La Quinzaine littéraire n°21 du 1er février 1966

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Ulnzalne 1i ttéraire

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Numéro 21 .

1er au 15 février 1967

Inédit

Sociologies américaine et soviétique Un poèDle de

nsure en France Baudelaire?

Du nouveau sur Lévi-Strauss .Henri Lefebvre .La Chine de

Mao .Hemingway .De Dürer à Holbein


SOMMAIRE

L. LIVB. D. LA QUINZAIN.

Claude Lévi-Strauss

Du miel aux cendres

par François Châtelet

1)

BISTOIBlI

Charles Baudelaire

Lettres inédites aux swns

par Claude Pichois

Roland Duhillard

le dirflÏ que je suis tombé La maison d'os

par Robert Ahirached

Aragon

Les Aventures de Télémaque Le Paysan de Paris

par Raymond Jean

Lieux sur une planète petite

par Henri Michaux

Les Cacagons

par Guy Rohou

En France: aggravation En Grande-Bretagne: un pas en arrière

par Marc Saporta par John Calder

Ernest Hemingway A.-E. Hotchner Primo Levi

Œuvres complètes romanesques Papa Hemingway La Trêve

par J ean Wagner

Otto Benesch

La Peinture allemande de Dürer à Holbein

par Marcel Brion

Sociologie soviétique et sociologie américaine

par Raymond Aron

7 8

10

BOMAN FBANÇAIS

tt Il

CBNSURB

1"

LITTaRATURB aTBANGj:RE

Marc Beigbeder

par Georges Piroué

18

ART

18

INaDIT

10

PHILOSOPHIE

D. Christoff

Husserl

par André Akoun

Il

PSYCHANALYSE

Melanie Klein

Développements de la psychanalyse

par Roger Dadoun

POLITIQUE

K.-S. Karol

La Chine de Mao

par Albert Lalauze

Petite lettre persane

par Henri Lefebvre

La Bande des Pieds-Nickelés Les Pieds-Nickelés s'en vont en guerre

par Michel-Claude Jalard

.a 15

.7

LETTRE DE TaHaBAN BANDES DBSSINaES

Louis Forton

18

QUINZE JOURS

La filiation ou la modification

par Pierre Bourgeade

19

PARIS

Nathalie Sarraute au Petit Odéon

par Simone Benmussa

Publicité Littéraire: 71 rue des Saints-Pères, Paris 6 Téléphone 548.78.21.

Crédits photographiques

François Erva!, Maurice N.deau

Conseiller Joseph Breitbllch

Comité de Rédaction Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Mkhel Foucault, Gilbert Walusinski. lnlnrmation!l: Marc Sal'orta

La Quinzaine littéraire

Direction (,rtistique Pierre Bernard Administration Jacques l..ory Rédaction, administration: "3 rue du Temple, Paris 40 Téléphone 887.48.58 Imprimerie: Coty S.A. Il rue F.-Gambon_ Paris 20

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Publiâté générale: au journal. Abonm-!ments : Un an : 42 F, l,ingt-trois numt!ro•. Six mois: 21 F. doru,e numértll. Etudiants: si, mois 20 F. Etran~er : Un an: 50 F. Six mois: 30 F. Tarif postal pour t"nvoi par avion, au journal. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal. C.C.P. Paris 15.551.53.

Directeur de la publication: François Emanuel. Copyright La Quin.zaine littéraire

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p. 17 p. 19 p. 21 p. 23 p. 25 p. 27 p,27 p. 29

H. Cartier-Bresson, magnum Le Seuil éd. Jean-Claude Maillard Brassaï Dessin Maurice Henry Dominic, Londres H. Malmherg, Rapho Robert Capa, magnum Skira éd. Skira éd. Roger Viollet Elliott Erwitt, magnum Marc Rihoud, magnum Thomas Hopker, magnum Azur éd. Azur éd. Pic


LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Le nUel et le tabac Claude Lévi-Strauss Du miel aux cendres (Mythologies, 2) Plon éd., 452 p.

Il y a seize ans, Claude LéviStrauss achevait son introduction à l'édition de l'œuvre de Marcel Mauss par une citation de l'auteur dont il établissait une admirable préface: « Il faut, avant tout, dresser le catalogue le plus grand possible de catégories: il faut partir de toutes celles dont on peut savoir que les hommes se sont servis. On verra alors qu'il y a bien des lunes mortes, ou pâles, ou obscures, au firmament de la Raison.» Cc catalogue, Lévi-Strauss, avec un souci scientifique inlassable, continue, depuis les Structures élémentaires de la parenté, de le dresser. La préoccupation est scientifique, elle n'est pas seulement empirique. Comme dans le Cru et le Cuit, ce deuxième volume des Mythologies, consacré à l'analyse différentielle des représentations réelles et imaginaires du miel et du tabac dans les mythes et les pratiques des populations dites sauvages des Indiens d'Amérique du Sud, ne se limite pas à une recension ou à une énumération. L'ethnologue face à un matériau, en apparence, disparate fait surgir, par des recoupements rigoureux, les principes d'intelligibilité immanents qui président à l'élaboration de ces récits, principes sans lesquels ils resteraient des histoh '!s, « racontées par un idiot, pleines de bruit et de fureur. » Bref, l'Histoire ... Comme dans le Cru et le Cuit, ces Mythologies imposent au lecteur un autre mode de pensée qui, pour peu qu'il y réfléchisse. qu'il s'y arrête, introduit une autre perception du langage et des significations, Ulle autre logique qui n 'a pas la cohérence convenue et imposée par le principe d'identité (ou par sa négation abstraite: la dialectique) et qui n'en recèlp pas moins son ordre. Bien sûr, le « jaguar» n'est pas constitué comme concept, comme essence dont on pourrait fixer les qualités intrinsèques: il fonctionne, dans la pratique de pensée, « comme » un concept dont il est possible de déterminer, précisément, les relations avec d'autres notions à partir desquelles, lui et elles, prennent leur signification effective. Or c'est cette vérité du discours que le surréalisme, entre autres, dans les traverses de son expression, a essayé d'administrer: qu'il y a de la raison - infra, supra ou para - dans ce que la raison (actuelle) nomme déraison. A lire ces mythes, à suivre, peu à peu, la leçon que Lévi-Strauss en tire, on se transforme: on découvre, maladroitement - bien que le fil de l'interprétation soit clairement indiqué - et comme dans la gêne, que cette CI: logique », cet art de relier les uns aux autres, dont la

pensée moderne est si fière et à laquelle elle accroche sa rhétorique, son idéologie et sa science, n'est qu'une logique à côté d'autres « logiques» possibles, tout aussi ordonnées et efficaces: et de la sorte, on saisit, non sans perplexité, ce fait que les légitimations que « la civilisation industrielle» donne de sa propre activité n'ont de sens que par rapport à cette activité, qu'elles ne sauraient avoir valeur absolue et que rordre dont elles se prévalent n -est pas le seul ordre qu'on peut concevoir et pratiquer.

Des «réoits légendaires» Mais l'œuvre de Lévi-Strauss se situe à un niveau plus profond et plus grave encore. Le plaisir ambigu qu'on a à lire ces « récits légendaires», à les goûter comme tels, à suivre leurs articulations, dont le texte établit admirablement l'évidence, le désarroi intellectuel où, du coup, on est mis - comme devant une vérité dont on n'aurait pas soupçonné qu'elle pût être « vraie» - , tout cela, qui est beaucoup, n'est rien si l'on songe à la confirmation scientifique qu'un tel ouvrage apporte à la perspective théorique nouvelle dont Lévi-Strauss a été le patient initia· teur. Lévi-Strauss n'aime pas qu'on le tienne pour un philosophe. Il s'irrite lorsqu'on lui reproche de contester, par ses analyses, les propos de la philosophie actuelle. Il veut n'être rien qu'un savant ethnologue communiquant, dans les limites et l'ampleur de son savoir

Ln Quinzaine littéraire, 1" au 15 février 196 ••

Claude Lévi-Strauss.

positivement fondé, les informations qu'il a pu recueillir et dominer. Cette réserve, on la comprend trop bien. Ancienne elle date de presque vingt ans - , elle anticipait, par son refus de la vulgarité et des faux problèmes, elle répétait, à l'avance, comme inessentiel l'aberrant débat contemporain qui s'est institué autour du « structuralisme». Les amalgames actuellement opérés, qui n'ont ni queue ni tête, ni projet, ni rejet, qui vont jusqu'à faire de l'ethnologie « lévistraussienne» l'élément moteur d'un « camp idéologique» lui donnent bien raison. La mode et l'opinion des imbéciles ne changent cependant pas, malgré leur puissance ésotérique, le sens des concepts. Ce qui rend particulièrement précieux ce nouveau texte scientifique, c'est qu'il développe, renforce et infléchit une théorie dont les Structures élémen· taires de la parenté donnaient les éléments majeurs, dont la Pensée sauvage indiquait clairement les directions. Cette théorie, elle ressortit, très précisément, à l'idéal cartésien (ou, mieux, leibnizien) d'une malthesis universalis, d'un savoir absolu définissant, rigoureusement, les possibilités combinatoires de réalisation offertes à l'activité et à la pensée de l'homme. Descartes, Leibniz n'a\"aient d'autre centre de réf(:rence que le « Je pense» (ce qui voulait dire: « Dieu comme Je - pense»). Lévi-Strauss qui, de la sorte, réincarne, miraculeusement, pour le bien de notre connaissance, J .-J. Rousseau refuse cette limitation: ce qu'il prend pour objet de sa réflexion, c'est la société, ou mieux, le fait de société. Et,

comme il n'apprécie guère les reconstructions fantaisistes, cette société, il la saisit au stade d'une simplicité qui permet une appréhension totale, lorsque dans la pauvreté elle élabore, pratiquement close sur soi, les solutions qui lui permettent de survivre. Les Structures élémentaires. de la parenté mettent en évidence l'ordre de la sexualité, qui gouverne la double exigence du désir et de la procréation. Comme premier terme de « la science universelle» vient la prohibition de l'inceste, constitutif du statut de l'homme comme culture, c'est-àdire, p'récisément, de la rupture naturelle imposée, désormais, entre nature et culture. Or cet ordre, effectivement pratiqué les recoupements empiriques le prouvent détermine une logique, c'est-à-dire une régulation stricte, non seulement des activités sexuelles, mais encore des échanges d'informations et de biens de consommation.

La pensée domestiquée C'est dans la même optique qu'il faut concevoir le rapport à la « nature ». En des pages saisissantes, la Pensée sauvage montre que cette organisation de la culture se double d(> la constitution d'un monde. Ceux qu'on appcJle les « primitifs» et qu'on tenait naguère pour entièrement régis par les principes illogiques de la « magie » et de la « participation », définissent sans arrêt des catégories et opèrent inlassablement des classifications; ils se livrent à une constante mise en ordre de la réalité, mise en ordre, dont l'efficacité formelle est au moins aussi grande que celle de la science actuelle. Entre la « pensée sauvage» et ce que Lévi-Strauss nomme ( la pensée domestiquée », soumise au principe du rendement, il }" ,; cependant une opposition fonJumcntale: la première {ois se fonl1e sur les qualités sensibles, la seconde SUT des données abstraites . Elles constituent ainsi deux don.aines hétérogènes: « Selon chaque cas, If' monde physique est abordé pur df'1I bouts opposés: l'un suprêmement concret, l'autre suprêmement abstrait; et soit sous l'angle des qualités sensibles, soit celui des propriétés formelles. Mais que, théoriquement au moins, et si de brusques changements de perspective ne s'étaient pas produits, ces deux cheminements fussent promis à se rejoindre, explique qu'ils aient l'un et l'autre, dans le temps et dans l'espace, conduit à deux savoirs distincts bien qu'également positifs: celui dont une théorie du sensible a fourni [Ci base, et qui continue de pourvoir à MS besoins essentiels par le moyen de ces arts de la civilisation: agriculture, élevage, poterie, tissage, conservation ~


ÉDITEUR ~

le miel et le tabac

et préparation des aliments, etc., dont l'époque néolithique marque l'épanouissement et celui qui se situe d'emblée sur le plan de l'intelligible et dont la science contemporaine est issue. » Le Cru et le Cuit se situe précisément à ce niveau d'organisation des qualités sensibles. L'analyse, qui porte sur les mythes concernant l'origine de la cuisine, des matériaux qui entrent dans la composition du « comestible» et des traitements appropriés que chacun d'entre ceux-ci doit subir, se développe comme une composition musicale. Elle articule, selon l'ordre qui leur est propre, ces variations autour d'un thème unique, mais subtilement diversifié. Se trouve alors révélé l'imaginaire - ou, si l'on préfère, l'architecture culturelle à partir de quoi se thématise et se répartit ce fondamental « sensible commun», pour parler comme Aristote, qui est le « mangeable». Nous en sommes encore à la qualité sensible, aux classifications bipolaires qui l'ordonne et aux transformations bipolaires et repérables que celles-ci subsistent.

La surnature Or, dans ces mythes mêmes, un autre ordre déjà s'inscrit que l'étude d'autres récits sud-américains va mettre en évidence. Dans la qualité sensible, d'abord: le Miel, c'est l'en-deçà de ce que la nature fournit à la cuisine, c'est un donné déjà travaillé mais naturel: c'est un produit qui n'est pas produit par l'homme; c'est aussi un produit qui, laissé à soi, travaille de soi-même, fermente et se transforme. L' « activité » du Miel est une contestation, par le bas, de l'organisation culinaire, qu'elle ramène, finalement, à la spontanéité « naturelle ». Quant au Tabac, il fonctionne comme au-delà de la cuisine; incinération et fumée, il introduit la « surnature »,.le monde à la fois surnaturel et sacré où flottent les volutes d'un savoir mystérieux. A la vérité, ce que le serpent a dû proposer, jadis, à Eve, ce n'est point la pomme, concrétion fade et banale du jeu naturel, mais la feuille odorante, matériau du cigare, signifiant . exemplaire de tous les péchés indi. viduels et sociaux à venir... Mère de nos fautes, Eve, si l'on en croit les suggestions de Lévi-Strauss, a moins de goût pour les vitamines que pour la nicotine et sa cuisse a été moins légère que manufacturière ...

Il y a donc du plus-que-cuisine et du moins-que-cuisine, qui appartient à cet autre ordre du désir, qui, tout autant que la sexualité, renvoie au statut de la culture et en définit les modalités. Mais, en même temps, l'analyse s'élargit. Le Cru et le Cuit opposait le naturel et le culturel « comestibles », le 4

frais et le pourri, le sec et l'humide ... Bref, des qualités sensibles. L'analyse des mythes qui jalonnent l'antagonisme du Miel et du Tabac fait apparaître une autre dialectique qui relève, cette fois, de la logique des formes: le vide et le plein, le contenant et le contenu, l'englobant et l'englobé, l'inclus et l'exclu ...

Albin Miohel

Nouvelles oolleotions

qui est une tentative d'adaptation d'Euripide par Alexandre Arnoux.

La collection • Sciences d'aujourLes éditions Albin Michel, qui sont d'hui • s'énorgueillit d'auteurs tels nées avec le siècle, ont connu des que Louis de Broglie ou Leprincesuccès de vente notoires avec des Ringuet et se propose de nous monauteurs tels que Romain Rolland, Guy trer l'attitude des savants face au de Maupassant, Roland Dorgelès, monde actuel. Pierre Benoit ou Thomas Mann et, plus récemment, Claude Mauriac ou La collection • Art dans le monde ", Miguel Angel Asturias. La caractéris- abondamment illustrée et d'une prétique de cette maison est peut-être sentation particulièrement soignée, l'éventail extrêmement large de ses fera paraître en mars le Siècle de collections. Un gros effort de renou- Charlemagne, et, en avril, la Peinture La pensée sauvage est déjà dans vellement a été fait sur la présentaromantique de Marcel Brion et l'Art l'abstrait, un abstrait perçu et pration des livres. De nouvelles collec- de l'Islam, traduit de l'allemand, de tiqué comme donnée sensible. Elle tions ont été créées telles que la Katherina Otto-Dorn. collection • Terrain Vague ", tribune ne balbutie pas la science à venir ; Dans la • collection cartonnée ", on jeunes auteurs, qui, avec offerte aux elle définit une organisation de annonce, pour février. un livre traduit les Cahiers de l'hypocrite de Ch. Sinl'activité dont l'efficacité - à côté du norvégien et qui relate l'aventure ger, prit un très bon départ en mars de l'ordre scientifique se fait vécue (et révisée par le héros) d'un 1965 et annonce pour février son agent double, héros de la résistance sixième titre: Florence sans soleil de encore sentir. Et il faudrait bien anti nazie: Risquer plus que la vie, Karlheinz Deschner, traduit de l'allede l'aveuglement pour ne pas saisir de Per Hansson. On compte beaumand, ou la collection • Nouvelles de présence dans nos conduites les nouvelles" qui se propose de publier coup également sur la réédition de plus banales, celles qui règlent le des nOl:fvelles du monde entier et qui, . Lady Chatterley, première des trois versions de l'Amant de Lady Chatteravec les Miroirs de Lida-Sal de Miguel domaine de la vie quotidienne, en ley de Lawrence et qui apparaît comme AIlIIe1 Asturias, annoncés pour avril particulier. la plus spontanée sinon la plus litté1~67, en sera à son sixième recueil. raire. La collection • Lettre ouverte ", enfin, Ce n'est certes pas que Lévirésolument pamphlétaire et qui tire à Strauss veuille faire valoir les Enfin, les éditions Albin Michel pu12000 exemplaires au départ, a atteint blient également de nombreux ouvradroits de la « sauvagerie » contre des chiffres de vente de 35 000 exem- ges de vulgarisation, tels que les la « rationalité domestiquée ». Il plaires pour la Lettre ouverte à Dieu • Guides Albin Michel", destinés à d'Est:arpit ou de 60000 pour la Lettre exclut, avec une telle vigueur, les occuper les loisirs des Français et jugements de valeur qu'on ne ' ouverte à un jeune homme d'André qui, avec le Guide des collections Maurois. On attend avec beaucoup de et des collectionneurs par Jean-Louis saurait lui reprocher d'être ce curiosité, au printemps prochain, la Bau en mars, en seront à leur deuxièRousseau, amoureux de l'archaïsLettre ouverte au Pape, de Jacques me titre, ou encore des livres de gasLaurent, qui apparaît comme particu- tronomie tel la Cuisine au café par me, dont Voltaire a construit lièrement virulente. De nombreux pro- William 1. Kaufman, à paraître en arbitrairement l'image. Ce à quoi jets de collections sont également sur février, qui fait l'inventaire de toutes l'auteur des Mythologies s'applile chantier. En attendant, on poursuit les manières de préparer le café et que, c'est à définir la relation les grandes collections existantes tout de tous les plats où l'on fait interen s'attachant à éviter l'inflation d'un venir du café ; des livres de voyage nature-culture. Il a d'abord pris catalogue qui, au départ, se voulait comme, par exemple, le Japon d'hier cette opposition - dans les Strucpeut-être par trop encyclopédique. où l'auteur, Didier Lazard, nous invite tures élémentaires de la parenté à nous pencher avec lui sur toutes comme un fait. Il la considère, les survivances du passé qui exisColleetion8 d"hUtoire aujourd'hui, semble-t-il, comme un tent dans ce pays, des livres policiers et des livres d'espionnage. mythe dont la culture a un besoin logique pour se constituer, avec et La part la plus importante reste Outre les romans et les essais, ce contre la nature, définie comme catalogue comprend, en effet, trois réservée le roman. Parmi les romans étrangers, on annonce, outre le livre cette fausse altérité en quoi tout grandes collections d'histoire: • Evode Deschner et le recueil de nouvellution de l'humanité ", • Histoire du se donne et rien ne s'effectue. La les d'Asturias, un roman traduit du XX· siècle" et • le Mémorial des siènature, c'est la « chose-en-soi = turc: Ce qui arriva avec le printemps. cles ". Sous la direction de Gérard Ce livre retrace les angoisses d'un x », selon la formule de Kant, mais Walter, le programme de cette derjeune homme pendant son service miun x qui développe des équations nière collection prévoit 40 titres, à litaire et la confession qu'il en fait au raison de deux par siècle, l'un consa' constitutives. Entre les diverses médecin du régiment. cré à un homme, l'autre à un événeéventuali,t és que définit ce dévement particulièrement caractéristique. Un livre traduit du hongrois et peutloppement, entre les multiples On trouve ainsi, pour le XVII' siècle, être plus accessible au grand publie: possibilités offertes, c'est l'histoire, un volume consacré à Louis XIV et Trente-deux heures de liberté par Gyula un volume consacré à la révolution Hernadi. Roman psychologique, il a .« l'inanité et la puissance» de anglaise; on nous annonce, pour le pour originalité d'être le premier paru l'événement, qui décide. printemps prochain, deux ouvrages en Hongrie dont l'action se situe après Elle n'actualise cependant que consacrés au XVIII' siècle : Frédéles événements de 56. Traduit égaieric Il, par Pierre Gaxotte et la Révoment du hongrois, le livre de Tibor ce qui peut être actualisé. Lévilution française par Gérard Walter. Déry : l'Excommunicateur. Un roman Strauss est peut-être, au fond, un Tous ces livres, qui devraient toude Hans Fallada, d'un genre un peu de ces penseurs qu'on stigmatise cher le grand public et sur lesquels picaresque comme son titre l'indiaujourd'hui de toute part, beaucoup d'efforts vont être portés que: Don Quichotte de Poméranie, dans les mois qui suivent, compor- et un roman qui reçut un accueil très chrétiens et marxistes comme tent une introduction d'une cinquan- favorable de la critique anglaise : « matérialiste niécaniste », c'est-àtaine de pages, confiée à un spécia- la Chanson de Mrs Galbraith par la dire un théoricien qui juge que liste, et une série de textes d'époque jeune romancière Villa-Gilbert. D'un l'énigme de la pensée a son secret pour la plupart inédits ou, comme tour un peu féministe, il relate les dans le cas des Capitulaires de Charamours d'un jeune garçon et d'une dans l'ordre des compossibles élalemagne, traduits pour la première femme de quarante ans dans la bourborés par cette machine cybernéfois en français. Hors collection, on geoisie anglaise aisée. tique qu'est le système nerveux annonce également pour février une de l'homme. . étude de Charles Verlinden : les OriRomana français Si cette 'interprétation est exacte, gines de la civilisation atlantique, où l'auteur Signale l'importance des inil a bién raison. Raison de nous fluences venues de l'Ouest sur notre Parmi les romans françaiS figurent apporter des matériaux et des exmonde trop soÙvent caractérisé comme méditerranéen et, pour mars, une un livre de Gabriel Delaunay, ancien . plications d'une richesse exceptiondirecteur de l'O.R.T.F. : le Miroir Histoire de l'antisémitisme due au nelle, raison de se tenir à l'écart journaliste autrichien Helmut Andics d'étain. L'auteur y expose la méditades querelles actuelles, avec lesqui, très documenté, ~tudie l'antisé- tion douloureuse d'un homme publie quelles, décidément, il n'a rien à mitisme dans le mond~ depuiS les confronté à l'image réelle que lui renpharaons, ainsi qu'une étude de Jac- voient son miroir et sa conscience voir. Au-delà de la mode qui l'acques Mercier : Napoléon quitte la On compte beaucoup sur un premier cueille aujourd'hui, on sait que ce scène où l'auteur analyse l'effondre- roman de Henry Bonnler : Delphine. grand voyageur est un de ces D'un ton particulier il analyse la dément de l'empire et de la société grands théoriciens autour desquels issue de lui au moment de la guerre gradation progressive, à partir d'une rupture, qui mènera son héroïne au de 70. se construit une mutation décisive suicide. On annonce également pour de la pensée. Dans la série • Théâtre " on pré- mai un roman de Georges Conchon François Châtelet voit pour février la Double Hélène dont le titre provisoire est le Gaucher.


HISTOIRE LITTÉRAIRE

Du nouveau sur la jeunesse de Baudelaire Charles Baudelaire Lettres inédites aux siens publiées par Philippe Anserve Grasset éd., 246 p.

Le 5 janvier, le Figaro littéraire titrait en première page, avec des caractères quasiment dignes de France-Soir: « Des inédits de Baudelaire retrouvés par miracle. Un sonnet d'adolescence et des lettres de collégien découverts dans les ruines d'une maison donnent une vision nouvelle de l'enfance du poète. » On le voit par les mots miracle et vision: il ne s'agit pas ici d'histoire littéraire, mais de théologie mystique. Le Figaro littéraire refuserait-il à ses lecteurs l'objectivité que le Figaro tout court conteste à des journaux de gauche? La présentation de ces lettres multiplie les contrevérités. Je cite: « Un miracle [ ... ] qui survient l'année même du centenaire de la mort de Baudelaire: on a découvert une centaine de lettres du grand poète ». Par malheur, le miracle ne s'est pas produit l'année du centenaire de la mort de Baudelaire, il est antérieur de quinze ans puisque c'est le 7 juin 1952 que le Figaro littéraire luimême insérait plusieurs lettres retrouvées à la même source florentine et communiquées par les héritiers collatéraux de Baudelaire les Ducessois, neveux de la suivante au poète Théophile Briant. Je cite encore: « Mlle Ducessois [ ... ] brûla une partie de ces papiers et céda les , autres à Jacques Crépet qui les publia. Mais ' une liasse, conservée de génération en génération, échoua dans une maison que les bombardements démolirent. [ ... ] Des maçons, en relevant un mur, trouvèrent un paquet enveloppé de toile cirée » : les lettres que publie M. Auserve. La fiction est amusante, sinon probante: Jacques Crépet m'avait dit avoir eu connaissance de ces lettres avant ou pendant la première guerre et ne les avoir pas achetées, obligé qu'il était de choisir entre ce paquet et deux autres lots plus importants, les grandes lettres écrites à sa mère par le Baudelaire de la maturité et de la précoce vieillesse.

... .

Baudelaire jeune,

il n'en tiendrait pas plus compte que d'une protestation ironique qu'il reçut après avoir publié, sous la plume féconde de Maurice Rat et comme inédit, un document relatif au procès des Fleurs du Mal qui avait été inséré auparavant, entre autres, dans un ouvrage tiré à '6000 exemplaires. Il est dommage que M. Philippe Auserve ait été mené sur cette galère et qu'indirectement il contribue à fausser l'image de Baudelaire. Le Figaro, en 1857, avait, assure-t-on, attiré, par un article de G. Bourdin, l'attention de la Justice sur les Fleurs du Mal. En 1967, il fait planer sur Baudelaire l'ombre de l'homosexualité, au détour d'une phrase peut-être volontairement ambiguë : « [ ••• ] La correspondance fait quelque lumière sur les circonstances de l'exclusion du lycée Louis-Ie-Grand que certains biographes expliquent par une « amitié particulière ». En fait, le texte de la lettre prétendue inédite par laquelle le proviseur de Louis - le - Grand annonce à M. Aupick le renvoi de Charles, ce texte est connu depuis bien longtemps par l'ouvrage que Dupont-Ferrier a écrit sur le lycée. Aucune lumière nouvelle n'en jaillit. Il n'importe qu'à certaines morales que Baudelaire ait été homo ou hétérosexuel; mais les Amitiés psychologues en jugent autrement: partioulières qu'Albertine soit Albert, est-ce indifférent? Sartre ne l'a pas cru. Enfin nous offre-t-on une « viCela dit, la publication de sion nouvelle» de l'enfance du M. Auserve est intéressante, et poète? Cela n'est vrai que pour même fort intéressante pour les ceu?, qui n'ônt pas ouvert la Cor- spécialistes. On pourrait reprocher respondance générale, publiée par à M. Auserve la grisaille de sa Jacques Crepet, au premier numé- , préface, due sans doute à une ro, celui d'une lettre adressée par assez longue , fréquentation de Charles à son demi-frère le 22 l'abbé Delille à qui l' « inventeur» novembre 1833, lettre dont le ton a , consacré naguère un ouvrage, est celui de la plus grànde partie due aussi à des réticences provoquées par les précédents détenteurs du nouveau recueil. Il est inutile de faire part au des originaux, en sorte que, les Figaro littéraire de ces remarques: circonstances de la tradition et de La Quinzaine littéraire, lU au 15 février 1967.

la découverte n'ayant pas été suffisamment précisées, le lecteur doutera peut-être s'il ne se trouve en face d'apocryphes il aura tort. M. Auserve n'a pas prétendu donner de ces lettres une édition philologique: il indique fort honnê,tement qu'il a pris quelques libertés avec le texte des auto~ graphes. Les notes manquent parfois là où elles sont attendues. Les dates devraient être serrées de plus près. Vétilles, qui relèvent de l'érudition. La valeur du recueil réside surtout dans les lettres écrites par Baudelaire à sa mère, à son beaupère, le général Aupick, et à son demi-frère Claude-Alphonse de 1832 à 1841, c'est-à-dire entre sa douzième et sa vingtième année. A partir de 1842, les lettres sont sporadiques: douze pour vingtdeux ans. Le rythme, déjà brisé en 1835-1836 (trois lettres en tout), devient alors syncopé; le livre se ferme mal. En tout, près de cent lettres. Quelle image se forme-t-on du jeune Baudelaire, le collégien, l'adolescent? Celle' d'un garçon doué, mais dépourvu de géniale précocité. Des accès de certitude, tels que seul un être incertain peut les ressentir. Un ton assez cérémonieux pour être désinvolte. Un sens de la famille où l'affectation le dispute à l'affection réelle. Un goût très vif et très sain de la vie: le mot jouissance s'applique aussi bien au patinage qu'à l'étude du grec. « ... je cherche à me procurer une nouvelle jouissance», écrit-il, pe~ionnaire à Lyon. Et vingt ans plus tard, dans ses journaux intimes, supputant le , résultat d'un travail continu: « Tout est réparable. Il est encore temps. , Qui sait même si des plaisirs nouveaux... ? » Déci'dément, ce petit Jésus aime les voluptés d'ici-bas. La politesse est chez hù, même

sous la forme affectueuse, une défense hérissée. Lui qu'un grimaud voulait célébrer dans le Versailles louis-philippard, il dit son , fait à ce musée créé par la Monarchie de Juillet: c'est au général Aupick qu'il en adresse la critique, mêlant insidieusement à l'éloge de , Vernet, d'Ary Scheffer et de Delacroix, un mot sur le chevalier Regnault, ami de son père et auteur d'une toile, au moins, qui est un chef-d'œuvre (conservée dans un musée étranger), ainsi qu'une critique de la froide peinture de l'Empire premier. Il dissociera plus tard Vernet et ~cheffer de Delacroix; mais la vivacité des attaques qu'il leur portera ne résulterait-elle pas d'une erreur à compenser? Qui dupe-t-il le général, sa mère, lui-même? quand il mêle à ses impressions artistiques le souvenir implicite de son père? Et quand il prie Aupick, qui lui a « promis des leçons d'armes, de manège», de lui donner plutôt un répétiteur qui le prépare au baccalaur,é at ? Quand est-il sincère? Peut-être lorsqu'il entretient sa mère des lectures dont à Louis-le-Grand il occupe son ennui. La littérature contemporaine? « Tout cela est faux, exagéré, extravagant, boursouflé. » Un livre d'Eugène Sue lui tombe des mains. « Il n'y a que les drames, les poésies de Victor Hugo et un livre de SainteBeuve (Volupté) qui m'aient amusé. Je suis complètement dégoûté de la littérature. » Il ne sera jamais satisfait de la siennf' ,

