La Quinzaine littéraire n°30

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Numéro 30

15 ou 31 juin 1967

Ezra

an os Une lettre inédite de

• e aire Le Clézio --essayiste .La famine du monde Panofsky .Un grand méconnu : A. Biély Israël· .Amour et «be-in» .La photographie


SOMMAIRE

Essais d'iconologie Architecture gothique et ..pensée scolastique

par Françoise Choay

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L"E LIVRE DE LA QUINZAINE

Erwin Panofsky

5 6 '1

LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

Andréi Biély Herbert Gold Luigi Malerba

Petersbourg Le Voyage de Crack Le Serpent cannibale

par Rémy Laureillard par Marc Saporta par Dominique Fernandez

8

ROMANS FRANÇAIS

Pierre Molaine Olivier Perrelet Pascal Lainé Jean-Pierre Attal Réjean Ducharme

Le sang Les petites filles criminelles B. comme Barabbas L'Antagoniste Le nez qui voque

par par par par par

POÉSIE

Pierre Dalle Nogare

H auts-F onds

par Paul Nazikian

Cantos CX

par Ezra Pound

9

10

R.L. M.C. de Bruhnoff R.L. Olivier de Magny Alain Clerval

11

INÉDIT

12

HISTOIRE LITTÉRAIRE

Marcelin Pleynet Comte de Lautréamont

Lautréamont par lui-même Œuvres complètes

par Claude-Michel Cluny

14

INÉDIT

Claude Pichois

Baudelaire à Paris

par José Cabanis

16

ARTS

Beaumont Newhall Frantisek Dvorak

L'histoire de la photographie depuis 1839 à nos jours Hans Holbein le jeune. Dessins

. par Jean A. Keim par Jean Selz

18

ESSAIS

J.M.G. Le Clézio

L'Extase matérielle

par Roger Borderie

20

ANTHOLOGIE

Robert Sabatier

Dictionnaire de la mort

par Juliette Raabe

POLITIQUE

Abdel · Razah Abdel Malek

Le monde arabe à la veille d'un tournant

par Clara Malraux

22

Pierre Naville

La guerre et la révolution 1. Asie : Viêt-Nam et Corée

par Jean Chesneaux

23

René Dumont, Bernard Rozier

Nous ·allons à la famine

par Henri Desroches

24

THÉATRE

Bernard Dort

Théâtre public

par Robert Abirached

26

MATHÉMATIQUES

Peter Wolf

La grande aventure des mathématiques

par Gilbert Walusinski

SCIENCE -FICTION

Stanislas Lem Emilio de' Rossignoli « Fiction» nO 161

Le bréviaire des robots H sur Milan

par C. et R. Dadoun

18

par Frédéric Lamotte

REVUES NEW YORK

Direction: François Erval, Maurice Nadeau Conseiller: Joseph Breitbach Direction artistique Pierre Bernard Administration: Jacques · Lory Cpmité de rédaction: Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Bernard Pingaud, Gilbert Walusinski.

La Quinzaine littéraire

Secrétariat de la rédaction: Anne Sarraute Informations: Marc Saporta AssÎ!tante: Adelaïde Blasquez Documentation: Gilles Nadeau Rédaction, administration: 43, rue du Temple, Paris 4 Téléphone: 887.48.58.

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Amour et be-in

par Alice Rewald

Publicité littéraire: La Publicité Littéraire 22, rue de Grenelle, Paris 7. Téléphone: 222.94.03

Crédits photographiques

Publicité générale: au journal. Abonnements: Un an: 42 F, vingt-trois numéros. Six mois: 24 F, douze numéros. Etudiants: six mois 20 F. Etranger: Un an: 50 F. Six mois: 30 F. Tarif d'envoi par avion: au journal Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque pestaI C.C.P. Paris 15.551.53

Directeur de la publication : François Emanuel. Imprimerie: Coty S.A. 11, rue F.-Gambon, Paris 20.

Copyright: La Quinzaine littéraire.

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Minuit éd. L'Age d'homme éd. Calmann-Lévy éd. J. Sassier, Gallimard Gal~ard éd. Anette Upa Le Seuil éd. Archives photogr. Archives photogr. Coll. A. Jammes Roger Viollet Cartier-Bresson, magnum Roger Viollet LiseUa Carmi, Snark Ernst Haas, magnum Marc Riboud, magnum Planète éd. Terrain vague éd. The East Village Other


L. LIVBB DB LA. QUINZA.IN.

Une Inéthode pour l'histoire de l'art Erwin Panofsky

Essais d'iconologie Gallimard éd., 396 p. Erwin Panofsky

Architecture gothique et pensée scolastique trad. et postface de P. Bourdieu 69 illustrations Ed. de Minuit, 216 p.

Il aura fallu attendre quarante ans après la publication de son premier livre théorique, ldea, pour qu'Erwin Panofsky soit traduit en français. Quarante ans au cours desquels son œuvre poursuivie à l'Institut Warburg de Hambourg jusqu'en 1933, puis il l' « Institute for advanced studies » de Princeton jusqu'à ce jour, a marqué une étape de la réflexion sur l'art et contribué à renouveler en particulier notre visi9n de la Renaissance. Dans les pays anglo-saxons et germaniques, 1dea, Studies in 1co-

nology, M eaning in the visual arts font partie des livres de base pour l'enseign.ment de l'histoire de l'art. En France, l'œuvre de Panofsky, comme l'ensemble des travaux de l'Institut fondé par A. Warburg, n'ont été connus du public qu'à travers les ouvrages qui s'appuient sur eux et s'y refèrent, comme ceux d'A. Chastel ou de P. Francastel. Ce n'était pas assez pour que les deux livres traduits simultanément, Studies in Iconology (1939) et

Gothic architecture and scholasticism (1951) ne conservent leur valeur de choc: on y trouve liées dans .une relation dont le jeu ne cesse de les approfondir réciproquement, une méthode qui est aussi une théorie du savoir et son application, méticuleuse. Toute l'œuvre de Panofsky pourrait être définie comme une méthode de lecture, la recherche des clés permettant le déchiffrement de ces systèmes de signes spécifiques que sont les peintures ou les œuvres plastiques en général. L'analyse procède avec précaution, par niveaux. Il s'agit de ne pas SOl"tir de notions qui soient propres à l'œuvre concernée. Une première étape « pré-iconographique » en déterminera la « signification primaire ou naturelle », le sujet apparent; on précisera ensuite la signification conventionnelle ou symbolique; c'est l'étape iconographique qui permet de déterminer si une jeune femme portant une tête sur un plateau est Judith ou Salomé. Enfin seulement, après cette ascèse attentive, il devient possible d'aborder au niveau iconologique: ce que Panofsky appelle « la signification intrinsèque », ce que, dit-il, paraphrasant Pierce, « une œuvre trahit mais n'expose pas, et que l'on appréhende en prenant connaissance de ces principes sous-jacents qui révèlent la mentalité de base d'une nation,

d'une période, d'une classe, d'une conviction religieuse ou philosophique particularisée inconsciemment par la personnalité propre à l'artiste qui les assume ». La signification se dégage, plus claire à mesure que se précise la convergence de ces « principes ». Ainsi, l'œuvre de Michel-Ange est éclairée par l'étude des conflits insolubles entre une mentalité médiévale persistante (que trahissent également peinture, science, philosophie) et la nouvelle vision classique qui inaugure un nouveau rapport à l'histoire. Par exemple, les contradictions stylistiques du Jugement dernier dont Malraux ne craignit pas d'écrire qu'il « est né d'une méditation sur des figures, non sur la foi », ne sont, au contraire, explicables et compréhensibles que par rapport à cette foi dont le contenu n'était exprimable que par un certain système de formes: elles marquent le moment de transition vers « la transparence incorporelle » et « l'intensité glacée » qui éVQqUent l'art du moyen âge et représentent effectivement chez Michel-Ange une capitulation. Capitulation devant des problèmes qui ne devaient pouvoir être résolus qu'à l'époque baroque « lorsque des formes en-

tièrement nouvelles d'expression artistique, comme le drame moderne, le roman moderne, allèrent de pair avec le cogito de Descartes; lorsque la prise de conscience de contrastes insolubles trouva une issue dans l'humour de Cervantès ou de Shakespeare ». Toute interprétation « intrinsèque » suppose donc pour Panofsky la confrontation des œuvres de l'art avec celles d'un ensemble d'autres activités: le contenu de l'œuvre plastique doit être corroboré par celui de la politique, de la religion, de l'économie contemporaines. C'est à cette seule condition que peut être opéré le décodage des œuvres d'art et leur organisation en ensembles cohérents qui constitueront pour une époque donnée « un cosmos de culture », comparable au « cosmos de nature » qu'élabore la science. De ce découpage, les deux livres traduits donnent une série d'illustrations. L'Architecture gothique éclaire réciproquement l'un par l'autre l'art des cathédrales et la philosophie qui, au terme du livre, sont saisis comme une seule et même démarche. Laissant de côté les parallèles et les comparaisons usées, Panofsky cherche au-delà des contenus manifestes et des apparences, les modes d'opération. Ainsi la construction de la cathédrale comme celle de l'argumentation scolastique font apparaître un mode d'articulation systématique inconnu jusque-là. Non seulement Panofsky démontre la correspondance entre les trois phases de la scolastique et celles de l'architecture gothique, mais, chaque fois, il démonte les systèmes d'homo-

La Quinwine littéraire, 15 au 30 jttin 1967.

Erwin Panofsky

logies. En retrouvant à l'œuvre dans le gothique rayonnant · ou classique les principes scolastiques de manifestation, clarification et subdivision, ii dépasse du même coup les anciennes querelles qui ,opposaient dans leur interprétation du gothique Viollet-le-Duc et Choisy à Pol Abraham, les fonctionnalistes aux illusionnistes. Les uns et les autres avaient à la fois tort et raison, appliquant aux cathédrales des notions étrangères à leur « logique visuelle ». De même dans les Essais, E. Panofsky part du fait que le moyen âge n'a cessé de conserver de l'antiquité une tradition écrite (thèmes) et une tradition plastique (motifs) sans jamais pouvoir en faire la synthèse par impossibilité d'ajuster une forme à un contenu adéquat et vice versa; il en tire les concepts de proto-humanisme et de proto-renaissance qui lui permettront de donner à la Renaissance un contenu plus riche et d'éclaircir le conflit qui s'y livre entre le néo-platonisme et le christianisme. Jamais cependant, au cours de ces études, le système ne se fige. La méthode se prouve par son efficacité, par l'affrontement et la réduction constante du concret. D'où une information prodigieuse, mais qui ne s'achève jamais en érudition. De plus, Panofsky reconnaît, quand elles se présentent, les discordances ou les lacunes des homologies. Il ne craint pas non plus de rendre compte de certaines anomalies par la psychologie et le microcosme individuel des artistes, ce qui nous vaut l'admirable biographie de Suger!, ou l'essai sur Piero di Cosimo, vrai épicurien dans un siècle de platonisme, et dont l'amour « fou » pour les bêtes lui fit pressentir des idées et annoncer une sensibilité destinées à éclore deux siècles plus tard. La virtuosité de E. Panofsky ne doit cependant pas laisser sousestimer les problèmes que pose sa

méthode: si elle permet d'échapper au formalisme où entraîne Wolfflin, si elle démolit la métaphysique animiste d'un Elie Faure, elle risque cependant de laisser échapper la spécificité du fait plastique. Elle exige pour être dominée et maniée sans danger une sensibilité esthétique et ùne intuition que, précisément, E. Panofsky possède à un haut degré. On s'interrogera en outre sur la nature des « principes », « mentalités », « habitudes mentales » qui sont le dénominateur commun d'un ensemble de formes culturelles et caractérisent un « cosmos de culture » : ni structures, ni formes kantiennes (bien que s'y révèle l'influence de Cassirer), cherchées dans les activités spéculatives, plus que dans les activités pratiques, ces « habitus » évoquent assez le « niveau archéo· logique » de Michel Foucault et invitent à la même interrogation. Compte tenu de ces difficultés, on mesure l'appert et la portée de cette méthode pour l'histoire de l'art: instrument qui permet d'en découvrir les articulations vraies et de la faire sortir de son isolement par rapport aux autres champs de l'histoire et aux autres sciences de l'homme. La contribution de E. Panofsky au décloisonnement de ces disciplines est peutêtre l'aspect le plus brûlant de cette œuvre complexe. Ce n'est point hasard qu'il soit in\rodui.t en France, non par des historiens de l'art, mais par P. Bourdieu et B. Teyssèdre, l'un et l'autre - leurs œuvres personnelles en témoignent - également préoccupés par l'unité de la recherche dans les sciences humaines. On 'leur doit deux présentations qui ne laisseront pas de faciliter la lecture. Et, fait trop rare pour n'être pas mentionné, leurs deux traductions rivalisent de qualité. Françoise Choay 1. Etude extraite de l'édition par Panof· sky de l'œuvre de Suger, et publiée par P. Bourdieu comme introduction à l'Architecture gothique.

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La

conférence de Stockholm.

A Stockholm, c'est cette rémunéraLe 11 juin s'est ouverte à Stocktion même qui est mise en cause par holm la conférence internationale les pays en voie de développement. chargée de réviser la Convention, dite Ces derniers souhaitent pouvoir s'apde Berne, pour la protection de la proprier aux conditions qu'ils fixeront propriété littéraire et artistique. eux-mêmes les œuvres qu'ils estiment Ces !,!ssises, quasi mondiales, du nécessaires à leur' développement culdroit d'auteur, qui doivent se tenir en principe tous les dix ans, mais que turel. Les pays fournisseurs de culture ne les difficultés techniques et internacherchent pas à priver les soustionales ne permettent guère de condéveloppéS de ces nourritures spirivoquer que tous les vingt ans envituelles, et d'autant moins qu'ils pourron, présentent une importance particulière. voient dans une large mesure à leurs nourritures terrestres. Mais les auLeur fondement juridique est la Convention d'Union, signée en 1886 teurs ne veulent pas faire les frais de l'opération; ils prétendent que par quelques pays européens soucieux de protéger mutuellement leurs c'est aux gouvernements de pourvoir auteurs et leur éviter d'être pillés par à • l'aide intellectuelle. et ne veulent les éditeurs étrangers sous le prépas être dépouillés de leurs moyens texte, souvent invoqué alors, que les d'existence sous prétexte d'assislois sur le droit d'auteur ne protètance internationale; selon eux, gent que les nationaux. quand les gouvernements veulent. par exemple, fournir du blé à un pays 'en A l 'époque, cet instrument juridivoie de développement, ce blé est que était encore assez modeste payé au · cultivateur; dès lors, pourles moyens modernes de diffusion quoi exproprier l'auteur sans autre qui ont augmenté considérablement forme de procès? les revenus des auteurs n'existaient L'une des formules qui sera envipas mais il . avait le mérite de sagée à Stockholm consiste à couper poser le principe d'une protection inla poire en trois : les pays en voie ternationale qui, de révision en révide développement paieraient un tiers sion (à Paris, à Berlin et à Rome) des droits d'auteurs sur les œuvres allait s'étendre considérablement. dont ils ont besoin pour leur vie culC'est en 1948, à Bruxelles, que l'auturelle; un autre tiers serait assumé torité de la Convention, conçue compar les gouvernements soucieux de me un instrument de protection des leur fournir une assistance, et les créateurs intellectuels, commence à auteurs, pour leur part, abandonneêtre battue en brèche. En effet, une raient aussi un tiers de leurs droits. notion nouvelle s'y fait jour : celle du droit du public. Producteurs de films Une autre des batailles qui se livreet émetteurs de radiodiffusion ou faront à Stockholm concerne la fusion bricants ·de disques veulent que le des Bureaux internationaux pour la principe de l'autorisation préalable de propriété intellectuelle (droits d'aul'auteur (seul moyen, pour celui-ci, de teurs et brevets) en un seul orgafaire valoir ses droits à une rémunénisme, l'Organisation de la Propriété ration) soit remplacé par la • licence Intellectuelle. Les auteurs sont d'aulégale • d'utilisation de l'œuvre : ce tant plus réticents qu'ils se sentent qui revient à dire qu'un organisme en état d'infériorité devant les central pourrait fixer arbitrairement le tenants de la propriété industrielle et tarif d'une rémunération · équitable. que la fusion risquerait de les mettre Malgré quelques entorses au droit en minorité dans un organisme des auteurs, la Convention de Berne, unique ... d'autant plus que l'U.R.S.S., révisée à Bruxelles, maintenait dans par exemple, n'a jamais reconnu le l'ensemble les prérogatives des créadroit d'auteur international mais accéteurs intellectuels, mais les tenants derait à l'Organisation par le biais de des • droits du public • gagnaient . la Convention sur les Brevets, dont manifestement du terrain. elle fait partie. Enfin, parmi les points de détail qui La thèse de ces derniers était que feront l'objet de débats, figure la cesl'œuvre de l'esprit constituant un inssion des droits des auteurs aux protrument de culture, l'élévation du nlducteurs de films et de télévision. veau de vie des masses exige que Ces derniers voudraient se voir accorl'on utilise librement les créations inder une présomption de cession des tellectuelles sans que l'auteur puisse droits dans tous les cas (adaptation y opposer son veto ou poser ses d'œuvres existantes ou création conditions. Le principe de la rémud'œuvres ad hoc). Les auteurs mainnératlon éqUitable n'en était pas moins maintenu dans tous les cas . tiennent le principe du contrat écrit.

• • ECRIVAINS ÉTRANGERS • • Andrei .Vo-.eueJdk)r Grahame Gree.e • L'écrivain anglais a réuni

• Les poètes russes font salle cOqlble • aux Etats-Unis. Voznessensky, qui effec• tue une tournée de conférences et de • lectures dans les universités améri• caines est au programme du festival • international du Lincoln Center de • New York. • Il est vrai que depuis certaine soi• rée de 1962 où le poète a lu ses • œuvres au stade de Moscou, devant .• 14000 personn·es en délire, il est, • avec Evtouchenko, à la pointe du • mouvement de libération de la litté• rature soviétique. • A trente-quatre ans, déjà célèbre, • il déclare que le moment est venu de rétrécir l'audience de la poésie 1 en U.R.S.S. pour éviter qu'elle ne : • dégénère en spectacle de music-hall. 1 • Cela ne l'empêche pas de donner de 1 • véritables spectacles poétiques aux • Etats-Unis

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Parmi ses poèmes favoris, il en est un qui ne manque pas de toucher les Américains : c'est le récit du combat entre deux lutteurs, tellement confondus que chacun se porte à lui-même les coups qu'il destine à l'autre.

en recueil un certain nombre de nouvelles écrites au cours des dernières années, sous le titre May we borrow your Husband (Pouvons-nous e m p r u n ter votre mari ?) Il s'agit essentiellement des aVbntures amoureuses que connaissent quelques héros déjà mûrs et enfermés dans une irrémédiable solitude morale. . Dans l 'une d'elles, Cheap in August (Pas cher en août). publiée dans le dernier numéro de la Revue de poche, Robert Laffont éd., une épouse d'une quarantaine d'années va passer un week-end solitaire à la Jamaïque où elle vit une nuit pitoyable avec un vieil homme de 70 ans qui a peur d'être seul dans le noir. Dans une autre, c'est le médecin d'une école primaire qui enseigne à de jeunes garçons que toute forme d'acte sexuel engendre le cancer. La nouvelle qui donne son nom au recueil montre un mari qui se laisse séduire par deux homosexuels tandis que le narrateur envisage de profiter de la situation auprès de l'épouse délaissée.


LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

• • • Biély, le VISiOnnaire Andréi Biély Petersbourg trad. du russe par Jacques Catteau et Georges Nivat préface de Pierre Pascal postface de Georges Nivat Coll. « Classiques slaves » L'Age d'homme éd., Lausanne 371 p. Prince apollinien ou démon dionysiaque - le trait du dessinateur Vychéslavski hésite. Au-dessus de la main, ramassée en une pose précieuse et comme saisie dans un rythme figé, la tête frappe par le développement du front bulbeux, la charnure des traits sensuels, la broussaille des sourcils, et les yeux obliques, fascinants, presque cruels, qu'on jurerait jaunes. La partie droite du visage rayonne la lucidité impitoyable, rendue sarcastique à la commissure des lèvres, mais si on l'oblitère, la moitié gauche, noyée d'ombre, surgit alors comme un masque démoniaque: œil fol qui se perd, bouche' qui se défait en veule rictus. Cette face double où, selon l'expression de Pierre Pascal, « la folie et le génie se côtoient constamment », est celle d'un des plus grands poètes et prosateurs de notre siècle, jusqu'alors méconnu en France, l'écrivain russe Andréi Biély. Double, insaisissable, à la frontière indécise 'entre raison et déraison, tel apparaît bien Biély à travers ses biographes, amis et critiques qui semblent, eux aussi, avoir hésité sur son compte entre l'admiration enthousiaste et le verdict clinique. Né en 1880 dans une famille universitaire de Moscou, il approcha très tôt une élite intellectllelle chez qui la spéc:ulation abstraite le disputait à l'intérêt quelque peu salonnier pour toutes les nouveautés. Pris dans cet orbe, l'adolescent absorbe une culture aussi cosmopolite que contradictoire: les doctrines occultes, les religions de l'Inde, Nietzsche et le philosophe russe Vladimir Soloviev contredisent en lui les théories de Spencer, de Stuart Mill et de Kant. Trop nourri, le jeu cérébral de Biély se fait double jeu, équilibre instable, oscillation entre des pôles qui se combattent. Est-ce ce cosmopolitisme, cette instabilité mêmes qui poussent le déraciné à fuir vers les villes d'Occident, les médinas de Tunis, les pyramides de Gizeh, dans une quête de certitude et de halte? Cependant, c'est en définitive les maîtres de la littérature russe, Pouchkine, Gogol, Dostoïevski qui marqueront le plus l'œuvre énorme - quelque cinquante volumes - d'un auteur qui partage avec ses aînés et ses contemporains (citons surtout son « frère spirituel » Alexandre Blok) les mêmes hantises, les mêmes pulsions prophétiques, la même trouble espérance. C'est à Dostoïevski, et plus précisément aux frères parricides, aux Karamazov, que fait d'abord penser

le roman Petersbourg - sans doute s'enlise dans un monde subconsl'œuvre maîtresse de Biély - que cient, onirique, évanescent, où le nous offrent au jourd 'hui en tra- démonisme des êtres s'organise en duction Jacques Catteau et Georges obsessions - lancinants leitmotive Nivat. Sur fond distant de révolu- d'une âme tourmentée. Il est ~ tion (celle de 1905), une affaire marquable qu'en chaque personde famille drame domestique . nage la sexualité est comme traplus que politique, charnel plus vestie: d'une troupe immonde qu'idéaliste - fonde le récit dans d'esprits incubes, de vampires glaune réalité aux soubassements cés, de lémures déments aux vislimoneux. Face au père Abléou- queux attouchements émerge ainsi khov, haut dignitaire, despote épris le sodomite et ' terroriste Doudkine d'ordre, de stricte géométrie, qui qu'on voit chevaucher une sai-

Andréi Biély, deuin de N. Vychéalav.ki.

« ungue » un Empire russe in-

connu et hostile de circulaires impérieuses et planificatrices, se dresse son fils Nicolas, vers lequel convergent toutes les lignes du roman. Si ce fils indigne, beau garçon maladif, fantasque et lâche, laisse mûrir en lui comme un monstrueux cancer l'idée du parricide, ce n'est pas tant pour tenir une imprudente promesse faite naguère à un comité révolutionnaire de cabaret, appelé le «Parti», que pour obéir à une fatalité, accueillie par toutes sortes de démissions dont la moindre n'est pas un violent dépit amoureux. Ce (( couple » impossible du père et du fils est uni par un lien d'amourhaine, au point que l'acte du crime, maintes fois évoqué, peut apparaître comme une forme pervertie de la tendresse. On voit quel érotisme sousjacent englue ces personnages, au milieu d'un peuplement grouillant de faux demi-frères, provocateurs, . espions, autant de « doubles » de Nicolas, autant d'ombres des deux Abléoukhov au fond si semblables. Car le roman se développe à différents niveaux qui se superposent ou s'imbriquent, . sans que soit clairement connu le palier sûr et consistant où prendre élan. On

La Quinzaine littéraire, 15 au 30 juin. 196,'.

gnante et pantelante victime, fouaillant les chairs avec de fins ciseaux. Le père Abléoukhov luimême s'absorbe dans une complaisance pour ses viscères qui frôle la scatologie, tandis que Nicolas fait parade d'un domino rouge sang dont l'arrogante signification sexuelle ne peut laisser de doute. Le thème de la bombe qui doit tuer le père, cette bombe dont Nicolas, par un dévergondage des sens, éprouve la présence jusqu'en son ventre, prête à se dilater effroyablement, n'est-ce pas encore une hantise, une angoisse devant quelque monstrueuse virilité? Petersbourg se développe ainsi comme un réseau de symboles ou de chiffres dont l'interprétation ne se révèle que lentement, se dégageant de la gangue opaque d'une sorte de subconscience collective. Or cette gangue, c'est la ville ellemême, la ville de Pierre le Grand, bâtie sur des marais, qui enserre les choses et les êtres dans ses brumes dissolvantes. Là encore l'immense collectivité offre une double figure: d'un côté, cité impériale, chargée d'histoire, hérissée de flèches, coupoles, frontons, aux balcons majestueux que soutiennent d'immuables cariatides égyptiennes, c'est la ville géomé-

trique, cubiste, que le sénateur Abléoukhov aperçoit de l'intérieur d'un autre cube, laqué, tendu de satin noir, - son coupé armorié. Séparées de cette « horde de pierres » par les eaux léthéennes de la Néva, infectées de bacilles, ce sont les « Iles » faites de « lignes » anonymes, de maisons jaunes et lépreuses où végète un peuple d'ombres misérables et maléfiques, - où se façonne la hombe dévastatrice. Or le visionnaire Biély assemble ces éléments détonants, en fait le mythe grandiose et surréel d'une Métropolis aux ramifications souterraines. La ville est saisie tantôt à l'intérieur d'un œil qu'égare l'angoisse, tantôt se dilue en brouillard glauque, phosphorescence fuligineuse, ténèbre humide et gluante. Le « génie du lieu », d'un lieu auquel s'attache une irrévocable malédiction, fantasme du tsar Pierre, royaume du Hollandais Volant, imprègne et écrase si bien les êtres que ceux-ci apparaissent au fil des pages comme feux follets, homuncules nés d'une imagination morbide, silhouettes désintégrées, réduites à « un chapeau, une canne, un nez... » qui se promènent tout seuls dans un espaee aux dimensions insoupçonnables, espace « second » que chacun pressent avec épouvante. Cette ville facétieuse, gigantesque trompe-l'œil, habitée d'inquiétantes résonances «hou-hou-hou ..• », semble la proie de tous les sortilèges. Un fantastique d'apocalypse anime la statue équestre de Pierre, Cavalier d'Airain (ici l'emprunt à Pouchkine est clair) qui fait retentir la nuit pétersbourgeoise de son galop dévastateur. Et pourtant la triple et brève apparition d'un personnage vêtu d'un domino blanc apporte, comme à travers un voile, une lumière d'espoir, et ces mots énigmatiques « Vous me reniez tous, mais je vous protège tous » sonnent comme une promesse et un appel. On peut sans aucun doute yvoir, à l'instar de Nivat, la furtive manifestation d'un Christ qui affleure soudain les consciences obnubilées, on peut aussi songer au nom même de Biély (pseudonyme qui signifie « blanc ») avec toute l'intention mystique que l'auteur y attachait, ou encore à la (c candeur » d'un prince M ychkine, le personnage dostoÏevskien dans lequel Biély voulait se reconnaître ... Ainsi cohabitent et s'opposent, à la superficie des mots comme dans les abysses des symboles, la diablerie et l'angélisme. Des portes s'ouvrent dans les crânes des personnages, par où se font d'étranges osmoses. La matière verbale ellemême est plastique, infiniment déformable au fil des linéaments d'une conscience traquée. Le {( jeu cérébral » de Biély se fait pour se défaire et se refaire inlassablement: des brèches laissent entrevoir

