La Quinzaine littéraire

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Edmund \V ilson

Mémoires du Comté d'fIécate

par Maurice Nadeau

4

ROMANS FRANÇAIS

Jean Léonard Roger lkor Georges Darien Marcel Brion

La Gaufre Les poulains Biribi De l'autre côté de la forêt

par par par par

"1

CRITIQUE

Michel Leiris

Brisées

par François Wahl

8

ROMANS~TRANGERS

Tibor Déry

La phrase inachevée

par Maurice Chavardès

8

RISTOIRB LITT*RAIRE

Stanislaus Joyce James Joyce

Gardien de ".on frère Essais critiques

par Robert André

10

LETTRB DE BRUXELLES

12

BSSAIS

1.3

Olivier de Magny Georges Piroué J ean·Louis Bory Claude Pennec

par Michel Géoris Umberto Eco

L'œuvre ouverte

par Bernard Pingaud

~RUDITION

Apollinaire et le bon ton

par Pascal Pia

14

SCIENCES RUMAINES

Entretien avec Michel Foucault

par Madeleine Chapsal

18

ARTS

Arts des pays d'ouest

par Jean Selz

Catalogue des travaux de Dubuffet

par J ean·Louis Ferrier

François Eygun

1"1

18

PHI.LOSOPHIE

André Regnier

Les infortunes de la raison

par Jean·T. Desanti

LINGUISTIQUE

Henri Lefebvre

Langage et Société

par André Akoun

18

Jacques Ellul

Exégèse des nouveaux lieux communs

par Bernard Cazes

10

Emile Benveniste

Problèmes de linguistique générale

par Roland Barthes

Un colloque, avec Carl Rogers

par Simone Charlier

Henri Guillemin

L'arrière.pensée de Jaurès

par Colette Audry

Diderot Zoé Oldenbourg

Mémoires pour Catherine 11 Catherine de Russie

par Edith Thomas

11

PSYCHOLOGIE

Il

HISTOIRE

13

24

QUESTIONS ACTUELLES

Elizabeth Noelle

Les sondages d'opinion

par Jacques Ozouf

2&

LIVRES POLITIQUES

Georges Suffert

De Defferre à Mitterrand

par Pierre Avril

MUSIQUE

Francis Newton

Une sociologie du Jazz

par Michel·Claude Jalard

Il

PAalS

Jean Genet

Les Paravents

par Maurice Saillet

10

TOUS LES LlvaES

François Erval, Maurice Nadeau

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17. 22. 23. 24. 26. 28. 29.

Henri Cartier·Bresson magnum Ed. Jérôme Martineau Ed. Jérôme Martineau Ed. Mercure de France Doc. Lettres Nouvelles Doc. La Hune Photo Nelly Joyce Roger Viollet François Eygun Bernard Biraben Galerie Jeanne Bucher Roger Viollet Roger Viollet Cornell Capa, magnum Denis Stock, magnum Photos Pic Photos Pic


LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Tragique à l'aDléricaine Edmund Wilson Mémoires du comté d'Hécate traduit par Bruno Vercier Julliard, éd. 384 p.

Mémoires du comté d'Hécate e8t fort connu aux Etat8-Uni8, grâce à la cen8ure qui avait trouvé à redire à certaine8 de8cription8. Il y a fait une nouvelle carrière ce8 dernière8 année8 dan8 8a version non expurgée. On l'y trouve aujourd'hui en livre de poche. Ce 8uccè8 a d'autre8 rai80n8 : l'excellence de l'ouvrage, formé de 8ix nouvelle8, conte8 ou récits, d'importance et de longueur inégale8, qui concourent à donner une image peu flattée de certain8 milieux américain8 de8 année8 trente, la personnalité de l'auteur, critique le plu8 écouté de8 EtatsUni8 et qui a en outre écrit 8ur les Iroquoi8, 8ur Sade, 8ur la façon de se dérober aux impôt8, et cette Gare de Finlande récemment traduite en françai8 1 qui con8titue une vue cavalière pertinente 8ur l'évolution de8 théorie8 sociali8te8 jU8qu'à Lénine et Trot8ky. Edmund Wil80n e8t un libéral. Avec beaucoup d'autre8 intellectuel8 américain8 il a été attiré par le marxi8me au moment de la grande cri8e de 1930, avant de devenir trotskY8ant. Il lui en e8t re8té un goût pour le 80cial et la politique qui a con8tamment nourri 8a critique, un parfum d'anti-conformi8me qui lui a souvent donné maille à partir avec le8 lecteur8 du « New Yorker ~ où il officiait en titre. E8prit libre, d'un tour plu8 européen qu'américain, prompt à dénoncer le8 forme8 d'une sotti8e propre à son paY8, 80n autorité vient de l'amp-leur de 8e8 connai88ance8 en de nombreux domaine8, de la pé-nétration et de la 8ubtilité de 8e8 analyse8 qui procèdent moin8 de _conception8 toute8 faites que d'une attention 80utenue aux manière8 particulière8 qu'a la littérature de 8'in8érer dan8 la vie, de la féconder et de l'exprimer. Pour le8 étudiant8 de Berkeley, le8 beatnik8 et ceux que le8 turiféraire8 de John80n appellent élégamment le8 vietnik8, ile8t aujourd'hui un peu vieux jeu. 118 lui doivent polirtant beaucoup et, 8an8 lui, il8 ne 8eraient probablement pa8 ce qu'il8 80nt. Le Comté d'Hécate, c'e8t le nom que l'auteur a donné à une région proche de New York et où certain8 membre8 de la moyenne ari8tocratie financière ou intellectuelle venaient, du - moin8 dan8 le8 année8 trente, pa88er l'été. A côté de8 autochtone8, éleveur8 ou fermier8, on y rencontre de8 arti8te8, de8 agent8 de publicité, de8 éditeurs, de8 diplomate8 au rep08, qui habitent de belle8 demeure8 -d'un 8tyle vieillot, colonial ou 1900. La - vie y 8erait 8imple et naturelle, 8i elle n'était animée La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

par le8 relation8 de bon voi8inage, le8 nombreuse8 « 80irée8 ~ qu'on 8e donne mutuellement, le8 connai88ances plu8 intime8 qui se tran8forment parfoi8 en intrigue8 d'amitié ou d'amour, pour8uivie8 à New York. Si le8 gen8 réuni8 à Hécate et plu8 ou moin8 oi8if8 forment un milieu a88ez homogène, le groupe 80cial qu'il8 constituent e8t provisoire et en perpétuel changement 8elon le8 année8. Ce qui permet au narrateur, critique d'art et ob8ervateur de8 mœur8, de faire une belle moi88on d'échantillon8 humain8 et de nOU8 raconter, à prop08 d'eux, un certain nombre d'hi8toire8 : piquante8, cau8tique8, étrange8, cynique8 ou touchante8. Il e8t lui-même engagé dan8 plu8ieur8 d'entre elle8, ce qui ajoute grandement à l'intérêt du récit. La plu8 longue de ce8 hi8toire8 - elle occupe la moitié du volume - e8t en fait un roman qui eût pu paraître à part. Elle e8t con8truite 8ur un 8chéma a88ez 8imple : un homme, le narrateur, pri8 entre deux femme8 qui incarnent deux milieux 80ciaux, deux genre8 de vie, et comme deux humanité8 differente8. L'une, « la prince88e aux cheveux d'or » paraît 80rtir tout droit d'une enluJninure du Moyen Age : d'une beauté angélique, hiératique -dan8 8e8 attitude8 et 8e8 atours quoique 8emhlant à peine pe8er 8ur la terre, elle e8t la « dame intouchable ». Il rencontre l'autre, Anna, dan8 un dancing new yorkai8 où elle e8t. « taxi-girl ». Elle deviendra en8uite 8erveU8e de re8taurant. Toute8 deux mariée8 - la « princes8e » à un agent de publicité qui gagne beaucoup d'argent, Anna à un mauvai8 garçon, Polonais comme elle - elle8 aiment leur mari ou, du moin8, n'envi8agent pa8 de le tromper 8an8 remord8 ni problème8. Ce8 problème8 n'approchent pa8 toutefois, en -complexité, ceux qui a88iègent le narrateur. Célibataire léger et cynique, il paraît d'abord 8e contenter de vouloir coucher avec l'une ou l'autre, 8an8 être obligé de choi8ir. Il comble avec la première une a8piration romantique exacerbée par 8e8 goûts d'e8thète. La 8econde lui découvre une réalité pitoyable qui n'e8t pa8 8an8 remuer en lui l'intellectuel de gauche. Il n'e8t pourtant pa8 facile -de quitter l'une, qui se refuse longtemp8 et apparemment 8an8 rai80n sérieuse, pour l'autre, qui en 8e donnant, lui dérobe l'e88entiel. Peut-être incapable d'aimer, il voudrait 8'attacher le8 cœur8, régner 8ur de8 vie8 dont il e8t naturellement exclu. Comment 8e tran8porter d'un univer8 à l'autre et concilier tant de contradiction8 ? L'auteur raffine 8ur ce8 données jusqu'à en faire un problème de mathématique amoureU8e où troi8 exi8tence8 - et par voï'e de con8équence, quelque8 autre8 - se trouvent sérieusement engagées.

Ce n'est rien de dire qu'il le traite avec une 8ubtilité admirable. Il y met bien davantage : une connai8sance de8 rapports humain8, une science intime de la vie jusque dan8 8e8 recoin8 le8 moin8 avouable8, une franchi8e, qui trangre88ent le 8chéma initial et font accéder la fiction au rang de ce8 œuvre8 qu'on dit grandes en ce que, 8ur le8 réalité8 de l'être et sa vie 80uterrai~e, elle8 lèvent un coin du voile. Lai880n8 au lecteur le 80in de découvrir pour quelle8 rai80n8 la belle Imogen e8t « intouchable ~ - elle8 80nt forte8 et inattendue8 - , pour quelle8 rai80n8 la douce Anna ne peut franchir autrement qu'à la déro-

ri8te8 ici ou là, parviennent. à gagner a88ez d'audience pour ne pa8 8e donner la peine de le8 cacher. Le lecteur 8e récriera. E8t-il 8ûr, même en n08 doux paY8, de ne pa8 figurer leur victime ravie et con8entante ? Le8 autre8 nouvelle8 80nt également à lire, que le 8ujet en soit plu8 particulier, ou que l'auteur ait voulu illu8trer un genre, le fanta8tique, où il ne 8emble pa8 tellement à l'aise. L'éleveur de canard8 dont le8 sujet8 80nt dévoré8 par le8 « tortue8 8erpentine8 ~ et qui, changeant son fU8il d'épaule, 8e met à exploiter le8 proliférante8 tortue8 pour en faire de8 con8erve8, e8t un de ce8 originaux

bée les limite8 de 80n monde brutal et rabougri. Il e8t un domaine où- le8 être8, 8imple8 ou complexe!!, et 8i différent8 qu'ils soient, gagnent la même dignité : dan8 l'humiliation et la souffrance. 118 refu8ent en même temp8 la pitié et, pour avoir lai88é transparaître la 8ienne, le narrateur perd Imogen et Anna.

bien avi8é8 dont l'Amérique e8t 8an8 doute prodigue, mai8 qui nOU8 paraît 8urtOUt tri8tement amU8ant. Il en va de même pour le 8alonnard d'extrême-gauche qui 8'a8treint à faire le pre8tidigitateur dan8 le8 boîte8 de nuit. Ailleur8, dan8 une voie empruntée parfoi8 par Henry Jame8, l'auteur parvient difficilement à nOU8 faire croire à la réversibilité du temp8, tandi8 qu'ailleur8 encore il ne réu88it pa8 à nOU8 rendre pré8ent le Diable, incarné dan8 un diplomate. Bien filée8 et dotée8 de tOU8 le8 caractère8 extérieur8 du genre, on voit trop que ce8 nouvelle8 8ervent de prétexte8 au .narrateur pour exprimer le8 vue8 de l'auteur 8ur le Bien et le Mal, la politique ou la phil080phie, 8an8 pédanti8me, d'ailleur8. Il a de meilleur8 moyen8 pour convaincre et toucher : 80n talent d'analY8te, d'ob8ervateur 8ans œillère8, d'écrivain pour qui la vie 80ciale ne recèle pa8 moin8 de fanta8tique que la plu8 étrange de8 fable8.

