La Quinzaine littéraire n°34

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UlnZalne littéraire

Numéro 34

1er septembre 1967

Trois articles de 1925 Visconti sur US nesco: journal inédit


SOMMAIRE

1

LB LIVIUI DB LA eVIN.AIN.

4

TIIXTII

'1

ROMANS 1!:TRANGBRS

8

INeDIT

Aragon

W oHgang Hildesheimer

La Rochefoucauld

Blanche ou l'oubli

par Maurice Nadeau

Trois articles de 1925

d'André Malraux

Voyage nocturne

par Rémi Laureillard

J'avais deux ans

par Eugène Ionesco

Maximes

par Samuel S. de Sacy

Marcel Schwob, voyageur voilé

par Gilbert Sigaux

'10

HISTOIRB LITTeRAIRB

11

CENTBNAIRE

12

POLICIERS

Georges Simenon

Le voleur de M aigret

par Noëlle Loriot

13

ROMANS FRANÇAIS

Daniel Boulanger Béatrix Beck

La nacelle Cou coupé court toujours

par R. L. par R. L.

14

FIGURE

15

PUBLICITa

Philippe Schuwer

Histoire de la publicité

par Denis Roche

18

ART

Sherman E. Lee Chewon et Wong Yong Kim Anatole J akovsky

L'Art oriental La Corée Peintres naïfs

par Marcel Marnat

Dossier LSD Mandala

par Henri Ronse

Le dernier livre d'Isaac Deutscher

1'1

par Pierre Dhainaut

18

DOSSIER

19

SOCIOLOGIE

Georges Lapassade

Groupes, organisations, institutions

par André Akoun

20

PARU A L'ÉTRANGER

R.Carr

Spain, 1808-1939

par Pierre Ponsot

22

CUBA

Lettre de La Havane

par Maurice Nadeau

23

EXPO 87

Rencontre avec Jerzy Grotowski Révolution à Montréal

par N aim Kattan

25

par Françoise Choay

28

VENISE

Visconti sur Camus

propos recueillis par Anne Capelle

18

AVIGNON

Avignon, Bayreuth pour vacanciers ?

par Jean Duvignaud

29

BBRNE

L'avenir de la science-fiction

par Juliette Raabe

30

TIERS-MONDB

L'évolution de la Thaïlande contemporaine L'Asie du Sud-Est L'Afrique recolonisée ?

par Jean Chesneaux

Publicité littéraire: La Publicité Littéraire 22, rue de Grenelle, Paris 7. Téléphone: 222.94.03

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Pierre Fistié Jacques Decornoy T. Munzer et G. Laplace

31

Direction: François Erval, Maurice Nadeau Conseiller: Joseph Breitbach Direction artistique Pierre Bernard Administration: Jacques Lory Comité de rédaction: Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Bernard Pingaud, Gilbert Walusinski.

La Quinzaine littéraire

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Copyright: La QuiD7.8ine littéraire.

par Demba Diop

p. p. p.

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Roger Viollet

4 Roger Viollet

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Roger Viollel Roger Viollel Roger Viollel Thomas Hopker, magnum Roger Viollet Giraudon Le Soleil noir éd. Roger Viollet René Burri, magnum Marc Riboud, magnum Pic Pic René Burri magnum AHonso A vincola AHonso A vincola Cartier-Bresson, magnum Cartier-Bresson, magnum J. Rey, Holmès-Lebel Dedains éd.


LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Derrière le nlasque Aragon Blanche ou l'oubli Gallimard éd., 528 p.

La provocation est, on le sait, une des armes préférées d'Aragon. Elle l'a mené à des réussites littéraires, sans asseoir, aux yeux de quelques-uns, le crédit d'un homme dont le moins qu'on puisse dire est qu'il est « insaisissable ». La faculté d' « oubli » dont il se dit doté et qu'il illustre dans ce roman n'est malheureusement pas telle chez ses contemporains qu'ils puissent tenir son visage d'hier ou d'avant-hier pour simplement non avenu. Le lecteur le moins prévenu veut connaître l'homme qui se cache derrière l'écrivain. Celui-ci ne sera cru « sur paroles » que dans la mesure où celui-ci n'aura pas déçu la confiance que naïvement on lui montre. Autant dire qu'avec Aragon nous sommes loin de compte. Négligeons les provocations mi· neures, comme celle de dédier, à l'inverse de Stendhal, son ouvrage «To the unhappy Crowd», laquelle « unhappy Crowd » a vraisemblablement d'autres chats à fouetter, ou d'affirmer, en une phrase dé· calquée. mais superbe: « Jusqu'ici, les romanciers se sont contentés de parodier le monde. Il s'agit main· tenant de l'inventer. » (A vous, Kafka, Beckett, et quelques autres!) La provocation majeure, du moins pour un romancier « réaliste » et même ex-champion du « réalisme socialiste », ne réside pas tant dans le désir d'écrire un livre de pure imagination qu'un roman où l'on nous invite dès l'abord à ne pas croire un seul instant à la « réalité » des personnages imaginés. Pour commencer, le narrateur, Geoffroy Gaiffier, bien que « né le 3 octobre 1897, comme l'auteur de ce livre », ne doit pas être confondu avec .Aragon, ce qui, pour d'autres, pourrait aller de soi: « Il fume la pipe, il est linguiste, il a passé deux ou trois ans à Java ... on n'en finirait pas d'énumérer les différences entre lui et moi (ah! j'oubliais, il n'est pas communiste).» Par extraordinaire, la femme dont il parle n'est pas Elsa, quoique, rassurez-vous, Elsa soit «( présente » ici, « sous son propre nom avec ses livres, Luna Park notamment ». Si présente même, que l'héroïne dont il est ici question (héroïne à peu près constamment absente, et pour cause! elle a quitté le narrateur), n'est qu'une décalcomanie avouée d'une autre: une certaine Blanche Hauteville, dont Elsa Triolet conte, paraît-il, les aventures dans ce fameux Luna Park. D'autres personnages, MarieNoire et son amant Philippe, sont présentés comme des fantômes issus de la fantaisie de l'auteur, lequel veut bien faire parfois cause commune avec le narrateur à moins que le narrateur ne soit issu lui-même, nous dit-on, de la fantaisie de Marie-Noire, issue elle-même

de la fantaisie de l'auteur ... Parmi ces reflets et ces jeux d'ombres qui apparaissent ou se déroulent en l'absence de tout miroir (sinon la conscience de l'auteur), on se demande ce que viennent faire LéonPaul Fargue (que le narrateur avoue n'avoir jamais rencontré) ou Léon Moussinac (qui fut un ami d'Aragon et que Geoffroy Gaiffier n'avait nulle raison de connaître) :

Elsa Triolet et Aragon, par Boris Taslitzki.

qui a des sympathies pour les communistes et leur jeune chef Sukarno, ou elle lit Hyperion, ou elle écrit « dans des cahiers bleus, jaunes ou verts ». Son mari ignore ce qu'elle écrit, d'où il infère, étant d'un naturel jaloux et méfiant, qu'elle pourrait bien écrire « contre » lui. C'était pourtant l'heureux temps; où ils vivaient ensemble, où ils s'aimaient, et nous nous refusons à penser que Blanche, se croyant écrivain, a pour cette seule raison quitté son mari. Le fameux « oubli » ayant joué, celui-ci n'en sait pas plus que nous et c'est afin de recréer Blanche, de la: ressusciter dans son souvenir, que Gaiffier imagine Marie-Noire, une jeune fille de 1966 qui aurait l'âge de Blanche à l'époque de Java. Malheureusement, les gens comme les temps ont changé et cette hypothèse ne mène à aucune certitude. Au point que Gaiffier finit par se demander (à moins que ce ne soit Aragon) si le personnage du narrateur n 'a pas été inventé par sa créature, Marie·Noire. D'autant que Marie-Noire ne se laisse pas si facilement évincer et qu'il lui adviendra par la suite quelques fâcheuses aventures. Mais voilà bien le miracle du « roman » et son « apologie » : Blanche, femme dé Gaiffier et faite si l'on ose dire de chair et de sang, se révèle être l'anticipation d'un personnage créé vingt-cinq ans plus tard par Elsa Triolet dans Luna Park! Gaiffier rêve, ce n 'est pas douteux, on espère que, bien qu'obsédé par Elsa Triolet, il va recouvrer ses esprits. Nullement, et, miracle plus extraordinaire encore: ce qu'écrivait Blanche, mon Dieu, mon Dieu, à ce moment-là, ou plus tard, a été publié ensuite sous le nom de la célèbrp, romancière !

acceptons-les comme des « collages » destinés à donner un peu de densité aux ectoplasmes qu'ils côtoient. Ce Gaiffier, linguiste, qui fume la pipe et qui n'est pas communiste, Plutôt que de demander la soluest encore, sinon un romancier, du tion de l'énigme à Aragon, Gaiffier moins un amateur de « fictions » préfère s'en tenir à la preuve pal. et qui vit de plain-pied avec les personnages « de Flaubert, d'Elsa pable de l'existence de B~anche et Triolet, de Holderlin, de Shakes- de leurs retrouvailles in extremis peare » (il est assez éclectique, dans une propriété du Midi: une comme on le voit). A ce titre, et mèche de' cheveux gris qu'elle a non, certes, comme linguiste, il ,a coupée à son intention avant de sa petite idée sur le genre ' roma- reprendre le large. Mais pourquoi nesque:, « La thèse de Gaitfier, faut-il que cette scène ait déjà été écrit Aragon, c'est que le roman ' décrite par Flaubert dans l'Educaest un instrument pour la connais- tion sentimentale? Doutant de sance de l'hom'me, une véritable toute réalité qui ne soit pas _purescience de l'homme. » Rien là de ment imaginaire, le linguiste s'en bien révolutionnaire, sinon que remet à Michel Foucault qui, dans les Mots et les Choses, évoque « c'est par le70man qu'il (Gaiffier) cherchera à comprendre ce qui se « l'éclatement ,du visage de l'hompassait il y a trenie ans dans Blan- me dans le rire, et le retoùr des che, sa femme, et les raisons qu'elle masque~ ». Tous deux, Foucault et a eues de le quitter après vingt ans lui, « gens de ce monde obscu~ de de vie commune. » « En fait, dé- derrière le masque » et qui n'auclare encore Aragon, personne jus- raient pas besoin de parler pour se qu'ici n'avait porté si loin que ce comprendre, seraient en somme Gaitfier l'apologie du roman.» complices d'un bon tour joué au C'est précisément ce qu'il faudrait lecteur sous le couvert du « lanvoir. En ce qui concenie Gaiffier ... gage ». Heureu~ Foucault, qui appartient sans doute à «the unhappy ou Aragon. « Il y a trente ans », en 1932-33, Crow4 »! Blanche était avec son linguiste à Nous autres, qui préférerions Java. Il y étudiait le « parler-Dieu voir le visage et, pour tout dire, des DayakS ». Quant à elle, ou elle l'intention qui a , présidé à cette flirte avec le' « petit prince » Alit, laborieuse « distraction », nous ne

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 .eptembre 1967.

pouvons nous en tenir qu'aux lignes écrites par Aragon pour l'acheteur éventuel, sur les rabats de l'ouvrage: , « Dans ce roman, ce sont les romans qui .sont le sujet du roman ... Le roman n'est pas ce qui fut : mais ce qui pourrait être ; ce qui aurait pu être. » De la première affirmation relèvent des digressions fort intéressantes en effet sur l'Education sentimentale, sur Hyperion, et beaucoup plus obscures, mais ce n'est pas la faute de l'aut~ur, sur les ouvrages d'Elsa Triolet. La seconde justifie probablement le mélange, fort peu structuré pour un linguiste, de faits historiques (l'évolution politique de l'Indonésie, la Résistance, l'af· faire Ben Barka ... ) et de person· nages tirés soit des ouvrages pré. cités, soit de la vie publique entre les années vingt et soixante, soit d'une imagination qui, ouvertement, bat la campagne. Tout cela n 'est pas pour déplaire, et plus d'un lecteur sans doute trouvera du charme ou de l'intérêt à cette longu~ confidence erratique où abondent remarques d'importance diverse et morceaux de style. D'autres seront touchés par le souci que montre un auteur chevronné et qui sent venir l'âge d'être tou· jours « dans le coup », voire, grâce à sa virtuosité, d'en remontrer à ses cadets pour ce qui est de l'inven· tion et de la gratuité. D'autres en· core seront sensibles à ce qui transparaît malgré tout sous le masque : la mélancolie un peu désabusée d'un homme qui, au soir de sa vie, souffre d'avoir misé en tant de parties dont il n'a pas ét~ l'heureux gagnant. Il lui reste l'empire des mots certes, mais sur ce plan il n'a malheureusement plus que la sin· cérité de l'imagination. Les jeunes d'aujourd'hui, ceux qui écrivent comme ceux qui se bornent à lire, montrent, Aragon devrait le savoir, plus d'exigence et de rigueur. Pour eux, la reine des facultés exige une suite 'nombreuse, qui l'accompagne et sans laquelle elle ne régnerait que sur du vent. Il leur faut un répondant : derrière le Procès, Kafka, tandis que le poids de l'Innommable, ils n'entendent pas que Beckett soit seul à le porter. Ils ont appris à « voir » par les yeux de Robbe-Grillet, de Claude Simon, de Nathalie Sarraute; Les mécanismes mentaux de Gaiffier, ses obsessions, ses fausses anticipations, ses coquetteries et ses soi-disant pudeurs, tout ce mécanisme par lequel un romancier feint de se , laisser prendre à son propre jeu, il est à craindre qu'ils ne trouvent cela tout juste bon pour les « happy few » un peu retardés de la « Revue des DeUx Mondes ». On ne peut que leur conseiller de relire le Libertinage, les Cloches de Bâle, Aurélien. Ils y verront ce que peut une imagina; tion en prise sur la réalité. Ils y prendront, 'p ourquoi pas? une leçon de « réalisme ». Maurice N adea" 3


TEXTE

Malraux

••

Indochine, Annam: le tombeau de Dong Khan.

U1W période de la vie d'André Malraux demeure assez obscure. Celle qu'il passa en Indochi1W après qu'il eût été condamné - avec sursis - pour un prétendu vol de statues. Son procès lui avait fait prendre conscience des injustices commises par l'administration coloniale à l'égard de ceux qu'elle tenait sous son autorité. Après être rentré à Paris, il décide de repartir pour Saigon pOUT' y publier, avec son ami Pau' M onin, brillant avocat et journaliste de làbas, un journal d'opposition. L'histoire de ce journal, l'Indochine, dont le premier numéro paraît le 17 juin 1925, racontée par un Américain, Walter G. Langlois dans un ouvrage passionnant à paraître, en traduction, au Mercure de France. Dans U1W courte préface, que nous publions par ailleurs, Walter G. Langlois .d it combien la période indochinoise est importante chez Malraux: elle .marque le début de la croisade qui devait le me1Wr à l'Espoir. Le biographe retrace dans son livre les violentes polémiques d'André Malraux contre les directeurs tarés des seuls journaux autorisés par l'administration, sa lutte contre le gouveT1Wur de Cochinchi1W, Maurice Cognacq, les efforts qu'il déploie pour dresser sur ses pieds U1W élite annamite et, finalement, sa semi-défaite. Il reprend le bateau pour la France en janvier 1926; persuadé que la sQlution pour l'Indochi1W se ·trouve à Paris. Nous reproduisons ci-dessous quelques-uns des éditoriaux publiés par André Malraux dans l'Indochine qui; après des tracasseries sans nombre et une interdiction de fait, avait pris le titre : l'Indochine enchaînée. M. Cognacq est le gouveT1Wur de la Cochinchine. Malraux avait dénoncé ses malversations à proposd'u1W vente de terrains à Camau. Labaste, président de la Chambre d'Agriculture, une créature de Cognacq, et Chavigny, directeur d'un journal àux ordres, avaient été primitivement stigmatisés · par le bouillant éditorialiste. Le nouveau gouverneur général attern,lu est Alexandre Varen1W.

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RÉOUVERTURE Lorsqu'on est puissant et que l'on a une jolie femme dont l'admiration est assez modérée, il y a un moyen bien connu de n'être pas trompé : c'est de l'enfermer. Ainsi M. Cognacq, pour faire connaître aux diverses populations cochinchinoises son amour de la véri. té, s'en assura le monopole. Eh ! que voulez-vous que fasse, en quelque matière que ce soit, M. Cognacq, sinon un monopole ? Sans doute, sans doute. L'habitude est une seconde nature. Et puis, il est nécessaire de montrer au nouveau Gouvemeur général, que l'on qualifiait hier de bolcheviste tout comme un simple joumaliste indépendant, que la sympathie, l'affection, la tendresse même qu'on lui porte sont des sentiments hautement désintéressés. A moi ! corps constitués ! Que l'Indochine devienne blanche, telle l'hermine connue pour sa pudeur. Que les Annamites soient heureux ! Qu'ils apportent au bon docteur des bouquets mouillés de larmes - de reconnaissance, cette fois - et que, dans un silence lourd d'admirations, s'élèvent setÙes les voix éminemment pures de Labaste et de Chavigny. Le Courrier Saigonnais, fontaine des naïvetés gouvemementales pour lesquelles l'Impartial demande des prix excessüs, nous informe dans un de ses derniers numéros que: rien n'est tel qU'un scandale pour lancer une colonie. C'était donc cela ! Dévoué docteur ! ~i, Camau, les urnes électorales qui s'allongent et se rétrécissent comme des accordéons, les titres honorifiques, le texte de la loi sur la liberté de la presse traduit en Dhu, le barbotage des caractères d'imprimerie, les faillites à ressorts, interchangea. bles, retoumables comme une· chemise d'Auvergnat, sont des avions bénévoles dont l'administration se sert, Citroën supérieur, pour inscrire sur le ciel le nom de l'Indochine ? Et nul ne l'avait deviné. L'injustice des hommes est infinie. Retirons-nous dans un monastère, .. seul lieu où nous permette maintenant de nous réfugier notre pauvreté ! ... Vous ne voulez pas ? Non ? Vous voulez attendre le nouveau Gouver· neur général ? Bien. Alors, écoutez : cet homme deman· dera quelques explications. Vous les lui donneniB. Vous lui direz par exemple, que les diverses lois m.nçaises gagnent à être appliquées en ln· dochine suivant l'esprit du code aztèque : que . la liberté de la presse consiste à faire chaparder ou boycotter les journaux à la poste, à lai.

re terroriser les typographes par les agents de la Sûreté ; que la meilleure façon de faire défricher les terres incultes par les Annamites est de donner aux bons amis celles qu'ils ont défrichées déjà ; que les menaces, faites aux parents des jeunes Annamites qui trouvent que votre politique indigène n'est pas toute de mansuétude, donnent au prestige français un incontestable empire ; que l'interdiction des joumaux comme l'Œuvre à la bibliothèque est juste et normale ; que le déplacement des fonctionnaires qui lisent chez eux lesdits journaux, s'impose ; qu'il est bon de donner aux Chavigny et autres Outrey une subvention d'un million par an, subvention portée au budget sous la rubrique CI: Bienfaisance: Sourds-muets ». .Non ? Vous ne voulez pas lui dire toutes ces .choses excellentes ? C'est donc nous qui les lui dirons. Nous ajouterons : CI: Monsieur le Gouvemeur général, voici cent onze lettres, dont cinquante-deux signées ; soixante-dix-sept plaintes signées ; deux témoignages ; un constat d'huissier ; un dossier avec annotations signées ; des abonnements administratifs. Nous vous avions fait dire en Fran· ce que nous vous donnerions ces documents. Les voici. » Depuis un an, les lois françaises promulguées à la colonie sont constamment violées. Nul ne l'ignore. Ou bien le Gouvemeur, seul entre tous les Français établis en Cochinchine, ne le sait pas, et il est tout désigné pour aller prendre le Gouvemement de la Guadeloupe ou de la -Martinique, de Saint-Pierre-et-Miquelon ou de toute .autre colonie simplette ; ou il le sait et il est alors désigné pour la retraite, tout court. Toutes les injustices, toutes les exactions, toutes les fariboles qui ont transformé les provinces en royaumes moïs ou empapahoutas ont la même origine ; certains groupes financiers et commerçants d'Indochine sont devenus plus puissants que le Gouvemement local. Celui-ci, au lieu d'être un médiateur entre ces groupes et la population, fait cause commune avec les premiers. Leur politique est fort simple : ga. gner le plus d'argent possible dans le temps le plus court ; et ils répondraient à quiconque les attaquerait qu'ils sont là pour faire leurs affai. res et non pOur faire celles de l'Etat ou faciliter l'existence des hommes qui le composent. Ce qui serait exact. Ce que devient leur politique lorsqu'elle ·est politique d'Etat, nous l'avons vu, nous le voyons tous les jours. Mais nous commençons, Français et Annamites, à l'avoir assez vu.


trois articles .de 1925 Cela, vous le savez. Mais il importe que le nouveau Gouverneur général, lorsqu'il arrivera, l'ignore. Vous allez donc lui jouer k petite comédie dite « des corps constitués ». Vous lui montrerez une petite Chambre d'Agriculture présidée par M. Labaste, pour qui vous êtes allé jusqu'à l'héroïsme : « Debout ! les morts ! et tous aux urnes! » Une petite Chambre de Commerce présidée par M. de la Pommeraye, qui ne vous doit pas la moindre combine ; un petit Conseil colonial présidé par Chavigny. Puis, ces trois représentants de l'honneur public viendront, au nom de la population, déclarer au Gouverneur général que vous êtes le plus brillant Gouverneur qu'ait jamais connu la Cochinchine. Et je ne dis rien de Luid Quam Trinh, qui les suivra à distance respectueuse et viendra - suprême ironie - chanter vos louanges au nom de la population annamite. Ce n'est pas trop mal combiné. Mais je vous affirme que cela ne réussira pas. Et je vous dirai pourquoi le jour de l'arrivée de M. Varenne. Car cet article aura une suite, bon docteur, comme un simple roman-feuilleton.

QUESTIONS ANNAMITES. LE GOUVERNEMENT PAR LES TRAITRES Après avoir constaté que l'Administration de

la Cochinchine s'applique, pour ne pas diminuer le prestige des chefs de province, · à refuser l'entrée de la France aux Annamites et prépare ainsi à nous combattre les plus énergiques d'entre eux qui partent sans passeports pour les pays qui ne montreront pas de sévérité pour un état civil assez vague : Amérique, Allemagne ou Russie, nous sommes amenés à chercher quels sont les hommes que cette Administration choisit au nom de la France pour les mettre li la tête de leurs compatriotes ;à quelles mains est confiée la tâche délicate entre toutes de servir d'intermédiaire entre la France et l'Annam et de faire comprendre l'utilité d'une alliance à de jeunes intelligences avjdes d'une liberté plus grande que celle qu'elles trouvent en n aissant. Nous touchons ici au centre même de la question de la colonisation; entre tous nos associés, lesquels choisirons-nous pour en faire des chefs? Lorsque la question s'est sérieusement posée, le Gouvernement s'est trouvé en face de deux catégories d'hommes : les descendants des anciennes grandes familles d'Annam d'une part ; et d'autre part, ceux que l'on pourrait appeler les nouveaux venus, ceux qui viennent du peuple ou de la petite bourgeoisie et qui doivent à leur valeur le prestige qu'ils ont acquis auprès de leurs compatriotes. Les premiers ont été choisis en assez grand nombre. Ils pourraient être fort utiles au Gouvernement si celui-ci les laissait parler en toute liberté. Car il les consulte souvent. Mais la con· sultation a généralement lieu de la façon suivante: « Eh bien ! Monsieur X, que pensez-vous de la situation des indigènes ? » Si M. X répond que les indigènes !jont ravis, le Gouverneur est content ; si un inspecteur assiste à l'entrevue, le Gouverneur est enchan. té et M. X qui --:-:- est-il besoin de le dire ? est fonctionnaire, a de l'avancement; mais s'il insinue que, dans les provinces de Cochinchine, les pauvres ' ont un roi qui n'est ni le Gouverneur ni l'administrateur, mais le gendàrme ; mais s'il insinue que, depuis un mois, à Rach. gia, les nhaqués maitgent des racines, ce qui est excellent, Monsieur Cognacq, mais en petite La Quinzaine littéraire, 1" au 15 "plembre 1967.

Hué: le roi quitte le Palais du Jeûne, 1924.

quantité seulement, et peut-être un peu dé~ a· gréable comme nourriture ordinaire (c'est du moins l'avis du cimetière), adieu, avancement ! Et à nous, les dossiers annotés ; un administrateur ou un gouverneur, ou un manitou quc1conque demande que cet individu (la première punition de l'Annamite qui n'approuve pas les racines est de devenir un sieur ou un individu) soit envoyé dans le plus mauvais poste possible ... Voilà pour les premiers. Quant aux seconds, c'est un peu différent. On peut les faire chanter en menaçant leur famille, sans doute ; certains d'entre eux, œpendant, sont décidés à parler, et parleront. Il reste donc qu'une ressource : opposer à leurs témoignages d'autres témoignages, en parfaite contradiction avec eux, et créer le doute qui profite toujours à l'Administration, qui a le temps pour elle; car, si les Annamites qui souffrent sont nombreux, ceux qui parlent sont rares .•. Ces témoins qui doivent être opposés à ceux qui parlent réellement au nom d'un million d'hommes, où les trouver ? Il ne s'agit plus de présenter des objections à une politique, ni d'en propoter une autre ; il ne s'agit plus seulement des secrétaires bien vêtus de Saigon, mais . de tous leurs frères de douleurs qui, dans les provinces pauvres, n 'ont ni médecins, ni écoles, ni riz, à l'heure où l'on gave ses amis de quatre· vingt mille piastres, car il convient de se distraire ... « C'est là une opposition facile », me disaif hier un Français que j'entretenais de ce sujet ennuyeux. Littérairement sans doute. Mais pratiquement, les paysans de Rachgia déplorent, figurez-vous, cette facilité même, et cependant ils ne font pas de politique. Donc, qui trouver ? Quelqu'un ayant servi ses frères; ayant rait de l'opposition. Ayant montré, si possible, la haine de la France, présentant des garanties de sincérité, et prêt à les vendre ... En un mot, un traître. C'est pourquoi les Annamites, qui ne savent rien de ces histoires, vont être censés avoir désigné, pour les représenter auprès du GoUVI'Cneur général Varenne, un homme sur le passage de qui ils crachent. De plus, tout Annamite a sa « clientèle » aU sens ancien du mot, n'est-à-dire un cnsewtlle de parents et d'amis qui suivent sa fortunf' . th lOut placés avec leur maître. DB deviennent nôtres ; toutes les' haines q II'ils inspirent, . et elles sont nombreuses, c'cst !1uf la France, qui les emploie sans les CI)I;f\llll!"l.· . qu'elles vont converger. ~.

ne

André Malraux· vers 1925.

5


~

Walter G. Langlois: Entre les poèmes oubistes et les grands romans : la période indoohinoise de Malraux.