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Confort et insatisfaction d'énormes domaines à découvrir, puis on les· comble, on édüie sur ces failles. L'arabesque baroque tisse un filet qui est une nasse, le calembour grinçant recèle la chausse-trape ... Tout cela, pièges, ruptures soudaines, enlisements, dilutions dans la phrase, le mythe ou la ville Petersbourg est mené a~ rythme irrésistible d'un lyrisme sarcastique, grotesque, voire roublard et « duplice », voire arbitraire et bouffon. Biély démiurge gouverne son œuvre comme son âme, au point que Petersbourg laisse après lui l'illusion physique d~un voyage au centre d'un cerveau. Cette fresque extraordinaire ne se conçoit pas isolée. Ecrite en 1912, · elle exprime une époque exceptionnelle où l'attente d'une colossale explosion se reconnaît dans les vaticinations, les appréhensions, le messianisme de toute une génération, sans parler de celles qui l'ont précédée. Ainsi Petersbourg apparaît comme une communication en zigzag entre l'écrivain et son temps : « Est-ce l'encéphalogramme d'un cerveau, note Nivat, ou bien le sismogramme des temps prérévolutionnaires? » Chez Biély l'idée de l'anéantissement prochain d'une civilisation de décadence devient certitude intime. Aussi peutil écrire quand éclate la guerre mondiale: « Ainsi les explosions qui. avaient lieu en moi devinrent explosions dans le monde... » Biély adhéra d'abord avec feu à cette Révolution d'Octobre qui le déchargeait d'un trop-plein d'âme. Mais le poète et l'esthète ne pouvait s'accommoder longtemps d'un événement qui n'était pas le bouleversement cosmique rêvé. « Exilé de l'intérieur », il poursuivit toujours plus profondément son chemin de solitude. C'est en 1934 qu'il quitta cette vie qu'il n'avait jamais éprouvée que comme une « longue insomnie ». ' Déjà traduit en anglais, en allemand et en italien, Petersbourg nous est enfin proposé .dans une version française. La spontanéité, le plein jaillissement du texte de Catteau et Nivat ne laisseraient jamais supposer la tâche énorme qu'ont affrontée les traducteurs pour choisir, à travers la multiplicité des champs de signification et les innombrables voies d'investigation verbale, le ,chemin le plus sûr vers le lecteUI' français. Préfacé par Pierre Pascal qui définit à grands traits sobres · la figure d'Andréi Biély dans les lettres russes, l'ouvrage se complète d'une longue analyse de Georges Nivat qui inventorie et prospecte avec l'enthousiasme d'un pionnier les voies du poète-romancier, découvrant maint aspect insoupçonné dans cette foisonnante forêt de mots et de rêves. Il nous offre ainsi les clefs d'un chef-d'œuvre qui annonce, ~crit-il, « toutes les déformations de notre siècle. » Rémy Laureillard 6

Herbert Gold Le voyage de Crack Calmann-Lévy éd., 322 p. Comme dans le précédent roman d'Herbert Gold paru en français: le Sel, l'auteur, sous le couvert d'une histoire brillamment contée, suscite chez le lecteur un certain nombre de réflexions qui dépassent de beaucoup le cadre de l'intrigue, et il est vraisemblable que l'importance croissante prise par le jeune romancier dans le monde littéraire américain vient précisément du fait qu'il apparaît, de plus en plus, comme une sorte de moraliste, mettant des récits légers et bien troussés au service d'une éthique j'écris pour mettre de l'ordre dans le monde. ») Comme dans le Sel, où l'on assistait aux efforts d'un « outsider» - d'un homme qui ne parvenait pas à accepter le monde et ses conventions - pour jouer le jeu et s'intégrer à la société, il y a dans le Voyage de Crack ce paradoxe d'un jeune héros obsédé par le désir d'être « dans le coup » ( with it) mais qui ne sait pas comment s'y prendre. Si Boyd, fils d'un chef d'entreprise fort aisé, fuit en effet le destin facile qui lui est préparé à Pittsburgh dans la firme de camionnage de son père, pour suivre un cirque forain, ce n'est pas là seulement prétexte à descriptions pittoresques des gens du voyage. Boyd, dans un certain sens, voudrait pouvoir s'adapter à la société,

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mais l'effort semble toujours audessus de ses forces. Il sait que le bonheur serait au prix d'un accommodement - ·ou, comme dirait Hemingway, d'une paix séparée avec le monde - mais manifestement, cet accommodement ne le rend pas heureux. D'où une fuite éperdue à la recherche d'une autre société (celle des forains). Peu importe si aux dernières pages du livre il rentre au bercail avec la jeune foraine qu'il a épousée et bâcle en dix lignes la conclusion de sa narration pour dire qu'il se trouve désormais fort heureux à Pittsburgh entre sa femme, son père et ses enfants, dans le nouvel appartement qu'il s'est procuré. L'essentiel n'est pas dans cette volte-face, mais dans les contradictions internes que le roman expose sans jamais les expliquer vraiment, ce qui donne au lecteur le sentiment de devoir reconstruire constamment les raisons du héros et sa vraie ligne de pensée, en deçà de ses propres explications, et quelque abondantes que soient celles-ci. Car Boyd ne semble pas comprendre - encore qu'il ne cesse d'en parler ce qui le pousse, et toute la richesse du livre consiste en cette ouverture vers un monde intérieur à la fois présent et inconnu. Qu'il fasse l'expérience de la drogue, ou qu'il se lance à corps perdu dans l'exploitation d'une loterie foraine, il semble qu'il y ait chez lui autre chose qu'un simple désir d'évasion. De même lorsque, après avoir mentalement assassiné

son père, il se réfugie auprès de Grack, vieux saltimbanque assez répugnant en qui il trouve un succédané étrange de figure paternelle, on soupçonne dans sa démarche" autre chose que la quête d'une autorité tutélaire. Et il en est ainsi . d~ chacune des actions de Boyd: elles présentent une face éclairée que le romancier décrit avec complaisance, pour mieux nous faire a<4nettre l'existence d'une face cachée que l'on s'évertue à deviner. Il serait aisé de rechercher dans les origines de Gold les racines de ses errances imaginaires: fils d'immigré juif, Herbert Gold est un Américain de la première génération qui ressent peut-être plus qu'un autre le besoin d'appartenir à une société dont les mirages le fascinent, mais à làquelle - malgré son succès littéraire - il ne se sent pas entièrement intégré. Mais cette incursion dans la biographie de l'auteur ne rend pas compte de la nature du protagoniste. Tout au plus permet-elle d'esquisser un parallèle, une comparaison. Et il faut bien avouer que les raisons de Boyd nous demeurent mystérieuses. Plus il s'explique et plus il noie le poisson qui l'entraîne vers le large, toutûs amarres larguées, comme le Vieil Homme d'Hemingway qui entretenait avec le narval, au bout de sa ligne, des rapports ambigus et réversibles. De même que Boyd, Peter, le héros du Sel se réfugiait dans un certain hédonisme, faisait de la recherche du plaisir, de l'amour physique, une méthode d'intégration à la société. Il jouait le jeu - tout en se gardant bien de croire aux règles de ce jeu. D'où la solitude foncière où il se retranchait avec un masochisme insolent. Du rapprochement entre les deux personnages, se dégage peutêtre une explication de l'inquiétude latente dont souffre l'œuvre de tendres Gold. Ses deux héros et eyniques à la fois - font, avec plus de lucidité que ceux d'autres romanciers de la même génération, l'inventaire des comportements offerts à des jeunes gens généreux et intelligents dans une société d'abondance. Alors que certains écrivainS se bornent à vitupérer et . à donner de cette société l'image caricaturale d'un cauchemar clinique, Gold met en relief à la fois l'attrait qu'exerce le monde du confort et l'insatisfaction morale qui en résulte. Plus proche du conte philosophique que de la diatribe, son œuvre suggère l'appétit de sacrifice dont la jeunesse est si souvent la victime. « Comment peut-on aujourd'hui - se demandait le romancier dans une interview - , faire de la rési3tance à Cleveland ( ou à Pittsburgh) ? » Mais que font Boyd ou Peter, si ce n'est « résister» à leur manière? Par simple désir d'être « dans le coup »? Marc Saporta


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Paradis perdu Luigi Malerba Le Serpent cannibale trad. de l'italien par Michèle Causse, Grasset éd., 276 p.

L'enfance et le mythe de l'enfance, absents de la littérature italienne plus longtemps que de n'importe quelle autre, n'y ont fait leur apparition qu'il y a une trentaine d'années. Depuis, au contraire, on ne compte guère de roman qui ne fasse place, soit à des personnages enfants, soit au mythe de l'enfance entendue comme le paradis perdu. Pourquoi ce long ostracisme, et pourquoi cette revanche subite ? Deux facteurs, sans doute, ont contribué, en Italie comme ailleurs, à faire prendre en considération l'âge puéril: l'avènement~ presque simultané, de la psychanalyse, science de l'enfant, et de l'ethnologie, science des « primitifs », des peuples enfants. Ethnologie et psychanalyse sont arrivées plus tard en Italie que dans le reste de l'Europe. Troisième facteur: le développement de la civilisation industrielle et des grandes villes, qui épouvante l'adulte et le pousse à reconstruire son passé comme un refuge contre le bruit, la foule et l'anonymat. Là encore, on sait le retard italien et la récente, rapide expansion urbaine. Le premier roman de Luigi Malerba, jeune auteur salué l'an dernier comme la révélation de la pé~ ninsule, reflète ces divers courants de curiosité et de peur. Il les reflète d'autant plus qu'il se présente comme un pur divertissement, une jonglerie en apparence gratuite, dépouillée de ce sérieux réaliste ou néo-réaliste qui constitue depuis vingt ans, aux yeux des lecteurs étrangers, la marque du roman italien. Le Serpent cannibale est un récit impertinent et cocasse, étourdissant de drôlerie dans ses meilleurs chapitres, qui use du coq-àl'âne, du syllogisme et de la sciencefiction, une sorte de canular qui assaisonne les fantômes de Bouvard et de Pécuchet avec la grâce de Marcel Aymé et le mordant de Ionesco.

Mais, qu'on y prenne garde, sous les dehors burlesques se cache une profonde angoisse : l'angoisse de l 'homme qui a perdu son enfance et qui court après elle comme un serpent mord sa queùe. Le premier chapitre, qui évoque un fragment de l'lmfance du héros et semble, de prime abord, un hors-d'amvre sans rapport avec le reste du livre, ne s'explique que par la nécessité de poser, dès le départ, l'objet inavoué de la nostalgie. Toutes les conduites du héros restent obsédées par le souvenir du passé révolu et par le refus du monde actuel. Marchand de timbres et misanthrope, il préfère les petites ef-

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figies en papier des rois, explorateurs ~l généraux de son enfance, aux visages de ses contemporains.' Il s'inscrit à une chorale, mais invente aussitôt, grâce au chant mental qui se déroule tout entier dans sa tête sans franchir la barrière de ses lèvres, un moyen de se désolidariser. Très intelligent et caustique, il s'exprime volontiers en niaiseries. « Monteverdi était un génie» : autre procédé qui le met à part des adultes, dans la félicité d'une régression innocente.

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MARTHE ROBERT Surie • papIer

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Innocent, « idiot », il l'est, jus- • que dans ses fureurs érotiques, plat • de résistance du roman. Il fait • l'amour à Myriam, jeune per- • sonne rencontrée à la chorale, se- • Ion des schémas musicaux que lui • inspirent ses auteurs préférés . • « L'épanouissement de l'érotisme • est une question de souffle et de • rythme », profère-t-il avec son im- • perturbable assurance de savant • Cosinus. Avec les débutantes, il s'en • tient au modèle classique : aIle- • gro-adagio-minuetto. Avec les plus • expertes, il tâte du basso ostinato • à la Corelli, du tempo andante ma : rubato à la Sihélius. Les fugues • prises aux messes du XVIIIe four- • nissent de dignes conclusions . • Quand la partenaire, essoufflée ou • trop pressée, manque le temps, c'est • lui qui s'ajuste, grâce à sa préci- • sion de Vacheron et Constantin. • Avec Myriam, il' use d'un rythme • de petite marche viennoise avant • d'exploser dans un grand finale à • la Dvorak. « Un triomphe. » :

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DON QUICHOTTE. KAFKA. ROBERT WALSER. BRECHT. LES FRÈRES GRIMM. SYMBOLISME ET CRITIQUE DES SYMBOLES • CONTES ET ROMANS. L'EX~GÈSE DE FREUD. "Arpenteur à ses heures, Marthe Robert prend l'exacte mesure de la cc réalité de papier» que constitue le livre". CATHERINE BACKÈS

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"Une des réflexions les plus vigoureuses sur le sens de toute fiction, moderne ou classique". FRANÇOIS BOTT (Le MondeJ

GRASSET

• Eperdument jaloux de sa maîtresse, il recourt à la seule mesure efficace de protection : il endort Myriam, il la dépèce, il la mange. Il la déguste, dans l'arrière-boutique de son magasin. Entendez que, furieux d'avoir cédé au besoin de la femme, il réintègre le monde asexué de l'enfance. Myriam, d'ailleurs, n'a jamais existé. Incapable de vivre, le héros de Malerba s'est imposé un rituel solennel et absurde, il a transformé en fable son exis· tence, pour avoir le droit de la refuser.

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Et le titre ? Eh bien, le titre confirme que les deux sources du mythe de l'enfance sont la psychanalyse et l'ethnologie. Le serpent, symbole évident du sexe, empoisonne toute vie. Un seul moyen pour nier le sexe et retourner à l'enfance : manger la femme, avec l'allègre insouciance des tribus anthropophages. Ajoutons que le roman se passe à Rome, que la grande ville, présente et pesante d'un bout à l'autre, contribue à la mythomanie du héros. Propriétaire d'une 600 lilliputienne qui lui donne des ennuis de batterie, il rêve de s'envo· 1er dans les airs. Faute du paradis icarien, il se réfugie dans l'éden cannibale.

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La Quinzaine littéraire, 15 au 30 juin 1967.

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Dominique Fernandez •

GALLIMARD GUY LE CLEC'H L'Aube sur les remparts roman "Un charme particulier et pathétique opère d'une manière originale, abrupte, sur le lecteur". RL (La Quinzaine Littéraire) . • "Sobre, net, lucide". R.-M. ALBÉRÈS (Les Nouvelles Littéraires). • "Son talent apparait renouvelé et subtilement approfondi". R. LAS VERGNAS (Les Annales). • "Une belle analyse de la solitude morale". (Le Nouveau Candide) .


·ROMANS FRANÇAIS

De Gaulle, héros de roman Pierre Molaine

Le Mmg Calmann-Lévy éd., 301 p.

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Trois récits liés entre eux composent ce roman. Le narrateur - lieutenant, puis capitaine Lambda nous donne, dans un premier morceau, une vision fragmentaire, mais détaillée et truculente à souhait de la drôle de guerre, en même temps qu'une étude perspective sur le colonel de Gaulle que goûteront tous les amateurs d'anecdotes «révélatrices)J) et d'hagiographie édifiante. La ferveur, l'imnie, voire un nécessaire irrespect, tout

: :: ;::ntd': ~~:'~::u: :;70: :u; sant. deuxième partie conte uri épisode de •• la LaRésistance : la poursuite d'un traitre

• dans un univers qu'habitent la peur, lâ • faim, le froid et l'ennemi omniprésent. Le livre s'achève sur une autre image

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Olivier Perrelet Les petite~ fille~ criminelles Mercure de France éd., 184 p.

Cléo, Frea, Léonor, Lucine, Liane, • Tullie, Philine, Laure et Albine, sans • oublier Odile, ne sont pas les dix filles

• ~:i:fili ~ ::~te~:ie:tpa~::L un

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pré PetiteS filles aux jambes longues et aux yeux brillants, elles hantent le livre d'Olivier Perrelet ne sachant où commence le rêve, où finit la réalité. Criminelles ou martyres? Elles le sont tour à tour, à moins que ce ne soit en même temps. Cléo met le feu aux rideaux du sa· Ion, · car elle déteste le monde bancal où elle vit; pour l'ensorceler, elle danse. « Ses hanches sont déliciewes d'étroitesse; ~es maim ~i fines qu'elle pourrait pincer l'air entre seS doigt. et le ' faire crier. » Cléo danse. : . Philine a été condamnée par les roses à se déchirer' le ventre .avec leurs épines et elle s'exécute un soir d'orage .~ la ' serre; les . pieds bien plantés dans l'humus frlÛs." Tandis que Léonor fuit un fiancé répugpant pour se perdre dans la forêt où, belle comme une très Iissè grenouille, elle plonge dus l'étang pour aller s'empaler ' sur la pointe acérée d'un cadran solaire. Liane pourrait être la quintessence de

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regret paradoxal de l'angoisse et du goût de néant qui soudaient alors les hommes en singulières frateruités? L'auteur tour· ne dans le cercle d'un pess1lIl18me refermé sur soi-même, quand même le ton est à l'ironie sceptique et souriante. Mais qu'on ne s'y trompe pas : un langage verveux, coloré, sentant tantôt le musc et tantôt le terroir n'est au vrai que la dérision d'un langage enserré en d'étroites et fixes limites. L'abondance et même la prodigalité révèlent l'autorita· risme d'une pensée qui se propose ellemême - sur fond légendaire de guerre mondiale avec toutes ses séductions, ses parti-pris et sa désespérance, au lieu de proposer une réalité à un niveau de véritable communication.

Le métier, le talent, le bien-dire et quelques obsessions assiègent le roman· cier. Ne pourrait-il, par une fugue su· breptice, leur échapper?

R.L.

• Dix filles à mar"er

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de l'Occupation alors que la débâcle allemande est entamée. Dans un décor de basse Auvergne, nous assistons à un festin inouï et solennellement décrit, véritable messe, tandis que la mort - très macabre - est à la porte et aux fenêtres. Des caractères peu nombreux, forte· ment marqués de l'extérieur, adroitement typés sans excessif dépouillement, sont les héros de cette épopée grandiose et nostalgique. Pierre Molaine l'a maintes fois prouvé : il a le souffie, la verve, le chien, l'élégance d'un brosseur à la fresque qui aime les grandes surfaces. Le cadre historique de la deuxième guerre mondiale n'est pas trop vaste pour tous ses paysages, ses hommes - et la mort qui prend là valeur universelle. Cependant, d'où vient que l'ouvrage crée chez le lecteur un indéniable malaise? Est-ce, chez Molaine, une certaine complaisance à l'évocation d'un temps très horrible, ou encore comme ta

ces jeunes sorCleres infatigable, Liane suivait l'Inconnu. Il lui avait expliqué le message des vents, le langage des arbres, le dessin des écorces. Ils avaient ramassé des minéraux aux secrets terri· bles qui dormiraient jusqu'à ce que le sang d'une vierge eût été versé pour eux... Comment Liane eût·elle pu être surprise « lor~qu'elle sentit le fer glacé pénétrer ~on flanc et qu'elle vit le soleil éclater au-dessus d'elle ». Mais ces petites filles sont aussi des pestes qui restent des heures la nuit assises sur les toilettes de l'orphelinat, les fesses gelées, les oreilles cuisantes, le rêve fou, et vont, telles des fouines , se jeter dans l'herbe, jupes relevées en tenant des propos d'une obscénité inouïe. Ces petites filles sont des feux follets qu'Olivier Perrelet pare et déunde, en les promenant dans des décors illuminés par .son imagination de poète: un champ de blé mûr se traverse à la nage, une allée de chênes s'enfile comme une gran· de manche de soie humide ... Olivier Perrelet est poète et suisse. Né en juillet 1944 à Genève. André Pieyre de Mandiargues préface amicalement ses deux premiers livres en parlant poÙT « ce~te pureté déchirée et déchirante et pour ce caractère aigûment cmtallin... )J) . Perrelet est un étudiant en langue et littérature allemandes, son autre petit livre

paru il y a quelques mois, Aphrosyne ou l'autre rivage, est nettement inspiré par les romantiques allemands : un homme essaye vainement de s'enfuir au cœur de la nature pour oublier une femme si belle qu'elle rendait muette toute poésie. Mais selon la citation d'Euripide en exergue : « Le nom de la déesse commence non sans raison comme celui d'Aphrosyne, la folie. » Que l'inspiration d'Olivier Perrelet lui vienne du romantisme germanique, ou bien des œuvres de A.P. de Mandiar· gues, cela n'a guère d'importance, pas plus que la répétition de certains thèmes ou symboles comme les oiseaux, les arbres, le lierre, pas plus que le fait que ces petites filles se ressemblent comme des sœurs. En tous cas, Perrelet est un poète, sa personnalité est un prisme raffiné que traverse une lumière particulière. Ses histoires sont soudain jetées à terre comme les vêtements de ses pélltes filles, et il reste les images dont la puissance d'évocation est telle qu'elles perdent toute prédosité littéraire pour demeurer lisses et pures. Que sera Olivier, Perrelet dans dix ans? C'est une question que l'on se pose, mais sans inquiétude.

Marie-Claude de Brunhoff

Présence du père Pascal Laine B. comme Barabbœ Coll. Il Le, Chemin » Gallimard éd., 186 p. On n'est jllJJ!.ais mieux «menti)J) que par soi.même. Le mensonge ou en· core la dérision de soi - s'étale à pleine page, en pleine pâte littéraire, dans cette confession où alternent le «je II et le «il)J) - remugle de souvenirs défraîchis et pervertis, d'instants à peine vécus, déjà moisis, racornis, figés dans le monologue trompeur d'un récitant né·

• vrosé. • L'auteur amoncelle les thèmes qui font • de son héros anonyme, désigné par la seule initiale B., un être bafoué qu'écra· • sent toutes les brimades grotesques de • l'existence. Orphelin de père, B. subit • plus qu'un autre l'omniprésence de ce • père divinisé dont le culte est despotique• ment entretenu par une mère éter• nelle endeuillée - qui tient son fils à • distance de vouvoiement. Après avoir pris • quelque vernis latin auprès d'un curé

exhibitionniste, B., brutalement arraché aux limbes du foyer, est victime des vexa· tions de maîtres et de collégiens achar· nés . à le brocarder. Pendant la guerre, étant juif, · il doit fuir et se terrer. Enfin, tout en haïssant les enfants, les pro'fesseurs et son enseignement, il va journellemeIÎ.t faire un cours cauchemardes· que à deux ou trois douzaines de ses « ennemis », jusqu'au jour où il se rend apparemment coupable de la mort d'un galopin chahuteur... . Ce crime détermine toute la structure et la progression du roman qui s'organise en confession psychanalytique pour un médecin-auditeur, parfaitement silencieux et peut-être inexistant. L'artifice même de cet exutoire impose au malade ce découpage en scènes outrées, ce groupage en stéréotypes calqués sur une vérité qui se dérobe inlassablement. Il s'agit avant tout de convaincre soi-même et l'auditeur de l'authenticité et du bien-fondé de doléances qui se rejoignent toutes dans l'impossible plainte : « Docteur, je vou· drais n'avoir jamais existé. )J) Ainsi le discours s'oriente sans cesse vers sa ligne

de plus grande pente, celle du rêve douloureux, du fantasme désespéré, de la fabulation d'outre-tombe. Un orgueil amer et paradoxal habite cet être pitoyable qui, en s'identifiant à Barabbas, le bandit héhreu que la foule grâcia au lieu de Jésus, se voit rejeté dans l'anonymat collectif, privé de la pal· me du martyr et rendu à une mort obscure, ignorée de tous et de Dieu. Dans cette première œuvre, Pascal Lainé révèle avec force une attention passionnée pour une vie amenuisée, limitée, meur· trie, devenue caricaturale à force de renoncements, qui est, à des degrés divers, le lot de tout individu que taraude l'énig. me de sa propre destinée. Car c'est peu de dire qu'une telle introspection morbi· de, nourrie de schémas freudiens, hante les seules âmes hlessées. Cette conscience glauque où l'esprit se perd en vaine logomachie - Dieu contre néant, individu contre société, purété contre dérèglement - s'affiche dans le sein même de chaque homme comme une publicité. grossière pour une éthique absurde. . R.L.


Après le «nouveau roman» lean-Pierre Attal L'Antagoniste Roman sèénario en 5 épisodes Gallimard ~d., 268 p. Le ~isième rom~n 'de Jean-Pierre Attal manifeste avec une vigueur .et une limpidité merveilleuse ce qu'aujourd'hui trop d'ouvrages prétendent laborieusement démontrer et ce qu'ils finissent par savamment obscurcir: que la composition constitue la troisième dimension, ou, si l'on préfère, la profondeur de l'écriture. La' plus grande ouverture d'une œuvre, autrement dit son ouvertUre sur la plus grande richesse de signification, procède, comme c'est le cas de l'~ntagoniste, de la construction la plus méticuleuse et la plus évidemment maîtrisée. Mais il ne suffit pas, je crois, pour construire, de jointoyer avec des intentions évanescentes les tessons du hasard et les filaments de la banalité, comme ~ maçons « structuralistes» qui fignolent ainsi une littérature de l'insignifiance. Depuis les œuvres vives du nouveau roman, et depuis sa ruine; Jean-Pierre Attal est parmi les jeunes écrivains le premier qui ait voulu et su, dans une tentative romanesque originale, rendre à la littérature ses véritables pouvoirs. Nous voici donc devant un scénario dont chacun des cinq épisodes se divise en un certain nombre de séquences composées elles-mêmes d'un certain nombre d'images. Remarquons d'abord ceci: en choisissant la forme a-littéraire du scénario, tandis que son texte met ·d élibérément à contribution la littérature universelle par des em- , prunts (à Dante ou à Shakespeare, aux tragiques grecs ou aux romantiques allemands, aussi bien qu'à des auteurs obscurs) restitués toutelois à la pureté anonyme d'un lan.gage transparent, Jean-Pierre Attal prend non seulement une distance olympienne vis-à-vis de toute esthétique de l'expression et de 'tous les types admis d'œuvre narrative, mais encore une distance autre" et celle-ci 'décisive, par rapport à la fin que poursuit générale'ment un livre et qu'il cherche à . enfermer en lui. Au contraire, un scénario est, .par définition, le projet d'une œuvre, et l'Antagoniste en effet, tout en se développant, articule un appel profondément prémédité et impérieux à celui qui le lit comme son « réalisateur » chargé de l'accomplir sur l'écran dè la lecture, d'en totaliser les mouvantes images, l'énigme continuelle, et de réunir leurs puisSantes vibrations à l'intérieur de son esPJjt. . A mesure qu'on progresse dans' ces .séquences, ces images, au dessin parfaitement net mais jamais feÎiné, qui se f~nt é~ho sans tout à Jàii se~ répondre, s'éloignent puis se tapp~hen! les unes ·des autres, se ~isep.~ :sans jiunais 'se souder, et .La : Q~ litlénriTe, 15

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se complètent sans exactement se continuer, on « voit» de mieux en mieux le livre d'Attal comme un mobile dans l'espace ; il bouge, il tourne autour d'axes et de pivots secrets, et son mouvement va nous laisser S81811', croyons-nous, sa sphéricité à l'instant même où il l'éclipse . Ce mobile, sur lequel soufflent la tempête du drame et la brise de l'humour, organise et fait graviter des épisodes, des situations et des scènes dont beaucoup paraîtraient comme découpées dans le tissu d'un roman-feuilleton ou d'une histoire policière si, déracinées, puis réajustées les unes aux autres, ces « pièces détachées» n'avaient alors une étrange résonance qu'on est surpris de bientôt reconnaître pour celle de la tragédie, ou si encore elles ne dégageaient les radiations essentielles de la poésie. Ce livre singulier à plus d'un titre donne un tranchant particulier à cette constatation : le même fait, conté avec la: même exactitude, peut, simplement par la façon dont il est orienté et dont il reçoit la lumière dans l'espace d'une œuvre, divertir notre curiosité ou nous hisser à la pointe de l'inquiétude métaphysique. Des situations aux structures identiques se retrouvent dans un roman de Gaston Leroux, dans un autre de Raymond Roussel et dans la Divine Comédie, et ce n'est point le style qui en modifie la valeur ni le sens, mais l'économie globale selon le dessein de laquelle ces situations se relient à toutes celles qui les précèdent et les suivent en chacune de ces œuvres. Ainsi telle péripétie de l'Antagoniste où deux truands, dans un parc nocturne et .lunaire, se font dévorer vifs par des chiennes, pourrait appartenir à un récit de Conan Doyle ou d'Emile Gaboriau tandis qu'ici sa noirceur délivre des phosphorescences· légendai~es, et son mutisme ~ne intonation biblique. L'anecdote, immense et tumultueuse (sans cesse elle se brise, se multiplie, se déborde elle-même, et ne se retrouve que pour se perdre), se déploie donc à travers de multiples contrées innommées, lointaines ou familières, et nous transporte jusqu'en des régions mythologiques, creusets où se résolvent les éléments antagonistes des grands combats de la Terre. Mais si habituels ou si insolites qu'apparaissent ces décors, et souvent les deux ensemble, ils ont d'abord la vertu substantielle et le sens permanent du lieu : le château, le parc, la grande ville, la grotte, la caverne, le port, le rivage, -la forêt, l'usine, la chaumière,.le bâtiment administratif, la route, l'hôtel particulier, l'océan, le navire;- la cave, l'avion, la rue. De même les personnages, si imprégnés qu'ils semblent de bizarrerie ou de banalité (tueurs, jeunes iilles amoureuses, agents secrets, inspecteurs, ' espionnes, matelots, ouvriers, conspirateurs, mercenaires de toute envergure manœu-

30 juin 1967.

vrés par quelques chefs démiurgiques, attentifs et occultes), s'imposent d'abord comme des hommes ou des femmes animés par une présence à la fois universelle et particulière, qui agissent, reposent, luttent, subissent à leur place, accomplissant ou prononçant à l'exacte intersection de l'espace et du temps, le geste, la parole où se recoupent leur dynamisme personnel et le destin. , Incrustée dans telle péripétie, telle silhouette peut nous faire hésiter entre Aladin et James Bond, mais riep ne nous laisse oublier que nous fouIons le sol dei la tragédie

figure énigmatique et rayonnante. Nous sentons peu à peu, comme une circulation solennelle, les principes de l'univers, les grandes forces impersonnelles défaire et faire, à travers et par les hommes, notre monde. C'est pourquoi les personnages, que leurs paroles disent plu-· tôt qu'ils ne les disent, s'expriment ici avec la gravité d'un langage intemporel qui traverse leur souffle mais qui est issu du fonds commun de la littérature. Aussi ne s'étonne-t-on plus de les entenlh-e, ~~ la , défroque d'aujourd'hui, accrochés au téléphone, tenir ces propos d'une étrange et transparente nécessité

lean-Pierre AttGl

dont chaque accident coxiiient une chance de « comprendre le jeu de la nature si profond... » La perspective où les héros, de l'Antagoniste se meuvent, disparaissent puis resurgissent, efface, comme par l'application subtile d'une loi d'optique, toute division déterminée entre bons et méchants, entre faibles et puissants. Le même Inspecteur Loriot, 'par exemple, nous paraît tantôt quelque dérisoire Maigret dogmatique et régulièrement « doublé '» par les événements, tantôt l'arbitre omniscient des mystérieux conflits de l'espèce humaine. C'est :que l'Antagoniste ne s'enferme jamais dans le tracé fini d'une histoire même très complexe, mais projette en la faisant constamment éclater la géométrie d'une

qui ont le poids des épo~ homériques et médiévales où peut-être les prononcent déjà des ·guerriers hellènes et des quêteurs du Graal. Qand l'Inspecteur Loriot, parlant d'un certain Salomon que l'on croit mort, dit : « lui qui avait associé son destin à la divulgation de la vérité, et qui, pour cette- raison, avait cherché à disparaître dans la parole d'autrui .en devenant speaker à la radio ... » nous pouvons aussi reconnaître à travers la 'Solennité ambiguë de ces mots un écho de la haute ambition de Jean-Pierre Attal, et nous pouvons pe~r n'avoir pas' eu tort en déchiffrant son livre d'y écouter une paroie mystérieuse et simple, chargée de ce qui ne peut être dit. Olivier de Magny ·9


POÉSIE

Sur Dieu et les felllllles Réjean Ducharme Le nez qui voque Gallimard, éd., 280 p.