Cette tragédie où 8'affrontent troi8 solitude8 n'a rien d'une hi8toire typiquement américaine, 8auf par le8 lieux et le8 circon8tance8. En revanche, un récit comme «le8 Milholand et leur âme damnée» nous plonge dan8 le8 cercle8 de l'édition et de la littérature, du journali8me et de8 affaire8 «à l'américaine ». On y voit comment le8 homme8 se corrompent, 8'avili8sent, 8e vendent au plu8 offrant. Tableau 8ini8tre que la verve 8atirique de l'auteur ne parvient pa8 à égayer. Edmund Wilson parle de ce qu'il connaît bien et il a tout l'air d'a8souvir une vengeance. Le8 pire8 ne 80nt pa8 le8 cynique8, qui pen8ent 8eulement au profit, mai8 le8 audacieux à tempérament, le8 non-conformi8te8 aprè8 réflexion, le8 courageux 8an8 ri8que. Comment tran8former une revue en bulletin de publicité, comment fabriquer un be8t-8eller et comment le lancer 8ur le marché, comment façonner et conditionner le public, tOU8 ces 8ecret8 du commerce nous 80nt révélé8. Secret8 de polichinelle : le8 affai-

A certains, Edmund Wilson paraîtra trop intelligent pour un conteur, et ils le féliciteront de 8'en être tenu 8urtOUt à la critique. J'en connai8 d'autre8 qui 8e plai8ent fort en 8a compagnie et qui donneraient quelque8 ouvrage8 fameux de 8e8 contemporain8 immédiat8 pour ces faux MémoiMaurice Nadeau re8. 1. Traduit par Georgette Camille, StQck, éd. 1965.

3


RO·MANS FRANÇAIS

Jean Léonard

La -Gaufre épopée funambulesque Julliard éd.

Ceux qui ont essayé quelquefois d'imaginer ce que peuvent être le regard et la vision d'une mouche ou _d'une aheille, avec .leurs yeux à facettes, s'emerveilleront sans doute -d.'éprouver à la lecture de La Gaufre que ce récit de Jean Léonard -exige d'eux et que son écriture éveille tout- miturellement en eUx -un· entendement' prismatique; c'est-à-dire la- compréhension plurielle et simultanée de ce petit phénomène vital : la conscience- d'un enfant de cinq ans à la fois vécue de l'intérieur, mon· trée à travers sa tl'agi-comédie concrète et· commentée dans le -va et vient de son mouvement pe'rpéthêl. On peut se réjouir, en passant, qu'un roman évidemment nourri de réflexion et de recherches' formelles, mais non point emprisonné en elles, comme les barons français de- la bataille de Crécy dans leurs armures, accepte enfin de se mesurer à un sujet. De ce corps à corps avec son sujet, Jean Léo· nard sort victorieux. La Gaufre, c'est vraiment l'eQfance redécou· verte : la conti~uelle et mutuelle Création d'un petit fauve par la . jungle et de la jungle par ce petit fauve se tl'ouve ici captée par lesmillions de mailles-minutes d'un prodigieux filet romanesque. André, dit la Gaufre, second fils d'un valet Ile ferme lorrain, cesse à cinq ans de n'étre qu'une cellule fondue au corps de la fa-

mille. Il commence à jouir de son d'une totale adhérence à l'instant, autonomie animale d'où peu à chaque instant dilaté aux dimenpeu procède l'existence person- sions d'un rêve éveillé et vécu ; nelle. Mais de cette autonomie c'est ne cesser de se retrouver enla jouissance à chaque instant lui glouti dans la seconde suivante et découvre aussi les périls et les la suivante encore, le feu de la mystères. De sorte que la Gaufre, forge, et la jument Rosalie, et le comme son Saint patron André. chariot et la cabane et le sifflet et est un écartelé ; il vit sa dérisoire la tache de soleil sur le mur ; car crucifixion enfantine, le tiraille- le monde, point figé ni en formes, ment entre son proche, tiède et ni en significations, est une légen. larvaire passé de bébé, refuge vers de fluide et bouleversante qui ne lequel parfois il régresse, et son cesse et de se raconter et de se désir d'être un grand, comme changer en sa propre surabondanRené le frère aîné, et les copains ce et qu'on écoute tout en se la bagarreurs de « la prairie 7>, ce racontant à soi-même, le héros. Et paradis mythique et ce terrain des le langage nous appartient qua~d exploits du jeudi. Il vit le tiraille- même car le langage aussi est un ment entre les molles valeurs jeu, les mots des jouets qu'on femelles, l'emmaillotement dans manipule entre les lèvres et qu'on la tendresse goulue, plaintive, triture entre ses dents et que l'on convulsive de la mère, et les sti- casse pour les refabriquer afin muhmtes brutalités, l'héroïsme d'accomplir avec eux « ses mira. hargneux du clan mâle. La Gau- cles bossus », de conjurer ses terfre le tiraillé trottine à travers' le reurs, d'assouvir ses envies, d'exercosmos du bourg minuscule, mais cer ses vengeances et de posséder toujours ligoté à sa petite croix les plus beaux trésors : ceux qui d'enfance : précisément le drame ne hrillent que dans la nuit ivre d'être l)etit, qui consiste à n'avoir de vos désirs. prise hi sur les choses, ni sur les bêtes, ni sur les gens,_ à être renEpopée funambulesque, Jean voyé par les uns à son enfantilla- Léonard a bien qualifié sa rude ge, houspillé par les autres à entreprise : son héros le sieur la cause de sa faiblesse, malaxé, ba- Gaufre avance, tout exubérance et ratté, el' à n'avoir pas prise non fragilité, sur le fil d'une cons· p~us sur le « guêpier des mots )., cience enfantine tendue entre une ni accès -à lit communication, à . fabuleuse signification du monde n'être -pas écouté, sauf pal' moqu~­ et sa féroce insignifiance. Et le rie, à moins qu'on ne veuille - romancier de La Gaufre s'est créé encore tirer à la Gaufre les vers pour ce voyage aux commence~ du nez et lui arracher quelqu'un ments de l'être une écriture aux de ces chers secrets qu'il ne se vibrations précises ct richissimes formule à lui·même que dans le dont le gongorisme méthodique, fredonnement magique des paro- succulent, nous crible de plaisir et les inventées. nous revigore lorsque, parfois, nous nous fatiguons à le suivre Cependant, être l'enfant la Gau- dans son épuisante découverte. Olivier de Magny fre, c'est aussi posséder la liberté

Roger Ikor

Les Poulair:tS Albin Michel éd.

Surpeuplée, la petite ville de Montchagny fabrique des blousons noirs qui, un jour, sur la terrasse du Mail, cassent la gueule de Ludovic Fenns, architecte retraité, que la cinquantaine a alourdi. Cctte raclée lui est béné· fique. Le voici tout ragaillardi. C'est-à-dire membre fondateur d'une Maison des Jeunes patronnée par les syndicats. L'affaire va son train jusqu'au moment où les hlousons noirs, ainsi qu'il fallait s'y attendre, mettent les locaux à sac. Ce qui donne l'occasion à Fenns de partager la couche d'une grande femme blonde de quarante ans. On file le fougueux amoùr. Une nouvelle Maison, mais cette fois de la Culture, -se profile à l'horizon; ainsi qu'un toit familial, puisqu'un enfant annonce sa venue. Oui vraiment cette raclée avait réveillé pour de bon notre quinquagénaire ramolli. Beau sujet pour un Simenon qui s'o<'cuperait de choses sérieuses. De loin en loin le roman à thèse pointe le bout de l'oreille. Mais dès que les choses sont trop simples, lkor sait touiller son frichti pour qu'elles le paraissent beaucoup moins - et c'est là une honnêteté qui mérite d'être relevée, procurant à l'œuvre sa valeur documentaire et morale. D'intention comme de forme (<< Un peu de mort lui avait poussé à l'âme » Ou bien : « ...un grand rire d'amour au cœur ») ce roman doit beaucoup à Zola.

Georges Piroué

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L'événement

. , :vénement • .

• E. d'Astier"ar 4.pagea,.complitt .on hniuion dt T.V. (La ReligitlUe. _u, Beatnilu, etc.) • La vit édiliante de M. Molltt, par Vian"on Ponté. • Grom,ko chtz Smnt Pierre, par Maurice Schumann. Mon salaire pour an cheval, par Maurice Canet,. etc..., etc...

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.Religieuse. Lille Beatniks. Vin mort Mr Mollet. La Peste lAf~",

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Un tord-boyaux « infâDle » Georges Darien Biribi Jérôme Martineau éd.

Je crois me rappeler que Biribi c'est le nom que donna à un agneau la Comtesse de Ségur dans l'un de ses romans. En toute inconscience, cela va sans dire - le

Comme toujours, le Crapouillot: • nous renseIgne avec autant d e:.• . précision que d'abondance. Je me • suis reporté à son numéro spécial .• de mai 1939. En argot, « Biribi ».• désigne les sections de discipline. cantonnées en Afrique du Nord. Les Bat' d'Af. chantés par Bruand avec une verve hargneuse

Depuis que j'suis dans c'te putain d'Afrique A faire le Jacques avec un sac, su' dos Mon vieux frangin, j'suis sec ~omme un coup d'trique J'ai bientôt pu que d'la peau su'les os.

r

rapport entre cet agneau et ce que décrit Georges Darien étant nul. Si animal il devait y avoir, je pencherais plutôt pour le taureau. Comme Michel Leiris, Georges Darien voit dans la littérature une tauromachie une entreprise dangereus'e : on n'écrit pas sans risque ni péril. Mais le corps à corps ,dans lequel l'écrivain s'en·

Il1u~lralions de Bernard Naudin

pour Biribi, parues en 1905 dans l'Assiette au beurre.

gage, alors que Leiris le livre avec ce qu'il faut exprimer de lui·mê· Darien le poursuit avec ce qu'il faut exprimer du monde. C'est la Société Taureau et tous ses romans seront corridas. On connaissait certains combats : Le Voleur, Bas les cœurs, La .Belle France, - et pour ma part j'accorde au matador Darien les deux oreilles. Mais on ignorait Biribi que Jérôme Martineau vient d'avoir la judicieuse idée de republier.