Si vous êtes Baudelaire ... Apparemment, aucune animosité contre son beau-père, avant la faille qui se produit entre août et novembre 1839, entre le baccalauréat et l'entrée à l'Ecole de Droit. Une lettre de novembre 1839 précise l'emploi d'une somme d'argent: « l'ai payé mes drogues, je n'ai plus de courbatures, presque plus de maux de tête, je dors beaucoup mieux; mais j'ai des digestions détestables, et un petit écoulement continuel sans aucune douIeu,.; avec cela un teint magnifique, ce qui fait que personne ne se doute de la chose.» M. Auserve en conclut que Baudelaire a déjà contracté l'affection syphilitique qui l'emportera: il connaît mal les symptômes. Ce n'est qu'une vulgaire blennorrhagie. La syphilis doit être plus tardive, correspondant à cette dette que le 21 janvier 1841 Charles signale, entre autres, à Claude-Alphonse pour lui extorquer de l'argent: deux cents francs empruntés à un camarade et consacrés « à habiller une fille enlevée dans une maison » sans doute Sara la Louchette. «' Vieille dette», déclare-t-il: ce n'est pail comp~tihle avec les ac5


POÉSIE

Du 'nouveau sur la jeu:nesse de Baudelaire

CrépiteDlents

Roland Dubillard comme un piège, notre tête, notre éparpillé en poussières et fait éclacidents primaires de la syphilis, qui ne lui auraient pas laissé longJe dirai que je SULS tombé importante tête, qui échappe à notre ter en un tohu-bohu de petites gouvernement, et nos membres, à scènes crépitantes. Ou, peut-être, temps « un teint magnifique». Si poèmes Gallimard éd., 138 p. leur tour, rebelles et anarchiques. m'étais-je alors tout simplement on l'a embarqué en juin 1841 Inutile de songer à se raccrocher trompé à ce premier contact, car pour l'océan Indien, c'est que à l'amour ou à l'érotisme : les je tiens maintenant la Maison d'os La Maison d'os l'accident était de fraîche date. poèmes amoureux de Dubillard le pour un des chefs-d'œuvre du théâthéâtre Aucune animosité apparente Gallimard éd., 172 p. sont par antiphrase ; ils se bornent tre moderne, même si. par endroits, contre Aupick. Aucun blâme déà rappeler, avec une très précise sa foisonnante architecture échappe claré à sa mère. Le demi-frère cruauté, les impossibilités qui nous au contrôle de son constructeur. joue un triste rôle, quand on sait écartèlent. Comme dans le Roi se meurt, il que, magistrat, il était mal noté Ainsi, certainement, j'avais Tout cela, qu'il faudrait pouvoir s'agit ici de l'inépuisable énigme quelque chose à dire pour sa faiblesse. Il se revenchait examiner de très près, est exprimé que pose à l'homme sa condition sur Charles, le réprimandant, lui facile et vague prodiguant les mercuriales, alors et c'est devenu peu à peu très dur. sur un ton étrange, familier et périssable, mais là où Ionesco a pourtant gnomique, fascinant de cherché à atteindre l'expression que le mercure seul était nécesC'~st Roland Dubillard qui parle. . froideur : chaque poème est une d'une banalité primordiale, Dubilsaire. Aupick, un honnête homme, plus indulgent sans doute, semble Il a vu le vide envahir le monde concrétion de pensée, dissimulée lard a tourné le dos à Job et à innocent des accusations que la et, toutes choscs désassemblées, en dans une gangue ou hérissée d'as- . l'Ecclésiaste pour donner à ce scanpsychanalyse élémentaire du Dr occuper les insterstices. Rendus à pérités. Le langage, dans la me- dale un tour à la fois désespéré et une autonomie littéralement absur- sure où il prive les choses de leurs rigolard. Entre la bouffonnerie et Laforgue a fait peser sur lui. Le tempérament de Bl,ludelaire de, hommes, pierres et plantes se colorations propres, contribue à le lamento lyrique, la provocation est-il seul en cause, aggravé par sont mis sous ses yeux à flotter en nous les renùre étrangères : le mé- et la terreur, le réalisme et l'imal'accident vénérien? Dans l'état suspens, ou à s'enfoncer, ou à tro de Dubillard, ce n'est déjà plus ginaire en furie, il n'a pas voulu actuel de nos connaissances, rien tourner en vrille sur eux-mêmes. le métro, mais ce n'est pas encore choisir : il a joué de toute la gamne permet ni de l'affirmer, ni d'en Parfaitement exsangues (quand Du- un objet fantastique. Ailleurs, de me, avec une exubérance prodidouter. « .. .les meilleures preuves billard évoque une couleur, c'est l'humour, mais glaçant, qu'il se gieuse. du monde sont des actions et non métaphoriquement, comme pour résolve en calembours ou en contreAu point de départ de la pièce, des paroles. J'espère te prouver renvoyer à une figure de rhétori- pèteries (N'augmente pas du choix bientôt ma sincérité» (mot redou- que : le rouge dé la chaleur, le des poses/le poids des choses). une anecdote rapportée par les table, mais que Baudelaire nous bleu du froid). Réduits à des volu- Parfois ericore, des fatrasies. Ou, Goncourt dans leur Journal : la autorisait à employer). « Enfin, un mes dérisoires. Dévorés par leur tout à l'opposé, des rythmes de mort d'une femme très riche, au nouveau trimestre va commencer, propre abstraction. Rien n'est plus chanson, vite brisés, et des jongle- milieu de l'indifférence de ses doma conversion va s'accomplir et lié à rien; ça gargouille de toutes ries clownesques de virtuose . habile mestiques, qui n'ont cessé de faire à jouer des allitérations et des mè- ripaille pendant son agonie. Mais je serai un travailleur. )) « ... J'ai parts, ça se fendille, ça se brise. Toute la poésie de Dubillard pro- tres réguliers (Et ce spectacle aussi cette tragédie bourgeoise est devepris de bonnes résolutions, et je les tiens ... passablement. » Toutes cède de cette vision première, et que mon regard termine / L'Ovale nue sous la plume de Dubillard une ces déclarations, qui auraient pu c'est d'elle que dérive aussi cette Vérolé du Visage d'Hermine). Mais, sorte de farce exemplaire : plongés être . contresignées par l'homme, pièce moqueuse et déchirante qu'il partout, c'est la même question : dans l'anonymat, les personnages n'existent que par leur fonction ont été écrites par l'enfant ou a intitulée la Maison d'os. On aurait Dans la main de qui l'adolescent, mais nettement après tort, pourtant, de parler à ce pro- suis-je encore cette aiguille sans fil sociale; interchangeables, les valets grouillent autour du maître, mais le remariage de sa mère. La pro- pos d'une expérience métaphysi- qui découd derrière elle que : c'est physique qu'il faudrait ce maître lui-même vit par avance crastination et le pari sur l'avenir, ' une couture éternelle ? sa propre mort, il fait comme si. l'asthénie, la défaillance chronique dire, dans la vibration des nerfs de la volonté ne sont-ils pas et le bruit de la tête. Et la même offrande incrédule, interminablement, dans de sinistres A première vue, tout se passe galipettes. Devenu le pitre de sa constitutionnelles chez Baudelaire? terrorisante, terrorisée : propre agonie, il se débat au milieu Il nous manque des témoignages ici comme s'il s'agissait d'un gigande fantômes qu'il veut serviles et antérieurs à la mort du père ou tesque échange, à l'échelle de l'uni- J'apporte seulement, dans mes qui se rebiffent, ploient l'échine, se charrettes, contemporains de celle-ci pour en vers : les champs ont des cheveux, les maisons des yeux, les murs des tout ce qui, pierre ou crâne moquent, grouillent; disparaissent décider. braguettes, et l'homme, quant à et resurgissent tour à -tour, dans un ou ressort de pendule, Baudelaire a-t-il donc choisi lui, est fait de tuyaux et de tubu- un jour fut expulsé de soi-même va-et-vient perpétuel entre le vide l'humiliation, comme Sartre nous lures. Les pommes cohabitent natuet le néant. Toute la vie tient en et jeté le disait? Ou a-t-il été choisi rellement avec les aéroplanes, les hors d'usage et sans nom parmz cette comédie, en cet énigmatique humilié? Reste une interprétation cerises avec la mer, la craie avec débat avec la mort promise et déles pots cassés. qui n'est ni existentialiste ni psy- le gâteau. Mais il n'est pas quesrobée, en cette prolifération des La publication de Je dirai que mots et des mensonges dans l'eschanalytique. Baudelaire, le père, tion de métaphores dans cette poéétait un homme affaibli par l'âge : sie, et cette apparence de commu- je suis tombé vient à point pour pace, vertical et clos, de la maison le prestige appartenait à l'enfant. nication n'est qu'un marché de éclairer le théâtre de Roland Du- tubulaire. Rendus à la liberté, les Aupick, même diminué par sa dupes : elle sert très exactement billard, et singulièrement cette Mai- rapports du maître et de ses domesblessure (Fleurus, 1815), est un à dévaloriser toute chose et à ren- son d'os qui avait été représentée tiques sont rendus du même coup homme que la vie a comblé. Bau- dre les monades à leur fouillis pri- en 1962, dans une version tron- à une férocité toute nue, mais tout quée, au Théâtre de Lutèce et qui le monde est disqualifié dans cet delaire s'offusque de cette diffé- mordial : paraît intégralement aujourd'hui. affrontement : l'univers de la pièce rence; lui qui rêvera toujours la Je me souviens encore du saisis- n'est guère différent de celui des vitalité, la fécondité (celles de Et je compris qu'heureusement sant décor imagme par Arlette poèmes. Règnent ici et là les mêDumas père et de Victor Hugo) les feuilles Reinerg et de l'extraordinaire in- mes images obsessionnelles, le et, même dans l'abjection (au sens ne me demandaient pas de les terprétation de l'auteur (de sa voix, même étrange humour, la même assister dans leur crue, bourgeois), les honneurs, devant Aupick, il se bloque. Aupick ni les pavés dans leur tendresse surtout, rauque, nonchalante, tra- sagesse. Si le mélange, au théâtre, et ni les chaises dans leur paille, versée de colères et d'ironies pres- peut paraître plus corsé et la verve a fait chaque jour ce qu'il ne voulait remettre au lendemain; et ni les yeux dans leur regard. que tendres), mais je dois dire que qui l'exprime plus grinçante ou cette représentation m'avait laissé plus familière, la leçon, non, le Charles remettra au lendemain et Et j'ai senti soudain des kilos frustré. Conçue comme une car- constat demeure identique: « Eh de cerises ne cessera de s'accuser de ces casse ouverte, où l'on peut tout voir bien, c'est le 1er avril. - Si Monreports successifs. Mais là où un quitter ma tête et rentrer dans simultanément, sans référence au- sieur a besoin de quètchose... les cerisiers. général trouve la certitude, un cune à un autre espace que le sien Qu'savez-vous faire? - N'importe poète découvre l'inquiétude et la Détachés. Expulsés. Insensible- propre, non seulement détachée de qzwi. Cirer Monsieur. Le laver. Le chance d'un fruit mûr. Ne faites jamais aujourd'hui ce que vous ment mis hors d'usage: nous voilà, la chronologie, mais du temps graisser. Faire un plan. Cuisiner, pouvez ou croyez pouvoir faire les hommes. Carcasses, maisons même, l'œuvre se présente à la ma- repasser, graver sur cuivre. - Eh demain: dans l'interstice germent d'os, quelque chose nous traîne, nière d'une sculpture monumentale bien, ne faites rien du tout, là dans Bien, Mon sie u r, les Fleurs du Mal. Si vous êtes mais où, mais quoi ? Voyez notre et enchevêtrée; ce qui, à la lec- un coin. mémoire comme un gros trou qui ture, prend une force hallucinante, j'attends. Moi aussi, Monsieur. » Baudelaire ... Robert Abirached Claude Pichois s'aspire lui-même, notre respiration la mise en scène l'avait sans doute 6


•• Aragon Jeune

I\\onsieur Aa soumis à la taxe car ellc

C.il

paralli~1r et tourne dit le photographe aussitôt qu~ les promesses

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b:JlaniquC's aient supporte

Aragon. Le& Aventures de Télémaque Gallimard éd., 129 p. Le Paysan de Paris Le Livre de Poche, 251 p.

Il faut revenir en 1922. Les dadaïstes viennent de faire le procès public de Barrès, « accusé de crime contre la sûreté de l'esprit ». Breton entreprend la convocation d'un « Congrès international pour la détermination des directives et la défense de l'esprit moderne ». Tzara ne le suit pas, qui refuse l'art moderne aussi bien que l'art traditionnel ou que l'art tout court. L'heure de la . rupture approche entre Dada et les futurs surréalistes. Aragon est parmi ceux-ci. Il vient de publier, un livre beau, étrange et provocant qui s'appelle les Aventures de Télémaque. On y retrouve quelqUes professions de foi et discours dadaïstes. On y pressent l'éclat du langage surréaliste. Mais Barrès n'en est pas absent. Au moins en tête du livre Illon peut lire cet exergue, tiré de l'Appel au soldat : « Avec toute la noblesse qu'on voudra, Sturel se créait un état d'âme tl'aventurier ». Aragon nous propose aujourd'hui une réédition de ce livre. Il n'y a pas touché. Il y a simplement ajouté quelques notes, non point récentes mais datées elles-mêmes de 1922: écrites pour un collectionneur qui devait les joindre à son exemplaire, le brouillon en avait été conservé par la Bibliothèque Jacques Doucet._Curieux commentaire qui ne suppose' aucun recul, refuse d'éloigner l'œuvre, de la tenir à distance, mais au contraire adhère à elle de toute la force de l'actualité, nous oblige à la relire au présent. Aragon y voit un double avantage: cela lui enlève la nécessité de revenir sur un texte ancien (il le dit non sans quelque impertinence et se borne à jeter çà et là, au bas des pages, quelques très brèVes « notes de 1966 ») et lui permet de rattacher son œuvre à des « faits réels ». Le lecteur se contentera de cet éclairage. Aragon pense que ces notes tiennent parfaitement lieu de présentation à ce qu'il appelle « un petit ouvrage de sa jeunesse». Petit ouvrage de jeunesse, oui! Mais qui prouve au moins une chose: c'est qu'à vingt-cinq ans Aragon savait écrire dans le Sens le plus pur, le plus absolu, le plus intransigeant de ce mot. Peutêtre était-ce alors le comble de la provocation et du défi (on ne voit guère en effet comment on pourrait nier que telle ou telle page des Aventures de Télémaque soit de la « littérature»). Aujourd'hui, cela nous fait à peu près la même impression que ces œuvres de jeunesse découvertes au hasard d'un musée - de grands peintres modernes, où le public profane découvre avec une stupeur émer-

veillée et naïve que ces gens-là savaient aussi dessiner. Eh bien, Aragon savait dessiner: il savait :Peindre, il savait d6crire, il faisait, comme l'on dit, ce qu'il voulait de sa plume. Le thème, il est vrai, s'y prêtait. S'il ne s'agissait pas de marcher dans les pas de Fénelon, il s'agissait tout de même de montrer le fils d'Ulysse en visite chez Calypso. Ce séjour à Ogygie est tout le sujet des sept livres, comme si des aventures. du héros l'auteur n'avait voulu retenir que cet épisode privilégié: découverte d'une île et d'une femme, d'un monde clos et éblouissant où la parole et l'amour sont les seuls « exercices » possibles, avec la contemplation de la mer, de l'écume, du sable, du corail, des oiseaux, descoquillages ... Certes le discours a sa place dans ces évocations et l'on trouve dans la bouche de Mentor - vieillard d'une verdeur équivoque ou d'un ondin de la suite de Neptune (ou même au fond d'une bouteille de gin ballottée par les flots) des morceaux de manifeste Dada. Mais ce soni les images qui priment et qui d'abord captent le regard (ou frappent l'oreille). Exemple: « La grotte de la déesse s'ouvrait au penchant d'un coteau. Du seuü, on dominait la mer, plus déconcertante que le~ sautes du tèmps multicolore entre les rochers taülés à pic, ruisselants d'écume, sonores comme des tôles et, sur le dos des vagues, les grandes claques de l'aile des engoulevents ». Ailleurs: « F euülages percés de lumière, repos .traversés de lentes apparitions féminines aux pieds silencieux, les jours se partageaient entre des siestes, sous le tamis des tonnelles, et des chasses aussi émouvantes que l'orage, avec l'éclair des longs lévriers blancs, les égarements de la raison au milieu de la forêt, sur les bords des lacs tranquilles ou dans les clairières, regards soudains du ciel au cœur des arbres de bitume». On aurait aucune peine à multiplier les échantillons de cette langue admirable qui est évidemment celle d'un poète, mais qui en prose devient un exceptionnel instrument de détection des mouvements, des formes, des couleurs, des lumières: fait pour explorer un univers onirique où l'imagination visuelle se nourrit de ses propres caprices. C'est le sommet du réalisme mythologique. C'est le sommet de l'écriture aristocratique. D'autant plus surprenante et émouvante il faut le répéter qu'elle surgit d'une entreprise tout entière concertée pour déconsidérer l'écriture.

Il serait imprudent pourtant de ne voir dans les Aventures de T élémaque que les ultimes aventures d'un certain style. Le brillant de l'ouvrage, un certain côté Giraudoux de son accent, ce que l'auteur appelle (aujourd'hui) sa « puérilité», tout cela se résout en une lucide apologie de l'amour. Aragon,

La Quinzaine littéraire, 1er au 15 février 1967.

je mC' lue ct

infame

tu m'a trahi car

il

a toujours, réglé pour mon compte et mon cerveau le repas humide et l'heure inodore du départ mais nous n'étions qu'un organe étrange appelé bleu bleu ct la tour d'aAiches blanche comme l'autruche s'enveloppait de coussins aériens cc n'était plus un secret qu'clle couchait avec une femme

grasse il double caisse avec inscription verreries ct deux minbrcts dit-il comme la pendule el le règlement il double caisse dit-il 3\o'alant la doublure de ce grand oiseau comment s'appelle-t-il dit-il hôpital de nos nuits mais voila au bout des couleurs il a vu notre seigneur cl tout d'un coup le jardin zoologique s'introduisit car contre bande dans le bulletin de la bourse sans payer les contributions au consolateur

Trislan TZARA Gal.erie

DADA

~s sulfates Înallendus dont on s'esl servi pour faire le bleu des mers tropi("ales me rappdlent au res~ct qu'on doit aux productions du g~nie humain,

j'aÎ connu un jeune chien qui ne savaii (l'lis. distribut:r son sang dans ses meml:wes : ad,c" ez-vous au chef de gare,

~s souffles roses de l'enfanl qui vient de naitre font lever des Heurs dans les chambres noires des appareils photographiques.

Cn chien n'est pas un hamac, La philosophie est un mélange de voca-

Fleurs de papier des victoires menlales.

Exposition de

bles. Chaos fail de boue cl d'énigme.

~s yeux noirs ne permettent aucune

f rancis Pkabia

Je n'ai 'lu'u'n~seuleccrtitudc: que je ;:ouÎs mon propre pa~sc-lemps, ct un homme assez poli,

SillE DE SPECUCLES :

Rue du Mont-Blanc,

CENEVE.

el

fi, Ribemont-lJessaignes

VAL SERNER

Le bal Dad. organisé par le Dr Serner, â Gen~ve, le j Mars, a cu un succès énorme. Der ZeltD:leg vient de paraitre a"cc la collaboration de Arp, Giacometti,

Flake, Seh.d, Serner, Tzara

" En Suisse. J'art était une maladie. Depuis que j'ai gagné 100.000 fr., J'art n'cst plus une maladie ).

senti-

êquivoque.

Paris - Electric-Palace :-.IOli S l'timons nn tillll en S31lè ëdairêc: o,;'C!lit l'EIc.: ..·tri..:-l'alllcl', Jemandei' ccs l'ventails d'c.:umc, ie \' cux dire ..:cs ripes "u ,:es \ entil,ltcur!li, 1,Iuei tremhlement si tu clc~.:ends l'es0,; clier .HI miliclI.,le l 'mattention ~~Ile ' ralè. Les ./ln rcu~cs hlelles Jtlnsent ilu-de\i\nt dl's \isitcurs. ,Ic ItUT jettt:il man:':l' r mun tÎ.'I,d rlluJ..\C. 1,1\1\11\ me .10nl1e un fault'ull a rOlllcttc~. ·I.nuis ,\RA (i()~ Ill' ':'>Jl ..·ert, 'n s

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L'exposition Dada aura lieu au mois Ga/~rie

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La BoëtiC',

Il reste très peu d'exemplaires de

Sur la dêmission des dadaïstes de la

" La première aventure céleste

Section d'or. consulter 391 n" II.

de M, Antipyrine", de Trislan Tz.r •. (Zurich 1916).

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La 4 111" manifestation du mouvement DADA aura lieu le 27 Mars, à

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ARAGON

Page d'un numéro de Dadaphone publié en 1920, Elle contient un court texfel d'Aragon ainsi que sa photo.

dans sa . préface, semble en douter. Et cependant il est bien au début de l'itinéraire qui sera celui de sa vie. La rencontre de Télémaque et de la nymphe Eucharis ne se peut oublier (et le nom d'Eucharis cent fois répété est peut-être un des plus beaux cris de l' « amour fou» surréaliste), comme ne se peut oublier la « fête » sensuelle du corps et du cœur du fils d'Ulysse livré aux caresses des divinités de la nature La chèvre de Mongolie qui dort en nous se réveilla. Les esturgeons coururent dans les veines. De la nuit des cheveux se levèrent les cerfs et les oiseaux: chasse enfantine, visages obscurs, les tendres tempêtes des regards se peuplèrent. La faune des orages levée par les chiens célestes aux dents d'éclair, gala des sens désordonnés et perdus, ouvrit ses yeux d'inquiétude derrière les feuülages du temps. Les perce-oreüles dansèrent! Les plongeons commencèrent · une nuit sans fin; les boucs majestueux passèrent à l'horizon; les hermines aux mains noyées du calme glissèrent sur les tapis de mousse; les poissons rouges gémirent plus .doucement que les femmes heureuses. »)

«(

Quatre ans après, dans le Paysan de Paris, le chant d'amour s'élève d'une autre mamere. Peut-être faut-il lire l'admirable hymne à la femme qui résonne dans les dernières pages de ce livre pour comprendre qu'il n'est pas fondamentalement différent. Mais ici l'amour se fait inséparàble d'une. attention

fiévreuse aux « merveilles» du quotidien. Moins prestigieuses peutêtre que les splendeurs de l'île de Calypso. Mais plus secrètement accordées aux rythmes profonds de l'homme, aux battements obscurs de SOll sang. Quel homme? Celui qui se livre au vertige des villes modernes, le somnambule éveillé, l'arpenteur de la nuit. Le mérite de cette nouvelle édition du Paysan de Paris sera de f~ire découvrir à tous ceux qui ne le soupçonnaient pas l'extraordinaire stimulant qu'a été pour l'activité surréaliste la connaissance de la réalité « nocturne» de la rue. Nerval, dans ses Nuits d'octobre, avait déjà ouvert d'étranges voies. Mais avec le Paysan de Paris et, bientôt, Nadja, c'«(st un univers inépuisable que libèrent les plis sinueux des grandes capitales. Galeries couvertes « que l'on nomme d'une façon troublante des - passages» (chères aussi à Pieyre de Mandiargues), boutiques curieusement lumineuses, enseignes « émerveillantes », tout secrète ici l'insolite et la plus confondante poésie. Et sur ces images - dont l'auteur proclame une fois pour toutes avec l'autorité que l'on sait le rôle irremplaçable de stupéfiant - court toujours la même musique: rapide, étinéelante; nerveuse, désinvolte, sèche, juste ... C'est celle qu'on entendra encore dans la Mise à mort. C'est celle qu'on perçoit dans toute l'œuvre d'Aragon. C'est le bruit de sa plume. Une plume dont la jeu- ' nesse ne s'est pas démentie. Raymond 1ean 7


UN POÈME D'BBNRI MICHAUX

Lieux sur Les Cahiers de l'Herne publient, sous la . direction de Raymond Bellour, un remarquable numéro spécial sur Henri Michaux. Nous en extrayons cette suite de poèmes écrits par Michaux en différents lieux, différentes époques, et demeurés jusqu'à présent inédits.

Le fabuleux en passant l'extraordinaire, commun mais la pénitence d'incertitude demeure Nouvelles rives croulantes efforts lilliputiens Il faut se hâter L'Histoire va fermer

De N.

De L.

De Ph.

AY"ec l'œil du dimanche parmi des colonnes investi d'infirmes errant entre des accroupis Voyage On interroge des visages Des visages ne répondent pas des visages imprégnés de tabous

La somme de nouveaux espaces embarrasse le continent est grand encore on va vers de nouvelles embuscades lassé d'avoir à voir

Ils ne regardent pas la femme au visage. Grandeur les accompagne Au nom des Esprits la mère file Au nom des Géants, ils cueillent le fruit et l'absorbent Au nom du Dieu Inconnu ils ramassent le pot tombé à terre

De Sr.

Les semblables fleurissent minime oiseau du temps Nous continuons, inexprimés cristaux, frissons

Hommes, peu Espace, beau'c oup Silence, Un insecte signalise Un insecte reçoit Un insecte par signal acoustique peut-être fait une citation ...

Peuple Phêh, peuple sobre Fierté est leur avoir Ils n'ont pas d'autre maison Silence Silence au passant qui s'arrête Paix sur lui Seulement la paix

De L.

Chaude encore est ici la nuit de l'ignorance Peuple au pagne troué

La lune leur apparaît couverte d'images, couverte d'orages lançant des menaces faisant signe parlant d'avenir COMMUNIQUANT

Nuit! Nuit! La manne des étoiles qui nourrit-elle ?

De T. Indigents à présent mais le cœur est encore riche « Viens, dit aussi bien le plus pauvre dès qu'apparaît un étranger « Viens dans ma maison ( comme tu viendrais dans un vaste domaine Et prends, ~t mange abondamment Ils ne se précautionnent pas contre l'homme venu d'ailleurs Un Dieu, pensent-ils

........................................................ ,_ ............. .

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GALLI MARD


une planète petite Un Dieu a revêtu .la forme d'un voyageur C'est pour nous secourir disent-ils avec simplicité C'est pour nous éclairer De Br. Il faut repartir Le squelette a enterré le cadavre Quand même à Br. on reviendrait vingt fois on ne trouverait personne pour vous accueillir

De l'I.

ou dans la lave des cratères des volcans bouillonnants Ensuite, le vent apporte un feu qui fait mourir

et l'habitant de même et le chaud de même lorsqu'il arrive bruyant, dur, sûr de lui

La population a les nerfs brisés On ne peut attendre d'elle sagesse ou mesure elle a ce qui va avec délire, exaspération, héroïsme ou contrainte pourvu qu'elle aussi soit monstrueuse

Des entrepôts de l'Est, aux -;ntrepôts de l'Ouest je traverse le pays armé excessivement armé d'armes énormes qui dans des parcs attendent le « permis de détruire » Cependant ils construisent.

De D. L'animal-homme encore a un nouveau visage Peuples : désirs à la gueule béante Pourquoi tant de désirs? Pourquoi tant de pays tant de coutumes Pourquoi toujours tant du multiple?

ICI

Ils ne se contentent de rien de petit L'enseignement qui se communique secrètement 1(' brasier brûlant du désir de l'Etre par-dessus tous les êtres la méditation souveraine sur l'Essence sur le réel au-delà du réel le divin qui soudain frappe comm~ une cible voilà l, ur recherche Voilà a quoi ils destinent le parcours de leur vie. Sans se comprendre ceux-ci et les hommes du pays du confort et du zèle au travail se rencontrent dans la ville de H.

D'U. Troupes de bahouins irrités . autrefois peuple grave aimant vénérant la sagesse l'œil ouvert sur les compagnons célestes attendant, préparant la cité « Eternité )t Maintenant ... depuis des siècles ... depuis peut-être quantité de siècles ... L'aube de l'oubli, qui la voit? Mais la pierre se souvient la pierre ne se fatigue pas de porter le savoir continuant seule la civilisation disparue parlant toujours en signes inaltérés durs, calmes, solaires

De S. Des millénaires ont passé mais la race n'a point passé visages venus d'autres âges Une époque lointaine traverse la contemporaine gardant son silence et sa méditation parmi les étendards et les trompettes Qui les connaît ? les reconnaît? L'étranger, il voit la porte de sortie mais la porte d'entrée, il ne la voit pas suivi par des regards au blâme secret

De 1. Dans ce pays la terre souvent tremble émettant lesc bruits terribles provenant des déités dérangées D'habitants ' il en meurt beaucoup soit de saisissement soit qu'ils se jettent eux-mêmes sous les toits qui s'effondrent La Quinzaine littéraire, 1er au. 15 février 1967.

De G. En ce pays et dans les pays autour de ce pays et dans les pays de l'autre côté et dans les pays qui entourent les pays de l'autre côté de ce pays présentement foule partout, foule Maladie des ensembles C'est l'époque du flot Masse augmente Ils pensent penser ensemble Villes Villes Encore des villes Etages. Etages Sans fin des étages mais ce sont des étages pour le nivellement Bruit Bruit augmente mangeant le silence de façon qu'il n'en reste plus rien Le sang du silence coule constamment Entre de hauts mul'8 on brouette ses soucis le temps d'être au monde d'être parricide fratricide Entre deux âges on hisse ses couleurs Ne peut plus changer, le courant. La nappe qui ne conduit nulle part vient de partout Dans la tête une ' divinité veuve A tous les coins du monde des chiens parcourent les steppes à loups pour en faire des chiens Sous le front ne peuvent plus se dissiper les plantes lumineuses Le plus petit prodige est un tic Même les lions dans la savane ont appris qu'ils n'étaient plus rois

D'A. J'arrive à présent au pays des élans nouveaux. Je passe par le puissant pays principal par la force où les vents sont forts et brutaux et le froid de même

Henri Michaux et 3a femme, en haut du mont loly. en 1945. Photo de Brassaï.

Font, défont, refont, Science est leur Dragon doué de p~nce d'ubi,quité_ Eclatantes sont les lumières La ville de demain sera magnifique Replié , j'écoute les brisants où un grand navire va se briser va tout briser Les tirs ont cessé mais le calme n'est pas revenu LIT entre deux guerres Paix, précipice d'attente

La naissance de la Grande Mort de la Mort universelle a commencé Ils le savent Un soir paraîtra le dernier journal le moment sera venu le moment sera là le moment de la paille touchant à la flamme Tu vas continuer sans nous, Terre des' hommes Tu vas continuel', toi

1964-1966

Copyright L'Herne éd. 9


HUMOUR

ROMAN FRANÇAIS

Voyage en Cacagonie Marc Beigbeder Les Cacagons R. Morel éd., 165 p.