Celui qui s'exprime ici est un enfant de seize ans. Il s'appelle Miles Miles. Assoiffé de pureté, adossé à l'absolu, il refuse de sacrifier aux idoles trompeuses de l'industrie, de la violence et du sexe qui dominent le monde des adultes, d'où sa violente imprécation contre ce monde cruel, plein de bruit et de fureur, qui piétine dans une course insensée et absurde les valeurs de l'enfance, déflore la réalité sauvage, la réalité rugueuse à étreindre dont parle Rimbaud. Il s'écrie: « L'enfant et l'innocence me sont beaux jusqu'aux larmes; la maturité, l'achat, la vente, la clientèle et les sexes me sont laids jusqu'au dégoût, jusqu'au désespoir. » Le refus du travail, de la dégradation et de l'usure nourrit sa révolte et lui inspire cette longue et tumultueuse prosopopée lyl'ique. Poème chaotique qui ex-· . prime le déchirement d'un adolescent tourmenté par les insurmontables contradictions de l'esprit et du corps, et qui s'acharne vainement à remonter l'inexorable pente qui l'éloigne du vert paradis. Le dualisme forcené, qui divise la créature entre l'esprit et les sens, la laideur et le sublime, s'incarne en deux femmes, Chateaugué et Questa, dont l'une figure l'innocence et la sauvagerie, l'autre la sensualité effrp.née et aveugle. Le narrateur ne peut consenti!' aux acquiescements des adultes, aux déguisements du sentiment, ne veut pas se résigner à la trouble équivoque qui pèse sur les relations humaines. Une révolte violente, désespérée, contre la sexualité, lui fait rechercher tous les moyens d'éluder la condition tragique de l 'homme, de dissiper le scandale· d'une existence mortelle. La sexualité n'est pas séparable de son exploitation publicitaire, pas plus que de l'esprit puritain qui la dé- nature, en l'asservissant aux puissances de l'argent. Une révolte exacerbée dénonce l'imposture qui corrompt toutes les valeurs: l'art, la beauté, la culture, la religion dont notre temps fait des alibis pour se disculper de son goût du lucre, des stupres et du sang. Il est singulier de voir ce jeune Canadien démasquer chez les riteilleurs auteurs des idéologues qui justifient les marchands du temple, rôdant autour des nouveaux autels. Une brûlante nostalgie spirituelle, inapaisée, mais toujours abusée, donne à ce livre son accent si particulier: haute clameur, confession échevelée, ardente, jaillissement d'une fureur intime que rien ne peut satisfaire, et qui, entre le délire onirique et la révolte, s'épuise à vouloir triompher de . l'impossible. Le salut ne peut venir que de la littérature. 10

Si le héros s'enferme, en compagnie de Chateaugué, dans une chambre et médite sur les femmes, l 'humanité, la littérature, le Canada, l'existence, Dieu, la culture, le cinéma et toutes les doctrines que vénèrent les hommes, en attendant le moment de se donner la mort, seule vérité en un monde où l'enfance est promiSE'! à la déchéance, à l'avilissement et à la défaite, c'est pour se p:t"téger de l'univers. Les sinistres, les intempéries, les horreurs et les merveilles, les quatre cents coups, les tours pendables, les machinations diaboliques, les raffinements pervers, le caravansé. rail qui transforme l'univers en gigantesque parc d'attractions, plaident en faveur de la pureté. Ce roman est le cahier de bord d'un croisé qui s'est coiffé de son heaume pour combattre l'infidèle, complice de la mort. Dans ce combat, les mots lui servent de projectiles pour pulvériser l'ennemi; c'est pourquoi ils galopent, se bousculent, se précipitent en tornade, en un flux intarissable. Comment ne pas être saisi d'admiration devant l'intrépidité, l'opiniâtreté véhémente avec laquelle, contre vents et marées, contre les forces dissolvantes de la matière, qui, de toutes parts, l'assaillent, le narrateur s'acharne rageusement à élever un rempart. Les fables, les songes et les mythes servent à conjurer l'impureté. La haine de la civilisation

industrielle s'adresse, en réalité, au mode de vie américain et à la colonisation économique qui s'est abattue sur le pays, risquant de lui

Un séisme abstrait

Pierre D8lle :No~' faire perdre son originalité, sa viHaut&-Fonda . . gueur et sa violence native. Flammarion .éd.,: '85 p. Entre la domination anglosaxonne, difficile à combattre, parce qu'elle prend la figure des bienQue ce soit pour s'en félici~er ou le faits de la société de consommation déplorer, il semble bien qu'une démarcaet la culture raffinée de la France, tion partage la poésie en deux versants : celle qui puise de préférence dans le qui affirme avec une désinvolture chant sa modulation et celle, plus iminsolente sa supériorité sur la sim- portante aujourd'hui qui, nourrie d'imaplicité et la brutalité de ses loin- ges, tend à une vision souvent bouleversée du monde. Cette seconde tendance, à tains cousins, retranchés ombrageu- laquelle appartient Pierre Dalle Nopre, sement dans leur folklore et leurs a tiré de l'éclatement surréaliste une viarpents neigeux, le narrateur re- gueur renouvelée. vendique avec orgueil sa nationaEntrer dans l'univers des Haut&-FOfUÜ lité de Canadien français. Si bien n'est certes pas effectuer une visite dans que ce livre, qui établit péremp- un jardin clos. Cette poésie se veut COlImique - et elle l'est le plus souvent - , toirement le droit imprescriptible elle entreprend de nous bousculer dans de l'enfance à ne jamais transiger un monde de bouleversements et de fuavec le monde adulte, avec la dé- reur, au moyen d'un entrechoc d'imqes composition générale dont se nour- inattendues; elle est le témoignage d'un perpétuel séisme abstrait. La terre est en rit la prospérité Mate de l'univers, gestation; les évolutions sont discontinues est un manifeste de · combat, un et précipitées, les générations poétiques pamphlet terroriste qui appelle à spontanées. Les images les plus fréquentes relèvent de la convulsion, du naufrap, l'insurrection, décrète l'état de . de la subversion planétaire. L'élément de siège contre la conspiration géné- transmutation est avant tout le feu, dérale. Comme les beatniks aux vastateur et générateur • Etats-Unis, comme les jeunes gens Nous venons de quitter le chaoa en en colère qui s'insurgent en Angle- tant qu'il est masse inerte et nous assisterre contre l'influence de la cul- tons à celui qui pourrait bien être une ture continentale, le livre de Ré- création; oui, le poète est démiurge ici un peu trop ébloui par l'exubénmce jean Ducharme participe à un de ses propres images - et son uniVeD mouvement de fureur. Remar- est en pleine expansion, en pleine ébulquons, par ailleurs, que l'œuvre lition enCON : les principes de séparation sont trouvés, les éléments vont se scinder, de cet écrivain est imprégnée par mais déjà une crainte sourd, venue d'ail· le puritanisme anglican et quaker, leurs : la femme est le lieu de puissances maléfiques, et demande à l'homme Répug1U!, Maîtreue Pemée d'exorciser les démons dont elle A répandre la définition. est le siège. Mais la recherche de l'absolu, dont le jour rayonne des Par·delà cette chimie complexe (110étendues neigeuses, des forêts leils, orages, roches brûlantes, strates d'érables et des eaux miroitante~ incendiées... ), par-delà ce présent clonique soulevant immensément l'eau et la du Saint-Laurent, est rendue in- pierre, s'établit un rythme qui, avec c0certaine par le vertige qui pousse lère et véhémence, instaure Miles Miles à s'abîmer dans les gouffres du IJlal. Je deviem minéral La langue de l'auteur offre d'in- Corps noir comparables ressources, se prête à Comcience "am origine tous les jeux: assonances, calem- Une bête à présence pure. bours, rimes, incongruités provoDans l'opaeité tellurique, lentement, cantes qui jaillissent en une gerbe la plus faible, la plus menacée, flamboyante, et métamorphosent l'espèce se constitue : l'homme titubant, étinœl'univers en féerie. Les forces qui, lant de « plaies ». Alors, les aubes, les de toutes parts, conspirent contre le éveil~, les naissances sont possibles; et bonheur et la soif brûlante sont le regard rayonne, net de toute veille : tenues en lisière, avec la volonté inébranlable et arrogante de l'en- o journée fance. Un lyrisme rageur et anar- Paume constellée. chique fait feu de tout bois, allume Racines et germes, bris et déchirures des brasiers à tous les coins du laissent entrevoir le temps profond des monde. métamorphoses : celui des origines adœLa désintégration du langage sées aux anéantissements car ce point obéit à la volonté de faire éclater d'impact de la conscience qui est flamme, qui est éclair, révèle aussi la mort : la syntaxe, l'armature logique qui étrangle la spontanéité et s'oppose à la libération explosive et désor- Un cataclysme hante me" paupières nues. donnée de l'instinct. Mais une telle Pour fonder cette descendance issue recherche peut très vite tourner au du « miracle des séismes », l'homme procédé. En effet, le plus souvent protégé devra se reconnaître éblouissant, mais parfois lassant par ses longueurs, par des violen- o Mort, ces inutiles qui sont comme les Ma coquille! gestes impuissants qu'un enfant en Et sur le sable deviné mes membres colère dessine contre le vide, le A la Mer annoncé". deuxième livre de Réjean DuSi le chant de Pierre Dalle Nogare Be charme souffre d'une certaine dégage avec peine encore, si un spiri. complaisance. Il faut espérer que tualisme confus embarrasse parfois le marcet écrivain aux dons étincelants tèlement poétique, les images sont belles ne soumettra pas sa virtuosité à et prenantes, le ton est juste. On peut ce qui pourrait devenir une recette. faire confiance à qui, de plain-pied, VOWl empoigne. Alain Clerval Paul NtUikùm


Ezra Pound- •• Ezra Pound vient de passer , qu~~ques, jours à Paris pour assister à la publication de tr.ois de ses œuvres en traduction française : ABC de la lecture, Comment lire (aux éd. de l'Herne) et Esprit des littératures romanes (Ch. Bourgois éd.). Les rencontres qu'il a eues avec les criti,ques français ne leur ont rien appris ': le poète . américain garde un silence obstiné et oppose un regard lointain à toute question. Il ' ne parle qu'en cas de nécessi~é absolue, ,o u à son traducteur pour 'les besoins d'une mise au point. Il continue d'écrire et v'ient de terminer le Cantos CX, l'un des plus' beaux de son œuvre déjà vaste - sitôt imprimé à 73 exvrnplaires, en une mince plaquette. Le .voici, publié en exclusivité, dans une traduction de Pierre Alien: (Copyright: L'Herne)

Ezra Pound, Pa'm 1967.

, Ta maison calme à Torcello, Alma Patrona, La courbe d~ la crosse va rejoindre le mur, ,La teille, blanche plume, comme un dauphin à fleur de 'mer Je suis pour Verkehr sans tyrannie, joyeux sillage en caracole N'as-tu pas vu le sillage du navire sur la digue, et sa crête? Quel panache ? , coup de patte, la vague tape, , c'est la gaîté, Toba Soju, imminente limpidité, c'est l'exultation, ici l'écume court sUl" la digue che paion si al vent' 2har 2Ia lliu 3k'0 sur la houle du vent, Les neuf parques et les sept, et l'arbre noir naquit niuet, L'eau est bleue comme turquoise, Quand le ced boit à la source salée Et les moutons descendent quand pousse la gentiane, peux-tu voir avec les yeux du corail, de la turquoise, ou marcher avec les racines ,du chêne? Un iris jaune dans le lit de ce· fleuve yüeh4 s mingl m04S hsieni p'engl Chêne sur le Mt Sumeru ne peux-tu voir avec les yeux de la turquoise? ciel terre au centre est le genévrier

Tes doigts sont d'écume et de soie, . Kuanon, et la longue douceur 'de son geste, le saule et. l'olivier se reflètent, L,'eau du :ruisSeau flâne, topaze contre le ' pâle envers des feuilles, Les vagues du lac à la Canaletto ,sous un bleu plus pâle' que le ciel,' . Les couches du rocher courbées comme au . compas, ce roC est de la inagnésie~ Cozzaglio, Dino Martinazzi construisit ici la route (Gardasena) . ' Savoia, Novara à 'Veneto, Solari en était Un caso triste e denho di memoria « En ai-je jamais fait une ? » i. e. une charge de cav~erie Oncle G : « Savais en sortant qu'il y aurait une sacrée .bagarre , au sénat ». Knox entra, dit Lodge : L'avez7vous lu ? « Pour la dernière fois », pensait-il, mais 'vint Bettoni, comme Gallifet , (Ibukerki) Cyprès contre le flanc rocheux~ Cozzaglio, le tracciolino, Riccardo Cozzaglio, A Oleari, la division Sforzesca désobéit pour vaincre Ils avaient des chevaux. Felix nupsit, une fin. Amoureux de Khati , mo,te depuis 5000 ans Sur l'eau plus bleue que' minuit , où se cueille l'olive en hiver Se reflètent les 'seins de la terre' et toutes les Eurydices; L'écorce du laurier enserre le fugitif, le fantôme d'un jour déraciné? LOrs' sous cet autel Endymion repose; ~LLIASTRAGA1OS

Les purifications sont neige, pluie, armoise, et rosée, chêne, et genévrier

,.~.",~Xl.~O"~p~Y"'~~ hsin

Et dans ton esprit la beauté, 0 Artemis; comme à l'aube un lac dans la montagne. LA Quinzaine littéraire, 15 au 30 juin ' 1967.

#i c'est-à-dire, avancer de jour

hsin •

Que l'amour soit cause de haine, quelque chose est tordu, Awoi, des arbres ,dénu'!Iés marchent sur' , l'horizon, cette seule vallée rejoint les quatre mers, le soleil se couche à l'envers La Tour, San Carlo disparus, et Dieudonné, Voisin Byzance, une tombe, et fin, où repose Galla, et ta .maison calme à Torcello. ct: Quoi'! QUO! ! » dit ici l'auzel « Tullup » disait ,l'oiseàti de Virginie, quel sens? Cette guerre détruit ,surt01,lt les restaurants Quos ego Persephonae pas Jt. avec des jets, La sainteté ~e leur cpurage oubliée les lions de Brescia effacés ' Jusqu'à ce que l;esprit saute sanS construire

..J1:.. 'chih.

et qu'il n'y ait ni chih ni racine. Bunting et Upwl,lrd négligés, tous les mainteneurs étouffés. Echoués du naufrage du temps, ces fragments préservés de la ruine, et le B soleil nouveau quand vient le jour. ' Mr Reck espère encore monter sur le 'Moiit Kimbalu, ses débris coulés (20 ans) 13.455 pieds en face de Jesselton, Bornéo,

Il pleut des araignées, des scorpions, ' Eclairez le poison qui tombe, un vent de ténèbres se jette contre les arbreS, la bougie tremble, vacille lux eniIncontre cette tempête. La forme de marbre dans le bois· de pins, L'autel aperçu, jamais vu Des racines des sequoias prie prie Il y a la force Awoi ou Komachi, la lune ovale. Il


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Interrogations sur

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Botticelli : dessin pour le dernier chant de l'Enfer de Dante.

Marcelin Pleynet Lautréamont par lui-même Le Seuil éd., 180 p. Comte de Lautréamont Les Chants de M aldoror Œuvres complètes d'Isidore Ducasse éd. établie et présentée par Hubert Juin Ed. de la Renaissance, 450 p_

L'ŒUVRE CRI T1QUE : qu~:!s \!O~: ;::: ?';,n u:ècJ:u!: D'ALBER T BÉGUI N:• ;'~:~~~i:itorir!:air:ll:i~ ~~:!~;;.::) dans un hôtel de la rue Notresur Balzac, Nerval, La quête du Graal par Camille BOURNIQUEL, Philippe BOYER, Yves BERTHERAT

• LE SOCIALISME BIPOLAIRE par Jean DRU

• JUIN 1967

ESPRIT 12

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19, rue Jacob, Paris, 6e C. C. P. Paris 1154-51

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Dame-des-Victoires, à Paris. En août 1868, il publiait, anonymement, le premier des Chants de Maldoror. Isidore Ducasse entrait en littérature - et mourait brusquement (?), le 24 novembre 1870, âgé de vingt-quatre ans. « Tout, dès lors, était mûr pour la légende et pour la découverte. Il n'existait des Chants qu'une masse de papiers non brochés. Des Poésies, que quelques fascicules. De Ducasse, rien. Il entrait dans l'immortalité par la porte de l'oubli li (Hubert Juin). On découvrit peu de chose sur l'auteur, ce qui permit naturellement à la légende de croître et embellir ' de Pichon-Rivière à Soupault. Nettoyée des billevesées, la biographie de Ducasse se réduit à quelques éléments précis et rares (naissance, baptême), ou tout aussi rares - , incomplets (scolarité, famille, années vécues à Paris, décès). Des témoignages très tardifs permettent à peine d'imaginer un

visage dont on ne possède aucun portrait, la seule photographie ayant été perdue et même, selon Marcel Jean, le seul portrait exécuté de mémoire d'après cette photographie ... On ne connaîtra probablement jamais les circonstances de sa mort et on ne peut que supposer qu'il refit le voyage de Montevideo avant de venir habiter Paris. Il nous reste six lettres, et quelques phrases en marge d'un livre : il est vrai que le hasard ne pouvait ironiquement mieux choisir, puisqu'il s'agit d'un essai (oublié) de Naville, sur le Problème du Mal. A partir de quoi il était impensable d'attendre un Lautréamont par lui-même qui puisse répondre à la vocation de la collection que dirige Monique Nathan.

Celui qui ohante••• Le petit livre de Marcelin Pleynet fait le procès de tout ce qui n'est pas certitude biographique et n'apporte aucun élément neuf au dossier Ducasse. Au demeurant, on s'en passe. Les biographies masquent les œuvres plus qu'elles ne les éclairent et il n'est pas mauvais qu'après Maurice Saillet (que Marcelin Pleynet taxe trop vite de naïveté: examiner les thèses - si l'on peut ici employer ce terme n'est pas les accepter), ce livre et la dernière édition des Œuvres complètes, due à Hubert Juin, procèdent à une mise au point rigoureuse propre à nous débarrasser d'un certain nombre de calembredaines. Si l'on excepte l'édition

G.L.M., remarquable à d'autres titres, et à défaut d'une publication commentée, l'édition des Œuvre$ complètes que vient d'établir Hubert Juin s'avère la meilleure de celles qu'il est actuellement possible de se procurer (celle de Maurice Saillet dans « Le Livre de poche » demeurant évidemment plus accessible). De toute manière, la découverte de Ducasse à travers les Chants . est vouée à l'échec. La confrontation des trois éditions successives du premier chant fait apparaître la volonté manifeste de gommer toute indication biographique qui pourrait être retenue comme telle : on sait comment s'effaça le nom de l'ami de collège : « Ah! Dazet ! toi dont l'âme est inséparable de la mienne; toi le plus beau des fils de la femme, quoique adolescent encore; toi dont le nom ressemble au plus grand ami de la jeunesse .de Byron... » au profit de la seule initiale - puis, dans la troisième édition, comment il céda tout à fait à l'écriture: « 0 poulpe au regard de soie... li La référence à Byron disparaissait aussi. Quant aux notations qui pourraient se rapporter à Ducasse elles sont tellement métaphoriques qu'on ne saurait trop s'en méfier. Ce qui nous laisse non plus en face de Ducasse, mais en face de Lautréamont. On ignore tout des modifications qu'ont pu subir les cinq autres chants, mais elles n'auraient pu que poursuivre cet « anéantissement ( .. _) complet li de la figure de Ducasse, selon une volonté cette fois (deux fois) expressémlmt signi-


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LautréaDlont

ERIC LOSFELD

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• évo-· •

fiée. Aussi, pour Marcelin Pleynet, Ellipse qui n'est pas sans « dans la mesure où ils déçoivent quer, pour Pleynet, la leçon de· toute interprétation, nous ne pou- Lacan: « Comme si l'histoire du : vons considérer les Chants de Mal- langage de la raison n.e se trouvait • doror que parce qu'ils sont écrits. pas prise dans le retour perpétuel • Nous n'avons rien à leur faire dire de l'inconscient structuré comme· qu'ils ne disent pas et ils ne disent un langage D, - ellipse dans la- • rien d'autre que leur écriture. D quelle Hubert Juin voit CI: en germe : Ayant démontré la faiblesse de l'économie même des Chants de. toute interprétation biographique Maldoror D, et qui est révélatrice. systématique, et moralisante, à par- de cette course qui mène l'écriture • tir des indications qu'on peut re- « de la métaphore à la métamor- • lever dans les Chants, Pleynet phose D. TI y a dans l'essai de: examine quels rapports peuvent Pleynet des idées éclairantes mais • être fondés entre l'œuvre et les des développements confus - no- • sources, ces « sources qui n'en sont tamment à propos de la réalité et • pas D, et particulièrement le roman la fiction, et de ce qu'il nomme • noir dont les traces, à commencer « le déplacement rhétorique de· par le Latréaumont d'Eugène Sue, l'adverbe D, analyse de la signüi- : ont été relevées. En fait, l'utilisa- cation des beau comme... qui écla- • tion d'un certain nombre de pro- tent dans les deux derniers chants .• cédés appartenant à un genre littéraire quel qu'il soit n'autorise pas nécessairement qu'on réduise un écrivain à la dimension de ses emprunts ou de ses modèles. Pour Marcelin Pleynet, le roman noir Le livre, compte tenu des limite!; • n'est qu'un espace dans quoi Lau- trop précises, ou trop étroites qu(. • tréamont a inscrit les Chants, uti- lui imposait cette collection, n'est: lisant les divers procédés du genre pas inintéressant. TI n'est pas non. « comme mode de distanciation plus sans tomber souvent dans les • du récit sur canevas conforme » travers qu'il reproche vertement à • - et commettant, à l'égard de ses d'autres. TI est exagéré sinon naïf • sources (que ce soit d'ailleurs Ho- d'écrire: « Et du point de vue de • mère ou Dante 011 Byron ou Sue) l'interprétation, cette lettre au ban- : cet « acte d'appropriation D légi- quier Darasse (en date du 12 mars • time de la littérature que pratique 1870), est un message d'une riches- • l'écrivain. La multiplicité des se inouïe. D Ou encore, considé- • « sources » conduit très justement rant que la rédaction des Poésies • . de quatre mOlS . •• Pleynet à insister sur l'usage qui n ,a pas d ure' mOIns sera fait des procédés, renversés et pas plus de dix, noter: « Dans • parfois jusqu'à la mise en aecusa- un cas comme dans l'autre, il ne • tion du genre même: ... CI: chez s'agit de rien de moins que d'un • aucun de ces auteurs Lautréamont véritable tour de force. » Et s'il • ne prend en considération la qua- est vrai qu'on a vu célébrer Lau- • lité ou l'absence de qualité li~ tréamont « en des termes d'un: raire et esthétique, mais seulement lyrisme souvent douteux », on ne • les formes que ces CI: qualités D ont l'a pas toujours vu commenter. pour fonction de remplir. D Dès le sans galimatias. Le livre de Mar- • premier chant, le lecteur était celin Pleynet n'échappe pas à ce • prévenu: « Celui qui chànte ne reproche - un exemple entre dix: : prétend pas que ses cavatines soient « Toutes les ambiguïtés que nous • - avons pu rencontrer (et dans · la • une chose inconnue. » cOTTespondance aussi bien) à partir • des concepts de bien et de mal sont • Une éclipse attachés à la charnière de la néga- • tion (ni bien, ni mal), prise dans : Après avoir écarté les cadres la lumière à double foyer du ren- • biographique et cc culturel D, in- versement et de l'identification. » • capables de justifier une lecture La manière de dire n'a pas tou- • des Chants de Maldoror, Marcelin jours des vertus exemplaires, et la • ., , n emporte pas tou- •• Pleynet, tente de définir les condi- demonstration tions d'une approche de l'œuvre et jours l'adhésion: que les Chants. de fixer les rapports lecteur-scrip- de Maldoror soient placés sous le • teur, à partir de la première ligne signe de l'inceste en tant qu'inter- • du premier chant, puis des phrases dit majeur ne paraît pas évident. • n n'empêche que, voulant prouver • ~és de la première strophe du «lliant III, et il postule que: « La hc•.\Ucoup en peu de pages, s'ap-: lecture et le su jet de la lecture ne lluyant tantôt sur Blanchot, tantôt • feront plus qu'un" dans la mesure sur-Benveniste ou Derrida, Marce- • où «je D sera devenu comme ce lin Pleynet réussit à faire qu'on • qu'il Ht: lui-même écrit: écJi,. se pose quelques JK»ints d'interro-· . nouveaux a• propos deLa· uture... D Et: « Notre lecture, le gation livre et sa fiction seront dès lors tréamont, et il me paraît plus 'iin- : comme une eUipse: · TI les entre- portant de les poser que d'imposer·. lacera dans une ellipse, une eUip:se un système de lecture. De part et • que logiquement nous devons pren- d'autre du livre, il n'y a plus que. dre au commencement et dans son Lautréamont et le lecteur .•• Soit· impossible finitude et à tous ses - ou sois! - Maldoror l'espace: moments comme commencement si d'un livre! Claude Michel Clunynous voulons la suivre. D

• • •• •

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30 juin 1967.