me,

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

C'est le Maréchal Bugeaud qui, dès 1831 (on n'a pas perdu de temps), fonda, à côté de la Légion Etrangère et des bataillons d'Afrique proprement dits,' ces compagnies disciplinaires, avec toute mie gamme de tortures appropriées aux fortes têtes de l'époque, mauvais sujets assez difficiles à tenir lorsqu'on ne leur livrait pas de 'l'autochtone à piller, à massacrer, à violer. En 1845, la presse parisienne mit le nez dans les compagnies du père Bugeaud. Le scandale fut tel que les ci· toyens du roi Louis.Philippe ob· tinrent la démission et le rappel en France du maréchal. C'est dire. Mais on ne changea rien au règlement des compagnies - puisqu'on les retrouve, un demi·siècle plus tard, dans le livre de Darien, pero pétuées avec ce respect des tradi. tions si vif chez les militaires et même perfectionnées. Il fallut attendre 1929, et le livre vengeur d'Albert Londres, Dante n'avait rien vu, pour que la République commençât d'envisager des réfor· mes. Lentes et bien timides, si l'on en croit l'admirable récit autobiographique de Julien Blanc, Joyeux fais ton fourbi, deuxième volume de Seule la vie, œuvre qui me paraît très injustement ou· hliée. Pourquoi ce nom de « Biribi », qui fleure si bon la chanson bien de chez nous, Toto Carabi cam· père Guilleri? Cela vient-il du nom d'un jeu de bonneteurs, espèce de loterie miniature et mal· honnête, les cailloux cassés à longueur de temps par les discipli. naires (malchanceux) étant comparés aux coquilles du jeu de ha· sard? Ou n'est-ce pas plutôt par suite d'une confusion, entraînée par l'habitude de faire rimer ces ,mots entre eux, de Birihi avec Barharie, Barharie dans son acceptation géographique désignant l'Afrique du Nord? Avis aux fouineurs de l'étymologie... Biribi relève donc du roman de mœurs, héritier de la « physiologie » romantique et de l'étu· de de milieu, d'inspiration naturaliste. Tableau de mœurs militaires, plus exactement discipli. naires - avec, en supplément, un

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Une nouvelle collection:

«'l'RAVAUX D'IDSTOIRE

ÉTHICO - POLITIQUE»

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Un tord-boyaux: '« infâme»

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•• tableau

de' la colonisation française en Tunisie dans les dernières années du XIX" siècle. Tableaux pour les historiens et tous ceux sans complaisance, on s'en doute. qui aiment réfléchir à propos Darien aurait pu mettre une sour. dine aux cris rageurs de, ses pero de l'histoire sonnages, délayer leur fiel dans ,de l'eau sucrée, matelasset lés 1. Carlo ANTONI, L'historisme. murs du cachot où ils écorchent Traduit de l'italien par leurs poings crispés, idylliser leùrs A. Dufour, 1963, 132p.F. 18.fureurs bestiales. Mais à ce mêlé. cassis très bourgeois - avec beau. 2. Raoul DEDEREN, coup de êassis - i l , a préféré Un réformateur catholique au servir uI! « tord.boyaux infâme ~. XIX siècle: Eugène Michaud. Et c'est parce qu'il est indigne Vieux-catbolicismeque ce reportage dépasse les li. Oecuménisme, 1963, XIV-340 p. mite e du roman de mœurs. Plus que l'anecdote sombrement pitto. F. 45.resque ou le folklore atroce, ce 3. Han~o HELBLING, qui intéresse Darien c'est le sort Histoire suisse. Traduit de l'allede l'homme enfermé dans cet mand par A .. Hurst, univers qui est déjà un univers' F. 15.- • concentrationnaiie. 'Bien sûr nous 1964, 112p." 16 ill. • avons connu beaucoup mieux de. 4. Echanges entre la Pologne et • puis, et l'indignation de Darien la Suisse du XIV au XIXs. . ' d e provoquer un • rIsque parfOlS Choses - Hommes, - Idées, • sourire d'une' affreuse mélancolie. 1964, 248p. F. 40.- • Biribi, à côté d'Auschwitz... Mais • précisément: les nazis n'ont rien • inventé ; les nazis ont apporté au 5. Ahmed ZOUAOUI, • perfectionnement de la chose un Socialisme et Internationalisme: : génie de l'organisation, de la dis. Constantin Pecqueur, F.33,60 • cipline, de l'ordre, et un esprit de 1964,264p. • système, auprès desquels la pa. • gaille, l'imp-,;:ovisanon dans le sup6. Jacob BURCKHARDT, Fragments historiques. Traduits • plice dont 'téwoigne Biribi sont de l'allemand par Maurice - . • positivement 'navrantes. A cela' • près, Biribi c'est déjà Auschwitz. Chevallier. Un volume in - 8, 1965, xxiv - 244p.,. broché. F. 22.- : 'Il y a, entre Biribi et Auschwiti, • une différence de degré, non de • nature. Peurs, lâchetés, humilia. 7. Jacob BURCKHARDT, • tions, sadisme, tous les rouages de Considérations sur l'Histoire • l'oppression dè l'homme par universelle. Version français par : l'homme - et qui formeront les • lois 'de ce que nous appellerons Sven Stelling - Michaud. • plus tard l'univers concentration; Un volume in - 8, • naire - Darien les décrit en trem· 1965, 212p., broché. F. 24.- • blant de haine. • Une haine assez lucide pour ne 8. J.CL. SISMONDI, : haïr dans Biribi qu'un aspect Recherches sur les constitutions • particulier d'une oppression plus des peuples libres. Texte inédit et • générale. Darien traite.t·il les géintroduction par Marco Minerbi, • néraux de la belle manière ? mul. 1965, 384p. F. 50.- • tiplie.t.il sur l'armée les bonnes • vérités bien saignantes? il sait 9 Benedetto CROCE : qu'au delà des individus c'est au. . • . ' . . • système qu'il faut s'attaquer., G~eas Ca~cclolo, ma~qUls de VICO•• L'armée est détestabie parce que" Preface ..d O. Rever~m, • c'est la pierre angulaire de l'édifi." 1965, Xli - 11Op., 10 Ill. F. 23.- • ce social actuel - qui est bour•. • geois; c'est la force sanctionnant : les conquêtes de la force;' c'est la 10. Bernd MŒLLER, • barrière élevée bien moins cônt~e r ViDes d'Empire et Réformation. • les tentatives ,r i n vas ion ' de Traduction de l'allemand par • l'étranger que. contre les revendi· A. Chenou, 1966, 116p. F.26.60 • cations des nationaux, les soldats' • ce sont des gendarmes déguisés. Il. Alain Dufour, : C'est pour sauvegarder ses intérêts Histoire politique et psychologie • que la société bourgeoise fait d'un historique, suivi de deux essais sur • citoyen un soldat - et fait d'un Humanisme et Réformation et le • soldat un forçat le jour où éelui. Mythe de Genève au temps de • ci essaie de secouer le joug. Voilà Calvj.n, 1966, 132p., 2 ill. F. 25.- • pourquoi J3iribi. ,: Pareil roman,' d'une écriture qui • frappe par sa vigueur et son • modernisme (rien des préciosités • symbolistes de la littérature des LIBRAIRIE DROZ S.A. • années 80) participe d'une ba· • taille plus large, et que Darien • entend mener de livre en livre. : Bataille conu:e la' Républiqp.e 1211 GENÈVE 3 A Paris: 73. rue dU.CanliDai-Lemoine (5) • hourg~oise au nou} de la Répu. • • • • • • • : • • • • • : • • • • • : •

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blique sociale. L'écrivain Darien se range aux côtés des opprimés qui doivent faire éclater la trompette aux oreilles de la société vieille gueuse imbécile, qui creuse

elle·même, avec des boniments macabres, la fosse dans laquelle eUe tombera... Biribi a disparu des dictionnai· res d'argot d'aujourd'hui. Le Petit Simonin Illustré, s'il parle des « joyeuses », se lait sur les « Joyeux ». Je ne suis guère au courant, l'armée a dû remplacer Biribi par autre chose... n'empê. che, que de sa corrida, c'est Da· rien la victime. Il a peut·être contribué à la mort du taureau· « Biribi », qu'estoqua Albert Lon· dres. Mais le Taureau « Société bourgeoise » l'a encorné à mort. Cherchez le nom de Darien (Geor. ges) dans quelque littérature que ce soit, dans un dictionnaire des auteurs. Quel silence ! Raison de plus pour aider des éditeurs comme Jérôme Martineau, qui

vient s'ajouter aux Pauvert et aux Losfeld. Il faut acheter leurs li· vres. Il faut les lire - comme on prend un fortifiant. Ce n'est pas encore une question de vie ou de mort. Mais c'est déjà une question de santé. Jean.Louis Bory

Marcel Brion De l'autre côté de la Forêt Albin Michel éd. En 1865, un écrivain de cino quante ans, Adalbert von A, fuyant Berlin et la femme qu'il aime, une comtesse, arrive à Baden·Baden pour terminer un roman. La grande maison blanche que des amis ont mise à sa disposition avant de disparaître mystérieuse· ment est entourée d'un parc qui jouxte une forêt. Adalbert von A s'y aVénture et ne tarde pas à s'apercevoir que son roman n'est qu'un prétexte. Il ne le terminera sans doute jamais. Ce qu'il cher· che, c'est une certaine tranquillité,. la solitude pour la solitude. Près d'un lac où il s'attarde, tout à la joie de se dissoudre dans les élé· ments, une « sensation d'insigni. fiance » l'envahit. Les soucis ini· médiats s'estompent. L'expérience du vide ne vous tient pas quitte si aisément. Les sortilèges des paysa· ges 'romantiques, compte tenu de l'isolement dans lequel Adalbert se confine, provoquent le dégel de sa mémoir~. Des fantômes qu'il croyait enfouis à jamais se réveil. lent. Il se souvient de Steffi, la petite fille au manteau blanc, le jour de son départ en calèche au milieu des sapins. Sa solitude se révèle peuplée d'étranges musi· ques. L'Allemagne romantique, pa· tiemment reconstruite par Marcel Brion, e.st douce, malgré les ora· ges qui, d'ailleurs, rapprochent les amants. Loin des Carpathes du comte Dracula vues par Murnau, on reste en bonne compagnie, au· cune menace ne plane, cet univers est transparent, les forces du ,mal ne pourraient s'y loger. De l'autre côté de la Forêt est un roman fan· tastique en dentelle festonnée, avec des mondanités charmantes, des nacres, des perles, des agates Mer de la Sérénité, des abîmes insondables, des marteaux de té· nèbres, nostalgique comme ces pianos d'une autre époque légère. ment désaccordés.

Le rêvant et le reve n'en fai. saient qu'un, et au lieu de se sen· tir anxieux ,ravoir été transporté à son inifu dans un monde aussi étrange, cette identité lui procu· rait un indicible bonheur, compa· rable à celui qu'il avait connu, naguère, au bord de ce lac de montagne où il avait souhaité pas· ser toute sa vie. Arbres, glaces, tentures, tapisse. ries, écrans brodés, se tendept d'une manière féérique vers le narrateur. Pour Adalbert von ~, en quête de l'absolu, la tentation es~ grande d'échapper à son enve· loppe charnelle. D'autant que le bonheur, il le sait, se trouve de l'autre côté ,de la forêt, et qu'if fait si bon rêver. Claude p~nnec


CRITIQUE

Une traversée du teDlpS Michel Leiris B,isées Mercure de France, éd., 304 p. Michel Leiris vient de publier simultanément un recueil de ses articles, ~otices, préfaces - textes brefs, et le plus souvent d'occasion au long de quarante années (c'est/le volume Brisées, au Mercure)" et une ample partie du tome 3 de La Règle du jeu, en revue (c'est Etre un poète, dans' les «Temps modernes» d'avril) : le rapprochement sera nécessaire pour éclairer un certain malaise, une certaine perplexité qu'on éprouve à la lecture du recueil.