Malraux: trois articles de 1925

Je dis à tous les li'rançais : «. Cette rumeur qui monte de tous les points de la terre d'~n­ nam, cette angoisse qui depuis quelques annees réunit les rancunes et les haines dispersées, peut devenir, si vous n'y prenez garde, le chant d'une terrible moisson ... Je demande à ceux qui me liront de tenter de savoir ce qui se passe ici, et quand ils le sauront, d'oser dire à un ho~e qui vient en Indochine pour demander ou est la justice, et, au besoin, pour la faire, qu'ils ne sont pas, qu'ils n'ont jamais été solidai~es de celui qui, pour garder sa place, n'a pu elever, au nom de la France et de l'Annam, que le double masque du pitre et du valet, du mouchardage et de la trahison. »

CONSIDÉRATIONS SUR LE LIVRE VERT

Le livre vert, c'est le rapport du Conseil colonial, établi sur les indications de notre e:xo. cellent confrère Maurice Cognacq. C'est là que nous pouvons lire, avec l'admiration émerveillée que nous inspirent tous ses actes . lor~qu 'il en explique lui-même la haute valeur, la liste complète de ses bienfaits, la profondeur de sa pensée, la grandeur de sa justice. Oserai-je le dire, cependant? Lorsque je lis ses œuvres, notre excellent confrère Maurice Cognacq me fait l'effet d'un petit farceur. Tout le long de 500 pages, il raconte des blagues aux conseillers coloniaux. Voyons tout d'abord le « coup d'œil d'ensemble sur la situation politique ». On y lit que la presse d'opposition n'intéresse personne, que la population admire sans réserves l'~minent Gouverneur qui la dirige. Passons. MalS on y lit aussi que la cause de sa prospérité est dans son indifférence à la politique, que « des Annamites, des Chinois et des Français » veulent introduire ici. Pardon. La politique dont nous souffrons tous, la politique odieuse et ridicule qui à l'heure actuelle crée en Cochinchine un mécontente· ment visible et qui, si nous n'y prenons garde, amènera quelque jour de tragiques résultats, ce ne sont ni les Annamites, ni les Chinois, ni les Français qui l'ont apportée ici : c'est le Gouverneur Cognacq qui, l'ayant admirée aux Antilles, l'a trouvée si intéressante pour un Gouverneur qu'il s'est hâté, dès qu'il a pu, de l'instituer ici. Cette politique consiste tout entière à grouper autour de soi les éléments de sa propre puissance, afin de lui donner quelque stabilité, et, cela fait, à tenir l'Indochine et ceux qui l'habitent pour la propriété des copains. Je . fais exception pour les banques qui, elles, servent peu Cognacq mais se servent beaucoup de lui. Ceux qui s'opposent à cette façon de faire ne sont en aucune façon des politiciens, ce sont, beaucoup plus simplement, des gens qui réclament justice. Notre confrère Maurice Cognacq nous explique ensuite qu'il représente l'ordre. Cette affirmation ressortit à un autre genre de fantaisies. Un vieil ami de Maurice Cognacq vient-il barboter les rizières d'un paysan? Conséquence de l'ordre. Le paysan refuse-t-il de se laisser dépouiller ? Désordre, désordre affreux ! Rébellion, danger public. Il fallait vraiment être certain de voir un Chavigny président, pour oser proposer comme arguments aux conseillers coloniaux d'aussi amères plaisanteries. Vient ensuite une phrase particulièrement heureuse. Je ne saurais résister au plaisir de la copier. .

« La politique du Gouvernement de la Cochinchine pendant l'année qui vient de s'écou.ler est restée la- même que celle pratiquée du. rant les trois années précédentes. Caractérisée par la bienveillance, elle a visé au maintien de l'ordre, qui est le facteur essentiel de la paix et de la prospérité d'un pays, mais maintien prudent, obtenu par la conviction plutôt que par la contrainte. »

Cela est parfaitement exact. Je l'affirme. Je le certifie, et mon témoignage, auquel M. Cognacq accorde tant de prix lorsqu'il s'agit de le supprimer, le réjouira sans nul doute. Il a bienveillamment récompensé, couvert de croix et autres médailles - en forme de piastres, comme par hasard - ses bons amis annamites qui venaient bienveillamment de trahir leurs frères. Il a bienveillamment menacé de les envoyer au diable, à Hatien ou à Poulo-Condor, les gens qui se permettaient de se promener en compagnie de ceux qui n'approuvent pas sa politique. Il a bienveillamment mis derrière nous, munis de délicates missions, de pauvres agents de la Sûreté qui avaient besoin de manger. Quant aux paysans de Camau, ils ont eu droit à sa sollicitude particulière. Il est allé luimême, en personne, voir l'état de leurs rizières, afin de poùvoir, au besoin, les en dépossé. der bienveillamment. Lui, employer la contrainte ? Allons donc ! Il en est incapable. Il se donne la peine de nous en informer, et de nous faire garantir par Chavigny (voui) qu'il dit vrai. Il ne procède que par conviction. Un administrateur de ~es amis fait appeler, par exemple, un de nos lecteurs : « Le Gouverneur croit qu'il serait de votre intérêt bien compris de refuser ce journal que vous avez demandé vous-même. » Ou bit>n un conseiller se donne la peine de se déranger, et explique aux paysans « qu'il ne s~rait pas sage de leur part de s'opposer à la mise en vente de leurs terres ». Tout cela ne manque pas d'un certain humour féroce, et nous fait songer à ce que scrait Dhu gouverneur : « Après avoir bienveillamment tenté, pur tous les moyens, de disqualifier ceux qui ne nous approuvent pas, nous les avons amenés il la conviction qu'ils devaient eux-mêmes demander leur condamnation à mort. Poussés par quelque mauvais démon, ils s'y sont opposés. Nous avons donc prononcé nous-même leur condamnation, avec tout l'intérêt dont nous somm('s capable, et les avons fait exécuter bienveillamment. Les excellentes sources d'informations dont nous disposons et que nous censurons nousmême, nous permettent d'affirmer qu'ils se sont repentis après leur mort et nous admirent aujourd'hui sans réserves. » Non, Monsieur Cognacq. Cette contrainte que vous désavouez a été le seul moyen d'action dc votre politique, qui, quoi que vous en disiez, ne tend pas à assurer l'ordre mais bien à donner des ordres, ce qui est assez différent. Vous ne gouvernez la Cochinchine que par la crainte, l'argent et la Sûreté. Et c'est parce que vous n'ignorez pas que toute votre méthode tient en deux mots: « Pourboire et délation» ; parce que vous commencez à sentir la hai~! q,ui, des rizières les plus éloignées de Cochinchin<" s'avance aujourd'hui jusqu'à vous, que vous prenez un tel soin de vous défendre et de faire savoir à tous qu'au fond, tout au fond de votre poche, se trouvent des sentimepts de bienveillance que personne n'a jamais vus parce que les piastres amoncelées les cachent comme le mur d'une forteresse.

André Malrau% (Copyright: Mercure de France)

... En vérité Malraux connut deux aventures en Indochine. La première fut le procès qu'on lui intenta pour avoir dérobé des sculptures dans un temple en ruiné de la jungle cambodgienne ; la seconde fut sa participation a~ mouvement nationaliste annamite et son role de directeur d'un journal politique soutenant le programme de ce mouvement. Ces deux aventures ont longtemps donné lieu à des rumeurs contradictoires et inventées de toutes pièces. On a raconté que Malraux aurait été un .voleur d'objets d'art, un organisateur communiste, un pilleur de sanctuaires religieux sans scrupule, un révolutionnaire antifrançais et un agitateur politique à la solde des bolcheviks chinois. L'objet de toutes ces calomnies n'a jamais éprouvé le besoin de rétablir les faits et les historiens de la littérature ont eu beaucoup de difficultés à séparer la réalité de la fiction. Fort heureusement, il existe de nombreux textes imprimés qui sont des sources directes d'information. Alors que la plupart des comptes rendus du procès de Malraux publiés dans la presse parisienne sont des déformations délibérées des faits, les journaux d'Indochine relatèrent précisément et en détail les séances. Grâce à eux et aux renseignements généreusement fournis par deux témoins oculaires, il a été possible de jeter quelque lumière sur l'infamante « affaire d'Angkor ». Quant à la question, plus délicate et complexe, des activités politiques de Malraux dans la colonie, elle demeurera pour toujours en grande partie obscure. Les exégètes savaient depuis longtemps que Malraux avait publié en 1925 un journal saigonnais l'Indochine, dont la vie fut brève; au cours d'une année de recherches effectuées dans ce pays en 1956-57, j'ai découvert que cette publication était reparue par la suite sous le nOIn de l'Indochine enchaînée. Ces deux périodiques, totalisant environ huit cents pages, sont extrêmement révélateurs du climat politique et social de la colonie, mais leur importance vient surtout des trente grands articles que Malraux y publia. Ces articles n'apportent pas seulement des précisions inestimables SUT l'él!olution de ses préoccupations sociales, mais par leur style et leur contenu ils comblent le fossé entre ses « poèmes en prose » d'inspiration cubiste et les romans passionnément engagés de sa maturité... ... On peut espérer que les renseignements apportés par cette étude mettront un terme aux rumeurs discordantes sur la conduite de M alraux en Extrême-Orient. Les faits démontren' que l'affaire d'Angkor ne fut qu'un simple incident, dû à l'étourderie de la jeunesse et à une erreur de jugement - incident délibérément grossi par les autorités locales pour des raisons personnelles et politiques. 1eune écrivain courageux, idéaliste et talentueu%, il se jeta à corps perdu dans la lutte contre la toutepuissante administration coloniale qui privait les indigènes de leurs droits fondamentau%. A vingt-quatre ans, Malraux avait déjà entrepris la croisade qui devait le mener à la Condition humaine et à l'Espoir. Walter G. Langlois


ROMANS ETRANGERS

Le temps de l'innocence W oHgang Hildesheimer Voyage nocturne trad. de l'allemand par Gabrielle Wittkop-Ménardeau coll. « Du monde entier » Gallimard éd., 226 p.

Une humeur mauvaise l'at-on assez dit ? - irrigue les lettres allemandes, - et c'est la hantise d'un passé pas mort, temps des « années de chien », que chacun éprouve et combat dans la solitude, tantôt lançant l'anathème contre une époque et une nation flétries, tantôt amoncelant les mots d'un discours grinçant et grimacier, jetant le sarcasme au vent fou de l'Histoire, tantôt pesant sur d'étranges balances les composantes symboliques des êtres et des choses. Entre ses pairs, Wolfgang Hildesheimer occupe une place à part, qui doit beaucoup à la tradition, mais plus encore à l'invention conquérante d'un mythomane qui « rêve » le monde afin peut-être de mieux le surprendre. Ce Hambourgeois, né en 1916, a choisi la « liberté suisse » par refus de certaines allégeances qui prennent à ses yeux des airs de compromissions. C'est qu'il ressent la blessure secrète et commune de l'horreur brune (plus qu'un autre sans doute pour avoir suivi comme interprète le procès de Nuremberg). C'est qu'il redoute en chaque compatriote anonyme un tortionnaire, un assassin réchappé d'une justice impuissante ou douteuse. C'est que, à l'image de Peter Schlemihl qui a vendu son ombre au diable, il devient cet apatride citoyen du monde, ce voyageur solitaire cher au cœur des Allemands, ce grand aventurier de la pensée vêtu d'ironie grave ou narquoise, chaussé de feutre souple pour de fantastiques enjambées, coiffé du chapeau vert des diaboliques preneurs de rats qui parcourent toutes les légendes germaniques au son d'une flûte enjôleuse. Ainsi, à la cruauté, à la vanité meurtrière des entreprises humaines, Hildesheimer oppose la liberté princière du conte et du rêve. Après avoir écrit plusieurs recueils de nouvelles, pièces en un acte et pièces radiophoniques qui l'ont fait largement connaître en Allemagne, il nous offre maintenant avec Voyage nocturne un ouvrage plus étalé, plus élaboré dans le temps et l'espace, qui est, en fait, une seule et même rêverie. Des mots, des images, des bribes de souvenirs viennent solliciter au cours d'une lente nuit un narrateur anonyme - l'auteur luimême, sinon qui ? - qui livre peu de sa parure extérieure, de son identité, de sa « raison sociale » afin de mieux se rassembler sur l'essentiel. Et c'est un jeu grave et ironique auquel s'adonne l'insomniaque, le « somnambule éveillé» qui parcourt les diverses pièces de sa maison, vieille demeure familiale, cherchant inlassablement à maîtriser l'angoisse, à apprivoiser l'om-

bre ... Cependant l'on sait bien que la liberté du rêve n'est qu'apparente, qu'il obéit en vérité à de strictes lois, recommençant à l'aide de symboles à peine voilés les divers actes du drame de chaque homme. Dès les premières pages, une coloration générale nous donne la gamme dont use l'auteur. Le ton est celui de la confidence à mi-voix, ou encore chuchotée, sussurée, retentissant soudain de brefs éclats, confidence humble et hautaine qui fait souvent mine de le céder---au silence. Le récit s'organise par reprises et redites, créant des plages claires qui sont vrais mirages de l'imagination plus qu'oasis fallacieux du souvenir. Et ainsi, avec de surprenantes assonances de pensées qui se répondent et s'entraînent mutuellement, on va de halte en halte, d'étape en étape vers un terme inéluctable. Rarement j'ai ressenti autant, à l'ultime page d'un livre, la nécessité du mot « Fin », nécessité d'une sorte de mort, aussi précise ici pour l'auteur que pour le lecteur. En une seule nuit de veille, s'est opérée la « modification» du narrateur, complète jusqu'à une résignation véritable et profonde. Des « scènes » du roman, la première commande toute la progression. Au hasard, le narrateur tâtonne vers un horaire des chemins de fer norvégiens, au hasard il retient ce nom d'un village perdu sur une voie secondaire : Tynset. De cette matière inerte et sans couleur autre que celle des six lettres assemblées il fait le sésame de sa magie, le mouvement d'un rêve qui emprunte beaucoup au rythme et

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 septembre 1967.

aux haltes du train, ce train fantasque et ensorcelant que nous retrouvons curieusement dans un roman ultérieur de Hildesheimer, non encore traduit : Le Paradis des faux oiseaux. Non seulement le train, mais l'automobile qui va au gré de rues et de routes inhospitalières, la photographie qui fixe sur un journal oublié les visages d'un évêque et, d'un ministre qu'on interroge inlassablement, le téléphone enfin qui autorise d'inquiétants quiproquos révélateurs avec des correspondants anonymes ... - on voit combien Hil- , desheimer joue de la gravité et de la drô!:::âe de la vie telle qu'elle lui est donnée, royaume féerique et pervers où tout est permis à une âme « naïve » et lucide qui n'a jamais fini de démonter avec le sérieux des seuls enfants tous les jouets plus ou moins innocents qui nous cernent. Cependant, entre le rêve et le ' rêveur « sur-éveillé » s'opère, pardelà ces réminiscences, investigations en des domaines périlleux, appels venus du fond de la peur commune, un combat fait d'ordres et de contre-ordres. Aux libres enchaînements de thèmes, ruptures, enfouissements, résurgences, succède bientôt une mainmise du narrateur qui èontrôle étroitement son œuvre, - crainte de voir paraître les démons trop grimaçants de l'angoisse, de la mort, de l'érotisme et du meurtre. La pensée se sait traquée, elle s'organise selon une discipline exigeante, se crée des exercices d'invention pour chasser ces spectres. L'auteur se livre alors tout

entier à une mythomanie superbe, fabuleuse, dont s'enchante le lecteur. Errant parmi des chambres délaissées, il invente d'anciennes légendes, stimule des personnages de chair, tout souillés de péché et de pestilence, qui rassemblent sur eux les hantises, les pulsions, les exigences d'un créateur démiurgique. Ici Hildesheimer s'élance dans la fantaisie la plus drolatique et nous découvre les ressorts, les structures, les beautés d 'un art incomparable, autant pictural - si l'on peut dire - que littéraire : des tableaux vivants et animés. L'ironie de l'auteur enserre tout le roman, c'est une humeur douce et railleuse, un scepticisme sans complaisance ramassé parfois en féroces raccourcis. Hildesheimer joue, mais comme quelqu'un qui impose ses règles, force les lois usuelles, laissant au sourire le soin d'étaler la vague, le remous d 'un monde trop triste. Ainsi, autoritaire quand il le peut, railleur quand les faits résistent, il va d'une marche souple et furtive. Ce Voyage nocturne ,apparaît, en fin de compte, comme une œuvre qui plie pour se redresser sans cesse, œuvre flexihle, œuvre de compromis. Le compromis est la vraie nature de cette ironie enjôleuse, il en émousse le tranchant, le piquant, il la courbe et l'adoucit jusqu'à ne plus lui faire rendre que le soupir des choses trop dures, le cache-cache d'une pensée trop meurtrie, l'animation chatoyante d'une somptueuse imagerie pour qui regrette le temps de l'innocence et de l'enfance. Rémi Laureillard

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INÉDIT

Ionesco •• Ionesco entre sa SŒur

1'ouro œuvre, et en particulier celle nesco -

de Io-

bi naturellement onirique - , prend

racine {Lans le passé de son auteur, dans le terreau de l'enfance, dans celte mythologie personnelle que chacun, à son insu ou non, porte en soi tel un se~ret inaliénable.' L? recherche de ce secret-la, par nature tnsatsissable, ( marquée à jamais par le génial échec de Proust) il est rare qu'elle ne tente pas tôt ou tard un écrivain et qu'il ne se lance à son tour dans l'impossible déchiffrement de cet {( immense palimpseste de la mémoire » dont parle De Quincey-. Il y a quelque chose de poignant dans ces balbutiements dù. souvenir par lesquels Ionesco, avec des hésitations de chroniqueur scru· puleux sans doute... », « vraisemblablement... », « je ne sais si je me souviens ou bien si je me l'imagine... », « était-ce le même jour ? .. », etc.), . tente de retrouver sous l'écriture géologique des années la première, la plus ancienne, la seule authenti· que - mais pourquoi serait-elle plus «vraie» que les autres? Et parfois s'échappe tout d'un trait quelque naive scène, d'intérieur, miraculeusement intacte, fraîche comme un tableau de petit maître hollandais, telle cette scène des cerises, enveloppée d'une lumière heureuse. Lumière et ombre, nuits étoilées et chambres obscures, éternels emménagements et démé· nagements, jeux du soleil, obsession du feu, pesanteur et légèreté du monde, l'univers théâtral de Ionesco s'est nourri de ces contras· tes, de ces éblouissements, de ces cauche· mars. Serré de plus près aujourd'hui par sa vieille angoisse de la mort, Ionesco épelle sa préhistoire avec l'espoir qu'elle lui apporte, à défaut d'une réponse, la certitude de ce territoire en lui à l'abri du Temps et de ses massacres : l'intact. Paradis perdu de l'enfance, immobile au fond de l'âme ... com· me une terre où aborder ? Dès 1962, il nous donnait déjà darula Photo du Colonel, sous le titre « Printemps 1939 », quelques pages de journal écrites après son premier retour à La Chapelle-Anthenaise, lielt de son enfance. On mesurera l'écart qui sé· pare, à presque trente ans de distance, CI! texte, coloré jusque dans ses brumes, témoill d'une redécouverte émue, du Journal cn miettes (Mercure de France éd.) de 1967 où la mort semble cerner le navire de toutes parts. Débris, miettes, cette vision et cette écriture morcelées, ces brèves images haletantes que l'on dirait hâtivement recueillies dans l'im· minence d'une proche débâcl(!, oui, c'est bien encore l'œuvre d'un écrivain, qui organis(! jusqu'au bout son souffle, qui sait faire juillir sous le réalisme ce fantastique quotidiclt dont il restera parmi nous le témoin à jamais étonné. Geneviève Serreau

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m;~Tf.·.

Je cherche dans mon souvenir les premières images que j'ai de mon père. Je vois des couleurs sombres. J'avais deux ans, je crois. En chemin de fer. Ma mère est près de moi, elle a un grand chignon. Mon père en face de moi, près de la fenêtre. Je ne vois pas son visage, je vois les épaules, je vois un veston. Soudain, il fait nuit. Le tunnel. Saisi d'effroi, je crie.

Lorsque ma fille avait deux ans - rue Claude-Terrasse - nous parcourûmes un jour le long couloir pour aller au fond, dans la chambre de Régine qui était malade et que ma fille aimait beaucoup. Régine était au lit. Je tenais ma fille dans les bras. Dans l'embrasure de la porte nous parlons à Régine, couchée. Nous lui souhaitons un bon sommeil. Puis, avant de partir, j'éteins la lumière. Régine disparaît avec toute la chambre, dans le noir. Ma fille se met à hurler de terreur comme si Régine, le lit, les meubles de la chambre étaient préci. pités dans le néant. La même peur des ténèbres.

Sans doute très peu de temps après à Paris, ou dans la proche banlieue, vraisemblablement dans la proche banlieue, comme je crois avoir pu localiser le lieu. C'était une nuit d 'été. Un ciel plein d'étoiles. Lui, qui était grand, marche en me tenant dans ses bras. Plusieurs personnes autour de nous. Mon père leur parle. Ma mère e,>t présente, je le sais, je ne la vois pas. Dans ce souvenir, je ne vois pas non plus sa figure à lui. Je regarùe par-dessus son épaule. Nous marchons longtemps, il me semble, longtemps, nous longeons une clôture. Le ciel plein d'étoiles.

Une plece obscure. La lanterne IDugiqU!.'. Quelqu'un (mon père ou ma mère) me fait asseoir, seul sur un petit tabouret, plus pr!',; tie l'écran. Derrière moi, des grandes personnes. Le maître de maison, un monsieur aVec une grande barue noire, change les images. y a-t-il encore d'autres pctils enrant~ à côté de moi, sur d'autrcs tabourct::; ? Il mc ~cll1hl,~ que oui. Je vois très bien Ulle dcs image,; projetées.: un pctit garçon est à une tabl,', :;ur laquelle sc trouve un grand chat, la <[Ul'ue Cil l'air, et tout hérissé. On rdÎl'e l'image. J(~ m'écrie : - Eneon: 1. .. Une certai ne ::;urpri~e autour de moi.

Beaucoup de lumière, beaucoup de couleurs. Un matin d'été. Je suis au marché avec mon père. Beaucoup de vert, les salades, sans doute, les poireaux. Je ne vois toujours pas sa figure, je suis tout petit. Je marche à côté de lui. Il est très grand. Il a des vêtements sombres. Je ne sais si je me souviens d'un marché couvert ou demi-couvert, ou bien si je me l'imagine. La lumière est à la fois très intense et atténuée par quelque chose comme un grillage. Peut-être aussi que la lumière est filtrée par les feuilles des arbres. Je lui pose des questions au sujet de quelques hommes très grands, portant des blouses vertes qui m 'impressionnent beaucoup.

La même maison. Avais-je troi~ ans, quatre ans? Il y a mon père. Avec nous, il y R .ùa mère aussi. Elle est gaie, son visage riant. Ma petite sœur et moi, nous courons tout nus dans la maison. L'appartement devait avoir deux pièces; nous courons tout nus d'une pièce à l'autre. La porte entre les deux chambres, entre les deux fenêtres. Lui et ma mère sont encore à table. Le dessert. Cerises. Ma sœur a des boucles d'oreilles de cerises. On m'en met à moi aussi Il me semble que je suis agenouillé près de rua sœur qui est assise, elle, sur une toute petite chaise. J'ai mangé toute ma ration de cerises. Ma sœur, en jouant, me donne de ses cerises : une, encore une ; ma mère, jeune, les yeux noirs, son rire était dans les yeux, rit, devant nous. Je l'aperçois, lui, de côté, ou il me semble qu'il est là, je le sens, tel une ombre, haute. Il nous regarde jouer tous les deux. Nous nous sentons encouragés dans notre jeu. Nous jouons le jeu autrement, pour eux. Nous en faisons un peu trop. Une journée calme, une journée heureuse. Tous nous sommes joyeux.

Je l'aperçois qui entre. J'aperçois plutôt une silhouette haute, un chapeau melon, noir, un pardessus noir. Ma mère l'attendait. Elle a un tablier vert sombre. Elle est très inquiète. Il est fâché ou soucieux. Dans la mai· son, il devait y avoir eu une querelle. Il appor· tait, dans ses bras, des paquets, de grands sacs de papier. Maintenant, il vient de fermer la porte d'une pièce qui se trouve juste en face de la porte d'entrée de l'appartement, dans le cou· loir tout noir. Cela se passe toujours rue Madame. Il est avec ma petite sœur, qui a un an de moins que moi, dans cette pièce qui sert de ~alle de bains et de cuisine. Il lui fait prendre un bain d'cau salée avec du sel de mer. (Ma sœur a presque trois ans, elle ne marche toujours pas. J'ai appris par la suite que ce sont les uains de sel marin qui ont fait qu'elle a pu marcher.) Jc reste avec ma mère dans la grande pièce. Elle ncltoie la poussière, avec un plumeau. On enlend ma sœur crier. Ma mère est mécontente. Elle Ile doit pas approuver ces bains. A un moment donné, ma mère a dû ouvrir la porte de la salle de bains, moi la suivant. Je l'entrevois, manches retroussées, en train de frotter ma sœur, avec une brosse? , Ma sœur est dans lu baignoire de métal, dans l'eau grise.

La chatte aux trois couleurs, blanche, noire, rousse qui entre dans la cheminée où brûle un 1

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j'avais deux ans grand feu de bois. Elle commence par contour· ner les flammes, puis entre dans un trou quj se trouve sur la paroi latérale de l'âtre. C'est un tuyau. - Madame, cette chatte ne craint donc pas le feu? Ne risque-t-elle pas de brûler vive? - Ne voyez-vous pas qu'elle passe à côté, elle évite le feu, me répond la dame, assez jeune, petite, brune, qui se trouve de l'autre côté de l'âtre, dans cette pièce mi-citadine, mi· paysanne, ressemblant à la fois à une salle do ferme, la salle du Moulin de la Chapelle. Anthenaise, et à un salon mondain. Des meu· bles rustiques mélangés à des fauteuils . Un grand tapis sous les pieds de la longue table de ferme et sous les bancs. La chambre est éclairée par le feu de la cheminée et aussi par une fenêtre trop étroite, très au fond, découpée maladroitement dans le mur, derrière la dame qui est la maîtresse de maison. Il y a la lumière orange du feu; de la fenêtre parvient une vague, grise clarté : cette fenêtre donne sur la basse-cour avec ses clapiers, avec au fond les buissons d'épines. C'est parce qu'il fait assez sombre que je n'avais pas distingué le visage d'une autre femme, une visiteuse, coiffée d'un chapeau fleuri. - Bien sûr, Madame. Mais cette pauvre chatte est à la merci d'une étincelle qui pourrait enflammer sa fourrure. - Ne vous inquiétez pas. Elle a l'habitude. Ces animaux sont très adroits et puis, savez. vous, ils supportent beaucoup mieux que nous la chaleur, les flammes. - Ils peuvent prendre feu tout de même . La chatte sort la tête, me regarde d'un air plutôt méchant. Elle disparaît dans le trou, dont l'ouverture est en pente. - La chatte monte aux étages supérieurs par la cheminée, évidemment. J'ai bien compris. cependant si les gens du dessus ont allum6 leur feu, votre chatte brûlera ccrtainement. La dame brune hausse les épaules. A-t·elle vraiment conscience du danger qu'en. court la chatte, elle répond : - Je ne sais pas, je ne sais trop; ou bien: - Après tout, que voulez-vous ? Soudain, la chatte réapparaît, sort entière· ment du trou, contourne adroitement flammes et fumée, quitte l'âtre, glisse entre nos jambes, la queue en l'air, roussie, s'enfonce en miau· lant dans l'obscurité de la pièce, disparaît der· rière des. meubles, souffre, veut s'abriter. - Vous voyez bien, la chatte n'a pas sup· porté ]e feu. - Pourtant, les chats aiment la chaleur. Je songe à mon jeune chat, roux, qui vient de mourir, le pauvre, et qui, lorsqu'il était tout petit et si mignon, dormait dans l'âtre, coucho en rond, comme une boule, sur la braise ar· dente, des heures entières. - Quand je pense à lui, je ressens une telle détresse, je ne puis retenir mes larmes. - Vous gémissez, vous rêvez et vous pleurez, me dit la dame au chapeau. - Parce que les rêves sont vrais. - C'est l'aube, à peine. Essayez de vous rendormir. - Moi aussi, je veux dormir, dit la dame brune. Chaque fois que vous venez, vous rno communiquez vos angoisses, dans le sommeil. - Essaie de te rendormir, calmement, jt" suis si fatiguée. Que cherchez-vous? Je voudrais bien le savoir, j'ai oublié. Je crois que je le savais, il n'y a pas encore très longtemps. Je vais essayer de me rappeler. Il faut que je me rappelle.