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IN:8DIT

Claude Pichois Baudelaire à Paris Album iconographique Hachette, éd., 160 p.

à Baudelaire à propos du Théophile Gautier, s'exerçait bien en connaissance de cause : « •••ll me demande de l'introduire près de Lacroix et des Belges (écrit.il à Paul Meurice). On dit qu'il m'est à peu près ennemi. Cependant, je lui ren· drai ce service qu'il me demande. li Hugo ne détestait pas étaler sa grandeur d'âme; mais enfin, c'est parce qu'il en avait.» On voit le ton des notes nombreuses qui éclairent l'édition de M. Yves Florenne, et qui sont à la fois d'un érudit, d'un écrivain, et d'un moraliste, conjonction rare. Un résumé biographique rédigé par Baudelaire lui-même suggérait que ses rapports, d'ailleurs fort espacés, avec Hugo, avaient commencé vers 1842, après son voyage dans les mers du Sud. La lettre que l'amitié de son détenteur actuel, M. Roland Saucier, me permet de publier est datée du mardi 25 février (1840), donc antérieure à ce voyage. Baudelaire a été reçu bachelier au cours de l'été précédent, il s'est inscrit à l'Ecole de Droit, mais ne travaille guère, rêve de littérature, fréquente les filles, et les Lettres inédites aux siens confirment ne les a pas fréquentées impunément.

Baudelaire n'a parlé avec bonheur que des écrivains, peintres ou -musiciens dans lesquels il pouvait se reconnaître. Son effort critique tendait à définir cette correspondance, et il dit lui-même ce qu'il éprouvait, quand il croyait y réussir, .en une phrase qui est unique dans toute son œuvre : « mon cœur est plein d'une joie sereine lI. Ceci était vrai pour Delacroix, mais aussi pour Constantin Guys, pour W a· gner, pour Daumier, pour Méryon, pour Edgar Poe. Une pareille affinité n'a jamais existé entre Victor Hugo et lui. TI appréciait « la quantité de beauté éternelle» qui apparaît dans les vers de Hugo, mais ne pouvait souffrir ses idées sur le progrès de l'humanité, ses attitudes de prophète, son abondance verbale. Hugo, à ses yeux, n'était pas un dandy. TI lui écrivit cependant jusqu'au bout des lettres admiratives, lui demandant maints services. A Bruxelles, il était reçu en ami par la famille Hugo, et entretenait volontiers de Sainte-Beu· ve Mme Victor Hugo. On peut suivre les étapes de ces relations assez ambiguës dans la nouvelle édition, si remarquable, des Œuvres complètes de Baudelaire qu'a donné M. Yves Florenne au Club Français du Livre. On y retrouve les lettres échangées, les pages déférentes que Baudelaire consacrait à Hugo, et les confidences où il démentait l'estime qu'il proclamait ailleurs. (( Hugo, remarque M. Yves Florenne, montra que l'obligeance qu'il avait déjà prouvée

COLLOQUE La presse s'est déjà fait l'écho de ces journées (25-27 mai) organisées à Nice par le doyen Marcel RuH, aidé de M. Claude Faisant, assistant à la Faculté des Lettres . Mais elle n'a pas pu prOCéder à une analyse objective des résultats du colloque, ... ont les membres se sont séparés sans avoir tiré de leurs communications une conclusion d'ensemble. Sans prétendre remettre en cause la ferveur baudelairienne avec laquelle fut organisée cette rencontre, il convient de remarquer que le colloque fut un congrès. En février, à Londres, les organisateurs avaient choisi une salle de dimensions restreintes . L'am. phithéâtre du Centre universitaire méditerranéen - quelque cinq cents places, dont beaucoup furent occupées - provoquait aux discours, sinon aux tours de chant: il interdisait les échanges fructueux de séances de travail, d'autant que les discussions avaient dû être groupées à la fin de chaque journée. Encore ces discussions restèrent-elles épidermiques : aller au fond d'un exposé, en critiquer le bien-fondé ou l'orientation, devant un public nombreux, eût, par un Simple eHet de proportions, risqué de 14

qu'il

Monsieur,

Nadar

deux photos de C1wrles Baudelaire.

Il y a quelque temps, je vis représenter Marion Delorme; la beauté de ce drame m'a tellement enchanté et m'a rendu si heureux que je désire vivement connaître l'auteur et le remercier de près. Je suis encore un écolier et je commets peut-être une impertinence sans exemple; mais j'ignore tout à fait les convenances de ce monde et j'ai pensé que cela vous rendrait indulgent à mon égard. - Les éloges et les remerciements d'un étudiant doivent peu vous toucher, après

Les "journées" Baudelaire à Nice transformer en polémiques de courtoises contestations et répliques. Une autre conséquence du caractère par trop public du colloque fut le rôle régalien que s'arrogèrent les reporters , journalistes ou photographes. Des communications annoncées, ainsi que souvent il arrive, ne furent pas prononcées . Un journaliste s'indigna : il n'était venu que pour entendre les délinquants. Le professeur Bandy, président de la séance, regretta de n'être pas en mesure de rembourser une entrée libre. Le samedi matin, alors qu'on attendait M. Pompidou , les techniciens allaient et venaient, essayant leurs projecteurs, les braquant même sur le visage de Mme Kushner (Université d'Ottawa), qui traitait de « Sartre et Baudelaire »; elle fut interrompue par des applaudissements qui saluèrent l'entrée du premier ministre , venu pourtant en personne privée. Que si l'autre partie de la salle avait répondu par des sifflets, on eût pu se croire à Nevers. Mme Kushner a les nerfs solides : devant une telle indécence, j'en sais qui eussent immédiatement gagné le haut de la Montagne. Est-ce pour protester contre ce tumulte que Georges Mounin

prit ainsi la parole : « Mes chers collègues, mesdames, messieurs .; in· titulé remarquable , puisque M . Pom· pidou, agrégé des lettres, maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris l , est effectiver,lent son collègue. M . Mounin lui-même , dans une réfutation de 'Ia déjà fameuse analyse structuraliste des Chats par Roman Jakobson, se croyait d'ailleurs obligé de ramener les étudiants dans la droite voie - on eût préféré les voir ame· ner dans la voie de la marxologie : la déontologie professorale faussait ainsi l'une des voies d'approche qui vont le plus direc~ement au cœur de l'œuvre. G. Mounin , dans la discussion, dut préciser la cause de ce qui fut une mise en garde. Sans doute ne récuse-t-il pas ce que le structuralisme peut apporter de neuf à l'exégèse littéraire - nous pensons au professeur Tans, à ses amis et collaborateurs hollandais et français -, du moins en a-t-il d'abord donné l'impression . Il y a vingt ans un tel congrès eût été entièrement consacré à l'histoire littéraire. A Nice, moins d'un tiers des communications relevaient de cet-

te discipline au sens strict. Parmi elles, on retiendra surtout les études sur la fortuile du poète : • L'Universalité de Baudelaire », par W.T. Bandy, • La Fil iation de Baudelaire à Rimbaud • par le doyen Marcel Ruff, qui donna lieu à une intervention fort intéressante aussi de M. Matucci (Pise), - et de M. Jean Pommier, président d'honneur du • Colloque ", un « Commentaire du Tombeau de Baudelaire par Mallarmé ' . Dans le même esprit de sain positivisme, M . Beilharz (Tubingen) étudia les prédécesseurs allemands de « cette excellente Mme Crowe » , élogieusement citée dans le Salon de 1859, établissant ainsi l'une des généalogies du surnaturalisme européen. En même temps que l'histoire littéraire cédait du terrain, la prospection chrétienne objet, il y a dix ans, d'efforts et de contestations passionnées - se réduisait à néant. Même si Pierre Emmanuel avait pu faire sa communication, son « Baudelaire devant Dieu • n'aurait pas été diHérent du livre qu'il vient de publier (Desclée de Brouwer) et qui échange avec celui de M. Max Milner (Plon) des caractères complémentaires : la di-


Une lettre de Baudelaire

Hugo

Que vous ayez ou non cette bonté, recevez le témoignage d'une reconnaissance éternelle. Ch. Baudelaire, 59, rue de Lille.

ceux que vous ont prodigués tant d'homme! de goût. Vous vous êtes sans doute montré à tant de gens que vous devez peu vous soucier d'attirer près de vous un nouvel importun. - Pourtant, si vous saviez combien notre amour, à nous autres jeunes gens, est sincère et vrai - il me semble, (peut.être estce bien de l'orgueil) que je comprends tous vos ouvrages. Je vous aime comme j'aime vos livres; je 1!OUS crois bon et généreux, parce que vous avez entrepris plusieurs réhabilitations, parce que loin de céder à i'opinion, vous l'avez souvent réformée, fièrement et dignement. J'imagine qu'auprès de vous, monsieur, j'apprendrais une foule de choses bonnes et grandes ; je vous aime comme on aime un héros, un livre, comme on tzÏme purement et sans intérêt toute belle chose - Je suis peut.être bien hardi de vous envoyer bon gré mal gré ces éloges par la poste ; mais je voudrais vous dire vivement, simplement, combien je vous aime et je vous admire, et je tremble d'être ' ridicule - Cependant, Monsièur, puisque vous avez été jeune, vous devez comprendre cet amour que nous donne un livre pour son auteur, et ce besoin qui nous prend de le remercier de vive voix et de lui baiser humblement les mains ; à 19 ans, eussiez-vous hésité à en . écrire autant à un écrivain dont votre f âme eût été éprise, à M onsieur de Châteaubriand (sic) par exemple? - Tout cela n'est pas assez bien dit, et je pense mieux que ma lettre ; mais j'espère qu'ayant été jeune comme nous, vous devinerez tout le reste, qu'une démarche si nouvelle, si inusitée ne vous choquera pas trop ; et que vous daignerez m'honorer d'une réponse : je vous avoue que je l'attends avec une impatience extrême.

mension spirituelle de la création bau· delairienne est parfaitement mise en lumière par ces deux ouvrages -qui méritent beaucoup mieux qu'une simc pie mention! - mais une « catholicisatiOn - de Baudelaire devient impossible. La thématique et la stylistique, d'un mot plus général, la critique, ont eu les honneurs du « Colloque -, avec des variantes considérables de méthode et d'interprétation. Ici, les représentants de l'esprit anglaiS - si l'on peut dire : M. Lloyd James Austin (. Baudelaire et Delacroix -), qui présida- en février le colloque de Londres avec beaucoup de présence, et Miss Alison Fairlie (sur les Petits poëmes en prose). toujours prêts à se soumettre au contrôle des faits, épousant le mouvement même de la pensée de Baudelaire dans son devenir et sa complexité. Là, les représentants des • nouvelles critiques - utilisant une dialectique fort éprouvée : M. Georges Poulet (. Baudelaire et le' thème de la lumière noire - ) maîtrise, sens profond de la poésie, voix pénétrante - convaincrait un mort de la fécondité de sa méthode. M. Victor

.a

En haut de la première page, Hugo a inscrit, selon son habitude, le « r» témoignant qu'il a répondu. On notera l'adresse du jeune Baudelaire en 1840. On ne savait guère où il avait logé, durant èette première année de liberté, et le 59 rue de Lille n'est pas mentionné dans le bel album, Baudelaire à Paris, de M. Claude Pichois (Ha. chette, éd.). Je ne garantirai pas d'ailleurs .le numéro, car ·il y a une légère tache d'encre sur le «9 », qui correspond à une pliure du papier. Cette déclaration d'amour n'empêcha .pas Baudelaire, dès les Salons de 1845 et de 1846, de s'en prendre assez aigrement à Hugo, et de railler Marion Delorme, prétexte 'd e sa lettre, cette «littérature qui consiste à prêcher les vertus des assassins et des filles publiques ». Mais en 1840, il se montre tel que le révélaient ses lettres de jeunesse publiées récemment : un bon jeune homme, respectueux, tendre, et d'un conformisme si total qu'on serait tenté de le croire un peu forcé. Il voulait « baiser humblement les mains » de Hugo, de même qu'il écrivait au général Aupick : « Je t'adore ». Il en reviendra très vite. Mais bien plus tard, en 1858, quand il écrira au Figaro qui avait prétendu rapporter un de ses propos : « Hugo ! qui ça, Hu· go ? Est·ce qu'on connaît ça ... Hu· go ? », et qu'il rangera Hugo par· mi les « m:.îtres de sa jeunesse », le mot « amour» reviendra sous sa plume, et on sait désormais qu'il disait vrai. José Cabanis

Brombert, (. Claustration et infini -), plus dogmatique, prononça une communication qui avait la rigueur d'une épure . On se prend , toutefois, à leur demander si la thématique ne devrait pas se plier à une chronologie : la persistance, la cohérence du mol appartient à une psychologie classique bien fragile. Ils nous répondraient à bon droit qu'à celui qui veut interpréter Les Fleurs du Mal et les Petits poëmes manque avant tout une chronologie de composition: la discussion qui s'est élevée sur la date de Correspondances prouve qu'une telle étude n'est pas près d'être établie. Le même point dubitatif peut affecter le texte inédit du regretté Charles Mauron (. La Structure inconsciente des Fleurs du Mal -) lu par le doyen Ruff. M. Léon Cellier occupe un canton bien à lui des « nouvelles critiques » : vibrant et précis, il étudia • Baudelaire et l'enfance - . M . Gérald Antoine, recteur de l'Université d'Orléans, mit au service de la stylistique sa fougue toujours juvénile et de très fines antennes: • Classicisme et modernité de l'image dafls Les Fleurs du Mal ». M. Georges f;lin, s'il avait pu se rendre à Nice, aur ait sans dou-

La Quinzaine littéraire, 15 au 30 juin 1967.

te prié M. Antoine de distinguer baroque et classicisme, d'éloigner Baudelaire de celui-ci pour le rapprocher de celui-là. • Modernité - , le mot a été prononcé plusieurs fois. Il ne l'a jamais été mieux que par M. Luigi de Nardis (Milan) qui avait intitulé trop modestement sa communication : • En marge d'une étude de Walter Benjamin sur Baudelaire et la ville ». De fait, par ce détour italien, W. Benjamin, dont la plupart des auditeurs de langue française paraissaient entendre le nom pour la première fois, permettait à M. de Nardis d'inscrire Baudelaire dans la vraie problématique des structures mentales. Parmi les Français, il ne fut que M. Pompidou pour situer Baudelaire au carrefour de l'histoire, un Baudelaire déchiré, privé d'un univers qui s'écroulait, confronté avec un univers qu'on ne lui avait pas appris à connaître, et qu'il refusait. Le matérialisme historique aurait-il trouvé refuge rue de Varenne? En bref, une certaine inqUiétude. Le structuralisme stylistique mis en pièces; la psychanalyse diffuse et comme un peu honteuse (mais Jean Starobinski n'étart pas à Nice) -

tournant en rond, créant son objet et s'étonnant de lui trouver un reflet ressemblant; la génétique négligée; l'étude des structures mentales et de la problématique d'une époque, presque aussi négligée :. q,-,j c.!OllC a montré en Baudelaire l'homme de son temps placé, comme tant d'autres, en face du mythe du Progrès? Faudra-til, avec M. Guy Michaud, s'en remettre à l'astrologie? Un eSPoijr, cependant ; il était contenu dans e vœu chaleureux exprimé par M. Georges Mounin : le temps des recherches solitaires est passé. Machines et équipes, c'est le seul recours et le seul salut. La mutation ou la mort. Chaque méthode a sa vérité. De la convergence de toutes naîtra peut-être la vérité. N'eût-elle permis que ces constatations, la rencontre organisée par le doyen Ruff serait déjà d'une belle utilité. Claude Pichois 1. Deux des titres de M. Pompidou qui figurent sur la page de titre des Pages choisies de Malraux, Hachette, « Classiques illustrés Vaubourdolle ".

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ARTS

Une histoire de la photographie Beaumont Newhall

L'histoire de la photographie depuis 1839 jusqu'à nos jours Le Bélier Prisma éd., 216 pages 200 illustrations.

En· 1945 était publié en français l'Histoire de la photographie de Raymond Lécuyer, véritable somme du développement technique et artistique de ce nouveau moyen d'expression. Ce livre demeure un document de hase d'une importance inestimable. Mais il est normal qu'après vingt ans, cette œuvre date. De nouvelles recherches ont modifié les perspectives, particulièrement dans le domaine vivant où

Société française ' de photographie. L'édition française de l'Histoire de la photographie se présente avec la même mise en pages que l'édition américaine et les reproductions sont bonnes. Il ne faut pas à ce sujet perdre de vue que, si un tableau perd de ses qualités par la reproduction dans un livre, il en est de même pour une photographie et il est important, après avoir vu la reproduction, de retourner voir l'original. Beaumont Newhall est certainement un des hommes les plus au fait de la question. Grâce à la formidable documentation réunie à la George Eastman House, de Rochester, dont il est l'administrateur, par

capable de faire œuvre artistique. Il ne faut pas oublier la ~marque de G. Bernard Shaw: « Le photogra-

phe est comme la morue qui pont un million d'œufs afin qu'un éclose. » Aussi, un choix demeure-t-il difficile, d'autant plus que certaines images disparaissent définitivement et ne sont plus connues que par ouï-dire, tandis que d'autres resurgissent miraculeusement pour notre joie des vieilles archives, grâce aux découvertes de sourciers pleins de foi. Il faut la sûreté, le goût et le sens critique de l'histoire en qui, à côté de certaines œuvres reconnues comme capitales, parfois à tort, doit donner une place à des images non encore classées.

extraordinaire d'une Amérique inconnue, même des Américains, et dont les images ne sont pas seulement belles, mais émouvantes. Il est assez extraordinaire de s'apercevoir que les plus grands photographes sont inconnus non seulement du grand public mais, même, des millions d'amateurs, sans parler des professionnels. Il y a aujourd'hui des classiques qui méritent une place indiscutable : Bayard, Nègre, Hill et Adamson, Margaret Julia Cameron, Steiglitz, Atget, pour ne parler que des disparus. La documentation que nous offre Beaumont Newhall mérite déjà qu'on ouvre le livre. Mais le

Talbot

Strono

La barrière blanche, 1916.

des images neuves sont venues en masse s'ajouter à toutes celles recueillies. Depuis 1945, il n'a pas paru en France d'ouvrages comparables, qui donnent une vue mondiale du sujet, alors qu'en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis, en Tchécoslovaquie, des histoires générales de la photographie ont vu le jour avec des fortunes diverses. André Jammes a traduit la meilleure des histoires exi~tantes sur le marché et il l'a fait avec une intelligence et un goût ,qui n'excluent point la fidélité. Il était d'ailleurs tout désigné pour un tel travail, car il dirige depuis des années avec foi le Groupe, d'études de la photographie ancienne de la 16

Fleurs séchées, 1839.

ses nombreux voyages à travers le monde pour visiter les collections encore dispersées et peu connues, Beaumont de Newhall a modifié lentement ses points de vue, ses classements cherchant à serrer de près une réalité fuyante et qui ne se laisse pas facilement enserrer en quelques chapitres sur lesquels on place une étiquette. La photographie dans ses cinq quarts de siècle d'existence, a produit tant d'images de tous genres, dont certaines, rares, méritent seules de retenir l'attention. La lettre d'amour, la sentence du juge et le rapport d'affaires ne sont pas considérés comme appartenant à la littérature; quand il s'agit de photographie, chaque homme se croit

Peut-être peut-on reprocher à Beaumont Newhall d'avoir réduit le monde photographique à quelques grands pays et d'avoir donné aux photographes américains une place trop importante. L'auteur n'ignore pas cette faiblesse, due au manque de travaux de chercheurs ; comme il me l'écrivait récemment, il remet toujours son œuvre sur le métier et dans dix ans, il fera paraître une nouvelle édition, revue et corrigée. De la seconde critique, André Jammes est fort conscient. Mais on ne peut que le suivre quand on pense par exemple que la Farm Security Administration a fait prendre, avant la guerre, plus de deux cent mille images par les photographes les plus doués de l'époque et a réuni un panorama

texte a son importance, comme quoi l'image ne peut suppléer aux mots ; il nous décrit les grands courants qui . ont emporté les faiseurs d'images ; il nous apporte la vie mouvementée des apôtres comme celle des charlatans ; il nous parle des théoriciens, des maîtres comme de ceux que la malchance a poursuivis et n'oublie pas les obs· curs, dont certains demeurent anonymes. « Dès maintenant la photographie se révèle un instrument incomparable qu'un siècle de tradition a confirmé dans son rôle irremplaçable qui est la découverte, la révé· lation, l'interprétation de l'univers, de l'homme et de la nature. » Jean A. Keim


Holbein dessinateur Frantisek Dvorak

Hans Holbein le jeune. Dessins 57 pl. en noir et en couleurs Ed. Cercle d'Art, 166 p. Je ne sais qui eut l'idée d'ouvrir les tiroirs d'une commode qui, en 1727, sous George II d'Angleterre, !le trouvait au château de Kensington sans que personne apparemment eût jamais jusqu'alors manifesté à son endroit une semblahle curiosité, mais c'est à ce geste qu'est due la découverte d'un amas de dessins représentant pour la plupart des gens très haut placés à la cour .- celle de Henry VIII et dont l'auteur, mort de la peste à Whitehall en 1543, était Hans Holbein le jeune. Ces portraits oubliés appartiennent aujourd'hui à la reine Elizabeth et forment la plus prestigieuse collection de son château de Windsor. Une autre collection de dessins de Holbein, demeurée également intacte depuis le XVIe siècle, se trouve au Musée de Bâle. Elle avait été constituée par un admirateur et un contemporain du peintre, le juriste Boniface Amerbach, et se composait de soixante-quatorze dessins auxquels furent ajoutés plus tard ceux que possédait la famille Holbein. A Windsor, on peut voir les portraits de Henry VIII, de quelques-uns de ses amis et de quelques-unes de ses victimes, Sir Thomas Wyatt, Sir John More, la duchesse de Suffolk, Anne de Clèves, Elizabeth Dauncey et plusieurs dames fort belles dont le nom ne nous est pas parvenu ; à Bâle, le duc Jean de Berry, Theophrast Bombast von Hohenheim, plus connu sous le nom de Paracelse, et la famille du bourgmestre Jacob Meyer, le mari, l'épouse et la fille, dont les admirahles portraits dessinés servirent d'études aux personnages des donateurs figurant sur le tahleau de la Vierge de Miséricorde du Palais ducal de Darmstadt. (Signalons à ceux qui souhaiteraient confronter les esquisses dessinées aux portraits peints, qu'il existe une excellente reproduction de ce tahleau dans l'ouvrage d'Otto Benesch récemment paru chez Skira, la Peinture allemande de Dürer à Holbein). Les cinquante-sept planches publiées dans le livre sur Holbein le jeune par les Editions du Cercle d'Art avec un texte de Frantisek Dvorak, traduit du tchèque par François Fourcade, proviennent principalement de ces deux collections. Dans ces portraits dessinés à la pierre noire ou à la pointe d'argent, parfois rehaussés d'une teint,~ d'aquarelle ou d'un frottis -ode craie de couleur, la sensibilité linéaire est si grande, si expressive, que le trait suffit à donner aux visages un relief où n'intervient qu'à peine le modelé. Rien de complaisant n'y trahit la servilité d'un peintre de cour. On n'y trouverait pas trace non plus de ces conventions graphi-

ques encore en usàge à cette époque et auxquelles Holbein lui-même n'avait pas toujours échappé : les gravures que lui inspira le thème, médiéval il est vrai, de la · Danse macabre, contenaient le reflet d'une esthétique encore gothique que sa connaissaRCe de l'Italie devait évincer_ Pin-traitiste, il était vraiment un -homme de la Renaissance, ouvrant les yeux sur la réalité nouvelle d'un monde qui découvrait en toutes choses la valeur de l'expé\i~nce. La lucidité d'observation qu'il apportait à son travail et sans doute la conscience qu'il pouvait

deux pôles de l'existence de Hans ami Erasme, et muni de ses ·utiles Holbein le jeune. Bâle, centre im- introductions, Holbein avait déjà portant et agité de l'humanisme e:Il fait un séjour en Angleterre. Il y Europe, fut -sa ville d'adoption. Il -retourna en 1532 et avant d'y deen reçut le titre de citoyen en 1521 venir le peintre attitré de Henet -c'est là qu'il entreprit de pein- ry VIII il semble qu'il ait gadre ses grands retahles, celui du gné plus obscurément sa vie en Chancelier Hans Oberried, dont travaillant pour des odèvres et en seuls les. ~olets subsistent aujour- dessinant des pièces de vaisselle. d'hui à · la cathédrale de Fribourg, Nous avons pu voir _ récemment, celui de la Sainte Cène, où déjà se d'ailleurs, parmi les (iessins de la décèle ·une influence lombarde, et collection Mariette exposés au Loyla célèbre Madone de Soleure dont vre, un projet d'horloge composé on peut voir au Louvre une étude par lui et conservé au -British Mudessinée, reproduite dans le livre seum. Mais la vie de Holbein nous de Dvorak. C'est à Bâle également est demeurée en grande partie

Holbein: Autoportrait.

prendre de sa propre personnalité n'impliquaient pas cependant une rupture brutale avec le passé. Il conservait de son apprentissage auprès de son père, le vieil Holbein d'Augsbourg, un certain sentiment. d'humilité, une retenue devant la tentation de virtuosité à laquelle devaient céder tant d'artistes du XVIe siècle. En lui se rejoignaient et s'équilibraient la sévérité du sacré et l'élégance du profane dont la fusion passagère laissera une empreinte unique dans l'histoire de la peinture. Bâle et Londres, évoqués par ces portraits merveilleux, furent les

La Quinzaine littéraire, 15 au 30 juin 1967.

qu'il travailla pour ' l'imprimeur Froben en gravant de nombreuses planches destinées à l'illustration de ses livres. Mais Holbein ne pouvait plus espérer y développer sa carrière de peintre religieux alors que la destruction des œuvres d'art dans les églises était l'acte le plus spectaculaire par lequel la Réforme imposait ses idées. (Que de chefsd'œuvre durent être brûlés dans l'autodafé qui dura quarante-huit heures à Bâle en 1529 ! On ne peut s'empêcher d'y penser en visitant aujourd'hui la vieille cathédrale dépouillée. ) Sur les conseils de son grand

inconnue. Si les noms illustres que portent ses modèles suffisent à nous convaincre de l'estime en laquelle il était tenu en Angleterre, de ses rapports avec la plupart d'entre eux nous savons peu de chose. Et si l'on songe aux importants revenus que lui valaient les brillantes fonctions qu'il -occupa au service du roi jusqu'à sa mort, une question se pose sur la façon dont il les dépensait. Car nul n'a pu résoudre l'énigme de son testament par lequel il demandait que tous ses biens, « cheval compris », fussent vendus pour payer ses dettes.

Jean Seh 17


ESSAIS

Une fourDlilière de Dlots J.M.G. Le Clézi.o L'Exiase matérielle C.oll. « le Chemin » Gallimard éd., 230 p.