Les Cacagons, ce sont les frères des Emanglons, des Meidosems et des Hivinizikis que l'on voyait s'agiter et proliférer dans le Voyage .. en

Grande

Garabagne

décrit avec force détails ces personnages polymorphes et asexués dont le comportement lui échappe jusqu'à ce qu'il découvre fortuitement l'existence d'un tribunal composé de sergents noirs, de foUrriers et d'oiseaux chauves chargés de juger les malheureUx Cacagons, lesquels, pour se défendre, n'ont d'autre ressource que celle de leurs diaboliques métamorphoses. Mais la lutte est inégale et la justice, serve du pouvoir, condamne irré-. vocablement tous les prévenus : « Quel que fût le comportement

de Michaux. Dans le pays de Cacagonie, les habitants ont un bec, des ailes - comme les oiseaux que rencontrait Cyrano de Bergerac mais ils tirent au fusil et leur forme n'est jamais assurée, ils pous- des amenés devant le bureau, l'issent en tous sens des pseudopodes, . sue de la séance, V ous l'avez vu, s'agglutinent, s'accrochent à des Seigneur, était toujours la même. aiguilles piquées dans les murs et Il s'agissait, après un bref simuse font Li guerre, s' « entr'absor- lacre, de renvoyer les Qmené$ bent» plutôt comme des cellules échappés au fond. P~ut-être n'étaitaux contours incertains. Chargé ce pas un simulacre, mais un effort par un mystérieux narrateur, Soleil pour les convaincre de retourner ou Dieu, de rendre compte de cette d'eux-mêmes, le cœur content, à étrange population, le narrateur leur bassesse ».

Les choses

Le narrateur lui-même sera englouti par une bouillie épaisse de Cagacons livrés aux mains de h a r pie s blanchisseuses et de concierges dans un abîme dérisoire auquel Dante n'avait pas songé. Si, tout au long du livre, l'auteur donne libre cours à son invention visionnaire et. à sa verve sàtirique, les derniers chapitres rachètent par une construction narrative et dramatique plus rigoureuse ce que l'ouvrage pouvait présenter de gratuit et de discontinu. Ces larves semblables aux êtres à transformation de Granville que Marc Beigbeder regarde, les ye~ miclos mais avèc passion, naître et croître, il les décrit dans un style châtié, voire archaïque. Mais le spectacle est si fascinant qu'il nous laisse les juger : si ces Cacagons-là étaient nos semblables, nOs frères ?

Guy Roho"

ÉDITEUR

Robert l.a:ffont Les éditions Laffont ont conservé quelque chose des conditions dans lesquelles elles ont été fondées en 1941 : un côté un peu aventureux, un goût pour l'événement et l'histoire en train de se faire. Non pas que le premier livre publié par Robert Laffc:mt, à Marseille, en 1941, ait eu quelque rapport avec l'actualité (il s'agissait de l'Œdipe de Sophocle), mais c'était un temps où, pour être éditeur, il ne fallait pas tant avoir des auteurs que du papier, et où l'éditeur avait besoin de plus d'imagination que les auteurs euxmêmes pour ·ravitailler la maison et franchir sans encombre des obstacles difficiles. Le fondateur, qui n'avait que 24 ans, avait délibérément tourné le dos à la carrière toute tracée que lui préparait sa famille pour donner libre cours à son penchant pour les arts. D'où une première escapade du côté du cinéma 'suivie d'une option en faveur de la littérature. La guerre étant peu propice aux traductions qui devaient devenir ensuite le bastion de la maison, lors de son installation à Paris en 1945 -, les romanciers libres d'engagements étant rares en zone libre, les nouvelles éditions devaient commencer par servir de refuge aux poètes, de Lanza dei Vasto à Alain Borne, dont la guerre stimulait l'inspiration et dont les recueils demandaient moins de papier que les romans.

Dès son arrivée à Paris, Robert Laffont se lance dans des directions nouvelles : ce sont ·d'abord les étran· gers qui alimentent la collection • Pavillons - : Graham Greene, Evelyn Waugh, Dino Buzzati, Henry James et autres. La tradition s'est maintenue avec le recrutement continu d'auteurs, parmi lesquels des écrivains comme Jerome D. · Salinger ou Edward Albee. Le programme de cet hiver comprendra un certain nombre d'ouvrages importants, parmi lesquels un recueil de nouvelles du grand poète néqro-américain Langston Hughes, l'Ingénue de Harlem, un autrl} recueil de Gore Vidal, un roman dJl 10

l'Allemand Robert Neumann, le Constat - histoire d'un juif allemand qui s'accuse d'avoir trahi ses coreligionnaires pendant la guerre et ne peut trouver personne pour l'entendre -; le dernier livre de l'Israélienne Yahel Dayan, avec Kaddish (c'est le nom de la pri~re des morts chez les juifs), ainsi que, de l'Italien Ernesto Tadini, les Armes l'amour. Les romans françaiS n'ont commencé à faire leur apparition en force, au catalogue, que lors du transfert à .Paris. Mais, en quelques années, Robert Laffont publie Pieyre de Mandiargues, Luc Estang, Gilbert Cesbron, Rossi-Japrisot, Jean Dutourd, auxquels s'ajoutent, au fil des ans, HenriFrançois Rey, Loys Masson, Luc Bérimont, Daniel Boulanger, etc. Cette année, parmi les nouveaux venus, il y aura Alain Reinberg avec le Haut de la coquille, recruté par le biais de la Revue de Poche; une jeune • première -, si l'on peut dire, Reine Silbert, avec l'Inexpérience, et Anita Péreire avec les Adversaires. On fait grand mystère autour du manuscrit d'un Alsacien français, enrôlé dans l'armée allemande pendant la guerre, à 15 ans, et qui raconte son aventure sur le front russe. Il est vrai que dans l'intervalle l'association entre Julliard et Laffont, de 1948 à 1964, avait entraîné une certaine spécialisation entre les deux associés, J.ulliard attirant de préférence les auteurs de romans ·dont Laffont se trouva, à la longue, quelque peu dépourvu. La coopération entre éditeurs a entraîné la mise sur pied d'un certain nombre de coproductions. Tel a été notamment l'un des objets de la fondation de la filiale Pont Royal, en association avec Del Duca, et qui a maintenant été réintégrée dans la maison mère. Le premier album de Pont Royal était Paris et les Parisiens produit avec les éditeurs de douze pays. Au programme de l'année un gros ouvrage en cinq volumes: le Grand Défi, auquel ont participé une centaine de spécialistes, qui trace ùn parallèle dans tous les domaines entre les U.S.A. et l'U.R.S.S. à l'occasion du 50· anniversaire de l'entrée en guerre des Etats-Unis et de la révolution russe en 1917.

Cet esprit de coproduction a entraîné aussi la mise sur pied de la collection • Inventaire de l'avenir - avec les éditions Gonthier - série d'essais lIur le temps présent que vient compléter maintenant une autre série • Le monde qui se fait - dont le premier voh,Jme sera de Pierre Uri: Pour gouverner, à paraître au moment des élections. Dans la même collection, la Mort de l'entreprise de Pierre Bleton. L'une des séries les plus Importantes - • Ce jour-là - - est celle qui a trait à l'histoire contemporaine et se trouve plaCée sous le signe du reportage documentaire que Laffont a lancé avec le Pearl Harbour de Walter Lord et dont l'exemple le plus signi· ficatif est le Jour le plus long de Cornelius Ryan. «Mort d"_ préaiclent lt

On y trouvera cette année le livre vedette .de la saison internationale, Mort d'un président, de William Manchester, qui défraie la chronique depuis plUSieurs semaines. . Dans la même collection, de Jean-Paul Olivier, à propos de la révolution d'Octobre, Quand fera-t-il jour camarade? et de Claude Lévy et Paul Tillard la Grande Rafle du Vel'd'Hlv' sur l'arrestation massive {jes juifs français, le 16 juillet 1942. Parallèlement à cette collection, • l'Histoire que nous vivons - retrace les grands problèmes de notre temps et a été inaugurée par la Guerre d'Espagne de Hugh Thomas. On y trouvera cette année l'Histoire de la Résistance décrite, année par année, en quatre volumes, Rar .Henri Noguère, Jean-Louis Vigier et Marcel Degliane. S'y ajoutent l'Echiquier d'Alger (194(}-1944), de Claude Palllat, l'Accord FLN-OAS, de Fernand Carrera, et A bout portant sur Londres, l'offensive des V2 allemands, par Oavid Irving. A signaler aussi la nouvelle collection pour ,la jeunesse, • Plein Vent -, fondée en , 1966, qui compte déjà 22 titres et la grande série des œuvres regroupées qui a publié tout Conan Doyle, Rouletabille, de Gaston Leroux, Fantômas, de Pierre Souvestre, Marcei Allain, la Légende de Bas-de-Cuir, de Fenimore Cooper.

Célébration de l'asperge, du chat, du miroir, ... 30 yolumes parlD Robert Morel éd.

~u...

Parce que Robert Morel, réfugié dans un sÎte merveilleux de Haute-Provence, décida en 1961 de publier une Célébration du fromage, les historiens de l'avenir n 'auront pas d'excuse à placer notre époque sous les seuls signes de la contestation, de· la révolte et de la dénonciation. Depuis cinq ans il s'est trouvé assez de clercs et de laïcs, de philosophes, de romanciers et de poètes pour écrire trente petites stèles toutes aussi joliment présentées : un format carré habillant d'une toile de couleur quarante ou cinquante pages de texte. . Il est des célébrations profanes et des célébrations sacrées, celles-là louant ce qu'on mange et celles-ci ce qu'on vénère ; les unes sont descriptives (le Pain et son histoire), les autres narratives (Hubert Juin à la recherche de son grand-père évoque toute sa parentèle et c'est presque un roman) ou lyriques (Loys Masson fait chanter le rouge-gorge), rune enfin du philosophe Jean Grenier, la plus pure peut-être, est un essai aussi sensible, aussi subtil que le miroir qu'il a choisi de réfléchir. Si le caricaturiste hollandais Womac, à peine moins féroce que Siné, a célébré par antiphrase le gendarme, pour la Célébration du visage - dernier titre paru - on ne pouvait trouver meilleur modèle que Georges Brassens. On s'étonnera peut-être qu'une seule formule recouvre des textes de tons et d'écri.t uresd'une telle variété : les vertus du vin, de l'andouille ou de l'œuf sont incomparables à la gloire des anges, à la subtilité du chat et au chant du violon. Mais le prix qu'on attache à un être ou à un objet est irréductible à sa valeur absolue : qu'on les apprivoise comme le voulait le renard du fetit Prince ou qu'elles nous soient données d'emblée, les choses ne sont aimées que familières, lourdes d'images, de temps et de soin, d'implications secretes. Ainsi le sommaire de la collection se lit-il plutôt comme un petit catalogue des biens utiles à l'homme, dons de la terre ou ce que patiemment et ingénieusement il a su faire de lies . mains, pain ou tiroir et ce petit signe plus précieux que tout, : !e caractère typogr'Gphique, 5uccin~ment et congrument ce1ébré par Raynfond Gid. Au reste la liste n'est pas close mais je doute qu'un auteur chante jamais le réfrigérateur, le grand . ensemble ' ou le porte-clefs et si Pierre 1tJolaine a célébré la grenade c'est que le . glissement sémantique incitait à rapprocher du projectile mortel un fruit de vie dont la symbolique était déjà très riche. Car le choc initial vient toujours d'une image. Le mot qui s'impose à l'écrivain parce qu'il vit quotidiennement au plus près de sa forme, il le pose devant soi, . tourne autour, s'en approche. Il le confesse, le rêve, l'exalte, il en fait une incantation, une anthologie, une litanie. Parfois, retrouvant la veine des faiseurs d'almanachs du moyen âge, il l'orne de recettes et de formules. Un texte aussi ne souffrirait pas d'être imparfait et la juste ambition de l'auteur le maintient toujours à la hauteur de son sujet, Telle est la moralité banale et salutaire de cette collection franciscaine : à lire ces petits traités chacun fait avec bonheur un chemin qui le ramène aux sources de sa vie la plus ~ntingente. Ce regard circonscrit à un seul objet, un livre tout entier consacré au miel ou au tiroir ne devraient-ils pas susciter l'intérêt des nouveaux romanciers? Que Robbe-Grillet se mette à sa fenêtre : ayant tout dit de la jalousie, quelle belle célébration du contrevent nous doit-il maintenant! A tous les lecteurs enfin qui soubaiteraient trouver ces louanges diffusées moins confidentiellement et plus accessibles en librairie, un titre est particulièrement dédié. En feront leurs délices liseurs et critiques, ceux qui n'osent écrire et ceux qui écrivent trop. Ce petit livre est un cahier de pages banches, c'est la

Célébration du silence. Guy Rohou


CENSURE

La censure En France

Dans le Journal officiel du 6 janvier 1967, paraissait un texte de loi apparemment anodin puisque sa discussion à l'Assemblée et au Sénat n'avait pas attiré la moindre attention. Mieux encore, son adoption par les députés n'avait même pas fait l'objet d'un véritable débat et s'était réduite à un simple échange de bons procédés entre le garde des Sceaux et le rapporteur, M. Trémollières au nom de la Commission. Le ton de la séance est donné par certaine réplique, à propos d'amendements que l'Assemblée et le gouvernement s'abandonnent mutuellement, le plus courtoisement du monde: Le garde des Sceaux: Le gouvernement ne peut, sur ce point, rendre à la Commission la politesse que celle-ci vient de lui faire ... De quoi s'agit-il donc, à propos de quelle broutille se fait-on ces politesses dont l'opposition est absolument absente? On vote tout simplement une loi sur la censure. On parle beaucoup moins de la censure depuis deux ans, on n'en parle même presque plus. Le moment était donc propice pour faire adopter une loi sur ce su jet qui n'aurait pas manqué de soulever un tollé, quelque temps auparavant. Il faut rappeler quel est son régime en France. C'est le 16 juillet 1949 qu'a été établie la loi 49-456 sur les publications destinées à la jeunesse qui contient, malgré ce titre anodin, certain article 14 dont le contenu s'est révélé redoutable. En fait, cet article 14, glissé presque par hasard dans un texte qui traitait de tout autre chose, accordait au ministre de l'Intérieur le pouvoir exorbitant d'interdire par simple arrêté et sans aucun contrôle judiciaire, outre la vente aux mineurs de 18 ans, l'exposition ou l'affichage, voire la publicité des publications de toute nature « présentant un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère licencieux ou pornographique, ou de la place faite au crime ». Certes, une commission était habilitée à proposer l'interdiction mais le ministre pouvait parfaitement se passer de ses avis. Le résultat est bien connu. Un numéro de la revue Censure, publiée sous les auspices du Congrès pour la liberté de la cultore, relevait en avril 1965 qu'un libraire avait été condamné pour avoir détenu dans sa boutique, dans une armoire fermée à clé, des livres interdits « à la jeunesse » (affaire Maspéro, ·trib. correctionnel, 4.4.1963); qu'un autre libraire avait été condamné pour avoir laissé sur ses rayons des ouvrages interdits alors que ses locaux n'étaient réservés qu'à la vente en gros et que seuls des libraires professionnels y avaient accès; que des journaux comme le Figaro littéraire avaient été

••

aggravation

Cette dernière disposition supposait donc que l'éditeur « maudit)) devait commencer par imprimer l'ouvrage, puis le conserver après le dépôt en attendant l'autorisation expresse ou le défaut d'interdiction pendant trois mois. Aucune maison ne pourrait résister longtemps à ce régime et d'autant moins que les interdictions pouvaient pleuvoir sur elle sans justification ni recours. C'était donc, c'est encore, le ' système de la censure aggravé par l'incertitude.

pourSUIVIS pour avoir publié par inadvertance un placard publicitaire où de tels livres étaient mentionnés, etc. Ces livres étaient-ils donc si contraires aux bonnes mœurs que leur vente avait été interdite? Non point. Il y aurait fallu une décision de justice. Ils avaient simplement fait l'objet d'un arrêté du ministre et, en théorie, leur vente était parfaitement licite ... à la seule condition qu'elle fût clandestine. Car c'est là le paradoxe de la situation: le gouvernement peut, par arrêté du ministre de l'Intérieur, interdire toute présence d'un livre sur les rayons d'une librairie, toute mention dans la presse, sans aucune justification autre que l'invocation de la loi du 16 juillet 1949 et sans condamnation judiciaire préalable. En cas d'infraction à l'arrêté, le juge chargé de sévir n'a pas à se prononcer sur l'opportunité de la mesure, comme c'est le cas quand il s'agit d'appliquer le code pénal à un outrage aux bonnes mœurs. Il ne peut que constater la matérialité de l'infraction et condamner le prévenu.

Le festin nu Encore ce régime était-il relativement bénin jusqu'à ce qu'une ordonnance du 23 décembre 1958, prise par le gouvernement en vertu des pouvoirs exceptionnels conférés au général de Gaulle après les événementS du 13 mai, soit venue renforcer considérablement le régime répressif, notamment par l'aggravation des sanctions, et l'élargissement des mesures d'interdiction à toute forme de publicité, à l'exposition ou l'affichage ailleurs même que sur la voie publique et les magasins (prospectus, correspondance, etc.). C'est en vertu de ces dispositions qu'un éditeur était condamné pour n'avoir pas supprimé les

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 février 1967.

titres litigieux de son catalogue (affaire Pauvert, trib. corr. 27.1. 1965). Quant aux titres interdits, ils comprennent aussi bien des ouvrages bassement pornographiques que des textes littéraires d'une valeur certaine comme Mano l'archange de Jacques Serguine, ou le Festin nu de William Burroughs. Ce qu'il faut bien remarquer, c'est que les ouvrages visés par la loi sur les publications destinées à la jeunesse ne sont pas destinés à la jeunesse. Il s'agit donc seulement d'étouffer des textes réputés licencieux (comment d'ailleurs les définir?) ou faisant une place au crime ouvrages qu'on ne peut guère interdire par voie de justice. A ce propos, le rapporteur de la toute dernière loi émet un avis savoureux dans son exposé:. « L'article... était apparu nécessaire en raison de la prolifération des revues et publications manifestement licencieuses ou pornographiques parmi les jeunes, sans que les articles du code pénal relatifs à l'outrage aux bonnes mœurs puissent être raisonnablement invoqués )). Entre ce « manifestement)) et ce « raisonnablement )), il y a toute la marge de l'arbitraire. Or ce qui était plus grave encore, c'était que tout éditeur ayant fait l'objet de trois mesures d'interdiction en douze mois, et ce depuis l'entrée en vigueur de la loi de 1949, était désormais soumis à la censure préalable de toutes ses publications. Mesure triplement dangereuse car elle faisait intervenir un élément de rétroactivité, permettait au gouvernement de prononcer à tout moment trois mesures d'interdiction groupées, concernant des livres publiés à des époques très différentes, et exigeait alors un dépôt préalable de trois exemplaires de chaque texte, cela trois mois avant la mise en vente.

. Pourtant ce reglme présentait des failles théoriques. D'une part, l'ordonnance de 1958 avait été prise dans des conditions exceptionnelles et n'avait pas été soumise au Parlement. D'autre part, certains soutenaient encore que les livres n'étaient pas soumis à la loi de 1949-1958, malgré l'usage supposé abusif que le gouvernement faisait de cette dernière. Enfin, il n'était pas sûr que les critiques littéraires aient pu être légalement comprises dans l'interdiction, celle-ci ne visant que la publicité commerciale. La · revue Censure, par exemple, estimait que cette dernière interprétation était la seule possible.

Mescaline Aucun éditeur, cependant, n'avait élevé de recours au demeurant illusoire - devant les tribunaux pour éclaircir ces points. La seule affaire jugée en la matière l'avait été par le Conseil d'Etat en 1958, à la suite d'une erreur matérielle dans le libellé d'un arrêté. Depuis, le ministre de l'Intérieur avait pris soin de mieux rédiger ses textes. Un recours devant les tribunaux correctionnels aurait en théorie été possible pour mettre en cause, par voie d'exception, l'illégalité de l'arrêté, mais il semble que les éditeurs aient préféré pratiquer une autocensure dont rendent compte les statistiques: la diminution des interdictions, dont le rapporteur n'est pas peu fier, est significative: de 1960 à 1965 elles tombent de 105 à 10. Il est vrai qu'à cette auto-censure s'ajoute parfois une . précensure spontanément provoquée par prudence. Ainsi, un ' auteur, Maryse Querlin, sur le point de faire rééditer un ouvrage sur Messaline, prend-il soin d'envoyer un exemplaire au ministère de l'Intérieur pour avis. En guise de réponse, le Journal officiel publie trois mois plus tard l'interdiction du livre, épuisé d'ailleurs depuis longtemps, et dont seule la réédition projetée est annulée. La nouvelle loi, qu'une opposition démissionnaire a laissé adopter sans une objection, sans saisir ~ 11


l'oçcasion de remettre en cause le seuls quelques mots au procèsprincipe même de ce régime, est verbal du Sénat en font foi. censée assouplir les dispositions Et il n'en reste pas moins que, antérieures. (Il faut noter ce mot même réduite à cinq ans, au lieu qui revient à plusieurs reprises d'être perpétuelle, la censure préadans les documents législatifs: ( lable peut ruiner n'importe quel assouplir et non libéraliser.) éditeur; que le nouveau texte En apparence, elle constitue un porte expressément mention des progrès. En effet, l'un de ses livres (pour limiter l'application principaux effets sera de graduer de la loi aux ouvrages parus deles mesures prises. Il n 'y aura puis un an au maximum) alors plus d'interdiction globale mais que cette interprétation était justrois interdictions différenciées. qu'ici contestée par certains; que Premier stade: interdiction de la radio et la télévision font excommuniquer l'ouvrage à des pressément l'objet des interdictions mineurs de 18 ans. Deuxième du troisième degré, alors qu'aucun stade: . interdiction d'exposer ou texte n'y avait encore fait allusion; d'afficher. Troisième stade: inter- que les propositions présentées dediction de faire de la publicité. puis des années par les experts, Pour qu'un éditeur soit soumis pour que les livres soient exclus à , la censure préalable, il faut que de l'arbitraire du ministre, sont trois ouvrages publiés aient été restées lettre morte. soumis en un an à deux de ces Il est regrettable que l'oppositrois interdictions. La durée de la tion ait perdu cette occasion de censure imposée est limitée à cinq livrer, avec l'appui de l'opinion, ans. une nécessaire bataille pour la En réalité, de l'avis des experts, liberté d'expression. Pas une intertel Me Georges Kiejman qui s'est vention à l'Assemblée, pas une longuement penché sur cette af- protestation, pas une affirmation faire, ce progrès est illusoire pour de principe. des raisons qui ressortent du texte Mais il y a mieux encore. Les législatif lui-même ou de l'histo- représentants du peuple ont eu la rique de la nouvelle loi. main plus lourde encore que le En premier lieu, comme l'a gouvernement. Celui-ci, pour imindiqué un commentateur officiel, poser la censure préalable, del'excès de rigidité de la loi en mandait que l'éditeur ait vu trois limitait l'application, surtout de- de ses livres soumis en un an aux puis que l'opinion avait été alertée. trois interdictions vente aux La possibilité de graduer la répres- mineurs, exposition et publicité. sion risque de lui rendre de l'amCe sont les députés eux-mêmes pleur. qui ont réduit cette exigence et En deuxième lieu, la nouvelle admis le principe de la censure loi ajoute aux motifs d'interdiction pour tout éditeur ayant fait l'objet, la place faite dans les livres à pour trois ouvrages, de deux inter« la violence» - et il n'est guère dictions seulement. plus facile de définir celle-ci que Il faut espérer que quelqu'un la licence. s'avisera de faire interdire aux trois degrés (vente à la jeunesse, En troisième lieu, un amende- affichage et publicité) le compte ment tendant à exclure explicite- rendu de séance et le lournal ment de la notion de « publicité» officiel du 6 janvier 1967 qui la critique littéraire et les cata- porte le texte de cette loi. C'est logues a été repoussé, sous le pré- une publication qui selon les texte spécieux que cela allait de termes mêmes de M. le rapporsoi, le nouveau texte étant res- teur ~ pourrait « démoraliser la trictif. Il n'empêche que la loi jeunesse ». reste muette sur ce point et que Marc Saporta

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MICHAUX

GALLIMARD l~

En Grande-Bretagne

En France : aggravation

Pendant ces dix dernières années, on a pu assister en Grande-Bretagne à la régression progressive de la censure. Au théâtre, où, peu de temps auparavant, toute allusion directe aux relations et aux problèmes sexuels et, particulièrement, à l'homosexualité et autres « perversions », était interdite, on a pu voir plus d'une fois des pièces, retirées de l'affiche, recevoir l'année suivante, sous la pression de l'opinion publique, le visa du Lord Chamberlain et cette libéralisation du théâtre s'est bien vite étendue à la BBC et à la télévision.

Un happening En 1957, Sir Hugh CarletonGreene remplaçait à la direction des programmes Lord Reith, sous l'égide duquel la BBC, dont l'intégrité et l'action éducative étaient d'ailleurs unanimement respectées, s'était vue affublée de son surnom populaire : « auntie » (tantine). Sir Hugh, frère de Graham Greene, attira à la BBC nombre de talents nouveaux et détendit l'atmosphère un tant soit peu austère de la maison. Ce relâchement de la censure gagna également le cinéma. En 1959, la loi dite « Obscene Publications Act » qui, pour la première fois, autorisait un auteur poursuivi pour outrage aux mœurs à produire des garants littéraires des mérites de son ouvrage, fut accueillie comme une bénédiction par les écrivains sur qui pesait depuis si longtemps l'interdiction de faire imprimer des mots et des expressions que l'on pou-ait entendre tous les jours dans la rue. Malgré l'hostilité du tribuna' , le procès de l'Amant de Lady Cllatterley (Penguin Books), se termina par le triomphe de l'éditeur. A la BBC, une nouvelle génération de réalisateurs centra sur ces questions brûlantes les émissions dramatiques et les documentaires cependant que des émissions satiriques et polémiques telles que That was the week that was ou Not so much a programme more a way of life, qui caricaturaient des membres du Parlement, des personnalités religieuses, des technocrates éminents ou des hommes en vue, trouvaient une large audience. Les compagnies théâtrales subventionnées telles que la Royal Shakespeare Company et la National Theatre se trouvaient en tête de la campagne pour l'abolition totale de la censure dramatique. L'existence de salles d'essai de plus en plus nombreuses, où étaient présentés des films qui n'étaient pas censurés, rendait imminente la suppression de la censure cinématographique. Du moment que les œuvres d'Henry Miller, Genet et Burroughs étaient publiées sans difficulté, on avait lieu , de supposer que les pouvoirs publics n'useraient plus de la censure.

Saved d'Edward Bond au Royal Court Theatre de Londres.

Mais, brusquement, ce climat libéral change du tout au tout. Les nombreuses associations puritaines de Grande-Bretagne, largement encadrées par le M.R.A. (Moral Rearmement Association), organisation internationale, qui, pendant les années 30, noua des rapports avec les nazis, la Billy Graham Crusade, la Lord's day Observance Society et la Moral Law Defense Society, groupements implantés de longue date mais qui agissent aujourd'hui sous le couvert d'organisations nouvelles plus ou moins politiques, comme celles qui prêchent le retour à la peine capitale et aux châtiments corporels et soutiennent le gouvernement rebelle de la Rhodésie, réussissent à retourner la situation. Si leurs premières tentatives échouent, comme, par exemple, le procès pour « nudisme» qui m'est intenté en 1963 à la suite du happening que j'avais organisé dans le cadre du festival dramatique d'Edimbourg, un de ces groupes réussit par la suite à obtenir un amendement à l' « Obscene Publications Act» promulgué en 1964. Cette année-là, l'édition en format de poche de Fanny Hill, un classique de la littérature érotique du XVIIIe siècle, est interdite et le livre doit continuer sa carrière dans l'édition de luxe. L'activité de la police au moment de l'affaire Profumo et le suicide du docteur Ward qui s'ensuit semble de mauvaise augure. De fait, cette lamentable affaire marque le début de toute une série de petits procès intentés à des éditeurs de province principalement, et qui, jugés le plus souvent par défaut, font peu de bruit dans les journaux et passent généralement inaperçus à Birmingham, Manchester ou Sheffield où ils ont lieu.


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un pas en arrlere The Royal Court Theatre, équivalent londonien du théâtre de Lutèce, qui présente de nombreuses pièces d'Osborne, Beckett, Wesker, Genet et Brecht, a plus d'un démêlé avec le Lord Chamberlain. Pour pouvoir présenter une pièce interdite par celui-ci, il est contraint, pendant une saison, de changer de raison sociale et de se transformer en club privé. C'est le cas pour Saved de E. Bond, pièce fort grave sur la jeunesse anglaise mais qui contient une scène de violence au cours de laquelle un bébé est lapidé. Dans les journaux de droite, la BBC est soumise à des attaques de plus en plus hystériques et la plus grande publicité est faite aux mots d'ordre d'organisations favorables à la censure telles que le M.R.A. L'As. semblée générale de l'Eglise écossaise s'associe à la campagne et dépose une motion visant à libérer la section écossaise de la BBC de toute attache avec Londres. Elle l'enjoint de produire ses propres· programmes afin d'échapper à la dépravation « métropolitaine » de la capitale. Quelques membres de l'aile droite du Parlement s'étant opposés à un refus de la part de l'Attorney General lorsqu'ils lui ont demandé d'introduire une action en justice contre un roman américain de Hubert Selby Ir : Last exit to Brooklyn, l'un d'entre eux, Sir Cyril Black décide de saisir lui-même les tribunaux et gagne le procès. Bien que mes propres éditions, Calder et Boyard, n'aient pas retiré le livre du catalogue, la plupart des libraires hésitent à en accepter le dépôt.

Beardsley Les arts plastiques n'échappent pas à l'offensive bien pensante. Dans une galerie de la Regent Street, la police fait enlever toutes les reproductions des dessins de Beardsley. Pendant ce temps, on pouvait continuer à admirer les originaux au musé.e. Victoria et, A~­ bert où une exposItIon consacree a ce peintre suivait son cours. Puis c'est la célèbre galerie de Robert Fraser qui reçoit la visite de la police et, les œuvres saisies, leur auteur, le peintre américain Jim Dine, tombant sous l'inculpation de vagabondage; le seul recours est de reprendre les toiles et de les renvoyer à New York aux termes de la loi de 1924. Les descentes de pollite dans les galeries d'art se multiplient également en province où l'on a: vu récemment une déCIsion de justice ordonner la destruction des œuvres du peintre Stas Paraskos, qui avait reçu un accueil très favorable de la critique. On ne peut manquer d'évoquer, à ce sujet, la destruction par Ruskin, un siècle auparavant. des peintures érotiques de Turner. Il est vrai que le juge avait fait observer au cours de l'audience du tribunal que le pouvoir corrupteur

des livres obscènes ou des peintures érotiques étaient probablement à proportion de leur mérite artistique. Sur le thème de La Destruction dans l'art, Gustav Metzger et John Starkey ont organisé ces jours-ci une exposition qui les met sur le coup d'une peine de détention criminelle qui peut aller jusqu'à quinze ans de prison.