Eugène Ionesco (Copyright Mercure de France)

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lonesco à quatre ans.


HISTOIRE LITTÉRAIRE

Un moraliste La Rochefoucauld Maximes, suivies des Réflexions diverses Edition critique établie par Jacques Truchet Garnier éd. 666 p.

Moraliste. Encore un de ces mots mal famés que pourtant on ne peut pas éluder. Qu'on ne doit pas éluder. Ce n'est pas rien que d'être un moraliste. Mais qu'est-il, au juste? Plus facile de dire ce qu'il n'est pas. Il n'est pas un catéchiste qui vous assène sous une forme gnomique des injonctions ou des conseils de morale. L'ambiguïté du damné mot de « morale » nous égare. Il y a morale et morale. La morale du moraliste, c'est l'autre. Et puis il n'est pas non plus un philosophe. Il se tient en deçà de la philosophie, à moins que ce ne soit, comme Montaigne, au-delà. Un moraliste apparaît plutôt comme un homme qui emploie certains des moyens de la littérature à accorder en lui, d'une part, la nécessité d'exister et, d'autre part, les exigences de son esprit ; qui se situe en quelque point de la ligne de partage - ou de convergence précisément imprécise entre les pres- . sions subies et l'ascendant qu'il aimerait avoir sur elles, entre la loi qu'il supporte et le gouvernement qu'il exerce. Une conscience souvent déchirée ; car il faut avoir un sentiment bien vif de la servitude de l'homme, ou de sa misère comme disent d'autres, pour s'affairer ainsi à le désamorcer. Ce qui explique peutêtre que la plupart des moralistes tendent naturellement à s'exprimer en maximes ; ils allègent déjà leur désarroi et le reculent à distance de regard dès qu'ils le traduisent en des termes applicables à tous les hommes en général. Non qu'ils se plaisent à compromettre autrui dans leur malaise : au contraire, ils ressentent un sombre soulagement lorsqu'ils reconnaissent appartenir à une condition commune. Héros malheureux mais homme d'aventure et d'expérience, La Rochefoucauld avait le droit de parler. Il avait connu les rudes chevauchées, les chocs des combats, l'i,mminence des morts violentes. Et des amours tumultueuses et spectaculaires, qui comptèrent ' parmi les plus flatteuses du siècl"" ce. qui ne les empêcha pas de tourner mal. Et les inextricables intrigues d~ la Fronde, passionnées et passionnelles, avee leurs coups de théâtre, leurs coups fourrés et leurs coups . bas. Et puis une fin de , viè goutteuse, courtoise et morose, entre de vieilles amies charmantes certes, un peu rabâcheuses peut-être, - mais rabâcher n'est-il pas encore un des charmes de ces âges perdus? Non pas oublié, non pas solitaire : doucement centrifugé, comme , tant d'autres, dans les marges du nouveau train du monde. Occupé non 10

pas de remâcher l'échec, la sénescence et l'amertume, mais - voilà le miracle d'une vie déclinante de devenir enfin, par des voies imprévues, La Roehefoucauld luimême, parvenant à sa vérité. Tout ce qu'il faut pour répondre à cé que nous croyons pouvoir attendre d'un moraliste. Si vous vous trouvez dans ces louables dispositions, ne vous laissez pas décontenancer par quelques lignes que M. Jacques Truchet a mises en tête de son édition : il s'agit ici, déclare-t-il, d'un travail « essentiellement critique ') où le lecteur doit pouvoir trouver cc les di1Jers états du texte, aussi bip.n les éditions que les versions manuscrites, que celles-ci restent accessibles ou qu'elles ne soient connues que par le témoignage d'érudits ... ». Vous tendiez l'oreille pour écouter la palpitation d'un cœur et la vibration d'une pensée, - on vous

pies, dans des correspondances, etc. Tenez compte d'étranges disparitions, survenues, il faut le dire, après que les originaux aient été reproduits. Autour de l'édition de 1678 se danse une farandole tellement échevelée que seul un spécialiste peut en discerner les figures. Je vous épargne les détails. J'ai tort .: tout est détail dans l'affaire. L'ensemble des Maximes forme une nébuleuse, avec un noyau solide, oui, mais noyé dans une masse qui flotte . Les prédécesseurs de M. Jacques Truchet s'étaient efforcés de reclasser cette incertitude. Non sans quelques abus: mais unc vulgate a des avantages, dam, la pratique. Il a préféré nous livrer tout le dossier tel quel, étalé sur la table. Tel quel, entendez tel qu'il l'a reconstitué de neuf, en l'enrichissant à l'occasion de documents inédits. Solution confuse, mais loyale; et qui épargnera aux chercheurs à venir

La RochefoucCluld

annonce les austères subtilités de l'établissement d'un texte. Rassurezvous: tout est mis en place et en perspective par soixante-dix pages d'une introduction où la sensibilité de l'esprit ne cesse pas de vivifier les précisions de la science. Accepteriez-vous, au surplus, de confier votre réflexioll et votre conscience à un texte dont l'authenticité restât douteuse? La base demcure naturellement l'édition de 1678, la dernière que La Rochefoucauld ait publiée luimême. (Ne parlons que des Maximes; quant aux Réflexions diverses, elles posent aussi des problèmes, mais différents, du fait qu'aucunè d'entre elles ne fut imprimée du vivant de l'auteur.) Avant 1678 avaient paru cinq autres éditions, dont la première était clandestine, apparemment pour être désavouée au besoin. D'une édition à l'autre, beaucoup de remaniements, qui donnent des leçons de style bien intéressantes. Et beaucoup de suppressions, venant plus ou moins compenser en nombre les additions ; récupérées plus tard par les éditeurs posthumes. Ajoutez maintenant les maximes laiS5ées inédites par l~ moraliste, et retrouvées après lui dans des manuscrits autographes, dans des co-

l'obligation de tout recommencer derrière lui. Si nos yeux papillotent, tant pis pour nous. Dans son introduction cet universitaire parle avec une rare sagesse des « sources » de La Rochefoucauld ; fort nombreuses, très attentivement pourchassées, et, en fin de compte, sans signification : pour un homme de lecture et de culture, tout est source, donc rien n'est source. Il me semble en revanche que les énigmatiques raisons des suppressions ne sont pas assez éclaircies. Je présume qu'on trouverait ces raisons moins du côté de la raison que du côté de la recherche littéraire. Comme si, plutôt que des choses à dire, et par défiance du pédantisme, dont une manie est de prétendre tout dire, La Rochefoucauld s'était préoccupé d'équilibrer des masses plus légères et de nuancer des tonalités. Beaucoup des Maximes et aussi des Réflexions diverses s'expliquent et se justifient infiniment mieux comme traduisant un sentiment p0étique què comme énonçant quelque observation sur l'homme. « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement » ou encore « Lu vertus se perdent dans l'intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer », - cela vraiment n'exprimerait pas grand-chose s'il ne s'agis-

sait en réalité d'une correspondance entre certains mouvements élémentaires de l'âme et de grandes forces cosmiques. Ce qui nous entraîne très loin des plates considérations coutumières sur l'art des moralistes. D'une des maximes Mme de Sablé disait: « Cette sentence n'est que pour faire une sentence » ; associée comme elle était à la hardiesse de la tentative, elle savait bien que la forme sentencieuse ca. chait plus d'un secret. M. Jacques Trochet a dénombré les schémas sur lesquels sont construites les maximes. Ils ne sont pas nombreux : une vingtaine. (Nouvel indice de l'intérêt que nous aurions à expliquer quelquefois les suppressions par des motifs de technique et non de doctrine.) Mais il ne pouvait pas 'd ans son relevé tenir compte du fait, disons de l'hypothèse, que souvent c'est le second terme d'une maxime bien balancée qui appelle, par récurrence, le premier. Encore une ruse de moraliste. C'est la contemplation des fleuves dissipés dans la mer qui appelle l'image des vertus qui se perdent dans l'intérêt; et non l'inverse. « Je ne suis pas celle que vous croyez», dit l'image. «L'amour prête son nom à un nombre infini de commerces qu'on lui attribue, et' où il n'a non plus de part que le doge à ce qui se fait à Venise » : c'est la considération du doge et du rôle qu'il joue dans les institutions vénitiennes qui ont retenu d'abord l'attention de La Rochefoucauld, puis entraîné une transposition sur le plan de la morale. Et ce fameux amour-propre dont on nous rabat les oreilles? M. Jacques Truchet, dans son introduction, n'y arrive, ne se résigne à y arriver qu'en fin d'analyse. Quand il ne peut plus s'en dispenser. n a raison. La théorie de l'amourpropre est un aboutissement; pour y parvenir, il faut avoir franchi d'abord toutes les étapes du sentiment de soi puis de la conscience de soi. La cuistrerie habituelle consiste à suivre le chemin inverse ; à tout organiser à partir de l'idée préconçue. Il est vrai que La Rochefoucauld lui-même s'est prêté à ce jeu avec quelque complaisance ; poussé sans doute par son entourage vers une voie qui n'était pas vraiment la sienne. Oui, décidément, les Maximes ont leur vertu ailleurs que dans une doctrine. Peu importe (à ceci près que M. Jacques Truchet me paraît minimiser l'influence de Descartes et du Traité des Passions). Reste qu'un vrai moraliste se lit comme on lit un romancier ou un poète, toutes choses inégales d'ailleurs. En observant sa démarche; et plutôt en l'imitant en soi autant que p0ssible, afin de pénétrer un peu mieux dans les rapports qu'il avait avec lui. même. En lui deman'dant moins une leçon qu'un exemple, et moins un, modèle à suivre qu'un modèle à considérer. Samuel S. de Sacy


CENTENAIRE

Marcel Sch1.Vob, voyageur voilé Né le 23 août 1867, mort le 26 février 1905, Marcel Schwob est-il, comme on le dira immanquablement dans l'éclairage du centenaire, « oublié », « méconnu », « à redécouvrir »? On a réimprimé il y a quelques années trois de ses livres, mais l'ensemble de son œuvre n'est pas facilement accessible, et aucun essai complet de mise au point, aucune édition critique n'a pu toucher le public depuis les années 1927-1930 qui sont celles des publications de Pierre Champion. Il faut avoir quelque curiosité pour connaître les thèses américaines, italiennes ou anglaises qui lui ont été consacrées; pour savoir que les universités de Washington et de Princeton possèdent des lettres de Schwob à Vielé-Griffin, Vallette, Rachilde, des manuscrits.

orientaliste, bibliothécaire à la Mazarine lui mit en mains les outils de la vraie science et de l'érudition. Marcel Schwob touchait à la chaire en Sorbonne quand il mourut ; son dernier rêve, dit Pierre Champion, qui l'a bien connu, et son dernier fut le grand livre sur Villon qu'il aurait développé à partir de ses conférences à l'Ecole des Hautes Etudes Sociales. Ce savant, chercheur, philologue, grand connaisseur en langue an-

chez lui au domaine des femmes, à la « féminie ». Le. roman d'aventures spirituelles a chez Schwob son initiateur. Hamlet qu'il traduisit pour Sarah Bernhardt (avec Eugène Morand, père de Paul) n'est-il pas aussi un roman d'aventures? Il est souvent classé comme symboliste ; il ne le fut guère sinon par le milieu qu'il traversa et parce que les contemporains se ressemblent presque toujours par quelque chose, à un moment ou à un autre.

Mais le temps de la justice littéraire est long; il viendra pour Schwob; peut-être même est-il venu: face à l'impression de méconnaissance globale que nous éprouvons, il faudrait dresser la liste des travaux étrangers évoqués tout à l'heure. Après tout, pour qu'un écrivain dure, vive, existe enfin, il faut d'abord qu'il soit lu, objet d'attention professionnelle ou de plaisir, et non qu'il soit question régulièrement de lui dans les pages des journaux et revues. Cela dit, qui est philosophique, il faudrait pourtant qu'on réimprimât Schwob afin qu'il soit accessible ailleurs qu'en bibliothèque. Les Mœurs des Diurnales est pour les trois quarts un sottisier dans lequel les échotiers peuvent prendre des idées, et pour le reste une suite de remarques sur le journalisme, plaisantes, non pas irremplaçables. On en dira autant (manque de nécessité) des Lettres parisiennes. Et on peut à la rigueur laisser sa belle traduction de M oil Flanders aux soins des éditeurs de Daniel Defoe, son Macbeth et son Hamlet aux shakespeariens. Mais il y a au moins six volumes à mettre à part, qui sont de lui seul et le fondent dans son originalité: le Livre de M onelle, les Vies imaginaires, les Contes, les Mélanges (Argot de Paris, Villon, Rabelais) et les essais (Spicilège et les Chroniques 1890-1903) enfin les Lettres, dont certaines, notamment celle à Marguerite Moreno (qu'il épousa à Londres en 1900) vont bien au-delà, pour l'intérêt, de la correspondance anecdotique.

La connaissance, le savoir, l'érudition l'ont bâti; étudiant perpétuel, il est tôt au niveau des maîtres. Son père Georges Schwob était un condisciple de Flaubert, un ami de Gautier, de Banville et de Jules Verne ; journaliste courriériste, collaborateur du Corsaire Satan, directeur du Phare de la Loire de 1876 à 1892; sa mè:re était une remarquable institutrice; son oncle maternel Léon Cahun, grand .La Quinuine littéraùe, 1"

GU

«( c'est une bonne idée que tu m'as donnée là », 6 janvier 1893) c'està-dire de le connaître et cela compte singulièrement. Quant à Colette qui restera la meilleure amie de Moreno, ses lettres disent comment elle savait aimer aussi Schwob, et les leçons de style qu'elle lui doit. Vivant au cœur du monde symboliste, et à l'écart du symbolisme, comme quelques autres, avec d'autres raisons (Villiers, Huysmans); mais n'avons-nous pas une idée trop simple des choses quand nous notons: symbolisme 1879-1900? comme si le reste n 'avait pas vécu, ne s'était pas mêlé. Il faut se serl"ir des aide-mémoire que sont les « écoles », et tenir les fils chronologiques; ni les uns ni les autres n'empêchent de comprendre les êtres (littéraires) dans leur complexité vivante, celle d'avant les manuels, où il faudra bien pourtant qu'ils aillent. Schwob était un savant et expert en nombre de choses qui comptent pour la connaissance des hommes

Bibliographie Œuvres complètes. Dix volumes (sous la direction de Pierre Champion et avec la collaboration de Marguerite Moreno) Bernouard éd. 19271930 - épuisé. En librairie: Le Livre de M onelle, réédition 1959, Spicilège, réédition 1960, postface et notes de Maurice Saillet); Mime, réédition 1964 - au Mercure de France. Vies imaginaires et Cœur Double, Gallimard 1921, sont épuisés. Sur Marcel Schwob. Pierre Champion: Marcel Schwob et son temps, Grasset 1927, épuisé. Claude Pichois : Stèle pour Marguerite Moreno, Mercure de France, juin 1959. Marguerite Mor~.no : Souvenirs de ma Vie, éd. Flore 1948 (texté~ et manuscrits réunis par Gilbert Sigau", préfaces de Colette et de Robert Kemp) .

Marcel Schtvob

glaise comme en latin et en grec, est un esprit critique, un analyste, un « expert » disait Valéry qui lui dédia l'Introduction à la méthode de Léonard de Vinci; mais on lui doit une singulière survie de Villon, la mise en lumière du génie particulier de Stevenson, des pages précieuses sur Meredith, sur Ford et le théâtre élisabéthain, sur David Defoe... Création critique? Création. Son invention reste critique, l'intelligence ordonne les contes, que -l'érudition éclaire, nourrit, suscite parfois; poésie venue des livres (à la Flaubert et à la Gustave Moreau), mais poésie de pitié aussi, et pas seulement dans le Livre de M onelle, dans tout ce qui ' touche

15 aeptembre 1967.

Schwob admira, l'un des premiers, Claudel; il passe et repasse dans le Journal de Jules Renard et dans celui de Léautaud, chez Valéry, chez Colette, chez Gide aussi. Il n'est pas indifférent qu'il ait poussé des J;ameaux, si l'on peut dire, dans les œuvres ou les vies de ceux-là : le Livre de Monelle c'est l'esthétique avant (ou à la place de) l'éthique, et c'est une part de la philosophie du Gide des N oumtures; de Renard, qu'il admirait et comprenait dans ses contradictions, il éclaira avec justesse l'Ecornifleur et il aida souvent la carrière; Claudel, avec qui il suivit les leçons de Burdeau, à Louïs-leGrand, lui dut de traduire Eschyle

et la pratique de l'art; il a vécu à la pointe extrême d'une lignée de rabbins, de médecins, de journalistes et de professeurs; malade, ayant traversé bien des mondes par la pensée, fait de ces voyages qui creusent l'esprit et le cœur (la mort de Monelle, et vers Samoa, à la recherche de Stevenson et par la morphine) ; ayant aimé une femme double, comme il l'était, Moreno ... il apparaît, à qui refuse les légendes simplificatrices, comme un homme à facettes, un voyageur souvent voilé. Il mérite, après de.!~ curiosités sommaires, parfois dédaigneuses, l'étude d'un autre spécialiste du portrait d'autrui (on se souvient que Schwob fut, aussi, un grand théoricien de la biographie) qui, quarante ans après Pierre Champion, ira à la recherche de Sehwob. . Gilbert Sigaux 11


: POLICIERS

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Le prochain : numéro de •••

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Qui est Maigret

"•

Georges Simenon

Le voleur de M aigret Presses de la Cité éd., 182 p.

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Après quarante ans de carnere littéraire, il continue d'étonner. Ses admirateurs le tiennent pour le plus grand romancier de notre époque. Ses détracteurs lui reprochent son mépris de l'écriture et des règles de grammaire, mais ils ne peuvent se défendre d'être fascinés par le phénomène Simenon: un roman « bouclé )} en moins de dix jours, un ton inimitable, un souci de dépouillement qui frise le défi, et surtout, surtout le succès presque incroyable de cette production que ['auteur qualifie lui-même d' « artisanale )} : près de deux cents livres traduits dans le monde entier ; l'un des best-sellers après la Bible. Tout a commencé avec les premiers M aigret. En quelques années, cet anti-héros, ce bonhomme mas3i f, bourru, avare de gestes et de mots, est devenu si populaire que Simenon s'est vu dans l'obligation de s'enchaîner définitivement au commissaire de la P.]. Qui est Maigret? Un Français moyen, d'une intelligence au-des~us de la moyenne, avec sa part de faiblesse, de ridicule et de force. LI boit. II boit énormément, n'importe quoi, sans jamais être ivre. C'est son seul véritable plaisir. Les femmes ne l'intéressent pas. II a • la sienne, qu'il a su dresser, qui • lui est entièrement dévouée, et qui • joue son rôle d'utilité sans jamais • empiéter sur cet emploi. Car Mai• gret est un ma'1e, un vraI, " aupres • • • • • • • • • • • • • • • • : duquel les « durs » américains font • figure de petits cabotins. Bien qu'il ait une certaine faiblesse pour les • prostituées, il ne se permet aucun écart et sa vie privée reste farou~hement intouchable. : Ce commissaire divisionnaire, par L. VANDERMEERSCH • qui n'a jamais appris à conduire • une voiture, méprise toute techni• 'Tue et travaille sans méthode. • Quand il se lance dans une en: quête, il ne se fie pas à son instinct • mais à sa parfaite connaissance de • la nature humaine. La voilà sa • force. II s'intéresse passionnément ·1 a~.x ~o~mes, à toutes .les catégories d mdIvidus: du petIt voyou au e grand bourgeois, du gros malin au laborieux. • Tel est donc ce Maigret qui, • pendant quarante ans, a réussi à par René DUMONT • ne pas vieillir. Or voici que dans et Th. de BEAUCÉ • sa toute dernière aventure, le V 0: leur de M aigret, on est soudain . ' surpris de découvrir quelques rides • à ce personnage étonnant. Pour la • première fois, Simenon-Maigret • n'est plus dans la course, il ne • connaît pas bien son héros, il est : en quelque sorte dépassé par ce • jeune François Ricain, apprenti SEPT. 1967 5 F. • cinéaste et critique fouglleux d'une • • • • • • • • • • • • • • • • • revue d'avant-garde. • 6". Comptant sur sa prodigieuse '. 19, rue Jacob, Paris, • habileté, Simenon a fabriqué de C. C. P. Paris 1154-51 • toutes pièces ce personnage très • • • • • • • • • • • • •_ • actuel. Mais il est visible qu'il ne • • • • • • • • • : • • • • • • • • • • • • • • • • : • • • • •

• sera mIs en vente

Vendredi

15

Septem.bre

: ESPRI T Les frontières • · · 't.Iques·· sino-sovie

Zambie Cambodge espo rs pOU r : d : 1e Tlers-mon e.

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Les armees africaines

ESPRIT

Georges Simenon

l'a jamais regardé vivre, qu'il ne l'a jamais entendu parler. François Ricain c'est, selon les témoins qui le connaissent bien, une sorte de Michel Cournot en herbe. Or, quand il parle, la voix qu'on entend est celle d'un Simenon qui jouerait un rôle de composition. Ses propos sont aussi faux, aussi irritants que ceux des héros du film les Tricheurs. Et, comme Marcel Carné, Simenon arbore le petit sourire protecteur du monsieur qui sait à quoi s'en tenir sur une certaine jeunesse d'aujourd'hui. Mais il se réfère à de vieux souvenirs et commet quelques petites erreurs significatives. Faut-il lui rappeler, par exemple, que, depuis plus de dix ans, les jeunes femmes ne portent plus de pantalons « corsaires », et qu'il est extrêmement rare, de DOS jours, qu'un jeune Parisien de 25 ou 30 ans possède un chapeau? Cela dit, ce nouveau Maigret est aussi bien « ficelé )} que les autres. Simenon sait mieux que personne commencer une histoire. C'est sim-

pIe, direct, immédiatement vivant : une plate-forme d'autobus, un Maigret de bonne humeur parce que, ce matin-là, Paris arbore des couleurs printanières... Soudain on le bouscule. II se retourne, aperçoit le visage anxieux d'un jeune homme... Quelques instants plus tard, celui-ci saute de l'autobus, et machinalement Maigret tâte sa poche : son portefeuille a disparu. S'il renonce à poursuivre son voleur, c'est parce que ses chaussures neuves le font souffrir. Le lendemain il reçoit un paquet : son portefeuille avec tout ce qu'il contenait la veille. Puis c'est l'appel téléphonique de son voleur, qui lui demande une entrevue. Quelques heures plus tard, celui-ci lui révèlera qu'une jeune femme, la sienne, a été assassinée. Simenon-Maigret a pris quelques rides, soit. Mais, d'une certaine manière, c'est plutôt rassurant: en cessant d'être un virtuose infaillible, il a vieilli comme peut vieillir un écrivain. Noëlle Loriot

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ROMANS FRANÇAIS

On vous parle Daniel Boulanger La nacelle Robert Laffont éd., 200 p. Avec la grâce furtive d'un excellent nouvelliste - son recueil le Chemin des caracoles lui a valu l'an passé le prix Sainte-Beuve Daniel Boulanger nous introduit directement dans le monde clos et rêveur de ses personnages: deux vieillards ne se lassent point de palper, regarder et relire d'innombrables cartes postales, sédiment des années enfuies, toutes assemblées dans une grande nacelle d'osier récupérée d'un aérostat de la Grande Guerre. Cet artifice est le grain qui fait lever la pâte du rêve. Il autorise une souple découpe du temps en fragments volés sur un passé trompeur, en menus instantanés, stéréotypes jaunis, presque effacés qu'animent de leur invention souveraine et arbitraire les deux vieux « maniaqùes ». La nacelle devient le coffre aux merveilles où puiser les souvenirs, mots d'amour, bribes de bonheur, autant de signes lancés comme bouteilles à la mer par des correspondants sans visage. Le jeu s'étale davantage , encore quand les deux joueurs font de la vie quotidienne elle-même une suite de petits moments, fixés sur les morceaux de gazettes périmées avec lesquels la crémière enveloppe

charitablement leurs œufs. n n'y Il pas jusqu'à un bandit qui ne traverse le livre en semant des bouts de 'papiers insolents et ésotériques pour les policiers à sa poursuite •.. Ainsi, à la mémoire claire, aux appels précis d'un présent exigeant, se substitue une vision rythmée, écourtée, fallacieuse d'un monde qui ne « colle » plus vraiment à l'autre. Le symbole ne laisse guère de doute et ce retrait, qui est le fait du grand âge, permet des retours sur soi, une « redécouverte » de choses jamais sues, jamais vues, un regard oblique sur une réalité qui prend la dimension exacte et facétieuse de la curiosité humaine. Dès lors la mémoire des deux vieillards n'est plus qu'un alibi: grapillant parmi ces bristols colorés et griffonnés, ils « vivent » plus intensément, prenant de l'univers ambiant ce qui est à leur portée, faisant leurs les instants et les sensations que leur prodiguent des j.mages défaites et surannées, thésaurisant des richesses à demi éteintes, goûtant l'âpre jouissance d'une mémoire rendue à son irréalité véritable. On comprend alors combien leur envol dans l'imaginaire est un séduisant essor, combien leur voyage en pays de rêve leur ouvre les portes sur l'infinitude des songes et des passions. Certes on conçoit assez ce que leur plaisir possède de trouble jouissance, d'appels profus venus

Daniel Boulanger

d'un « en-deçà » d'une vie telle qu'ils la connaissent! à présent superbement. Les deux compagnons, si. 'vieux soient-ils, sont des êtres de chair et de sexe qui découvrent au maniement des cartes anciennes certains émois violents qu'ils réfrènent par pudeur et par une sorte de discipline. n y a chez eux une complicité dans la prudence, une juste mesure des événements de l'âme et quelque coquetterie ,humaine parfois fort drôle - à se racheter, mieux à se ranimer au regard de l'autre et de l'immensité des âges engloutis derrière eux. La nacelle est un livre éblouissant: retenu et prodigue, sévère et fastueux, autoritaire et aventureux, il nous enchante de toute la fiè~re qui l'anime. Cependant c'est la qualité, l'épaisseur d'un certain silence qui fait le prix d'une œuvre aussi « parlante ». Point de dissertation sur la mort prochaine, mais un muet afflux de sentiment, une réserve empreinte de respect et de douceur. Au vrai, Daniel Boulanger ne nous offre pas une « histoire » au sens usuel, mais une « pré-histoire », celle-là même qu'élabore l'écrivain dans le mur de sa pensée créatrice. C'est à nous de recevoir une communication passionnante, d'observer l'élan d'un ' esprit conquérant et appliqué, de lire et d'écouter. Car, ainsi que l'a écrit Jean Cayrol, on vous parle ..•

R.L.