Balzac v.oulait faire c.oncurrence à l'état civil; Le Clézi.o fait c.oncurrence au réel, à -la vertigineuse ab.ondance du réel. La réalité et les livres de Le Clézi.o .ont leur leitm.otiv c.ommun : t.out existe. TI suffit de s'asse.oir dans l'herbe et de regarder une araignée tisser sa toile, .ou de se mettre à la fenêtre }.M.G. Le Clézio et sa femme . et de regarder dans là rue, p.our s'en c.onvaincrè. La présence du m.onde, dans sa plénitude tragique, idées-là que l.orsque s.on écriture, est une évidence. C.omme t.outes à pr.op.os d'une descripti.on, les sugles évidences, elle se suffit à elle- 'gère, les implique: même. Le m.onde se c.ontente de Ces réserves faites, examin.ons répéter que t.out est vivant et que l'idée qni est c.ontenue dans le t.ont, avec lui, est « jeté dans 'le bean titre du livre,· et d.ont le texte chaos brutal et frénétiqu~ de l'exis- dével.oppe divers aspects. tence. » Et ce m.onde est à lui.' même s.on pr.opre refrain: « Ce Le soumé coupé qùi est mort, est. Ce qui est vivant, ce qui est animé ou immobile,est. Et ce qui n'est pas, est encore. » TI . s'agit d.onc de regarder le . Telle est, une f.ois de plus, la m.onde, sans parti pris ni idée prégrande idée aut.our de laquelle est c.onçue, n.on pas p.our v.oir c.omment bâti le n.ouveau livre de Le Clézi.o, en tirer parti en essayant de le l'Extase matérielle, dans lequel faire entrer dans le c.orset d'nne l'auteur entremêle avec t.oute la structure, d'un système .ou d'nne maîtrise qu'.on lui c.onnaît (et qui théorie, mais bien au c.ontraire c.ommence à agacer une certaine p.our rendre à ce m.onde s.on caracpartie de la critique, qui aimerait tère premier de spectacle fascinant, bien av.oir quelque faiblesse à lui multiple, inépuisable. Il s'agit de pard.onner) des méditati.ons snr le l'examiner jusqu'à ce que chacnn bonheur, la vie, .ou l'esprit de de ses détails - une -branche, nne système et les anecd.otes qui les f.ourmi, nn mètre carré de trot.ont suscitœs. . t.oir n'exprime plus rien que Je d.ois dire que ce n'est pas, sa présence, jusqu'à ce que sa préde l'auteur, le livre que je préfère. sence s.oit devenue p.our le specOn y retr.ouve certainement la tateur une évidence ex.orbitante. La même richesse que dans les. tr.ois perfecti.on, l'exactitude de ce m.onprécédents, la même frénésie méti- de qui existe et qui, si l'.on peut culeuse de décrire. Mais le prin- dire, existe d'autant mieux qu'il ne cipe même de la méditati.on engage fait que cela, s.ont à la f.ois n.otre· l'œuvre sur la voie d'un huma- salut et n.otre drame. - N.otre salut dans la mesure .où nisme qui ne la sert pas. Les descripti.ons des excellentes n.ouvelles cette perfecti.on de l'existence n.ous de la Fièvre étaient' exemptes de dispense du néant et de la _dispat.out discours et c'était en un sens riti.on; n.otre drame dans la mef.ort habile, car c'était en évitant sure .où une existence à ce p.oint la méditati.on, que l'écritv.re de Le .pleine d'elle-même, ne peut que Clézi.o parvenait l~ mieux à mon- n.ous c.ouper le s.ouffle. Le souffle trer en qu.oi. le m.onde n'a pas bes.oin d'une métaphysique p.our être ce qu'il est. Ceci est une idée qu'.on peut év.oquer - et Le Clézi.o sait l'év.oquer à merveille - mais je ne pense pas que ce s.oit Une ch.ose qu'.on puisse dire. Aussi bien, les pages les plus remarquables de l'Extase matérielle s.ont-elles celles .où l'auteur décrit le b.ouill.onnement cellulaire d'un .organisme, deux pige.ons en train .de manger sur le rebord d'une fenêtre, une araignée en train de tisser sa t.oile, une femme, une rue. On peut très bien partager les idées de l'auteur sur la culture, sur la vie, sur l'écriture, sur la vanité des distincti.ons entre genres littéraires (et, dans Pensemble je les partage, ce n'est d.onc pas ce qui m'a gêné); ce que je veux dire c'est qu'il est m.oins c.onvaincant l.orsqu'il exprime ces

c.oupé par l'existence padaite des Mais Sartre semblait beaucoup ch.oses, n.ous sommes tour à tour m.oins à l'aise que Le Clézi.o dans en proie au doute et au ravisse- l'écriture proprement dite, en tant ment. C'est un ..bonheur extra- qu'instrument de « visitati.on » de .ordinaire que de déc.ouvrir que la réalité des ch.oses. On v.oyait cette f.orce qu'est ma vie, est gra.- très bien ce que Sartre voulait dire tuite, splendidement gratuite, ne à pr.opos de cette racine d'arbre tr.ouve sa nécessité qu'en elle- mais il ne parvenait pas, d'un point même, qu'en criant . s.on existence. de vue strictement littéraire, à Car alors elle disqualifie l'idée de donner à l'arbre, par l'écriture, ce néant qui faisait mon effr.oi et caractère de présence hallucinante, elle nie la m.ort, ma m.ort, indé- qui fait l'intérêt des descripti.ons finiment. Mais 'quel désespoir aussi de Le Clézi.o. L'écriture de Sartre que d'être lié, ajusté à une telle était d'abord une pensée; elle veéternité, à une telle pedecti.on et nait en second lieu, c.omme moyen vivant dans un m.onde aussi par- d'expressi.on d'une faç.on de v.oir le faitement complet. L'extase maté- monde. P.our Le Clézi.o c'est le rielle est ce souffle c.oupé, cette c.ontraire qui se passe: sa pensée c.onscience engl.outie dans l'exis- c'est d'abord une écriture. Chez lui un arbre n'est pas l'élément tence de t.oute ch.ose. Il ne s'agit pas la d'une faç.on . d'une dém.onstration, {. ''C'est avant de voir le m.onde, d'une « pensée» t.out un arbre et l'écriture le livre qu'un disc.ours pourrait dével.opper. immédiatement. On le sent être un TI s'agit d'un phén.omène de réqni- arbre d'nne faç.on très fascinante. siti.on de la pensée et des sens par Chaque morceau d'éc.orce, chaque la présence du m.onde, d.ont nne flux de sève, chaque fibre du boia , . s.ont là, donnés. T.oute la pensée écriture peut tém.oigner. de Le Clézi.o est c.ontenue dans ce m.ouvement magique par lequel, Écriture et pensée écrivant l'arbre il devient arbre lui-même, et n.ous fait devenir En fin de compte, la démarche arbre à notre tour. Tout à l'heure un sentiment de l'auteur -du Déluge est à peu près- l'inverse de celle de l'auteur nauséeux m'avait submergé: cet de la Nausée. Sa pensée, Sartre arbre était de trop, il était là parvenait à l'exprimer de faç.on c.omme une ultime b.ouchée à avaextrêmement précise et cette pen- ler après un repas déjà tr.op cosée était très imp.ortante; c'était pieux, et la nausée m'avait gagné en grande partie grâce à elle que parce que, après avoir rec.onnu, la Nausée était un livre capital. éprouvé la perfecti.on massive de

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PIERRE DOMMERGUES

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sa réalité, de sa matière, j'avais obscurément voulu trouver un sens à son existence; mais, outre que mon intelligence ressentait un intolérable sentiment d'impuissance à concevoir un sens, mon sentiment le plus intime était que l'événement de la présence de cet arbre, qu'il soit explicable ou non, était à lui seul un encombrement, une évidence effroyable, nettement obs-. cène. Le même arbre m'extasie, sa matière « jubile » et « je suis pris moi aussi » dès lors que je ne conçois plus ma vie comme une force qui se dirigerait vers tel ou tel but, mais comme une force qui se suffit à elle-même, dont le seul but est de s'accomplir, comme une chose qui ne pose aucun problème, qui n'est pas une question parce qu'elle est déjà en soi une réponse. Cet arbre n'est pas de trop dans le monde (puisque le monde est complet) et dans le monde il ne manque aucun arbre. L'existence du monde est la négation même de la pensée par laquelle nous mettons cette existence en cause. Il est absurde d'exister et de penser qu'on pourrait ne pas exister. J'existe parce que j'existe. Et, tout, de la même façon existe. Je ne suis ni superflu, ni nécessaire: je suis. Ceci a le poids effrayant (et un peu décevant pour' l'intelligence) de toute évidence. Tant pis pour l'intelligence, je vis. C'est quand les théories et les systèmes se mêlent de vouloir démontrer la vie que, justement, ils s'en éloignent, de la même façon que les Eléates s'interdisaient· de comprendre le mouvement, puisqu'ils le figeaient d'abord en immobilité pour ensuite le nier. Il n'y a qu'une façon d'exprimer une telle évidence (ce que Le Clézio appelle une telle « platitude ») c'est de' s'en rassasier, c'est de la répéter, c'est de se répéter. C'est ce que fait la vie ellemême quand elle multiplie l'existence des choses à des millions d'exemplaires; c'est ce que va faire l'écriture de Le Clézio en exhibant inlassablement l'évidence du monde.

Le chaos et le vide Il regarde le monde, non pas seulement le contemple, mais s'unit au monde par l'acte de le voir. Son écriture est à l'écriture traditionnelle ce que regard-là est à la contemplation passive: elle est acte, mouvement. Le plus souvent l'entreprise d'écrire (ou de faire œuvre d'art en général) est donnée comme extérieure à la vie, avec pour projet de décrire ou de restituer celleci: L'écriture de Le Clézio semble au contraire gonflée par une force qui serait celle de la vie elle-même, et elle lutte, se dépense, avance, tâtonne, prolifère, grouille. Vit. Une page de Le Clézio c'est une fourmilière. Les caractères sont là, La Quinzaine littémire, 15

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grouillants, vibrants et chaque mot rapporte sa bribe, son brin, fréné- • tiquement, obstinément, partici-· pant à la démonstration de toute • la matière, de toute la réalité du • monde dans son état de bric-à-brac • grandiose : • « Par exemple, la mer, les baies • ouvertes, les caillous abrupts, le • ciel. La mer plombée, sous le ciel • blanc de lumière, avec le poids de • la brume qui traîne un peu par- • tout. Les collines sèches où l'in- • cendie se propage vite. Le noir, le • brûlé, les braises. Les angles tran- • chants des pics, les montagnes vues • d'en bas. Les pins, rongés par le • feu. L'odeur du caoutchouc, de • l'essence, des creux puants au bord • de la côte. » • Ainsi se poursuit l'énumération • extasiée du monde. Le Clézio est • vraiment un écrivain, un homme • pour qui le monde est avant tout : un milieu dans lequel une écriture • peut avoir lieu. Et jamais sans • doute une écriture et un regard • promené sur le monde n'ont été à • ce point liés. Le Clézio n'a pas de • système, de vision philosophique ou • morale du monde, il en a seule- • ment conscience. Il a conscience • de sa présence et tous ses efforts • sont tendus dans le sens d'une plus • grande prise de conscience de ce • monde. Son écriture est le mouve- : ment même de cet effort. Il re- • garde le monde; il écrit le monde . • C'est pour lui la même chose. Son • écriture épouse la vie, se nourrit • d'elle, comme elle va de l'avant, • sans but défini, et comme elle, • s'obstine. Par elle, l'écrivain s'ahî- • me dans rIa réalité des choses. Et • s'abîmer dans le réel, c'est en • même temps tenter de l'habiter, • d'être à sa mesure, à sa démesure . • Evidemment on n'épuisera pas, par • un répertoire exhaustif, la réalité • (puisqu'elle est inépuisable) mais • au moins aura-t-on témoigné qu'el- • le l'était, au moins aura-t-on rendu • compte de son ahondance infinie. • Cette réalité ne sera plus décrite • de façon traditionnelle. Là où • d'autres décriraient un paysage, Le • Clézio, lui, littéralement, l'écrit. • C'est ce qui fait la grande nou- • veauté, la grande originalité de son • œuvre. • Il ne s'agit plus de raconter les • choses, les objets, les corps, mais : d'en livrer absolument la substance. • Il ne s'agit plus de décrire le mon- • de mais de le faire apparaître, de • le révéler, au sens très matériel où • le bain révèle l'image sur le papier • photographique. La réalité surgit : alors du chaos et du vide dans son • double aspect de fouillis innombra- • ble et de précision. L'agrandisse- •. ment de chaque détail témoignera • de l'existence de l'ensemble. Cette • fois l'écriture est vraiment devenue : le bain dans lequel l'auteur trempe • la page blanche et, phrase après • phrase, détail après détail, de façon • toujours plus lisible, toujours plus • évidente, le monde apparaît, le • monde est là. : Roger Borderie •

30 juin 1967.

RECHERCHE DE LEUR IDENTITE

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par ROBERT SABATIER t:DITIONS ALBIN MICHEL l'


POLITIQUE

ANTHOLOGIB

Le royaume de la mort l'on a peine à les reconnaître malgré la présence de leurs attributs traditionnels. L'impression se con'firme à parcourir les pages : Voici Frédégonde supprimant les impôts .dans l'espoir de sauver ses enfants de la petite vérole et s'empressant de les :retablir à peine ceux-ci morts. Ou encore, les Tartares faisant la guerre aux Chinois parce qu'ils laissaient pendre leurs moustaches au lieu de les retrousser.

Robert Sabatier Dictionnaire de la Mort Albin Michel éd., 540 pages.

Durant douze ans, un écrivain rassemble des citations, des anecdotes, des faits notés au gré d':tw voyage, d'une lecbDe, d'~e conversation. Dans quel but ? Pour lui-même, par goût, comme le collectionneur qui accumule patiem;;. 1 1 • r (

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ment sa provision de timbres ou ùe médailles. Au bout de douze ans, la masse des documents rassemblés est devenue énorme, c'est un chaos aur fiches auquel il est difficile de donner un nom, mais où tout gravite autour de l'idée de la mort et de ce qui s'y rapporte de plus ou moins près : monstres, tortures et squelettes... La collection est devenue une œuvre en puissance, mais quelle œuvre ? Un essai ? Robert Sabatier y songera un moment, mais la rédac-' tion d'un essai exige dès le départ une démarche radicalement différente de celle qui aboutit à une collection disparate. Alors, pourquoi ne pas livrer cette collection telle quelle, et, puisqu'il semble impossible de concevoir un recueil de 500 pages dont toute classification serait absente, ne serait-ce que pour les besoins de la mise en pages, l'auteur s'en remettra à l'ordon-

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. nance la plus arbitraire, la moins contestable aussi, celle de l'alphabet. Ainsi naît le dictionnaire, dont on escompte, à la première approche, une utilité qui, certes, n'a rien à voir avec la mort : mots historiques, détails curieux, usages c0casses ou absurdes, proverbes et calembours, bref, de quoi rire ou sourire ... Et, de fait, l'ouvrage se présente à nous sous un aspect plutôt aimable, avec sa jaquette ornée de Parques si accortes que %0

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Il ellt vrai que le sérieux ne manque pas : pensées religieuses ou philosophiques, descriptions de grandes catastrophes, statistiques des causes de décès... Pourtant, clans. ce mélange, le sérieux, le tragique même, se teintent d'une nuance d'humour qui n'est pas toujours noir. Ramener la mort à un catalogue de blagues est si tentant que nous aurions tendance à nous en tenir là, si une ambiguïté latente ne nous empêchait de classer définitivement ce dictionnaire parmi ces compilations qui, sur tout sujet, visent avant tout à distraire. Dans sa préface, Robert Sabatier refuse à l'avance l'interprétation de légèreté, il nie avoir recherché un pittoresque macabre mais facile. Factice, d'ailleurs, ce caractère aimable de la jaqùette, qui dissimule une grave reliure de toile noire. Factices, l'utilité, la mania-

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bilité de cet ordre alphabétique qui se dément à chaque page. Pourquoi, en effet, faire figurer l'anecdote de Frédégonde sous la rubrique « impôts » plutôt que sous celle de « princes », « enfants» ou «superstitions»? Pourquoi classer dans les « monstres », l'épitaphe de Robespierre : « Passant ne pleure pas sur ma mort. » Dans cet ouvrage, l'encyclopédique est à chaque instant un tromper œil, et ce que nous offre le ro-

mancier Sabatier, c'est encore un roman, à la structure insolite, sorte de puzzle aux phrases et aux épisodes préfabriqués sans doute, mais sélectionnés et ordonnés en raison d'une logique purement interne. Quelle secrète angoisse a poussé un homme qui s'affirme lui-même fi: bon vivant » dans cette longue et dramatique quête ? Son expérience de la mort est celle, apparemment, de la moyenne des hommes. Il n'a tué personne ; il n'est ni vieux, ni malade. Pourtant, dans. son enfance, la mort s'est montrée à lui de tout près, et dans des circonstances particulièrement cruelles. Est-ce là l'origine du dictionnaire ? Lui-même semble surpris de se poser tout à coup la question. Comme pour ces héros antiques, dont l'interminable périple marin n'est que la quête d'un mort, ou de la mort, le dictionnaire représente, lui aussi, une sorte de périple, à travers ses cinq cents pages, ses trois cent trente articles, ses milliers d'exemples. La quête patiente d'une mort qui pourtant demeure insaisissable, glisse, s'échappe, apparaît toujours sous un nouveau visage. A travers tant d'escales, la mort n'est jamais autre chose que la parole des vivants, les gestes, les coutumes des vivants. Elle n'accède pas à une existence propre. Robert Sabatier n'a négligé ni revenants, ni fantômes, il a fait place aux enterrés vivants et aux suicidés, il n'a pas refusé le témoignage des mystiques, il a interrogé le paradis et l'enfer. Il n'a pas saisi la mort. L'article « mort» est demeuré vide, limité à une boutade sans conséquence, comme si un mur se dressait soudain devant l'enquêteur. Absent des trois cent trente articles, le contact physique de la mort : cadavres, charognes, putréfactions, pourriture et vers, et tout ce qui est l'odieuse présence tangible de la décomposition. La seule forme à laquelle elle consente est celle déjà putrifiée, nette et dure, du squelette. De tout le livre sourd la profession de foi d'un homme qui, ne pouvant croire à la survie, a choisi de nier la mort. Partout cherchée, partout requise, sommée d'apparaître comme les premiers libertins sommaient Dieu, la Mort n'a pas répondu. Ce sont les vivants seuls qui la fabriquent, la secrètent dès leur naissance. Ce sont eux qui l'entourent de craintes et de rites, eux qui la nomment. La mort n'existe pas. La mort n'est qu'un mot. Par-delà son masque souriant, Le Dictionnaire de la Mort, dans son incohérence, ses absences, ses détours, sous sa forme volontairement morcelée et impersonnelle, ressuscite le rêve épique des anciens héros : pénétrer dans le royaume des morts et revenir sur la terre dans la vigueur éclatante d'une vitalité nouvelle. 1uliette Raabe

Abdel Razah ' Abdel Kader Le monde arabe à la veille d'un foumant Cahiers libres 91 Maspéro éd., 139 p. Paru il y a six mois déjà, ce livre acquiert, du fait des événements récents, un caractère prophétique : tout y semble prévu de ce à quoi nous assistons aujourd'hui. Quant aux tensions propres au monde arabe, à ses luttes intérieures, . à ses difficultés créées pour la plupart de conditions ~ citées par les puissances coloniales peu avant leur départ, elles sont analysées, avec un courage et une clairvoyance qui donnent un poids exceptionnel à cette étude. Certes, on ne peut la lire avec des idées préconçues tant, à force de bonne foÏ et richesse d'information elle ébranle, détruit même certains de nos mythes, ceux entre autres de la gauche - et pourtant son auteur ne cesse de s'affirmer au cours de ces cent trente-neuf pages comme un marxiste-léniniste padaitement cohérent.

La Pales'Ûne Tout d'abord il s'en prend au mythe de l'arabisme: « lamais la langue arabe ou l'Islam ne r~ sèrent l'unité du monde arabe, pas plus que le christionisme et le latin ne réalisèrent l'unité du monde latin. » Si aujourd'hui existe un nationalisme arabe, cela est dû, selon lui, avant tout à ces « accoucheuses » rivales que fnrent au siècle dernier la France et l'Angleterre qui imposèrent ellesmêmes les limites des divers pays arabes. C'est alors qu'apparurent, en même temps, les premiers signes d'un conflit judéo:-arabe et d'un conflit kurdo-arabe, ce dernier d'une acuité moins évidente du fait même de la répartition sur quatre nations de ce qui devrait être le Kurdistan. Au moment où naquit le sionisme, rien dans la sensibilité des Arabes, qui venaient alors, avec l'aide anglaise, de rejeter la domination turque, ne s'opposait à la création d'un « foyer » juif. En mars 1918, le roi Hussein du H;edjaz écrivit : « Nous avons vu affluer en Palestine des luifs... venant de Russie, d'Allemagne, d'Autriche, d'Espagne, d'Amérique... La cause vraie de ce mouvement ne saurait échapper à ceux qui vont au fond des choses, ils :KJvent que le pays est pour ses fils, malgré fout ce qui les sépare les uns des autres, une image sacrée et bien-aimée. » Quant au roi Fayçal, il rencontra Chaim Waitzman, l'lm des dirigeants du sionisme, et n'eût été « le jeu anglais », on peut supposer que les deux hommes se seraient entendus; Pourquoi d'ailleurs ne l'auraient-ils pu ? Le découpage de la


Israël et les Arabes région était parfaitement arbitraire, l'Angleterre fabriquait avec la partie orientale de la Palestine de l'époque ottomane un émirat de Transjordanie totalement inédit. Quant à la population de la Palestine elle-même, elle se composait, au moment de l'établissement du mandat, de 300.000 Arabes, de 100.000 Druzes, Circassiens, Algériens, Arméniens, de 100.000 Juifs qui « vivaient sous la paix turque de l'empire ottoD;lan multinational ». Que l'Angleterre ait suscité pour une bonne part des difficultés entre les diverses ethnies est clair : la situation du pays, à l'époque, faisait que ces difficultés pouvaient lui être utiles mais non à ses

- la communauté juive a mis en valeur un pays mal irri.gué, au sol ingrat, à l'abandon depuis des siècles, et dont 60 % des habitants étaient jusque-là nomades ou seminomades. Elle le fit, certes, avec de l'argent quel est l'enfant juif qui n'a pas eu dans sa chambre la tirelire à l'étoile bleue dont le contenu devait aller aux pionniers de la terre des aïeux? - elle le fit plus encore grâce à un effort humain qu'intensifiait l'amour de cette vieille terre, l'espoir en une sorte de rédemption, l'idéal socialiste - Hess le fondateur idéologique du sionisme fut un élève et un admirateur de Marx - l'aspiration à la dignité et plus tard, hélas, les persécutions. L'aspiration à la di-

service de vidange. Enfin il leur fallait remettre à l'Iman les orphelins juifs pour qu'ils fussent convertis à l'Islam.

Les Kibboutz Avant la création d'Israël c'est-à-dire avant que les Arabes aient rejeté le partage tel qu'il était proposé par l'O.N.U. et qu'une guerre, dont ils sortirent vainqueurs, permît aux Juifs la constitution d'un Etat qui leur fût propre - l'activité juive se manifestait déjà sous diverses formes dans le pays. La plus intéressante, sans doute, aboutit à la création des

vant les sociétés juives d'achat de terre. » A cette époque d'ailleurs - les témoignages sur ce point sont nombreux - et plus tard encore, l'entente entre Juifs et Arabes était courante. Si courante qu'au moment de la guerre entre Juifs et Arabes nombre d'Arabes ne quittèrent le pays que contraints par les leurs et non par les Juifs. Avec d'autres, ils constituent aujourd'hui cette masse de manœuvre que sont les réfugiés palestiniens_ A la vérité, est considérée comme palestinienne « toute personne qui vivait en Palestine deux ans avant le conflit » ; le critère - peu connu il faut bien le reconnaître de deux ans de présence seulement dans un pays pour en devenir un ressortissant enraciné peut paraître étrange. Mais cette définition permet d'englober des dizaines de milliers d'Arabes nés dans tous les autres pays arabes du Moyen-Orient et entrés illégalement en Palestine pendant le mandat. Nombre d'entre eux étaient attirés par le niveau de vie plus élevé de la région, obtenu grâce aux investissements juifs. D'autres venaient ouvertement « pour chasser le Juif ». Si l'accès de la Palestine fut fermé aux Juifs en 1939, c'est-à-dire en plein nazisme, aucune mesure ne fut prise pour enrayer l'infiltration des Arabes venus des pays voisins.

Les réfugiés

JéTlLsalem

Mea Shearim.

occupants. « La Palestine, ancien royaume des Croisés détruit par Saladin le Kurde, était devenue pendant cinq siècles l'une des plus pauvres provinces de l'empire ottoman ; dans ce quasi-désert une immigration techniquement et socialement développée paraissait aisée. » Elle l'eût été, si n'avaient, dès alors, existé les intérêts divergents des grandes puissances. Plus tard, les slogans des fascistes allemands vinrent renforcer une hostilité que parvenaient mal à éveiller les appels à la Guerre Sainte d'un Grand Muphti qui, à la fin de la dernière guerre, se trouvait à Berlin. Mais avant même le premier conflit mondial et jusqu'aujourd'hui - et ici, je me réfère au précédent et remarquable livre d'Ahdel-Kader, Le conflit judéo-arabe

gnité : ici il convient de preciser que si la persécution sous sa forme la plus aiguë fut le propre du christianisme, le mépris islamique n'était guère facile à porter et justifiait le désir d'une patrie. Au Yémen, par exemple, et jusqu'en 1948, date à laquelle ils quittèrent le pays, les Juifs ne devaient pas élever la voix devant un musulman, construire de maisons plus hautes que celles des musulmans, frôler un musulman en passant dans la rue, faire le même commerce que les musulnIans, monter sur les bêtes, selon l'usage, à califourchon, ils devaient se lever devant les musulmans, il leur était interdit de porter des couleurs claires, de détenir des armes, de sortir des quartiers où ils étaient relégués ; en revanche, ils devaient faire pousser leurs cadenettes et accomplir le

Lu Quinzaine littéraire, 15 au 30 juin 1967.

kibboutz, grandes fermes où sous un régime qui impliquait la mise en commun du travail et de sa production, des hommes vivaient dans ce qu'on imagine être un socialisme total. Cette mise en commun de l'effort permit de transformer des zones non fertiles en zones fertiles, elle impliquait un grand renoncement et exigeait un immense effort. Berthold Brecht n'a-t-il pas dit que la terre appartient à qui la fait valoir. Certains reprochèrent à ces communautés qui, des années durant vécurent dans la misère, d'avoir acquis leurs domaines - le plus souvent des terres enfrichées par achat. Abdel-Kader aborde ce point : « Les propriétaires fonciers et féodaux arabes en pleine décadence venaient faire la queue de-

A propos des réfugiés palestiniens il conviendrait aussi de ne pas oublier que les 500.000 Arabes - car ils n'étaient pas plus - qui quittèrent la Palestine furent remplacés par 400.000 Juifs des pays arabes, contraints de quitter leur pays d'origine en y abandonnant leurs biens. Ce qui donne à l'opération l'aspect d'un transfert de population comme on en a tant vus depuis la première guerre, par exemple entre Grecs et Turcs, Hindous et Pakistanais, et a eu, d'autre part, pour effet « d'orientaliser » Israël qui se trouve avoir aujourd'hui 60 % de sa population d'origine et de formation orientales. Cela · dit, il est comique de voir Israël, conçu par des socialistes, défrichés par des socialistes, devenir le symbole des pays d'allégeance américaine : les pays arabes ne vivent-ils donc pas des subsides américains et l'Egypte, en particulier, ne doit-elle pas à l'Amérique d'avoir eu le moyen, jusqu'en juin dernier, de s'approvisionner en céréales ? La vérité - et qui apparaît nettement à travers la mise au point d'Abdel-Kader - est que les grandes puissances ont tendance à se servir des Arabes et des Juifs comme de pions dans leurs jeux compliqués. Peut-être serait-il temps qu'ils en prissent conscience les uns et les autres. Clara Malraux 21