Brisées, ce sont selon Littré branches rompues par la bête ou par le veneur qui veut repérer son passage: traces donc d'un parcours. Il est curieux que, citant Littré en exergue, Leiris ait omis celui des sens qui semblait le mieux s'appliquer à .son livre: reprendre ses brisées: revenir à un sujet d'abord abandonné; chez un auteur dont toute: l'œuvre est guidée par la stratégie d'une psychanalyse, un auteur aux aguets, prêt à tous les détours pour ne pas décoller de «l'authentique », pàreille omission ne peut être insignifiante. Est-ce à dire que Leiris refuse l'idée d'rin retour? A première vue, pourtant, c'est à une traversée du temps que Brisées nous convie, et c'est comme un document - avec tout l'intérêt qui s'attache au genre ~ que beaucoup le liront: on y trouve salués, dans le temps même de leur naissance, le cinéma parlant et Fred Astaire, Comment j'ai écrit certains de mes livres, Les Mouches, Tristes tropiques et La Modification (un parcours déjà qui parle), on y voit reconnus dès les années 25 Schoenberg, Miro, Arp. L'historien de la culture y trouvera largement son compte. Mais Leiris ambitionne une autre lecture, qui fasse moins référence au cours des ans qu'à la permanence de lui-inême, qui suive moins une voie qu'elle ne balise un terrain. Tableau assez complet de ce qui m'a préoccupé, écrit-il, et il omet systématiquement de donner dans le corps du livre aucun repère pour ses textes, cependant rangés, la postface en fait foi, dans l'exact ordre chronologique1 • Reste à savoir si l'ambition est bien inspirée et si du projet permânent de Leiris, ces morceaux brefs ne rêvèlent pas, précisément, ce qu'il peut avoir de plus fragile. Dans la courbe que les essais tracent, on peut en gros distinguer trois périodes, proches la La Quinzaine littéraire, 16 moi 1966

vivant et détritus variés -, s'il s'énonce d'abord à propos du jazz et des chanteurs noirs, il 1. En 1925 et pendant les trouve ses expressions les plus année,s qui suivent, jusqu'à la fortes dans deux méditations sur guerre, se situant aux marges notre corps lorsque nous cessons entrecr6isées du surréalisme, de d.'çn avoir l'image accoutumée: l'analyse, et bientôt de l'ethnolo- c:~!lt le crachat (<< L'eau à la bougie, Leiris est attentif et aux faits che») qui unit son ignoble au de langage et à cette part plus noble du langage, et ce sont ces sauvage de l'homme que la vie planches (non dénuées de beauté européenne tend à refouler.. ni' de qualité érotique) où des ,Attention doublé déjà contenue écorchés nous font voir tant dc dans le fameux Glossaire : j'y ,":écanismes secrets - à la fois serre mes gloses de 1925 : Une fiisèinants et redoutables : part de monstrueuse r aberration fait nous qu'il nous faut connaître et croire aux hommes que le lan- oser désirer pour être plus gage est né pour faciliter ~eurs hnmains. relations mutuelles... Le sens 2. Les écrits de Leiris pendant véritable d'un mot, c'est-à-dire la signification particulière, person- et après la guerre sont, au regard nelle, que chacun se doit de lui de pages comme celles-là, passaIllement acadéD;liques, entachés d'un certain conformisme humaniste (la rhétorique de l'époque) , et d'une sorte de neutralité méthodologique. Aussi sommes-nous déçus du peu que nous apprenri~nt l'hommage à Max Jacob ou la préface du Baudelaire de Sartrè, d'une part, une noté sur lès images du vaudou, d'autre part. On sent Leiris obsédé par les thèmes du salut collectif, du lieu social de la révolution: ce qui nous vaut la belle auto-critique sur l'ethnographe à l'intérieur du colonialisme, mais aussi un fâcheux article (récent) sur Césaire où la poésie se trouve comme ' « réduite », et cette étrange déclaration à propos d'Eluard - étrange pour qui se souvient de 1925 - : Moyen de Michel Leiris par Picasso... communication, la parole a pour fonction première de dire et de assigner, selon le bon plaisir de communiquer... son esprit. Ce qui nous intéresse surtout 3. Au cours des dernières aujourd'hui, ce par quoi ces pre- années, si Leiris nous semble se miers textes de Leiris sont pour rapprocher de son point de nqus les plus proches, c'est qu'ils départ (et s'approcher de noms), assignent à un jeu de transla- c'est un peu parce qu'il est tions à l'intérieur du langage le amené par le cours même du déchiffrement de son sens temps à rendre hommage à des « vrai» : En disséquant les mots amis anciens disparus les que nous aimons... nous décou- essais sur Bataille, sur Métraux, vrons... les ramifications secrètes sont' parmi les plus attachants qui se propagent à travers tout du recueil - ; mais c'est surle langage, canalisées par les tout qu'on sent revenir plus associations de sons, de formes et librement les deux thèmes de la d'idées. On lira dans le même littérature ou de l'exploraesprit une page sur la métaphore tion des formes - et de la révé(Non seulement le langage, mais lati~n du caché. J~ n'~n prendrai toute la vie intellectuelle repose pour exemple que le texte sur sur un jeu de transpositions, de l'Opéra qui ferme Brisées, et qui symboles... Il n'est pas possible fait subtilement écho aux pages de déterminer, pour deux objets . qui fermaient Fourbis: Leiris, connus quekonques, lequel est à partir du Miserere du Troudésigné par le nom qui lui est vère, montre comment l'opéra propre et n'est pas la métaphore institue une distribution matéde rautre, et vice versa), l'arti- rielle des sons dans un espace cle sur Roussel (bien sûr) , et dont la scène est runique parcelle ceci, sur Marcel Duchamp : L'on visible mais enveloppée d'une peut se demander si, dans nos région plus vaste où diversement, façons modernes... le plaisir esthé- selon les moments, peut se manitique ne tiendrait pas à un jeu fester la vie sonore: il ajoute de substitutions. même que la musique creuse et Quant au thème de r effrayante sculpte r espace théâtral à la masauvagerie qui se révèle dans les nière dont r agencement intérieur d'un édifice baroque en anime la fissures de notre civilisation laquelle n'est à son tour que g~ométrie et y ouvre des perspecmince couChe verdâtre, magma tives; mais' c'est' pour remarquer premlere et la trOJSleme, la se· conde opérant comme un détour.

qu'ainsi, le spectacle peut être porté au degré de tension le plus extrême et, d'un trait, jaillit le lyrisme. Alors le langage' se trans.forme en oracle, concluait le Glossaire de 1925; dans l'opéra, lit-on aujourd'hui, fexpansion lyrique... s'unit à une rigueur de mouvement d'horlogerie. C'est ici que, pour bien comprendre Brisées, il faut se reporter au texte des Temps Modernes. Leiris y distingue deux parts en lui, l'une ratiocinante, scientifique, censurante, attachée aux devoirs de l'engagement (c'est ce qu'il appelle drôlement le côté de chez Mao-Tse-ToulJ,g) , l'autre (qu'il appelle, en souvenir de

..el Alberto Giacometti

Pâques africaines: le côté de Kumasi) ouverte au mystère, à la révélation, au poème. Et d'ajouter aussitôt que la seconde est la vraie, qui s'est plus ou moins laissée contraindre par la première. Nous voici déjà éclairés sur la déception que nous causait la période centrale de Brisées: Kumasi y était étouffé par Mao-Tse-Toung. Mais il faut aller plus loin, interroger Kumasi même, et se demander ce que veut dire cette étrange expression: «être un poète ». Pour Leiris enfant, il le raconte, il s'agissait de détenir un pouvoir de mYEltère. Chez Leiris écrivain, une conception déjà formaliste du poème n'a jamais pu venir à bout de cette conception réaliste du poète. De là qu'à travers tous les textes de Brisées, à· côté d'une subtile lecture des mots et des images de notre temps, se conserve la représentation naïve d'un réservoir en nous de forces brutes anté-, rieqres à toute organisation, et singulièrement à celle du langage. De là le repli constant de la nouveauté du jeu mené au fil. des symboles, sur une banalité psychologique paradoxalement censée la déborder et la fonder. De ~ 7


ROMANS

Une fresque de la Hongrie d'avant-guerre

• Une traversée du temps là aussi, sans doute, ce déroutant compte rendu de Tristes Tropi. ques qui dégage avec une excep· tionnelle profondeur les implications d'un jeu formel mené de proche en proche, mais qui, jus. qu'au sein de cette analyse, ne cesse de se référer au réalisme qu'elle conteste. Parce qu'ils sont de critique ou de commentaire, les textes de Brisées laissent paraître en clair cette contradiction jamais. dépassée par Leiris: définir le poème comme convention du jeu, fonctionnement souple des mots qu'on laisse s'animer, se dénuder (<< Glossaire », 1939), et maintenir l'idée que les mots sont vrais dans la mesure où ils expriment une réalité à nous, substantielle, apparemment préstructurale, in· structurée. En quel sens, au demeurant, Leiris a-t-il fait œuvre de poète ? Sur ce point encore, la com' paraison des deux publications de ce mois est révélatrice. Ce n'est pas le plus souvent par la nouveauté illuminante de la vision Brisées comporte un grand nombre de ce qu'il faut bien appeler des lieux communs, qui rendent la lecture fasti· dieuse - , ni (malgré quelques éclairs admirables : laisser les mots... nous montrer par chance, le temps d'un éclair osseux de dés, quelques-unes de nos raisons de vivre et de mourir) par le çhoc des mots - Leiris lui-même explique bien comment il s'est imposé la neutralité - , qu'on accède au poème; mais c'est par l'organisation, le déplacement et le retour des thèmes, les emboîtements de la construction. On pourrait dire que Leiris a. joué de la logique propre d'une séance d'analyse pour en tirer, autant (ou plus) qu'un 'savoir, l'élaboration d'un chant. De là sans doute, l'hésitation que je notais en commençant, à donner à Brisées' sa couleur his· torique ; Leiris, une fois de plus, aura voulu qu'en se combinant, les thèmes se répondent, Sfl réorganisent et se mettent enfin à «sonner », par delà la ligne trop pauvre de la chronologie. L'espoir, pour une fois, a été déçu, et. sans doute parce que chacun des essais était trop court pour que pùisse s'y exercer cette lente, quasi additive, élaboration qui peu à peu fait lever L'Age ·d'homme ou La Règle du jeu. Etre un poète, en revanche, est d'une ampleur superbe. Noutl y :reconnaissons cette mélodie de thèmes qui fait de Leiris le poète ·d'une autobiographie où, quoi. 'qu'il en ait cru, l'homme est tout .entier étendu dans son chant.

François Wahl

n.