Un poème violent Béatrix Beck Cou coupé court toujours Gallimard éd. 112 p.

neuve, acide comme ses petites Béatrix Beek filles, virulente comme les maladies d'enfant, qui emprunte beaucoup à Cocteau, à Queneau, sans ~ien perdre de son élan propre, de sa puisconteuse et En 1952 Béatrix Beck obtenait sance originale, le prix Goncourt pour Léon Morin, dramatique. Le titre - insolite - nous inprêtre. L'année suivante elle publiait ses Contes à l'enfant né troduit d'abord dans le domaine du coiffé. Entre le drame d'êtres soli- conte, du rêve et de la fantaisie. taires, murés dans leurs âmes, et Alors tout devient ' possible: les ces merveilleuses féeries où se dé~ bribes de catéchisme, disparates et ploie la fantaisie la plus chatoyante inquiétantes, les bouts - rimés des et la plus sage, .le fossé n'est pas comptines, les slogans cousus-dési grand. Béatrix Beck sait . conju- cousus de la publicité, les énoncés guer la dureté d'une réalité exi- de problèmes fabuleux sur des geante, voire cruelle, et la fantaisie robinets qui débitent, des locomoambiguë du rêve. Ainsi Cou coupé tives qui se rencontrent, des ares court , toujours s'offre comme un et des hectares qui se superpo!!Cnt, drame fantasque, prouesse de 'viva- s'additionnent ou se décomptent, cité à l'intérieur d'un cadre concis, tout ce fantastique écolier alimente petit chef-d'œuvre de malignité, de l'univers discordant et saugrenu de fillettes, à demi orphelines d'un tendresse et d'invention. En cent pages Béatrix Beck fait monde réel et inconnu, qui n'ont feu de tout bois - buis béni ou pas firii d'interroger les mots: Pourquoi on dit comme ça ? « bois de justice » - , désoSse ses phrases comme autant de cadavres, - Pour dire. blasphème et psalmodie, nous en- - A quoi ça sert, d'écrire des chante de trois ou quatre mini- choses ? contes, nous enlève dans un « mini- --: A rien, mais il faut. n le faut, en effet, et c'est le land » pour gamines délurées qui' tutoient la mort comme leur copine drame~ entendù cOmme une lutte à la marelle, joue de la facétie, des sans répit pour Wi:e c;raquer tout gros ~ots, d'une invention toujours ce qui enserre el" séduit~ le cadre ' La Quinzaine littéraire, rr au 15 8epIembl'fl 1967.

de mer et de port, le père esseulé et magnifié, la voisine octo ou nonagénaire qui fait aller tous les mots par deux pour mieux les pousser à l'action, les porter hors du déjà dit, il faut griffer les choses, les gratter jusqu'à l'os pour s'assurer, par la seule force des mots récurés, un peu de présence vraie au monde. Conte? Drame? Le roman n'estil pas plutôt un poème violent et conquérant, une gageure, une tentative ordonnée et truculente de faire place à la vie ? « Les morts c'est plus des gens » déclare l'une de ces petites filles « sur le ton de l'évidence ' ». Et les mots, sontils encore des mots ou des petits bouts de rien lancés en tourbillon dans l'espace vertigineux des significations trompeuses? Le seul critère - on le sait - est l'œuvre achevée de l'écrivain qui n'est point trop -dupe de son matériel épars. Béatrix Beck nous en off;re ici une démonstration enthousiaste, très savoureuse, débordante et ironique. A la, veille de la rentrée des enfants et des livres, cette bolée d'eau de mer, salée, iodée et vivifiante, nous débarbQuille l'âme •••


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PRE publie un numéro double AOUT-5EPTEMBRE Textes de

PIERRE SCHNEIDER : Au Louvre avec Steinberg GEORGES LE BRETON -: Auden W. H. AUDEN: Le chien du Prince MARY McCARTHY : Les deux guerres du Vietnam JEAN BLOT : Un inédit de Gontcharov PATRICK WALDBERG Giorgio De Chirico, arcades et fantômes CLAUDE ESTEBAN: La saison dévastée (poème) EMMANUEL BERL : Comment meurt la paix LEO SAUVAGE: William Manchester, un auteur « engagé )) ANDRE THIERY : Le révisionnisme européen JEAN BLOCH·MICHEL : Lettre de Lisbonne Une dictature oubliée FRANÇOIS BONDY : Les Grecs humiliés JEAN·JACQUES FAUST : Le héros du monde arabe, aujourd'hui

Illustrations de STEINBERG L. numéro ·de '44 fHI'es: 7,50 F PMUVE.S: "GYenue de "Opéra Paris ,. E.n.,01 ,racieux sur demande j d'un ancien numéro, spécimen.

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Le dernier livre d'Isaac Deutscher

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Isaac Deutscher

C'est presque un testament politique qu'a publié Isaac Deuts('her, quelques jours avant sa mort subite, survenue à Rome au cours des Vacanccs que l'historien anglo-polonais p'lssait en Italic. Il était âgé de soixante ans. , Il venait en effet de réunir une série -de conférences sous le titre The Unfi. nished Revolution (Oxford University Press) . Il y retrace l'histoire de la révolution au cours de ces cinquante dernières années. Isaac Deutscher, non con· tent d'étayer plus fermement encore sa théorie de la révolution l'éclaire en pro· jetant une lumière nouvelle sur la riva· lité sino-soviétique. Selon lui, la .révolution russe combinait les éléments d'une revolution hourgeoise celle des paysans individualistes et d'une révolution authentiquement prolétarienne celle :les ouvriers. Or, contrairement (1 la thp.se cou· rante, Deutscher soutient que c'est la première qui est venue il bout de la seconde - l'élite du mouvement ouvrier ayant été décimée par la guerre ,'ivile et les famines des années 20, alors que la paysannerie maintenait sa preilsion malgré les purges et les perséc~tions. Confrontée à cette situation, la bureaucratie communiste devait mettre en place un appareil qui n'avait de prolétarien que le nom pour pratiquer, <;Qus la dictature de Staline, la politique nationaliste traditionnelle de la Russie. C'est à partir dé là que Deutscher étu.die l'attitude de l'U.R.S.S. face aux communistes chinois qu'elle abandOlme au profit d'un Kuo-Min-Tang hostile à la révolution agraire, pour en venir à l'anéantissement des meilleurs éléments révolutionnaires chinois qui disparaissent dans l'échec de la Commune de Shanghai, exactement comme avaient disparu les meilleurs éléments révolutionnaires russes quelques années auparavant. Le tout, selon Deutscher, n'était rien d'autre que le reflet de la volonté soviétique de rratiquer la coexistence pacifique dont

l'U.R.S.S, avait alors hesoin et de convaincre le monde de l'inanité des tlraintes que pouvaient susciter les, thèses trotskystes relatives à la diffusion de la révolution à l'étranger. On voit comment l'auteur prétend apporter une dimension nouvelle à la querelle entre Moscou et Pékin, autour de la coexistence pacifique. Dès lors aussi, il est aisé de voir se dessiner le parallèle entre Mao et Staline, dans un contexte à peu près semhlahle, et le heurt entre la Chine et l'U.R.S.S., puissances nationalistes vouées à opposer entre elles leurs nationalismes rivaux. Champion, désormais, de ce nouveau nationalisme, Mao, Ct.mme Staline I!yant lui, se serait proclamé le garant et le représentant d'un prolétariat qui, en fait, avait été dépouillé déjà de sa force agissante comme de ses éléments les plus efficaces. Selon Deutscher, les troubles qui secouent la Chine et, à un moindr~ degré, l'U.R .S.S. depuis quelques années marqueraient la résurgence d'équipes authentiquement prolétariennes, appelées par l'Histoire à reprendre le pouvoir dont elles avaient été dessaisies. Mais la contradiction entre le~ deux aspects de la révolution - hourgeois et prolétarien - reste eneore sans soluticn. Ainsi, Deutscher apparaît jusqu'au bout comme le théoricien marxiste le plus rigoureux parmi tous ceux qui ont jeté un regard lucide sur le proeessus révolutionnaire des cinquante dernières années. Il demeure, par cela même, fidHe aux convictions qui l'avaient fait ·~xclure du Parti communiste en 1932 et qui éclatent dans sa monumentale trilogie sur Trotsky, Avant sa mort, Deutscher préparait un Lénine. II faut espérer qu'il a réussi à avancer ee travail, ce qui nous permettrait de disposer des trois grandes hiographies de Deutscher sur les trois fondateurs de l'U.R.S.S.

• O.R.T.F.

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Emissions littéraires

France-Culture fait figurer dans ses • projets de programme pour la première • quinzaine de septembre: • Dimanche 3 septembre, 14 h. 10: • Strindberg: .. La danse de mort -. Mercredi 6 septembre, 13 h_ 40: • Villiers de L'Isle Adam: • Tribulat • Bonhomet héros positiviste -. Mercredi 6 septembre, 22 h.: Dylan • Thomas : • the Horse's Ha-. Vendredi 8 septembre, 20 h.: Frie• drich Dürrenmatt: • le Double -. • Samedi 9 septembre, 13 th 40: Ju• lien Green: • la Passion d'Adrienne • Mesurat -. • Dimanche 10 septembre, 14 h_ 10: • Garcia Lorca: • Retable de Don Cris• tobal -, • Amours de Perlimplin-. • Lundi 11 septembre, 21 h_ 40: Ar• thur AdMIov: • la Politique des res• tes -_

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Jeudi 14 septembre, 14 h.: présentation de « Don Juan aux enfers - de Bernard Shaw et • le Diable et le bon Dieu • de Sartre. Le dimanche à 21 h., « Théâtre à la carte -, une émission de Pierre Peyrou, programme établi avec la participation des auditeurs. Tous les matins, sauf le dimanche, .à 9 h. 5, lecture du roman de Maurice , Genevoix: • Fatou Sisse -, par l'auteur. Le mercredi, à 8 h., heure de la culture française: • La pensée et l'œuvre de Gaston Bachelard - et • Nietzsche -, Le samedi à 22 h. 45: Le poète inconnu. Télévision, première chaine: Lundi 4 à 22 h. 25: Albert Camus. Lundl .11 il 22 h. 25: Shelley.


PUB LICITa

Une histoire de la publicité Philippe Sehuwer Histoire de la publicité Coll. « Découverte de la science » Cercle du Bibliophile Un progrès indmtriel - et quel qu'en soit le domaine - commence toujours par exiger tribut, l'industrie devançant l'homme et celui-ci courbant toujours le dos. En terme de mauvais romanesque, cela s'appelle « gagner du temps li. Ainsi quand le capitalisme financier s'empare de la publicité et par elle révolutionne le journalisme et tous les moyens d'imprégnatian massive qui en découlent, 'p ersonne n'eSt en mesure de juger jmqu'à quel degré la publicité va envahir la ' vie d'un monde encore confiné dans ses différentes « localités », jmqu'à quel degré d'impénitence cette publicité va déborder les possibilités de réflexion de ceux qu'elle va investir. Le temps de latence sera long. On peut dire que seuls les typographes en garderont la tête froide et seront capables de dresser des synthêses, partielles certes, mais qui seront autant d'échelons où rattraper peu à peu le terrain perdu. Depuis la dernière guerre, nombre d'études s'essaient à corriger cette déficience, cette carence des analystes qui, ne manquant pas de s'atteler à . de très variées tâches à utilisation sociale, n'en ignoraient pas moins délibérément l'immense domaine des industries publicitaires (publicités imprimées, parlées, projetées, en films, en rubans de néon, télévisées, affiches, abstractions, signalisations etc.) Curiemement, c'est peut-être à la rencontre des recherches typographiques, des recherches purement littéraires (lettrisme, spatia. lisme et autres) et des recherches des grands publicitaires que nous devons de voir depuis quelque temps fleurir en .masse d'étranges livres qui, sans tendre encore à analyser ou à démystifier, dressent autant de bilans visuels qu'il y a de catégories d'investissements visuels ou sonores. Mais pour traiter pareille matière il fallait encore préciser limitès et jalons de l'entreprise, quitte aussi, à certains moments, au début par exemple, à en jmtifier l'urgence et la clarté. Et cela a même valeur pour les non spécialistes puisqu'un tel domaine est évidemment amsi familier à l'inventeur qu'au consommateur: celui qui trace le signal et celui-qti en reçoit le message, mêmes terrains, mêmes batteries. A ce niveau moderne, le livre que vient de publier Philippe Schuwer, répond à un impératif commercial (celui qu'impose une collection stricte et à très grande diffusion) en même temps qu'à une demande nécessairement très étalée, mais conjointe, d'avoir enfin un travail continuellement à renouveler dans ses exemples (les modes de publicité passent aussi vite que ceux du vêtement, sinon plm ' vite, car ·il n'y a que La Quinzaine littéraire, 1"

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l'œil pour les mer ; et quand celui~ ci veut bien s'eit donner la peine, ça peut aller très vite) et un travail de base, documenté, .clair. Sehuwer sait de quoi il parle, en , technicien venu aux industries du livre par une injonction d'écrivain. Ingénieurs du discQurs bien établi et profs mal vil!Sés n'entrent point ici, champ clos (malheureusement souvent pour les écrivains qui devraient bien y apporter régulièrement leur réflexion) pour dignitaires (c'est-à-dire ouvriers) de la typo, de la reliure, de la circulaire, de l'affiche ou du sigle. Tout était chez lui fait de réunion: par la discipline que seuls les philosophes consentent ·aux poètes (deux divinités nées du même chef), Schuwer s'empêche de n'attribuer l'événement publicitaire qu'à un seul ordre de sollicitation massive. Il est graphiste comme on est chaudronnier: avec une incomparable volonté de cohérence. Et qui dit graphisme dit aussi écriture: donc

dans un esprit de lucre rapide, par sur les slogans de prudence qui des « circuits commerciaux » ? Que jalonnent l'autoroute quand ceuxSchuwer me pàrdonne mon dis- ci sont régulièrement encadrés de cours. Il ne vise qu'à établir l'ac- sollicitations plm parlantes, nymtualité de tout ce qui touche à la phes rosées du coca-cola ou bmtes publicité. cambrés des marques de lingerie? En cela il fait bien, dès son en- Schuwer ne pose ,pas trop de questrée en matière, de définir la publi- tions. Quelques-unes dè ce genre cité comme étant d'abord l'ensem- . au début et à la fin de l'ouvrage, ble des moyens mis en œuvre par quelques indications de préoccupaune fraction de société pour vanter tions sociales, en cours de route~ quelque chose de vérifiable. Et il L'immense domaine de la publicité, fallait surtout le dire par opposition trep vite, conduit vers l'encombreau principe de propagande qui veut ment et la surenchère demande à que ce qu'elle vante ne soit pas être contrôlée presque scientifique~ vérifiable parce que ce quelque ment: S'interroger sur l'avenir de chose n'appartient pas en propre à la liberté, c'est établir une' liaison la foule. Pour tout le reste, publi- avec MJn activité présente: la recité et propagande se confondent: cherche et la mesure de l'efficacité un seul but et des moyens illimités. , reposeronf de plus en plus sur la Le but: l'investissement de la recherche fondamentale. La psychosociété pour la conduire à une physiologie, l'étude des comporteaction déterminée. Les moyens : ments individuels et collectifs, les audio-visuels avant tout. Cela com- mutations économiques et leur inmence avec l'enseignè phallique terprétatian par les ' méthodes staau-dessm d'une maison de passe tistiques grâce aux ordinateurs romaine et cela finit avec le lavage utilisant au maximum leur « mé-

Une Tue de Las Vegas.

Schuwer est correspondant des meilleures revues d'art graphique en même temps qu'il enseigne les techniques et l'économie graphiques dans les centres spécialisés. Son passé appartient aux services de fabrication des P.U.F. et de Fernand Nathan. Enfin, résolu plus que tout à la cré!ltion de formes nouvelles, il a choisi d'êlI:e directeur technique aux éditions Tchou. Il écrit sur le maniériste Steinberg comme sur les limites de la lisibilité. C'est dire qu'avant tout c'est à la lettre qu'il s'attache. Il faut quelques esprits ordonnés de temps en temps pour mettre un peu de lumière, et ce aimablement, dans les plus cacophoniques confmions. Aujourd'hui tout ce qui se voit, tout ce dont on peut s'imprégner, est automatiquement viable artistiquement, puisque consommable: n'est-il pas évident qu'à un moment donné de ce fumeux après-guerre la · publicité devait devenir art et la reproduction supplanter la représentation: du lettrisme au pop art, ~pectacle de choix du confusionnisme géant qui caractérise les tentatives de diversion inventées,

15 septembre 1967.

0

de cerveau, en passant par les feuilles d'annonce des facteurs qui, à la fin du moyen âge parcouraient les campagnes européennes pour le service des libraires-éditeurs citadins. L'élément discordant - il y en a toujours un c'est qu'il arrive un moment où il faut choisir: trop de facteurs modernes intempestivement se mêlent au plaisir du graphiste qui invente. Des organismes de contrôle, les meilleurs tenants de grandes indmtries, savent que le plus sûr est de conserver intactes les possibilités réceptives dù client. Plus son cerveau est sellicité (et mal sollicité) donc investi, et moins il devient vite réceptif: il s'use. Le publicitaire politique aura plutôt tendance à abuser de la situation: en profiter avant mure. Le publicitaire cominercial recherchera avant tout l'efficacité: une moindre dépense dans un laps de temps moins étendu, et surtout que le matériau humain puisse encore servir. Qu'après avoir acheté de la margarine il ait encore envie d'acheter de la lessive. Autre exemple : comment l'automobiliste américain peut-il fixer son, attention

moire », le développement des techniques assureront à la publicité une incontestable expansion. Le plm grave reste que la viteSile du progrès technique s'irradie jusqu'à tout danger immédiat de violation de la conscience. Détruire d'une balle de fmil ou d'un éclat de bombe un cheptel humain tend à s'avérer beaucoup moins productif que de le détorJ.rner insidieusement: on veut récupérer aussi sa cOllscience. Ici les techniques publicitaires dépassent la volonté du colporteur isolé. La défense humaine doit inévitablement craquer puisqu'un autre homme a étudié scientifiquement les moyens de l'effondrer. Il vaut mieux essayer de croire encore que cette aliénation du libre arbitre est du domaine du roman policier d'anticipation et que les techniques de projëction subliminales ne hantent que les machines à écrire des journalistes à sensation en mal de gros tirages. Le juste milieu de l'amateur doit pouvoir se situer entre cette folie mégalomaniaque et la douceur consternante du collectionneur d'étiquettes ·de camembert. Denis Roche 15


ART

, De l'Inde a la Corée

Bouddha,

XIIIe

siècle.

Sherman E. Lee L'Art oriental 656 ill. hélio noir 60 ill. offset couleurs Cartes. tableaux, biblio., index Relié. Sequoia éd. 530 p. Chewon et W ong Y ong Kim La Corée 101 ill. hélio noir 24 ill. couleurs Cartes, tableaux, chrono. Relié Bibl. des Arts éd., 290 p. Longtemps réservées à de rares amateurs, les publications concernant l'art oriental connaissent sou~ain un essor impressionnant. Après une série de Skira consacrée à la Peinture en Asie (Chine, Japon, Perse, Asie centrale ainsi que la révélation que fut la Peinture arabe) de ' , grands livres voient le jour, laissant loin derrière eux tout ce qui a été fait, jusqu'ici, en ce domaine. Pour tous ceux qu'un monde artistique aussi vaste et aussi complexe intimide, un ouvrage américain quasi exhaustif fournira le guide idéal et une somme de précisions diverses sans doute inimaginable sous un moindre volume. L'ambition de cet art oriental est, en effet, de proposer une introduction à la création asiatique en comparant systématiquement toutes les formes d'art dans leurs mutations successives et d'un pays à l'autre. L'originalité de l'entreprise ( en la matière) consiste donc à avoir, autant que possible, effacé les frontières pour s'être intéressé plutôt aux migrations stylistiques et aux successives « zones » où telle religion imposait sa façon de voir et donc de représenter. Avant même d'étudier les bronzes chinois, la p0terie T'ang ou la sculpture bouddhique indienne, l'auteur se consacre à définir leur importance par rapport à l'Asie toute entière, préoccupée, à la même date, par des problèmes parfois très voisins auxquels chaque pays donnera sa réponse particulière. Vie des formes, donc vie des idées : « Leur ~e, leurs rapports, le sens 16

qu'elles ont pour nous et qu'elles ont eù pour leurs créateurs : telles sont les · questions que cet exposé général tend à élucider. » Se contentant de cette vaste toile de fond historique, l'auteur précise que « dans de nombreux cas, le sujet, lorsqu'il était trop ésotérique, a été négligé ou ignoré. En revanche l'accent est mis sur les questions de style, d'organisation plastique, de tonalité ou de comparaison esthétique ». A cet héritage imprévu des mé!hodes de Focillon s'ajoute une étude très opportune des matières utilisées et des tournures, voire des spécialisations qu'ils supposent: les Indiens sont plutôt maîtres en sculpture, mais leur architecture est secondaire, alors qu'elle est du plus haut intérêt au Japon; la céramique chinoise éclipse totalement l'indienne et n'a d'équivalent que sur l'ère d'influence nippone, etc. Ce faisant, l'auteur négligera ce qu'il juge secondaire (il le cite) pour

passer d'un ~oment majeur à un autre. n nous propose ainsi un guide précieux de l'essentiel que chacun, au fur et à mesure de ses découvertes personnelles, pourra compléter. Regretter, par exemple, le silence fait sur l'art mogol (l'auteur avoue n'y rien connaître) orientera sur d'autres livres. Silence, de même, sur l'art des steppesl et aussi sur l'art javanais, mais ceuxci relèvent de traditions sans doute trop marginales. Exclusion, elÛm, de l'art « moderne » (depuis le XVIIIe siècle) car il est évident qu'il répond à des impératifs esthétiques tout différents. La complexité d'aspects de l'art oriental mène déjà à un livre passablement copieux {et qu'une bibliographie gigantesque prolonge). Copieux et passionnant, car le regroupage suggestif auquel se livre l'auteur (servi par une illustration abondante éclaire singulièrement les constantes profondes d'arts

Miniature hindoue,

XVIII'

siècle.

aussi anciens que différents. D'un bout à l'autre de cet ouvrage s'opposent ou se répondent ainsi des motifs plastiques qui nous seront bien· tôt tout aussi familiers que ceux de la Renaissance ou du Baroque. Sensibilisés, dès lors, à ce qui sera la différence, nous n'en serons que plus vite éclairés sur ce qui constitue l'essentiel d'une caractéristique locale ou temporaire. Ainsi ce livre décante et restitue à la fois le formidable pullullement de l'art asiatique, du plus savamment fruste au plus candidement subtil, de l'inextricable à l'allusif. Il comble et il rassure étant bien plus complet qu'on pourrait le croire, d'après une vue superficielle. C'est ainsi que le sommaire semble oublier la Corée, mais nous la retrouvons de-ci de-là, en bonne et due place. Cette considération relative n'avait d'ailleurs rien de tragique car, simultanément, nous parvient un ouvrage superbe tout entier consacré à la Corée et à ses « 2000 ans de création artistique ». Il émane d'un éditeur qui s'est fait remarquer par une série consacrée aux arts chinois. Essentiellement destiné aux col. lectionneurs et aux amateurs, ce volume sacrifie délibérément l'architecture et les arts graphiques (dont les productions sont devenues rarissimesf. Un historique succinct les met au moins en place, après quoi les auteurs étudient méthodiquement (mais avec moins d'audace que leur confrère améric~) les éléments essentiels de la création coréenne: la céramique ( décors très personnels), la sculpture (bouddhique), l'orfèvrerie, les bronzes (ornements, cloches) et les laques. Un tableau chronologique donne plus de clarté encore aux articulations historiques tandis qu'une section très illustrée intitulée « catalogue » propose le répertoire fondamentale des formes et des styles. Marcel M arnat 1. Le même éditeur (Sequoia) vient de publier un passionnant livre de poche sur ce sujet encore mal connu en France: E.D. Phillips les Nomades de la steppe, collection « Pre:D:üères Civilisations ». 2. On trouvera l'étude, par le même auteur, dans un volume de la coll. « L'art dans le Monde » intitulé Bjrmanie, Corée, Thibet, Albin Michel éd.


Les naïfs Anatole Jakovsky Peintres naïfs. Lexique des peintres miifs du monde entier Basilius Press, 400 p.