Guerre et révolution en Asie Pierre Naville La guerre et la révolution 1. Asie : Viêt-nam et Corée E.D.!. éd. 324 p. A quelque quinze années de distance, ces articles que Pierre Naville consacra aux affaires de' Viêtnam et de Corée entre 1949 et 1956, dans la Bataille socialiste, puis l'Observateur, constituent une chronique politico-militaire d'un indiscutable intérêt. Et tout particulièrement ceux (trente sur soixantecinq) qui traitent de la guerre" de Corée, dont, sauf erreur, il n'existe aucune étude d'ensemble en langue française. Pierre Naville, comme Frédéric Engels, est un sociologue qu'attirent, que fascinent presque les questions militaires (les articles de l'Observateur étaient signés du pseudonyme bien significatif de Rossel). Ses chroniques sur l'offensive nord-coréenne de 1950, sur les batailles successives du 38" parallèle, sur la défaite de Mac Arthur en décembre 1950, sont des mod~les du genre, et qui ont fort bien résisté à l'ép~uve des ails. Si ces articles sur la guerre du Viêt-nam, de la restauration de BaoDaï à Dien-Bien-Phu, évoque~t bien souvent, et par la force des choses, des fantômes oubliés, ceux de Léon Pignon et de Coste-Floret, de:;; généraux Revers et Navarre, ils constituent parfois aussi de perspicaces anticipations : telle l'étude du 28 janvier 1949, une des premières du volume, intitulée « BaoDaÏ réclame une garantie américai~ ne dans le dos de Coste-Floret. » Dès cette époque, se dessinait en effet une tendance de la politique américaine dont l'avenir devait révéler l'importance, mais qui restait alors inaperçue de beaucoup : la ten~ance à traiter directement avec des forces politiques vietnamiennes considérées comme « sûres», comme disposées à couvrir l'implantation américaine au Viêtnam. On oublie trop que le dispositif américain qui a fonctionné après 1954 au profit de .Ngo Qinh Diem avait été progressivement mis en place dès 1949-1951 au profit de Bao-Daï, avec l'accord des gouvernements français d'alors. La soi-disant « relève » de la France par les Etats-Unis au Viêt-nam, après les accords de Genève, est un mythe historique qui ne correspond guère aux faits. L'engagement des EtatsUnis au Viêt-nam est beaucoup plus ancien. Il était d'ailleurs souhaité, plus vigoureusement encore que par la « troisième force», par ce qui était alors le R.P.F., comme le rappelle Pierre Naville (p. 26) à propos du ' rapport sur le Viêt-nam présenté en 1949 par le général Catroux au Congrès R.P.F. de Lille. I/auteur n'a pas seulement cherché à aider le travail des historiens ; il ne vise pas seulement, tout utile que ce soit, à initier aux problèmes de cette époque déjà lointaine la . jeune génération, celle qui s'éveille 22

à la conscience politique, au , bruit des bombes sur Hanoï ou de l'affaire. Régis Debray. S'il a jugé utile de rééditer ces articles, « qu'il aurait laissé dormir» dans d'autres circonstances, c'est qu'ils lui semblent éclairer les problèmes posés aujourd'hui par la seconde guerre du Viêt-nam. Pour lui, cette dernière, tout autant que la guerre de Corée et que la première guerre du Viêt-nam, fait partie de « cette vaste guerre d'Asie ouverte il y a plus de trente ans ». Sa thèse centrale, c'est qu'il y a à la fois continuité dans le temps et interdépendance dans l'espace,

A:vec le recul dont nous disposons, l'unité organique des guerres de Corée et du Viêt-nam est sans doute encore plus manifeste qu'à l'époque où ces articles étaient écrits. Cette unité est fondée sur l'intervention américaine. Il s'agit d'une stratégie générale, à dominante insulaire et péninsulaire, à propos de laquelle Pierre Naville analyse l'apport propre de Mac-Ar~ thur. Il rattache opportunément ce dernier à Mahan, ce théoricien bien oublié du contrôle du monde par points d'appui maritimes (mais Mahan connaissait-il Fourier et sa thèse du « monopole insulaire ? »)

terroger sur l'épaisseur historique réelle des mouvements populaires d'Asie et donc sur leur capacité à coordonner leur action. .Leur caractère révolutionnaire est-il une donnée immédiate, commune à tous ces mouvements, ou passe-t-il par la médiation du fait national ? Ce caractère national n~est-il qu'une « apparence» (formule employée p. 14), ou un élément fondamental, une condition essentielle de leur succès ? Ne pourrait-on plutôt envisager de différencier selon leur identification plus ou moins complète et plus ou moins réussie avec le mouvement national, tous ces

entre toutes les crises politico-militaires d'Asie orientale à l'époque contempor~e : un article du 7 avril 1953 s'intitulait déjà: « L'interdépendance des fronts et l'armistice de Corée». Il développe cette idée dans une préface qui constitue une sorte de mise à jour des articles réédités, et qu'on aurait d'ailleurs souhaitée plus étoffée : « l'escalade àméricaine au V iêtnam ... et la défense de plus en plus enracinée des forces armées vietnamiennes révolutionnaires... doivent plutôt être comprises comme la saturation loc.a lement croissante d'un conflit dont les implications s'étendent bien au-delà». L'enjeu fondamental de ce conflit, qui n'est national «qu'en apparence », c'est la lutte contre « le chaos économique, la domination semi-féodale, l'oppression impérialiste », c'est-àdire \la ré~olution. Une trêve qui « laisserait irrésolu le dëstin de la révolution », ne Serait qu'une paix précaire.

Pourtant, l'interdépendance des conflits d'Asie, pour reprendre l'expression de Pierre Naville, était-elle aussi organique, du côté des forces d'intervention ? Les articles qui évoquent l'unité et l'interdépendance des mouvements populaires d'Asie vers 1950 ne sont pas seulement ici les moins nombreux, mais ceux qui n'ont pas été confirmés par l'évolution ultérieure des événements. Telle 'l'étude « De la Corée à l'Inde» (27 juillet 1950) qui évoque la poussée générale des luttes armées dans toute l'Asie : non seulement le Viêt-nam et la Corée, mais la Malaisie et surtout la Birmanie, Formose et «bientôt l'Inde ». De même, l'offensive vietnamienne en pays thaï, en avril 1953, n'a pas eu pour le Siam et la Birmanie les conséquences profondes qu'envisageait Pierre Naville à cette époque. Il n'est pas question ici de transformer l'analyse politique en concours de pro~ostics... mais de s'in-

mouvements populaires d'Asie du Sud-Est, dont la vocation initiale était également révolutionnaire : guerillas de Malaisie, de Birmanie, du Siam, du Laos ? De ce point de vue, à quinze ans de distance, le mouvement populaire vietnamien apparaît comme infiniment plus singulier qu'il ne pouvait sembler vers 1950-1953, quand des mouvements de même style semblaient l'épauler et le relayer dans toute l'Asie du Sud-Est. Il est fi: surdéterminé», pour reprendre ' une expression proposée par Louis Althusser. Toutes ces questions sont fondamentales, pour l'intelligence des événements d'Asie. Les vues de ' Pierre Naville peuvent être dL"Cutées, et sont avancées par l'auteur dans ce but. Elles intéresseront ceux qui pensent. comme lui que l'Asie pèse de pl~ en plus lourd dans les affaires du monde.

lean Chesneaux


La famine du lIlonde René Dumont Bernard Rozier Nous allons à la famine Le Seuil éd., 284 p.

Nous savons qùe les preVISIons se partagent en deux genres : celles qui sont faites pour que les choses arrivent, et celles qui sont faites pour que les choses n'arrivent pas. Celle-ci est faite certes, pour que les choses n'arrivent pas, mais sans se celer pourtant que les dispositifs de cet enrayage sont si complexes et si monumentaux qu'elle n'arrive pas ,à conjurer la menace et même l'imminence: « Dans cette série d'hypothèses, qui, ü faut bien le reconnaître, apparaissent les plus probables en été 1966, le monde serait menacé d'une catastrophe sans précédent dans l'Histoire. Le plus étonnant, quand on écrira celle-ci, sera le petit nombre de ceux qui l'auront prévue, alors que sa probabilité était si éclatante. » (pp. 263-264).

De l'Inde au Sertâo P~ur étayer cette perspective, il suffirait déjà de relever deux indices: celui de la production alimentaire, celui de la reproduction démographique, et de choisir entre les deux lectures: la production retarde sur la reproduction ; la reproduction avance sur la production. « Depuis 1959, la moyenne mondiale de la production alimentaire ne dépasse plus ces 2 0/0, or pour la première fois dans l'histoire de l'humanité 1965 atteint ce même 2 % en croissance démographique » (p. 263). Ainsi, globalement parlant, le volume des subsistances va devenir de plus en plus insuffisant pour le volume des populations. La sécheresse des indices ne doit pas voiler le pathétique des situations : 2 % correspond à une population qui double en 35 ans; à 2,5 % on double en 28 ans; à 3,5 % on double en 20 ans ... et certains pays sont déjà encore audessus: Nord Viêt-nam avec 3,60/0, Philippines avec 3,7 0/0, Mexique avec 3,8 % et même 4 % au V énézuéla (doublement de la population en 15 ans ... ). A ce rythme d'accroisse!llent les pays de la faim compteront i.( en l'an 2 000 au moins cinq milliards d'hommes, soit 80 % de la population prévue pour le globe » (pp. 26-27). En regard, la croissance de la production alimentaire s'avère limitée, plafonnante, en certains cas récessive. Si, en Israël, elle atteint une cadence annuelle de 8,8 0/0 depuis quinze ans, cette performance demeure exceptionnelle et inimitable. Quelques pays - et en certaines périodes dépassent certes la moyenne mondiale déjà citée, soit 2 % ; mais si on englobe la production alimentaire dans la production agricole, ce qui voile

déjà l'acuité du problème : « sachant que, sauf situation! tout à fait particulières, des taux d'accroissement de la production agricole régulièrement soutenus pendant une longue période au-delà de 3 % par an sont véritablement exceptionnels dans l'ensemble des pays industrialisés, on ne doit pas avant de longues années s'attendre à des taux de ce niveau dans les pays du Tiers monde» (p. 51). De ce fait: « la situation alimentaire du monde se dégrade de façon alarmante » (pp. 71-72). Cette situation spécifique generale se pluraIise selon les rapports entre les deux indices en chaque pays, et elle devient névralgique là où cet écart entre la production d'aliments et la reproduction des populations s'avère de plus en plus flagrant. Cette flagrance se signale éventuellement par le renversement qui, des pays exportateurs fait des pays importateurs de céréales ... L'Inde serait ainsi l'un des premiers foyers de résurgence de la famine (ch. XI), et d'autre part, après l'Inde « les régions les plus exposées seront le Pakistan oriental, Java, le Nord Viêt-nam, l'Egypte, déjà en disette, le Maghreb, le Moyen-Orient, puis la zone sahélienne de l'Afrique à maigres récoltes, la mf.ntagne andine, du Chili au Mexique, les îles Caraïbes, le Sertâo brésilien, peut-être même l'Anatolie en Turquie » (p. 74).

Intensification culturale sur les terres déjà cultivées? Elle est possible par des engrais, la maîtrise de l'eau, une politique phyto-sanitaire, etc. et elle est susceptible de donner des accroissements de production alimentaire déjà constatables dans les différences de productivité observée d'un pays à l'autre: on peut estimer - que la valeur ajoutée moyenne par travailleur agricole est en Europe, et surtout aux Etats-Unis, plusieurs dizaines de fois supérieure à celle de l'Afrique tropicale » (p. 36). Mais cette extension supposerait une « capacité d'accueil aux innovations », alors que la plupart du temps, elle se heurte à une résistance soit liée à l'univers mental des sociétés traditionnelles, soit impliquée dans les structures sociales « profiteuses » du sous-développement. Possibüités d'aliments non agricol~s ? Il y a celle, énorme, de la pêche, « actuellement sous-exploitée » (p. 54). Mais la vitesse de production se heurte à la lenteur de la reproduction des bancs de poissons, et on ne peut guère envisager que « le doublement du volume des prises annuelles » (p. 56). Les farines de poisson sont paradoxalement utilisées au jourd'hui pour l'alimentation animale, alors que les pays producteurs sont des pays sous-développés. Incorporées à l'alimentation humaine, elles permettraient parfois de dou-

En/ants du Kasaïe

Tels sont les premiers symptômes de la bombe démographique dont l'éclat famélique menacerait de ravager l'horizon mondial de 1980. L'accroissement de la production alimentaire pourrait être spectaculaire et en trois directions : Extension des superficies cultivées? « celles-ci pourraient être approximativement triplées... » (p. 40) par la mise en valeur de terres vierges; mais cette mise en valeur se heurte à des coûts prohibitifs, et d'autre part, elle supposerait de complexes et massifs transferts de population.

La Quinzaine littéraire, 15 au 30 juin 1967.

bler la ration de protéines animales des hommes (p. 59). Autres possibilités: les levures; en particulier levures de pétrole (p. 63). La décision dépendrait seulement de quelques grandes firmes pétrolières. Mais il faut compter cc cinq ans au minimum pour un début de diffusion, dix à quinze ans pour que celle-ci soit déjà assez importante à l'échelle mondiale » (p. 65). Possibilités enfin d'aliments synthétiques? (p. 66). Mais là aussi, comme dans le cas des farines de poisson, les re-

cherches ont été polarisées jusqu'ici sur des besoins solvables : c'est-à-dire la nutrition des animaux en pays riches, et non celle des hommes en pays pauvres. Compte tenu. de toutes les coIisidérations incluses dans ce tour d'horizon: « la production alimentaire du monde d~vrait tripler d'ici l'an 2.000 » (pp. 80-82). Si la bombe démographique a eu pour origine la baisse de la mortalité, la natalité ne demande-t-elle pas à être contrôlée par un « régulateur» volontaire? En outre, « permettre à l'homme et à la femme de ne pas être écrasés par la fata.lité d'l.!'ne famille qu'ils n'ont pas voulue et qu'ils ne peuvent nourrir, n'est-ce pas leur permettre de progresser en tant que personnes ? » (p. 83).

Contrôle des naissances Ce devoir cc de prévoyance» n'est pas également pressant pour tous les pays sous-développés. S'il y a des surpeuplés, il y a aussi des souspeuplés : Afrique tropicale et Amérique du Sud. « Il n'en demeure pas moins que la plus grave des imprévoyances, et de très loin, reste l'explosion démographique prolongée. Elle serait capable de submerger, de balayer tous les autres efforts en dépassant, comme elle le fait déjà dans la majorité du Tiers monde, l'avance économique» (p. 252). Une mesure draconienne est ici envisagée pour rendre opératoire la recommandation du contrôle des naissances. On propose de sanctionner cc la plus grave des imprévoyances » en dosant l'aide internationale selon la plus ou moins grande diligence des pays à se plier à la discipline de base. cc Déjà au Maroc la BIRD subordonne son aide à l'adoption du contrôle des naissances» (p. 252). En Chine interviennent des mesures de rationnement, non pas selon les besoins des bouches, mais selon le travail des bras. L'Inde adopterait cc un relèvement de l'impôt pour les familles nombreuses» (p. 209). Et le commentateur d'insister : cc Il faudrait le renforcer de mesures économiques, pénalisant toutes les familles dépassant le troisième enfant» (p. 208). C'est là, au moins dans la formulation, un des points qui apparaîtront probablement les plus discutables, dans ce beau livre courageux. ... Les auteurs, il est vrai, n'entendent pas ici (c discuter des modalités d'application » (p. 252). Mais la modalité cc pénalisante » n'estelle pas de celles qui risquent de retarder une meilleure acceptation de leur idée ? Une troisième solution consisterait à opérer la circulation entre les richesses produites et les .populations consommatrices. Il y a des surplus di,} richesse alimentaire,

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une révolution technique au service de la réforme de 'enselnement: ::~::l~a~s r;;:b~:;:sl:~~c:::;;~:: l • • • • • •• ~ La • • •

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THÉATRE

famine du monde

Bernard Dort produites par certaines nations inThéâtre public dustrielles du monde occidental ; Le Seuil éd., 382 p. mllis celles-ci ne peuvent mettre en œuvre leur potentiel de production, faute de besoins solvables. Il . y a Depuis une quinzaine d'années, donc « mévente » plutôt que « surproduction ». Au surplus, même Bernard Dort s'est fait le témoin parmi ces pays, il y a un clivage de la vie du théâtre à travers '-la entre nations exportatrices (Etats- France et quelques pays d'Europe. Unis, France) et les nations impor- Journaliste, il se fût contenté d'en tatrices (Angleterre, Allemagne), et . dresser les éphémérides ; historien, : « par un .jeu curieux, les pays sur- \ll en eût objectivement décrit les • producteurs subventionnent indirec- :·:.1i,gries de force : il a refusé, dès le • tement l'économie des pays impor- 'iléhut de sa carrière, cette double commodité au profit ' d'une recher• tateurs » (p. 102). c~e plus difficile. C'est qu'il a, sur la nature du • Il y a les pays socialistes, mais' • depuis 1960, plusieurs d'entre eux fait théâtral, une doctrine très pré• (Chine en 1960, U.R.S.S. en 1963) cise, à partir de laquelle il a tou• sont devenus « importateurs mas- jours conduit polémiques et dia• sifs de céréales », faute d'une poli- logues : 'd'entrée de jeu, il s'avance • tique de planification agricole sus- à découvert, toutes cartes dehors, sans 'finasseries inutiles. Vous ne le surprendrez pas à mugueter • nourries d'observations exposées ou à faire risette à l'adversaire, mais : plus longuement ailleurs, René Du- vous auriez tort de le taxer de dog• mont argumente sur la nécessité matisme : il a choisi son terrain, ' • d'apprécier et de mesurer les pro- tout simplement, et il n'est guère d'excursionner alentour. • grès du socialisme « par sa vitesse tenté L'éclectisme n'est pas son fort, mais • de libéralisation économique et pola sottise non plus : tous ses partis • litique » (p. 151). pris sont raisonnés avec le plus grand soin, même s'il entre parfois • Il y a enfin les pays du Tiersquelque chose de provocant dans • monde, mais leur production potensa lucidité ou d'injuste dans sa • tielle est encore largement handipassion. • capée par des structures politicoAu point de départ de la pensée : sociales, parasitantes, voire de noucritique de Bernard Dort, on trou• velles classes (<< profiteurs de la ve cette idée que le théâtre ne se • faim») sans intérêt pour, et même réduit ni à la littérature ni à un ar• avec des intérêts contre une queltisanat : c'est un lieu enraciné dans • conque structuration. une société définie, qui n'existe pas en dehors de son public et qui ne • Chacune de ces trois aires de- trouve son autonomie la plus pro• mande donc à être traitée selon ses fonde qu'en souscrivant à cette dé• conditions spécifiques. Mais, de par pendance. Lapalissade? Non, mais • les interpénétrations entre ces trois redécouverte d'une évidence trop • grandes aires culturelles, le pro- souvent bafouée: la scène n'est pas • blème est devenu mondial et sa so- un univers clos, et c'est la parole • lution ne peut être que mondiale. du spectateur qui achève le specta. • Sans dogmatisme et résolument ou- cle (ce qui fonde, soit dit en pas~~. • verts à toutes les pluralisations, les sant, la légitimité de la critique). • auteurs ne proposent pas un ordre Voilà, du même coup, évacués les • mondialiste. Ils sont toutefois à sa mystères de 1'« incarnation théâ==== . recherche et sollicitent des contri- traIe», les nostalgies d'un rituel • butions ou compagnonnages pour magique, l'ambiguïté de la notion • trouver cet ajustement dynamique de culture, la superstition du texte : et permanent des deux taux (pro- à tout prix. Tout se passera en • duction et reproduction) à travers pleine lumière, dans une relation t 200 C.E.S. à construlr:e, en 5 ans!. les péréquations, distributions, redisconstamment renouvelée entre un Seule, t'Industrialisation du Bâtiment peut 'Y parvenir.. tributions, circulation, etc., dont public et un répertoire. Dans. le domaine scolaire, G.E.E.P.-INDUSTRIES,· l'organigramme est encore à faire. Que cette définition premlere le plus anèien et le plus important 'des Constructeurs: « Socialistes, chrétiens, bouddhistes, soit issue d'une réflexion sur Ber(4000 classes édifiées en 6 ans, pour 150000 élèves;. musulmans, hindouistes, animistes, toit Brecht, rien de plus évident, 2500 classes pour la seule anriée 1966),. humanistes devraient se rappeler mais elle s'est assurée d'elle-même reste à la pointe de ce combat.• d'abord leur vocation internationa- le plus concrètement du monde, par Grâce au dynamisme de son Service • Recherches _, • liste, solidariste, humanitaire ou l'observation de la pratique du Berà la puissance des moyens mis en œuvre, G.E.E.P.-INDUSTRIES, • communautaire » ••• (p. 264). Les liner Ensemble, du Piccolo Teatro ne cesse d'améliorer la qualité et le confort : historiens nous apprennent que les de Milan, voire du T.N.P. de Jean de ses réalisations et de justifier • origines de l'œcuménisme furent Vilar et du Théâtre de la Cité de la confiance grandissante qui lui est faite. • marquées par une phase pratique, Villeurbanne. Elle est à la clé de • non dogmatique, dite « Lite and tous les choix ultérieurs de Ber• W ork » (Vie et travail). La signifi- nard Dort, qu'il s'agisse de sa lec• cation du prés,ent ouvrage est d'of- ture de Corneille et de Marivaux, : frir aux campagnes, comités, agen- de son refus de l'avant-garde des • ces, aides contre la faim, à la fois années cinquante, ou du cc réalisme • un arrière plan, une animation et ouvert» dont il s'est fait le défenune prospective qui peuvent passer seur. Les classiques ? Il faut en . ~ . • pour une réactivation et une exten- apprendre un nouvel usage, qui • sion d'un œcuménisme Lite and consisterait à les replonger dans 22,rue Saint-Martin, . PariS-4': W ork. la réalité sociale de leur temps, à Téléph. 272.25.10 - 887.61.57 • Henri Desroches leur restituer leur vérité ex publi• • • • • • • • • •

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Pour un nouveau réalisnle que», à en 4égager à la fois les ambiguïtés et les contradictions : ainsi le spectateur d'aujourd'hui sera-t-il renvoyé de la représentation au monde comme il va et de l'art à l'histoire. Hors de cette dialectique, point de salut : elle suffit à fonder, par exemple, la priml;luté de Shakespeare, dont le vrai mérite est d'avoir saisi.« les métamorphoses de l'Histoire ... sous tous les angles p0ssibles ». Inversement, le péché originel du « nouveau théâtre » serait, dans cette perspective, de récuser d'office une telle relation : il pécherait tantôt par anachronisme (Audiberti, Ghelderode, Pichette), et tantôt par solipsisme (Ionesco, Beckett). La seule fonction que Dort reconnaîtrait à l'avant-garde serait d'ordre thérapeutique : il peut n 'être pas mauvais de rendre le théâtre à son degré zéro, à partir de quoi d'autres pourraient reconstruire. Même méfiance, beaucoup plus soigneusement motivée, vis-à-vis de Salacrou, Anouilh, Camus ou Sar-

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supposer légitimement que Dort se défie au même degré de Grotowski. • de Béjart, du « happening », du • baroque, et j'en passe : bref, de : tout ce qui coupe l'homme de la • société. du plus fugitif nuage de • « métaphysique » ou de lyrisme, • du moindre grain de folie un peu • gratuite. Loin de partager moi- • même tous ces refus, je ne puis • m'empêcher de trouver cette rigi- : dité doctrinale un peu glaçante, • sinon néfaste, mais elle a le mérite • d'une absolue rigueur, sans comp- • ter qu'elle s'appuie sur une intel- • ligence des plus libres. : PuisqU'il est impossible, aux • yeux de Bernard Dort, de « placer • le théâtre sous le signe d'une éter- • nité mythique », il faut revenir à • Brecht, quitte à aller plus loin que : lui après avoir médité ses leçons: • on aurait tort de croire que notre • critique s'en tienne à une dévotion • béate au fondateur du Berliner. • Rien ne le paralyse moins que • cette influence, qui excite sa ré- • flexion personnelle. Ce qui nous • est nécessaire aujourd'hui, nous • suggère-t-il, c'est de découvrir les • voies d'un nouveau réalisme, qui • ' a, une vue d nous donne acces yna- ·• mique et globale de la société, tout • en restant d'essence théâtrale. Ce • serait un réalisme problématique, • qui procéderait par approximations : successives, quitte à inventer au fur • et à mesure des conventions nou- • velles : destiné à déchiffrer le mon- • de plutôt qu'à le reproduire, à en • éclairer objectivement les contra- • dictions plutôt qu'à les réduire, un : tel art - matérialiste - pourrait CI intégrer certaines intuitions d'Ar- • taud et récupérer .plusieurs riches- • ses de l'imaginaire ; libéré de la • tutelle de la .psychologie et de la • morale, il tiendrait , compte à la fois • du particulier et du général, du • quotidien et de l'historique. Qu'une • telle attitude soit possible, les réus- • sites du Piccolo Teatro le prouvent, • comme celles de Planchon : au de- • meurant, la plupart de nos jeunes • animateurs ou de nos décorateurs • actuels cherchent dans cette dÏrec- • tion. Il est difficile de disconvenir, • me semble-t-il, que telle est bien : la voie royale du théâtre moderne, • et me voici de nouveau aux côtés • de Bernard Dort. • C'est que, de 1953 à 1966, ses • positions se sont · considérablement • nuancees, comme en temOlgnent • également dans ce livre les articles • intitulés « Pirandello et le théâtre • français » ou « La vocation politi- • que ». Sans renoncer à aucune de • ses idées, Bernard Dort a appris, • me semble-t-il, chemin faisant, à se • méfier moins de sa sensibilité im- • médiate. Le jeune homme de 1953 • crispé sur ses certitudes a fait place • à un essayiste assuré de sa voix : : moins timide qu'à ses premiers pas, • il n'a plus besoin d'intimider son • interlocuteur. Vous tirerez plaisir • et profit, je puis vous l'assurer, du • dialogue que vous propose Théâtre : public. • Robert Abirached •

COMMUNICATIONS Revue semestriellE' publit!e par le Centre (rEtudes des Commun/catIOns de A·lasses

1N° al L'ané!l~se structurale

du recn 1Nia 91 La censure

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SEUIL

tre, dont les œuvres seraient, à l'image du pirandellisme dont elles sont issues à des degrés divers, bloquées « entre la forme et la vie ». Il n'y a guère que Jean Genet (et, partiellement, Gombrowicz) qui résiste à cette critique radicale : non que cet auteur s'attaque de front à la réalité, mais parce que son jeu d'ombres et de reflets traduit assez bien la situation de notre société hypnotisée. Selon Brecht, la provocation n'est-elle pas « une façon de remettre la réalité sur ses pieds » ? Comme on le voit, ni le jeu libre de l'imaginaire ni les stridences du grotesque déchaîné ni le triomphe du verbe seul ne trouvent grâce aux yeux de Bernard Dort. De la tragédie, il se détourne comme d'une imposture. Sur Claudel, il se tait (dans ce recueil d'articles, du moins). A Antonin Artaud, il reproche d'avoir « rêvé d'un théâtre sans penser à un public », d'où la dérision où ont sombré tous ses disciples. Quoiqu'il n'en soit pas question ici, on peut

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La Quinzaine littéraire, 15

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30 juin 1967.

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DESTINS DU MONDE"

tIVIL'ISATION MATERIELLE ET [APITALISM E

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SCIENCE-FICTION

MATHÉMATIQUES

A côté de la cible Peter WoHf

La grande aventure des mathématiques trad. de l'américain par J. Métadier. Préface d'André Amar Planète, éd., 260 p.

