbird! trad. de l'américain par Maurice Pons Denoël : 192 p., 15,45 F. Le texte intégral de la déjà célèbre parodie de • Macbeth • Jean Vauthier Medea Gallimard, 120 p., 7 F Représenté au Festival de Royan, à l'Odéon et à Avignon .

HUMOUR DIVERS

Tony Burnand La pêche d'amateur en mer Denoël, 306 p., 46,25 F.


Bilan de Septentbre Roland Caude Comment se documenter ou le troisième œil Illustrat ions de Verrie r Centu rion , 72 p., 6 F. Comment vivre dans un monde où règne le document.

Len Deighton Ipcress, danger immédiat Livre de Poche polic ier

Miche l Herbert La chanson à Montmartre Table Ronde, 440 p. , 31 , 90 F. Le Chat Noir et autres cabarets montmartrois .

An atole France Les contes de Jacques Tournebroche Li vre de Poche.

James Thurber Des hommes, des femmes et des chiens Denoël, 120 p., 11,30 F. Le premier recueil de • cartoons » d'un des plus grands humoristes actuels .

Roland Topor La Princesse Angine Buchet/Chastel, 19,50 F. 26 dessins d'un humour nouveau .

François Valorbe Valorbe Julliard , 320 p., 20 F. Un jeune humoriste français découvert par J. Sternberg.

Wolinski Ils ne pensent qu'à ça Denoëi, 128 p., 11,30 F. ['obsession ,sexuelle mise en !mages .

POCHE

Balzac La femme de trente ans Introduction et notes de Samuel S. de Sacy Livre de Poche.

René Barjavel Tarendol Livre de Poche

Boileau-Narcejac Sueurs froides Livre de Poche policier .

René Cambon Entre l'enclume et le marteau Denoël/Crime-club. Francis Carco L'équipe. Livre de Poche. Stephan Crane La conquête du courage Livre de Poche

cuirassé Potemkine Livre de Poch e historique.

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Georges Duhamel Civilisation Livre de Poche

C. V. Ghéorghi u Les mendiants de miracle Livre de Poche .

Jean Giono Noé Livre de Poche .

Jean Giraudoux Amphytrion 38 Livre de Poche . Paul Guth Mémoires d'un naïf Livre de Poche .

M ichel Perrin Histoire du Jazz Encyclopédie Larousse de Poche. Marthe Robert L'ancien et le nouveau, De don Quichotte à Kafka Pet ite Bib l. Payot. Edward Sap ir Le langage Petite Bibl. Payot.

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Joseph Kessel Gilles Perrault Lap ierre et Co ll ins Lucien Bodard Domi nique St-A lban Pearl Buck An dré Chamson 8. Pi erre de Lagarde

9 . Yaël Dayan 10. Louis Aragon

Les cavaliers (Ga lli mard ) L'orchestre rouge (Stock) Ou tu porteras mon deuil (Laffont) L'aventure (Ga lli mard) Noëlle aux quatre vents (Laffont) La vie n'attend pas (St ock) La Superbe (plon) Guide des chefs-d' œuvre en péril (Pauvert) Si la mort avait deux f ils ('laHont) Blanche ou l'oubli (Gallimard)

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Hugues Thomas Histoire de la guerre d'Espagne Livre de Poche historique. Heinrich Wôlfflin Renaissance et baroque Livre de Poche illustré .

LES CRITIQUES ONT PARLÉ DE Inédits

Alfred Hitchcock Histoires à faire peur Livre de Poche polic1er. Victor Hugo Quatre· vingt-treize Préface de M!chel Mohrt Livre de Poche . Armand Lanoux Quand la mer se retire Livre de Poche . Mazo de La Roche La fille de Renny Livre de Poche.

Littérature

Marcel Allain Pierre Souvestre Juve contre Fantômas Livre de Poche policier.