Le succès, ou mieux, la reconnaissance publique de l'art brut cher à Jean Dubuffet ne saurait nous amener à négliger une autre forme d'art moins surprenante au premier regard mais, elle aussi, le fait d'autodidactes, celle des peintres qu'on nomme du dimanche, -les naïfs. Du reste, plusieurs manifestations récentes! d'assez nombreuses brochures sont là pour témoigner de l'in:térêt que désormais l'on .porte, l'on doit porter à toute œuvre échappant aux normes apprises, révélant surtout non seulement des formes charmantes ou surprenantes, mais un état d'esprit - naïf, candide, ingénu, comme on voudra - qu'il serait bon de définir enfin. Le grand mérite du Lexique d'Anatole Jakovsky, c'est d'abord de nous proposer un très vaste panorama de trois cents créateurs, documentation capitale, car elle mliltipHe les perspectives de notre curiosité en renouvelant l'iconographiz. On peut sans doute reprocher au principe de ce livre de ne pas mettre en reHef suffisamment certainef œuvres, plus riches, plus variées, de situer au même niveau, par exemple, le débutant gauche qui se contente de copier des cartes postales et un Caillaud qui, lui, invente et dont la technique n'a rien d'hésitant. Aussi bien le propos de Jakovsky n 'est-il pas celui d'un critique, classant les œuvres sui,'ant leurs origines, leurs affinités, les échos qu'elles suscitent en nous. Le temps est révolu où les tabl~aux d'Henri Rousseau attiraient les quolibets des visiteurs au Salon des Indépendants, où CourteHne appelait sa collection « Musée des Horreurs ». Quelles sont les raisons d'un tel changement ? On a souvent remarqué que l'avènement d'un peintre comme Rousseau coïncide avec la décadence de l'art classique, ou plutôt académique, et la naissance d'un art nouveau qui progressivement s'affranchit de la contrainte de représenter : or c'est bi~n au Salon des Indépendants que Rousseau et de rares émules ont pu exposer, et ce sont les peintres et les poètes d'avant-garde, Jarry, Apollinaire, Picasso, Delaunay, Kandinsky puis les surréalistes, qui accordèrent à Rousseau, à quelques autres dans sa lumière, leur place véritable. Jakovsky rappelle justement cette déclaration que lui fit Kandinsky : « le ne vois pour l'avenir que l'art abstrait ou la peinture naïve » (on la retrouvera dans Du spirituel dans l'art). Oui, l'espace nouveau conquis par les abstraits, les domaines . intérieurs explorés tour à tour par les expressiomtistes et les surréalistes nous ont permis de ne plus trouver gauches et incongrues, ridicules, la technique ou

la vision des naïfs (et d'ailleurs, des autodidactes en généraF). Si leur création n'a point vraiment contribué à libérer l'art ni à l'orienter, . elle prend place néamnoins dans le vast", contexte des recherches propres à notre époque. D'autant que ces peintres naïfs, partout où ils se manifestent - telle est leur seconde justification historique - poursuivent, mais individuellement, l'effort collectif des traditions populaires. En France, dans la deuxième moitié du siècle dernier, à Haïti récemment ou en Yougoslavie, les naïfs n'apparaissent que si le folklore est mort, à tout le moins en voie d'extinction, si bien que suivant les pays, ils restent plus ou moins proches de ce fonds . ancien. Ain~i le peintre anonyme d'ex-votos ou de portraits, l'imagier de jadis, tous deux venus du peuple et tra· vaillant pour lui, sont-ils remplacés par ces isolés, naguère incompris, dont l'existence souvent très dure n'est point parvenue à éteindre le besoin d'une certaine beauté. Archaïsme et modernité définissent ensemble la situation de l'art naïf, tant du point de vue historique que de celui de la technique et de la vision. Certes, on s'est complu longtemps à relever les fameuses erreurs de représentation - ces perspectives impossibles, ces per-

celle des miniaturistes, avec laquelle ces détails sont mis en valeur. On parle alors de réalisme. C'est aller trop vite. A quelques exceptions près - un Rabuzin, un Skurjeni, autrefois Séraphine et Hirshfield, qui en toute liberté imaginent, et que les surréalistes ont légitimement revendiqués - l'ouvrage de J akovsky ne propose, en effet, que des œuvres inspirées par le réel, du moins visant à donner un équivalent aussi exact que possible d'un paysage ou d'un personnage que le peintre a sous les yeux ou dont il se souvient ou, plus souvent encore, qu'il voit déjà reproduit ... Mais le choix des sujets trahit une dilection constante pour le spectacle, celui de la rue comme celui de la fêt~. Quant à la nature champêtre, idyllique, ce n'est pas d'un chromo qu'il s'agit, mais bien d'un lieu de révélation, entre tous élu, où peuvent apparaître les créatures du Paradis terrestre. Point de réalisme photographique : le tableau naïf est le résultat d'un travail animé par l'amour, il exprime une vision qui sublime, qui sait d'une gare ou d'une pauvre kermeSSé tirer l'image essentielle et, sensible, vraie selon la vérité intime, poétique. Cette image, bien qu'elle se rattache à certaines manière" communes de voir et de re-

tion une candeur essentielle, cette « impeccable naïveté » dont par~ lait Baudelaire, illuminant le regard, unifiant la vue et la vision, conférant à la main son infaillible slÎreté. La frontière est loin d'être précise entre le brut et le naïf: Jakovsky inclut dans son Lexique Joseph Crépin et Scottie Wilson, je verrais bien Bois-Vivès et Domingo parmi les collections de Du· buffet. Mais Jakovsky choisit la santé, qu'il paraît confondre avec le réalisme. Certes, les naïfs authentiques (s'il faut être rigoureux) n'oublient pas le réel quotidien, ils le métamorphosent : nul délire, aucune rupture. La défense de peintres naïfs ne saurait être pourtant la condamnation d'autres conceptions, d'autres domaines de l'art. Bien plus, Jakovsky va jusqu'à penser que les naïfs, par leur attache· ment au réel, nous sauveront d'une peinture abstraite, décadente. Dès lors - Pierre Restany, cité dans la préface de Jakovsky, voulait naguère le prouver - notre choix serait simple: le pop (le nouveau réalisme) et les naïfs, ou la sclérose ... Pure polémique. L'art naïf, sa naïveté justement, réside en cette nostalgie d'un éden, en cette force du songe et de l'amour, qu'aucun peintre présenté par Restany n'a

présenter, s'avère personnelle, et l'on ne saurait la confondre avec celle du folklore, fixée, pour ne pas dire stéréotypée. Ancienne et neuve par certains de ses aspects formels, elle l'est aussi dans la mesure où elle traduit les désirs et les mythes de toute un€' catégorie d 'hommes et de femmes - en général déclassés ou d'humble origine - qui, du monde contemporain, ne nous livrent que de Riches Heures hors du temps, à la fois semblables et variée~ : elles changent suivant les générations, les professions, les continents. Elles se ressemblent puisqu'elles supposent sans excep-

jamais montrées. D'ailleurs, si la reconnaissance de l'art naïf est chose assurée désormais, je crains pour son avenir : on le traque, il rapporte, il appartient au circuit commercial. Et la puissance de diffusion de la culture est telle aujourd'hui qu'elle aura tôt fait de réduire le monde des naïfs à quelques îles, ici et là préservées par miracle. Pierre Dhainaut

1ean Guiraud: le Paradis terrestre.

sonnages sans proportions exactes, etc. - qui caractérisent ces peintres qui, pour la plupart, n'ont suivi aucun enseignement et qui, seuls devant leur feuille ou leur toile, doivent tout découvrir. Ces erreurs ne nous choquent pas (car nous ne sommes plUs prisonniers de l'espace classique) : elles ne sont pas volontaires et ne' caractérisent pas un style. Jakovsky nous montre d'ailleurs des œuvres dont la technique est maîtrisée, parfaitement adaptée au propos. De même, on a voulu définir le style naïf par l'abondance des détails et la minutie, la patiente minutie toute artisanale et proche de

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 septembre 1967.

1. II convient de citer la première Trien· nale d'art naïf qui s'est tenue, l'an der· nier, à Bratislava : le catalogue de l'exposition et les actes du colloque sont des documents importants. 2, .Cet aspect ne saurait servir de critère absolu pour classer les œuvres en marge.

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DOSSIER

«Pouvoir fleuri» Dosmr LSD Mandala sous la direction de Pierre Bernard Le· Soleil Noir éd., 128 p.

difficulté aujourd'hui semble double ? Pratique d'abord, puisque depuis le classement des «hallucinogènes» (LSD 25, psylocibine, mescaline ... ) au tableau B du Code pénal --- qui en confond l'usage avec celui des stupéfÏl~nts et rend légales les poursuites policières - , la menace d'une arrestation peut compromettre les chances de l'expérience; théorique ensuite, puisque aussi bien, la plupart des auteurs de ce dossier, de Jean-Jacques Lebel à Timothy Leary, de Gérard Rutten à Ida Lewis, ne cessent d'insister sur ce qu'ils nomment la difficulté sémantique centrale qui n'est autre que l'impossibilité d'appréhender l'expérience donc de la commenter - d'un point de vue extérieur à cette expérience même? Mais l'expérience des hallucinogènes n'est-elle pas semblable en ce point à l'eXpérience mystique dont Maurice Blanchot a pu dire que ce qu'elle signi-fie « on ne peut que l'égarer en l'interprétant », mais dont il est aussitôt · évident que nous ne pouvons néanmoins notas en approcher, en forcer l'accès qu'à la faveur de cette interprétation qui se dénonce elle-même ?

L'intérêt pour les « hallucinogènes » ne cesse donc de crOître. Mais trop de malentendus se lient à cet mtérêt -pour que le profane, celui qui s'efforce de saisir les choses du dehors, sache où porter son attention et fixer exactement ce qu'il lui faut entendre dans ce tissu de récits enchevêtrés. Du moins, peut-il aujourd'hui - grâce à des initiatives comme celle de Pierre Bernard et de François Di Dio qui ont dirigé et publié ce Dossier LSD - commencer à opérer le partage entre l'exploitation de ces expériences par une certaine presse qui ne s'embarrasse, à son habitude, d'aucune précaution de pensée, ni d'aucune discrétion eiploitation qui semble orchestrée avec la répression brutale et impavide d'une police qui a tôt fait de classer les « hallucinogènes » au rang de drogues et d'évoquer ainsi un «problème des stupéfiants» et la recherche obstinée, libre, tâtonnante mais confuse encore de ces ( scandaleux hérétiques de la Saisissons donc l'ensemble des sensation », qui, à la suite de Mi• textes réunis dans ce cahier - dont chaux, ont choisi d'expérimenter un la fonction de dénonciation est déchamp inconnu de la sensibilité, une aire inédite de vision et peut- cisive: dénonciation de la campagne policière; dénonciation de être de vie. l'usage militaire des hallucinogènes, sous le couvert du top secret, en vue de ce que certains états-majors Changer la vie nomment « la guerre enchantée » ; dénonciation de la campagne de presse organisée autour des « scanQue faire, pour qui se situe d'en- dales » de la drogue, notamment trée de jeu au-dehors de l'expé- dans un certain Crapouillot de rience, mais animé : par le double triste mémoire - saisissons donc désir de la réfléchir au-delà de l'ensemble de ces textes sur quell'engouement béat d'une part, qui ques faits où ils s'accordent, pardissimule un retour à l'idéalisme delà la singularité dès expériences. et au spiritualisme les plus vulgaires, au-delà de l'offensive poli« Les drogues nous ennuient cière, d'autre part, dont l'aveugle- avec leur paradis. Qu/elles nous ment est confondant - qu'on lise donnent plutôt un peu de savoir. » pour s'en convaincre le procès-ver- Cette phrase de Michaux, dans bal des déclarations de l'ancien pré- Connaissance par les Gouffres, infet de Police, M. Papon, reproduit dique nettement une perspective dans le Dossier LSD. Que faire dans laquelle chacun des textes de pour entendre, sans pratique, ce dossier vient s'aligner; il ne une expérience dont le moindre s'agit pas de trouver l'évasion, de intérêt n'est certes pas qu'elle ex~ , recréer un espace divin à l'endroit èède, de toutes parts, les limites du Dieu mort (mais peut-être estoù on voudrait l'enfermer (et avec ce, secrètement, la tentation de l'un elle, ses adeptes) -soit en la ré- ou l'autre), mais d'augmenter le duisant à une attitude « artistique D champ perceptif, d'accroître la (Baudelaire, Thomas de Quincey, conn~nce que nous prenons de Michaux), soit en en restreignant notre corps et de notre esprit cu, l'usage à la recherche « biologique » pour -reprendre une autre réflexion (Roger Heim, Jeim Delay, Gordon de Michaux, « dans le vaste orgaWasson), soit en l'enfermant dans nisme qu'est un corps humain toule cadre de « l'ésotérisme » (Rou- jours reste une zone qui veille, qui hier, Artaud, René _ de Solier)? recueille, . qui amasse, q....i a appris, (Chaque . chercheur ménage, _ au qui sait maintenant, qui sait autrecont:J::aire, une _ouverture sur la ment lI. Ce qui est en jeu, comme totalité de « la vie D, et, chaque le déclare Jean-Jacques Lebel en e~rience , fait corps avec le désir citant André Br~ton, e'est « le foncgœthéen, rimbaldien de « chaDgér tionnement réel de la pemée lI. la vie » en augmentant le pouvoir L 'expérience psychédélique offre, des sens, _en développant la foree en ce sens, un intérêt supérieur à d'éveil). Que faire donc, pour ce la drogue car elle ne crée aucune leetem profane ·aux yeux dllquel la acooutuIpance, car elle-_n'est pas 18

toxique (son usage en psychothérapie, comme le rappelle ici le professeur Solié, est fréquent et fécond), car si elle permet à la conscience de déborder le vase clos de la normalité, elle n'en ferme pas pour autant l'accès à tout jamais, ce qui permet au sujet de mesurer l'écart qui le sépare de lui-même et d'«$viter l'irrémédiable de l'alié~tion qui est le lot et l'enfer de la drogue classique.

«Public solitude» Ce que ménage enfin l'usage des hallucinogènes, c'est la réévaluation de formes de pensée antérieures à l'avènement chrétien ou qui sont demeurées extérieures à celui-ci. C'est ainsi que, comme le note Gary Snyder, aux Etats-Unis « vrai-

ment, l'Indien revient d'une curieuse façon », de sorte qu'il n'est

est public, c'est ainsi que nous nous comportom publiquement.» Ce que Ginsberg résume d'une formule habile: public solitude. TI reste donc à placer, dans sa juste lumière, le pouvoir des hallucinogènes comme suppléments d'une expérience que l'on continue, par commodité de langage, d'appeler « intérieure lI. En quoi les chances de cette expérience se trouvent-elles accrues par le recours aux hallucinogènes et dans quel sens? Ne voit-on pas, au contraire, par ce recours, les chances de l'expérience se rétrécir et se refermer à nouveau dans une idéologie spiritualiste de l'ailleurs, du salut ? Peut-être est-il trop tôt pour y répondre, sans doute le climat actuel de dénonciation et de répression n'est-il guère favorable à une telle réponse, mais il nous semble que c'est de ce côté qu'il faut orienter les questions, que c'est sur

Photographie en forme de mand4la, de Weegee.

plus possible de dire que « l'histoire de l'Amérique est très courte » puisqu'elle inclut dorénavant les « 50.000 années de l'Indien d'Amérique ». Allen Ginsberg annonce, de son côté « une nouvelle Diaspora de Lamas tibétaim initiés » et que (,( des textes tels qùe le Livre des Morts tibétain (Bardo-Thodol) et le Yi King ont trouvé au Kamas des fervents à joues pâles et aux sourcils foncés ». Mais Ce qui se profile ainsi derrière les expériences individuelles, à travers la constitution d'une science nouvelle, l'ethno-botanique, qui modifie ·la carte du monde (comme dit René de Solier), n'est autre que le désir d'un ordre. nouveau: « LSD structuré par d'anciennes disciplines de méditation pour réglementer la communauté », déclare Ginsberg. Ordre fondé sur le principe d'une sincérité que définissait le poète . Charles Oison: « Ce qui eseprivé

ce principe seulement que l'échange peut s'établir entre ceux qui pratiquent et ceux qui demeurent audehors de l'expérience des hallucinogènes. . Aussi bien nous faut-il, à la lecture de ce Dossier, formuler des réserves qui ne -mettent pas en question la sincérit.; de l'expérience, mais le récit qui nous en est fait. Et, de toute évidence, les récits d'expériences réunis dans l'une des sections de ce dossier en constituent la partie défaillante: partagés entre l'imitation rassurante des modèles (celui de Michaux surtout), la recherche d'une écriture de notation'- qui soit lyrique ou « poétique lI, le retour sur des thèmes que l'on peut dire extérieurs au déroulement même de l'expérience, ils autorisent; ils appellent même - par leur souci maladroit « d'art JI le jugement de ceux qui entendent se· limiter à ce plan,


EDITEUR-S

SOCIOLOGIE

De Kafka au Club Méditerranée superficiel, ils provoquent ainsi leur propre condamnation. D'autant que n~apparaissent à cette lumière - sauf chez William Burroughs où nous assistons à une réussite verbale incomparable aucune des particularités de l'expérience elle-même: la mauvaise répétition fausse la voix, elle voile la recherche, elle contraint à une surenchère d'interprétation et au jeu toujours périlleux de l'analogie. Il y a un grand inconvénient à rassembler ainsi, sous une fallacieuse unité archétypique, diverses disciplines spirituelles, à unir ainsi l'Occident et l'Orient par le pont fragile d'une expérience dont il est dit, par ailleurs, que son extrême singularité la rend incommunicable. Une telle conciliation des traditions hétérodoxes est-elle possible ? à quel prix? n'alourdit-elle pas de métaphysique une expérience dont il est trop tôt pour dire où elle se situe et dont la force serait peut-être plus grande si elle consentait, à n'être que contestation d'elle-même, à ne s'ouvrir que sur un revoir incessant à la question ?

Georges Lapassade Groupes, organisations, institutions Gauthier-Villars éd., 316 p.

Depuis sa thèse l'Entrée dans la vie, Georges Lapassade poursuit avec sérieux ses analyses tant au niveau des individus que des groupes et des sociétés globales autour du thème de l'inachèvement. Son dernicr ouvrage reprend cette même problématique à partir du conflit, à l'intérieur des groupes, entre la « bureaucratisation » et la revendication « autogestionnaire » toujours là, explicite ou non. L'individu est pris dans les réseaux des groupes dont il est membre. Ces groupes font eux-mêmes partie de systèmes institutionnels. Alors qu'au niveau du groupe, l'individu a le sentiment de pouvoir agir sur les décisions, au niveau des institutions, dans lesquelles les groupes vont se trouver insérés, il découvre son impuissance. Exclu des différentes sphères de pouvoir, il cesse de participer aux choix essentiels et voit sa vie quotidienne En s'entourant d'une prudence surdéterminée par cette structure conceptuelle, d'une rigueur , et des de séparation. sévères précautions sans quoi les Le psychosociologue laisse au problèmes spirituels ne peuvent philosophe le thème de l'incommuêtre abordés que de manière ina- nicabilité, pour étudier le malheur déquate, elle gagnerait beaucoup ; de la bureaucratisation. Il s'agit de elle forcerait ainsi l'attention de comprendre cette dernière dans un certains de ceux qui, aujourd'hui sens qui déborde l'analyse marxiste, même, la rejettent, excédés qu'ils centrée sur la bureaucratie d'Etat sont par les démonstrations exces- et qui met l'accent sur le système sivement visibles, l'ostentation, la de pouvoir, comme l'analyse wébécomplaisance, le goût de la figure rienne centrée sur la bureaucratie publique dont s'entourent certains administrative et qui met l'accent épigones de la beat generation et sur la fonction de relais. La bureauqui nous semble bien l'inverse de cratisation est le devenir des groucette public solitude proposée par pes qui, par souci d'efficacité et Ginsberg_ De même, une telle ex- de permanence, se donnent des lois, périence ne peut se dissoudre dans des hiérarchies, des services et cette parlerie qui a toujours été le voient lentement triompher en eux lot de l'Occident chrétien en face l'inertie, le poids des appareils, des expériences radicales qui mena- l'anonymat des prises de décisions, çaient l'ordre de ses raisons. l'irresponsabilité générale, le conformisme, le carriérisme. Mais nous avions esquissé un La philosophie classique vivait parallèle lui-même tout rela- dans l'illusion pédagogique : on entif - entre l'expérbnce psychédé- seignait la vérité et les hommes lique et l'expérience mystique. éclairés s'accordaient entre eux. Peut-être pourrions-nous le pro- Substituant aux entités métaphysilonger quelque peu, pour rappeler ques des notions sociologiques, lpl'exploration par les mystiques psychosociologue devrait en tirer rhénans, par exemple, des états un autre type de pratique. E n fait singuliers où la conscience se dé- la chose est beaucoup plus ambiguë. pouille du Moi et de « Dieu » Le psychosociologue intervient à même pour s'abîmer dans les la demande de l'organisation sociale images du Lit, du Ruisseau, du qui sent en elle la nécessité de cerFond. Comme si nous n'avions tains changements et qui fait appel voulu indiquer aux adeptes du à un (( thérapeute ». La communi,« pouvoir fleuri »1 que l'intérêt cation fonctionne mal. Il y a des - où nous nous sommes tenu pour tensions, des résistances. L'unité de les entendre avec celui qui r ,'1:'ganisation est menacée. Le psy~crivait: on ne peut voir que par chosociologue est là, qui va liquider la cécité, connaître que par la nonles blocages. Par la « bonne comconnaissance, comprendre que par munication ') ; le jeu du « climat la déraison. démocratique », il permet la réHenri Rowe adaptation. Mais réadaptation à quoi? N'est-ce pas à un nouvel 1. C'est aux cris de «Flower Power Jt ordre bureaucratique, plus sou-que les participants d'une ~estation, riant, plu:'! douillet, mais tout aussi il Londres à laquelle participait Ginsberg - hiclamèrent la libre dispoei- , aliénant ? Ne passe-t-on pas simplement du monde de Kafka à celui tiOJl des ~~ 1.. QuiaUme litténire, 1·' _ 15 .pternbre 1961

Flammarion

Flammarion annonce une collection des « Gentils membres » du Club « Les classiques de l'Art • publiée Méditerranée ? simultanément dans le monde entier C'est là un avatar que connaît (France, Italie, Angleterre, Allemagne, aussi la psychanalyse freudienne. Etats-Unis, etc.) et qui présente l'amThérapeute ayant à « guérir » un vre complète des plus grands peintres. Premiers volumes à paraître: Jérôme névrosé, le psychanalyste va lui Bosch en septembre, Michel-Ange en faciliter son intégration dans cette octobre, Le Caravage en novembre. , Parmi les membres du comité de société même, source de la névrose. Shaman d'un nouveau genre il rédaction: André Chastel et Jacques pour la France; Douglas Coodonne à son patient le langage Thuiller per et David Talbot Rice pour l'Anglegrâce à quoi celui-ci peut « nom- terre; Bruno Molajoli et Carlo L. Rag· mer » sa maladie, « expliquer » ses ghianti pour l'Italie; Xavier de Salas symptômes et se faire « compren- et Enrique Lafuente Ferrari pour l'Espagne; Lorenz Eitner et Rudolf Vittdre » du Père social. Mais on sait kower pour les Etats-Unis. bien que la psychanalyse authenUne autre collection: « Questions tique, celle-là même que Freud dé- d'Histoire • sera dirigée par notre fendit avec « sectarisme » contre ' collaborateur Marc Ferro. Elle a pour objet de présenter sous une forme Jung, a un autre cours. Parti d'une maniable (format. livre de poche de demande du groupe ( « guérissez 120 ou 140 'pages enViron) un certain ces malades ou enfermez-les »), nombre cie questions d'histoire. Elle Freud a donné la parole à ce qui s'adressera surtout aux étudiants et aux professionnels: journalistes, pro· était muet, et libéré un mouvement fesseurs, etc. Volumes prévus: J.. qui soulève les résistances du Révolution Russe par Marc Ferro, les groupe parce que le contestant très Origines du fascisme par Robert Paris, directement. Au lieu d'intégrer le Ataturk et la Révolution de Turquie par Hélène d'Encausse, l'Antisémitisnévrosé en lui permettant d'agrafer me par Pierre Sorlin, les Socialistes sa névrose individuelle à Une né- et la Première Guerre mondiale par vrose collective, Freud lui fait re- Georges Haupt_ Enfin, diverses informations ayant trouver le mouvement même de la paru dans la Presse au sujet de l'édi· vérité. tion des « œuvres complètes • de Pierre Reverdy, qui serait entreprise Lapassade pense qu'il en va de par Flammarion à partir du mois d'octobre, ~'éditeur tient à bien préciser même en psychosociologie lorsque qu'il ne s'agit pas des œuvres comcelle-ci reste fidèle à sa propre fin : plètes, mais d'une série d'œuvres qui instituer dans la société un certain comprendra 6 volumes. Les deux prechamp de la parole. Il écrit : miers, à paraître en octobre, seront: le Voleur de Talan, roman, et Plupart « Convoqué par l'organisation budu Temps, poésie. reaucratique, le psychosociologue ne peut intervenir qu'en donnant la parole à tous les groupes, tous les individus, tous les membres de U.R.S.S. l'organisation. C'est bien pour cela que le « client » en vient parfois La revue Grani, qui paraît en russe à arrêter l'intervention lorsqu'il à Francfort communique de nouvelles découvre qu'elle risque de déborder informations au sujet des jeunes écrison calcul initial. » vains arrêtés en janvier, après la La vérité de la psychosociologie, parution de la revue d'opposition Phéen tant qu'elle libère ainsi une nix 1966 et la démonstration du 22 janvier, organisée sur la place Pouch· parole rentrée, c'est l'autogestion, kine à Moscou pour protester contre pratique qui s'oppose à la sépara- les répressions. Les détenus, parmi lesquels Youri tion bureaucratique, source des blocages. Mais l 'autogestion n'est Galanskov, rédacteur de Phénix, Alexandre GUinzbourg, auteur du Livre pas un concept d'origine psycho- Blanc sur l'affaire Siniavsky et Daniel, sociologique. C'est un produit, note Alexis Dobrovolsky et' Pierre Rod· Lapassade, du mouvement socialiste zievsky, de l'équipe du Phénix, le poète et de l'expérience du prolétariat. Vadim Delaunay et Eugène Kouchev, rédacteur de la revue Rousskoyé Siovo (Parole russe) , publié par le " Club Ainsi se rejoignent et se nouent de Ryleev » à Moscou, se trouven1 problèmes politiques et théories toujours en prison et l'instruction n'est pas terminée. On les garde dans un scientifiques. Il y a une pratique isolement total et même leurs proches politique purement bureaucratique parents n'ont pas le droit de les visiter qui consiste à partir des exigences ni de leur remettre des paquets. La date du jugement n'est toujours de la société globale et de sa ratiopas connue. D'après les rumeurs qui nalisation, mettant hors jeu la circulent à Moscou, les autorités font question de la participation des retarder le procès et cherchent à proindividus. Mais la pratique révo- téger cette affaire de toute publicité lutionnaire authentique ne peut par crainte de manifestations en fa. veur des victimes des répressions. On mettre à l'écart l'acquis de la psy- dit même que leur cas serait remis chosociologie. Et si Lapassade ne pour après les fêtes célébrant la Révole dit pas, il pense certainement lution d'octobre. Le jeune écrivain Vladimir Boukovskl que le rôle du militant révolution(fils du critique et essayiste Constannaire s'apparente à celui du psycho- tin 1. Boukovski, membre de l'Assosociologue: rendre aux groupes et ciation des écrivains soviétiques) peraux individus cette parole qu'on sécuté depuis plUSieurs années par le leur a confisquée et qui, libérée, KGB , et attaqué par la presse officielle, a été transféré de prison dans une institue la possibilité d'une prati- clinique psychiatrique où sont effec. que sociale antihureaucratique: tuées des expériences sur les déteMouvement infini, révolution per- nus. Parmi tous les Jeunes gens de l'opmanente, car il n'y a pas de stade position arrêtés en janvier dernier, autogestionnaire. seule Véra Lachkova a éW libérée André Akoun sous caution et expulée de Moscou.