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une grande réimpression

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Fait plus significatif encore : la • BBC, organisme d'Etat qui n'est • responsable que devant le gouver- • nement et qUI.n,a trempe' dans au- •• cune de ces manœuvres, montre • quelques signes de timidité. Une • circulaire récente émanant de la • direction des programmes a invité • auteurs et réalisateurs à plus de • circonspection et deux « dramati- : ques » importantes ont été annu- • lées à la dernière heure, l'une : • The war game, qui décrivait l'An- a gleterre après une guerre atomique, • parce qu'elle était de nature à semer • la panique, l'autre, une version • moderne de Cendrillon, pour des • raisons qui n'ont pas été rendues • () , publiques. On entend parler en· ~ ~ sourdine de pièces qui auraient été : . . . ~./- ~ commandées et qudi n'auraient pas. ~ '-'./ " été programmées, e la consterna-. ~ .• tion ou de la démission de nombre • .il ~ .• 0 ~ jeunes hommesestbrillants ~ .. àdequi la télévision ce qu'ellegrâce est. •• L..;~ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _~

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1 million d'exemplaires

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Il ne semble pas que l'opinion • publique soit très favorable à ce • retour de la censure et de l'auto- • 'ritarisme, mais il faut compter • avec les relations étroites qui exis- • tent entre les options politiques et la notion de tolérance. Avec la dégradation de la situation économique, le sous-emploi croissant et la baisse du niveau de vie, l'Angleterre doit s'attendre à une recrudescence de la tension raciale et de l'opposition, laquelle ne peut manquer de favoriser le parti conservateur et, ·notamment, les radicaux de droite qui prêchent pour la mainmise de l'Etat en matière de liberté individuelle et de censure et le retour aux valeurs et à la morale de nos pères.

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"Un beau roman dont toutes les richesses, comme celles des monuments de l'art baroque, ne se dévoilent pas au premier regard et qui exige d'être relu".

JACQUES DE RICAUMONT. Combat.

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IRENE MONESI

Nature morte devant la fenêtre

A présent qu'il est prouvé que toute personne privée peut intenter • un procès à un éditeur ou à un • marchand de tableaux ou, du moins, • obtenir l'assistance de la police • avec l'assurance virtuelle que les : tribunaux lui donneront gain de • cause, la petite minorité qui détient • l'argent et l'influence risque de • devenir dangereusement nuisible. • Au moment même où j'écris cet • article, les journaux annoncent que • John Cordle, un des représentants • du parti conservateur au Parle- • ment, menace la BBC d'un procès • pour avoir diffusé un programme • intitulé « La sexualité avant le ma- • riage ». Les intellectuels de gauche • britanniques qui, pendant long- • temps, n'ont guère eu à sortir de • leur apathie, risquent de voir leur • position s'affaiblir s'ils ne se déci- • dent pas tout de suite à la riposte. : ] ohn Calder • (traduit par Adélaïde Blasquez) •

La Quinzaine littéraire, le< au 15 février 1967.

PRIXFEMINA

ROMAN

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LITTÉRATURE ÉTRANGERE

Belllingway Ernest Hemingway Œuvres romanesques Tome 1. BibJ. de la Pléiade Gallimard éd., 1 472 p. A.-E. Hotchner Papa H emingwa)' Mercure de France éd., 378 p.

Hemingway Coll. Génies et Réalités Hachettp- éd .. 300 p. Il s'est écrit - et il s'écrit tant de lieux communs à propos d'Ernest Hemingway qu'il faut savoir gré à M. Roger Asselineau, dans sa préface au premier tome des Œuvres ronwnesques dans la Pléiade. de s'attacher, au cours de son analvse, au texte - et au texte seul. s'iÏ se réfère à des éléments biographiques, c'est seulement dans la mesure où ces éléments conccrnent directement la lettre de heuvre. En éliminant le mythe légendaire qui entoure Heming\~ay et que l'auteur de l'Adieu aux armes entretenait - , M. Roger Asselineau jette un regard neuf sur cet univers trop connu et pourtant secret. Car Hemingway fut le roi des faux nez, se choisissant un masque pour chacune de ses activités: ce matamore intrépide fut d'abord un écorché vif. cet hommIY, qui ne cessa d'être entouré d'une bande. fut d'abord un solitaire, ce père de famille nombreuse, quatre fois marié, eut toujours peur· des femmes, et son idylle la plus touchante fut peut-être celle qui le lia à la grande Marlène avec qui il n'échangea que des lettres et des confidences. Enfin, cet égocentrique forcené qui ne sut jamais parler que de lui-même se forgea un style d'une stricte objectivité : au point quf', à la TV française en janvier 1967, un écrivain a pu dire que les romans d'Hemingway étaient surtout du journalisme. A croire que ce romancier n'a jamais ouvert un journal - ou un livre d'Hemingway. (Du reste cette émission fut riche en surpri:se:.. La plu;; étonnante : Robert Sabatier ne sait pas « si Fau 1 k n e r réussira sa mort ». La plus cocasse : Jean Cau reproche à Hemingway de jouer un personnage.) M. Asselineau ne se contente pas de décrire les faux nez, il tente de percer le Stlcret des masques. Dan", le href espace qui lui était imparti, il ne pouvait que donner un aperçu de cet Hemingway secret, du véritable Hemingway, domaine où bien peu de critiques ont, à ce jour, pénétré. Mais cette VISIOn est assez originale pour ouvrir un nouveau champ à l'éxégèse de l'œuvrtl d'Hemingway. Je pense à ce recensement rapide d'une thématique symbolique : une critique bachelardienne y trouverait matière à des développements féconds. M. Asselineau énumère les thèmes de la plaine 14

et de la montagne, du vent et de la pluie, des chevaux, de la roue, du feu. de la mer, du poisson. Il en tire parfois des conclusions paradoxalei' comme à propos de ce thème du poisson où il discerne des résonances chrétiennes. Pour discutables qu'elles puissent être. ses conclusions témoignent d'une lecture attentive de l'œuvre et d'une vision cohérente de l'Univers d'Hemingway. Je n'ai pris qu'un exemple, l'un des plus significatifs. Toute la préfaee prouve une voJonté de d.épasser la paraphrase habitJlclle ou pis la biographie anecdotique. Cet écrivain que DOUS avons lu et relu et que nous croyons bien CODnaître, nous lui d.écouvrons des prolongements inattendus. Nom: avions cru que « cette stèle, nue droite el rigide, aux ligues simple~ et pures » était monolithe et nou;. avions oublié qu'elle pouvait changer entièrement de visagé' "ous unI' lumière différenle. Nous avion~ subi l'envoûtement des fau~. nl"L. Alor" que Fauliultlr, par cxemplt:, exige de nous, dès le départ, un très gros effort, Hemingway nous ouvre tout grand les portes de son Xanadu. Mais l'entrée était si aisée que nous n'avions pas songé à fouiller dans les recoins. En fait. Hemingway reste, en grande partie, à découvrir. L'un des mérites de M. Asselineau est de nou,; le rappelt'r. Les notes, les références, la chronologie témoignent d'un sérieux digne du professeur à la Sorbonne qu'est M. Asselineau. Chaque texte, outre ses références biblio. graphiques. est situé dans le cadre de l'œuvre tout entière. Sources et influences y sont judicieusement soulignées. Si lc préfacier n'a pu résoudre certains problèmes, OD serait mal venu de lui en faire grief : il n'a pu avoir accès aux textes originaux et aux manuscrits. Mme Mary Hemingway semble veiller avec un soin jaloux à ce que personne ne vienne fouiller dans les papiers de son mari. Quand on connaît les mœurs américaines de l"édition aux Etat~-' "li, . on peut cOlllpr~ndre cette méiiance mais, sur le plan qui nous intéress~, on ne peut que le regretter. Du reste, il y a encore plusieur~ inédits en notre langue. Le premier tome de ces Œuvres romanesques nous en révèle quelques-uns. C'est d'abord le premier roman d'Hemingway : Torrents de printemps. Avec ' un humour assez lourd et une insistance un peu maladroite, Hemingway fait tahle rase des influences qu'il a subies : Sherwood Anderson et Gertrude Stein notamment. L'intrigue serait banale si elle n'était caricaturale et nous ne sommes pas surpris d'ap. prendre par la voix de l'auteur luimême que onze jours ont suffi à la rédaction de ce court roman . Ainsi que M. Asselineau le rappelle, Leicester Hemingway, le frère d'ErIIest, a émis l'hypothèse

que celui-ci avait écrit Torrents de printemps avant tout pour se brouiller avec son premier éditeur, Boni et Liveright, et passer chez Charles Scribner's Son, l'éditeur de son ami Scott Fitzgerald. Bien

mier livre, en pleine possession de son art. Déjà, il avait la volonté d'éliminer de son écriture toute trace de mauvaise graisse pour ne garder que la phrase la plus sèche, la plus nue, la plus efficace. Cette

Hemingway

qu'Hemingway l'ait me, cette hypot.hèse est loin d'être invraisemblable. A vaut ce premier roman, qui intéressera seulement les inconditionnels, Hemingway avait publié les dix-huit nouvelles qui composent In our time. Chacun de ces récit;; était précédé d'une courte « vignette » qu'on avait jusqu'à présent omis de traduire. Or il se trouve que ces l( vignettes )), dont la plus longue n'excède pas trentecinq lignes, sont des joyaux qui, à eux seuls, suffiraient à prouver qu 'Hemingway était, dès son pre-

volonté de s'exprimer par « instantanés », on la retrouve avec moins de bonheur dans ses poèmes, des poèmes brefs qui tantôt se veulent humoristiques, tantôt satiriques, tantôt descriptifs. On croirait lire des textes d'un poète dada pas encore tout à fait dadaÏsé. Ils sont intéressants dans la mesure où ils ont été écrits pour la plupart à Paris, à une époque où la vie littéraire française était agitée de mouvements divers qui n'ont guère eu d'écho dans la littérature des EtatsUnis. Il semble d'ailleurs qu'Hemingway ait écrit, en marge de


La fin des illusions ses grandes œuvres, des poèmes pendant toute sa vie. Si nous pouvons les lire un jour, ils apparaîtront peut-être comme une sorte de littérature seconde, plus immédiate, plus spontanée, à l'ombre de ce qui constitue l'ossature de son univers. On peut se demander pourtant si M. Roger Asselineau ne s'est pas laissé emporter par son désir de montrer la trajectoire continue de l'œuvre d'Hemingway. Celni-ci n'ayant jamais parlé que de luimême, M. Asselineau a choisi de présenter chacun des textes selon la chronologie interne, non selon la date de publication. Nous pouvons suivre la biographie d'Hemingway à travers son œuvre. C'est ainsi que Paris est une fête, œuvre posthume, s'inscrit dans ce premier tome avant Pour qui sonne le glas par exemple. L'idée était ingénieuse mais j'ai peur qu'elle ne soit un peu prématurée. D'abord pour une raison matérielle: il suffira à Mme Hemingway de publier un texte de son mari - se déroulant vers 1920 - pour que ce volume ne soit plus à jour. Mais les raisons esthétiques sont également importantes : si Albert Béguin a pu, suivant le même principe, éditer un Balzac qui est une réussite, c'est peut-être parce que l'œuvre de Balzac est un univers multiple, grouillant de personnages et de situations. L'œuvre d'Hemingway est, au contraire, linéaire et, plutôt qu'à une vérité chronologique, c'est à une vérité esthétique qu'il importe de s'attacher. On comprend mal par exemple que le Soleil se lève aussi, œuvre douloureuse et écorchée, à fleur de nerfs, le seul de ses romans qu'il ait écrit sans prendre la moindre distance par rapport à l'événement, s'insère dans le volume après l'Adieu aux armes, œuvre plus concertée, plus pudique, plus achevée formellement. On pourrait également discuter l'opportunité de séparer les nouvelles de In our time : le titre et la présence des « vignettes» suffisent à montrer qu'Hemingway avait tenté d'en faire autre chose qu'un simple recueil de nouvelles. Ce sont là peut-être vues subjectives et, dans l'état actuel des choses, il est certain qu'aucune édition ne peut pleinement satisfaire les fervents d'Hemingway. A côté de ces travaux d'érudition, dont le sérieux n'échappera à personne, la légende suit son cours. La dernière contribution à cette légende est le livre d'un journaliste américain, A.-E. Hotchner, Papa Hemingway qui, aux EtatsUnis, est en train de devenir un best-seller. Hotchner a connu Hemingway pendant les quinze dernières années de sa vie. Il l'a suivi dans nombre de ses équipées et lui a · témoigné autant d'amitié que d'admiration. De plus, Hotchner est un bon journaliste. Il sait ouvrir l'œil et il avait 'un magnétophone en poche (ce que n'ignorait pas Hemingway et cela expliLa Quinzaine littéraire, le.

GU

que peut-être quelques-unes de ses « paroles historiques », ou quelques anecdotes parfaitement invraisemblables). Aucun des détails de la vie de son idole ne lui échappe. (Nous apprenons entre au t r e s qu 'Hemingway ne portait jamais de sous-vêtements.) Hotchner est arrivé devant Hemingwày avec la naïveté et la sincérité de l'admirateur éperdu. Hemingway qui était un incroyable mythomane (presque autant que Blaise Cendrars et ce n'est pas par hasard que je cite le noin de cet écrivain : Cendrars nous a fait, comme Hemingway, le coup de la valise de manuscrits déposée dans une banque d'Amérique du Sud ; les poèmes d'Hemingway semblent échappés d'un carnet de brouillon de « Kodak», enfin Blaise Cendrars est l'un des très rares écri-

Hemingway

vains français qui apparaissent dans Paris est une fête), Hemingway donc a accueilli Hotchner à bras ouverts. Il réussit devant lui ses meilleurs numéros. Hotchner a été digne de son modèle. En même temps qu'il l'admirait, il l'aimait, et il sait trouver, pour la peinture des tragiques dernières années, de la folie et du suicide, des accents qui serrent le cœur. Nous avons eu les souvenirs de Leicester Hemingway. Aujourd 'hui, ce sont ceux de Hotchner. On ne peut s'empêcher de songer qu 'Hemingway a encore quatre fils, quatre sœurs, quatre veuves (dont deux . écrivains), plusieurs centaines d'amis, autant qui croyaient l'être, sans parler de tous les malins qui l'ont aperçu une fois par hasard. Si tous se mettent à écrire leur « Hemingway tel que je l'ai connu », les beaux livres du romancier disparaîtront derrière la littérature anecdotique. Mais peutêtre Ernest Hemingway serait-il ravi de n'être lu que par quelquesuns tout en étant le sujet de conversation de tous. Jean Wagner

15 févrie 1967.

Primo Levi La Trêve traduit de l'italien par Emmanuèle Joly Grasset éd., 250 p. Turinois de naissance et chimiste de métier, Primo Levi qu'il ne faut pas confondre avec l'auteur naguère célèbre du Christ 5' est arrêté à Eboli - est aussi, de toute évidence, un écrivain de vocation. Je veux dire par là que d'abord appelé à vivre la terrible expérience de la déportation en Allemagne, il s'est trouvé ensuite enclin à nous en rendre témoignage d'une manière qui ne ressemble en rien à ce qu'il est convenu d'appeler la « littérature des camps ». L'écrivain qui est né en lui de sa participation à l'histoire récente n'est pas, comme chez beaucoup d'autres, un philosophe de l'absurde grinçant et désespéré, épigone de Kafka, mais un admirable conteur, à la fois picaresque et nostalgique, dont l'humour n'est ni noir ni jaune, mais chaleureux, et la tristesse ni agressive ni déprimante, mais nourrie de tendresse pathétique. A le lire, on rit en pleurs. Aussi bien l'Italie nous avait déjà donné d'autres exemples de cette survivance en pleine horreur de qualités terriennes, solaires et optimistes qui, avec une humilité tenace et finalement victorieuse, au projet de déshumanisation que poursuivaient les nazis, ont opposé l'affirmation de la permanence humaine. Je pense au Sergent dans la neige de Mario Rigoni Stern, paru il y a quelques années!. D'ailleurs la Trêve n'est pas le récit de la mort lente que tant de malheureux - et parmi eux Levi lui-même - ont affrontée à Auschwitz, mais celui du retour à la vie par les incroyables détours d'un chemin d'écoliers perdus, une fois venue la libération. Moins donc une saison en enfer qu'une anabase, une odyssée en quête du pays natal. Une grande vadrouille que l'incurie bon enfant des Russes prolongera pendant des mois. Nous sommes en plein ventre mou de l'Europe, au centre d'une plaine sans repères, sans topographie connue, de steppes et de forêts infinies où, comme le Petit Poucet, on pourrait s'égarer pour toujours: grenier à petits fruits l'été, fleuve de boue dès qu'il pleut. Sur leurs rails mal ajustés, des trains poussifs vous transportent à longueur de semaine d'un point à l'autre de l'horizon, au nord, au sud ou vers l'oues~, à la va-comme-je-tepousse. On s'arrête dans une gare, on campe dans la salle d'attente. On fait une descente au village pour y négocier l'achat d'une volaille. On s'exprime par cris et par gestes : toute une plaisante comédie ; le mime et le galimatias du commerce à l'état primitif. Ici ou là, on s'éternise dans un camp dont l'enceinte est percée comme une passoire, dans une caserne dont les rampes d'escalier, inachevées, ne

mènent nulle part et où, pour se désennuyer on s'adonne une fois de plus à l'art dérisoire du théâtre. Une nuit, les gardiens réveillent les chambrées. On craint le pire et on a tort : c'était seulement pour procéder à la distribution de quelques roubles. Un jour arrive Timochenko. Il s'extrait d'une Topolino déglinguée et vétuste, se déplie, se redresse : un géant qui ressemble à Koutousov. Il dit : « Guerre finie, tous à la maison! » et replltt dans sa guimbarde. A ces étendues sans limites correspond un temps sans événements. L'histoire fait trêve, ainsi que l'indique le titre. Ce n'est presque déjà plus la guerre et ce n'est pas encore la paix. Tout se disloque et s'émiette en minuscules anecdotes, en épisodes quotidiens de trocs, de rapines, d'érotiques promiscuités pour le boire, le manger, l'amour, pour l'entretien cahin-caha d'une boîteuse existence. Aucun plan, nulle discipline, sinon parfois l'esquisse grotesque d'un semblant d'organisation, le sursaut d'une violence incompréhensible et sans lendemain. Mais ce microcosme privé de toute signification est aussi, par instants, le macrocosme d'une formidable préhistoire pleine d'indolentes migrations de peuples : bref, une histoire trop gigantesque (qui sait, peut-être prémonitoire de ce qui attend notre planète) pour ne pas déborder le cadre de nos normes actuelles. On n'oubliera pas le tableau de l'Armée rouge rentrant dans ses foyers, refluant à la pètite semaine comme le flot d'une inondation, avec ses chants, ses hourras, son matériel et son butin, ses femmes, ses patriarcales façons d'être. Des adversaires, il n'yen a plus. Ils se sont tous confondus en un indistinct magma. C'est le hasard ou l'occasion, non l'uniforme ou l'idéologie, qui, de loin en loin, réveillent les sentiments hostiles ou déclenchent la bagarre. Entre le jeune sauvage des steppes, l'officier soviétique insouciant et le traficoteur de Trastevere, inventif filou résigné, au contraire, une étrange connivence se tisse, un obscur mimétisme qui, pour accidentels qu'ils paraissent, traduisent une immémoriale ressemblance de l'Est et du Midi que les habitués des littératures russe et méditerranéenne ne sont pas sans avoir remarquée. Un Sicilien de Brancati est plus proche de Dostoïevski que du plus méridional de nos Français. Avec ce livre, Primo Levi nous offre l'interlude roboratif d'un bout de route du plus haut comique avec nos « premiers parents ». Il nous faut l'en remercier. Chaque détail qu'il nous conte, en même temps qu'il nous égaie, peu à peu nous réconcilie avec nousmême, avec autrui, avec qui que ce soit qui surgisse de la multitude humaine. Georges Piroué 1. Denoël éd.

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ART

De Dürer Otto Benesch

La Peinture allemande, de Dürer à Holbein traduit de l'allemand par A.-F. Press 87 illustrations Skira éd., 198 p.

Le prodigieux épanouissement de la peinture allemande' pendant la « Renaissance», sans commune mesure ni commune signification avec ce que la Renaissance fut en France et en Italie, se déploie sur un fond d'événements troubles et tragiques qui, à première vue, ne semble pas favorable à l'éclosion et uu développement du génie artistique. Il y a, dans l'histoire de la civilisation européenne peu d 'époques qui aient été tourmentées d'autant d'angoisses concernant l'être de l'homme et son devenir, ses croyances religieuses et les structures de la , société, sa place dans le cosmos, ses rapports avec Dieu et avec la nature.

Epoque de transition Les lumières d'un humanisme éclairé et chaleureux perçent avec effort les ténèbres alourdies d'anxiétés superstitieuses pesant sur un peuple qui, paradoxalement, vit dans l 'attente du Royaume Millénaire et qu'agite périodiquement l 'hystérie collective de la peur suscitée par le passage d'une comète ou la naissance d'un monstre, comme cette truie à deux têtes qui préoccupa tant Dürer qu'il entreprit un long voyage pour aller l'examiner et la dessiner, ou la baleine rejetée sur la côte de la mer du Nord que, pendant son séjour dans les Pays-Bas, il eut la curiosité d'étudier en pleine tempête. C'est sous le signe de la tempête et de la subversion, sociale et spirituelle, que se place cette époque pendant laquelle l'art allemand brilla du plus brûlant éclat pendant que devenait de plus en plus intense, de plus en plus impérieuse « cette mise en question révolutionnaire d'un monde à son déclin, le Moyen Age, et avec l'aube d'une ère entièrement nouvelle pour l'ensemble de la vie intellectuelle ». (Beneseh.) Epoque de transition, époquecharnière entre le gothique et le ;baroque, éprise de science expérimentale et de dialectique rationaliste, plongée cependant dans d'obscures et barbares croyances, survivances du Haut Moyen Age et du temps des Grandes Migrations, elle vit coïncider les sursauts de la sauvagerie populaire et les formes esthétiques les plus raffinées dans un foisonnement d'œuvres d'art que rendent incroyable, invraisemblable, les malheurs du siècle, l'iconoclasme de la Réforme, l'appauvrissement des mecenes ecclésiastiques et laïcs. Si l'on veut comprendre pleinement la nature et la signification de cette pein16

ture allemande du XVIe siècle, il ne faut pas oublier qu'elle est contemporaine de la guerre des Princes et de la guerre des Paysans et que tout, en elle, porte la marque d' « une rupture qui prit l'allure d'un cataclysme». Cette féroce guerre des P,aysans qui souleva contre les princes et la bourgeoisie des villes le prolétariat rural détruisit un nombre incalculable d'œuvres d'art dans les châteaux, les églises et les monastères; elle fut meurtrière aussi pour les artistes. Tilman Riemenschneider, qui sculpta les mains les plus délicates, les plus sensibles et les plus intelligentes, eut ses propres mains écrasées ou coupées par les émeutiers, et le peintre Jorg Ratgeb von Gmünd fut fait prisonnier et écartelé après la bataille de Herrenberg. Le caractère aberrant, tragique et insensé des mouvements politiques et sociaux jette ses éclairs et ses ombres sur les œuvres des peintres. Un esprit lucide, intelligent, - intellectuel même - et réfléchi comme Dürer, interroge avec perplexité et épouvante ses rêves, et nous connaissons par la description qu'il écrivit au réveil et l'aquarelle qu'il lui inspira son cauchemar de la fin du monde et de la pluie de sang. Les termes dans lesquels cet artiste, de la plus hauHans Holbein le Jeune: La Vierge d e M i.;éricorde avec la' famille da bourg'nestre Jacob Meyer, DétaiL

te et plus large culture, raconte le « déluge» qu'il rêva dans la nuit entre le mercredi et le jeudi suivant la Pentecôte de l'aJ;lnée 1525, sont - ceux qu'aurait employés, en pareille circonstance, un paysan bouleversé par la Grande Peur de l'An , Mil. L'incendie de Sodome qu'il peignit vers 1497 au dos de la Madone Heller déborde l'épisode relaté par la Bible et devie!lt l'image d'un cataclysme d'ampleur cosmique, dans une averse de feu et de ténèbres qui enflamme les eaux et vitrifie, jusqu'à les rendre transparents, les rochers. L'artiste du XVIe siècle, qu'il soit souabe, franconien, rhénan ou danubien, éprouve les contrecoups des désordres extérieurs et sa propre psychologie est imprégnée des reflets de la catastrophe. La nouvelle esthétique du portrait, très différent du portrait de cour français et du portrait humaniste italien, assume le caractère faustien de l'homme de cette époque, dans sa singulière et essentielle individualité. Il y est moins question de saisir les pensées et les sentiments que d'exprimer le dynamisme vi- . goureux et pathétique et la volonté de puissance de ce personnage pré-nietzschéen de la Renaissance allemande que nous rencontrons dans l'Osvolt Krell de Dürer, son H olzschuher et son Frédéric le Sage, l'autoportrait de Lucas Cranach des Uffizi et le Gregor Angrer, du Maître du Portrait d'Angrer. Dagobert Frey avait appelé' « démonique » ce rcgard qui nous fixe, bien en face, nous pénètre et prend possession de noulS, qui est une des constantes du portrait allemand, depuis la Renaissance jusqu'à Oskar Kokoschka et Egon Schiele et Arnold Schonberg en passant par les romantiques Jensen et Runge et, plus implacables et plus impérieux encore, les dramatiques autoportraits de Caspar David Friedrich à l'époque où la folie naissante ébranle le souverain équilibre du visage et du génie. Les modèles de Hans Holbein, au contraire, conserveront une souveraine et sereine impassibilité, jusque dans la période anglaise où plusieurs personnages peints par lui périrent sous la hache des bourreaux de Henri VIII et d'Elisabeth. Le beau et savant livre d'Otto Benesch, que publie Skira, couvre cette période de la Haute Renaissance allemande qui va du milieu du xv e siècle jusqu'au milieu - 0,", à la fin - du XVIe. C'est comme le cijt Benesch, dans sa préface, « une période de grande unité artistique, qui entraîne en son sillon les courants majeurs et unifie les écoles locales ». Considéré dans son ensemble, cet art « veut saisir le monde dans sa réalité magique et scientifique à la fois, représenter .. le macrocosme et le microcosme, proposer une nouvelle conception de l'homme et donner une nouvelle valeur à la forme ». La physionomie protéiforme de Dürer rassemble tous les traits significatifs de

cet art allemand, ardent à embrasser une connaissance experlmentale des choses, à réunir et réconcilier tous les contrastes irrationnels grâce à un dynamisme vigoureux, attentif aussi à l'élaboration d'une doctrine capable de fournir à l'intuition et à l'enthousiasme visionnaire, dont tous les peintres allemands de cette époque sont, littéralemeJ;lt, possédés, ces soubassements scientifiques que Dürer cherchait dans ses ouvrages sur les mesures du corps humain, les fortifications, la perspective 'et les proportions.

Les sommets du XVIe L'influence de Nicolas de Cues sur Dürer, les souvenirs des révélations mémorables de sainte Brigitte de Vadstena sur Mathias Grünewald, le parallélisme évident entre les perspectives cosmiques des grands paysagistes de l'Ecole du Danube, Altdorfer et W oIf Huber au premier rang, et des savants comme Paracelse et Cardan qui sont en même temps des expérimentateurs, des alchimistes, des mystiques et des précurseurs de la « philosophie de la nature» à l'époque romantique, prouvent à quel point la création picturale est marquée par le mouvement des idées. Si tel est ce que l'on pourrait appeler le commun dénominateur applicable à ces écoles et à ces maîtres dont l'individualité est, en tout état de cause, d'une orignalité absolue et captivante, les sommets de cette peinture allemande du XVIe siècle se distinguent autant par leur manière de peindre que par leur ' conception du monde. Otto Benesch nous propose ainsi une équitable re-évaluation de Holbein l'Ancien, trop souvent négligé, Hans junior ayant capté à son profit toute la célébrité de la famille, et que l'analyse du Rétable des Dominicains de Francfort fait apparaître, dans la conception d'ensemble et dans l'exécution des détails, cOlnme un très grand artiste. Nous devons aussi à Benesch une savante analyse des mérites de Bernhard Strigel, de Lucas Cranach. de Hans Burgkmair très justement associé à Cornelis Engelbrechts et au courant prémaniériste hollandais. Il met en lumière, également, le puissant intérêt que doivent susciter des « mineurs» comme Rueland Fruauf dont il fait ressortir la parenté avec le Maître à l'Œillet de Berne, Jorg Breu qui a laissé dans son tableau de la Moisson, à Zwettl en Basse-Autriche, un des paysages objectifs les plus frappants de cette époque, anticipant les aquarelles peintes par Dürer pendant son voyage en Italie, et le Maître M.S. dont la Visitation, à Budapest, établit unc sorte de transition entre les grandes tapisseries à verdures et le pathétique mouvementé des baroques.


,

a HolbeiD Une juste place est faite, enfin, à des artistes peu connus en raison de la rareté de leur œuvre ou du fait que l'on n'a pas été suffisamment attentüs à leur talent, le Maître de Mühldorf dont il faut aller étudier le génie bizarre dans la petite église paroissiale de Altmühldorf-am-Inn et qui surprend par son goût pour les architectures fantastiques, Hans W ertinger, peintre de cour des ducs de Bavière, dont la série des Mois nous ravit par cette impression qu'il nous laisse de grâce légère et foisonnante et de jamais-vu, Urban Gortschacher qui habitait Villach, sur les marches de l'Italie, comme les Pacher, et dont il reste dans quelques églises du Frioul des compositions étrangement structurées, imprégnées d'italianisme, dont la douceur quasi méridionale n'empêche pas des explosions d'une violence paroxyste, presque sauvage. Les grands rétables à transformation qui présentent, dans des architectures de pinacles de bois sculpté, polychrome et doré, une articulation complexe de volets mobiles que l'on ouvre ou que l'on ferme selon les fêtes liturgiques, qui réclament l'exposition de tel sujet tiré des Evangiles ou de la vie des saints, reviennent en honneur après avoir été négligés pendant le xv e siècle, alors qu'ils avaient connu au Moyen Age l'époque de leur plus grande splendeur, mais leur signification s'est modifiée; ils ne sont plus aussi exclusivement religieux que naguère. Une grande place est faite au sculpteur et l'élément pictural pur, la ,recherche de la .beauté de la forme, l'introduction du paysage dramatique, l'intensité psychologique des expressions des personnages et parfois même une certaine magnificence théâtrale tendent à supplanter l'intériorité spirituelle. Une esthétique nouvelle et, en même temps, une conception du monde nourrie des découvertes scientüiques et de l'évolution de la pensée philosophique s'y manifestent, que l'on peut suivre durant les dix années qui séparent le Rétable HelIer, de Dürer, du Rétable de Feldkirch par Wolf Huber, ~t l'on aperçoit, dans le premier, cette conception copernicienne d'un espace rond, par exemple, que souligne Otto Benesch. Cet âge d'or, d'une extraordinaire richesse, où foisonnent les l'étables à transformation, est dominée par le Rétable d'lsenheim par Mathis Gothard Nithart (Mathias Grünewald) où éclate le génie visionnaire de ce maître, le Rétable de saint W olfgang dans lequel Michael Pacher aborde et résout audacieusement les problèmes les plus ardus de l'expression de l'espace, le Rétable de Herrenberg du bizarre et séduisant Jorg Ratgeb von Gmünd, les rétahles de Baldung Grien à Fribourg-en-Brisgau, le Rétable de saint Sébastien de Holbein l'Ancien :: son italianisme vigoureusement

dominé, le Rétable de sainte Catherine de Süss von Kulmhach avec ses forêts magiques qui annoncent déjà le paysage romantique, le Rétable d'Artelshofen, par Wolf Traut, le Rétable de saint Florian dans lequel Alhrecht Altdorfer a « donné», dit Benesch, toute la mesure de son esprit visionnaire apocalyptique, et de la force élé.mentaire qui se cachait en lui », aussi représentatü, à la manière de l'école du Danube, que le Rétable de tous les Saints l'est de cette vigueur et de cette clarté classiques qu'y déploie Dürer.