L'idée de présenter les mathématiques au grand public sous une forme qui ne rappelle pas les mauvais souvenirs scolaires est excellente ; elle répond au besoin d'information qu'éprouvent beaucoup d'adultes ou de jeunes gens pris d'une certaine angoisse lorsque, face aux connaissances mathématiques que de nombreuses activités requièrent aujourd'hui, ils prennent conscience de leur ignorance à propos des notions les plus tondamentales. Jusque dans certains livres de poche, on a ainsi vu fleurir des exposés mettant la mathématique moderne (surtout n'oubliez pas ce qualificatif prestigieux) « à la portée de tout le monde :II. Planète s'est fait une doctrine de brouiller les cartes, de défendre le rationalisme par l'irrationalité ou vice versa. Qu'allait-elle donc pouvoir inventer en ce qui concerne les mathématiques ? On pouvait penser qu'elle ne parviendrait pas à y mettre cette confusion qu'elle aime tant et, dans un sens, il est vrai que ce volume n'y parvient pas. Mais si l'on croit y trouver, comme le titre le suggère, l'aventure actuelle et passionnante des mathématiques, on sera déçu. Et pourtant, la formule, au départ, n'est pas mauvaise : donner des textes authentiques de grands mathématiciens, puis les commenter, les situer et faire de cette anthologie classique comme une introduction à la vie actuelle de la science. Mais une des difficultés réside alors dans le choix (et ensuite dans l'analyse de l'influence de ces idées anciennes dans les activités mathématiques présentes, difficulté d'une autre espèce). Or, ici, le choix est volontairement restreint,

POLICIERS Une nouvelle collection de poche vient compléter, sinon relayer, la • Série Noire -. Cette expérience que tentent les éditions Gallimard et la librairie Hachette présente ceci de particulier que les volumes de la nouvelle édition ne coûtent pas moins cher que ceux de l'édition ordinaire : 3 F, ce qui est pour le moins inhabituel en matière de livres de poche. Le but de l'opération est d'élargir encore le public de la Série Noire et, accessoirement, de conférer une sorte de promotion particulière aux meilleurs auteurs. Il est en effet des œuvres de la Série Noire qui sont tenues pour de vrais morceaux de littérature par les spécialistes. C'est dans la présentation classique des livres de p:>che, améliorée par des couleurs quasi fluorescentes, que seront désormais réédités les grands classiques de ce genre ilttéraire, avec un tirage de départ de 60.000 eX9mplaires. Après un lancement, en mai, avec six volumes. les 26

ce qui rend sans doute difficile un bon équilibre. Sur neuf auteurs, trois sont cités pour la géométrie : Euclide, Descartes et Lobatchevski, trois pOur l'arithmétique : Archimède, Dedekind et Bertrand Russell, un pour la topologie, Euler, un pour les probabilités, Laplace, un enfin pour la logique, Boole. W oHf s'excuse d'avoir négligé tout le calcul infinitésimal, rien que ça : Newton est trop difficile ! Mais il ne s'excuse pas pour l'algèbre dont on ne cite le nom que comme un accessoire (pour la géométrie de Descartes et pour la logique de Boole). L'architecture mathématique d'aujourd'hui n'apparaît pas, ne peut apparaître comme prolongement d'une histoire ainsi schématisée : l'importance de la théorie des ensembles ou l'irruption de celle des catégories à la base de tout l'édifice ne peut être soupçonnée. Le fait que les structures algébriques et les structures topologiques forment les deux piliers majeurs au-dessus desquels tout s'édifie, on

V œarely : pemture.

ne peut le comprendre. Mais, comme dans beaucoup de livres de vulgarisation, on s'attarde sur le problème des ponts de Koenigsberg parce que le lecteur moyen auquel on s'adresse est supposé s'intéresser beaucoup plus aux petites histoires qu'aux choses plus sérieuses; même si cette histoire de ponts est instructive, il ne faut pas en rester là. Et puis, réserver plus de soixante pages sur deux cents à Euclide et Lobatchevski pendant que Cantor et Galois ne sont pour ainsi dire

pas cités (le premier à peine, le second pas du tout), c'est raconter, en ce qui concerne les mathématiques, une histoire dépassée depuis bien longtemps et qui n'est plus du tout une aventure. La préface, par A. Amar, reprend, en usant de longues citations (prises pour beaucoup dans le recueil Les grands courants de la pensée mathématique) des thèmes fort connus sur l'évolution rapide des idées en mathématiques, mais sans citer d'exemples originaux ou susceptibles de compenser ce que le livre lui-même a de vieilli (~s grands courants date de

1948). Que dire enfin du mode de présentation ? A. Amar intitule sa préface : « La pensée mathématique est une pensée qui bouge. :II Dans la mesure où une pensée en est vraiment une, comment seraitelle fixe ? L'originalité consiste sans doute à employer ce mot « bouge :II qui fait image ou qui veut être frappant. De même que ces illustrations choisies dans l'intention d'amuser, voire même d'intriguer, plutôt que d'informer : juxtaposition du visage de Bertrand Russell (il est très photogénique !) et d'une présentation de pop'art avec un commentaire sur les mathématiques « descendues dans la rue :II. Citons encore ce commentaire sous un portrait d'Euler : « Il fut un des premiers à réfléchir

à la topologie. Elle s'est compliquée depuis : elle est devenue aujourd'hui l'application des mathématiques à une surface indéfiniment déformable. » No comment, comme dirait le Foreign Office ... n y a un public pour s'amuser de telles absurdités, un autre qui s'imagine trouver là une information dont il est avide. On a certes le droit de tout écrire et de tout dire (ou on devrait avoir ce droit), mais annoncer la grande aventure des mathématiques et n'en rien dire qui vaille, c'est pour le moins dommage.

Gilbert Walusinski

« Poche Noire» rééditions suivront au rythme de trois par mois. Une série spéCiale comportera, sous un symbole particulier, les œuvres de James Hadley Chase qui revient ainsi à la maison qui l'a lancé après avoir été publié pendant un certain temps par la Librairie Plon. Chase figurait déjà parmi les tout premiers ouvrages de la Série Noire, lors de sa création en 1946. Pas d'orchidées pour Miss Blandish porte le numéro 3 de la série; Eva, le numéro 6 ; Douze Chinetoques et une souris, le numéro 19. On en "3st déjà au numéro 1130, au début de juin 1967, vingt et un ans après le début de la collection qui a contribué à la cristallisation de ce style, autant qu'à son succès. La création de la collection • Poche Noire - obéit essentiellement à des problèmes de distribution. La couverture en couleurs et la présentation nouvelle ne sont pas seulement censées rendre les livres de la Série

Noire plus attrayants pour un public qui s'est habitué à acheter des livres chatoyants, elles permettent aussi d'aborder des circuits de distribution, voire des rayons, chez les libraires, auxquels la Série Noire n'avait pas accès. En effet, malgré le grand succès de la série, son hest-seller, Touchez pas au grisbi, d'Albert Simonin, n'a atteint qu'un tirage de 240 000 exemplaires. Afin de garder à la formule de poche son caractère de sélection, les réimpressions ne toucheront, en principe, que les œuvres et les auteurs qui présentent des qualités consacrées. On n'envisage pas pour l'instant d'y faire paraître des inédits, lesquels devront passer par le purgatoire des éditions courantes. Une exception cependant : c'est dans «Poche Noire» que sortiront désormais l"3s inédits de James Hadley Chase sous le symbole personnel qui caractérisera les œuvres de cet auteur.

Stanislas Lem Le bréviaire des robots Emilio de' Rossignoli

H sur Milan Coll. « Présence du futur Denoël éd., 224 p.

:II

Fiction, nO 161 avril 1967 Les auteurs amencains continuent d'être les grands fournisseurs de la littérature de science-fiction, et presque toujours les meilleurs. Les tentatives européennes dans cette direction, lorsqu'elles offrent matière à des lectures savoureuses ou impressionnantes, sont suffisamment rares pour mériter d'être signalées. On lira donc avec un intérêt réel sinon profond les deux livres qui viennent de paraitre: Le bréviaire des robots, du Polonais Stanislas Lem, déjà connu pour son livre Solaris, et H sur Milan, de l'Italien Emilio de' Rossignoli. Stanislas Lem traite des robots sur le mode de la drôlerie; l'habituelle quincaillerie, les rouages, les plaques de métal, les fils, au lieude servir à construire ces totems modernes devant lesquels s'agenouillent les bricoleurs et les amateurs de science-fiction, sont raccordés de façon cocasse, et n'attendent qu'une occasion pour se déglinguer et dire et faire des bêtises; tel cerveau électronique, destiné à « résoudre l'ennui cosmique » et chargé d'une batterie de plaisanteries pour cinq ans, se dérègle et du coup se met à plaisanter, littéralement, à tort et à travers. L'odyssée du narrateur des chroniques du Bréviaire, Ijon le Silencieux, est ainsi parsemée de minuscules aventures et mésaventures, d'autant plus plaisantes qu'elles se déroulent dans un espace infini. Lem joue en permanence de ce type de contraste. « Je crois que j'ai pris froid dans l'ombre de la lune, dit le cosmonaute. ]'ai pris de l'aspirine. :II Chère bonne vieille aspirine, capable de traverser toutes · les dimensions galactiques' Lem ne laisse pas non plus la poésie prendre trop de champ; dans l'espace infini, elle irait jusqu'ou? « Quelque chose s'est mis à scintiller à la fenêtre. ]'ai cru que C'était la Voie lactée, mais ce n'était que le vernis qui s'écaillait. Sacrée camelote!:II

Bactéries dévoratrioes Le traitement drolatique, aussi ingénieux qu'il soit dans ses trouvailles et ses jongleries, apparaît tout compte fait comme une fuite du genre même de la scinnce-fiction. Aussi, aux chroniques du Bréviaire, préférons-nous la premi~re partie du livre, les trois nouvelles intitulées « l'Ami :II, « l'Obscurité et la Moisissure », et « le Mar-


Les robots et la bODlbe teau ». Toutes trois, curieusement, se terminent de façon dramatique, par un gigantesque incendie, par l~image d'une marée de bactéries dévoratrices, par la destruction d'un robot humanisé. Ne i!erait-ce pas ce pessimisme foncier qui a conduit Lem à opter pour l'ironie et l'humour? Moins .que les évocations futuristes, les utopies ou les architectures électroniques, ce qui retient finalement Lem, c'est un certain éclairage des comportements ou des rapports humains à la lumière de la science-fiction. Dans « l'Obscurcité et la Moisissure », un vieil homme un peu misérable, retran~ ché du monde, « rencontre » la bactérie atomique, la Whisterie, ~'une effrayante puissance de destruction ; elle lui apparaît au début sous forme de petites ' boules « tièdes, douces, élastiques », qu'il se met à surveiller avec un soin jaloux, à choyer, à aimer; il trouve une sorte de bonheur avec « ses toutes petites », et ce n'est que lorsque le flot envahissant des milliards de bactéries le submerge, le brûle et le détruit que sa tendresse se transforme en horreur et en angoisse. Un livreur qui passe « s'enfuit en emportant la vision d'une montagne d'œufs de poisson clignotants qui dans un grondement prolongé de tonnerre éventrait la maison ». La nouvelle « l'Ami », suit une progression de nature analogue: il y est' question de fils de fer, de prises, de gélatine, de tout u.n bric-à-brac de bricoleur qu'un personnage d'allure minable et apeurée vient quémander au narrateur - en vue de réaliser le programme d'un Ordinateur clan'destin, qui n'est rien moins que la communion parfaite avec la totalité de l'univers.

l'espèce et vole des médicaments contre la radioactivité pour essayer de survivre - n'est là que pour permettre une monotone accumulation d'images d'épouvante: des ~ommes-taupes se terrent, pourchassés par quelques bandes d'individus encore valides qui les brû-

bien qu'il s'agit moins d'enseignèr ou de décrire que d'alerter. A 18 source de ces créatio~, on perçoit une motivation politique profonde, plus ou moins valablement intégrée dans un propos artistique. TI reste à savoir si l'art n'aurait pas ici,. plus que jamais, pour fonction de

Nous ne ferons pas à Rossignoli le procès que fait le critique de l'excellente revue de science-fiction, Fiction, qui condamne dans H SUT Milan les « éternels poncifs pessimistes du monde post-atomique, avec villes en r.uine, amours dans les décombres et monstres dus aux radiations... rêveries morbides de . bourgeois pantouflards et d'adolescents prolongés » et qui n'hésite pas, avec une touchante irresponsabilité, à réclamer de la sciencefiction « un optimisme lucide, la foi en l'espèce, la reconstruction d'un monde et la volonté de survivre »! Ces paroles surprenantes. révèlent sur quel malentendu est constrUit le livre de Rossignoli: une entreprise comme H sur Milan est vouée à l'échec, parce qu'il lui ' est radicalement impossible de se mesurer avec la réalité; à !fUoi bon cc imaginer » des atomisés, alors qu'on se détourne des véritables atomisés, qu'évoque Colette Magny dans une chanson pathétique: cc les survivants de Hiroshima, on les appelle les Hibakushas » et ils souffrent d'un cc mal étrange et difficilement définissable baptisé Bura », la maladie du rien faire, qui accentue leur condition de premiers parias de l'ère atomiquel. Avant de passer à l'imaginaire, c'est à un inventaire inlassable, réitéré et scrupuleux du réel qu'il faut procéder. De même, quelque puissance que l'on puisse donner à une description de l'apocalypse atomique, elle paraît dérisoire au regard du poids massif, de la dimension cosmique, de la présence « absolue » de la menace atomique elle-même.

L'Etat bestial Autant le livre de Stanislas Lem est encombré de robots inquiétants, loufoques ou attendrissants, autant H sur Milan, de Rossignoli, se présente dans une lugubre nudité. Le récit commence après que la bombe H a explosé sur Milan: « Le Dôme est resté debout, endommagé ioi et là, comme un gros gâteau grignoté ,par quelque géant gourmand. Le reste est t.;hJos, ruines, bouillies, souvenirs. » Dans ce décor, qui rappelle quelques photos du film de Chris Marker, la Jetée, errent les survivants, qui ne se ùihi.j:aguen~.. plus .guère entre eux que par le degré de radioactivité qui les ronge et les décompose. Retour fulgurant à l'état bestial: on se cherche un abri, une tanière ; on se dispute les aliments, l'eau; on frappe et on tue; il ne s'agit m~me pas d'égoïsme, mais du plus élémentaire sursaut de quelques cellules organiques pour durer. Une mince et facile intrigue - le narrateur se choisit une compagne pour tenter de perpétuer

Les descriptions de Rossignoli, tournant toutes autour des thèmes de . la bestialité et de la décomposition, finissent par engendrer une sorte d'atmosphère à la Beckett, qui est la donnée la plus positive de l'ouvrage. Un personnage, du nom de Barbichette, dévoré de bas en haut par l'acide sulfurique qu'il a renversé, rappelle même la Minnie de la pièce Oh! les beauxjouTS! Avec' cette différence que l'épouvantable, ici, n'a pas de véritable résonance; Rossignoli réussi,t à provoquer une nausée, et c'est bien; mais cette nausée reste engluée dans les images et les mots qui la provoquent, elle ne décolle pas du livre, elle n'investit pas la réalité atomique.

Photo du. füm Invasion planète X.

lent; dans une bouche de métro sont entassés, en masse comJlacte et hideuse, des aveugles qui attendent on ne sait quelle lumière; une caricature grotesque d'hôpital - grabats, poux, veilleuses, puanteurs reçoit, par routine, l~ moribonds radioactifs.

La Quinzaine littéraire, 15 au 30 juin 1967.

C'est par quoi péchait aussi le remarquable petit ' film de Peter W atkins, la Bombe: une reconstitution d'<Jttaque nucléaire sur la Grande-Bl etagne, telle qu'il l'a réalisée avec la participation des habitants du Kent, devient littéralement cc divertissante », en ce qu'elle situe dans l'imaginaire et l'artificiel ce qui possède aujourd'hUi le maximum de présence, de réalité, de déterminations. Pour le film de Watkins, comme pour le disque de Colette Magny ou le livre .de Rossignoli, on comprend

Plwto du füm Planète interdite. ·.

porter à sa plus forte et plus ample expression un propos politique qui commande la totalité du destin de l'homme. Cath", i.ne et Roger Dadoun 1. C. Magny: Avec, disque 33 t . Festival, EMZ 13510.

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NEW-YORK

RBVUES

« Le. Lettre. DOllvelle. » Il faut lire dans les Lettres nouvelles (mai-juin), le texte, étonnant par son actualité, de Léon Trotsky, Le parti et les artistes. C'est le compte rendu d'une intervention de Trotsky à une réunion o:!ganisée le 9 mai 1924 par le bureau de presse du Comité central sur « la politique du parti dans le domaine de la littérature ». Trotsky venait de faire paraître son ouvrage Littérature et Révolution où il avait critiqué l'attitude des champions de la « littérature prolétarienne ll. Au cours du débat, Trotsky tente de définir ses positions et les rapports que, selon lui, la littérature doit entretenir avec la politique, le parti avec les artistes, en attaquant le point de vue du groupe « Na Postou » défendu par le camarade Raskolnikov. Il en vient ainsi à parler de Dante :

Mais tout cela, au. fond, n'intéresse pas Raskolnikov. Dans les œuvres artistiques, il ignore justement ce qùi fait qu'elles sont artistiques. Cela ressort avec évidence de son remarquable jugement sur Dante. Ce qui fait la valeur de la Divine Comédie, d'après lui, c'est qu'elle permet de comprendre la psychologie d'une classe déterminée à une époque déterminée. Mais poser la question ainsi, c'est tout simplement effacer la Divine Comédie du domaine de l'art. Il est peut-être temps de le faire, mais alors, il faut comprendre clairement le fond de la question, et ne pas craindre les conséquences logiques. Si je dis que la valeur de la Divine Comédie réside dans le fait qu'elle m'aide à comprendre l'état d'esprit de classes déterminées à une époque déterminée, j'en fais par là même un simple document historique, car en tant qu'œuvre d'art, la Divine Comédie s'adresse à mon propre esprit, à mes propres sentiments, et doit leur dire quelque chose ( ... ) Et si, aujourd'hui, nous regardons d'autres œuvres du moyen âge comme de simples objets d'étude, alors que nous voyons dans la Divine Comédie une source de perception artistique, ce n'est pas parce que Dante était un petit-bourgeois florentin du XIII" siècle, mais bien plutôt malgré cela. Prenons, par exemple, un sentiment physiologique élémentaire comme la peur de la mort. Ce sentiment n'est pas propre à l'homme; les animaux l'éprouvent aussi. Chez l'homme, il s'est d'abord exprimé simplement en langage articulé, puis il a trouvé une expression artistique. Cette expression a varié suivant les époques, suivant les milieux sociaux, c'est-à-dire que les hommes ont craint la mort de façons différentes. Néanmoins, ce qu'en disent non seulement Shakespeare, Byron ou Goethe, mais aussi les chanteurs de psaumes, est capable de nous toucher. (Exclamation du camarade Libédinski.) Oui, oui, camarade Libédinski, je suis justement arrivé au moment où vous expliquiez au· cqmarade Voronski, en termes de b, u, ba politique _. c'est votre propre expression - les différences d'état d'esprit entre les différentes classes. Sous cette forme générale, c'est indiscutable. Cependant, vous ne pouvez nier que Shakespeare et Byron porlent à notre âme, la vôtre et la mienne. Libédinski. - Ils cesseront bientôt de le faire. Au sommaire de ce même numéro La poésie objectiviste américaine, par Serge Fauchereau, qui a déjà consacré dans diverses revues, à la poésie moderne en Amérique, des articles vivants et bien documentés. Nietzsche et l'Antéchrist par Dionys Mascolo (cet Antéchrist que Dominique Tassel vient de traduire et de présenter dans la collection de poche 10/18). Des textes de Jorge Luis Borges et A. Bioy Casares, de Pierre Bourgeade, de Victor Ségalen, de Monique Fong sur Miucel Duchamp, etc.

eTel Quel» Emiettement de Baudelaire dans la r e vue Tel quel (nO 29) où Roman Jacobson procède à une « microscopie da tkrnier spleen dans les Fleurs du

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Mal ». Cette minutieuse analyse grammaticale et prosodique, bien que très touffue, est d'un vide parfait. Mais Roman Jacobson ne se méprend-t-il pas en citant Baudelaire à la fin de son article, sur le sens que celui-ci donnait au mot « abstraction » lorsqu'il disait rejeter comme signe de faiblesse maladive tout « enthousiasme qui s'applique à autre chose que les abstractions »? Dans le supplément littéraire du Monde (24 mai) Yves Bonnefoy semble répondre indirectement à Claude Pichois (qui s'y inquiète · au cours d'un entretien de l'absence d'études marxistes, psychanalytiques et structuralistes valables sur Baudelaire), en écrivant dans son article, « Une recherche mal comprise» : « En vérité, le passage du temps n'a pos sensiblement modifié le rapport de ceux qui entendent Baudelaire et de ceux qui ne veulent pas l'utilisant désormais l'écouter. La parole de poésie a simplement été transformée en fait de culture. » Et, constatant donc qu'on refuse toujours d'entendre Baudelaire, Y. Bonnefoy poursuit : « Que n'a-t-il été simplement excentrique ou asservi à quelque « névrose n, et passif jusque dans son œuvre, comme un objet! On le classerait, on l'accepterait; on se sentirait moins requis ( ... ) Poète de la responsabilité, Baudelaire est redouté pour cela, et ce n'est pas la crise toujours plus grande de la motivation aujourd'hui, la mise en question des assises mêmes de la personne qui peut éclairer sa parole ou faciliter son retour. »

«Critique» Dans Critique (mai), Edmond Dune y brosse un vif portrait de Lichtenberg, ce petit Allemand bossu du XVIII' siècle, à l'esprit si pénétrant, qui ne fut ni un véritable savant (bien qu'il fût sur le point de découvrir la montgoHière qu'on aurait alors appelée la lichtenbergère, et l'un des premiers à pressentir la théorie einsteinienne de l'espace courbe), ni un véritable poète (bien qu'il fût probablement l'auteur de la célèbre formule : « Un couteau sans manche auquel manque la lame ». Un Yorick physicien, a-t-on dit de lui. Il est, écrit Edmond Dune, l'un des derniers représentants d'une culture où la science et la poésie font encore bon ménage avant que ne s'achève le procès qui a conduit à cette ségrégation des esprits que C.P. Snow a popularisée par la formule des Deux cultures. » Lichtenberg n'avait-il pas inscrit en tête d'un de ses cahiers de notes : « The whole man must move together. » Et Goethe disait de lui : « Là où il plaisante se trouve caché un problème. li Dans ce même numéro, Alain Badiou s'interroge longuement sur l'œuvre d'Althusser : Le (re) commencement du matérialisme dialectique. On peut y lire en note : « Peut-on penser « en même temps)) la lecture de Marx par Althusser, celle de Freud par Lacan et celle de Nietzsche-Heidegger par Derrida? Intitulé, dans notre conjoncture, de la plus profonde question. A prendre ces trois discours dans leur actualité intégrale, la réponse est selon moi inévitablement négative. Mieux même : s'approcher indéfiniment de ce qui les tient le plus éloignés les U!tS des autres est la condition du progrès de chacun d'entre eux. Malheureusement, dans le monde instantané où les concepts se commercialisent, l'éclectisme est de règle. )) Jean Filliozat introduit à La littérature sanscrite dans l'œuvre de Louis Renou.

Sommaires: Europe (avril-mai). Numéro spécial sur Baudelaire. Dans l'article de Charles Mauron : Le rire baudelairien, on peut lire cette définition que le poète donne du rire : « ... Le rire est satanique, il est donc profondément humain. Il est dans l'homme la conséquence de l'idée de sa propre supériorité; et, en effet, comme le rire est essentiellement humain, il est essentiellement contradictoire, c'està-dire qu'il est à la fois signe d'une grandeur infinie et d'une misère infinie, misère infinie relativement Il l'Etre absolu

dont il possède la conception, grandeur infinie relativement aux animaux. C'est du choc perpétuel de ces deux infinis que se dégage le rire. » La Table ronde consacre son numéro de mai à Baudelaire et son rayonnement., et plus précisément à Baudelaire et l'Angleterre avec l'article d'Enid Starkie, et l'Anglicisme spirituel de Baudelaire de Henri Lemaître.

N. R. F. (mai). Yvon Bélaval y met Les mots à l'épreuve. Il termine ainsi : « Les mots ne résistent donc pas à l'épreuve de la douleur. La littérature pour ne rien dire de la philosophie peut passionner, distraire, occuper et préoccuper une existence, mais elle ne peut nous sauver parce que la vie lui échappe et qu'elle n'en propose qu'un mythe. )) Pourtant tout son essai est là, qui prouve le contraire. Dans la rubrique Textes : Mythes Brahmaniques, présentés et traduits par Jean Varenne. Dans la Chandoya-Upanishad 6, 8, on trouve plusieurs fois répété cette phrase : « Seigneur, instruisez-moi davantage! » Mais de quelle instruction s'agit-il donc là ? Annales. On trouve dans cette revue bimestrielle qui paraît depuis déjà vingtdeux ans, des articles variés et d'une haute tenue sur l'économie, les sociétés, les civilisations. (Mars-Avril) Lvon Khachikian, Un marchand arménien en Perse, en Inde et au Tibet. (Mai-juin) Nathan Wachtel, La conquête espagnole dans le folklore indigène: la vision des vaincus. Etudes (avril). Présentation par Suzanne Cusumano des jeunes revues littéraires soviétiques. Raison présente (n 3). Un débat, l'Aliénation, mythe ou réalité? et une synthèse : Sade et les « Lumières li de Jean Deprun qui écrit à propos du despotisme: «Considérons maintenant le despotisme. Sade nous dit que l'homme est naturellement despote ( .. ) A-t-il raison? Eh bien, Ü n'a pas tout à fait tort. lt V

Hermès (n° 4). Le maître spirituel dans les grandes traditions d'Occident et d'Orient. (Un très riche numéro de 300 pages ). L'Homme (revue française d'anthropologie) (nO 4). Paul Ottinu : « Un procédé littéraire malayo-polynésien. De l'ambiguïté à la pluri-signification. » L'VII (n° 28). Choix de poètes roumains, extrait d'un volume à paraître aux éditions du Seuil. Action poétique (n° 32-33). Le poète tchécoslovaque Vladimir Holan, traduit et présenté par Dominique Grandmont, et des poèmes de Pierre Morhange, Salvatore Quasimodo, René Depestre. Diogène (n° 37). Efim Etkind : La stylistique comparée, base de l'art de traduire, et David W. Théobald : Ce que les philosophes ont à dirp et l'1magination. Revue d'esthétique (n° 2-3). Numéro spécial sur le cinéma, avec R. Bresson, J.-L. Godard, A_ Resnais et par RobbeGrillet: u Brèves réflexions sur le fait de décrire une scène de cinéma)). Une bonne étude de R. 'Bellour qui propose une lecture de Mamie d'Hitchcock. Communications (nO 9). La censure et le censurable. En particulier, l'article d'André Glucksmann: La métacensure, où le dangereux dans notre culture est défini comme la confu.aion du réel et de l'imaginaire. Frédéric Lamotte

« L'explosion sexuelle a remplacé l'explosion culturelle » me confiait une New-Yorkaise de retour en ville après une absence de plusieurs mois. ( La publicité, les films, les couvertures des livres les plus sérieux et les conv~rsations même très bourgeoises sont farcies d'allusions pas toujours indirectes. Je n'ose plus avouer à mes amies que depuis une semaine ma fille est seule à la maison de peur d'entendre les inévitables plaisanteries sur la pilule. Il me semble que tout a radicalement changé. Avant, on discutait sans fin du prix des œuvres d'art, maintenant on parle de sexe. » Cette impression m'a été confirmée par un journaliste français de passage à New York, qui s'étonnait du nombre de revues pornographiques ou semi-pornographiques que l'on peut tranquillement feuilleter dans les kiosques ou les boutiques poussiéreuses de Time Square. « Nous vendons des films sexy » affiche une des librairies du quartier_ America Hurra ! lme pièce à sketches, qui depuis le début de la saison tient l'affiche off-Broadway, met en scène un couple d'Américains moyens se livrant à un saccage hystérico-érotique dans la chambre d'un motel ; ils finissent, ivres de frustration, par couvrir les murs d'immondes grossièretés à la grande joie du public.