une révolution technique au. service de la réforme de l'enseignement

•·PARU

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A

L'ÉTRANGER

R. Carr Spain, 1808-1939

qualité, de Borrow et Ford à Brenan, et c'est lui qui nous procure aujourOxford, Clarendon Press, 1966. d'hui les synthèses les plus audacieuses et de la meilleure qualité, avec Elliott, Lynn, Carr. Quel édiSi toute l'histoire de l'Espagne est teur rendra au public français, ré• « une énigme historique », selon duit à des livres légers et dépassés, • D. Claudio Sanchez-Albornoz, le le grand service d'une traduction ? • XIX· siècle est bien celui qui répond Certains épisodes magistralement • le mieux à la célèbre définition : contés et analysés nous incitent au • un mélange incompréhensible de jeu séduisant et dangereux des com: bruit et de fureur. Ce pays qui ne paraisons. Mais outre que ce jeu • fait pas ses révolutions, ni politi- en vaut bien un autre, pour le • que ni industrielle ni agricole, en- plaisir de l'esprit, il est permis de • gloutit la Grande Armée, se livre penser que seule une méthode com• aux joies du pronunciamiento, sur- parative, dans le temps et l'espace, : ..vit aux déchirements de deux ou capable de dégager, si elles ,existent, • trois guerres civiles et des sépara- , des constantes, des tendances, des • tismes régionaux, évite la première lois statistiques et tendancielles, • guerre mondiale pour servir de bref de rationnaliser des événements • scène à la répétition générale de la à première vue incohérents, permet• seconde en laissant un million de tra d'aboutir à une véritable « Scien• figurants sur le terrain, ce pays qui ce politique » que l'on proclame • tout au long de son histoire a fasci- trop vite acquise. Laissons-nous donc • né et consterné l'Europe, qui nous aller à évoque-r deux périodes qui • le rendra enfin compréhensible feront sans doute travailler l'imagi• dans l'histoire troublée de ses cent nation des lecteurs français. En • cinquante dernières années ? 1868-74 l'Espagne, mettant les bou• Les essayistes et les journalistes chées doubles, semble vouloir faire • n'ont pas boudé un ,sujet si palpi- à la fois « sa » :révolution de 1789, • tant, mais celui-ci n'est pas de ceux celle de 1848, et celle de 1871. • qui dévoilent leurs secrets au pre- Les bases du régime capitaliste libé: mier instantané. Il fallait la rigueur, ral sont posées, de nouvelles cou• les méthodes et la puissance de ches sociales accèdent à la vie poli• travail d'un historien; Raymond tique, l'Espagne rajeunit, dans le • Carr a tenté de l'être, et il est in- bouillonnement et l'enthousiasme. • contestable qu'au bQut de ses 714 Les solution~ extrêmes et prématu• pages, on a appris énormément et rées échouen t, non sans laisser : compris beaucoup de choses - et leurs semencp.s, et on semble s'orien• que, mieux encore, on s'est posé tel" vers une République conserva• des questions, on a enregistré des trice mais libérale, demi-sœur de • ct'rtitudes, éprouvé des doutes, l"e- celle de Mac Mahon, théoriquement • gretté des ombres et des lacunes, possible d'après le rappol"t des fcr• contesté des interprétations. Y a-t-il, ces. • en histoire, tellement de livres qui Une guerre coloniale, la révolte • nous sortent du ronronnement r asde Cuba viennent tout jeter par • surant? terre, et le~ ('Jasses possédantes, apeurées par le désordre, aident un bras militaire à établir un régime • Champ olos fort qui rafft>rmisse l'ordre social. Le lecteur s'interroge sur l'influen: C'est bien la preID1ere fois que ce des gUl~rrt's coloniales dans le • le XIX' siècle espagnol, - et le pre- destin des régimes politiques, pense • mier tiers du xx·, son prolongement à la situation française de 1958. De • naturel - ce grand délaissé, se voit nouveau en l Q23 un général vient • consacrer une étude de cette am- sauver la <;uciété des possédants. • pleur, de cette force, de cette mi- Primo de Rivera avait pris des posi• nutie, une synthèse qui veut tout tions radicales devant le problème à la fois embrasser les grands cou- colonial marocain, préconisant mê_"1 200 C.E.S. à cQnstrui~e , en 5 ans! rants et descendre dans le chatoie- me l'évacuation. Arrivé au pouvoir Seule, l'Industrialisation du Bâtiment peut·y parvenir. ment infini de la vie d'un pays qui porté par un « consensus » assez Dans le domaine scolaire, G.E.E.P.-INDUSTRIES, a gardé encore tous ses contrastes large, il recherche l'appui de la le plus anèlen et le plus important des Constructeurs intimes. Même en histoire littéraire classe ouvrière par des concessions (4000 classes édifiées en 6 ans, pour 150 OOQ élèvès; nos « hispanisants « (stricto sensu) (les Commissions mixtes), celui de 2500 classes pour la seule année 1966), semblent pris de peur devant cette la bourgeoisie par une politique reste ' à la pointe de ce combat. époque riche en grands thèmes et d'aide de l'Etat au progrès éconoGrâce au dynamisme de son Service • Recherches -, en fortes personnalités: ils se sen- mique, celui des intellectuels par à la puissance des moyens mis en œuvre, G.E.E.P.-INDUSTRIES" tent plus à l'aise avec quelque un programme de modernisation et , ne cesse d'améliorer la qualité 'e t' le confort de ses réalisations et de justifier • poétaillon provincial de sixième or- de « régénération» nationaliste, dre du siècle d'or. Les Espagnols, emphatique et larmoyant. Il rela confiance grandissante qui lui est faite. eux, y voient, selon leur idéologie, jette le parlementarisme désuet, les soit le déchaînement d'un libéralis- vieux partis impuissants, en appelle me étranger, sacrilège et impuissant, directement au peuple. Les leaders soit l'échec dans le grotesque et ouvriers se divisent sur l'attitude à dans le sang de toute tentative de prendre, les uns collaborant (Largo mettre l'Espagne à l'heure de l'Eu- Caballero), les autres organisant la rope,par la réforme ou par la révo- lutte autonome de la classe ouvrièlution, et ils ont du mal à échapper re. Les étudiants entrent en conflit à l'esprit polémique. L'hispanisme violent, les intellectuels condamanglais a toujours été représenté nent vite le régime (Unamuno est 22, rue Saint-Martin, Parls-4" par une petite ,co,horte~ mais de le plus acharné), sauf quelques Jéléph. 272.25_10 , . 887.6Ù7

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Une énigDle historique fidèles sentimentaux comme Maez- me assurant le pouvoir aux classes tu. Le lecteur français évoque irré- possédantes tout en respectant les sistiblement des noms familiers, formes d'une certaine égalité politil'intéressement aux bénéfices, mais 'que, ce qui aurait probablement fait les contemporains du général Fran- baisser le potentiel révolutionnaire co méditeront une des conclusions du radicalisme républicain ? Pourde l'auteur: la difficulté de « repasser le Rubicon », quelque 'envie qu'en ait le César. Enfin un intéressant parallèle est suggéré entre la guerre carliste et la dernière guerre civile: dans les deux cas l'Espagne devient le champ clos où s'affrontent les grandes forces de l'Europe, qui y envoient des subsides, des armes, et des combattants.

raissent un peu trop séparés du récit politique). L'auteur reconnaît dans sa préface qu'au début comme à la fin de sa période - avant 1830 et après 1914, mettons - il n'a pu, par la faute de la documenta-

Sous-philosophie Mais allons à la thèse centrale de l'auteur, qui apparaît dans une brève mais vigoureuse conclusion. ta victoire franquiste, en 1939, re· jette hors du jeu politique la tradi· tion libérale, qui a été la force dynamique d'un siècle et demi de l'histoire de l'Espagne, parce qu'elle a échoué dans sa tâche historique : moderniser un pays traditionnel, concilier l'ordre et le progrès. La bourgeoisie et les classes moyennes ont vainement essayé d'adapter à l'Espagne le modèle du régime libéraI, le parlementarisme anglais. Après 1875, sous la Restauration, on a pu croire que le but était atteint : Canovas et Sagasta se succèdent au pouvoir dans le cadre du « turno pacifico ». Mais, sans compter qu'il avait été enfanté par l'armée, ce régime était vicié à sa base même : les élections étaient « faites » par le parti au pouvoir, par entente tacite entre les deux grands partis. C'est cette absence de représentativité des Cortés qui permettait aux militaires de s'ériger périodiqu.ement en dépositaires de la volonté nationale. Allons plus loin : pourquoi les libéraux espagnols tl'ont-ils pas pu créer un régime civil respectant leurs propres principes et qui soit à la fois stable et efficace? Autrement dit, un régi-

Le 'Toi Alphonse XIII jeune.

quoi cette obligation de recourir au truquage électoral et au pronunciamiento pour écarter le peuple du pouvoir, ce qui légitimait le droit d'insurrection et perpétuait le désordre ? La réponse est probablement. à notre sens, dans les rapports complexes des forces sociales qui émergent d'une société riche en nuances et en contradictions, et dans les traits particuliers du régime économique, analysés dans des chapitres spéciaux (qui nous appa-

tion disponible, combiner autant qu'il eût été désirable l'histoire sociale et l'histoire politique, mais il avoue que sa démarche est en partie volontaire, car il conjecture que l'échec fondamental des libéraux a été un échec politique. Il nous laisse d'ailleurs espérer un autre ouvrage plus approfondi sur la période la plus récente de l'histoire espagnole. si bien qu'il faut considérer ses conclusions actuelles comme provisoires.

Il est impossible dans le cadre de cet article de rendre compte de toute la richesse de ce livre : cer. taines pages sont franchement r~ marquables, comme celles qui décrivent en style « anthropologie culturelle » la vie rurale, où l'auteur dégonfle sans pitié la baudruche de la « culture » espagnole; dans ct'>tte société on ne lit pratiquement pas, on parle - même Ortega y Gasset est au fond un écrivain « de tertulia » - et chez les esprits les plus curieux les potins du journalisme remplissaient les besoins culturels ; c'est ainsi que l'Espagne est cu train de passer tout droit de l'âge pré-livresque à l'âge de la télévision, comme tous les pays sousdéveloppés. Ajoutons que la connaissance du monde extérieur à la péninsule était extrêmement pauvre et limitée; la diffusion comme idéologie du Kraussisme l , cette sous-philosophie, en est une preuve. II est en revanche impossible de faire ici la critique des parties de l'ouvrage qui nous paraissent moins sûrcs. par exemple les pages sur l'Andalousie dans le tableau liminaire de l'ancien régime, reprenant de vieilles idées reçues, ou du ton trop dépréciatif et méprisant employé pour parler des « extrémistes » et des anarchistes. Convenons cependant que l'auteur fait un remarquable effort pour traiter avec objectivité cette qualité aussi nécessaire qu'impossible - d'événements encore tout chauds de la passion de nos contemporains. Ecrit par un brillant professeur d'Oxford, ce livre porte la marqu\\ de l'école historique anglaise. Uu historien français l'eût écrit bien différemment - mais il ne l'a pas écrit. et pendant des années l'œuvre de R. Carr est assurée de demeurer la meilleure et la plus indispensable pour tous ceux qui s'intéressent à l'Espagne contemporaine. Pierre Ponsat 1. Karl C.F. Krause (1781.1832), philo. sophe allemand peu connu dans sa patrie, a exercé une influence considérable cn Espagne,

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[LEON CHESTOV œuvres capitales 1

LA PHILOSOPHIE DE LA TRAGEDIE

Il - LE POUVOIR

DES CLEFS

SUR LES CONFINS DE LA VIE III - ATRENES ET JEBVSALEM en 3 volumes

lA QuilWline littéraire, 1"'

/lU

15 Kplembre 1967.

21


CUBA

Lettre de La Havane Paris, au mois d'août, est en vacances. Nombreuses sont, ailleurs, les manifestations culturelles. Les collaborateurs de la Quinzaine littéraire etalent à Montréal, La Havane, Venise, Berne et Avignon.

La Havane, '" août. Mon cher F ... , Ton admiration pour les Américains, j'entends ceux du Nord, trouverait ici de quoi se satisfaire. Hôtels de luxe à plusieurs piscines, palaces, dont un d'une trentaine d'étages, buildings et tunnel sous la mer, boîtes qui ont gardé leur nom d'autrefois : The Red ou Tropicana, et des Cadillac, des Buick, des Plymouth qui, elles, font entendre qu'elles ont beaucoup servi. Ce sont les restes du temps où l'on venait de Miami ou du Texas conclure d'intéressants marchés entre deux plongeons à Santa-Maria, certainement l'une des plus belles plages du monde. Les palaces sont aujourd'hui habités par les aviateurs de l'Aeroflot soviétique, par des techniciens tchèques, des guerilleros du Venezuela ou d'Uruguay, des combattants vietnamiens au repos, des peintres et des intellectuels parisiens. De Gaulle jette l'argent à la tête des chefs d'Etat en visite, le gouvernement cubain préfère des hôtes moins voyants, qui n'en sont pas moins traités avec faste et cordialité. Co m men t n'aurions-nous pas le sentiment d'être ici à moitié touristes et parasites à part entière? Les gens nous regardent avec curiosité, mais sans animosité ni envie. Si nous sommes ici c'est parce que nous sommes des amis, on nous le montre à chaque instant et, dit Carlos Franqui, compagnon intime de Fidel et discret maître des cérémonies : « Il n'y a rien au monde de plus précieux qu'un ami », entends : « Il n 'y a rien de trop précieux pour lui. » Au point - mais c'est aussi, bien sûr, pour d'autres raisons que je me sens chez moi, ici, sous les Tropiques, à des milliers de kilomètres de Paris. Vitrines du faubourg St-Honoré, annonces lumineuses de la place de l'Opéra, vie « parisienne », comme vous pesez peu dans le souvenir !

L'humanité Cette énorme ville américaine, au fond, n'existe pas. Elle est un décor pour milliardaires absents. Pour rencontrer quelques milliers de ses deux millions d'habitants, il faut aller du côté du Capitole, de la Place d'Armes et de la Cathédrale, dans ses étroites rues à balcons et grilles de fer forgé qui rappellent si fort l'Espagne, sur le port où l'on décharge camions tchèques et tracteurs soviétiques. Toutes les races de la terre semblent ici rassemblées, toutes les couleurs de peau, du blanc mat au noir en passant par tous les cuivre et les bronze. Tous Cubains 22

pourtant, les jeunes femmes avec des robes qui moulent étroitement leurs formes, les hommes avec la chemise par-dessus le pantalon mais strictement chaussés de noir. Les enfants sont comme partout, avec, dans leurs jeux, une préférence marquée pour le base-baIl. On vient de célébrer le 26 juillet, date anniversaire du premier coup de main de Fidel et de ses compagnons contre une caserne de Santiago, la Moncada. Sur les murs, c'est une débauche d'affiches extrêmement belles, de portraits, de slogans, de fresques qui ont la grâce et la spontanéité des dessins d'enfants. Aucune caricature. Au-dessus de ta tête flottent, de fenêtre à fenêtre, des guirlandes qui n'ont qu'un lointain rapport avec celles de nos fêtes paroissiales. Si tu prends un peu de champ, tu vois, sur une place, dans une avenue, un énorme panneau qui te rappelle qu'ici on construit le socialisme, ou qui porte en inscription géante la phrase pathétique qu'a prononcée avant de mourir l'un des « martyrs» de la Moncada. Des usines, des fabriques ont pour enseigne le cri de ralliement des

La vérité de Cuba, aujourd'hui, c'est la révolution_ Dans son sens exact : le renversement par les opprimés du pouvoir des exploiteurs, la mise en gestion des biens qui appartiennent à tous_ Et comme il s'agit d'un petit pays, les Cubains savent que, pour durer, cette révolution doit faire tache d'huile, s'étendre à tous les opprimés du Tiers Monde contre ce qu'on appelle ici d'un terme général l'impérialisme. Pas de catéchisme, pas de formules apprises. On ne se réclame pas plus des Chinois que des Soviétiques et, surtout, on ne veut pas retomber dans leurs erreurs. On magnifie les Vietnamiens et on appelle à la lutte armée les frères d'Amérique latine. Fidel et ses douze camarades de la Sierra Maestra ont vaincu une armée moderne, celle de Batista, abondamment pourvue de tanks et d'avions. Et que font aujourd'hui les Vietnamiens? Ce qui compte avant tout, c'est l'homme, son courage, sa détermination, son refus de s'incliner devant l'injustice, son besoin de liberté. Vieilles lunes, comme tu vois, mais qui brillent ici d'un tel éclat qu'on a honte de

L'Ecole des Beaux-Arts de La Havane. IIrchitecte: Ricardo ParTo.

maquisards de la Sierra Maestra : « Patria 0 muerte_ Venceremos! » Inscription qu'éclipse à mes yeux et jusqu'à me faire battre le cœur quand je l'ai lue pour la première fois : « Antes la Patria, la Humanidad! » (Avant la patrie, il y a l'humanité). Les Cubains sont les premiers vrais internationalistes que j'ai rencontrés. Ils ont pour grand homme un poète, José Marti qui, s'il se battit pour l'indépendance de son pays contre les Espagnols, se battit surtout « pour la dignité de l'homme ». Sa tête, sculptée dans le marbre, pensive et un peu triste, se trouve partout, au pied d'un des grands monuments de la ville qui lui est consacré, comme sous ma fenêtre. Vingt fois, rentrant à l'hôtel, j'ai lu l'inscription tirée de ses écrits: « Une fois que la vérité s'est éve~ ::ée, elle ne peut plus se rendormir », que je traduis à- ma façon : « Une fois que vous aurez découvert la vérité, vous ne pourrez plus dormir. » C'est bien aussi cela qu'elle veut dire ?

avec son nez grec, fût si typiquement « gallego ». Il y vraiment ici des questions qui ne se posent plus et qui font mesurer l'immense bêtise du monde où nous vivons encore. J'en viens aux intellectuels, aux artistes. C'est un bon baromètre, non? et qui, dans tous les pays, indique au plus juste le temps qu'il fait. Jete dirais que je pré. fère les affichistes (quel goût ! quel sens de la ligne et de la couleur !) aux peintres qui, eux, confondent facilement le tableau avec l'affiche. Et le pop art fait là-bas aussi ses ravages. Sauf le grand Wifredo Lam, ils imitent plus ou moins ce qui se fait à Paris ou à New York. Ce qui, après tout, n'est pas si mal quand tu penses aux couchers de soleil soviétiques et aux fameux « Retours de la moisson )). Aux écrivains, j'ai demandé ce qu'ils pensaient du « réalisme socialiste ). Ils font ceux qui ne connaissent pas. Ils en ont entendu parler, comme nous à Paris. Ils se demandent ce que ça peut être. En revanche, leur Union m'a demandé une conférence sur le « nouveau roman )). Le « nouveau roman », à Cuba! L'intéressant, c'était les questions, après : sur Joyce, sur Kafka, et si la technique de Robbe-Grillet valait pour l'Amérique latine, et si cette technique s'accommoderait de thèmes révolutionnaires. Car ils ont quelque chose à dire, eux, et ils voudraient, tout en le disant, soutenir la comparaison avec les grands du roman européen. Un Alejo Carpentier ne leur suffit pas. Avec Rodriguez Feo, critique d'envergure, nous égrenions un soir nos amours dans une litanie à deux : Bataille, Leiris, Beckett, Faulkner, Nathanaël West, Conrad, cet écrivain impérialiste. Une chose est sûre : il ne faut pas même évoquer le risque d'une littérature de propagande. Les « chefs. d'œuvre )) de la littérature soviétique, qui ont dû venir avec les tracteurs, les en ont dégoûtés à jamais. Après la conférence de Michel Lci. ris sur Aimé Césaire, nous avons été, lui et moi, en butte aux inter· viewers jusqu'à deux heures du matin. Sur quoi? Le surréalisme. Pas de doute : les admirateurs les plus enthousiastes de Breton, d'Eluard, de Péret sont les journalistes du Caïman barbu. Et si j'avais assez de temps et de place je te montrerais que le surréalisme n'est pas ici un produit d'importation, qu'on le respire dans le climat même de cette île où l'on a pris au sérieux le fameux mot d'ordre: « Changer le monde, changer la vie. »

jouer à Paris les blasés et les sceptiques. Pas le moins du monde blasé ou sceptique le poète Fayad Jamis, qui, tu t'en souviens, fut dans nos murs il y a quelques années, et qui, comme tout le monde, revêt le battle-dress un jour par semaine et un dimanche par mois. Et ces étudiants qui, le matin, sont à l'Université, l'après-midi aux travaux manuels. Et ces jeunes citadines qui passent leurs vacances à couper de la canne à sucre_ Et cette sousdirectrice de la Bibliothèque nationale qui remet un rendez-vous parce que pendant deux jours elle doit travailler avec les paysans. « Cela Surréalisme ne vous ennuie pas de vous déguiPedro Pérez Sarduy, vingt.quatre ser en militaire? » ai~je demandé, par provocation, à. Fayad Jamis_ Son ans et de peau noire (pour les Fran· regard éberlué m'a dispensé de çais ce détail importe) vient de pupou r sui v r e. C'est comme si blier un recueil intitulé précisément j'avais demandé à un Blanc de type Surrealidad. Sous Batista, il était espagnol, figure fine et petite mous- apprenti maçon, puis cordonnier, tache, s'il considérait tout à fait les . puis mécanicien dans l'automobile. Noirs comme ses égaux ou à un Noir Grâce à la Révolution il fait .ses s'il n'était pas gêné de ce que Fidel, études et décroche successivement :


EXPO 87

Rencontre avec J erzy Grotowski ·

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Le Colloque 1967 de l'Institut International du Théâtre, qui vient de se tenir à Montréal a attiré un grand nombre de personnalités marquantes du théâtre mondial. Metteurs en scène, décorateurs artistiques ont fait part de leurs recherches, travaux et découvertes. Parmi les hommes de théâtre qui ont assisté à cette rencontre, on notait la présence du metteur en scène polonais, J erzy Grotowski. C'est en 1959 que Grotowski fondait, dans une petite ville située au sud-ouest de la Pologne, Opole, le Théâtre Laboratoire qui, à partir de 1965, s'établit à Wroclaw avec un statut nouveau. C'est désormais l'Institut de recherches sur le jeu de l'acteur.

Un laboratoire Grotowski a développé, dans son théâtre laboratoire, une méthode personnelle. Rapidement sa réputation a dépassé les frontières de son pays. Partout en Europe, à Paris, à Nancy, à Londres, on l'invitait soit pour présenter des spectacles, soit pour diriger les acteurs dans l'un ou l'autre de ces pays. Et déjà certains de ses collaborateurs se sont mis à développer, dans des voies souvent différentes, la méthode qu'il leur a enseignée. C'est le cas du metteur en scène italien Eugenio Barba, qui dirige maintenant une troupe théâtrale au Danemark. une licence en langue et littérature classiques, une autre en langue et littérature anglaise et américaine, une troisième de français. Il écrit des nouvelles et surtout des poèmes qui le placent au premier rang de sa génération. Que penses-tu qu'il désire actuellement? Venir à la Sorbonne, lire Racine, Balzac et Victor Hugo en entier. Apprendre, encore et toujours. Ecrire, pour chanter la liberté, la beauté du monde, la vie. Dommage que je ne puisse te recopier un de ses poèmes, pourvus à mes yeux de tout ce qui fait la force et le charme un peu précieux de cette terre des Caraïbes. Ils sont des centaines comme lui, peut-être des milliers, petits-fils d'esclaves, qui n'ont sans doute pas son talent, mais devant qui la Révolution a ouvert toutes les portes et qui, je t'en réponds, ne sont pas prêts à baisser l'échine devant les dogmes, les formules, ni à réciter des prières. Sagement, le pouvoir se garde de donner aux écrivains consignes et mots d'ordre et il ne demande aux jeune.. (Fidel, le 26 juillet) qu'à travailler à devenir des hommes. Je sais que ces mots sonneront creux à Paris. Il faut être ici, à cent quatre-vingts kilomètres des Etats-Unis, pour se rendre compte de tout l'espoir dont il sont lestés. Quand on les entend, on se prend à rêver et à craindre. Tout faire, oui, tout faire pour que soit préservée cette humanité nouvelle en gestation.

Nous nous sommes entretenus Je pourrais t'écrire des pages et avec M. Grotowski, lors de son sédes pages. Sur les jeunes, toujours, sur l'enseignement, sur la manière jour à Montréal. dont on rase un bidonville pour Dans l'un de vos textes, vous construire des logements qui, après que nous y aurons dormi, seront avez dit que le théâtre peut exisremis gratuitement aux ex-occu- ter sans costumes ni décors, sans pants des lieux, sur l'acclimatation musique, sans jeux de lumière, de la fraise et de l'asperge, sur Fi- voire sans texte. Vous ajoutiez : del, qui n'est pas un révolution- « Le texte n'est apparu dans le dénaire ordinaire et ne donnera pas veloppement de l'art théâtral que de sitôt prise au culte de la person- parmi les derniers éléments. » Il nalité. Je préfère, pour ton agace- n'existe qu'un élément dont le théâment, t'entretenir de tout cela de tre ne peut se passer dans votre esprit, c'est l'acteur. Il y a eu pourvive voix. Nous prenons l'avion de retour tant, depuis la Commedia dell'Arte, demain matin, avec Leiris, Lim- des dramaturges. Le metteur en hour, Mascolo, si bien que ma lettre, scène d'aujourd'hui peut-il passer je la mets en poche. Granma, le outre plusieurs siècles de tradition journal du parti, annonce qu'à par- théâtrale? Pour vous, metteur en tir d'aujourd'hui le tarif unique scène d'aujourd'hui, quelle place des autobus est ramené de 8 à faites-vous au texte ? 5 centavos. Depuis hier l'eau est gratuite on compte sur tous 1. G. Ce n'est pas le noyau. Le pour ne pas la gaspiller - et de- noyau c'est la rencontre. Le texte puis avant-hier il n'est plus néces- c'est une réalité artistique qui exissaire de mettre un jeton dans la te dans le ·s ens objectif. Si le texte fente des téléphones publics pour a conservé toute sa force pour auparler à ses amis. Il paraît que jourd'hui, c'est-à-dire si, dans ce Cuba est pauvre, en proie au blo- texte, il existe certaines concentracus, et fait partie des pays sous- tions des expériences humaines, des développés. Je ne doute pas que représentations, des illusions, des Paris, capitale d'une grande nation, mythes et des vérités qui sont enne suive l'exemple de ces mesures core actuels pour nous, le texte proprement socialistes. Sur cette devient alors un message que nous considération que tu voudras bien . recevons des .autres générations. ne pas tenir pour bassement maté- Dans le même sens, le texte nourielle, je te dis : à bientôt. Hélas ! veau peJlt être une sorte de prisme qui reflète nos expériences. Toute Maurice Nadeau la valeur du texte réside dans l'écrit.

La QuiDame littéraire, 1·' _ 15 NpIerrIbre 1967.

Il s'agit là de littérature et nous pouvons lire les pièces comme de la littérature. Face à cette littérature; nous pouvons adopter deux positions : nous pouvons illustrer le texte grâce à l'interprétation des acteurs, la mise en scène, le décor, la situation du jeu ... dans ce cas-là, le résultat n'est pas le théâtre et l'unique chose vivante dans un tel spectacle c'est la littérature. Mais nous pouvons négliger le texte, le traiter seulement comme un prétexte, faire des interpolations, des changements, l'anéantir. Je crois qu'il s'agit là de deux solutions fausses. Dans l'un et l'autre cas nous ne faisons pas notre devoir en tant qu'artistes, nous tentons de respecter certaines règles et l'art n'~ime pas les règles. Les chefsd'œuvre sont toujours fondés sur le dépassement des règles. Bien sûr, c'est la pratique qui décide. Prenons l'exemple de Stanislavski. Son programme était de réaliser toutes les intentions des auteurs dramatiques. Il a voulu creer un théâtre litté· raire. Et quand on parle du style de Tchékhov, en vérité on fait allusion au style des mises en scène faites par Stanislavski des pièces de Tchékhov. D'ailleurs, Tchékhov luimême a protesté : « l'ai écrit des vaudevilles et Stanislavski réalise des drames de sentiment. » Stanislavski était un artiste authentique et, malgré sa volonté, il a réalisé son Tchékhov et non pas un Tchékhov objectif. De son côté, Meyerhold, avec toute la conscience possible, a proposé un théâtre autonome à l'égard de la littérature. Ce ne sont pas nos bonnes idées qui décident, mais notre pratique.

lerzy Grotowski

Quel est le devoir du théâtre par rapport à la littérature? 1. G. L'homme qui accomplit un acte d'autorévélation est, en quelque sorte, celui qui établit un contact avec lui-même. Il s'agit d'une confrontation avec soi dans un sens extrême, sincère, discipliné, précis et total, non uniquement avec ses pensées, mais dans la plénitude de sa nature, à partir de ses instincts et de son inconscient, jusqu'à sa lucidité.