H.A_ Schmid avait déjà analysé, dans le panneau des Deux Ermites du Rétable d'1senheim, la façon dont Mathias Grünewald avait pris le « tournant décisü » de la peinture de paysage à cette époque. Le thème de la forêt est pour Süss von Kulmbach et pour les lansquenets bernois, Hans Leu et Niklas Manuel Deutsch, cette explication de l'âme allemande, dans sa continuité qui se perpétuera audelà du romantisme jusqu'à Franz Marc, cette mystique de la nature dans l'éprouvement qu'en a l'artiste et aussi le savant (Paracelse,

Altdorfer: Saint-Léopold retrouvant le voile.

Une nouvelle vision de la nature, ignorée des artistes du siècle précédent, s'élance à la conquête du paysage, partant de l'eXpérience sensible, d'un accord avec l'anti· que forêt allemande aussi chère à l'école du Danube qu'elle le sera au romantisme, de l'étude scientifique, géologique, végétale des éléments constitutüs de ce paysage, et d'une intimité passionnée avec les choses qui atteindra sa manifestation la plus aiguë dans le réalisme expressionniste de Cranach. Benesch définit les « liens secrets » qui, anticipant de deux siècles Carus et Friedrich, associeront l'homme et la nature dans une union indissoluble, nourrie de connaissance objective et de participation mystique qui conduit les peintres du XVIe siècle comme, plus tard, les artistes et les poètes à la suite de Novalis, à la poursuite de l' « écriture chiffrée de la nature» et du déchiffrement, dans le tissu même des choses, des secrets du cosmos.

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 février 1967.

Cardan) curieux de l'architecture du cosmos et de ses lois. La vision en l'expérience d'un espace convexe, dans la Bataille d'Alexandre d'Alhrecht Altdorfer, résultent de cette connaissance plénière à laquelle concourent à parts égales l'observation scientifique, l'intuition et cette mythologie instinctive, héritée des vieux peuples germaniques et de leurs religions panthéistes, où l'homme et la nature, dans leur mariage cosmique, ne faisaient qu'un. C'est cet état que retrouve à force de science et d'amour Altdorfer, la plus haute cime de cette chaîne de sommets dont Dürer et Holbein représentent dans le livre de Benesch les points extrêmes. Les panneaux du Rétable de saint Florian, le Saint Georges de Munich et cette Batailled'Alexandre où l'œil et l'esprit se perdent dans une exploration sans limites d'un univers infini, un des tableaux les plus extraordinaires et les plus fascinants qui existent, édifient

cette cosmogonie peinte, comme dit Benesch, à laquelle toute l'école du Danube aspirait et qu'Altdorfer a réalisée, grâce à sa « connaissance intuitive et poétique des forces de la nature» assise sur des bases objectives et expérimentales et transportée par l'esprit visionnaire l'esprit volant disait Dürer, existant chez presque tous les peintres de ce temps-là_ Altdorfer est « le premier à avoir donné . à la peinture de paysage la dignité d'un genre, offrant ainsi à l'homme moderne, privé du soutien qu'il trouvait autrefois dans la religion, une nouvelle patrie qui allait être pour lui une source inépuisable de joie et de force ». Les figures classiques se fondent à leur tour dans la forêt, les faunes et les satyres rejoignant les vieilles forces élémentaires dont les cc hommes sauvages », si souvent représentés dans les tapisseries et l'héraldique du Moyen Age, étaient une préfigure_ OUo : Benesch a très bien montré comment Altdorfer est devenu, plus qu'aucun de ses contemporains, le démiurge du monde qu'il crée luimême à l'aide de son pinceau et (le sa palette grâce à une cc alchim,ie visuelle où jouent des forces magiques ». Traduire et publier les livres d'Otto Benesch étr.:t d'autant plus nécessaire que les Français, en général, connaissent très peu la peinture allemande; au contraire des écoles italienne, espagnole, flamande et hollandaise, elle est très mal représentée dans les musées français et les ouvrages qui lui ont été consacrés testent assez rares_ Cette défaveur·, cette ignorance même tient à l' cc étrangeté» de l'art germanique au regard des esprits c( latins » : l'expressionnisme, malgré sa puissante et pathé-tique originalité, est considéré comme un sous-produit du fauvisme. Il n'existe pas un seul tableau des romantiques dans aucune collection française, et Philip Otto Runge, Carl Gustav Carus, Caspar David Friedrich, Carl Blechen sont, à peine, des noms pour les lecteurs qui ont la curiosité de lire des livres où ils sont étudiés_ Le livre d'Otto Benesch offre à ceux qui ont peu de familiarité avec les musées allemands riches en peintures anciennes le WaIrafRichartz de Cologne, le Stiidel Institut de Francfort, la Alte Pinakothek de Munich, de nombreuses et parfaites reproductions qUi en font une sorte de « musée idéal » de l'art fran~onien, souabe, rhénan et danubien du XVIe siècle. Ainsi possède-t-il le considérable mérite de jeter un pont entre des modes d'expression que le public français était habitué à juger singuliers, presque « exotiques », et ce public même dont la bonne volonté et le désir d'apprendre n'avaient pas encore été suffisamment stimulés et exactement informés. Marcel Brion, de l'Académie française 17


INEDIT

. Sociologie SOvietique .,

En préface à son livre les Etapes de la Pensée sociologique, qui va paraître incessamment aux éditions Gallimard, Raymond Aron expose sa méthode, dont nous extrayons les passages suivants. La sociologie d'inspiration marxiste tend à une interprétation d'ensemble des sociétés modernes, misef à leur place dans le cours de l'histoire universelle. Le capitalisme succède au régime féodal comme celui-ci a succédé à l'économie antique, comme le socialisme lui succédera. La plus-value a été prélevée par une minorité aux dépens de la masse des travailleurs, d'abord grâce à l'esclavage, puis grâce au servage, aujourd'hui grâce au salariat: demain, au-delà du salariat, la plus-value et, avec elle, les antagonismes de classes disparaîtront. Seul le mode de production asiatique, un des cinq modes de production énumérés par Marx dans la préface à la Contribution à la critique de l'économie politique, a été oublié en chemin : peut-être les querelles entre Russes et Chinois inciteront-elles les premiers à rendre au concept de mode de production asiatique et d' (( économie hydraulique» l'importance que lui accordent, depuis quelques années, les sociologues occidentaux. La Chine populaire est plus vulnérable au critique qui userait de ce concept que l'Union soviétique ne l'a jamais été. Le marxisme contient une statique sociale, en même temps qu'une dynamique sociale, pour reprendre les termes d'Auguste Comte. Les lois de l'évolution historique se fondent sur une théorie des structures sociales, sur l'analyse des forces et des rapports de production, théorie et analyse elles-mêmes fondées sur une philosophie, couramment baptisé.e matérialisme dialectique. Une telle . doctrine est à la fois synthétique (ou globale), historique et déterministe. Comparée aux sciences sociales particulières, elle se caractérise par une visée totalisante, elle embrasse l'ensemble ou le tout de chaque société, saisie dans son mouvement. Elle connaît donc, pour l'esse~tiel, ce qui sera aussi bien que ce qui est. Elle annonce l'inévitable avènement d'un certain mode de production, le socialisme. Progressiste en même temps que déterministe, elle ne doute pas que le régime à venir ne soit supérieur aux régimes du pasSé : le développement des forces de production n'est-il pas tout à la fois le ressort de l'évolution et la garantie du progrès ?

L'influenoe amérieaine La plupart des sociologues occidentaux et, parmi eux, avant tout, les sociologues américains, dans les congrès, écoutent avec indifférence ce rappel monotone des idées marxistes, simplifiées et vulgarisées. Ils ne les discutent guère davantage dans leurs écrits. Ils ignorent les lois de la société et de l'histoire, les lois de la macro-sociologie, au double sens que le mot ignorer peut avoir dans cette phrase: ils ne les connaissent pas et ils y sont indifférents. Ils ne croient pas à la vérité de ces lois, ils ne croient pas que la sociologie scientifique soit capable de les formuler et de les démontrer et qu'elle ait intérêt à les chercher. La sociologie améri~aine qui, depuis 1945, a exercé une influence dominante sur l'expansion des études sociologiques, en Europe et dans tous les pays non communistes, est essentiellement analytique et empirique. Elle mul- , tiplie les enquêtes par questionnaires et interviews afin de déterminer de quelle manière vivent, pensent, sentent, jugent les hommes 18

sociaux ou, si l'on préfère, les individus socialisés. Comment votent les citoyens dans les diverses élections, quelles sont les variables - âge, sexe, lieu de résidence, catégorie socioprofessionnelle, niveau dé revenus, religion, etc. - qui influent sur la conduite électorale ? Jusqu'à quel point celle-ci est-elle déterminée ou modifiée par la propagande des candidats ? En quelle proportion les électeurs sont-ils convertis au cours de la campagne électorale ? Quels sont les agents de cette conversion éventuelle ? Voilà quelques-unes des questions que posera un sociologue étudiant les élections présidentielles aux Etats-Unis ou en France et auxquelles seules les enquêtes permettent de donner réponse. Il serait aisé de prendre d'autres exemples - celui des ouvriers d'industrie, celui des paysans, celui des relations entre époux, celui de la radio et de la télévision et d'établir une liste interminable de questions que le sociologue formule ou peut formuler à propos de ces diverses sortes d'individus socialisés, ou de catégories sociales ou de groupes institutionnalisés ou non institutionnalisés. Le but de la recherche est de préciser les corrélations- entre variables, l'action qu'exerce chacune d'elles sur la conduite de telle ou telle catégorie sociale, de constituer, non à priori mais par la démarche scientifique elle-même, les groupes réels, les ensembles définis, soit par la communauté dans les manières d'agir, soit par l'adhésion à un même système de valeurs, soit par une tendance à l'homéostasie, un changement soudain tendant à provoquer des réactions compensatrices.

Idéologie et 8ooiographie Il ne serait pas vrai de dire que cette sorte de sociologie, parce qu'elle est analytique et empirique, ne connaît que les individus, avec leurs intentions et leurs mobiles, leurs sentiments et leurs aspirations. Elle peut, au contraire, atteindre des ensembles ou des groupes réels, des classes latentes, ignorées de ceux qui en font partie et qui constituent des totalités concrètes. Ce qui est vrai, c'est que la réalité collective apparaît moins transcendante qu'immanente aux individus. Les individus ne s'offrent à l'observation sociologique que socialisés: il y a des sociétés non une société, et la société globale est faite d'une multiplicité de sociétés. L'antithèse d'une sociologie synthétique et historique, qui n'est en fait qu'une idéologie, et d'une sociologie, empirique et analytique, qui ne serait, en dernière analyse, qu'une sociographie, est caricaturale. Elle l'était, il y a dix ans, lorsque j'ai songé à éèrire. ce livre, elle l'est plus encore aujourd'hui, mais les écoles scientifiques, dans les congrès, se caricaturent elles-mêmes, entraînées par la logique du dialogue et de la polémique. L'antithèse entre idéologie et sociographie n'exclut nullement que.1a sociologie exerce une fonction analogue en Union soviétique et aux Etats-Unis. Ici et là, la sociologie a cessé d'être critique, au sens marxiste du terme, elle ne met pas en question l'ordre social dans ses traits fondamentaux, la sociologie marxiste parce qu'elle justifie le pouvoir de l'Etat et du parti (ou du prolétariat si l'on préfère), la sociologie analytique des Etats-Unis parce qu'elle admet implicitement les principes de la société américaine. La sociologie marxiste du XIXe siècle était révolutionnaire: elle saluait à l'avance la révolution qui détruirait le régime capitaliste. Désormais, en Union soviétique, la révolution salvatrice n'appartient plus à l'avenir mais au

passé. La rupture décisive que Marx prophétisait s'est produite. Dès lors, par un processus à la fois inévitable et dialectique, un renversement du pour ou contre est intervenu. Une sociologie, née d'une intention révolutionnaire, sert désormais à justifier l'ordre établi. Assurément, elle conserve ou croit conserver une fonction révolutionnaire par rapport aux sociétés que ne gouverne pas un parti marxisteléniniste. Conservatrice en Union soviétique, la sociologie marxiste est révolutionnaire ou s'efforce de l'être en France ou aux Etats-Unis. Mais nos collègues des pays de l'Est connaissent mal (et, il y a dix ans, connaissaient encore plus mal) les pays qui n'ont pas encore fait leur révolution. Ils étaient donc contraints par les circonstances à réserver leur rigueur aux pays qu'ils étaient incapables d'étudier eux-mêmes, et à témoigner d'une indulgence sans limites à leur propre milieu social. La sociologie, empirique et analytique, des Etats-Unis ne constitue pas une idéologie d'Etat, moins encore une exaltation, consciente et volontaire, de la société américaine. Les sociologues américains sont, me semble-t-il, en majorité des libéraux au sens que le mot revêt outre-Atlantique, plutôt démocrates que républicains, favorables à la mobilité sociale et à l'intégration des Noirs, hostiles aux discriminations raciales ou religieuses. Ils critiquent la' réalité américaine au nom des idées ou des idéaux américains, ils n'hésitent pas à en reconnaître les défauts multiples qui, tel l 'hydre de la légende, semblent surgir aussi nombreux, le lendemain du jour où des réformes ont éliminé ou atténué les défauts que l'on dénonçait la veille. Les Noirs vont être en mesure d'exercer le droit dé vote, mais que signifie ce droit si les jeunes ne trouvent pas d'emploi? Quelques étudiants noirs entrent à l'université, mais que signifient ces événements symboliques si, en immense majorité, les écoles que fréquentent les Noirs sont de qualité inférieure ? En bref, les sociologues soviétiques sont conservateurs pour eux-mêmes et révolutionnaires pour les autres. Les sociologues américains sont réformistes quand il s'agit de leur propre société et; implicitement au moins, pour toutes les sociétés. L'opposition, en 1966, n'est plus aussi marquée qu'elle l'était en 1959, date du congrès mondial auquel je fais allusion. Depuis lors, les études empiriques, de style américain, se sont multipliées en Europe orientale, plus nombreuses peut-être en Hongrie et surtout en Pologne qu'en Union soviétique. En Union soviétique aussi la recherche expérimentale et quantitative, sur des problèmes clairement délimités, s'est développée. ,Il n'est pas impossible d'imaginer, dans un avenir relativement proche, une sociologie soviétique, elle aussi réformiste au moins pour l'Union soviétique, combinant l'approbation globale et les contestations particulières.

Réforme et révolution La combinaison est moins aISee dans l'univers soviétique que dans l'univers américain ou occidental pour une double raison. L'idéologie marxiste est plus précise que l'idéologie implicite de l'école dominante de la sociologie américaine, elle exige des bOCiologues une approbation moins aisément compatible avec les idéaux démocratiques que ne l'est l'approbation par les sociologues américains du régime politique des Etats-Unis. De plus,.la critique du détail ne peut être poussée loin sans compromettre la validité de l'idéologie ellemême. En effet, celle-ci affirme que la rupture


et sociologie américaine

Raymond A ron

décisive dans le cours de l'histoire humaine est intervenue en 1917, lorsque la prise du pouvoir par le prolétariat ou le parti a permis la nationalisation de tous les instruments de production. Si, après cette rupture, le train ordinaire des choses humaines se poursuit sans modification notable, comment sauvegarder le dogme de la Révolution salvatrice ? A l'heure présente, il me paraît légitime de répéter une remarque ironique faite à Stresa après la lecture de deux rapports, l'un du professeur P.N. Fedoseev et l'autre du professeur B. Barber: les sociologues soviétiques sont plus satisfaits de leur société que de leur science; les sociologues américains, en revanche, plus satisfaits encore de leur science que de leur société. Dans les pays européens comme dans ceux du tiers monde les deux influences idéologique et révolutionnaire d'une part, empirique et réformiste d'autre part, s'exercent simultanément, l'une ou l'autre étant la plus forte selon les circonstances. Dans les pays développés, en particulier dans les pays d'Europe occidentale, la sociologie américaine ramène les sociologues « de la révolution aux réformes », bien loin de les entraîner « des réformes à la révolution ». En France, où le mythe révolutionnaire était particulièrement fort, beaucoup de jeunes universitaires ont été progressivement convertis à une attitude réformiste au fur et à mesure que le travail empIrlque les amenait à substituer l'enquête analytique et partielle aux visions globales. Encore est-il difficile de faire la part, dans cette conversion, de ce qui revient aux changements sociaux et de ce qui revient à la pratique sociologique. La situation, en Europe occidentale, est de moins en moins révolutionnaire. Une croissance économique rapide, des chances accrues de promotion sociale d'une génération à une autre n'incitent pas les hommes ordinaires à descendre dans la rue. Si l'on ajoute que le parti révolutionnaire est lié à une puissance étrangère et que celle-ci offre en exemple un régime de moins en moins édifiant, ce n'est pas le déclin de l'ardeur révolutionnaire qui est surprenant mais la fidélité, malgré tout, de millions d'électeurs au parti qui se prétend le seul héritier des espoirs révolutionnaires. En Europe aussi bien qu'aux Etats-Unis, la La Quinzaine littéraire, le, au 15 février 1967.

tradition de la critique (au sens marxiste)" la tradition de la sociologie synthétique et historique ne sont pas mortes. C. Wright Mills, Herbert Marcuse aux Etats-Unis, T.W. Adorno en Allemagne, L. Goldmann en France, que leur critique ait pour origine le populisme ou le marxisme, s'en prennent tout à la fois à la théorie formelle et ahistorique, telle qu'elle s'exprime dans l'œuvre de T. Parsons, et aux enquêtes, partielles et empiriques, caractéristiques de presque tous les sociologues, à travers le monde, qui veulent faire œuvre scientifique. Théorie formelle et enquêtes partielles ne sont pas logiquement ou historiquement inséparables. Beaucoup de ceux qui pratiquent effectivement des enquêtes partielles sont indifférents ou hostiles à la grande théorie de T. Parsons. Les parsoniens ne sont pas tous voués à des enquêtes parcellaires dont la multiplication et la diversité interdiraient le rassemblement et la synthèse. En fait, les sociologues d 'inspiration marxiste, soucieux de ne pas abandonner la critique globale ou totale de l'ordre existant, ont pour ennemis à la fois la théorie formelle et les enquêtes parcellaires sans pour autant que ces deux ennemis se confondent : s'ils ont paru plus ou moins liés dans la société et la sociologie américaine, à une certaine date, la conjonction n'est ni nécessaire ni durable. La théorie économique dite formelle ou abstraite a été rejetée jadis et par l'école historiciste et par l'école désireuse de recourir à une méthode empirique. Ces deux écoles, en dépit d'une commune hostilité à la théorie abstraite et ahistorique étaient essentiellement différentes. L'une et l'autre ont retrouvé et la théorie, et l'histoire. De même, les écoles sociologiques hostiles à la théorie formelle de Parsons ou à la sociolographie sans théorie retrouvent, par des voies diverses, et l'histoire et la théorie, tout au moins la mise en forme conceptuelle et la quête de propositions générales, quel que soit le niveau où se situent ces généralités. Elles peuvent même, en certains cas, aboutir à des conclusions révolutionnaires plutôt que réformistes. La sociologie empirique, dès lors qu'elle s'attache aux pays que le langage courant baptise sous-développés, met én lumière les obstacles multiples que les rapports sociaux ou les traditions religieuses ou morales élèvent sur la voie du développement ou de la modernisation. Une sociologie empirique, formée aux méthodes américaines, peut, en certaines circonstances, conclure que seul un pouvoir révolutionnaire parviendrait à briser ces résistances. Par l'intermédiaire de la théorie du développement, la sociologie dite analytique retrouve l'histoire - ce qui s'explique aisément puisque cette théorie est une sorte de philosophie formalisée de l'histoire contemporaine. Elle retrouve aussi une théorie puisque la comparaison entre les sociétés exige un système conceptuel, donc une des modalités de ce que les sociologues appellent aujourd'hui théorie ...

Une

eontinui~

Entre la sociologie marxiste de l'Est et la sociologie parsonienne de l'Ouest, entre les grandes doctrines du siècle passé et les enquêtes parcellaires et empiriques d'aujourd'hui, subsiste une certaine solidarité ou, si l'on préfère, une certaine continuité. Comment méconnaître la continuité entre Marx et Max Weber, entre Max Weber et Parsons, et, de même, entre Auguste Comte et Durkheim, entre ce dernier, Marcel Mauss et Claude Lévi-Strauss? Manifestement, les sociologues d'aujourd'hui sont, à certains égards, les héritiers et les continuateurs de ceux que d'aucuns appellent les pré-

sociologues. L'expression même de présociologue met en lumière la difficulté de l'enquête historique à laquelle je voulais procéder. Quel que soit l'objet de l'histoire - institution, nation ou discipline, scientifique - il faut définir ou délimiter cet objet pour en suivre le devenir. A la rigueur, l'historien de la France ou de l'Europe pourrait s'en tenir à un procédé simple: un morceau de planète, l'hexagone, l'espace situé entre l'Atlantique et l'Oural serait appelé France ou Europe et l'historien raconterait ce qui s'est passé sur cet espace. En fait, il n'use jamais d'une méthode aussi grossière. France et Europe ne sont pas des entités géographiques mais des entités historiques, elles sont définies, l'une comme l'autre, par la conjonction d'institutions et d 'idées, reconnaissables bien que changeantes, et d'un morceau de terre. Cette définition résulte d'un va-et-vient entre le présent et le passé, d'une confrontation entre la France et l'Europe d'aujourd'hui et la France et l'Europe du siècle des Lumières ou de la chrétienté. Le bon historien est celui qui garde le sens de la spécificité de chaque époque, de la suite des époques et, enfin, des constantes qui, seules, autorisent à parler d'une seule et même histoire ... La sociologie est l'étude qui se veut scientifique du social en tant que tel, soit au niveau macrascopique des vastes ensembles, classes, nations, civilisations ou, pour reprendre l'expression courante, sociétés globales. Cette définition permet de comprendre pourquoi il est malaisé d'écrire une histoire de la sociologie, de savoir où celle-ci commence et où elle finit . ~ Aristote

à Le Play

Toutes les sociétés ont eu une certaine conscience d'elles-mêmes. Maintes sociétés ont conçu des études, qui se voulaient objectives, de tel ou tel aspect de la vie collective. La Politique d'Aristote nous apparaît eomme un traité de sociologie politique ou comme une analyse comparative des régimes politiques. Bien que la Politique comportât aussi une analyse des institutions familiales ou économiques, le centre en était le régime politique, l'organisation des rapports de commandement à tous les niveaux de la vie collective et, en particulier, au niveau où s'accomplit, par excellence, la sociabilité de l'homme, la cité. Dans la mesure où l'intention de saisir le social en tant que tel est constitutive de la pensée sociologique, Montesquieu mérite de figurer dans ce livre à titre de fondateur plutôt qu'Aristote. En revanche, si l'intention scientifique avait été tenue pour essentielle plutôt que la visée du social, Aristote aurait eu des titres probablement égaux à ceux de Montesquieu ou même d'Auguste Comte. Il y a plus. La sociologie moderne n'a pas seulement pour origine les doctrines historicosociales du siècle dernier, elle a une autre source, à savoir les statistiques administratives, les surveys, les enquêtes empiriques. Le professeur Paul Lazarsfeld poursuit, depuis plusieurs années, avec le concours de ses élèves. une recherche historique sur cette autre source de la sociologie moderne. On peut plaider. non sans de solides arguments, que la sociologie empirique et quantitative d'aujourd'hui doit davantage à Le Play et à Quételet qu'à Montesquieu et à Auguste Comte. Après tout, les professeurs d'Europe orientale se convertissent à la sociologie du jour où ils ne se bornent pas à rappeler les lois de l'évolution historique telles que les a formulées Marx mais où ils interrogent à leur tour la réalité soviétique à raide de statistiques, de questionnaires et d'interviews. Raymond Aron (Les intertitres sont de la rédaction. )

19


:PHILOSOPHIE

• • •

Husserl

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~S~PRI. T~ • • : • • • • • : • • • • • • • • • • • •

L'ALLEMAGNE de' nos incertitudes • par A. GROSSER J" ROVAN, H. KUBY

La ieunesse allemande et Auschwitz

• • • : • G. MURY: • • • • : • • JANVIER 1967 : 7 F. • • 19, rue Jacob, Paris,6e : C. C. P. Paris 1154-51 • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• : • • • • : • CAHIERS TRIMESTRIELS DE LITTERATURE • • RtDACTION : • • YVES BONNEFOY :

Où sont les

communistes?

ESPRIT

L'ÉPHÉMÈRE

ANDRE DU BOUCHET LOUIS·RENt DES FOR[TS GAETAN PICON

Mais quel discours est possible lorsqu'il s'agit de ce qui est absolument simple? Plotin EDITIONS DE LA FONDATION MAEGHT 9 RUE BERRYER PARIS 8 06 SAINT-PAUL

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D. Christoff Husserl Seghers éd., 198 p.

.Clair, rigoureusement construit, appuyé d'un choix très judicieux de textes, le livre de D. Christoff présente avec chaleur une pensée pour laquelle l'auteur ne dissimulè pas son admiration. Sont évités les écueils d'une interprétation de la phénoménologie à partir des courants qui l'ont prolongée, ou d'une étude technique hérissée d'un vocabulaire inutilement compliqué. Il n'est pas aisé d'introduire à Husserl dont on sait bien qu'il n'y a pas de philosophie sérieuse - aujourd'hui - qui n'y renvoie comme à sa source, sans jamais pourtant s'y réduire. C'est que l'entreprise de Husserl, si elle a une exemplarité et un caractère inaugural qui l'apparentent aux grandes philosophies, n'a pas une « consistance cc qui satisfasse. En définitive Husserl dit très peu de chose et laisse son lecteur cc déÇU». Faisant vœu de pauvreté, il passe un temps infini sur les premières intuitions et n'en finit pas de commencer. Il y a quelque chose de tragique à voir cet appétit d'embrasser le monde concret dans toute sa plénitude ne saisir, en fin de compte, que des ombres, des cc profils», et, croyant moudre le réel, ne moudre que des objets fantômes. La cause de cet inachèvement est dans la contradiction qui articule le système: fonder la science sur l'Ego transcendantal, retrouver, à travers la critique du psychologisme, le problème de l'apriori et buter sur l'impossibilité où est cet Ego d'énoncer la vérité de sa propre origine et de , comprendre la nature d'un râpport au monde et à l'Autre plus ancien que lui. Oscillant entre un empirisme toujours refusé et une ontologie dans laquelle s'abolirait la primauté du sujet, Husserl demeure dans cette tension qui fait de lui le père humilié de Sartre aussi bien que de Heidegger. Les Recherches logiques, en montrant l'impossibilité d'une fondation psychologique de la logique (car une telle thèse en supprimant les conditions de possibilité de toute théorie se supprime ellemême), rétablissent le sens de la vérité contre les doctrines qui la rendent relative à des purs faits ou lui donnent le caractère d'un simple produit d~ la conscience subjective. Par-delà le fait psychique, pris dans la chaîne et la trame de l'ici et du maintenant et n'ayant que le statut d'un événement, ce qui est visé possède un autre mode d'être : celui d'une essence. La fondation radicale du savoir, qui était le projet initial, aboutit ainsi à la constitution d'une eidétique formelle dans laquelle les essences' sont faut-il le préci-

ser ce en quoi la « chosemême » se donne à moi originairement et non une réalité ontologique séparée. Peuvent ainsi être décrites dans leurs structures propres les diverses régions de l'être et définies les conditions de possibilité de leur connaissance empirique. Un choix s'impose alors à notre penseur: soit construire une « mathématique universelle» en éliminant toute référence au réel et rater l'être du monde, soit, fidèle à la définition de l'essence comme « sens-pour» le sujet, expliciter les intentions de la conscience constituante. C'est cette voie celle des Idées et des Méditations cartésiennes que prend la réflexion husserlienne qui s'inscrit alors dans la grande tradition de la philosophie réflexive. Il y a un paradoxe au moins apparent à voir Husserl partir d'une question kantienne - fonder le savoir contre l'empirisme et renouer avec... Descartes. En fait ce cc retour» n'est en rien retour à un6 philosophie cc précritique», et si Husserl va à Descartes, c'est au-delà de Kant, non en deçà. Le sujet fondateur du savoir, source des significations, Husserl ne peut se satisfaire de le voir réduit au sujet kantien. On sait que celui-ci n'est que le cc reste» d'une analyse de la Physique, le point d'unification nécessaire à la position du discours scientifique, sujet quelconque de l'objet quelconque. En reprenant l'inspiration cartésienne, Husserl se donne un sujet concret, source d'une expérience réelle. Déjà cc l'héroïsme» husserlien, cette volonté têtue de re-partir, de re-trouver un commencement radical avait apparenté les entreprises phénoménologique et cartésienne. Cela, cependant, ne doit point nous masquer la différence. Chez Descartes le Cogito va pouvoir remplir sa fonction de point de départ et de première vérité parce que, sans mystère, sans arrière-fond, il contient par ailleurs la marque du Grand Médiateur par Qui se trouvent fondées l'existence de l'être fini et son ouverture au monde. Chez Husserl, le cc Je » est au contraire épaisseur touffue, mystérieuse, qu'il s'agit d'élucider inlassablement, moins point de départ d'une chaîne de vérités que milieu dans lequel celle-ci se déroule, cc je » fondateur, lui-même à la recherche toujours déçue de son propre fondement. L'être propre de la conscience est saisi comme intentionnalité . :Toute conscience est conscience de quelque chose et, réciproquement, tout objet est objet - pour une conscience. Je ne peux même imaginairement penser ma conscience si je lui retire ce dont elle est conscience (car même cc conscience du Rien », elle aurait celui-ci comme phénomène visé). Il y a une corrélation universelle

du sujet et de l'objet et cette liaison est essentielle et non pas entre deux réalités pouvant exister séparément. Concevoir l'essence de la conscience comme rapport intrinsèque à son Autre, c'est récuser toute illusion d'une possession directe de soi par soi. La conscience s'épuise dans les visées intentionnelles de types aussi divers que les types d'objets qui lui apparaissent et nous ne la récupérons que sur ces mouvements cc exstatiques». Notre savoir sur la conscience fait désormais problème et devient tâche à entreprendre. Est-ce à dire que l'analogie devient possible entre les concepts husserliens et freudiens ? A moins de tomber dans des inepties du genre: cc le sujet transcendantal est l'inconscient freudien», une telle analogie ferait perdre à la psychanalyse toute sa spécificité et toute son authenticité. La phénoménologie ne peut prétendre qu'abusivement être la philosophie implicite d'un freudisme échappant au cc naturalisme ». Nous restons avec Husserl dans l'horizon d'une philosophie du Sujet. Si, poursuivant la réduction et, passant du phénoménologique au transcendantal, je m'abstiens de toute thèse au sujet du monde et du moi comme existant, èette ultime mise entre parenthèses révèle le Moi pur, le cc Je» opérateur de la réduction, l'Ego transcendantal. Comme l'écrit Husserl: cc Le moi et le nous que nous appréhendons impliquent un je et un nous cachés auxquels ils sont présents. L'expérience transcendantale nous ouvre à cette subjectivité transcendantale.» Le mystère de cet Ego ne cessera de tourmenter Husserl qui se voit enfermé dans le cercle infernal d'un Ego orlgme du temps et d'un temps origine de l'Ego. Le tragique entêtement de Husserl pour trouver un commencement témoigne en faveur de l'authenticité de sa pensée. Son échec nous signale la cc malédiction » de la philosophie spéculative qui, parce qu'elle débute par la coupure, se barre toute récupération. Le penseur vient toujours trop tard. Le constitué le précède, qu'il veut déplier pour en comprendre le sens. Son projet de recommencement est marqué de l'oubli du Temps. Refaisant son chemin en arrière, remontant à l'origine, le philosophe, aveugle, poursuit en avant sa marche, car le temps de la réduction n'est pas un temps hors du temps. Il n'y a pas de surplomb d'où serait possible la VISION. Husserl nous a montré-' caché ce statut de la réflexion qui a pour corrélatif un sujet unificateur, foyer central grâce à quoi les différents discours peuvent se recouper, se confirmer, se compléter et tisser le discours Un, discours de l'Un. André Akoun


PSYCHANALYSE

La Dlort dans l'hoDlDle

Melanie Klein, Paula Heimann, Susan Isaacs, Joan Rivière Développements de la psychanalyse traduit par Willy Baranger, préface d'Ernest Jones. P.U.F. éd., 344 p. 24 F.