LES LIBRAIRES ONT VENDU

Richard Hough

La mutinerie du

Jean Ray Résurrection et vengeance des dieux antiques Marabout Géant. Jules Verne Les Indes Noires Livre de Poche . Jules Verne Keraban le têtu Livre de Poche.

1. André Malraux W. LanglOiS

M. Barroux Les émetteurs de radiodiffusion et de télévision Oue sais-je? Roger ) Clausse Le journal et l'actualité Marabout Université Le processus de l'information et ses pièges.

1. M . Bochenski La philosophie contemporaine en Europe Petite Bibl. Payot.

V. N. Giap Guerre du peuple, armée du peuple Petite Collection Maspero.

La Quinzaine littéraire , du 1" au 15 octobre 1967 .

6. 7. 8. 9.

Daniel Boulanger Bernard Malamud Jacques Godbout Lapierre et COIÎi'nS 10. I.-B. Singer

Gallimard Mercure Gallimard Gaiiimard Gal:!mard Le Seuil Laffont Gallimard Le Seuil Laffont Stock

André Crepin Histoire de la langue anglaise Oue sais-je? Ciément Duval L'oxygène Oue sais-je? Henri Galliard Les maladies parasitaires Oue sais-je?

LA QUINZAINE LITTÉRAIRE VOUS RECOMMANDE

Georges Gourdet Les instrument à vent Oue sais-je? Romans

Essais

Wolfgang Abendroth Histoire du mouvement ouvrier en Europe Petite Collection Maspero.

2 . Louis Aragon 3 . Béatrix Beck 4. Robert Soulat 5. Faivre d'Arcier

Antimémoires André Malraux, l'aventure indochinoise Blanche ou l'oubli Cou coupé court toujours Jardins-Fontanges 'Un roman ne fait pas le printemps La nacelle le tonneau magique Salut Galarneau ! Ou tu portera m.on deuil Le confessional

Pierre Jalée Le pillage du tiers-monde Petite Collecti on M aspero A qui profite réellement l'aide aux pays sous-développés? Albert Soboul Le Directoire et le Consulat (1795-1804) Oue sais-je? N. Tinbergen La vie sociale des animaux Petite bibl. Payot Une synthèse des recherches en matière de sociologie animale.

Béatrix Beck Jacques Godbout Claude Jacquin M. Khair-Eddine Claude Ollier Suzanne Prou Rezvani

Cou coupé court toujours. Salut Galarneau ! Gaia Agadir L'échec de Nolan Les demoiselles sous les ébéniers Les Années-lumière

Gallimard Le Seuil Denoël Le Seuil Gallimard Calmann-Lévy

Une petite ville nazie L'idéologie arabe contemporaine Ant imémoires Histoire de la Résistance

Robert Laffont Maspero . Gall imard Rob ert Lattont

Flammarion

Essais

W.-s . Allen Abdallah Laroui André Malraux Henri Noguères , DegliameJFouché , J.-L. Vigier Georges Poulet (sous la direct ion de)

Chemins actuels de la critique

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1967

ESSAIS &HISTOIRE r

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Les iotapes de la pensée sociologique

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i 1Œuvres com-pïètes-'l

DAVID CAUTE Le Communisme et les intellectuels français .1914-1966

RAYMOND ARON Les étapes de la pensée sociologique

NORMAN COHN Histoire d'un Mythe

Montesquieu,Comte, Marx, Tocqueville, Durkheim, Pareto, Weber.

La "Conspiration" mondiale juive et les Protocoles des Sages de Sion.

JACQUELINE DELANGE ' Art.S et Peuples de l'Afrique N OIre

LEONARD SCHAPIRO De Lénine à Staline

Introduction à une anaiyse des créa.tions plastiques. Préface de Michel Leiris.

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La sUitedestemps

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Histoire du Parti Communiste de l'Union Soviétiqlle.