.. Eat:retien avee

~erzy

I.e ~ ~lesa. aI1SSi la ft9ICOItt:re de aéatems_ C'est moi-même-~ CI8DUBe metteur en scène, qui me ecurfronœ avec: et Pantoreve1ation de Yact:eu:r me donne une révélation de. moi-même. Les acteurs et moi-même nous nous confrontons avec Je .texte. Nous' ne pouvons pas exprimer- ce qui est 'Gbjeetif dans le texte. Ce sont seulement les textes rêellement faibles qui nous donnent une possibilité unique d'interprétation. Les grands textes représentent une sorte d'abîme. Prenons Ramlet. Innombrables sont les livres consacrés à ce personnage. Des professeurs nous disent, chacun pour sa part~ qu'ils ont déeouvert un HamIer objectif. On

raetear

Grotowski

lion théâtrale. Pour moi, le créateur théâtral, ce qui importe ce ne sont pas les paroles mais ce qu'on fait avec les paroles, ce qui transforme les paroles en verbe.

Pour monter des pièces, vous choisissez quand même des textes et des auteurs. De quelle manière procédez-vous? Qu'est-ce qui vous fait préférer une pièce à une autre et un dramaturge à un autre ? J. G. Comme j'ai dit, pour moi, le théâtre est une rencontre. Cela impliqùe un choix, car on ne peut pas rencontrer tout le monde. La rencontre procède d'une fascination. Elle implique une lutte, et quelque

tier des professeurs. Les personnages de l'Odyssée sont actuels parce qu'il existe encore des pèlerins. Nous aussi nous sommes des pèlerins. Leur pèlerinage est différent du nôtre et c'est pour cela qu'il jette une nouvelle lumière sur notre condition à nous. L'art n'est pas la source de la science. C'est l'expérience que nous entreprenons pour nous ouvrir aux autres, pour nous confronter avec eux afin de nous comprendre nous-mêmes, non pas dans le sens scientifique, en recréant le contexte d'un temps historique, mais dans un sens humain, élémentaire. Niobé est sans doute différente de la mère qui pleure ses enfants à Auschwitz et c'est dans

teur riche d'une certaine somme d'expériences puisse acquérir ce qui s'appelle un arsenal technique, c'est-à-dire une somme de procédés, de trucs, de ficelles dont il pourra, en tirant pour chaque rôle un certain nombre de combinaisons, obtenir un haut degré d'expressivité pour plaire au public. Je n'insiste pas sur le fait que cet arsenal de moyens techniques peut n'être qu'une somme de clichés. Une telle représentation est inséparable du concept de prostitution. La différence entre la technique de l'acteur courtisan et celle de l'acteur saint est pratiquement celle · qui sépare le savoir-faire d'une courtisane des gestes de don et d'acceptation qui naissent d'un amour véritable, c'està-dire de l'offrande de soi-même. Dans ce deuxième cas, ce qui importe, c'est de savoir éliminer ce qui est importun, pour dépasser toute frontière imaginable.

Un tremplin

Vue scène- du Pl'ÎB.œ: i:atlexillle de len;y Grotowski

pl'Qpo5e des Hamlet révolution- chose de si proche en profondeur naire, re~, impotent. sans for- qu'il existe une identité entre ceux ees, un HamIet outsider~ etc. Mais qui se rencontrent. Chaque metteur il n'y a pas de Hamlet objeetif. en scène doit chercher les renconL'œuvre est trop grande pour eela. tres qui soient d'accorc;l avec sa naLes grandes œuvres sont comme des ture. Pour moi, ce sont les grands catalyselUS qui ouvrent pour nous poètes romanesques de Pologne, des portes, mettent en mouvement mais c'est aussi Marlowe et Calnotre conscience. Ma rencontre avec deron. Ces œuvres me fascinent le texte est semblahle à ma rencon- paree qu'elles nous donnent la postre avec }'aeteUY et à celle de rac- sibilité d'une confrontation sincère, reur avec moi. Pour le metteur en c'est-à-dire brutale, entre les croyanscène et pour l'acreur, le texte est ces et les expériences de la vie, entre une sorte de bistouri qui nous donne le passé des autres générations et la possibilité de nous ouvrir, de nos propres expériences, nos propres nous dépasser, de trouver ce qui en préjugés. nous est caché et de nous rencontrer avec les autres~ Autrement dit, Selon vous, existe-t-il un rapport de dépasser notre solitude. Si vous entre une œuvre dramatique et voulez, au théâtre, le texte a la mê- l'époque où elle est née ? me fonction que le mythe pour le poète de la période archaïque. Je J. G. Bien sûr, il Y a une relale répète, on peut jouer le texte in tion entre le contexte historique extenso, on peut le restructurer, . du texte, son époque et le texte luifaire une sorte de collage. On peut, même. Mais ce n'est pas ce contexte d'autre part, faire des adaptations qui décide de notre désir et de notre et des interpolations. Brecht a don- volonté de nous confronter avec ces né des exemples de traitement des œuvres. Ce sont mes expériences auteurs et Shakespeare a fait la d'aujourd'hui qui décident de mon même chose. En ce qui me concer- choix. Pourquoi étudions-nous l'Iliane, je ne veux pas faire d'interpré- de ou l'Odyssée? Est-ce pour tation ou de traitement littéraire. connaître la vie culturelle et sociale Je n'ai pas de compétence en la des gens de cette époque? C'est matière. Mon domaine, c'est la créa- bien possible, mais c'est là le méROUS

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cette différence que consiste tout le contexte historique. Il est caché. Si nous voulons le dégager, le souligner, l'accentuer, nous perdrons tout, car l'expérience artistique est une expérience ouverte et directe.

Jusqu'à présent, vous vous êtes surtout intéressé à des dramaturges du passé. Quelle est pour vous la signification du théâtre contemporain? J. G. Je laisse venir les choses d'elles-mêmes. Demain, dans un an, je monterai peut-être une pièce contemporaine. J'admire plusieurs écrivains actuels : Beckett, Genet. Mais, dans mon travail quotidien, je ne ressens pas la nécessité de me confronter avec leurs textes. Jusqu'à présent, je n'ai voulu me confronter qu'avec des dramaturges classiques .

Dans votre méthode de travail, le jeu de l'acteur occupe la place centrale ... J. G. J'ai essayé ailleurs de clarifier ma conception de l'acteur. Permettez-moi de citer ce que j'ai dit là-dessus : « Un certain mythe veut que l'ac·

L'acteur qui accomplit un acte d'autopénétration, de dépouillement, d'offrande de ce qui en lui est de plus intime, doit disposer de la possibilité de manifester des impulsions psychiques si ténues qu'elles sembleraient n'avoir pas encore eu le temps de naître, de les faire passer dans la sphère de la réalité des sons et des gestes, des pulsions qui, dans notre psychisme, hésitent à la frontière du réel et du songe. En un mot, il doit être à même de construire son propre langage psychanalytique du mot. Si, d'autre part, nous prenons en considération par exemple le problème du son, la plasticité de l'appareil respiratoire et vocal de l'acteur doit être incomparablement plus développée que celle de l'homme de la rue. De plus, cet appareil respiratoire et vocal doit être en mesure de réaliser chaque réflexe sonore si rapidement, que la pensée qui lui ôterait toute spontanéité n'ait pas le temps de s'y joindre. De plus, l'acteur doit déchiffrer tous les problèmes de son propre organisme qui lui sont accessibles. Il doit savoir que le moyen de diriger l'air portant le son dans telle partie de son corps, produira des sonorités semblant avoir été amplifiées par différents types de résonateurs. Il ne s'agit pas de se jouer soi-même, dans des circonstances proposées (ce que l'on appelle vivre un personnage) non plus que de proposer un personnage avec une soi-disant distance, d'une manière épique, à partir d'une analyse menée à froid de l'extérieur. Il s'agit de profiter d'un personnage comme d'un tremplin, d'un instrument permettant de scruter ce qui se trouve en dessous de notre masque de tous les jours, ce qui constitue le moyen le plus secret de notre personnalité pour l'offrir, nous en dépouiller. »

Propos recueillis par Naim KaHan


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Révolution a Montréal

Le Pa villon des Etats-Unis à Montréal , intérieur.

Une page a été tournée à Mont· réal, dans l'histoire, vieille d'un siècle, des expositions internationales. Leur fonction d'origine était la compétition technologique ; j celle-ci culminait dans un potlatch international de la construction dont les témoignages, au fil des ans, ont été le Crystal Palace (1851), le pavillon suspendu de la Russie (1878), la Galerie des machines et la Tour Eiffel (1889), puis, plus esthéti. sants, les pavillons de la Finlande (1937 et 39) et le pavillon Philips (1958). Certes, en 1967, la rupture avec la tradition n'est pas radicale_ Les « pavillons » révèlent, en particulier, deux accomplissements de la technologie constructive. Le pavillon des Etats-Unis, bulle transparente de vingt étages de ·haut, qui bat les . records de portée et respire électroniquement, marque l'avènement des ordinateurs1 dans la construction. Quant à la tente géante du pavillon allemand, elle préfigure le moment où l'on couvrira et climatisera des districts entiers, et démontre · en même temps les ressources poétiques de ces nou· veaux espaces intérieurs.

Pourtant, les bâtiments n'ont plus la vedette. Les possjpilités de la technologie constructive vont désormais de soi et l'architecture, par ses échecs et ses éclectismes a lassé le public. La préoccupation de l'heure serait plutôt l'aménagement urbain. L'ensemble nommé « Habitat », expérience de logement préfabriqué, en témoigne par la publicité qu'il connut avant même d'être édifié et par l'attrait qu'il exerce sur les foules. Mais l'attente est déçue par une tentative qui révèle peu d'industrialisation, mais, à tra· vers des formes méditerranéennes, héritage du rêve corbusien, beaucoup de nostalgie.

Pop-Op En fait, l'événement de cette exposition, c'est l'émergence d'une nouvelle fonction, réHexive, qui conduit à une mise en question de la société industrielle par ellemême, ou plutôt par certains de ses protagonistes. Le défi des na· tions ne se situe plus alors au niveau de la production, mais de la lucidité. Et, au message nouveau

Le Pavillon .-Les Etats-Unis, vue d'ensemble.

correspond un nouveau code, qui minimise le verbe et mise sur l'image, l'objet, le son, la lumière. Autrement dit, pop art et op art et enfin au formalisme et à l'art, pour accéder à leur vocation d'expression. Certes, selon les cas, l'écriture pop-op a été maniée avec plus ou moins de désinvolture et de virtuosité et à des fins diverses. Ainsi toutes ses ressources ont été déployées par les Canadiens dans le pavillon thématique de « l'homme dans la cité », . véritable épitomé des inventions de Rauschenberg, Lichtenstein, Arman, Oldenburg, Segall. Vénus de Milo à bras orthopédiques, motocyclette démente, billards électriques, panneaux de comics et amoncellements de déchets urbains servent à décrire - assez laborieusement - la mutation de l'homme annoncée par Mac Luhan (nouveau prophète dont le continent nord-amérieain n'est pas près de se débarrasser), et par ce spectacle à hâter la prise de conscience qui rassemblera en. fin les membres épars de la grande tribu des téléspectateurs. Au pavillon britannique, section

de la vie quotidienne, c'est, au contraire, l'unité de moyens qui prévaut. Des mannequins de plâtre blanc, à la SegaU, composent une suite de scènes où l'autocritique est traitée sur le mode de l'humour, traditionnel et exquis, tel qu'en un certain cinéma. Mais le chef-d'œuvre de l'autoexamen se trouve, sans conteste, à l'intérieur du pavillon des EtatsUnis. D'emblée les règles du jeu ancien ont été abandonnées: pas de « bilans » et d'inventaires, pas de statistiques, ni d'explications ou de « documents photographiques ». Aucun des symboles classiques de la puissance économique et technologique, mais la préëminence du vide sur le plein, du futile sur l'utile, du l"êve SUl" :le pratique. Et c'est l'idée même d'exposition qui est dissoute ,au profit d'une affirmation massive globale, dont .aucun élément ne peut .être détache.

L'intérieur de la bulle 'est construit mrectement par les .objets chOisis, autour .de trois .pôles. art, cinéma, recherche spatiale. A l'échelle du pavillo:n., puisque cer· taines œuvres atteignem cinq .étages de haut, l'art 'Se compose ·d'œuvres exéeu.tées dans l '.année, i -cette fin, par une petite fraction c1e Pavant- . garde. Le cinéma est -représenté non par des phdlQgraphies. mais par les images :que lIiOIlt les wan.dissemeJlts ,d'une serie de ~ et par ~ de œs .aoœssoires qui ont concentré taDt de rêve: un vietu: tui., ml 'lit qui servit., .entre 1l1ttres, il Mari1yn. UR monstre de Wlim.y.ant sunécu à King-Kong. La i-echercIle spatiale 1UHI6Î. se résume. dans les objets mêmes dumytbe : lescouehettes spatiales, taillées à leur mesure, et marquées il lem-s noms, qui enfermèrent les premiers astronautes, et, mieux encore, suspenœJes à leurs parachutés blanc ·et omnge, les -capsules M-ercury <ct Gemini, revenues de leurS voyages sidéraux, érodées et uoircies par la brûlure de mille soleils. Ce choix pourrait symboliser la sophistication et l'intelligence mises en œuvre dans le pavillon des U.s.A. En contemplant ce qui n 'est plus qu'un fabuleux déchet, le spectateur constate soudain que tes œuvres d 'art sont devenues objet et les objets techniques devenus Pop. qu'une relation s'établit qui annule la .différence entre ces catégories. La liaiROn entre ces trois grands pôles de la .mythologie contemperaine s'accomplit par le moyen d'images .et objets mineurs. mais dont l'accumulation (géniale leçon d'Anuan) eonstitv.e le néœssaire OOIltrepoÏnl des ·ohjets-vedeUes. C'est ainsi que la tendresse 011

l'humoar oat, kRIr à .tour, rassem· blé les ~ de l'art et de La Quiazaine littéraire, 1·'

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15 septembre 1967.

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. VENISE

Visconti

Révolution à Montréal

l'artisanat populaire (appelants, selles de cow-boys, patchwork) ou enèore réuni une collection de casquettes, et présenté à mille exemplaires, en tous formats, Raggedy Ann, la célèbre poupée des petits Américains2 • Ainsi l'intérieur du pavillon américain constitue l'antithèse concertée et comme le négatif de son enveloppe. Grâce à quoi qui refuse d'entrer dans le spectacle est forcé de le subir comme interrogation. Quant à ceux qui l'acceptent, ils pourront le déchiffrer à différents niveaux, du tragique absolu de l'autodérision à la plus immédiate gaîté à quoi contribuent un escalator géant et la traversée du pavillon par le mini-train de l'exposition. Aux deux bouts de la chaîne, le monde devient jeu. Jeu de l'extrême maturité, ressource de la dérision et de la conscience rêveuse face aux robots calculateurs. Mais on peut y voir aussi le pressentiment d'une des issues possibles à la civilisation des loisirs, les débuts d'une subversion de la société industrielle. Il n'est donc pas étonnant que, lors de sa visite, Lyndon Johnson n'ait pas eu un mot de félicitation pour les organisateurs du pavillon, pas étonnant non plus que les sénateurs aient coupé les crédits à venir de l'agence responsable3 , ni qiI'une partie du public américain se soit indigné. Une image des Etats-Unis - et une image de la société industrielle - est mise en question par les images de la bulle. Françoise Choay N.B. Aucun risque de traumatisme ou de surprise au pavillon français. Les règles du jeu traditionnel ont été scrupuleusement observées. Architecture : la rhétorique des BeauxArts, sa pompe et ses poncifs. Contenu: un inventaire général et systématique des richesses de la France, ordonné selon la taxinomie des grands magasins. Deuxième étage: 1, Pétrole, Gaz de France. 2, Cinéma. 3, Electricité de France. 4, Commission à l'Energie atomique. 5, Centre National des Télécommunications. Je n'invente pas, je recopie. D'étage en étage, tout y passe, même l'art (au sixième). De Buffet à Dubuffet, de Carzou à Wols, de Labisse à Rancillac, sagement rangés les uns à côté des autres, à raison d'une toile par tête, tout le monde est là, les morts et les vivants: accumulation digne d'un Ionesco des musées. Dans tout ce fatras on remarque à peine une magnifique construction de Xenakis. Quant aux Nanas de Niki de Saint-Phalle, leur splendide isolement sur la terrasse les révèle telles qu'en elles-mêmes: une gentille rigolade de boulevard (Saint-Germain) sans force ni esprit. 1. Ils ont calculé l'agencement de la structure tridimensionhelle projetée par Buckminster Fuller. 2. Dessinée il y a 50 ans par J. Gnlelle . 3. U.S.A. Information Agency.

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Il ne s'agit sans doute que de cela: de la désespérante histoire d'amour d'un homme avec sa mort. Ou sa vie. Et c'est la même chose. Et d'ailleurs: ... l'ai répondu qu'on ne changeait jamais de vie ... j'ai bien vite compris que tout cela était sans importance réelle. La fidélité que Luchino Visconti a choisi de suivre dans le film qu'il a tiré du roman d'Albert Camus tient dans ces phrases: « On ne change jamais de vie ... tout cela est sans importance réelle. » Il ne les dirait pas autrement. Mais qu'est-ce que la fidélité et faut-il être fidèle? Et qu'est-ce que le cinéma, défini par rapport à la littérature? Ce sont toujours les mêmes questions lorsqu'un cinéaste choisit de raconter un livre qui semblait avoir trouvé sa fin en soi. Visconti répond: - Ces questions cernent un faux problème. Lire, critiquer une œuvre d'art, la regarder, sont actes créateurs. L'aimer suffit , pour la créer. Il n'y a pas d'œuvre absolument originale. Pour cela il faudrait chaque fois effacer de soimême toute mémoire, jusqu'aux plus inconscientes réminiscences, oublier un acquis de culture, de goûts, de désirs. l'ai trop aimé l'Etranger, dès sa parution, je l'ai tout de suite trop bien « vu » pour ne pas aussitôt l'avoir recréé, ainsi que chaque lecteur, et je l'espère chaque spectateur, le recréera à sa propre forme s'il le lit ou le voit demain. Nous sommes à Venise. Dans quelques jours l'écran s'éclairera de lumière méditerranéenne et un homme lointain reconnaîtra soudain que même la haine le lie de tendresse à la vie. Nous étions à Rome et le film se montait, à Paris, et toujours la voix rauque de Luchino Visconti revenait à ces mêmes mots: « J'ai voulu être fidèle. )- Meursault ... si j'avais créé Meursault je n'aurais pu le faire différent. Je n'écris pas, je fais des films. Alors, quand je l'ai découvert, je ne pouvais pas ne pas avoir envie de lui donner cette vie, peutêtre' précaire, peut-être factice, peut-être maladroite, mais vie indiscutable, de l'image. Le psychodrame d'un livre en somme, et à travers lui, celui à la fois de son auteur, et sans doute le vôtre ? Mais était-ce nécessaire ?

La modernité Je n'ai pas caché à Visconti ma méfiance, devant l'adaptation cinématographique d'une œuvre littéraire. Il me semble que j'aurais préféré le regard, que j'aime, de Visconti, plutôt que la fidélité. Je le lui dis:

La fidélité est parfois plus créatrice que l'innovation, la transposition. V ous jugerez. C'est vrai. Pourquoi un procès d'intention, un procès comme celui de Meursault, où l'accusation refuse d'entendre la défense? - l'ai voulu être fidèle à Camus, à son temps, à l'exemplarité du récit. Je le reconnais, il s'agit d'une fidélité à une pensée, donc exigeante, passionnée. La voix semble s'épuiser à l'inlassable répétition, à la justification sans cesse reprise. - Fidélité inéluctable, comme le destin même de Meursault, homme de notre temps. Peut-être est-ce la modernité même du personnage qui m'y a incité? La désaffection postmortem dont souffre actuellement l' œuvre de Camus auprès de ses contemporains ne

parce qu'elle pressentait peut-être que je ne pourrais être que fidèle à l'Etranger? - A l'esprit ou à la lettre du livre? - Fidèle à l'esprit c'était le rester à la lettre. L'écriture ici, présageant, en tous cas dans sa première partie, le nouveau roman, est d'une précision descriptive hors laquelle il n'est pas de salut: elle est à l'image du comportement du héros, de sa philosophie et de sa tragédie.

La mort - Mais dans la seconde partie, la fidélité ne cache-t-elle pas des pièges? Que peut répondre celui dont, seule, l'œuvre répondra ?

Mastroianni dans l'Etranger.

trouve pas d'échos chez les jeunes, parce que ceux-ci ressemblent à Meursault. ' Leur indifférence, en même temps que leur goût de vivre, s'identifie à l'indifférence sensuelle de l'Etranger. Cette modernité n'exige pas la transposition. C'est elle qui m'a séduit. Certes depuis vingt-cinq ans j'ai plusieurs fois voulu mettre l'Etranger en images, lui donner cette nouvelle dimension. Mais le regard sans illusion de Meursault est redevenu aujourd'hui le miroir dans lequel se regarde une jeunesse qui cherche elle aussi désespérément à retenir la saveur de la vie dans un univers qui par tous les moyens - du « système » à la guerre veut la mener au scandale de la mort. Pourquoi faire autrement? - La fidélité, dit-il encore, c'était une condition « sine qùa non » pour que Mme Camus autorise le tournage de l'Etranger. Dino de Laurentis avait acquis les droits cinématographiques du livre et quatre metteurs en scène avaient été envisagés: Losey, Bolognini, Peter Brook, moi-même. Mme Camus a voulu que ce soit moi,

- Si Camus vivait encore, ensemble nous aurions peut-être changé le visage de Meursault. Ce n'est _pas sûr. Mais la mort les a faits tous deux intangibles. C'est pourquoi j'ai respecté, j'ai cherché même l'authenticité de détails infimes, que le spectateur distrait ne remarquera pas, mais qui, moi, m'ont aidé à retrouver le climat où s'est élaboré l' œuvre, me conduisant ainsi à sa réalité profonde, et à la vérité de l'homme, dont je ne sais s'il faut l'appeler Camus ou Meursault. ---,- C'est une des raisons qui vous a incité à garder intacte la chronologie du livre ? - On verra, juste dans les images qui précèdent le début du film; l'arrestation d'un homme, puis aussitôt après, se déclenchera la mise en marche ,l,u destin de Meursault, sa mise à mort absurde. - C'est un des thèmes qui vous ont fasciné, qui vous fascinent toujours: la mort ? - La mort. Oui, la minute de vérité que représente la mort. Mais aussi la vie, ce qu'y cherchait


sur Cam.us Camus dont Jean-Paul Sartre a dit qu'il était « humain »: « dans la mesure où sa recherche .orgueilleuse du bonheur impliquait et réclamait la nécessité inhumaine de mourir », où se reconnaît « la tentative pure et victorieuse d'un homme pour reconquérir chaque instant de son existence sur sa mort future ». Est-ce que nous n'essayons pas tous la même chose? Cette même vaine recherche? - Pourquoi avez-vous transposé le langage indirect du livre en lan-

de votre interprète vous ayez commis une sorte de « déplacement » de personnalité? Vous jugez Meursault semblable aux jeunes gens qui refusent le système, et vous prenez un homme de quarante ans - ce qu'il n'est pas dans le livrepour interpréter son rôle ? Marcello Mastroianni est un acteur remarquable mais est-il Meursault ? - Meursault n'a pas d'âge, Mastroianni non plus, dans l'Etranger. Ils sont jumeaux. Je ne vais pas faire son éloge, il n'en a pas

cette mer qui exerçait sur lui la par la religion et une société hypomême fascination que sur Camus ? crite. J'ai aussi choisi la couleur pour les - En somme l'Etranger, pour mêmes raisons qui m'ont fait tourvous, est un acte politique, l'exner en Alger. L'univers de Meurpression de votre propre révolte, sault, celui de Camus, sont lumitracée avec plus de vigueur? Réneux, vibrants, méditerranéens, et quisitoire se servant d'un réquisila prison, la mort, c'est ce qui leur toire. Mais le vôtre s'élèvera contre enlève le soTeil. La sensualité cale tribunal ? musienne réclame « les cymbales · - Vous 6avez bien, je vous le du soleil » sur son film ... - Le vôtre, vous êtes trop répète chaque fois que nous now voyons, je ne raconte jamais que modeste! - Le sien, le mien ? J'ai plus la défaite de l'homme. L'essentiel,

Camw

Visconti

gage direct. N'est-ce pas trahison cela? - Je ne l'ai pas ressenti ainsi. L'Etranger pour moi, c'est le cri d'un homme qui se dresse contre les tabous, l'hypocrisie imbécile, l'absurdité de la logique sociale. On ne crie pas en indirect. - Considérez-vous que la casnéra rendra plus évidente, dans la mesure où elle traque plus impitoyablement les détails, cette absurdité, en même temps que cette logique? Je le voudrais. - Mais en vous astreignant à cette reconstitution de chartiste, comment se fait-il que dans le choix

besoin. Il « est » l'Etranger, cet homme qui ne découvre l'importance de sa vie, dans laquelle il ne choisit jamais, parce qu'il n'en a pas vraiment envie, et parce que surtout cela n'a pas tellement d'importance, qu'à la lueur de sa mort imminente. Seul, Mastroianni pouvait avoir les yeux de Meursault.

Révolte solitaire - Pourquoi avoir replacé le récit dans ce temps, à jamais révolu, d'Alger avant ses guerres ? - lmagine-t-on Meur6ault autre part que dans ee port, eette ville,

La Quiuzaine littéraire, 1·' au 15 sep'embre 1967.

d'affinités qu'on ne croit avec Meursault. - Elles ne sont pas évidentes. Pour qui vous sait militant de gauche, d'extrême gauche même, cette absence de combativité, ce « désespoir » qui implique l'immobilisme peut paraître paradoxal. - J'ai plus d'affinités qu'on ne croit avec Meursault. Le même mépris d'une certaine forme, de la bêtise de certains hommes, de cette bêtise presque involontaire, en tous cas inconsciente, qui les conduit à toutes les lâchetés, à toutes les tyrannies. Sa révolte pour être passive et solitaire n'en reste pas moins une révolte contre les tabous érigés

pour moi, c'est d'avoir été capable, en images, de rendre la lucidité de l'écriture de Camus. Mais l'ai-je été?

Il y a une forme d'attente dam le regard, à la lucidité triste, de cet homme qui me confiait un jour: Rien ne me surprend plU! des hommes. Je sais tout ce dont ils sont capables. C'est aussi le regard de Meursault, devant ses accusateurs. Après tout, il les comprendrait, n'avait-il pas commis un crime ? Propos recueillis par Anne CapeU. 27


AVIGNON

Avignon, Bayreuth pour Vous réunissez cent mille personnes, vous bouleversez momenta· nément l'économie d'une ville de province, vous créez un abcès de fixation pour touristes et campeurs, vous emplissez chaque soir la cour du Palais des Papes et deux autres « salles » moins vastes : c'est la victoire, incontestable, de la nou· velle formule du Festival d'Avignon ... Victoire de Vilar, certes. Regardons-y de plus près : les acteurs qu'on réunit sont parmi les meilleurs comédiens du moment, Suzanne FIon, Maria Casarès, Ser· ge Reggiani, Michel Auclair, les animateurs les plus représentatifs, Lavelli, Planchon, Bourseiller. Mais que dire de la création dramatique elle-même? Tout ce qui a été présenté ici est évidemment très sage : il n'y a au· cun risque à ravaler les façades du Tartuffe de Molière ou du Triomphe de la sensibilité de Goethe. Billetdoux n'a pas besoin d'être lancé, car il a son public, attentif déjà. Tout le monde sait que Mlle Darget est excellente dans les pièces de LeRoi Jones présentées dcpuis longtemps à Paris. Il faut le talent de Suzanne FIon et de An· nie Noël pour que la pièce de M. Adrien ne nous ramène pas à douze ans en arrière, aux débuts rIe Jean Tardieu et de Ionesco.