L'investigation que depuis plus de quarante années Melanie Klein poursuit dans le domaine de la psychanalyse des tout jeunes enfants s'inscrit clairement dans les cadres fondamentaux de la doctrine freudienne: prévalence de l'inconscient et de la sexualité, dynamique conflictuelle des structures mentales, dualisme essentiel entre pulsion de vie et pulsion de mort ... L'effort de Klein a porté principalement sur l'étude des premières relations objectales, la description des phantasmes et des mécanismes qui précèdent et préparent la grande crise de l'Œdipe. Ses travaux et leur élaboration théorique sont exposés dans cet ouvrage de base de la pensée contemporaine, la Psychanalyse des enfants!. Les thèses kleiniennes, souvent violemment dénigrées, ont servi de plateforme à ce qu'on appelle l'Ecole anglaise de psychanalyse, dont certaines contributions, groupées avec quatre études importantes de Melanie Klein, paraissent aujourd'hui dans le recueil intitulé Développements de la psychanalyse. L'étude des psychoses, les longues psychanalyses de très jeunes enfants effectuées grâce à la méthode de psychanalyse par le jeu qui permet de tourner l'obstacle d'une communication verbale impossible, l'observation du comportement des nourrissons ont fourni à Melanie Klein et à ses disciples un appareil conceptuel original, qui a rendu possible l'appréhension de cette « ère obscure et pleine d'ombres », comme disait Freud, que sont les premiers mois et les premières années du développement psychique.

Dès la naissance, le psychisme infantile, plongé ou confondu dans la dyade mère-enfant, ce que Midlemore appelle the nursing couple, est le siège d'une formidable activité centrée sur l'organe privilégié de la survie, l'orifice buccal, en' relation avec sa source nourricière, le sein; mais le corps tout entier - peau, muscles, sexe, viscères, organes des sens, etc. participe au surgissement et au tournoiement des phantasmes qui en sont, proprement, l'expression psychique (cf. chap. III, « Nature et Fonction du Phantasme », par Susan Isaacs). Le rythme vital binaire du besoin et de la satisfaction, du comblement et de la frustration introduit le principe d'une première relation objectale et l'exercice de ce processus primordial du psychisme, si fortement mis en lumière par l'Ecole anglaise, le clivage: le sein maternel, donc la mère, est « bon» lorsqu'il gratifie, « mauvais» lorsqu'il frustre; le nourrisson projette ses pulsions libidinales sur le sein « bon », qui devient le modèle de la satisfaction totale, illimitée, un sein « idéal» qui, sous l'effet de l'introjection, dessine dans le psychisme infantile une première figure, positive et favorable, du surmoi. Parallèlement, le sein « mauvais » accueille l'angoisse de persécution liée à la perte de la situation intra-utérine et à la peur de l'anéantissement, qui est le mode catastrophique sur lequel le nourrisson vit ses propres pulsions destructrices et l'action assaillante du monde extérieur; le sein « mauvais », introjecté, constitue la figure originelle grimaçante, menaçante du surmoi. L'ouvrage de l'Ecole anglaise fourmille de descriptions et d'analyses qui révèlent l'entremêlement infini des mécanismes de clivage, de projection et d'introjection et le brassage véritablement hallucinant des phantasmes et le vertigineux enlacement de la pulsion de vie et de la pulsion de mort (cf. entre

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 février 1967.

autres, chap. II, « Sur la genèse du conflit psychique dans la toute première enfance », de Joan RiVIere, et chap. IV, « Certaines fonctions de l'introjection et de la projection dans la première enfance », de Paula Heimann). Que le langage ait quelque difficulté à communiquer cette réalité psychique « indicible », où aucune forme n'est donnée sans que soit présente la forme antagoniste, où tirent dans des directions opposées et pourtant complémentaires l'identification à l'autre et l'intégration du moi, l'appel de la régression et l'exigence de progrès, l'omnipotence hallucinatoire et les contraintes du milieu - un passage d'une étude de Melanie Klein (chap. VIII, « Sur la théorie de l'angoisse et de la culpabilité ») peut en donner une idée; elle traite de « la première des situations d'angoisse» étudiée par Freud, « la peur d'être dévoré par l'animal totem (par le père) ». « C'est à mon av~s une expression sans fard de la crainte d'anéantissement total de la personne. La crainte d'être dévoré par le père dérive de la projection des pulsions qu'a l'enfant de dévorer ses objets. De cette façon, c'est d'abord le sein de la mère (et la mère tout entière) qui devient dans le psychisme de l'enfant un objet dévorant... et ces craintes s'étendent bientôt au pénis du père et au père tout entier. En même temps, puisque dévorer implique pour commencer l'intériorisation de l'objet dévoré, on sent que le moi contient des ob jets dévorés et dévorants. » (p. 260)

Ces figures parentales primitives internalisées, chargées d'ambivalence et prises dans le chassé-croisé des pulsions libidinales et des pulsions destructrices, se composent dans les stades primaires du complexe d'Œdipe un des aspects les plus originaux de la recherche

kleinienne; vers le SIXleme mois environ de la vie du nourrisson, des facteurs nouveaux interviennent qui entrent en coalescence avec les structures antérieures : les pulsions génitales se mêlent aux pulsions orales, l'objet total - le père, la mère aux objets partiels, les images des parents externes aux images internalisées; la prédominance de l'oralité maintient les rapports objectaux, du sujet aux parents et des parents entre eux, sur le registre de l'incorporation; le nourrisson veut pénétrer dans la mère et la posséder complètement, c'est l'Œdipe primaire direct; mais s'identifiant en même temps à la mère, l'enfant veut comme elle incorporer le pénis paternel, c'est l'Œdipe inverti. A cette étape de son développement, le psychisme infantile est fortement ébranlé par le phantasme de la scène primitive, image des parents unis dans un coït indéfini, avec absorption réciproque et totale. Melanie Klein reprend et précise dans les Développements ses célèbres thèses sur les situations cruciales de l'évolution du nourrisson, la position schizoparanoïde et la position dépressive (cf. notamment chap. VI, « Quelques conclusions théoriques au sujet de la vie émotionnelle des bébés, et chap. IX, « Notes sur quelques mécanismes schizoïdes»). La position schizoparanoïde s'articule sur la peur de l'anéantissement, l'angoisse de persécution, auxquelles l'enfant réagit en ·renforçant ses clivages et par la négation; Klein attribue une importance particulière à la position dépressive, progrès capital dans la vie émotionnelle du bébé, point crucial pour le choix des névroses et des psychoses: l'enfant parvient à saisir la mère comme objet total et aimant, il s'attribue la responsabilité des dommages qu'il imagine qu'elle subit, et il cherche à surmonter son terrible sentiment de culpabilité à l'aide des phantasmes de réparation, qui fondent les progrès du sujet dans le sens de l'intégration et de la créativité.

La « destrudo » La théorie de la pulsion de mort la destrudo, selon le terme d'Edoardo Weiss, qui n'a pas été adopté - est la proposition freudienne qui a soulevé les résistances les plus farouches; l'Ecole kleinienne en fait un puissant usage. Le thème court à travers toutes les études du livre, mais il est traité avec plus d'ampleur dans le dernier chapitre, « Notes sur la théorie des pulsions de vie et des pulsions de mort », de Paula Heimann, qui montre, à la suite de Freud, que « les forces de mort agissent dans l'homme lui-même », dès la naissance et tout au long de la vie, établissant d'étranges. ~ 21


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un livre d'actualité

UNESCO

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• • ~ La mort dans • l'homme

recommandé par Pierre Avril d~ns La Quinzaine littéraire du 1er janvier, pages 21-22

L'index des traduotions

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LES FAMILLES POLITIQUES

redoutables ou féconds rapports avec les pulsions érotiques. Des indications concrètes sont données en vue de ce qu'on pourrait nommer une « psychopathologie de la mort quotidienne», dont on imagine à quel point elle serait précie use pour une connaissance approfondie des comportements et des motivations non seulement dans l'existence du sujet comme tel, mais surtout dans ses rapports avec autrui, ses choix politiques et historiques. Klein et son Ecole rencontrent dans les milieux psychanalytiques une violente hostilité. On dresse contre elles l'argument d 'autorité: citations de Freud et thèses d'Anna Freud; les « purs praticiens» évoquent l'éternelle efficiency, dont on attend toujours qu'elle établisse ses preuves et qui trop souvent sert d'écran à d'assez disgracieuses idéologies. Un récent Traité de • psychanalyse écrit que « le mode

Le Supplément littéraire du Times de Londres a consacré, en janvier. sa première page à la question : • When To Translate? " à propos de la publication à Londres d'une série d'ouvrages de Georges Lefebvre, Et de noter que les Russes, les Japonais, les Allemands, les Polonais, les Slovaques, les Tchèques, voire les Hongrois ont eu la possibilité d'accéder à ces textes avant les AngloSaxons. Reste que la littérature générale fait l'objet de traductions plus rapides que les ouvrages d'érudition . L'Index Translationum, publié par l'Unesco, et qui a diffusé, à la fin de 1966, les statistiques de 1964, donne à ce sujet, un certain nombre de renseignements significatifs. Sur un total de 37483 traductions recensées dans 63 pays, y compris la France, les traductions du français sont au nombre de 4430, soit 11,3 % (contre 10,9 % l'année précédente), L'auteur dont les traductions sont les plus nombreuses est Jules Verne - 128 traductions - qui laisse loin derrière lui Balzac, brillant second 70, Viennent ensuite Maupassant 59. Sartre 57. Dumas père 52. Victor Hugo 43 , Zola 43 , Plus loin encore, on trouve Flaubert - 32 - et André Matl/'Uis

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de pensée des théories kleiniennes peut être comparé au « réalisme naïf» des notions « démonologiqnes» (R. Loewenstein) et repro• che à Klein d'être « excessive ».

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Pourtant, les thèses hleiniennes n'ont cessé de manifester leur fécondité et d'élargir leur portée; des études d 'enfants, menées avec d'autres méthodes gestaltistes, behavioristes ou psychanalytiques - leur ont apporté parfois dc surprenantes confirmations (cf. surtout les travaux d'A. Gesell, et aussi le livre de R. Spitz, la Pre-

• mière Année de la vie de l'enfant, • • • • • •

dont l'auteur refuse, en dépit de tout, de nommer Melanie Klein) ; dans le domaine ethnologique, c'est une éclatante illustration que constitue l'œuvre tout entière de Geza Roheim (cf. notamment Psychana-

• lyse et Anthropologie, les Etres • éternels du rêve, où l'on voit les

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poètes (Jean Genet)_ Joan Rivière nous paraît donc dire juste lorsqu'elle qualifie, dans l'Introduction générale, l'œuvre kleinienne de « théorie intégrée (lui, même encore schématique,' tient compte cependant de toutes les manifestations psychiques nor1 1 d . 1 . nta es et anorma es, epulS a natssance jusqu'à la mort» (p. Il). Le h' hl . . , ff .

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l. P.U.F., 1959. Traduction de J.-B .. Boulanger. L'ouvrage est épwse. Le texte allemand original et sa traduction

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30.

La Bibliographie de la France relève que l'Index Translationum pour la France comporte 20 % d'auteurs qui ont passé pour la première fois le cap des 5 traductions en une seule année, tels Le Clézio ou Roger Caillois. On pourrait en déduire que ces derniers viennent ainsi d'accéder à la notoriété internationale si l'on ne trouvait dans le même cas des auteurs fort peu connus du grand public, comme L. Taxi!, J , de Courber ive ou P. Grimal, à côté de romanciers à succès mais dont la vogue n'est pas forcément synonyme d'un label de qualité indiscutable : Frédéric Dard ou S. Japrisot . Dans le domaine internationa l, précisément, le tableau des auteurs dE) tous les pays qui ont connu le plus de succès de traduction compre nd, en tête, Lénine (201) avant Shakespeare (193) . Deux autres auteurs seulement ont obtenu dans l'année plus de cent traductions : Tolstoï et.. . Jules Verne . Il semble que ce soit la politique et le roman policier qui se partagent également la faveur du public de masse dans tous les pays, car l'on trouve ensuite, dans le groupe de pointe, Karl Marx et Engels, Agatha Christie et Georges Simenon. Dans l'ensemble, on relève parmi les auteurs qui ont fait l'objet de plus de vingt traductions en 1964, 55 auteurs de langue anglaise, 21 de langue française, 13 de langue allemande et 12 de langue russe. SI l'on se réfère aux sujets des livres traduits, les ouvrages religieux français sont ceux qui suscitent le plus grand intérêt. Leur part est passée de 21,9 % à 25,2 %, de 1963 à 1964. Ils arrivent nettement en tête, devant les ouvrages de philosophie, 18,1 %. La catégorie • arts, jeux, sports • vient ensuite avec 15,5 %. On ne trouve la littérature générale qu'après l'histoire, la géographie et le biographies qui totalisent 11,6 %, alors que les œuvres littéraires n'entrent dans la statistique que pour 11,6' % seulement. Ouelques repères : De Gaulle : 6 traductions; Gide : 23; Ionesco : 18; Robbe-Grillet : 5; Françoise Sagan 25; Michel Butor : 9; Camus : 25.

datent de 1932. Il vienne au public français _

a

fallu

.... 1 • vingt-sept ans pour que l'ouvrage par-

Signature Roland Dubillard signera la Maison d'os, Naïves hirondelles et Je dirai que je suis tombé (poèmes) le mercredi 1" février 1967, de 17 h 30 à 20 h à la librairie L'Etrave 35 rue StLouis-en-l'lIe, Paris 4. Odé, 23-89.


POLITIQUE

La Chine de Mao K.8. Karol La Chine de Mao (l'Autre Communisme) Robert Laffont éd., 483 p.

périple, a peut-être eu de vérifier ce que lui « l'oncle Greyher» son de géographie au lycée

l'occasion enseignait professeur de Lodz:

« Il suffirait aux Chinois de s'ar-

mer de bâtons pour former une

Il est sans doute plus facile, ' armée invincible». L'intérêt de ce livre tient moins qu'on ne le croit généralement d'être Chinois. Mais il est incon- à la valeur des reportages, pleins testablement difficile pour noUs de d'une finesse teintée parfois d'une comprendre la Chine à l'heure de certaine ironie, traitant aussi pien la révolution culturelle et ce n'est des communes populaires, de la pas le moindre mérite de l'ouvrage bourgeoisie nationale, du dialogue de K.S. Karol de donner à son amoureux qu'à l'esquisse de l'analecteur attentif, dans' un langage ' lyse de cet autre 'communisme qui dont il a le bon usage, des élé- s'élabore en Chine et de ses conséments d'analyse sans pour autant quences sur le monde communiste. L'observation de , la société chilui imposer une explication univoque. La qualité particulière de noise fait apparaître à un esprit l'ouvrage provient essentiellement du fait que l'analyse de la réalité chinoise procède de l'intérieur et n'est pas $imple description de voyageur se limitant à quelques visites désormais presque classiques ; vision des êtres et des choses née de la formation de l'auteur et des circonstances de sa venue en Chine. L'auteur en effet, né en Pologne en 1924, al'heva, par suite des vissicitudes de l'histoire, sa formation à l'Université soviétique de Rostov en étudiant les sciences politiques ; en 1945 sans rompre pour autant ses attaches politiques il vient s'installer en Occident et ce n'est qu'à travers diverses péripéties qu'il s'éloigne du « stalinisme» pour apparaître à travers ses diverses collahorations comme un . homme capable d'analyser le langage du monde socialiste et d'en " rendre compte à ses lecteurs en utilisant une conceptualisation qui leur soit familière. Lè chance de K.S. Karol fut sa rencontre avec Chou En-lai à Alger en 1963. Il réussit à le convaincre, sans doute en partie à cause de la singularité de sa biographie, de l'intérêt qu'il y aurait à ee qu'il effectuât un voyage en Chine dont le « fil rouge» serait une comparaison entre les · expériences chinoises et soviétiques. Toute facilité lui fut accordée et il put en un peu plus de quatre mois, de fin 1964 à mai 1,9 65 parcourir 25.000 kilomètres, traversant le pays de long en large, de de formation marxiste une contraKunming et Nanning qui sont aux diction essentielle constituée par frontières du Vietnam, à Hahin, l'affirmation d'une orthodoxie docqui est à celles de la Russie; de trinale stalinienne et d'une , pratiShanghaï dans le sud-est à Yenan que sociale des plus hérétiques par dans le nord-ouest. L'auteur entre rapport aux valeurs implicitement autres choses, au cours de ce long contenues dans l'idéologie officiellement affirmêtr:' Le caractère hybride du puzzle chinois se dévoile à travers les Parmi les livres récemment publiés sur la Chine, citons: affirmations des interlocuteurs du Jean Baby: La grande controverse voyageur, les nombreux portraits sino-soviétique, Grasset éd. de Staline qui ne sont pas sans lui François Fejto: Le conflit Chine'URSS, rappeler sa jeunesse soviétique ; et, 2 vol., Plon éd. Tibor Meray: La rupture Moscou· échappant au cadre stalinien, des Pékin. Laffont éd. systèmes de rémunération qui ne pt des albums de photos : doivent rien à leurs homologues Claude Estier: La Chine en 1 000 imasoviétiques et des types de héros ges. LarrOn! éd. ~Iare Riboud: Les trois bannières de proposés aux masses très difféla Chine, Laffon! éd. rents. Emil Schulthess : La Chine, Albin MiLe stalinisme, qu'il fût nécessité chel éd. ou non, se donnait pour une total.a Quinzaine littéraire, 1" au 15 février 1967.

lité, il s'analysait Pour l'essentiel comme un ensemble de procédés mis en œuvre pour assurer l'industrialisation d'un pays sous-développé, ce qui impliquait notamment l'organisation de toute vie sociale sous l'égide d'un parti unique et l'utilisation permanente d' une idéologie monolithique quasi religieuse en vue de stimuler l'intégration de masses arrièrées daDs le processus de production et de résoudre éventuellement, sur le pla:Q de la repression pure et simple, toute opposition aux voies et moyens choisis pour assurer la transformation en cours. Les Chinois ont bien retenu du stalinisme un certain nombre de

sihlë évités et qu'il est en outre 'nécessaire d'inviter les cadres intellectuels et ' techniques à n~' pas se séparer des masses;' à limiter au maximum la tendancè qui est leur à se constituer en élite et pour ce faire il est nécessaire de leur imposer, au détriment du développement immédiat de la p~uction, une certaine dose de travail manuel. La pratique de l'égalitarisme paraît aux disciples de Mao moins comme une nécessité objective liée aux circonstances, compte tenu de leur force, mais comme un prin~ipe d'organisation sociale. Les Chinois ont brisé la cohésion stalinienne, ont été conduit à

principes considérés comme fonda- ne garder de la doctrine que quelmentaux: persistance de la lutte ques principes jugés fondamendes classes dans la période post- taux, en ont introduit de nouveaux révolutionnaire qui justifie la dic- tout en gardant le langage traditature du prolétariat, et maintien tionnel. Cette attitude a une doudu parti dans son unité comme ble conséquence: sur le plan ~nté­ instrument d'encadrement et d'édu- rieur elle conduit à une contradiccation des masses; mais en même t~n qui ne peut être surmontée que temps ils se sont refusés absolu- que par l'élaboration d'une idéologie ment à adopter le modèle économi- ' plus conforme à la pratique sociale que soviétique. qui marquera une èontinuité avec le Les dirigeants , chinois partent passé révolutionnaire puisqu'elle d'une analyse de leur réalité natio- sera dans une certaine mesure le nale qui les conduit à considérer déploiement de ce qui était implique l'agriculture, partant les pay- citement contenu dans l'esprit de sans, reste le facteur essentiel de la république de Yenan; sur le développement et qu'elle ne peut plan extérieur les Chinois, en donêtre purement et simplement su- , nant par leurs réalisations l'image bordonnée aux besoins de la cons- d'un autre communisme, ont amtruction industrielle. De même ils plifié le processus de désagrégapensent que les stimulants maté- tion du bloc constitué par Staline riels doivent être autant que pos23


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La Chine de Mao

sous l'égide de l'U.R.S.S. L'auteur sur ce point souligne que la cause de cette mutation réside essentiellement dans l'élargissement mécanique du système soviétique en 1945 à des sociétés pour lesquelles il était peu ou pas du tout applicable, ce qui ne pouvait que conduire à la mise en cause de l'orthodoxie et du monolithisme dès que l'occasion pourrait s'en manifester, le XXe congrès en fut le prétexte. Ce qui est important au jourd'hui, c'est que les Chinois apparaissent à l'ensemble du mouvement ouvrier comme un des protagonistes du débat qui le divise et partant mettent en œuvre leur propre conception de la stratégie mondiale. Les Soviétiques restent en fait fidèles à l'ancienne idée, selon laquelle l'avenir du mouvement ouvrier s'identüie toujours aveq la puissance de l'U.R.S.S. Seul un niveau de vie plus élevé de l'U.R.S.S. peut constituer un défi réel au système capitaliste et engendrer par contagion le passage pacüique au socialisme des sociétés industrielles. De même une U.R.S.S. plus forte peut garantir une évolution réelle du tiers monde. L'ensemble de ces objectüs implique à court terme une période de pause notamment avec les Etats-Unis.

La voie chinoise procède, au contraire, de l'idée qu'il ne peut y avoir de consolidation réelle de leur avenir et du socialisme sans que se déclarent tôt ou tard un certain nombre de révolutions antiimpérialistes, en particulier dans le tiers monde, seules susceptibles de modifier le rapport des forces. Toute pauSe ne peut que freiner le mouvement révolutionnaire et conduire la puissance dominante du camp capitaliste les Etats-Unis, à engager des actions de police internationales, dont l'intervention au Vietnam dû, Nord est le' dernier exemple. En définitive, là tactique prudente des Soviétiques dans l'affaire vietnamienne est interprétée comme la preuve d'une connivence avec l'impérialisme, ce qui conduit à une rupture dont le symbole est le refus de toute action commune. L'auteur ' n'aborde, malgré l'intitulé du premier chapitre: « A l'heure des Gardes rouges », que de façon sommaire le phénomène de la révolution culturelle, mais il convient d'avoir présente à l'esprit la date de parution de l'ouvrage: novembre 1966, ce qui explique certaines insuffisances. Le mérite de K.S. Karol est que la logique de ses analyses permet de dégager un ensemble de lignes de force susceptibles de donner une interprétation raisonnable et non passionnelle de la révolution culturelIe; elles permettent en tout cas d'écarter toute interprétation, soit de type anecdotique, qui réduirait 24

les événements à une lutte de personnes ou de clans, soit de type mécaniste et manichéen, en vogue dans certains milieux, selon laquelle une fraction des dirigeants, pratiquant l'aventurisme, aurait dénaturé les buts du communisme et se heurterait à la résistance des parties saines de la population. La révolution culturelle semble bien marquer la naissance de « l'autre communisme », elle est donc essentiellement une lutte politique entre deux conceptions de l'avenir communiste. Cette confrontation a une dimension particulière, contrairement à ce qui s'est passé en U.R.S.S. à certaines époques, elle ne se déroule pas seulement au sein de l'appareil mais implique

l'intervention la plus large des masses dans la vie politique. Les éléments d'analyse, fournis par l'auteur, devraient nous amener à conclure ' que la Révolution culturelle est une nécessité pour le développement harmonieux de la société chinoise actuelle, compte tenu de son modèle économique, qu'elle est la concrétisation même du projet chinois dans sa singularité. Mais n'est-il pas permis de s'interroger sur le fait qu'il existe, au sein même de cette société chinoise, d'autres forces et que leur résistance crée une contradiction antagoniste qui ne pourra se résoudre qu'à travers la violence la plus extrême. Autre interrogation : le triomphe de la Révolution cul-

turelle ne donnerait-il pas au 'défi chinois une dimension telle qu'il conduirait à un tout autre niveau le conflit existant entre l'un et l'autre communisme. Il convient de souligner que l'aspect documentaire, bien qu'intéressant, ne peut constituer à lui seul l'attrait de ce livre. La qualité principale de l'ouvrage réside ' essentiellement dans l'analyse de « l'autre communisme » et en constitue sa véritable originalité. L'auteur a peut-être écrit ce livre aussi par fidélité à un souvenir d'adolescence pour démontrer que « l'oncle Greyber » était plus qu'un bon géographe.

Albert Lalauze

REVUES

La lumière intérieure L'~phémère

Voici une nouvelle revue: l'Ephémère, éditions de la "fondation Maeght, 9, rue Berryer, Paris 8, Son comité se compose de certains anciens animateurs du Mercure de France: Yves Bonnefoy, André du Bouchet, Louis-René des Forêts, Gaëtan Picon, qu'on retrouve pour la plupart, avec Paul Celan, Michel Leiris et Giacometti, dans ce premier numéro, d'une sobre élégance et orné de plusieurs dessins de Giacometti à la mémoire duquel il est en partie consacré, Sur un petit carton, Les buts que la revue contient, on peut lire ces paroles de Plotin: • Par exemple, dans l'obscurlté. de la nuit, elle s'élance de l'œil, • èTle 's 'étend alentour-. Et s'il abaisse ses paupières, ne voulant voir, il l'émet encore. Et si on le presse du doigt, il voit la lumière qui est en lui. En ce cas, il voit sans rien voir; et c'est alors et surtout qu.'i1 voit: puisqu'enfin il voit la lumière. Les autres réalités étaient lumineuses, elles n'étaient pas la lumière -. Sur un autre petit carton, les buts de la revue sont définis' en quelques lignes: On y apprend que l'Ephémère a pour origine le sentiment qu'il existe une approche du réel dont l'Q'lUvre poétique est seulement le moyen. Et que par conséquent: • Il ne faut pas réduire l'œuvre - acte, dépassement, devenir - à la nature d:un objet, où cet au-delà se dérobe -. On y apprend aussi que • l'Ephémène, ce ne sera que quelques personnes, mais ensemble, et durablement... -. Les textes présentés illustrent ce propos avec beaucoup d'harmonie: ceux de Picon, Bonnefoy, Leiris surprennent cependant par la forme choisie qui n'est pas celle que leurs auteurs adoptent généralement pour s'exprimer. Ainsi le remarquable critique littéraire qu'est Gaëtan Picon donne un texte en prose, d'une sincérité émouvante et parfaitement maîtrisée, où le sommeil, la nuit du corps cherche par le rêve un improbable éveil: • Comme en secret... -. Les pages de • 1'0rdaf.ie - d'Yves Bonnefoy constituent les deux derniers chapitres d'un récit tôt détruit. On y retrouve le vocabulaire habituel de ses poèmes: voix, sang, visage, sein, feu, lumière, aube, mort, orangerie, Cassandre, etc., mals qui jetés là dans la prose lui confèrent éclat et densité, en même temps qu'ils livrent un secret que les poèmes voilaient.. Quant à Michel Leiris, c'est presque un poème que son • Autres Pierres - dédié à

Giacometti. De ce dernier, avec les dessins, quelques textes où l'on peut lire cet aveu d'un artiste inquiet: • Je ne sais pas si je suis un comédien, un filou, un idiot ou un garçon très scrupuleux. Je sais qu'il faut que j'essaie de copier un nez d'après nature -.