N.D.L.R.: TI nous parait utile de IPréciser que cette c postface» s'appelle !!en réalité « Notes bibliographiques », les· !;quelle, situent tout à fait c historique· rment» les textes de Brisées. 8

Tibor Déry La phrase inachevée traduit du hongrois Albin Michel éd., 704 p. Publié seulement en 1946 mais écrit de 1934 à 1938 - ce roman est le premier de Tihor Déry. Ses 700 pages révélèrent au public hongrois un romancier sen· sible, minutieux, au souffle large, familiarisé avec l'histoire du mou· vement ouvrier et capable de faire passer celle·ci dans la conscience. Aux premières pages de ce livre, l'industriel Karoly Parcen.Nagy se suicide. Son frère, le banquier Jeno, disparaît après une faillite frauduleuse. Essoufflement de la classe des chefs de trust ? Ou sim· plement « accident » propre à une fa!fiille de la grande bourgeoisie dépourvue de scrupules? Ni l'un ni l'autre, ou les deux à la fois. Dans les années 32 à 36, Budapest connaît une crise économique semblable à celle qui sévit en France et dans la plupart des pays d'Europe. Gr è v e s, sabotages, émeutes se succèdent. Tous bruta· lement réprimés par un pouvoir à la solde des trusts. De la misère des travailleurs, Tibor Dérv brosse plusieurs tableaux presqu~ insou· tenables, où la faim, les taudis et la prostitution atteignent un ni· veau d'horreur qu'on dirait sur· réaliste. Il montre une classe ou: vrière hongroise si pauvre qu'elle ne pouvait se payer le luxe d'un uniforme ou d'un insigne, même le plus simple. A une époque où les communistes français portaient des casquettes à visière et les ouvriers berlinois des imperméables noirs en caoutchouc, les ouvriers de Budapest, pour signe distinctif, avaient en commun la saleté, la tuberculose et un vocabulaire spécial, pas très riche, touchant surtout leurs rapports avec la police et la justice criminelle.

dant. Pour en sortir, il fréquente les salles des cafés populaires, tra· vaille en usine, offre de l'argent à un garçon pauvre dont le père et la mère ont été arrêtés pour activités subversives. Veuf d'une jeune femme qu'il aimait, Lorinc adopte Peter, par qui un certain nombre de militants traqués se· ront intI:oduits dans l'appartement. Parmi eux, une danseuse communiste, Evi, une de ces femmes qui ne séparent pas la liberté politique et celle de l'amour. LOrinc en arrive assez vite à ne plus savoir trop où il va. Il n'est pas accepté par les prolé. taires ; il est utilisé. Même après son arrestation et son élargissement, on le considère comme un étranger. N'est-il pas le fils d~ Parcen.Nagy? Rien ne peut faire qu'il n'ait du sang d'exploiteur dans les veines. Ses accès de générosité même sont suspects. Et il ne saura jamais si le sacrifice de sa vie qu'a fait Peter en détour· nant sur lui un coup de couteau qui lui était destiné est un réflexe de chien fidèle ou la preuve d'une intégration.

Il n'est pas jusqu'à sa liaison avec l'ardente Evi qui ne comporte quelque ambiguïté. Ne s'aiment· ils pas en marge de leur situation sociale, au détriment peut-être d'une activité politique qui n'are rivera jamais à un véritable syn· chronisme? Leur accord charnel sera d'ailleurs sans lendemain. La famille de Lorinc le presse, l'enveloppe, l'envahit, bien qu'il ait depuis longtemps coupé les ponts... L'histoire de la mère, de la sœur, des tantes, des cousins, des beaux. frères semble grignoter sa propre histoire. Un bon quart du roman leur est consacré, en contrepoint à la fresque de la classe opprimée dans laque])e il apparaît comme un personnage sans poids, aux contours indécis.

Ce que lui reproche Wavra, Pour la classe dirigeante, pas de problème. Elle ne veut connaître l'amant de sa mère, politicien que le communisme, une hydre trouble et habile, constitue un dont il faut couper toutes les têtes. assez juste portrait moral du A quoi bon chercher plus loin ? jeune homme. Il vous manque L'argent est fait pour les riches dit·il - de ne pas avoir compris qui, seuls, ont l'art de le dépenser. que fhomme doit utiliser son capiDevant un obstacle - économi· tal moral avec parcimonie et intelque, social ou politique - ou bien ligence, qu'il doit être tantôt bon, on passe outre, ou bien on sauve tantôt méchant, tantôt honnête, ce qui peut l'être - et on se lave tantôt filou, car c'est la seule fa. les mains. Suicide, banqueroute, çon de nuire le moins possible à fuite à l'étranger ont ceci de com- soi et à autrui. Quelle erreur que mun qu'ils permettent de tirer de vouloir juger tous les cas l'épingle du jeu, avec un égoïsme d'après un même schéma, et de familial qui ne choque personne, croire qu'on peut, durant toute pas même les victimes. On verra une vie, être exclusivement noble ainsi l'épouse et la fille de Karoly ou exclusivement abject! On ne Parcen-Nagy survivre au disparu peut pas non plus se retirer entiè· sans remords ni rancune. L'une a .rement, ainsi que vous voudriez son vieil amant; l'autre aura ses le faire - poursuit Wavra - car maris successifs - et toutes les VOlts vous rapetissez à tel point deux assez d'argent pour ignorer . que vous devriez passer deux lois par la 'même porte pour être aperle besoin... çu, comme disent les Chinois. Ce n'est pas le cas du fils de L'effacement de Lorinc, cepen· Karoly, Lorinc, qui ne se sent pas à sa place dans cet univertl dégra. dant, ne prive son personnage ni

de profondeur ni d'authenticité. On a l'impression, au contraire, qu'il est la figure centrale de l'ou· vrage, que l'ouvrage tout entier converge vers sa difficulté d'être et que son destin - commencer une phrase qui jamais ne sera achevée... - a un caractère exemplaire. C'est en lui, en tous cas, que l'auteur semble avoir mis ses complaisances. Il a par moments notamment dans le journal dont on nous donne quelques ex·. traits - des reflets autobiogra. phiques : membre du parti com' muniste hongrois depuis sa fon· dation, exilé durant neuf ans (entre 1919 et 1928), opposant intellectuel au régime de Rakosi, emprisonné en 1957, Tibor Déry n'a cessé, comme LOrinc Parcen· Nagy, de vouloir exprimer une vérité encore plus difficile à faire entendre qu'à cerner. Si rien d'humain n'est étranger à l'homme de culture, ne risque-t.il pas de tenir pour équivalents les sentiments du bourgeois et ceux du prolétaire ? Où est, dans ce cas, l'affrontement, le choix du combattant ?

La vie contemplative à laquelle je suis astreint me pèse - avoue Lorinc - sans parler de son ab· surdité au milieu d'un monde fré. missant d'inquiétude qui s'est débarrassé du manteau de la stabilité. L'inconfort de l'intellectuel prend, dans la Phrase inachevée, une évidence qui contenait en germe toute l'aventure politique de Tibor Déry. Si lui·même en ignorait alors tous les développe. ments, ne semble-t-il pas que ce volumineux récit, si daté fût.il, était tourné vers l'avenir? C'est peut-être ce qui fait à nos yeux sa grandeur. Non que sur le;plan de l'expression littéraire, et même de la technique, il ne fasse éga. lement le poids. On ne prétendra certes pas que, sur les 450.000 mots qu'il comporte, il n'yen a aucun d'inutile, ni que le grand nombre de métaphores et leur caractère insolite ne sentent un peu le IlYS' tème. Mais qu'il s'agisse de la fresque de la société bourgeoise à Buda· pest dans les années 30, ou de la peinture des combats désespérés du prolétariat, qu'il s'agisse de l'évocation d'un amour boulever· sant de gratuité (Tibor Déry, en ce domaine, s'est surpassé dans Monsieur G.A. à X.) ou des ta· bleaux criants de vérité comme celui de l'homme qui mange (p. 251) et de la jeune fille au miroir (p. 357), la puissance ro· manesque ne se discute pas. A travers l'épaisseur et le faux dé· sordre qui rappellent Dostoïevsky, la Phrase inachevée (pour la tra· duction de laquelle il n'a pas fallu moins de cinq spécialistes) déve· loppe originalement des thèmes auxquels l'homme d'aujourd'hui ne peut être insensible.

Maurice Chavardès


HISTOIRE LITTÉRAIRE

Joyce vu par son frère Stanislaus Joyce Gardien de mon frère traduit par Anne Grieve préface de T.S. Eliot introduction de Richard Ellmann Gallimard, éd., 272 p. James' Joyce Euais critiques traduit par Elil!abeth Janvier Gallimard, éd., 340 p.

Le hasard de la nai88ance joue à certains de vilains tourt< : friore d'un écrÏ\'ain génial ! La l'ituation e&t inconfortable, à moins de se partager le cadeau des dieux, ('-amme le firent, en parts inégales, il est vrai, Thomas et Heinrich Mann. Stanislaus Joyce, lui, partagea seulement l'exil et dut ile contenter de rester (lans l'ombre de l'auteur d'Ulysse. Le manuscrit qui vient d'être publié et dont le titre est significatif révèle qu'il ne joua pas sans dignité un rôle ingrat. Gardien de son frère, tel est, en effet, le destin que Stanislaus revendique dans cette tentative d'autobiographie, qui reste d'ailleurs inachevée. Elle présente un double intérêt: révélatrice de la psychologie du compagnon à l'égard du «monstre », elle forme aussi un miroir des conditions familiales difficiles dans lesquelles James vécut longtemps et qui éclairent en partie les sources dc son œuvre. Stanislaus le souligne avec une modestie remarquable. Dès l'enfance, il s'incline devant la supériorité de James, en tout domaine plus doué : Comme le talent et la personnalité ne s'acquièrent pas en f espace d'une nuit, il me faut montrer la souche d'où jaillit la fleur bizarre, mais vivace, qui fait f objet de cette étude. Donc, il entreprend de raconter leur enfance, mais détourne aussitôt le projecteur de sa propre personne. Or, on s'aperçoit vite que «cette Heur bizarre » il ne peut guère la comprendre et parce qu'en apparence, il serait le mieux placé pour y réussir. Dans cette famille nombreuse, mais où bien des enfants meurent, victimes souvent de la né~ligence d'un père ivrogne, Stanislaus est le confident de James. Ensemble, ils font leurs premières tentatives littéraires et partagent nombre d'expériences. On sait que, long. temps fidèle, Stanislaus ira à Trieste, y sera aussi professeur, soutiendra moralement James, l'empêchant avec fermeté de céder à l'ivrognerie pour laquelle il avait un fort penchant. Toutefois, à chacune des anecdotes, des incidents qui se retrouveront dans Dedalus, dans Ulysse. le «gardien» ne sait guère que rectifier de!l erreurs, rétablir la réalité, san~ pouvoir dissimuler t.oujours une pointe d'amertume étonnée. C'est que lui aussi a vécu l'évéLa Quinzaine littéraire, 1(; mai 1966