Trigano chez les Papes Pl~s sage encore est l'invitation lancée à Godard qui traîne avec soi une meute de jeunes snobs de dixhuit à vingt ans dont le moins que l'on puisse dire est que la culture cinématographique, pour fanatique qu'elle soit. reste assez sommaire. Car Godard, bien sûr, c'est la gloire. Certes, avec tout cela, on voit ce que Vilar a voulu réussir ... Faire du théâtre un « service public » comme les Postes ou les Douanes. Ce mot, il l'utilisait déjà dans son livre, De la Tradition théâtrale. L'immense rassemblement confus d'Avignon, on l'appelle ici un <r pu· blic ». C'est contestable. On devrait parler plutôt d'un mélange de grou· pes et d'affinités superficielles mo· mentanément réunis en masse par le rituel d'une célébration théâtrale mise au point depuis quinze ans et quelque peu démodée. Mais le poids de cette masse est sensible sur les critiques qu'elle terrorise, sur les animateurs de collo. ques et sur les metteurs en scène qu'elle exalte. Vilar la manipule un peu comme l'aurait fait autrefois un représentant en mission, sorte de Fouquier-Tinville imposant une subtile idée jacobine du théâtre. On fait en Avignon une « enquête » sur ce public. La sociologie a bon dos qui permet de justifier ' le questionnaire assez sommaire qu'on distribue c.o mme un tract en attendant d'hypothétiques réponses. 28

/ean Vilar

Maurice Béjart

Que sait-on des attitudes esthéti· ques réelles, des attentes collecti· ves, lorsqu'on a établi la nomenclaturE' des âges, des origines sociales ou régionales? Interroger cette ct. masse » (qui n'est réellement masse qu'au mo· ment où elle applaudit) c'est re· trouver les naïvetés de l'enquête d'opinion, procédé qui rend service au Club Méditerranée, peut-être, mais sert assez peu l'analyse des vocations artistiques collectives . . Car, ce public, il faut plonger en lui, le chercher là où il gîte, là où il mange, là où il se baigne, dans les groupes divers qui le compo. sent. L'unanimité apparente qui l'anime est celle-là même des files de visiteurs venus contempler les momies égyptiennes ou les toiles de Picasso : celle qui caractérise la consommation de masse des valeurs 'officielles et consacrées.

On a vu ce que signifiait la « re· ligieuse ferveur » de cette masse lorsque Maurice Béjart a présenté sa Messe pOUT le temps présent qui est sans doute son œuvre la plus difficile et la plus .saisissante. Là, il s'agit de création. Béjart chemine selon sa vocation propre, non en suivant le goût d'un « pu· blic » pour les valeurs reconnues. Et il faut du courage pour présenter dans ce cadre une œuvre aussi abstraite, un exercice spirituel aussi chargé d'humour et d'intelligence, parce qu'il prend le corps seul pour instrument d'écriture. Or, symboliquement, Béjart a violé le rituel de masse - ce type d'applaudissements qui entraîne daus la foule rassemblée une émotivité unanime assez proche des salivations du chien de Pavlovl • Parce qu'iJ laisse (comme le fait aussi le Living Theater) ses danseurs en

scène à la fin de la représentation, le chorégraphe de la Messe frustre les spectateurs de leur superficielle communion.

Théâtre et consommation de masse D'où vient un trouble qu'exprimèrent des réactions naïves et diverses, tant dans la cour des Papes que dans les rues d'Avignon ? Du moins, par cette sorte de scandale ou de viol, Béjart montre qu'il ap· porte un style nouveau, c'est-à-dire une invention nouvelle - et que cette invention n'est heureusement pas immédiatement acceptable par une foule formée sur des valeurs qui datent d'une dizaine d'années. Mais comment imposer des creations nouvelles sans violer le public auquel elles s'adressent?


BERNE

L'avenir de la science-fiction

vacanciers ? Le souvenir des premiers Festivals s'est dissout à jamais. L'afflux d'une quantité foudroyante de spectateurs en vacances a jeté Avignon dans la consommation culturelle de masse. Là est le vrai problème. Il n'a été abordé par aucun des participants de colloques ennuyeux où l'on échangeait des généralités autour du « problème des loisirs », terme depuis longtemps désuet ... Car l'affaire n'est pas simple ... Devant le succès remporté par la présentation d'œuvres « classiques » ou de pièces dont le succès a déjà été éprouvé . à Paris, faut-il penser

mation culturelle qui se contenterait de transmettre à des masses passives des valeurs culturelles réduites à des stéréotypes aisément consommables ?

L'existence collective Une des grandes idées de notre époque réside sans doute dans cet effort pour réparer une injustice éternelle et rapprocher la création artistique de l'existence collective à ses niveaux les plus profonds. Mais s'agit-il simplement de pédagogie? L'éducation des masses est

Semaine d'Art · en Avignon f!a .+, 7 el 10 c1iphlllhu 19.+7 Au Palai. des Papes, à 21 heures, création de

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Le tract du

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premier festival d'Avignon, 1947.

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Au Théâtre Municipa~ à 21 heures,création de

LA TERRASSE DE MIDI qu'il va s'établir une ségrégation entre animateurs-conservateurs-demusée qui ravalent la façade d'œuvres classiques et animateurs-visionnaires qui s'asservissent humblement à des créations nouvelles? Faut-il penser que la transformation dll théâtre en produit de consommation courante et la méta· morphose des metteurs en scène en fonctionnaires de la culture peul aider l'apparition de formes inédites? Là gît un double malentendu. Le premiér assimile la dramaturgie à une expression qui peut trouver l'approbation immédiate des masses après une éducation plus ou moins réussie. Mais le théâtre met en présence le corps réel d'un comédien et l'attente charnelle d'un public. Il ne peut être assimilé sans illu· sion au fait cinématographique ou plus généralement audio-visuel. D'autre part, les « mass media » ne sont pas comme. on le dit trop souvent de simples techniques. Pierre Schaeffer a raison de le rappeler : ee sont des faits sociaux et l'intermédiaire ici, la « médiation » est le sujet même de la création. Au théâtre, il en va autrement et si l'on tente une identification du genre de celle qu 'inspii-e Avignon, le metteur en scène devient un technocrate de la scène et le poème dramatique un vague prétexte à fantaisies visuelles ... On parle beaucoup d'animatÎGn culturelle. Mais que serait une aniLa Quinzaine littér&Üe, 1"

!lU

toujours dogmatique et créatrice de fanatisme aveugle, parce qu'elle ne fait pas appel à la libèrté mais à la respectUeuse passivité de groupes artificiellement rassemblés. L'animation culturelle, poUl avoir un sens, devrait aller à contrecourant de cette tendance à la « massification» qui caractérise la société industrielle mais qui ne la définit heureusement pas. Au lieu de s'adresser aux grands e~mbles abstraits, c'est aux groupes particuliers qu'elle devrait demander l'effort d'attention et d'attente. .Réanimer la spontanéité des groupes, n'est-ce pas rapprocher l'exigence de. liberté politique de l'exigenccde création artistique? La multiplicité de ces cellules vivantes, de ces électrons sociaux ne serait-elle pas capable de réaliser le vieux rêve de l'art fait par tous et pour tous ? Il faut pour cela une tentative moins académique que celle d'Avignon. Moins soucieuse de la masse et plus attachée aux publics. Si A vignon ne veut pas devenir le Bayreuth des campeurs et des vacanciers, c'est en brutalisant les spectateurs qu'il y parviendra, voire en les divisant ...

Jean Duvignaud 1. L'origine de cel! applaudissement>f est différente : lors du tout premier T N.P., ils furent une manifestation de 18 part d'un publie conscient en faveur de Vilar alors menacé par l'adminiatration. Depuï.. ils se sont ritualiaés.

15 Hptembre 1961.

Depuis le 8 juillet, et jusqu'au 17 septembre, la Kunsthalle de Berne consacre sept salles à une exposition entièrement, et officiellement vouée à la science-fiction. Au dos du catalogue, une page publicitaire des calculateurs IBM: « La science·fiction prépare l'avenir. IBM le réalise. » Dans la première salle, un manipulateur de laboratoire: il a sauté le pas de la fiction pour se transformer en une étrange machine équivoque. Ces deux exemples sont presque une définition: la Science-Fiction n'est pas simple fantaisie. Floraison de l'imaginaire, sans doute, mais qui plonge ses racines dans le rationnel et le remodèle sans l'altérer. Comme ces « nonsense » anglais qui ne sont pas absurde mais reflet inversé de la logique. Les organisateurs se sont efforcés d'écarter peintures et sculptures qui pouvaient prêter à confusion avec le « fantastique » ou le surréalisme. Et on ne peut leur tenir rigueur d'avoir fait voisiner dans le rayon des jouets, soucoupes volantes et robots (généralement de fabrication japonaise) avec de petits monstres flasques et gluants (made in USA) . de résonance plus fantasmatique qu 'extra-terrestre. Si l'utilisation de la science-fiction dans les gadgets, comme référence ( cartes postales bumoristiques) ou signe (dessin ou slogan publicitaire) se révèle plus vivace qu'on n'aurait cru, dans la bande dessinée et le film, elle se manifeste sous une forme plus stéréotypée et plus attendue: extra-terrestres hideux, machines infernales et cités étranges, combats contre des insectes géants ou des robots, avec les arrière-plans d'horreur, de violence et d'érotisme qui caractérisenl presque toujours ces productions, qu'elles soient médiocres ou remarquables, inteUectuelles ou populaires.

Les gadgets C'est en regardant les vitrines de livres et de fascicules, vieux parfois de plusieurs siècles, que l'on découvre la vraie dimension de la science-fiction. Remontant dans Je passé, à travers les innombra1tles publications qui surgirent de la grande flambée scientifique du XI:xe siècle, on perçoit la continuité qui relie des œuvres éloignées parfois de "f'ingt siècles : le mot science-fiction est récent, mais Je Voyage Imaginaire, l'Utopie, la C0smogonie, qui figurent parmi les genres littéraires les plus ancieDs, traduisent touji)~Sl':f .à. un niveau de connaissance différent, un état d'esprit analogue et des préoceupttions parallèles, Pour s'en convaincre, il suffit de lire trois l'ODUIDII qui viennent de paraître praque simultanément en français. Le plus ancien (il a été écrit peDdant la dernière guene), etSBIIII

œ

doute le plus important est Créateurs d'étoiles· de l'écrivain anglais Olaf Stapledon. Le narrateur est apparemment un homme comme les autres. Bon époux, bon père. Avec simplement un goût prononcé pour la métaphysique_ Il · sort un soir de chez lui, grimpe sur une colline, s'absorbe dans la contemplation des étoiles. Tout à coup, la terre, sous ses pieds, devient transparente et semble se dissoudre. La lumière de sa maison pâlit et s'éteint. Une force incompréhensible l'emporte, par le regard, à travers la galaxie. Ce début pourrait faire penser à une œuvre fantastique ou à une divagation mystique. il y a un peu de l'un et de l'autre dans le récit de Stapledon. Mais, la fiction de la traversée interstellaire admise (elle sera justifiée et expliquée par la suite et le ·lien rationnel sera ainsi maintenu), Stapledon rétablit un système eohérent lJUÎ le mène de l'utopie de l'Autre Terre (première étape du Voyage Imaginaire) à une vision globale de l'univers dans.son passé et son devenir. Lancé à travers l'espace et le temps, il eontemple des millions de mondes, suit l'évolution zool~ de mille espèces, révolutiOll sociale de mille peuples, leurs chutes et leurs ap0théoses_ Voici un monde marin peuplé de voilieJ:S v.innts. Mais., ~es pages plus loin. le poète 1aisse la place à récono1IlÏsk et au sociologue déerivant Js &JmuIe cri3e ..., tnnersad: à un D10DlftIl ou à un autre louIles les l'aces panenues à un .stade élevé de science et d'iDdosbie et dont bien peu arrivent à trouver rissae. A mesuœ que l~exploratioD. se p0ursuit, Je moi du vo~ se gonRe progressiTemeol par rapport de ~ DOlivdJeS. .reDCMdrées eu. COUD de :JOII'te. se forme en une . sorte ~ « gestalt al -mentaL En~ la pulie des l~ cfa C~ parait bien banale. On n ~y recolllUlÎl guère railleur lyri.que de Demuin la ckien:s.. Des jlllll1'ml1isœs partis en reportage S1D' Phdon, une ~ sante et géniale cosmonaute, prisomü:èœ d'un eezeueil vo1aat, de mystérieux 5Ïgnaox venus de l'ESpace..• A partir de ces données staDdard., .Simak. parvient pouriant il réintroduire dans la ..........,Je partie de san roman un eeItaÏB noimbre de thèmes persouDeis. Comme ehez SmpIedoa., le Voyage lmagia.aire le mène à J'eIlCOllIrer des aces et des :sociéIis différenflls, à démuvril' les lois ~ ~I la fle et la mœt des ~. mais <De qui l~ pIDs ~ c"est 4'11IiIiBer la peiatuœ de mœuIrs ldopiIpIes poUl' ~ SIU' 1IBe üsiaa deS &aaliIis et de reliSE .. ce de rRetaaae. Simak iCODpÏII'llœmae COIIIJIIe .. 11: avisé ..won,. de l"-iftD lt., _ _ il se cbarp .eu JDême tIemps .le le

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TIERS-MONDE

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L'avenir de la science-fiction

te les Courants de l'espace ; d'Isaac Asimov. Quoique les problèmes cosmiques {vie et mort des.étoiles, novae, etc.) jouent un rôle important dans son roman, le bio·chimiste Asimov n'y voit pas une fin en soi, mais un prétexte à étudier l'évolution sociale, politique et économique des sociétés humaines face à des cataclysmes stellaires qui échappent à leur contrôle. Bien construit, doué d'une unité romanesque autonome, les Courants de l'espace apporte un élément de compréhension indispen-

Terre et l'Humanité ont eu et auront à jouer. C'est, enfin, parce qu'il a vécu toute sa vie dans l'espace, que celui « qui analysait le Vide » dans le roman d'Asimov peut retourner enfin sur la Terre et s'endormir au cœur des origines de sa race. Certains confondent encore la science-fiction avec le surnaturel, qui n'est pas conjecture mais information (si inexacte soit-elle ), ou avec le fantastique qui est choc émotionnel. Sans doute, bien des lecteurs de science-fiction recher-

a tué la science-fiction revient, ni plus ni moins, à soutenir que la science est parvenue à son stade final, ce qui se passe de commentaires. En fait, la science-fiction s'est détournée peu à peu de la -forme technique et mécaniste qui a été la sienne pendant un demi-siècle (science-fiction à la Jules Verne). Le développement futur du progrès technique et des sciences physiques nous apparaît aujourd'hui démontré a priori. Comme la géométrie, il a perdu sa raison d'être au niveau de la pensée conjecturale.

Asie

Pierre Fistié L'évolution de la Thailande

contemporaine Armand Colin éd. 390 p. Jacques Decornoy

L'Asie du Sud-Est Casterman éd. 247 p. Sauf erreur, aucune étude seneuse sur -le Siam n'avait été publiée en langue française depuis 1906, date de la publication du volume du commandant Lunet de la Jonquière (le Siam et lea Siamois). Depuis cette date, le pays n'a pas seu· lement changé de nom; il s'est surtout profondément transformé. Il a abandonné sa monarchie absolue médiévale et semi· théocrAtique, pour osciller entre des ten· tatives de démocratie à l'occidentale (en 1932.33, en 1945.47, et de nouveau en 1955.57) et des régimes militaires semi· modernes. Il s'est inséré dans l'économie du xx' siècle. Il tient aussi une place importante et originale dans la stratégie internationale de l'Asie du Sud· Est. Il reste aujourd'hui la seule base continentale de cette région qui soit relativement sûre pour les Américains; c'est en Thaïlande que se trouve le siège de l'O.T.A.S.E., appuyé par une très im· portante infrastructure militaire améri· caine. M. Fistié nous donne une étude très poussée de l'évolution du Siam dans le dernier demi-siècle. Non pas une simple chronique politique (encore que révolu· tion des événements soit suivie de très près) . Mais une analyse de l'interaction de faits sociaux, économiques, idéologi. ques, politiques. Il réussit ainsi à nous rendre intelligible l'apparente exception que constitue le Siam, îlot de conserva· tisme au milieu des forces populaires en plein bouillonnement danli tous les pays voisins. En revanche, on peut regretter qu'il n'ait pas analysé de plus près l'influence du contexte international sur l'évolution la plus récente du pays. Ce point est d'autant plus important que, depuis quelques mois, sinon-quelques années, une zone de dissidence révolu· tionnaire semble se constituer dans le Nord·Est du Siam, en liaison avec tout le complexe des forces « populaires » du Laos, du Nord·Viêtnam et de la Chine. La situation au Siam pourrait bien se polariser dans un avenir p?int trop loin. tain, et cette polarisation n'a de sens que par rapport aux effets de la main· mise américaine sur ce pays.

Une photo de Métropolis.

sable à la grande fresque de l'avenir. Qualités inégales, préoccupations différentes, ces trois romans se situent dans une tradition millénaire; ils posent pourtant le problème le plus actuel et le plus dramatique qui soit, celui de l'arrachement à la Terre, le désir de percevoir notre monde et nos semblables de l'extérieur, et l'incoercible nostalgie du retour. Ainsi le héros de Stapledon, parvenu à contempler la Terre comme un caillou, entre des milliards de cailloux lancés dans l'espace, revient « s'engloutir dans l'enclos de sa galaxie natale D. Et les cosmonautes de Simak s'écrient à la fin de leur voyage « Oui, nous rentrons chez nous D, mais c'est après qu'un peuple ·étranger rencontré aux confins de l'univers leur ait révélé la nature réelle de leur existence, le rôle que la 30

Une bande deasinée de Frank Frcuetro.

chent avant tout « l'évasion », le jeu. Mais, s'il y a jeu, son caractère déductü lui ouvre une infinité de possibilités et de ramüications. Les formes ne sont pas fixes, ni les pièces interchangeables.

Les maohines _ Sa forme privilégiée (et quantitativement, de loin la plus importante) est la nouvelle, de longueur variable (3 à 80 pages), ce qui exclut la possibilité d'une structure fixe et convient mieux à l'exposé d'une idée qu'au récit d'une aventure. Il n'est pas rare que l'on annonce, en France, la mort de la sciencefiction, tuée, dit-on, par le progrès scientüique. La science-fiction étant une réponse anticipée aux questions ouvertes par le développement de la science, supposer que la science

Mais il suffit de lire les jeunes écrivains de science-fiction américains pour se convaincre que cette reconversion n'est en aucune façon un déclin. L'évolution de notre société de consommation, les sciences humaines (psychologie, sociologie, économie politique ... ) qui posent aujourd'hui les problèmes les plu~ angoissants, sont une source d'ins· piration au moins aussi valable que le perfectionnement des machines. Une telle orientation démontre à elle seule que le rôle de la sciencefiction est loin de se borner à la distraction, et qu'elle constitue un véhicule culturel actü. Juliette Raabe 1. Olaf Stapledon : Créateur, d'étoile&, éditions Planète. 2. Clifford Simak : lea Ingénieurs du Coamoa, Eric Losfeld éd. 3. Isaac Asimov : lea Courant, de l'eaPace, « Galaxie spécial» 3, éditions Opta.

Ces perspectives sont d'ailleurs évoquées par Jacques Decornoy, dont l'esquisse générale des problèmes politiques de l'Asie du. Sud·Est vient à point, et comble une lacune sérieuse dans la « lit· térature » de langue française. Cet ou· vrage, très solide et en même temps de lecture agréable, évoque brièvement l'évo- _ lution de l'Asie du Sud·Est depuis Je « coup de -poing japonais » de 1941 et l'effondrement des puissances coloniales "lanches dans cette partie du monde. Il analyse plus longuement les déveloplCments récents : mouvements populairea l'indépendance, échec de la démocratie ( à l'occidentale », vicissitudes politiques liverses des Etats nouveaux. L'accent est 'urtout mis sur l'évolution politique, mais 'auteur attire aussi l'attention sur les .'ÏSquea de « balkanisation » économique Jt sur l'absence de tout modèle économi· que valable dans l'ensemble de cette région. Pendant longtemps, les Français ne connaissaient - et fort mal - que l'In· dochine, lea Hollandais les Indes néer· landaises, les Anglais les territoirea brio tanniques de Malaisie, de Birmanie et de Ceylan. L'ouvrage de J. Decornoy nous aide à dépasser cea cloisonnements héri· tés de l'é~ coloniale et à acquérir une vue d'ensemble de cea pays si divers et pourtant entraînés aujourd'hui dans un destin commun, ou au moins soli· daire. Jean ChealU!fJu"


TOUS LES LIVRES

Afrique T. Munzer et G. Laplace L'Afrique recolorWée? Cahiers du Centre d'Etudes socialistes 29, rue Descartes, Paris-Se •

Lu cahier. du Centre d'Etudes socialistes ont publié il ya a quelque temps une brochure sur l'Afrique. Rédigé par 'l'. Munzer et G. Laplace, cet opuscule est plutôt un recueil de deux textes déjà diffUllés et qui ont été revus à la lumière de récents événements. Les auteurs y étudient les problèmes posés par le passage de la colonisation à l'indépendance, les voies de développement, la nouvelle stratification sociale et les répercussions 8ur l'évolution africaine de la transformation du régime soviétique en une bureaucratie d'Etat . Militants de la gauche llUIl"XÏste, les auteurs envisagent ces questions dans une perspective très engagée, liée à leur conception de la politique européenne la nécessité d'opérer une révolution prolétarienne en Europe. Le début de la pré. face est éclairant à ce sujet : II( L'inJé. pendance de l'Afrique avait suscité de grands espoirs pormi les révolutionnaires européens. On espérait obscurément que ces mouvements d'émancipotion a/faibliraient les puissances coloniales, rendraient caduque leur politique extérieure, bouleverseraient leur économie et, en définitive, précipiteraient la chute des capitalistes occidentaux sans grands efforts de la part des peuples européens ... C'est le contraire qui est advenu. L'indépendance des pays sous-développés a aggravé leur situation économique et accentué la prospérité du monde occidental. » Tout se passe comme s'ils assignaient aux masses africaines la mission de susciter sinon de réaliser la révolution socialiste européenne. Examinant « les moyens de lutte internationaliste », ils cstiment qu'un « parti ouvrier révolutionnaire » africain dont ils suggèrent la création doit, sur le plan international, avoir pour tâche principale de provoquer une crise politique au sein des pays capitalistes et prévoir son exploi. tation en liaison avec les partis ouvrien européens. Ils Pensent que les partis ou· vriers européens sont incapables par euxmêmes de comprendre les raisons « des soubresauts de ln politique bourgeoise »; que, livré à lui-même, le capitalisme est incapable de surmonter toutes ses crises et de se perpétucr indéfiniment. T. Munzer et G. Laplace expliquent que la première condition à l'indépendance des peuples africains est le remaniement des frontières territoriales héritées de la colonisation. Ces frontières paralysent les efforts de développement, multiplient les coûts des infrastructures administratives et avivent les rivalités politiques entre Etats artificiellement créés. Seule la constitution de grands espaces économiques peut permettre un bon fonctionnement des entreprises et des économies africaines et une industrialisation rationnelle. De fait, dans le cadre des structures actuelles, l'implantation des entreprises minières et agricoles destinées à l'exportation n'a aucune répcrcussion sur le développement du pays; les faibles profits laissés aux territoires africains sont confisqués par une bureaucratie d'autant plus lourde et onéreuse qu'elle est improductive. Sur ce point, l'analyse de ces auteurs marxistes rejoint celle non moins pénétrante de René Dumont dans l'Afrique noire est mal partie. Une deuxième tâche, suggérée par Munzer, est d'organiser le commerce extérieur des pays du tiers-monde au bénéfice des ces derniers. Ceux-ci doivent réaliser un front de vendeurs de matières premières qui imposera ses prix aux acheteurs. Cette tactique réduira les risques d'aggravation de la baisse de leur capacité d'importation sinon la détérioration des termes de l'échange lui-même. L'incapacité des Etats africains à s'entendre sur ce plan vient de ce qu'ils n'ont pas réussi à faire tomber les barrières coloniales. L'échec de l'Union Ghana-GuinéeMali, la rupture de la Fédération du Mali et d'autres avatars du même genre illustrent, hélas! cette conclusion. Demba Diop La Quinzaine littéraire, 1" au 15 seplembre 1961.

Ouvrag•• publiA. du 10 JuiU.t au 10 aoilt

BOMAIiS raAIiQAIS

T. 9: La compagnie blanche Rencontre. 450 p., 13.55 F le vol.

intégrale d'une pièce jouée dans le monde entier.

Alain Dorémleux Mondes Interdits Eric Losfeld éd., 222 p.

Roger Vailland Œuvres complètes T. 4: Héloise et Abélard Le colonel Foster T. 5: Monsieur Jean, Expérience du drame. Rencontre. 350 p .. 13,55 F le .vol.

Cheik A. Ndao L'exil d'Albourl suivi de La Décision . Pierre Jean Oswald 136 p., 12 F. Premier volume de la collection • Théâtre Africain », préfacé par Bakary Traoré.

POESIE

Anne Blondeau Le plus fort de mon cri Pierre Jean Oswald 80 p.8.70 F Un poète nouveau. Benjamin Péret Mort aux vaches et au champ d'honneur Eric Losfeld, 128 p. Réédition.

POCHE

Baudelaire Poèmes et prose. P.S./Seghers

De Pouchkine à Gorld

T. 9. Saltykov-Chtchedrine, Théodore Rechetnikov. T. 10: Merejkovski, Andreiev Korolenko. Présentation de Georges Haldas. Rencontre. 580 p., 13,55 F le vol.

TBÉATaE BIOGRAPHIES

Jean Caillois Ernest Chausson Seghers, 192 p. 8,40 F Un grand musicien, contemporain de Debussy, Fauré et Ravel.

Dictionnaire de l'aviation Seghers, 448 p_, 14 F. Un panorama complet de l'aviation, des origines à nos Jours

Heinar Kipphardt En cause, J. Robert Oppenheimer uad. de l'allemand par Jean Sigrid l'Arche, 168 p., 12 F. Version française

DIVEas Raimondo Luraghl Histoire du colonialisme Marabout Université, Des grandes découvertes aux mouvements d'indépendance.

Clifford Simak Les ingénieurs du cosmos traduit de l'anglais par J. et M. Clément Eric Losfeld, 238 p. Science-fiction . . Voir notre numéro p. 29.

Frédéric Nietzsche L'antéchrist trad. par Robert Rovinl Présentation de D. Mascolo coll. Libertés J.-J. Pauvert.

Luis Mercier Vega Mécanisme du pouvoir en Amérique Latine Ed. Universitaires, 229 p., 15,45 F. Un continent à la recherche de techniques et de valeurs I"évolutionnaires à la mesure de sa complexité.

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