N.R.F.

de la technique et l'oubli de sa présence au monde font courir à l'homme. • Il faut retrouver, dit-il, le sens de notre séjour terrestre et réveiller les sources intérieures qui risquent de se tarir. - Et il met en évidence les diverses fonctions de la littérature: fonction mythique, poétique, fonction de révélation de l'immensité intérieure de l'homme, d'initiation aux grands sentiments humains, de quête spirituelle, de recherche passionnée de la lumière, et enfin sa fonction prophétique. Les citations des poètes et des philosophes, qui illustrent son propos, sont toutes choisies par l'œil du cœur. C'est sur ces paroles de Saint John Perse qu'il conclut: • Face à l'énergie nucléaire, la lampe d'argile du poète suffira-t-elle à son propos? Oui si d'argile se souvient l'homme -. Ce numéro d'Esprit est en grande partie consacré à l'Allemagne. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

La N.R.F. n'avait encore, à ma connaissance, jamais consacré une chronique à Maurice Scève, l'un des plus grands parmi les plus grands poètes français. C'est chose faite maintenant avec • La poésie de Maurice Scève - par Georges Poulet (numéro de janvier). On sait que Georges Poulet a trouvé dans la littérature beaucoup de figures géométriques. Il lui fallait donc, peut-être par habitude, en trouver une chez Scève. Il y a réussi: C'est le point. • Le dizain de Scève, écrit-il, est un point 8oDUD&ires qui, à force d'être répété, devient un livre, mais sans jamais cesser d'être un minimum de mots et un condensé Pour son XX· anniversaire, la revue de pensées, c'est-à-dire un lieu presque sans espace, un point -. Et probable- Critique présente un numéro spéCial (janvier) : Regards sur l'Amérique. On ment par souci de parallélisme, il lui fallait aussi trouver dans le • Micro- y trouvera des études d'Alain Clément: cosme - (poème beaucoup trop long • Histoire naturelle d'un président -; pour être ramené à un point) la même de Stanley Hoffmann: • A la recherche figure, aussi est-ce Dieu qui y est le d'une politique étrangère -; d'André point. Il y a néanmoins dans son étude Glucksmann : • Stratégies nucléaires - ; un juste résumé psychologique, avec de Georges Burdeau : • la Cour quelques remarques pertinentes (en suprême: oracle ou miroir.; d'Yves particulier sur le principe d'altérité qui Laulan: • Heur et malheur de la nouhabite au cœur de l'esprit de ce poète velle politique économique - ; de Roger de la vie intérieure absolue), quelques ' Errera: • les Américains et leurs formules brillantes. Mais le véritable villes - ; de Roger Kempf : • la Proie niveau intellectuel où se situe la des flammes - ; de P.Y. Petillon : • Le poésie de Scève y est ignoré, à cause héros de roman américain a pris de de cette virtuosité même dont G. Poulet l'âge -; de J.l. Ferrier: • Imaginaire et réalité dans la nouvelle peinture fait preuve. A la fin de l'article, on apprend qu'un ouvrage (dont G. Poulet américaine -; de Serge Fauchereau: dit qu'il n'en connaît pas qui appro- • la Poésie des Noirs américains -. Le n° 7 des Cahiers de Philosophie fondisse mieux la pensée scévienne) (17, rue de la Sorbonne; Paris-Vol de M. Hans Staub, doit paraître à Genève chez Droz. Dans ce même publiés par le groupe d'études de numéro : la fin de l'essai de Maurice la Sorbonne a pour titre général : Blanchot sur Nietzsche', et « Elégies - • Art et Philosophie -. Ce numéro comprend 'des articles de: O. Revault de Jean Grosjean. d'Allonnes: • l'Art de l'objet et la philosophie sans homme -; Michel Butor : • le Monde du langage et de _.prit la parole dans ses rapports avec la littérature • ; Yves Janin : • la TransLe désarroi de l'homme moderne, parence - ; René Loureau : • les Brison sentiment d'exil sont analysés coleurs de la Révolution. ; J.P. Sag: avec générosité et simplicité par • Poésie et Initiation; A. Théval : • Sur la poésie -; D. Jameux:' . ' Sur Charles Blanchet dans son article: • La littérature a-t-elle encore un Wozzeck - ; et un poème de Y: Renault: • Georg Buchner -. sens? - (Esprit, janvier). Il y dénonce les divers périls que le développement Frédéric Lamotte


LETTRE DE TÉB~RAN

Petite lettre persane Téhéran le 8-1-67. A Téhéran j'ai trouvé: des économistes, des statisticiens, des démographes, des sociologues, des psychanalystes. Un ministère du Plan, des services de l'Urbanisme et de l'Aménagement du territoire. Une tenace odeur de pétrole. Un Hilton. Du caviar. Des problèmes de circulation. De l'Art. Des femmes voilées et une presse du cœur pour femmes voilées. Des hebdos. Un journal satirique :ou presque. Du faste et de la misère également pittoresques. Bref, tout ce qu'il faut pour plaire aux touristes et pour inquiéter le philosophe. L'Iran ressemble à la France, sauf que la reine est belle. Cette jeune femme si célébrée dans le monde entier paraît très occupée. Avec ou sans son impérial époux, elle inaugure des orphelinats, des crèches, des écoles ; elle coupe les rubans qui barrent des avenues ou des ponts; elle recommande « personnellement» aux patrons d'être très très gentils avec leur « personnel». Il lui arrive, couverte du voile traditionnel, de prier longuement dans les mosquées: Incarne-telle aux yeux des Iraniens la grâce persane? Sans aucun doute. Pour un Français de passage qui réfléchit, elle incarne joliment un rêve politique.

aux appariteurs de la Faculté. Oui, mais les rues de Téhéran servent '.d q piste à ' un perpétuel rodéo; personne ou presque n'observe les feux et les priorités; conduire, c'est un jeu dangereux et très amusant; les dames européennes pâlissent ou poussent des cris. Oui, mais les revenus du pétrole d'Abadan irriguent le pays par des canaux aussi surprenants que les « kanats » qui vont des montagnes aux villages et dont certains

'fout cela, est-ce de l'archaïsme ? du folklore ? des survivances de féodalisme? Ne serait-ce pas la conséquence de cinq mille ans d'une histoire agitée, riche de défaites et de victoires? Ou bien serait-ce la Différence, la fameuse Différence vers laquelle se tendent les lèvres altérées du philosophe occidental et qui le fuit? ... L'Iran semble passer par une crise de fanatisme religieux. Impossible en cette saison (le rama-

Des paysans sans terre

L'Iran o'est l'Europe L'Iran serait-il la pointè de l'Europe vers l'Orient? On pourrait le croire. La France y inspire beaucoup de gens et de choses. La planification s'y veut indicative plutôt qu'autoritaire et centralisée ; le secteur d'Etat, très puissant, prétend stimuler, contrôler, équilibrer le secteur privé de l'économie. L'urbanisme est haussmannien et le général de Gaulle populaire. Oui, mais les U.S.A. jettent dans la balance le poids énorme de leur richesse et de leur inculture; ils disputent l'Iran à l'influence européenne, française et soviétique. Ce n'est plus la mode d'envoyer les enfants apprendre la France et la civilisation française; le général de Gaulle passe pour le dernier des Jacobins. Que la jeunesse aille donc en Amérique du Nord et qu'elle apprenne ce que la France ne peut pas bien enseigner: le conformisme. Comment peut-on encore être Français? Oui, l'Iran c'est l'Europe, mais de ce médecin psychanalyste on vous dit (il vous le confirme) qu'il est grand maître d'une secte de Soufis ; il se voit comme un Dervi cheminant dans l'errance vers son Absolu (vérité-réalité, immanencetranscendance). Oui, mais ce philosophe habite au centre de Téhéran un palais fabuleux, dans un des derniers jardins, et les mauvaises langues racontent qu'il distribue ses appointements en pourboires

la langueur voluptueuse des miniatures (la vraie Perse, diront certains, mais où est la vraie Perse ?). Personne ne sait ce que va donner cette révolution, qui aurait pu il y a quinze ans prendre un autre cours, s'accomplir par la gauche. alors qu'elle s'accomplit par en haut, de sorte que certains malicieux l'appellent « révolution blanche» ou « féodal-socialisme ». Les précédents historiques rendent prudents. En Europe, Bismarck. n'a que trop bien réussi une révolution par en haut ; les conséquences de ce succès, nous les subissons encore. Quant à Stolypine, il échoua. Pour atteindre les objectifs stratégiques d'une opération aussi vaste, que faut-il ? Du génie, de la volonté, de la chance. Peutêtre aussi de la cruauté. C'est ce qui manque le moins dans cet Orient proche et lointain.

Femme d.an.& une rue de Téhéra,n,

remontent à Darius (prononcez: ' Dôriouch). Oui, c'est la France, mais ce pur Aryen dont le visage vous rappelle quelqu'un de Romorantin est un chef de tribu nomade; il a d'ailleurs sa Landrover pour la montagne et sa Mercedes pour venir à Shiraz. Oui, mais le chef de l'Etat iranien veut fonder une dynastie. Quant aux politiques, ceux qui veulent industrialiser l'Iran, dissocier sinon détruire l'aristocratie foncière par la réforme agraire, ils sont souvent propriétaires de quelques villages ; ils furent de gauche en France et connurent dans leur pays la ' {»rison, antichambre du pouvoir.

La Quinzaine littéraire, 1"' au 15 février 1967.

dan et les « jours de deuil» en commémoration de la mort d'Ali) pour un Européen de pénétrer dans plusieurs cités, dont bien entendu la ville sainte, Meched. L'Islam chiite a l'allure aujourd'hui d'une idéologie nationaliste, dirigée contre l'Europe, contre l'Amérique, et contre les Ar~ sunnites. Ce nationalisme est aussi un instrument aux mains des propriétaires fonciers : les mollahs attaquent la réforme agraire et n'hésitent pas à s'en prendre au chef de l'Etat. Ce fanatisme s'accorde mal avec la vision d'une hérésie . indulgente, le chiisme, laissant place au vin, à l'ivresse., à

La réforme agraire ? Dans la mesure où elle atteindra ses buts officiels, elle permettra une améliQration quantitative et qualitative de la production agricole ; elle amènera une extension du marché intérieur, encore très étroit ; elle consolidera . une classe moyenne, dans les villes et jusque dans les villages. A la limite, elle favorisera la formation du capital, donnera à l'Etat iranien une marge de manœuvre par rapport au consortium pétrolier. Mais cette réforme, si prudemIl\~nt qu'en en conduise la réalisation, .est doublement menacée. Les propriétaires fonciers la combattent, les paysans tentent le débordement « par la gauche». Les féodaux veulent garder leurs terres et semblent y parvenir. Quant aux gens des villages, ils veulent la terre, toute la terre, ainsi que les moyens de la cultiver. Dans les conditions actuelles, le nombre des paysans sans terre risque de croître dangereusement. Que fera-t-on d'eux? Des ouvriers agricoles ou industriels ? En attendant, ils affluent vers les villes. La double opposition de droite et de gauche apparaît clairement. Y a-t-il constitution d'une force politique difficile à manœuvrer, capable de menacer le régime, c'est-à-dire l'armée ? Il est impossible de le dire. A coup sûr, voilà un pays où l'histoire n'est pas ' terminée. L'industriaUsation ? Elle n'a jusqu'à nouvel ordre d'autre base et d'autre aliment que les « royalties». Mais les gens informés disent que 70 % des revenus du pétrole se perdent en route. L'Etat se montre généreux. Il veut susciter un capitalisme et une bourgeoisie, en se réservant les postes de commande. Qui détient ces postes ? Quelques technocrates, beaucoup d'aristocrates. Comment dans ces conditions éduquer des fonctionnaires et former une admi-

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une révolution technique au service de la réforme de l'enseignement

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GEEP-CIC 22, rue St-Martin Paris 4" Tél. 272.25.10 - 887.61 .57

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Petite .lettre· persane

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C'est le besoin dans cette acception violente qui dépeuple les petites villes, pousse vers la ville avec leS paysans sans terre, les fils et filles de commerçants et de propriétaires. De ce phénomène social, on ne saurait surestimer l'importance. Il semble que de proche en proche il gagne l'Asie entière, et les pays socialistes, et le monde. Ne seraitce pas contre lui que la Chine édifie une nouvelle muraille ? La frénésie du besoin, plus peutêtre que la technique, décompose les anciennes cultures, les civilisaUn prolétariat vaincu tions différentes de la nôtre. Sur ce point, l'Iran possède un énorme ' Et la classe ouvrière? Elle est avantage par rapport aux pays faible, numériquement. Comme arabes. Il n'a pas d'un côté la landans beaucoup de pays mal déve- gue littéraire, instrument de culloppés, elle est, privilégiée; un sa- ture, et de 1~autre la langue coulaire fixe, supérieur au revenu rante, inst::nnnent de communicamoyen des familles paysannes, fait tion, expression de la pratique quode l'ouvrier virtuellement un petit tidienne. De ce fait, l'élite intellecféodal. Surtout, le prolétariat ira- tuelle peut plus aisément assimiler nien a été vaincu. Il se cherche la science, la logique, les technides solutions de remplacement. Si ques des. sociétés dites « avancées », les chiffres que l'on donne à Aha- et aussi les besoins. Elle se propose dan sont exacts, il y aurait beau- de saisir et de faire entrer dans coup plus de polygames parmi les la vie propre du pays la rationalité ouvriers que dans les cadres mu- occidentale. En même temps, cette sulmans. N'oublio~. pas que dans élite veut protéger et même accences pays les femmes sont des tuer l'originalité d'une civilisation moyens de production, au service millénaire. Situation en · elle-même de leurs maîtres, nomades, pay- peu originale. Ce qui caractérise sans, ouvriers. Par exemple, elles les intellectuels iraDiens, c'est une font des tapis. Ces merveilles sont · conscience aiguë du conflit. Ils ne les œuvres de petites filles que l'éludent pas ; ils' ne voilent pas guette la scoliose et de femmes qui la réalité; ils refusent 'd'opter pour vieillissent vite. Cent nœuds au l'un ou l'autre·· des termes. pouce carré, position accroupie, les doigts fins , .ne perdent jamais de La vraie Perse temps. « Si vous augmentez le~ salaires, ils prennent une autre femme », dit-on. Il faut nourrir le Que reste-t-il de cette civilisavillage, la famille ou les gens de la tribu. Et aussi les faire travail- tion ? Qu'en est-il de cette cul1er. La polygamie, c'est une solu- ture ? Consiste-t-elle én citations tion comme une autre. Quant à la poétiques, en attendrissements hu· condition féminine, elle ne semble manistes? Où donc . renc'o ntrer la pas bonne en Iran, malgré le sou- vraie Perse ? La ' différence se si· rire éclatant de la reine. Jusque tuerait·elle dans la sensualité rê· dans les cercles les plus distingués, veuse, dans le goût pour le récit et les femmes se réunissent à part et le conte, dans la spontanéité spi~ les hommes bavardent ensemble. Il rituelle ? Que survit-il de ces gran· est très impoli de faire un compli- des traditions, alors que passe le ment à une femme et inconcevable bulldozer de la technique, du de dire à un mari que sa femme besoin et de la technocratie ? Les est charmante ou belle. Vous offen- jeunes Iraniens formés aux U.S.A. sez la femme et le mari. Or la ressemblent à leurs homologues beauté des Iraniennes dépasse tout européens comme une goutte d'eau ce qu'on peut imaginer et tout ce pasteurisée à une goutte d'eau dis· qu'on peut en dire. Le petit Fran- tillée. Ils détestent : le passé, l'his· çais qui aime parler contemple toire, le drame, la poésie, le plaisir cès beautés doublement muet: et l'ivresse, le vin, les femmes. Ils extase devant .la perfection, dis- détestent tout, ' sauf leur petite affaire et le whisky. Leur sottise cours refoulé par la courtoisie. arrogante, là-bas comme ici, est drôle à regarder, impossible à fréLa frénésie du besoin quenter. Là aussi c'est la « fuite en Pour un sociologue, le spectacle avant», vers un futur que l'on fascinant, le choc, c'est la frénésie s'acharne à prévoir, que l'on s'ef· du besoin. L'influence de l'Occi- force d'aménager. Et que l'on ignodent, la télévision, (celle de Koweit re. « Là aussi », ai-je écrit. Sous ou celle de Téhéran), le transistor les grands mots de la prospective, parto1ft répandu ont déclenché du néo.scientisme, n'est-ce pas cette fureur. Tous les objets dont aussi chez nous la « fuite en dispose un Eur"péen sont perçus avant » ? Où est la Perse ? Mais comme indispensables et leur man- où est la France ? Henri Lefebvre qu;:; comme une absence cruelle.

nistration compétente, incorruptible, efficace ? On aura une bureaucratie pour laquelle l'honnêteté sera un idéal d'autant plus noble que s'en éloignera la pratique. Le « mode de production asiatique », il est là, encore vivant, avec son fondement dans les communautés rurales dispersées, son féodalisme bureaucratique, son appareil voué à la fois aux grandes tâches administratives et à l'effondrement par la corruption.


BANDES DESSINÉES

Le retour des Pieds-Nickelés Louis Forton La Bande des Pieds-Nickelés Les Pieds-Nickelés s'en vont en guerre Editions Azur, 300 p.

Ce n'est pas le moindre mérite du C.E.L.E.G.! et de ses travaux intrigants que d'avoir dédouané nos souvenirs d'enfance, les vrais, ceux qui tiennent à nos évasions secrètes et non à de médiocres anecdoctes familiales. Il faut cependant reconnaître que, comme toutes les grandes bandes dessinées, les PiedsNickelés possèdent une dimension qui les situe fort au-dessus de tant de · récits qui ne valent plus qu'à travers l'histoire de chacun. Le succès que connaissent les deux gros albums de réédition qui viennent de leur être consacrés et où sont rassemblés leurs toutes premIeres aventures, de 1908 à 1912, puis leurs exploits guerriers, de 1913 à 1917, prouve à l'envi qu'ils sont demeurés singulièrement efficaces et présents. La raison, nous la comprenons à la lecture des épisodes initiaux. Originellement, les Pieds-Nickelés ne sont que trois apaches tels qu'en fourmille la littérature populaire de l'époque, êtres marginaux et dépenaillés, vivant de larcins divers, proches, en fait, du clochard: des échantillons sociaux amusants, en somme, que Louis Forton met en images pour distraire les jeunes acheteurs de l'Epatant. Mais, rapidement, tout évolue: l'accent est moins mis sur le pittoresque du trio que sur l'audace de ses aventures; les trois héros échappent à leur type originel pour se réaliser à travers toutes sortes de métamorphoses, sans se départir toutefois de leur argot initial de malandrin - mais à ce moment c'est leur langage qui, tout naturellement, devient souverain et la langue de tous, particulière. Ils se constituent, ainsi, à partir d'une vocation commune, mettent en actes, si l'on peut dire, une philosophie; dans le même temps, le dessin, délaissant l'imagerie coloriée, s'affine et gagne en vivacité, la bande acquiert une souplesse quasi cinématographique et, par là, sollicite de plus en plus, chez le lecteur, les mécanismes d'identification. La morale des Pieds-Nickelés se voue à une valeur unique que néglige le traité de la Senne - la rigolade. L'argent, issu des vols et escroqueries de tous genres qui forment la trame constante de leurs aventures, ne vaut que parce qu'il la permet. Comme l'exprime très clairement Ribouldingue: « Maintenant que la chaufferette à braise est fadée en combustible faudrait voir à se payer d'la rigolade ». Dans ce début de siècle bourgeois qui les voit naître, où l'épargne est reine et où l'on pardonne aux voleurs s'ils capitalisent leur butin - ainsi Arsène Lupin entasse, conserve, fait, peut être, fructifier - , les Pieds-Nickelés figurent le scan-

dale de la dépense immédiate et totale, jouissant moins à voler gros qu'à dilapider somptueusement, poussant la rigueur jusqu'à ne jamais dépenser pour quoi que ce soit qui se conserve (leurs habits mêmes sont presque toujours empruntés), se saoulant et mangeant jusqu'à ce qu'ils se retrouvent au petit matin, les poches vides et le chapeau défra-Îchi : « La rigolade, y a qu'ça d'vrai ... Vive la nouba », ainsi que l'affirme périodiquement Filochard. Cette insécurité essentielle fait, à la fois, leur charme et leur manière de grandeur. Le charme, c'est notre enfance qu'il concerne: qui ne s'est inventé, à huit ans, boxeur, fakir, explorateur, officier, ministre, président de la république? Dans une société figée en ses cloisons sociales, le trio incarne, comme par antithèse, la fluidité nostalgique des possibles. Il fait écho, ainsi, à la rêverie des jeunes années - soucieuse à la fois du réel le plus quotidien et de sa transgression - , une rêverie que ne sauraient troubler ni l'énormité de certaines situations ni la fréquente désinvolture d'une narration qui peut fort bien nous montrer, par exemple, les PiedsNickelés, chercheurs d'or en Afrique du Sud, creusan~ un tunnel qui les reconduit, par inadvertance, à Paris dans une station du Métropolitain. Quant à leur grandeur, que nous dévoile la lecture adulte, elle tient à un nihilisme si radical que pardelà la chiennerie de l'existence car, enfin, le trio se trouve régulièrement sans argent, traqué, le ventre creux, logé à la belle étoile, contraint à d'épuisants travaux - , les Pieds-Nickelés ne savent se réfugier que dans une sorte de vulgarité agressive, toujours conclue ou apaisée, finalement, par d'anonymes beuveries. C'est que, en dehors de quelques apaches, camarades de prison fugitivement rencontrés et dont on devine qu'ils les doubleront bientôt, nos héros sont toujours solitaires, face à un monde piégé telle cette jolie femme que convoite Croquignol et qui cache une jambe de bois sous son jupon - , peuplé du haut en bas de l'échelle d'exploiteurs qu'il faut prendre à leurs propres ruses et de poires d'une stupidité si Qffensante que c'est comme un devoir que de les détrousser. Hommes seuls, donc, inaccessibles à la pitié, et pures, en général, de toute réaction affective, les PiedsNickelés n'ont d'autre but que d'exploiter la société entière pour s'of· frir quelques heures de nouba, faisant litière absolue de toute valeur familiale, politique ou culturellc: si Ribouldingue et Croquignol prennent femme, c'est pour se tirer d'un mauvais pas ou mettre la main sur une fortune rondelette; si le trio s'empare du pouvoir, c'est pour empocher l'argent des contribqables et dépouiller l'Etat de ses biens les toiles du Louvre~ par exemple, qu'il jette aux égouts après s'être

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 lévrier 1967.

Couver/lire d'un numéro de L'Epatant publié " Il 1913.

aperçu qu'il ne pouvait les monnayer. Là encore, les Pieds-Nickelés se séparent des héros populaires qui leur sont contemporains : ceuxci, en effet, - tel est le vieux schéma anarchiste - ne contreviennent aux lois que pour, le plus souvent, rêver d'une autre morale, imposer un nouveau code ; ou quant ils rêvent d'une puissance absolue pardelà le bien et le mal, c'est selon le thème satanique, et, ce faisant, ils dépassent leur propre humanité. On peut dire que le pessimisme radical de Forton, c'est d'avoir inscrit dans le réel ce nihilisme et cette vulgarité que nous avons relevés plus haut, d'en avoir fait par conséquent également une nature: par là les Pieds-Nickelés n'échappent pas à l'univers ~ontre lequel ils se dressent; au contraire, ils sont, à l'intérieur de cet univers, de connivence avec ceux qu'ils dupent, au point d'être possédés, quelquefois, à leur tour, ou pris en flagrant délit de bêtise. La force comique de leurs aventures tient, du reste, non seulement à la sottise de leurs victimes, mais à cette sourde parenté qu'ils entretiennent avec elles et qui, à chaque instant, les expose à devenir, à leur tour, des victimes. Ainsi, non sans cruauté, Forton suggère-t-il que la « rigolade » est à la fois un recours absolu qui a toute la rigueur du désespoir et une dérisoire métaphysique de policier. Pour généralisé que soit, chez les Pieds-Nickelés, le pouvoir de mépris, ils ne savent, en effet, l'investir que sous les formes les plus communes, en aigris inconscients: c'est tout naturellement qu'ils se muent en dictateurs après avoir chassé Fal-

lières de l'Elysée, s'inventant des habits chamarrés et persécutant la population. Et il leur arrive, quand ils tournent en rond, de reporter sur eux-mêmes une agressivité foncière qui ne sait guère se transposer. Certains épisodes fort curieux relèvent, ainsi, d'un sadisme véritablement hitlérien: lors d'une période militaire, Filochard et Croquignol, qui ont, par hasard, emprunté des vêtements de gradés, passent leur temps à envoyer au cachot Ribouldingue qui n'est que deuxième classe; ou, pendant la guerre, Croquignol, déguisé en kaiser, condamne à mort Filochard et Ribouldingue qui ne l'ont pas reconnu, se ravise et promet la vie sauve à celui qui l'emportera dans un combat à poing nu, s'amusant du spectacle de ses « aminches » acharnés à . se massacrer. Tous èes thèmes jouent au mieux dans le passionnant premier album, la Bande des Pieds-Nickelés. Le second, Les Pieds-Nickelés s'en vont en guerre, paraîtra plus anecdotique, le· patriotisme, dans leur système, se substitue à la rigolade. Maintenant que nous v'là soldats sous l'habit militaire, déclare Croquignol, faudra voir à changer notre genre d'opérations et montrer à cette vermine de Boches, par les sales tours que nous leur jouerons, que les Pieds-Nickelés sont décidés à se conduire en héros et qu'ils n'ont pas les foies blancs. » Au pessimisme radical des premières aventures fait place, alors, un manichéisme sommaire qui récupère le trio dans le bon parti. Les troufions lamentables et les officiers matamores de 1910 prennent le visage serein' du héros, gouaille et courage tranquille, ici, moustache martiale, œil bleu, sévère et tendre, là. A l'efficacité formidable des troupes alliées, que le Bien garantit, s'opposent la lâcheté des Germains, leur maîtrise et leur bêtise essentielles, la faiblesse nécessaire de leurs armes - canons qui explosent, balles qui ne blessent pas. D'un côté, toute mort est un crime; de l'autre quatre mille tués ne sont que cocasse capilotade. Du coup, le lecteur se sent quelque peu frustré. A se ranger du côté du droit, les Pieds-Nickelés perdent beaucoup de leur saveur ambiguë. Leurs méfaits, certes, se poursuivent: ils opèrent, en effet, presque toujours chez l'enneIni, la France, régénérée et régénératrice, leur étant, par définition, interdite. Mais s'évanouissent la complicité souterraine avec la victime, désormais d'une autre race et méprisée pour cela, ainsi que l'insécurité fondamentale qui en découlait. Le triomphe, maintenant, est toujours d'avance acquis. Aussi bien l'intérêt, vif à sa manière, du second album, est-il d'ordre surtout documentaire. Michel-Claude /alard 1. Centre d'Etude des Littératures d'Ex· pression Graphique, connu sous le nom de « Club des Bandes Dessinées », et que dirige Francis Lacassin.

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LETTBBS A « LA QUINZAINE»

QUINZE

JOURS

La filiation ou la modification L'affaire R6jean Ducharme le viens de téléphaner à un de mes amis, poète et écrivain, Gérald Godin, qui fut le seul à avoir interviewé personnellement Réjean Ducharme, en juület 1966, avant que son roman ne soit publié à Paris. Il a dîné avec lui avant-hier. Ducharme, par conséquent, est bien vivant et il est à Montréal. Une autre personne, journaliste, aUIIIIÏ de Montréal, que je connais bien, Mlle Hermine Beauregard, a, elle aUlllli, vu Ducharme il y a quelques jours. Godin m'affirme que Ducharme est bien l'auteur de ses romans. D'ailleurs, à le lire on n'a aucun doute là-dessus. Pourquoi ne veut-il pas se montrer en public? Il semble que ce soit pour des motifs très profonds chez lui. Il ne veut pas être identifié. Il faut dire qu'il a des prédécesseurs illustres comme Henri Michaux et Salinger. Il ne veut pas parler à un groupe de personnes. C'est un . solitaire qui fait beaucoup de voyages. Il a déjà adressé plusieurs lettres à des journaux montréalais. L'une est manuscrite et elle est parue telle quelle dans _ un hebdomadaire illustré, Sept Jours. Une autre, tapée à la machine, fut publiée dans Le Devoir. Il a refusé catégoriquement d'accorder des interviews à la Radio et à la Télévision. Godin, qui s'occupe d'un programme de télévision, a fait interviewer la mère de Ducharme. Cette interview, je l'ai vue. Mme Ducharme qui vit dans un petit village près de Berthier, a dit à la télévision qu'elle a gardé les manuscrits de son fils mais qu'elle ne les a jamais lus parce qu'il lui a demandé de ne pas le faire , et comme il avait confiance en elle, elle a obéi à ses instructions. Pour donner des preuves aux responsables du programme de télévision de l'existence de Ducharme, Godin l'a em· mené dans l'un des bureaux de la Télévision. Cependant, son refus de paraître à l'écran est demeuré inchangé. Quelle est la réaction de Ducharme à toutes ces rumeurs fantaisistes? Il est amusé mais il les trouve sinistres et ceci n'est pas fait pour le convaincre, qu'il faille se montrer en public. Naim Kattan

Rea6 CJuuo Voulez-vous bien dire à qui rend compte de la NRF dans la Quinzaine littéraire du r' janvier qu'il « n'obscurèisse pas II davantage la citation qu'il fait d'une de mes phrases dans mon texte à propos de Blanchot, en y apportant deux fautes grossières: CI en li au lieu de « entre », et, « et des prodigalités de graminées » au lieu de: « et à des prodigalités de graminées ll. René Char

Le CoaeUe La CI réflexion libre » que nous apporte la Quinzaine littéraire du 15 janvier à propos de quelques livres consacrés à Vatican II relèverait-elle aussi d'une « défaillance de la raison» ? le n'y retrouve pas le sérieux que je croyais (car je me prends à douter) ·rencontrer à l'ordinaire dans les recensions. Le XVIIIe siè· cle ne ·nous a pas appris cette supério. rité tranquille sur ce que nous ignorons. Même pour qui a choisi les choses d'assez loin, il paraît difficile de réduire un processus de l'ampleur et de la durée du Concile à une cause unique (re. peupler les temples) et au traditionnel schéma économico-social. R. Mengus, Paris Nos lecteurs auront remarqué qu'en ce qui concerne les problèmes politiques et confessionnels, nous nous efforçons à l'objectivité. Toutefois, nos rédacteurs ne sont pas neutres et il peut leur arriver d'émettre des opinions qui ne plaisent pas à tous nos lecteurs. L'étude de Serge Bricianer nous a semblé suffisamment intéressante pour que nous la publiions. Elle n'exclut pas d'autres études et d'autres points de vue.

Ezemple à suivre Vous trouverez ci-joint la liste des personnes auxquelles nous offrons comme cadeau de fin d'année un abonnement à la Quinzaine littéraire. P. Torreilles·Sauramps, libraire, Montpellier La liste annoncée comprend les noms de 110 (cent dix) personnes qui deviennent ainsi des abonnés.

MICHEL DARD Mélusine une presse unanime . Une quête qui poursuit dans l'amour plus que l'amour: une sagesse, un sens de l'être, une approche du divin. P.H. SIMON, LE MONDE - C'est un fort beau roman, d'une densité et d'une richesse assez rares aujourd'hui. L'EXPRESS - J'ai aimé Mélusine, héroïne· énigmatique, succube et colombe, cruelle et tendre, maléfique et pitoyable ... Un livre riche de substance, d'expérience vécue, accordé au mystère des êtres et des choses. Y. VALMONT, ASPECTS DE LA FRANCE - Ces mouvements de haut en bas que dicte la jalousie ont quelque chose de . fascinant. Y. FREUSTIE, LE NOUVEL OBSERVATEUR - Voilà l'un des livres les plus nourris et les plus attachants que j'aie lus depuis longtemps. Mélusine est de la race des romans internationaux où la pensée de plusieurs continents se brasse ... A. BOSQUET, COMBAT - Une initiation érotique, sentimentale, et une quête spirituelle ... Une langue fastueuse.A. CLERVAL, LA QUINZAINE LITTÉRAIRE - Certaines incantations laissent un souvenir qu'on n'oublie plus. P. BRUNETI~RE.. LES NOUVELLES LITTÉRAIRES - JI faut lire ce livre déconcertant, intime, habile dosage de réalité et d'envoûtantes fictions. NICANDRE, SYNDICATS (BRUXELLES) - Ce premier roman révèle un véritable talent d'écrivain ... Michel Dard sait être profond et envoûtant. BEAUX ARTS (BRUXELLES) - Je suis certain que M.élusine durera. On sait que c'est le privilège des grands liVres. B. GROS, RÉFORME. roman SEUIL

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Vous allez voir une cousine germaine, vous prenez le train gare d'Austerlitz, vous stationnez devant les étalages livresques pivotants, vous êtes piétiné par des valises (est-ce possible ?), vous êtes écrasé par la foule mouvante, par le banlieusard invincible, par le Portugais en migration, vous tendez la main vers une couverture verte, vous avez déjà lu et vous voulez relire Pour un nouveau roman, vous refermez la main, vous arrachez votre bras à la cohue, vous ouvrez la main, vous voyez un objet blanchâtre, vous observez des lettres non analogues, vous notez que ces lèttres forment cependant des mots, vous comptez trois mots au lieu de quatre, vous lisez d'une voix intérieure et surprise ce titre peu moderne: le Cousin Pons, vous acceptez la modification.