nement, c'est que parfois l'idée première vient de lui. N'était-ce que cela? Voici ce qu'il en a fait! Il ne se montre jamais capahle, il ne le peut pas, de saisir la transmutation imaginative que l'écrivain fait subir au réel et q'ui est la clef même de son talent. Ainsi Stanislaus lui fournit sans ce8lle des thèmes, en particulier pour les nouvelles de Gens de Dublin. Ainsi Stanislaus tient un journal. James le lit sam lui en demander la permission, !l'empare sans vergogne de ce qui l'intéresse. Plus tard James, avec la franchise ironique qui le caract~­ rise, en fera la remarque : N'avezvous jamais remarqué, lorsqu'il vous vient une idée, ce que, moi, je peux en faire?, aptitude dont Stani!llaus ne cesse d'être victime, mais, disons-le à sa louange, en faisant le plus souvent contre mauvaise fortune bon cœur. La pointe d'amertume est rare. Si l'intelligence de l'homme apparaît de niveau modeste, ses qualités morales sont de premier ordre: Je m'accorde la satisfaction personnelle de noter que j'étais alors le premier et peut-être le seul à comprendre que fimpitoyable sincérité, plus que la délicatesse, serait la note dominante de f œuvre de mon frère. Délicatesse ! Il en manque singulièrement, semble-t-il, celui-là qui possédait le génie ! On remarquera en passant ce trait. L'enfance de Jovce est marquée par l'insécurité. i.e père ne vaut rien. Il manque, un soir qu'il a bu plus que de coutume, d'étrangler sa femme malade. La scène se gravera dans l'esprit de Stanislaus pour donner la haine. James reste, en apparence, insenRible et l'on sait que l'œuvre entière se placera sous le signe du père. De même, après la mort de leur mère, J alOes découvre un paquet de lettres, écrites par l'époux avant le mariage. TI les lit sans la moindre hésitation: Lorsqu'il eut fini, je finterrogeai : - Alors? - Rien, répondit-il sèchement avec un certain mépris... «Je les ai hrûlées sans les lire », ajoute le pieux Stanislaus. C'est par toute une suite de récits de ce genre que vaut le livre, en somme miroir assez fidèle des sources d'Ulysse et de la personnalité de l'artiste, enfant et adolescent. Accordons pour excuse à la relative incompréhension de Stanislaus, la nature si particulière du génie de son frère. Pour ne point s'étonner, il aurait fallu que Stanislaus adoptât une démarche inverse, qu'il partît de l'œuvre pour en réparer les éléments historiques. D'un certain point de vue, on peut en effet tenir Ulysse pour une épopée de l'insi~i­ fiance : les démarches, les pensées de Bloom ne présentent pas en elles-mêmes le moindre intérêt, si on les considère hors du contexte. La grandeur de Joyce est d'avoir démontré, ·avec une ampleur rare-

ment égalée, le pouvoir de transmutation de l'écriture sur la réalité la plus « prosaïque ». Dénouez les anneaux du style, pour reprendre l'expression de Proust, l'éclatement restitue la banalité terne qui fut le point de départ et dans laquelle on ne retrouve rien de l'opération qui a eu lieu dans la chambre noire de l'imagination.

James Joyce à 22 ans

C'est cette force démoniaque exercée à partir d'éléments neutres que Stanislaus est incapable de concevoir. Henry James dit quelque part que le romancier est quelqu'un pour qui rien n'est jamais perdu. Jamais remarque ne s'appliquerait avec plus de justesse. Sous l'angle de la biographie, le génie de Joyce apparaît, que l'on me pardonne l'expression, comme un génie de chiffonnier,

. Stanislaus Joyce à 21 ans

mais j'ajouterai aussitôt: qui, tel l'alchimiste, fabrique de l'or avec le plomb qu'il récupère... Opération qui explique aussi l'impression plutôt décevante laissée par le recu,eil d'Essais Critiques joint au livre de Stanislaus et dont la plupart coïncident par la date avec cette période de for-

mation, au terme de laquelle le manuscrit s'arrête. L'écrivain est parfois un critique pénétrant. Bien placé pour connaître les sources de l'acte créateur, il s'entend à en démêler les ressorts chez autrui. Encore faut-il que les exigences de son œuvre ne lui interdisent pas cet effort de sympathie à l'égard d'un univers étranger sans laquelle la critique est impossible. De cette sympathie, Joyce sera à tout jamais dépourvu. Son regard n'est qu'un appareil enregistreur de ce qui est susceptible d'alimenter le creuset. En outre, dans la perspective même de cette alchimie opérée à partir du métal vil, aussi longtemps que la structure qui provoquera la fusion n'est pas trouvée, le temps de gestation ne peut être qu'un temps d'attente où rien ne permet de prévoir l'épanouissement futur. Pour un Joyce, ce que l'on appelle des promesses ne peut guère exister. Ainsi s'explique la remarquable banalité de ses premiers écrits. La petite narration scolaire qui ouvre le livre est un exemple amusant de la rhétorique creuse que peut dispenser à ses élèves uu hon collège de Jésuites. Il en restera une facilité qui servira Jovce dans cette série d'articles, notes et notules alimentaires, qu'il écrira à Paris et dans les premiers temps de son séjour à Trieste. Ces articles, dont les thèmes sont disparates, allant de l'interview d'DO coureur antomobile an compte rendu d'un roman de Marcelle Tinayre! se lisent sans ennui. rachetés souvent par une ironie propre à Joyce. Il faut attendre les derniers articles, ceux de la période créatrice, quand il va cesser de faire de la critique, pour distinguer ici et là, par éclairs, le grand écrivain. Or sa griffe se pose précisément sur les morts., sur ceux qui, par certains côtés, lui ressemblent: DOe belle ode funéraire à Oscar Wilde, un hommage à William Blake qui loi permet, inaugurant une critiqU(~ propre au romancier, Ile recollnaître chez l'autre le passage par un drame vécu, de comprendre par expérience rétrospective les moments décisüs, en l'occurrence la source même, qui l'étonne, de son propre génie. Parlant des extases de Blake, il remarque : N'est-il pas ,urprenant que ces êtres symboliques, Lo, et Urizen, Vala, que les ombres de Milton et d'Homère, aient daigné descendre de leur ciel dam une misérable chambre de Londres, accueillis non point parmi des fumées d'encens, malS dp~ relents de thé et d'œufs frits dam la graisse?, relents des rognons apprêtés par Bloom dans les llOm· bres demeures de Dublin t"t llont les fumées commencent aIor~ :i monter au ciel de l'odyssée d'Ulysse... Robert André 9


Vient de parattre

Lettre de Bruxelles

NICOLAS ARJAK (Youli Daniel)

ICI MOSCOU Le texte qui nous fait le mieux comprendre l'état d'esprit des Soviétiques au début de la déstalinisation ... MAURICE NADEAU La Quinzaine Littéraire Une merveille qui honorera toutes les anthologies, tous les manuels scolaires de l'Union Soviétique lorsque ce douloureux pays aura enfin obtenu de sol les libertés Indispensables... ETIEMBLE Le Nouvel Observateur Il ne s'agit pas d'un bon livre, mais d'un' grand livre, d'un admirable recueil de nouvelles très précisément révoltées, donc révolutionnaires. Je ne vous demande pas de me croire. Je vous demande seulement 'de ne pas croire' à priori les autres, ceux qui diront le contraire, et surtout ceux qui vous chuchoteront benoltement que le scandale fait le succès de ce livre. C'est simple : lisez le vous-mêmes, lisez le tout de suite... MORVAN LEBESQUE Le Canard Enchaîné Quatre nouvelles cela suffit pour révéler un talent... Dans ces nouvelles ou le délire est la transposition de la réalité, Daniel force chacun de ses lecteurs à s'examiner afin qu'il n'y ait plus de nouveau une période de culte de la personnalité dans un pays socialiste ... BERNARD FERON Le Monde Un volume de 280 pages, suivi du « Dossier du Procès de Moscou • : 15 F.

Société des Editions Modemes SEDIMO 18, rue Marbeuf, Parls-8· C.C.P. Paris 7211 70 Diffusion: Dlff.-Edlt.

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Il existe en Belgique une litté· rature d'expression française et une littérature d'expression néerlandaise. La littérature belge n'existe pas. On peut, tout au plus, constater l'existence d'un certain régionalisme, surtout ChêZ les écrivains flamands de langue française. Mais ce régionalisme n'est ni plus ni moins français que le régionalisme provençal ou breton. C'est là une constatation de bon sens. Mais il est des moments OV le bon sens lui-même paraît sédi· tieux. Par exemple aux yeux des quelques dizaines d'auteurs belges qui prétendent représenter la littérature belge comme si, en Belgique, comme en province française, tous les amants de la littérature écrivains ou lecteurs - n'avaient pas les yeux tournés vers Paris! Tôt ou tard, un écrivain français de Belgique se fait éditer à Paris, cherche à conquérir les faveurs de la critique parisienne, le public français. Il arrive toutefois qu'en dépit de leurs efforts, certains auteurs belges ne parviennent pas à se faire éditer à· Paris. Leur dépit se transforme vite' en hargne. Quand leurs manuscrits insipides leur reviennent refusés, ils réussissent à se faire éditer en Belgique, de préférence par un éditeur ayant petites ou grandes entrées dans les cénacles officiels: académie, ministère de l'éducation . nationale, de la culture, direction des bibliothèques publiques, etc. L'un de ces organismes achète cent exemplaires du livre, un autre, cent autres. Finalement, l'éditeur rentre dans ses frais et l'auteur est satisfait.

culaires commerciales et publicitaires lui assuraient une honnête aisance, et même un peu plus. Cet imprimeur, M. Gérard, avait un fils: André. Après de bonnes études, André Gérard décida de se lancer dans l'édition. Il se mit à étudier le système' d'édition et de diffusion des «pocketbooks» anglais et américains. Très vite, il décida de lancer une collection de livres de poche en français. C'était en 1949. M. Gérard père haussa les épaules mais mit à la disposition de son fils un petit capital Il

expose la synthèse des huit grands principes philosophiques et moraux qui dominent la pensée chinoise depuis Lao-Tseu et Confucius: être en soi, polarité, pertinence, piété filiale, rites, humanité, art de vivre, non-agir. L'auteur les envisage à la fois sur les plans de l'histoire, de l'art et de la littérature, des idées. Il en dégage quelques grandes constantes qui forment, d'après lui, les valeurs éternelles de la civilisation chinoise. H. van Praag termine par un plaidoyer en faveur de la mutuelle compréhension de

fallait un nom à cette collection. Se souvenant de son passé de boy-scout, André Gérard la bap. tisà de son ancien totem: Marabout.

l'Occident et de l'Orient. Alor~ seulement, conclut·il, on pourra parler d'une ère nouvelle. .

Le public lui, boude ce genre d'ouvrages. Il fait confiance aux grands' éditeurs parisiens ou aux quelques éditeurs belges d'enver· gure: Editions Univet:sitaires, Marabout, Casterman, Desclée de Brouwer. " '", Les écrivains belges de qualité. romanciers comme Franz Hellens, Georges Simenon, Françoise Mallet.Joris, Maud Frère, Charles Bertin, J .-J. Linze, critiques comme Daniel Gillès, Hubert Juin, Pol Vandromme, sont édité~ à Paris. Il est pourtant quelques édi· teurs belges qui acceptent de jouer un rôle aussi noble et courageux qu'ingrat: celui de «découvreurs » de jeunes talents, trop timides pour risquer une entrée «parisienne ». Ces éditeurs savent que seuls les plus médiocres de leurs auteurs leur resteront fidèles, que les autres s'en iront un jour à Paris, mais ils aiment assez la littérature pour se contenter d'un strapontin dans l'édition.