LOUIS DUMONT Homo Hierarchicus

RONALD SYME La Révolution romaine

Essai sur le système des castes A paraÎtre:

PIERRE FRANCASTEL La figure et le lieu ~"" • "..

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L'ordre visuel du Quattrocento

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Ma sœur IRon épouse

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H.ISAACS La tragédie de la Révolution chinoise. 1925-1927

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ALFRED METRAUX Religions et magies indiennes d'Amérique du Sud

Les révolutions de Canton et de Chan·ghaï, le retourneme~t de Tchang Kaï - chei< et fa politique de Staline ,

A.TASCA Les origines du Fascisme Italien

, ERWIN PANOFSKY Essais d'iconologie

ESSAI SUR LA Rf:VOLCTION

ROGER CAILLOIS ET G.E. VON GRUNEBAUM Le rêve et les sociétés humaines

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PAR. HANNAH AR.f,NDT TUDtIlTDt L'AIIC;UI$

HANS MAGNUS ENZENSBERGE;R Politique et crime

Impérialisme et Révolution débouche

CHARLES MORAZE La logique de l'histoire

,ANDREW SHONFIELD Le Capitalisme d'aujourd'hui

ROGER QUILLIOT La liberté aux dimensions humaines

L'Etat et l'entreprise L'évolution comparée des écono~ies occidenta:es depuis la guerre, Etude introductive de Pierre Massé,

GALLlMAR.D

Connaissance de l'inconscient

1

H.F. PETERS Ma sœur, mon épouse Biographie de Lou Andreas-Salomé

publiée sous la direction de J. P. Mayer

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~sfigures EDITH THOMAS Rossel

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Délégué à la Guerre de laCommllne

Trente journées qui on! fait la FranceJ

A paraitre : HENRI GUILLEMIN 24 Février 1848 La première résurrection de la

République, par l'auteur du Coup du 2 Décembre,

Ildées HANNAH ARENDT Essai sur la révolution

A paraitre : JACQUES BERQUE L'Egypte Une synthèse d'I'>istoire sociale qui sur un drame politique.

ALEXIS DE TOCQUEVILLE Correspondance avec Gustave de Baumont - 3 volumes

la "'la~che su~ Rome. La réédition m:se à 'olir de l'ouvrage fondamental pub:ié avant gU8're sous le pseudonyme de Rossi et que :es nazis avaient :nterd:t.

jles th~mes humanistes dans l'art de la Renaissance.

Ouvrage co!:ectif

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JOAN ROBINSON Philosophie économique 1

FERENC TÔKEI Naissance de l'élégie chinoise MIGUEL DE UNAMUNO L'Essence de l'Espagne

(Les inédits:)

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ANDRE CHANDERNAGOR Un Parlement, pour quoi faire? (n° 122)

ROBERT LAFONT La révolution regionaliste (n° 123)

RICHARD POPKIN Les assassins de Kennedy (n° 124)

JEROME PEIGNOT De l'écriture à la typographie (n° 126)

LUDWIG MARCUSE La philosophie américaine (n° 129)

A paraitre :

ERNEST JONES Hamlet et Œdipe Un c:assique de la littérature psychanalytique par le plus grand biographe de Freud.

GÉZA ROHEIM Psychanalyse et anthropologie La SOr"l'l'e d'un et"nclogue qui a accepté sans réserve la psycr.a"a:ys~. Une synthèse des ét:.;des théor:ques e! de l'expér:ence "S:Jr :e terrain ".

A paraÎtre: JEAN PREPOSIET Spinoza et la liberté des hommes

JEAN SERVIER Histoire de l'utopie (n° 127)

Une nouvelle !ecture de l'EthiqJe

A paraitre :

HENRIBEHAR Etude sur le théâtre Dada

LUCIEN BIANCO Les origines de la révolution chinoise

U:le ét:Jde exhaL.:stlve d'A:f~ed

Jarry à vulienGracq

(n° 142) de la guerre de ;'opiLm à la révolution culturelle

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