Est·ce l'osmose? .. Est-ce la proximité affichée de ces livres fameux « Idées - Livre de Poche» qui fait que ?... Toujours est-il que tout se passe comme si (dirai.je avec légèreté) la justifiable critique robbegrillesque influait, à travers les minces couvertures, sur le contenu super-balzacien du Cousin Pons (et si, par conséquent, elle perdait en partie sa raison d'être). En effet, tandis que le dur m'entraîne loin de Rueil, je m'exténue à découvrir, dans ce roman archétypique du passé, les tares dénoncées par un quarteron d'ar· changes iconoclastes: l'intrigue autoritaire, le personnage arbitraire, le caractère fabriqué. De caractère, le cousin Pons n'en a guère, l'excellent Schmucke, moins encore; les personnages fuient sous le regard. Cécile Camusot nous est dite un peu rousse, page 46 [« il lui avait été impossible de faire une musicienne de cette fille un peu rousse » ], très rousse, page 64 [« Cécile, jeune personne très rousse, dont le maintien... »] : cette imprécision me prive de sommeil pendant huit jours ; et quant à l'intrigue, c'est zéro, c'est le moindre objet, de la collection Pons, qui nous intrigue! Reste l'écriture, mais l'écriture de Balzac, on la connaît ... Je note, en passant, au cours d'une lecture cahotante sur le rail-way: railway, précisément, navigation aé· rienne (en 1846), bricabracologie, grosse-dondon, chiner, gobichonner, « Qué qu'y a pour votre service, Médème ?», « mon bichon! mon chou! papa Schmucke!», mézalor, mézalor, mézalor, c'est plus du Balzac, c'est du Queneau! C'est la langue prise au bond, au vif, à la sortie même de la bouche, telle qu'ellè quitte, pure, sans atteinte, le palais jactant du populo! et telle qu'elle arrive, pour ce' faire, du tréfonds indicible de l'individu; ce qui nous ramène au cœur du problème, à la nature même du roman.

Si, le roman moderne, c'est capter le flux intérieur de la parole dans son état brut et informel, et tel qu'il ' affleure parfois à la conscience, on comprend que ses pénétrants théoriciens revendiquent ces précurseurs évidents: Joyce, Proust; on comprend mal qu'ils prennent pour cible absolue de leur critique Balzac, dont Proust lui-même se rapprochait, et dont il a mis en lumière, avec une extrême vivacité, les apports révolutionnaires. J'oserai dire que ce « degré zéro de l'écriture» dont Barthes nous affirme qu'il est la pierre philosophale des écri- . vains d'aujourd'hui (et dont il nous donne comme exemple non Beckett ou Sarraute, mais Camus, c'est-à-dire le langage non le moins fabriqué, mais le plus fabriqué, par le choix volontaire et raffiné d'une absence de style: un style), nous le trouvons, pour la première fois, dans les balbutiements, les râles, les sanglots, le fatras indis- ' tinct qui roule sans arrêt dans l'être chaotique des « héros » balzaciens, et dont jaillit, toutes les deux cents pages, un cri terrible. « Refusée ! »1 : c'est la parole unique qui sortira, après six chapitres d'une intrigue complexe dont elle est l'incompréhensible objet, cette assez rousse ou très rousse jeune fille dont nous parlions tout à l'heure. Ce mot rappelle (il annonce) les mots fameux que nous retrouve· rons dans Proust C'te blague ! » « Voulez-vous que nous luttions encore un peu?» etc.), révélateurs de mondes ignorés, aussitôt refoulés que fugitivement éclos à la surface sombre et mouvante des mers internes. Balzac annonce Freud, Proust, Joyce, Beckett. Il est le premier, sinon la source, des modernes.

«(

1846, 1920: pour Balzac, pour Marcel Proust, la mort approche. Balzac écrit le Cousin Pons, Proust écrit le Temps retrouvé. · Ces œuvres ultimes se ressemblent. Balzac et Proust y abandonnent, alors que la vie les abandonne, le symbole brillant de leurs désirs, Balzac : la collection Pons, Proust, ce nom: Guermantes, à de mortelles créatures nées d'eux-mêmes: la Camusot, la Verdurin, fémini· nes images de la mort. Ce que chacun de nous crut impossible arrive: Mme Camusot s'empare des tableaux; Mme Verdurin s'empare de Guermantes. Puis Balzac meurt, Proust meurt. Leur œuvre deméure, que la mort ins· pira, et qui reste, aujourd'hui, aussi mystérieuse, actuelle et vivante que la mort même.

Pierre Bourgeade 1. Cécile Camusot a été « refusée » (en mariage) par un Allemand inconnu, ami d'un ami de M. Sehmucke, ami du cousin Pons, cousin de Cécile.


PARIS

Nathalie Sarraute au Petit Odéon « ... Bien sûr, vous devez vous servir de mots de temps en temps. Il le faut bien. Pour v~vre. Un minimum. Un mot, vous le savez mieux qu'eux, c'est grave. »

Le langage seul installe le danger sur la scène. Pas d'action, pas d'intrigue. C'est par l'effet du discours que l'action dramatique va se former, que les rapports vont se tendre et se détendre, que des lézardes vont se dessiner par où l'angoisse petit à petit forera son trou. A aucun moment les personnages ne peuvent avoir recours à une existence hors de ces quelques mètres carrés, là devant nous, qui pourrait les aider à fuir cette gêne, puis cette angoisse qui, un à un, va les gagner. Ils vont être pris au piège d'une durée théâtrale fait de la durée même de leurs conversations. Aucun événement ne viendra dénouer l'action. Rien de plus qu'une conversation entre amis. Un parmi eux se tait, un autre ne supporte pas ce silence. Ce n'est tout au plus qu'un laps de temps, qui dans la réalité durerait quelques minutes et créerait un simple malaise, mais il va être enflé, démesuré, il va révéler ce qu'en général nous taisons. Tout arrive parce que l'un d'eux avait décrit des petites maisons aux auvents de bois peints en bleu. Quelqu'un se tait, une sorte de réticence peut-être et c'est la catastrophe. Rien ne pourra plus secourir celui qui avait parlé. La poésie devient de pacotille, tout se ridiculise face au silence. Le silence, le bavardage : les valeurs vont s'inverser. C'est le silence qui a tout le poids de la parole et le bavardage n'est rien d'autre qu'un silence dérisoire. Nous l'avons dit, le danger est dans le langage mais, comme aucun secours ne peut venir de l'extérieur, il faudra bien que les personnages le trouvent aussi dans le langage. En effet, ce sont les conversations de façade, les phrases toutes faites, ce langage construit d'avance et que Nathalie Sarraute choisit avec humour, qui remplit ce rôle. Il se plaquera de temps en temps, comme pour reprendre haleine, sur la parole dangereuse, celle que l'on préfère taire généralement. Si l'un des personnages voit dans celui qui se tait une provocation, c'est qu'il ressent le peu de poids de son propre bavardage et de celui des autres. Il n'entend dans ce silence que des paroles tues, qu'il imagine sarcastiques, ironiques, méprisantes ou cruelles. Elles vont agir tout le long de la pièce, elles vont déchaîner chez les autres des réactions de plus en plus violentes, elles vont les entraîner dans des zones dangereuses. On connaît l'art de Nathalie Sarraute pour ces conversations de façades constamment sous - tendues de « tropismes » où le dialogue camoufle autant qu'il révèle ces états

Une scène du Silence.

psychiques. Dans ces deux pièces les mouvements · ténus de nousmêmes sont vus au grand jour. Ce qu'on évite de dire dans une simple conversation, tous les personnages ici vont s'y. « vautrer ». Trop de pudeur va finir par trop d'impudeur. On se met à faire des confidences, on s'offre, on se commet trop, par culpabilité sans doute : « On est prêt à tout, à se couvrir de ridicule, à s'humilier, à se prostituer. » On avoue ce qu'on ne vous demandait pas, on se donne en spectacle. L'auteur montre tous ces miasmes libérés. Pour un détail on en arrive vite à l'insulte. La « péripétie » dramatique va naître des phrases que l'on enchaîne. L'habituel dialogue anodin n'interviendra que de temps en temps pour reprendre pied, avec des idées rassurantes: « Il est timide. C'est merveilleux, comme ça rassure. Quels calmants, ces mots si précis, ces définitions », ou des « histoires drôles ». Si l'on arrive à faire parler celui qui se tait, c'est le salut. Là réside la différence essentielle entre les deux pièces. Le personnage du Silence, à la fin, se retrouve sur un terrain solide dès que Jean-Pierre (celui qui s'était tu) se met à parler sur des sujets très précis. Le silence distendu, comme l'on décompose une image au ralenti, rentre dans des proportions n 0 r mal e s. La conversation peut reprendre son cours anodin. Rien ne s'est passé, la crise - car il s'agit d'une crise, d'un état psychique plutôt que psychologique - n'a pas eu lieu. On retrouve le personnage principal à la surface. En revanche à la fin du Mensonge, Pierre, qui ne peut contenir une vérité, perdra pied. La moindre oscillation entre mensonge et vérité l'entraînera vers des zones de solitude de plus en plus profondes. Il sera ballotté lentement par des ondes qui ne seront plus perceptibles que par lui.

La Quinzaine littéraire. 1" au 15 février 1967.

Dans le Silence comme dans le Mensonge, deux personnages · sont face à face. D'une part l'un se tait, l'autre en sonffre, d'autre part l'un semble mentir, l'autre en sonffre. Tous les personnages, au début hors du jeu, vont malgré eux y entrer. Dans le Silence, Jean-Pierre qui se tait va les attirer tous à lui insensiblement : « Ce silence, c'est comme un filet ... Votre silence, comme un vertige, j'ai été happé. .. Je suis comme vidée ... Tout est aspiré ... Une petite tache bue par un buvard... ». Dans le Mensonge, le mouvement est inversé, Pierre ira vers Simone, prendra les autres à témoin, il les obligera à agir comme lui-même contre Simone pour qu'elle avoue. Dans les deux cas, c'est d'une sorte de match qu'il s'agit, il faut que l'un des deux mette un genou à terre. Pierre emploiera la violence s'il le faut et il le faut. Il gagnera la complicité des autres. Le silencieux comme la menteuse (ou supposée telle) exercent une fascination, une attirance qui peuvent aller par moments vers des régions troubles. Les autres vont intervenir dans ce duel intime, une sorte de promiscuité gênante s'établit, ils participent à une espèce de viol psychique. Comme, dans une barque, le harreur au moindre tremblement de sa main sur la barre dévie à l'horizon son cap de plusieurs kilomètres, ici, un rien, un sourire, une intonation, une ironie à peine marquée vont déclencher des réactions excessives, les mots vont devenir dévastateurs, ils peuvent les mener vers les pires extrémités. Pierre va ouvrir, creuser, fouiller, plus rien ne peut l'empêcher d'obtenir cette vérité, « c'est devenu quelque chose de si précieux » pour tous, ils sont contaminés. « Attendez. Ça vient. Elle cède. Regardez-la, ses lèvres s'entrouvrent. Dans une seconde, les mots ... »

Lucie : « Simone, je vous en supplie, ne cédez pas. Ils veulent vous détruire, vous vider. Ils vont vous saisir, vous passer la corde au cou, vous raser la tête. » Là encore, c'est ce qui est tu qu'ils veulent, c'est un silence qui les mène. Dans le Silence, JeanPierre pouvait dire n'importe quoi, même des mensonges pourvu qu'il parle. Dans le Mensonge, c'est parce que Simone dit n'importe quoi, qu'elle camoufle, qu'ils souffrent_ Par charité, par sacrifice, pour créer malgré tout des contacts, ils vo~t s'offrir pour que Jean-Pierre parle. Par pitié, Lucie préfère que Simone ne s'aperçoive pas ~e les autres voient son mensonge, il vaut mieux ne pas faire attention. Comment soutenir le regard. de celui qui se tait ou de celle qui ment? N'est-ce pas là le théâtre même: ces moments de crise qui s'enflent ou s'amenuisent par le seul effet du langage, ce danger installé par les mots, ce moment vécu devant nous sans autre secours que ce qui se passe au moment présent. Le Petit Odéon exige des textes qui soient l'équivalent de ce qu'est la nouvelle par rapport au roman. Je n'entends pas par là des pièces courtes, mais des textes d'une grande rigueur, d'une grande acuité qui ne peuvent compter sur l'appui d'aucun effet spectaculaire. Un théâtre de l'aveu, de la confidence qui n'exclut pas la violence. Les pièces de Nathalie Sarraute ont répondu exactement à ces exigences. Simonne Benmussa Ces deux pièces ont été créées le 14 janvier au Petit Odéon, dans une mise en scène de Jean-Louis Barrault, avec: Madeleine Renaud, Nelly Benedetti, Anne Carrère, Paulette Annen, Annie Bertin, Catherine Rethi, Marie· Christine Barrault, Gabriel Cattard, Dominique Paturel, Amidou, Jean-Pierre Granval, Michel Bertay. Le Silence, suivi du Mensonge Vb.lt de paraître, édité par Gallimard.

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TOUS LES LIVRES Ouvrages publié. du 5 au 20 janvier 1987

ROMAXS FRANÇAIS

André Couteaux L'enfant à femmes Julliard, 224 p., 15 F Par l'auteur d'« Un monsieur de compagnie -. Hélène Bessette Les petites Lilshart Gallimard, 216 p., 13 F Amours contrariées. Marie-Laure David L'échappée Gallimard, 176 p., 9 F Sentiments amoureux et sentiment de la fatalité. Jean de La Varende L'objet aimé Plon, 224 p., 15 F Nouvelles sur les objets de collection et les antiquaires. Rosemonde Peeters La route sans fin Scorpion, 192 p., 10 F Récits sur la Résistance. Paule Robert Le Heu Debresse, 318 p., û F Rêve, chasses et souvenirs historiques. Sa inte-Aube La louve solitaire Plon. 248 p., 4,5(' Un nouvel épisOde des aventures de la louve (policier).

• ~O MANS ÉTRANGERS

Hector Bianciotti Les déserts dorés trad . de l'espagnol par F.-M . Rosset Denoël. Lettres Nouvelles, 256 p., 18,50 F Découverte d'un jeune roma ncier argentin. Hein rich Bo l! Le train était à l'heure Suivi de 14 nouvelles trad. de l'allemand par Colette Audry et Mathilde Cambi Denoël, 304 p., 20 ,35 F Une réédition du chef-d'œuvre de Bôll suivi de nouvelles sur la guerre de 39-45 et l'après-guerre. G.K. Chesterton Le nommé Jeudi trad. de l'anglais par Jean Florence Gallimard, 244 p .. 12 F L'un des premiers romans étrangers publiés par la NRF, en 1912.

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Driss Chraïbi Un ami viendra vous voir Denoël, 212 p., 12,35 F Une jeune femme face aux tabous sociaux et sexuels.

Julio Cortazar Marelle trad. de l'espagnol par F. Rosset et L. Guille. Gallimard, 600 p., 32 F Voir le n° 20 de «La Quinzaine-.

Rosalyn Drexler Je suis la belle étrangère trad. de l'américain par J. Rosenthal Laffont, 218 p., 14,20 F La vie d'une adolescente délurée.

Kamala Markandaya Une poignée de riz trad. de l'anglais par Anne-Marie Soulac Laffont, 337 p., 15,45 F Dans les faubourgs des grandes cités de l'Inde.

Francis Ponge Le savon Gallimard, 186 p., 12 F Une leçon de sémantique sous le couvert d'une leçon de choses.

Gore Vidal La mauvaise pente trad . de l 'américain par Jean Rosenthal Laffont, 224 p., 13,80 F Recueil de nouvelles .

POESIE

Guy de Bosschère A l'est de Dieu Pierre Jean Oswald Coll. «J'exige la parole » III. d· Thomas Gleb 80 p., 12 F Poèmes de Pologne .

Maurice Fombeure A chat petit Gallimard, 192 p., 14 F.

Jacques Gaucheron Liturgie de la fête Pierre Jean Oswald 88 p. , 9,60 F

CRITIQUE HISTOIRE Hélène Bouvier Simone Saint-Clair Une voyante témoigne Fayard, 128 p., 10 F Préface de G. Marcel L'expérience chrétienne d'une voyante d'après ses propos et ses notes.

Yvonne Cretté-Breton Mémoires d'une bonne Scorpion, 253 p., 12 F La condition d'une bonne au temps de la « belle - époque.

Yvonne Girault Louise Labbé Rencontre, 250 p., Coll. « Ces femmes qui ont fait l'histoire- .

Alexandre Gorbatov Les années de ma vie Stock, 224 p., 15,45 F Un général soviétique . condamné en 38 et acqu itté en 41, raconte ses années de déportation.

Yette Jeandet Héloïse Rencontre, 255 p., 13,55

Jean-Jacques Brochier Le Marquis de Sade et la conquête de l'unique Losfeld, 278 p., 15 F De l'affirmation de soi à l'affirmation d'autrui, de la négation totale à la réconciliation. Aurel David Vie et mort de Jean Giraudoux Flammarion, 251 p.,

Coll. «Ces femmes qui ont fait l'histoire -.

Jacques Lebreton Sans yeux et sans mains Casterman, 272 p., 12 F Un infirme raconte son combat et son engagement spirituel.

Henry de Monfreid L'ornière Grasset, 192 p .. 12 F Les an nées de jeunesse.

Vincent Monteil Soldat de fortune Grasset, 352 p., 24 F L'itinéraire qui mena un officier de carrière à devenir un militant de la décolonisation.

13,55 F

Coll. «Ces femmes qui ont fait l'histoire - .

De Pouchkine à Gorki III Nicolas Gogol Présentation de Georges Haldas Rencontre, 624 p., 12 F Ed. prévue en 12 vol.

Anton Tchekhov Correspondance 1877-1904

Choix établi par Lida Vernant Trad . du russe E.F.R., 600 p., 35 F 4.200 lettres de Tchekhov composent ce dixième volume de ses œuvres complètes.

15 F

André Thérive Entours de la fol Grasset, 320 p., 21 F Une enquête minutieuse sur les positions de l'incroyance et de la foi.

PHILOSOPHIE SOCIOLOGIE ETHNOLOGIE

Michel Alexandre Lecture de Platon Bordas , 424 p., 10 F Les cours du grand professeur.

Ferdinand Alquié Solitude de la raison Losfeld, 192 p., 15 F Les pièges de l'idée de totalité .

Giraudoux précurseur de la cybernétique. Georg Lukacs Thomas Mann trad . de l'allemand par Paul Laveau Maspéro, 235 p., 15 F

Emile Zola Œuvres complètes sous la direction d'Henri Mitterrand Tome premier précédé de «Zo la vivant. par Armand Lanoux Cercle du Livre Précieux.

RÉÉDITIONS CLASSIQUES ESSAIS Lewis Carroll Logique sans peine trad . et présentation de J. Cattegno et E. Coumet 60 illustrations de Max Ernst Hermann, 296 p .. 15 F.

F

Marise Querlin La princesse Mathilde Rencontre, 330 p., Jean Grosjean Elégies Gallimard, 84 p., 8 F.

Novalis L'encyclopédie notes et fragments trad. de l'allemand par M. de Gandillac Ed. de Minuit, 240 p., 10,15 F Ces textes sont présentés pour la première fois en France.

BIOGRAPHIES MÉMOIRES

13,55 F

Karl Mickinn C'est à Hambourg ... trad. de l'allemand par G. Bernier Denoël, Lettres Nouvelles, 304 p., 24,70 F Vingt-quatre heures dans les bas quartiers de Hambourg.

Marc Toledano Le franciscain de Bourges Préf. du colonel Rémy Flammarion, 217 p., 12 F L'apostolat d'un aumônier dans les prisons nazies.

Casanova Mémoires Chronologie et notices de Gilbert Sigaux Notes historiques et biographiques de Jean Savant Cercle du Bibliophile Edition prévue en 12 volumes . Arthur Conan Doyle Œuvres littéraires complètes Préface et notes de Gilbert Sigaux Rencontre, 13,55 F le vol., 3 vol. parus. Robert Kanters et Maurice Nadeau Anthologie de la poésie française Le XVI- siècle 1 et Il Préface de Maurice Nadeau Rencontre 360 et 352 p. le vol. 12 F Edit. prévue en 12 vol. Michelet Histoire de France XII Le XVIII' siècle III Présentation et commentaires de Claude Mettra Rencontre, 562 p., 12 F.

Eric Berne Des jeux et des hommes Stock, 216 p., 15,90 F Un psychiatre analyse et classe les diverses formes de drôles de jeux.

Jean Despois René Raynal Géographie de l'Afrique du Nord-Ouest 43 cartes Payot, 576 p., 50 F L'Afrique d'expression française sous tous ses aspects .

Louis Dumont Homo hierarchicus essai sur le système des castes Gallimard, 448 p., 32 F

L'Inde modèle ' sociologique de la société hiérarchique.

Les grands pédagogues sous la direction de Jean Chateau P.U.F., 363 p., 12 F La philosophie de l'éducation, du système platonicien à 1'« Emile en passant par la pédagogie jésuite.

Cahiers de Royaumont Nietzsche Ed. de Minuit, 248 p., 20,05 F Présentation complète des actes du VII' Colloque International de Royaumont.

Léon Chestov La philosophie de la tragédie Dostoievsky et Nietzsche Sur les confins da la vie L'apothéose du déracinement trad . du russe par Boris de Schloezer Flamma rion , 354 p., 30 F

Un maître de la pensée russe.

Calvin C, Hernton Sexe et racisme aux Etats-Unis Stock, 192 p. , 14,50 F Un socioiogue noir analyse le contenu se xuel du racisme américain .

Jacques Hondt Hegel Philosophie de l'histoire vivante P.U .F., 496 p., 24 F.

Claude Lévi-Strauss Du Miel aux cendres Plon, 456 p., 42 F Voir l'article de François Châtelet p. 3,

J. Larner et R. Tetferteller Les drogués de la rue trad. de l 'américain par N. Tisserand Dossier 'des Lettres Nouvelles, Denoël , 304 p., 24,70 F Confessions de drogués enregi s~:';:'e s au magnétophone.


Bilan de Janvier Alfred Métraux Religions et magies indiennes d'Amérique du Sud 16 pl. hors texte Gallimard, 296 p., 25 F Edition posthume préparée par Simone Dreyfus.

Alfâ Ibrâhim Sow La femme, la vache, la foi Julliard, 375 p., 24,65 f Collection des .Classiques Africalns- .

A. Virieux-Reymond L'épistémologie P.U.F., 144 p., 5 F

HISTOIRB PO LITIQUlil

Max Adler Démocratie et conseils ouvriers Présentation et notes d'Yvon Bourdet Maspéro, 124 p., 9,90 F Comment organiser le prolétariat en évitant la bureaucratie.

Carl Becker La déclaration d'Indépendance Contribution à l'histoire des idées politiques trad. de l'américain par M.-F. Bertrand et M. Holdt Seghers, 320 p., 5 F.

Jacques Chapsal La vie politique en France depuis 1940 · P.U.F., 596 p., 24 F Cours professé par le directeur de l'Institut politique de l'Université de Paris.

Alfred Fabre-Luce L'histoire démaquillée Laffont, 352 p., 15 F L'histoire ' contemporaine expliquée par un certain nombre de faits dissimulés jusqu'ici.

Allison Ind Espions d'aujourd'hui Fayard, 320 p., 19,50 F trad. de l'américain De Mithridate au pilote de l'U-2, l'espionnage à travers les âges.

Jacques Nobécourt Une histoire politique de l'armée 1919-1942 De Pétain à Pétain Seuil, 336 p., 18 F Le divorce entre l'armée et la \1l'tion.

Pierre Nord Ces espions que l'on échange Stock, 244 p., 3,90 F Ces machinations machiavéliques que les thèses officielles se gardent de révéler.

ART

Ch. DesrochesNoblecourt Toutankhamon Hachette, 124 p., 132 i11. noir et blanc, 32 pl. couleurs, 12,50 F Vie, mort et survie d'un jeune pharaon.

Georges Papazoff Lettres à Derain 16 illustrations Nlles Ed. Debresse 19,50 F De peintre à peintre.

José Pierre Le Futurisme et le Dadaïsme Histoire générale de la peinture tome XXVIII Rencontre, 208 p., 15 F.

Publications de la Compagnie de l'Art brut Fascicule 8 Messages et clichés de Jeanne Tripier la Planétaire ...

Gérard de Sède Le trésor cathare Julliard, 224 p., 20 F Le trésor spirituel et les traditions laissés par les Cathares.

HUMOUR DIVERS

Claude Aveline Célébration du lit R. Morel, 56 p., 7,50 F Les rêves d'un grand dormeur.

LES LIBRAIRES ONT VENDU

Nina Warner Hooke Les vacances du phoque Stock, 180 p., 17,50 F Récit de l'amitié d'un homme et d'un phoque .

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5 Littérature

Paul Alexandre Maurice Rolland Voir Londres et mourir Livre de poche (policier) .

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Balzac Pierrette suivi de: Le curé de Tours MarIvaux Théâtre, t. Il Livre de Poche.

B. Traven Le vaisseau des morts Livre de Poche.

Essais

Oublier Palerme Les belles images Les rendez-vous de la colline Le Paysan de la Garonne La Bataille de Toulouse La Gueuse La Chine de Mao Marcel Proust Nature morte devant la fenêtre Paris brûle-t-il ?

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LES CRITIQUES ONT PARLÉ DE

Alberto Moravia Le mépris Livre de Poche.

G. Tomasi di Lampedusa Le guépard Livre de Poche.

E. Charles-Roux S. de Beauvoir A. Philipe J. Maritain J. Cabanis J.-P. Chabrol K.-S. Karol G.-D. Painter 1. Monési D. Lapierre

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D'après les articles publiés dans les principaux quotidiens et hebdomadaires de Paris et de province.

Ecrits Les grandes épreuves de l'esprit La Traversière Les belles images Jours effeuillés Les plus belles pages L'effrayant périple du grand espion P. de Boisdeffre Anthologie de la poésie française J. Maritain Le Paysan de la Garonne A.-E. Hotchner Papa Hemingway

1 . J. Lacan 2 H. Michaux 3 A. Sarrazin 4 S. de Beauvoir 5 J. Arp 6 Saint-Pol Roux 7 Y. Rivais 8 9 10

Seuil Gallimard Pauvert Gallimard Gallimard Mercure Belfond Perrin Desclée Mercure

Paul Claudel La peinture hollandaise et. autres écrits sur l'art Idées Art.

Yves Guillaume Visconti Ed. Universitaires.

Patricia Guillermaz La poésie chinoise Marabout Université. (inédit) .

LA QUINZAINE LITTÉRAIREVOUS RECOMMANDE Littérature

Philippe Jaccottet Autriche Photographies d'Henriette Grindat Rencontre, 186 p., 20,95 F Coll. • L'Atlas des voyages - .

Maurice Lelong Célébration du fumier R. Morel, 184 p., 9 F La dialectique du laid et du beau.

Pierre Leprohon Le cinéma italien Seghers, 336 p., 22,40 F Premier ouvrage de la nouvelle collection • Cinéma Club-.

La Quinzaine littérûi."c, }" au 15 février 1967.

J.-K. Huysmans Trois primitifs Flammarion AMG.

B. Farrington

La science dans l'Antiquité Petite Bibliothèque Payot (inédit) .

J. Cortazar R. Dubillard P. H arding U . Johnson P. Levi H . Michaux

Marelle La Maison d'os Niembsch ou l'immobilité L'i m possible biographie La Trêve L'Espace du dedans

Gallimard Gallimard Le Seuil Gallimard Grasset Gallimard

Lecture de Platon La science dans l'A ntiquité Les drogués de la rue

Bordas Payot

Essais

B. Malinowski La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives Petite Bibliothèque. Payot

M. Alexandre B. Farrington Lederer et Tefferteller Lévi-Strauss H . Michel J. N obécourt

Jacques Siclier Ingmar Bergman Ed. Universitaires.

J . Planchais

Du miel aux cendres Vichy année 40 Une histoire politique de l'armée, 1919-1942 Une histoire politique de l'armée, 1940-1967

Denoël Plon Laffont Le Seuil Le Seuil

31


PRIX NOBEL

23 PAYS TITRES IIDU MONDE ENTIER" Depuis 1931 la N.R.F. a révélé au public français les plus grands parmi les écrivains étrangers. Inaugurée en 1931 par E.-M. REMARQUE, cette collection n'a cessé de faire connaître, avec les œuvres de 11 prix Nobel de Littérature, ceux qui sont et demeurent les phares de la littérature étrangèr,e.

FAULKNER. HEMINGWAY. LAXNESS • SINCLAIR LEWIS. THOMAS MANN • GABRIELA MISTRAL. O'NEILL. PASTERNAK • STEINBECK. RABINDRANATH TAGORE • SIGRID UNDSET Plus récemment et depuis seulement six mois ont été publiés: ALLEMAGNE UWE JOHNSON

L'impossible biographie la séparation des deux Allemagnes à travers la biographie d'un héros national

FRANCIS SCOTT FITZGERALD

Les enfants du jazz une évocation du .. jazz age" à travers les meilleures nouvelles de l'auteur de .. La Fêlure"

OSKAR KOKOSCHKA

Mirages du passé les souvenirs d'un peintre, de ses amours, de ses guerres, de ses rêves, de sa jeunesse

ERIKA MANN

La dernière année .. je veux seulement raconter ceci : parler de lui, de ses projets, de sa dernière année,.,"

suivi de

Essai sur Kleist

Essai sur Tchekhov ULRICH SONNEMANN

Les taillis et les astres J:histoire d''un meurtre, d'un amour, d'une 'mort dOs au hasard.

AMER/QUE SAUL BELLOW

Herzog l'autobiographie d'un universitaire à travers une correspondance jamais expédiée

TRUMAN CAPOTE

De sang froid J'histoire d'un crime sans mobile

Marelle pour avoir fui Paris et le souvenir d'un enfant mort, l'homme perdu trouvera-t-il dans l'amitié les voies de son salut

JACK KEROUAC

à paraitre prochainement:

ALLEMAGNE HEINZ KUPPER

Simplicius 45 chronique d'une petite ville allemande pendant cette guerre

Big Sur

ESPAGNE

..... c'est un monde échevelé, un monde de dèments mais aussi un monde tendre ... "

JUAN MARSE

AMER/QUE IRWIN FAUST

Enfermés avec un seul jouet

dix personnages à la recherche de leur respiration dans New York

PHILIP ROTH

Laisser courir le partage entre les bons sentiments et la charité bien ordonnée

THOMAS MANN

Esquisse de ma vie

ARGENTINE JULIO CORTAZAR

un roman, une' chronique sociale au lendemain de la guerre civile

/TALIE

Hardi les livres . ANGLETERRE BRIGID BROPHY

La boule de neige Les femmes de Messine Pour couronner le tout

ELiO VITTORINI

ANGLETERRE H.E. BATES

Six par quatre 24 nouvelles écrites en 24 années ..... et puis il y a ce thème qui à mon avis reparaît sans cesse. c'est l'obsession de la souffrance.....

WILLIAM GOLDING

La nef rappelant sans en être inspiré la légende du monastère de Batalha ce livre est celui d'une cathédrale, de son bâtisseur, de la flèche dont l'ombre le couvre

IRIS MURDOCH

Une rose anonyme une certaine image de l'Angleterre contemporaine

à l'image de ces femme!> qui ont reconstruit leur ville après le tremblement de terre, un groupe d'hommes et de femmes errants s'établissent dans un village en ruine pour le rebâtir .

PORTUGAL JOSE CARDOSO PIRES

L'invité de Job la randonnée de deux paysans à travers le Portugal jusqu'à leur rencontre avec "l'invité de Job"

un bal costumé, un pensionnat pour jeunes filles servent de cadre à chacune de ces deux nouvelles

KEITH WATERHOUSE

Jubb J'histoire d'un pyromane obsédé

GREeE KOSTAS TAKTSIS

Le troisième anneau la vie quotidienne en Crèce

SUISSE MAX fRISCH

Le désert des miroirs " ... tout homme J'invente tôt ou tard une histoire qu'il prend pour sa vie ... "

GALLIMARD

JAPON JUNICHIRO TANIZAKI

Journal d'un vieux fou la passion d'un vieillard


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