Un grand oiseau noir; un livre sous le bras... pardon sous l'aile, fut dessiné... il convenait à merveille. Les premiers livres furent imprimés sur du mauvais papier journal. Les couvertures, «plas. tifiées» étaient violemment coloriées, un rien vulgaires. Le succès fut rapide, tant en France qu'en Belgique. Actuellement Marabout édite 200 nouveaux titres par an, compte neuf collections, et publie aussi bien Ponson du Terrail que des documents sur la sexualité. Chaque livre connaît un premier tirage de 25 000 . à 75 000 exemplaires. Depuis quelques années, Marabout s'est dégagée de l'opti. que «confessionnelle» qui fut sienne au début.

Il était une fois, à Verviers (petite ville voisine de Liège) un imprimeur prospère: agendas, almanachs, journaux locaux, cir-

Le dernier né des «Marabout université» est Sagesse de la Chine de H. van Praag. Traduit du néerlandais, cet ouvrage

Dans sa collection «Portraits» (monographies d'écrivains .belges) l'éditeur Pierre De Méyère (l'un des rares éditeurs «littéraires» belges) publie un Pierre Nothomb de Frédéric Kiesel (lequel est aussi poète et collabore de manière épisodique aux «Cahiers des Saisons.). De Pierre Nothomb, les lecteurs français connaissent surtout un roman Morménil (Plon 1964) et quelques.uns se rappellent deux autres romans : La Rédemption de mars (Plon 1923) et Fauque. bois (Plon 1918). Ces quelques titres ne forment pourtant qu'une infime partie de l'œuvre abondante du fluvial Pierre Nothomb. Agé aujourd'hui de soixante·dixneuf ans, châtelain ardennais, académicien, ancien sénateur, Pierre Nothomb est surtout un «personnage» que son biographe situe «entre Bible et romantisme ». Nostalgique de Charlemagne, il a nourri de ses mythes personnels


NOUVELLES DE •

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L'ÉTRANGER

son œuvre où ils se trouvent magnifiés. D'une grande fécondité, il descend, par les femmes, de Lamartine et passa, peu après la première guerre mondiale, pour le d'Annunzio belge - il a écrit des milliers de pages, récits, nouvelles, romans, poèmes, d'une va· leur inégale mais d'une verve emportée et soutenue. Frédéric Kiesel fait la part des pages rapides et des pages élaborées. On l'admire d'avoir pu, avec autant d'aisance apparente, tracer un chemin dans la sauvage et exubérante forêt de ce survivant en notre siècle de la grandeur lotharingienne. Pierre Nothomb avait déjà son tombeau et sa statue (à Arlon) et voici sa légende fidèlement rapportée et son œuvre subtilement et complaisamment évoquée. Que peut-il demander de plus?

Au déhut de cette année, le même De Meyère a lancé une collection de romans et de nouvelles sous le titre «Collection des 200» {allusion aux «deux eents familles» qui font, en Belgique, la loi littéraire). Après Les Jeux tristes, un roman féminin assez quelconque de Sidonie Basil, il y publie une dizaine de nouvelles d'Omer Marchal dont ce sont les premiers textes. Marchal n'a pas trente ans, il est reporter au grand hehdomadaire «Spécial» et fut, de 1959 à 1961, agent territorial au Rwanda-Burundi, alors sous protectorat belge. Il y administrait une région en pleine brousse et il fut étroitement associé à la révolte des pay8ans bahutu, contre les seigneurs féodaux batutsi. La plupart' des nouvelles de son recueil lui ont été inspirées par cette expérience' africaine. La mort est au centre de ces nouvelles, elle rôde, sournoise ou insolente, marque le8 destins, inexorablement. Dans un climat de violences et de passion, rendu plus lourd encore par la moiteur coloniale, les drames s'enchaînent, tout naturellement, comme s'ils étaient écrits depuis toujours. Familiers de la mort, qu'ils ne recherchent pas mais dans l'intimité de laquelle ils Vivent, les héros de Marchal, noirs oU blancs, semblent sortir de l'univers d'Hemingway à qui' Marchal doit d'ailleurs beaucoup. Début pourtant original et prometteur : Marcha~ a quelque chose à dire et il le dit bien. Enfin, consta'tation réjouissante: une de ses nouvelles, «France », prouve que son inspiration n'est pas prisonnière de la brousse. Ici, l'aventure africaine n'intervient qu'au second plan, le thème éternel de l'amour impossible est réécrit avec bonheur. Ces nouvelles qui vont au-delà de la littérature, par cette sorte de mystique de la mort qui les possède, constituent une intéressante entrée dans la carrière. Michel Géorn La Quinzaine Iittéraile, 16 mai 1966

L'assassinat du Président Ken- : nedy continue à préoccuper l'opi- • nion publique aux Etats-Unis. Le. Rapport de la Commission Warren, • publié en France par Robert· Laffont, n'a pas dissipé tous les : doutes. Viking Press à New York. annonce la publication d'une thèse • de doctorat par Edward Jay Epstein. qui examine toutes les contradic- • tions et toutes les insuffisances du • Rapport Warren et insiste sur· " . • certalns aspects restes mysteneux de ce drame. •

jean.louis curtis

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• • • • • • • • • Manès Sperber, romancier et • essayiste bien connu, vient d'être • nommé professeur honoraire de • • l'Université de Vienne. • •• Toujours à Vienne : Elias • Canetti, dont on vient de publier Vienne 1934, la nouvelle pièce de Tibor Déry, sera jouée vers la fin du mois de mai au Théâtre National de Budapest.

• • • • • • connaît.•

en France « Masse et Puissance », vient d'obtenir le Grand Prix de Littérature.

Charlot ecnvain ne décidément pas le même succès. que Charlot cinéaste. Le premier. tirage, fort important bien entendu, • de l'édition américaine n'a été: vendu qu'à moitié. •

• • Les Mémoires de Harold Mac· • mUlan seront publiés en automne • à Londres aux Ed. MacmUlan, la • propre maison d'édition de l'ancien • Premier Ministre du Royaume: Uni. Le premier volume commence. avec la fin du règne de la reine • • Victoria et se termine en 1939.

• •

Il y a 2.500 ans, en 534 av. • J.-C., que selon la tradition, la: première pièce de théâtre a été. jouée à Athènes. Pour fêter cet. anniversaire, un Festival aura lieu. à Delphes qui commencera le 29 • mai. Parmi les troupes étrangères, • on annonce la présence du Théâtre : de France (l.-L. Barrault), du. Théâtre de Moscou et du Burgthea- • • ter de Vienne.

• •

à:

Les Prix Pulitzer 1966 ont· été décernés en littérature Katherine Anne Porter pour ses. nouvelles et à Arthur Schlesinger • pour son récit « Les 1.000 jours de .' Kennedy » dans la section histoire. .'

'••.

A Brno (Tchécoslovaquie) s'est réuni le Congrès des spécialistes de l'Antiquité gréco-romaine; Vingt nations de l'Est et de l'Ouest étaient présentes. Les représentants de la Roumanie et de l'Allemagne Orientale ont annoncé que dans l'avenir le programme scolaire, de leurs pays prévoit un renforcement • des études classiques. '

• • • • • •

la t · quaran aine "M. Curtis affirme sa maîtrise en nous rendant sensible. avec la plus grande simplicité, à l'écoulement du temps". Jacques Brenner (Aux Ecoutes) "Jamais le talent de Jean-Louis Curtis n'a été aussi dépouillé. aussi précis, aussi incisif" Jacqueline Barde (Le Dépositaire de France) "L'œuvre de Jean-Louis Curtis, sans perdre sa .qualité de roman - il est passé maître en la matière dès ses premiers livres - prend un caractère de mémoires pour servir à la connaissance de notre temps". Anne Villelaur (Le Figaro Littéraire) "La plus perspicace et la plus juste chronique de la sensibilité contemporaine". Robert Kanters (Le Figaro Littéraire) "Le mouvement du récit, la justesse des personnages et des dialogues, l'émotion des vies perdues et qui déclinent, la manière cruelle dont l'homme de quarante ans se voit exclu des fêtes de la jeunesse, tout enfin de ce que dit Jean-Louis Curtis éveille la rêverie et retient l'attention". Kléber Haedens (Paris-Presse) "Certains romanciers se dérobent devant l'obstacle, 'd'autres marchent au canon. Jean-Louis Curtis est,de ces derniers. On se réjouit qu'une fois de plus sa' bravoure soit récompensée". Maurice Nadeau (La Quinzaine Littéraire)

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ESSAIS

L'art et ,la différence Umberto Eco L' œuvre ouverte traduit de l'italien Le Seuil, éd., 318 p. ,

contemporain fait de l'ouverture l'objet même de sa réflexion et de sa pratique. Il y a là plus qu'un simple changement d'accent: un véritable renversement. Le problème de l'artiste ancien était de multiplier, de diversifier une œuvre dotée d'un sens apparemment univoque et qui répondait à des critères de fahrication précis : règles des genres en littérature, figuration perspectivè en peinture, tonalité en musique. Le problème de l'artiste moderne est d'éviter ,que la diversité, la muftiplicité qu'il vise au départ ne sombrent dans l'incohérence. Si l'histoire de l'art, comme J'affirmait Wolfflin, oscille entre un pôle « classique » et un pôle « baroque », on' pourrait exprimer la même idée autrement en disant que l'art classique se dirige à tâtons vers le baroque, alors que l'art moderne, baroque par vocation, est à la recherche de son propre classicisme : il lui faut trouver de nouvelles règles pour éviter la dispersion fatale qui le menace. Ce schéma, que je simplifie à l'extrême, paraît à première vue très séduisant. Il permet de comprendre pourquoi, dans les expériences contemporaines, le hasard fait échec à la volonté, l'indétermination à la contrainte. Mais il manque aussi les limites de l'ouverture : la soumission du créateur aux caprices de la contingence, son dédain des formes ne peuvent aller jusqu'au renoncement à sa propre maîtrise. Bien au contraire, puisque l'œuvre doit « rester elle-même », ils supposent une articulation plus rigoureuse encore; d'antant plus rigoureuse qu'elle sera cachée1 • Observons pourtant que, dans les chapitres théoriques de son livre, Eco emprunte tous ses exemples aux beaux-arts et à la poésie. Le seul prosateur qu'il étudie ensuite est Joyce, dont l'évolution (comme celle de Mali armé échouant à bâtir le fameux Livre) conduit à se demander si l'idée même d'un livre « ouvert » n'est