L'Eglise et le pop Dernièrement la presse a longu~ ment rapporté les démêlés avec la justice d'une jeune actrice qui avait tenu à se produire les seins nus. Il y a environ trois semaines, un ballet intitulé avec un certain à propos Parades and Changes, présenté à Hunter College par une troupe de San Francisco, illustrait avec éclat ces changements d'attitude : les danseurs mâles et femelles se dévêtirent et se rhabillèrent plusieurs fois sur scène et, absolument nus luttèrent avec un gigantesque rouleau de papier d'emballage. La beauté. la !J1'âce et la jeunesse des artistes donnaient au spectacle une valeur esthétique qu'ont rarement les revendications plus agressivement intellectuelles. Le critique du New York Times a qualifié ce hallet de (( libérateur », ignorant peutêtre que les New-Yorkais, sinon tous les Américains, ont piétiné les tabous depuis quelque temps déjà. Sidney Janis exposait dans sa galerie de la 57" rue, en novembre dernier, une collection d'œuvres érotiques, films, assemblages, toiles et une sculpture franchement lubrique, que les college-girls examinaient le plus sérieusement du monde, du même air inquisiteur qu'elles ont devant un Rembrandt sur lequel elles doivent écrire une dissertation. Il est assez surprenant de constater la rapidité et le sérieux avec


Amour et «be-in» lequel l'appareil officiel accepte les galéjades de l'avant-garde. Après avoir fait les beaux jours de l'élite intellectuelle, le pop'art et les happenings sont maintenant exploités par l'Eglise. A Saint-Louis (Maryland), le révérend Ronald Scblegel prononce des sermons audio-visuels: pendant son prêche, des ballons accrochés à une sculpture abstraite éclatent les uns après les autres pour symboliser la façon dont le Seigneur pourrait détruire les conventions mondaines qui le séparent des fidèles. De gigantesques assemblages de ferraille et de débris divers sont érigés dans les églises par des mains souvent plus pieuses qu'inspirées. Les sérigraphies de sœur Mary Corita ont

met une communication immédiate. L'an dernier, lors de la réunion du Pen-Club, les théories de Marshall McLuhan furent accueillies avec ironie et dérision par ses collègues européens; cependant, comme parole d'évangile, elles sont en train d'être vécues par la nouvelle génération qui donne tous les signes d'un comportement indubitablement nuancé de tendances tribales. Ainsi, le 26 avril dernier, jour de Pâques, on vit dès l'aube, surgissant de tous les coins de la ville, des hordes de jeunes gens et jeunes filles converger vers Central Park. A 4 heures de l'après-midi, ils étaient 10 à 12 000 sur la colline de Sheep Meadow (à l'endroit

auquel tous participaient avec tous leurs sens. Love était le mot d'ordre de ce premier turbulent et joyeux « be-in JI, chacun avait ce mot à la bouche et ' nombre de jeunes gens le jetaient au visage des policiers étonnés et méfiants. A part ça, la réunion n'avait d'autre but que de célébrer le fait d'être (to be). Celui-ci fut suivi de plusieurs autres, jusqu'à ce que les autorités inquiètes les interdisent à Central Park, que l'on tient à réserver aux cyclistes et aux bonnes d'enfants, si bien que le prochain « be-in » doit avoir lieu dans les canyons de Wall Street, désertés par la finance durant le week-end. Quoique relativement récents, les « be-in » ont donné lieu à de

Un titre du East Village Other, journal n.ew-yorkaU.

autant de succès auprès des amateurs d'art religieux que celles d'Andy Warhol; « Marie est la plus juteuse des tomates lI, proclame la nonne en travers d'une de ses œuvres rep~ntant une macro-tomate. Aujourd'hui, à peine exprimé, chaque nouveauté, expérience ou moyen d'expression est voracement happé par The Establishment et, à peine dégluti, livré à l'exploitation commerciale. McLuhan, le maître à penser de la nouvelle génération, explique cette nouvelle vélocité par la transformation de notre civilisation traditionnellement visuelle en civilisation auditive, Dans un livre brillant mais fort difficile à lire, Understanding Media, l'auteur, que l'on considère comme le « penseur le plus important depuis Newton, Darwin, Freud, Einstein et Pavlov», affirme que, modifié par l'avènement de l'âge électronique et les moyens de communication m 0 der n e s, l'homme est sorti du monde linéaire, logique, visuel, fragmentaire et individuel de Gutenberg et qu'il fait ses premiers pas dans l'ère tribale, décentralisée de l'él~c­ tronique. La portée du mot écrit est désormais insignifiante comparée à l'expérience orale qui perLa Quinsaine lùtéraire, 15

/lU

30

Juin

précis où, un mois plus tard, devait se former la manifestation pour la paix au Viet-nam). C'était le premier important « be-in », mot intraduisible qui désigne la nouvelle forme d'expression de la jeunesse américaine. La foule ne manquait ni de pittoresque, ni de variété : cheveux longs, chapeaux de feutre clairs à larges bords retenus par une jugulaire, bérets, toques de fourrure, barbes, blue-jeans, panchos multicolores, mini-jupes, r0bes dites « psychedelic » (à vives impressions), vieux manteaux de fourrure achetés au décrochez-moi ça, costumes et robes en papier, capes, vêtements hindous, vêtements indiens, visages peints ou décorés d'un point rouge ou d'un fragment de miroir collé sur le front. Quelques.uns étreignaient une guitare, jouaient de la flûte ou du tambourin; d'autres étaient venus avec une pancarte, un ballon, presque tous avec des jonquilles et des œufs de Pâques qu'ils offraient aux flics et aux passants. Ils chantèrent, dansèrent, lurent des poèmes, grimpèrent aux arbres, poussèrent des cris d'animaux sauvages, s'embrassèrent, firent des rondes, brûlèrent de l'encens et fumèrent des cigarettes de marihuana. Spectacle complet, total, 1967,

copieux commentaires et à un vocabulaire original ; ils ont détourné l'attention du public de la Beat Generation qui n'est désormais qu'une vieille chose poussiéreuse que l'on secoue de temps à autre pour satisfaire les plus de trente ans. C'est maintenant The Flower Generation, The Love Generation qui excite la curiosité; à juste titre: clownesques, légers, pacifistes et passifs, opportunistes et partageurs, les « hippies >J représentent une mutation intéressante de l'espèce américaine.

Les «hippies» Pour observer les « hippies » à l'état pur, il faut aller jusqu'à San Francisco car à New York on les distingue encore mal des V illagers (habitants du Village-east) et des « Doves » (pacifistes politisés ). Dans la ville de l'Ouest, ils sont groupés dans Haight.Ashbury, un vieux quartier où ils vivent en phalanstères plus ou moins organisés. Voici ce que disent d'eux-mêmes quelques « hippies » interrogés par un reporter du New York Time: « Nous n'avons aucun but. Les Villagers croient en certaines

choses : la paix au Viet.nam, les civil-rights. Les hippies ne croie.t en rien. » « Pourquoi ne pas passer ma vie au coin d'une rue sans rien attendre? » - « Le monde nous avalera de toute façon, donc, pourquoi s'en faire ? Il n'y a qu'à attendre. » « Nous ne sommes pas pour les civils-rights parce que les Noirs se battent pour devenir ce que nous refusons d'être. C'est absurde. » L'indifférence, l'amour et les fleurs sont les seules armes qu'ils usent contre une société dont ils n'attendent que le pire. Ils admirent et imitent la passivité des Indiens et sont attirés par le Zen. Ils ne gagnent que peu d'argent, dessinent sur les trottoirs et pei. gnent les murs des appartements où ils vivent en groupes de dix ou douze, refusant de payer le loyer, le téléphone, l'eau et l'électricité. Ils craignent la police et la publicité. Des rites compliqués et une stupidité un peu forcée protègent assez efficacement les hippies contre la vorace curiosité de la presse et du public et contre un noyautage possible de la police, aussi connaît-on encore mal toutes les lignes de force opposées qui, pour l'instant, les retiennent dans une complète passivité. La drogue n'étant qù'un véhicule - comme en donne si bien l'idée l'expression « to take a trip» qu'emploient les usagers - il n'est pas impossible qu'une fois pansées 'les blessures d'une prise de conscience un peu rapide, ces jeunes gens émergent de l'incohérence avec des idées fraîches. L'apparente apathie qu'ils opposent à l'ordre établi est en soi une prise de position: le système à leurs yeux ne mérite pas qu'ils s'efforcent d'en changer certains aspects, il doit être rejeté dans sa totalité. Bien qu'ils tentent d'effrayer les pouvoirs publics en annonçant l'arrivée prochaine de 10.000 adeptes, les « hippies » de Haight-Ashbury ne représentent pourtant qu'une minorité de la jeunesse américaine. Les civil-rights, the Peace Movement, The Free Speech Movement, the New Lelt, en un mot, comptent encore pas mal d'activistes qui, tout en partageant la désaffection des « hippies» pour l'actuelle société américaine, ont encore d'assez puissantes raisons d'agir. J'aime, pour ma part, certains traits apparents chez cette nouvelle génération: leur sens du jeu, j~ qu'ici absent du caractère américain enclin au sérieux et à la névrose; une certaine insouciance, également fort rare dans ce pays consacré à l'utile; j'aime aussi qu'ils soient dans l'ensemble moins naïfs que leurs pères et qu'une poutre maîtresse de leur fragile philosophie soit « Pensez ce que vous voulez, mais règle numéro un, ne l'imposez pas aux autres. »

Alice Rewald 29


TOUS LES LIVRES

Ouvrages publiés entre 1. 20 mai et 1. 10 juin aOMAIilS rBANCAIS

Jean-Paul Aufray Cheetah La Jeune Parque 232 p., 11,80 F Au cœur de l'Ile Saint-Louis.

Jean Briance Bulande José Corti 224 p., 15,40 F Une énigme qui se résoudra au milieu des passions et du délire des personnages.

Jean Carrière Retour à Uzès La Jeune Parque 304 p., 14,95 F A la recherche du royaulTJo':l.

Jean-Pierre Chabrol L'Illustre fauteuil et autres récits Gallimard, 320 p., 16 F Les aventures du fauteuil où mourut Molière, conservé à la Comédie Française.

Michel Dav-"lt Les nuits d'août Casterman, 272 p., 13,50 F A Badgastein, un homme disparaît. Sa femme le cherche, éperdue.

Pierr,~ Gamarra Les mystères de Toulouse Ed. Français Réunis 448 p., 18,60 F Dans la tradition du roman-feuilleton.

Romain Gary La danse de Gengis Cohn Gallimard, 280 p., 15 F Dans l'Allemagne de l'après-guerre, les facéti~s du Dibbuk, démon de la tradition hébraïque.

Nicole Louvier Les dialogues de la nuit blanche La Jeune Parque 160 p., 9,85 F Au cours d'une nuit calme, à Paris.

Roger de M~rvelec Les lapins du Flore La Jeune Parque, 220 p., 11,80 F St Germain-des-Prés 1950.

Josette Petit Alternative ~bresse,

125 p., 9,90 F Un homme heureux s'interroge sur la possibilité du bonheur. 30

Yak Rivais Aventures du général Francoquin au pays des frères Cyclopus Gallimard, 592 p.; 28 F Un don Quichotte de bande dessinée.

Jean-G-"lorges Samacoïtz La koubbah Promotio'n et Edition, 158 p., 10 F Deux pieds-noirs, qui se sentent rejetés par la métropole, à Tunis.

Joseph Senlis La seconde qui pèse Scorpion, 192 p., 11 F InvolontairelTJo':lnt meurtrier mais rongé par le remords, un homme s'interroge sur le sens du bien.

Alexandre Svidinenko Il ne restera rien qu'une simple croix Debresse, 127 p., 9,90 F Avant de monter à l'assaut pendant la guerre d'Algérie, un garçon de 20 ans prend la défen~ de sa génération.

ROMANS ÉTRANGERS

Isaac Babel Contes d'Odessa suivi de Nouvelles trad. du russe par A. Bloch et M. Minoustchioo Gallimard, 264 p., 15 F Voir le 'nO 27 de • la Quinzaine-.

Michaël Blankfort Histoire de Rachel ou le roman de la première résistance en Palestine trad. de l'anglais par Nathalie Gara Flammarion, 448 p., 20 F Un épisod~ peu connu de l'histoire d'Israël.

Dino Buzzati Le K. Trad. de l'italien par J. Rémillet R. Laffont, 376 p., 16,50 F Cinquante-deux nouvelles où l'on retrouve tous les thèmes chers au grand romancier itali,~n.

Robert Crichton Le secret de Santa Vittoria trad. de l'anglaiS par J. Hall et J. Lagrange Flammarion 440 p., 18 F Entre la farce et la tragédie antique.

William Faulkner Histoires diverses trad. de l'anglais par R.-N. Raimbault et Céline Zins Gallimard, 320 p., 18 F Voir le n° 24 de • la Quinzaine -.

Charles Fort Le livre des damnés trad. de l'anglaiS par R. Benayoun Eric Losfeld 264 p., 24 F Le pèr-e de la science-fiction.

Danil Granine Je vais au-devant de l'orage trad. du russe par Lily Denis Ed. Français Réunis, 384 p., 18.60 F Le rêve scientifique qui p.gut devenir la réalité de demain.

Wolfgang Hildesheimer Voyage nocturne trad. de l'allemand par G. Wittkop-Mé'nardeau Gallimard, 224 p., 14 F Les rêveries nostalgiques d'un insomniaque.

A.E. Lindop Compte à rebours trad. de l'anglais Stock, 304 p., 19,80 F La vie de la petite bourgeoisie anglaise.

Robert Neumann Le constat ou la bonne foi des Allemands trad. de l'all-emand par S. et G. de Lalène R. Laffont, 333 p., 19,15 F Vingt ans après, un rescapé des camps - - nazis réveille ce que les Allemands du miracle appell-ent de • vieilles histoires-.

Leif Panduro Fern le Danois trad . du danois par HA des Gautries Gallimard, 208 p., 10 F Un voyageur sans bagages à la danoi~ .

Ernst von Salomon La belle Wilhelmine trad. de l'allemand par M.-L. Ponty Gallimard, 440 p., 20 F Les amours de Frédéric-Guilaume II de Prusse avec la fille d'un auMrgiste.

Isaac B. Si'nger Le confessionnal trad. de l'anglais Stock, 320 p., 18,50 f L-es impressions laissées à un enfant par son père, rabbin dans la banlieue de Varsovie.

G1endon Swarthout L'aigle et la croix de fer trad. de l'anglais Stock, 240 p., 15,30 F Des prisonniers allemands, évadés d'un camp de l'Arizo'na, découvrent une autre Amérique.

Bernard Traven Le visiteur du soir trad. de l'anglais Stock, 212 p., 16,50 F Par l'auteur du • Trésor de la Si-"lrra Madre -, récits sur le Mexique.

Ramon dei Valle-Inclan Fleur de sainteté trad. de l'espagnol par Maurice-Edgar Coindreau Gallimard, 160 p., 10 F L'. histoir-"l millénaire» d'une bergère mystique et peut-être possédée.

Marle-France Schmidt La duchesse d'Albe 32 i11. hors-texte Rencontre, 280 p., 13,55 'F L'Espagne du XVIII" Siècle à travers la Maja.

Janine Buenzod La formation de la pensée de Gobifteau et l'Essai sur l'inégalité des races humaines A.-G. Nizet, éd . 668 p., 35 F Une méditation obstinée sur l'idée de qualité.

Hubert de (..gusse Léopold Sedar Senghor l'Africain Hatier, 253 p., 13 F Senghor, poète engagé au service de la négritude.

Yves Le Grand Lumière et vie animale P.U.F. 164 p., 12 F

Jean-François Le Ny Apprentissate et activités psychologiques P.U.'F. 448 p., 30 F

Jacques Texler Gramsci Seghers, 191 p., 7,10 F Voir le n° 29 de • la Quinzaine-

Charles Vidil Témoins et serviteurs Jeunesse du christianisme D'Halluin et Co éd., 191 p., Peut-on concilier la foi chrétienne et la pensée scientifique moderne?

POESIE Michel Raimond

Le roman depuis Vincent Bounoure Jorge Camacho Talismans Ed. Surréalistes, 60 p., L'allia'nce d'un peintre et d'un poèt-"l.

la Révolution A. Colin, 410 p., 25 F De la naissanC-"l du roman moderne au nouveau roman.

BSSAIS Cecilia Meireles Poésie trad. du portugais par G. Siesinger Tygel Seghers, 160 p., 30,85 F Un des plus grands poètes brésiliens.

MBMOIR.S BIOGRAPHIES

Raymond de Becker La vie tragique de Freud 100 documents iconographiques Planète, 311 p., 19,50 F Les étapes d'une vie -"ln général mal connue.

Yvonne de Bremond d'Ars Le marquis de Caracas Hachette, 156 p., 15 F Le journal d'une antiquaire .

Stéphane Cordier Jean-Paul Marat André d-"l Rache, éd. Diff. Nouveau Quartier Latin, 78, Bd St-Michel 28 p., 9 F Une réhabilitation attendue.

Docteur Jem Carnets d'un psychiatre D'Halluin et Co, éd., 154 p., L'enfance, la formation, l'expérience prof·essionnelle.

Pierre Ajame Les critiques de cinéma Flammarion, 272 p., 14 F Un procès de la critique parisien'ne.

François Dagognet Méthodes et doctrine dans l'œuvre de Pasteur P.U.F., 264 p., 20 F Collection Galien

Guy Fau Le dossier juif Rome contre les Juifs Editions rationalistes, 288 p., 15,40 F L'Eglise et l'antisémitisme jusqu'à Vatican II.

Etienn'9 Gilson La société de masse et sa culture J. Vrin, éd. 149 p., 12 F L'incidence d. l'évolution des techniques sur l'expérience esthétique.

Franz H-ellens Le fantastique réel Sodi , Bruxelles, 128 p. Un testament littéraire.

HISTOI • •

Gilbert Badia Le Spartakisme 16 p. de hors-t-sxte L'Arche, 440 p., 24 F Les deux dernières années de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht.

Lucien Bodard

La guerre d'Indochine L'aventure Gallimard, 832 p., 28 F La guerre de de Lattre pendant l'année 1950.

Norman Cohn Histoire d'un mythe La "Conspiration. mondiale juive et les Protocoles des Sages de Sion trad. de l'anglais par Jean Poliakof 17 planches hors-texte Gallimard, 312 p., 26 F Le plus grand faux politique des temps modernes.

William Manchester Mort d'un Président trad. de l'américain par Jean Perrier R. Laffont, 768 p., 29,30 F Voir le N° 29 de • la Quinzalne-.

Jean-Louis Rieupeyrout Histoire du Far-West 250 gravures et photos 20 cartes Tchou. 736 p., 59 F Une exploration méthodique de l'aventur9 historique de ,'Ouest américain,


Renée Davis La croix gammée, cette énigme Presses de la Cité, 217 p., 15 F Ce signe mystérieux qui exist9 depuis le début des temps.

Robert Delerm Cent millions de Français Ed. Universitaires, 128 p., 12,35 F L'expansion démographique et la p~ospérité française.

Stéphane Groueff Dossier secret La bombe atomique Presses de la Cité, 478 p., 20 F Comment, par qui et dans quelles conditions fut construite la première bombe atomique.

Kuno Knobl Victor Charlie, Vietcong trad. M l'allemand par J.-Ch. Lombard 8 pages hors-texte Flammarion, 400 p., 16 F Le témoignage d'un journaliste autrichien sur la guerre du Viêt-nam.

Jean-Marc Melsen Le' dernier -Verre préface de J. Kessel Flammarion, 256 p., 14 F L'univers fantasmagorique de l'alcoolique.

Vatican Il Points de vue de théologiens protestants Ed. du Cerf, 270 p., 22,50 F Ouvrage rédigé sous l'égide de la Fédération Protestante de France.

Anne Wang J'ai combattu pour Mao trad. de l'allemand par Magda Michel Gallimard, 304 p., 16 F Vingt ans avec les chefs M la Chine Populaire.

Charles Fourier Textes choisis Pauvert/Libertés Marc Beigbeder Célébration des fourmis R. Morel, 48 p., 7,50 F par l'auteur des «Cacagons .

Hunter Davies Le guide des plaisirs de Londres trad. de l'anglais par F.M. Watkins et J. Rosenthal Illustrations de Kaffe Fassett R. Laffont, 432 p., 21,75 F Le fameux New London Spy qui se lit comme ·un roman.

James Lartizien Sous le vent des bêtes sauvages Préface de H. Tazieff 16 p. hors-texte Flammarion, 256 p., 12 F Les grands animaux de la brousse africaine.

POCHB Littérature BOileau"Narcejac Les louves Livre de Poche Policier Policier

Albert Camus Noces, suivi de l'Eté Livre de Poche

Jean Cocteau Le Cap de Bonne-Espérance suivi de Le Discours du grand sommeil Poésie/Gallimard.

Alexandre Embiricos L'école crétoise dernière phase de la peinture byzantine 141 illustrations Les Belles-L-9ttres éd. 301 p., 54 F La peinture sacrée crétoise MS XVI" et XVH' siècles.

Jomo Kenyatta Au pied du mont Kenya Préface de Georges Balandier Petite Bibliothèque Maspéro.

P.-O. Lissagaray Histoire de la Commune de 1871 3 volumes. P-9tite Collection Maspéro.

André Maurois La vie de Disraeli Livre de Poche Historique.

Montaigne Apologie de Raimond Sebond Introduction de Samuel S. de Sacy Gallimard/Idées.

Paul Nizan Les chiens de garde Petite Collection Maspéro.

Paul Nizan Aden-Arabie Préface de J.-P. Sartre Petite Collection Maspéro.

Inédits John Le Carre Le miroir aux espions Livre de Poche Policier.

Guy de Maupassant Misti Livr-9 de Poche

Henry Miller Plexus Livre de Poche. Jean Dubuffet Parade funèbre pour Charles Estienne 450 ex. à 65 F Une oraison dessinée.

Jean Grenier Essai sur l'esprit d'orthodoxie Gallimard/Idées.

Donald Westlake Pris dans la glu trad. de l'américain Gallimard/Série Noire

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Thomas de Galiana A la conquête de l'espace Encyclopédie Larousse de Poche Ce qU-9 nous devons savoir pour comprendre les possibilités de l'astronautique.

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LE CONFLIT ISRAELO-ARABE Pour la première fois depuis la création de l'Etat d'Israël, responsables politiques et intellectuels arabes et israéliens, · ont accepté en pleine connaissance de cause, d'exposer dans une même revue, pour le public européen, leurs points de vue sur le conflit qui les oppose. La violence rigoureuse et passionnée de cette confrontation donne accès aux sources vives de l'affrontement armé, mais elle permet aussi de dégager les traits de la future coexistence ' qui s'établira nécessairement entre les antagonistes. Et pour la première fois également des arabes d'Israël prennent ici la parole, s'adressant aussi bien à leurs frères arabes qu'aux Israéliens. 45 auteurs - 1000 pages Préface de Jean-Paul SARTRE

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Les Temps Modernes

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Evguenia S. Guinzbourg

LE VERTIGE

Le manuscrit qui circulait à Moscou, L'Incroyable histoire d'une communiste russe sous Staline. Une enseignante communiste de trente ans est prise dans ce qui fut la liquidation de toutes les couches pré-staliniennes du parti, plongée dans l'absurdité d'accusations étrangères à toute logique, condamnée à dix ans d'isolement absolu, puis jetée dans la vie collective des camps sibériens - et cela au total pendant dixsept ans - sans jamais renier son parti, et tout en refusant, avec une opiniâtreté qui sans doute l'a moralement sauvée, de signer ou d'avouer quoi que ce soit. Un volume traduit du russe par Bernard Abbots avec le concours de Jean-Jacques Marie, 424 p. 19,50 F

rOtna,"s JEAN-LOUIS BAUDRY Personnes 15 f Une sorte d'exemple de la mutation décisive du roman moderrle. Collection" Tel Quel". ALAN SILLITOE La fille du chiff(mnler 15 f Sept nouvelles, par l'auteur de "Samedi soir, dimanche matin" et "La solitude du coureur de fond ".

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L'écriture

:&rit

et"Ja différence

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en dansant ~g:

DAVID STOREY Radcliffe 19,50 f Une passion anglaise. Amour, haine, sensualjté, mysticisme : un roman dont on se réveille mal. MAGDA SZAB6 La ballade de la vierge 18 f Par-delà le personnage romanesque, lza rejOint le mythe légendaire des vierges maléfiques, Gorgones, Sirénes, Lorelei. Son regard pétrifie, envoOte, fait sombrer...

rOtnan relié VICTOR SERGE Les révolutionnaires 39 f Enfin réunis, les cinq romans retraçant les étapes de cette sorte de "Grandeur et Servitude de l'action révolutionnaire": Les hommes dans la prison - Naissance de notre force - Ville conqulseS'il est minuit dans le siècle - L'affaire Toulaév.

essais GUY CHAMPAGNE J'étals un drogué 15 f Letémoignaged'unjeunejournallstequisetrouve embarqué, malgré lui, dans l'aventure de la drogue.

Cuba

J.-P. Richard

Jacques Derrida

PAYSAGE DE CHATEAUBRIAND

L'ÉCRITURE ET LA DIFFÉRENCE Le concept d'écriture en tant qu'il est lié à l'histoire et à la culture occidentales. A propos d 'Artaud, de Bataille de Blanchot, de Nietzsche, de Freud, de Heidegger, de Fouçault.

Chez Chateaubriand, à travers la hantise du vide, à travers aussi les images obsédantes du père, du roi, de la sœur, on 'lira les grandes lignes d'un projet: celui d'être, comme il l'écrit luimême, un oc homme de la mort" et oc aimé d'elle ".

Coll. "Tel quel", 440 p., 29 F

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Severo Sarduy

ÉCRIT ·EN DANSANT .. Un texte brillant, sensible, drôle, inventif, inattendu et cependant clair, culturel. même, continûment affectueux". (Roland Barthes, la Quinzaine littéraire). Roman traduit du cubain par E. Cabillon, C. Esteban et l'auteur, 208 p., 12 F

PETER GILLMAN, DOUGAL HASTON III dlrectiaslme de l'Eiger 18 f Le récit de l'ascension directe de la face nord de l'Eiger, la derniére grande course des Alpes, JEAN-FRANCIS HELD Je roule pour vous 15 f "Ols-moi dans quoi tu roules, et comment, je te dirai qui . tu es ". Psychologue, SOCiologue, technicien, humoriste, le célèbre chroniqueur du "Nouvel Observateur" réunit ici ses meilleurs articles su r le monde automobile. PIERRE KLOSSOWSKI Sade mon prochain précédé de : Le philosophe scélérat 15 f Une réédition d'un livre devenu classique, complétée par le texte d'une conférence récente donnée sous les auspices de "Tel Quel". Coll. "Pierres vives ". JEAN-JACQUES MARIE Staline 18 f Un dieu, un diable, un homme ... La carrière fabuleuse de l'homme le plus follement divinisé et le plus furieusement haï de notre temps. Coll. "L'histoire immédiate ". HÉBERT ROUX Détresse et promesse de Vatican Il 15 f Bilan des prOblèmes qu'ont soulevés le déroulement du Concile, ses méthodes, ses débats, ses décisions et leurs conséquences. HÉLÉNA RUBINSTEIN Ma vie, mes secrets de beauté 15 f Le récit d'une prodigieuse réussite "à l'américaine " et une sorte de testament esthétique où chaque femme pourra trouver la solution à ses problémes propres.

ANDR~

GORZ

LE SOCIALISME DIFFICILE

~DITIONS

DU SEUIL

André Gorz

LE SOCIALISME DIFFICILE Pour quoi faire le socialisme? Pour construire 250.000 logeme nts sociaux plutôt que 200.000 ? Pour augmenter de 10 % plutôt que de 5 % les salaires ouvriers ? .. Le jeu n'en vaut pas la chandelle. Le capitalisme a appris à résister aux revendications et aux réformes même partielles: la classe ouvrière ne prendra pas les risques d'une épreuve de force glObale pour obtenir des amélilirations quantitatives. Alors, pour quoi ? Collection ""Histoire immédiate" 256 p., 15 F

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3 - La butte de Satory, par Pierre Halel3 f Chronique d'un procès du Capitaine Louis Rossel, Délégué de la Commune de Paris. Pièce créée 'Ie 12 juin au TNP, salle Gémier. POLITIQUE 11-12 - Histoire de la Révolution russe, par Trotsky. Tome 1 : Février 1917 - 512 p. 9,50 f Tome 2 : Octobre 1917 - 768 p. 9,50 f Un modèle inégalé d'histoire marxiste. SOCIFr~

20 - L'eau, par Ivan Chérel 4,50 f L'eau pure, produit de luxe? - Des fleuves transformés en égouts ... - Le prix de l'eau - L'eau et l'aménagement du territoire. MICROCOSME Coll. illustrée "Le Rayon de la Science". 28 - Histoire des mammifères, par René Lavocal 6 f Par un spécialiste connu de paléor"..,'nqie des mammifères.

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s. Jacquemard NAVIGATION VERS LES ILES "Ces nouvelles sont autant de victoires éclatantes remportées par l'imagination qui crève l'enveloppe du possible ét fait surgir, présentes, réelles, actuelles, utilisables, les formes désirées de cet envers du vrai qui ne se livre pas sans qu'on le force". (Josane Duranteau, La Quinzaine Littéraire). 192 p., 12 F

TEL QUEL revue littéraire trimestrielle n° 29. Jean Genet Roman Jakobson Philippe Sollers Jean Pierre Faye Julia Kristeva Edoardo Sanguineti le n° 7,50 F - Abt à 4 no' 30 F

CAHIERS POUR L'ANALYSE publiés par le Cercle d'épistémologie de l'Ecole Normale Supérieure N° 7 : Du mythe au roman Le n° 6 F - Ab! du n° 8 au n° 10: 15 F Diffusion Il Paris : Ecrire à .. Cahiers pour l'Analyse"., 45, rue d'Ulm - Paris 5' Diffusion en province et &\ l'étranger : Editions du Seuil, 27, rue Jacob, 6'


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