Qu'est-ce qu'une œuvre d'art? Question' piège, à laquelle il n'est pas facile de répondre. Si je dis -que l'œuvre est une forme dont la contemplation provoque en moi un plaisir particulier, on me répondra qu'un simple caillou, une simple tache sur un mur peuvent me donner le même plaisir. Pourtant, ce ne sont pas des œuvres. L'idée d'œuvre implique que ce plaisir ne soit pas fortuit. L'œuvre a été fabriquée dans l'intention de m'émouvoir. Mais que signifie cette «intention»? Car une chaise aussi est fahriquée, et ne m'émeut pas comme le tahleau qui la représente. D'autre part, si la fabrication est essentielle à l'œuvre d'art, comment expliquer que l'art moderne fasse une place de plus en plus grande au hasard ? Enfin, si l'œuvre est une forme, que dire de l'art « informel »? Ce sont ces difficultés qu'Umberto Eco essaie de résoudre en introduisant dans la définition de l'œuvre l'idée nouvelle d' « ouverture »: Une forme est esthétiquement valable dans la mesure où elle peut être envisagée et comprise selon des perspectives multiples, 'où elle manifeste une grande variété d'aspects et de résonances, sans jamais cesser d'être elle-même. A la fois une et multiple, diverse mais constante, l'œuvre ne s'épuise pas dans un premier usage, et c'est ce qui la distingue de l'objet, toujours dépassé par sa fonction. On n'a jamais fini de lire un livre, de regarder un tableau, d'écouter une symphonie. Chaque « consommation» complète et enrichit la précédente, découvre au consommateur des possibilités qu'il n'avait pas ençore aperçues. En ce sens, toute œuvre est nécessairement ouverte. Mais tandis que les œuvres anciennes l'étaient, en quelque sorte, sans le savoir, l'art

pas une contradiction dans les sommes accoutumés à considérer termes. Comme beaucoup de théo- comme esthétiques. De même, riciens actuels, attachés à la sacro- dans un autre chapitre, Eco resainte notion de la forme, Eco court à la théorie de l'information semble tenir pour nulle et non pour opposer le « message » couavenue la distinction que Sartre rant, clair et banal, au message établissait autrefois entre les arts, artistique, obscur mais riche en « information », c'est-à·dire marqui ont affaire au sens (obscur, indicible, inséparable de la forme qué d'un haut coefficient d'improdans laquelle il apparaît) et la babilité. Mais un message peut prose, qui a affaire aux signifi- être très surprenant sans' avoir cations (transparentes, liées aux pour autant une valeur esthétique. choses qu'elles désignent nommé- Sinon « Am stram gram » ~er.ait ment et s'effaçant devant elles). le chef-d'œuvre de la poésie. Ce On peut faire hien des réserves qui donne' sa valeur esthétique sur cette distinction. Il n'en reste au message, c'est l' « intérêt ~ parpas moins abusif - Eco le recon· ticulier que lui attache le 'récepnaît d'ailleurs au passage - de teur. Et comment définir l'intérêt parler de la « signification» d'une sans le qualifier lui-même d'esthécouleur ou d'un son, comme on tique? Peut·être est-il impossible /l'éviparle de la signification d~un mot. C'est l'autonomie .radicale du ta- 'ter cette tautologie. Mais! c'est bleau ou de la sonate qui leur-. 'd'elle, alors, qu'il faudrait partir, permet, parce qu'ils ne signifient en songeant, par exemple, aux rien à proprement parler, de mul- ready-made. Lorsque l'artiste motiplier les suggestions. Une œuvre 'derne décide d'exposer un objet littéraire, si riche de sens soit-elle, quelconque, de préférence le plus n'est jamais totaiement autonome. commun, son geste signifj~ davânElle nous renvoie, de gré ou de tage qu'une simple provocatiqn. Il force, à l'expérience vécue. Elle montre que l'œuvre d'art est to~­ ne peut donc pas être « ouverte » jours « tautologique ». Je, ~eux de la mêmè- façon. L'ouverture dire que l'objet ainsi présenté, consiste plutôt pour elle à neu- tout en restant le même, derient traliser les significations, soit en autre. L'œuvre est d'abord cét les faisant se contredire mutuelle- autre que l'écrivain nous donne ment (comme chez Robbe-Grillet), à ,lire, le peintre à voir, le musisoit eit proposant au lecteur di- cien à entendre, et qui ne diffère vers modes de lecture (comme pas du même par des qualités particulières, mais parce que nous le chez Butor). Mais il y a plus grave. L'ana- lisons, le regardons, l'écoutons lyse d'Eco, si ingénieuse soit-elle, autrement. Les procédés interviense tient toujours au niveau des nent ensuite, quand l'œuvre est procédés. 'Cela le condamne, déjà là: leur fonction est de comme tous les formalistes, à tour- répéter, en le ,figurant, le geste ner en rond. Il nous dit, par exem- initial de l'artiste'. Ils sont le signe tangible d~une différence qui les ple, que le signe esthétique mot, son, couleur apparait précède. Mais l'art, au fond, n'en comme « lié » à tous les autres a cure. C'est bien pourquoi il peut signes de l'œuvre et « recevant être « brut », « informel », ou des autres sa physionomie corn· « atonal ». L'art n'a pas besoin pIète ». Mais quand il veut expli- de se distinguer pour s'imposer : quer cette liaison, il invoque des il est la différence même. Bernard Pingaud' « habitudes enracinées chez le récepteur » : la rime, le mètre, les proportions conventionnelles, 1. Un bon exemple de ce double mou· les ,habitudes esthétiques. Autant vement est la partition de ".()Ueck, tout entière bâtie sur des formes musi· dire qu~ nous reconnaissons l'œu- cales types, sans que l'auditeur, dit vre d'art aux caractères que nous Webern, ait jamais à 's'eu préoccuper•

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Un livre exceptionnel, qu'il vous faudra lire et relire et qui vous passionnera"... car il vous apporte l'occasion Il

de confronter votre point de vue personnel sur les grands problèmes de notre temps avec celui de l'auteur, et de découvrir alors une attitude de penser et de vivre rationnelle en cette époque de désarroL Principaux sujets abordés: Les croyances • L'intellectualité • La psychologie générale • Les concepts périmés • La sociabilité • Le bonheur • Le déterminisme et le libre arbitre • L'humour • L'importance du rire • Les vertus sociales • L'information .; La faillite des clercs • Le gaspillage • L'extravagance littéraire et artistique • Les facteurs de stimulation • La saveur de vivre, etc... par

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R. CHAMPFLEURY

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ÉRUDITION

Apollinaire et le bon ton Au cours de l'année 1900, Guillaume Apollinaire, qui allait avoir vingt ans, liait connaissance avec un jeune homme de son âge, Ferdinand Molina da Silva, dans la famille duquel il devait être bientôt accueilli. Les MoliQa habitaient rue Demours.· C'étaient des juifs originaires de Bordeaux,

Cependant, il ne semble pas qu'Apollinaire ait eu personnellement le don de l'émouvoir. Dans sa biographie du «Mal aimé », M. . Marcel Adéma cite une lettre de 1901 où Linda confesse à un tiers son ennui d'être l'objet d'une affection qu'elle se sent incapable de payer

Chirico: Apollinaire, 1914.

appartenant à cette sorte d'israélites longtemps appelés marranes ou juifs portugais, quoique la plupart d'entre eux eussent pour ancêtres des juifs chassés d'Espagne par l'Inquisition vers la fin du xve· siècle, et· venus alors s'établir en Guyenne. Montaigne comptait de ces juifs-là dans· son ascendance. Plus près de nous, Catulle Mendès et le premier éditeur d'Isidore Ducasse: Evariste Carrance, étaient, eux aussi, des juifs bordelais. Ferdinand Molina, l'ami d'Apolinaire, avait deux sœurs et un frère, tous plus jeunes que lui. Leur père dirigeait un cours de danse près des Champs-Elysées, et comme il enseignait également les belles manières, peut-être avait-il su faire de l'aînée de ses filles une demoiselle particulièrement séduisante. Reçu rue Demours, Apollinaire ne tarda pas à s'enticher de cette Linda, qui n'avait encore que seize ·ans, et composa alors pour elle plusieurs poèmes, recueillis beaucoup plus tard dans Il y a. Linda fut sans doute quelque peu flattée d'inspirer un poète. La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

de retour. Mais si l'empressement qu'on lui montrait importunait Linda, M. Molina père n'éprouvait pour sa part aucune contrariété à voir Apollinaire fréquenter son salon. Ce n'était pas qu'il méditât d'avoir pour gendre ce jeune apatride sans foyer, sans fortune, sans diplômes et sans profession régulière. Seulement, Apollinaire s'intéressait à la littérature, et M. Molina avait besoin d'un assistant pour la rédaction d'un petit manuel de bienséance qu'il se proposait d'éditer lui-même et de faire acheter à ses élèves: Apollinaire allait être pour lui le collaborateur rêvé. Non seulement, le poète ne devait pas lui marchander son concours, mais à s'en rapporter aux confidences qu'Apollinaire fit alors par lettre à un de ses camarades de collège, c'est lni qui aurait entièrement écrit l'ouvrage publié ensuite sous la seule signature de M. Molina. La lettre où Apollinaire disait cela ayant été reproduite en 1951 dans un article de Mme OnimusBlumenkranz, le second fils du professeur de danse, M. Al~ert

Molina, tint à rectifier ce qui n'aurait été, selon lui, qu'une petite vantardise. Dans le numéro de septembre 1952 de la revue La Table Ronde, tout en recon" naissant que son père avait eu recours aux services d'Apollinaire .pour la mise au point d'un ouvrage sur la danse auquel il travaillait depuis plusieurs années, M. Albert Molina affirmait qu'aucune page de cet ouvrage n'étaitd'Apollinaire, lequel, ajoutait-il, s'est contenté de préfacer le livre et d'en corriger les épreuves. Je rri' en souviens très bien, ayant tenu lesdites épreuves entre mes mains, disait encore M. Molina, qui, en 1901, n'avait pourtant que treize ans. , On ne saurait trop se méfier des souvenirs, et de l'assurance qu'en tirent volontiers ceux qui les évoquent. L'ouvrage de M. Molina père est des plus rares, il ne se trouve ni à la Bibliothèque Nationale, ni à la Bibliothèque Doucet, ni, semble-t-il, chez le fils de l'auteur, - mais enfin il n'a pas complètement disparu, puisque nous avons eu la chance d'en découvrir un exemplaire, il y a trois ans, dans une bouquinerie, ce qui nous permet de rectifier à notre tour le démenti trop catégorique infligé à Guillaume Apollinaire. La Grâce et le Maintien français se présente comme un in-16 de 130 pages. J. Molina da Silva, v a fait suivre son nom de sa qualité de «'professeur de danse et de maintien. à l'Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr ». L'ouvrage porte la date de 1901 et, comme indication de provenance: J. Da Silva, éditeur, 26, rue Demours. Il est probable que son impression, faite à Dives-surMer, eut lieu durant l'été 1901, alors que la famille Molina passait ses vacances à. Cabourg, c'est-à-dire assez près de Dives_ Contrairement à ce qu'a prétendu M. Albert Molina, La Grâce et le Maintien français ne comporte pas de préface d'Apollinaire, et il est douteux que celuici ait eu à corriger les épreuves du livre, car, si distrait qu'il ait pu être, il eût au moins rétabli l'orthographe de son nom dans ,l'avant-propos où J. Molina da Silva a écrit : Je dois quelques remerciements à r érudition obligeante de mon ami Guillaume Appollinaire (sic) dont les notes et la riche collection d'anecdotes sur le sujet qui nous occupe m'a (sic) été d'un . réel secours. Nous croyons avoir réus.•i à faire un travail d'ensemble, s' harmonisant dans une unité parfaite. M. Molina da Silva n'avait de la perfection qu'un sens très relatif. L'harmonie n'est pas ce qui caractérise les dix-huit chapitres de son petit traité du bon ton, plus ou moins revus et assaisonnés d'anecdotes et de citations par son assistant. L'intervention de ce dernier est facile à repérer dans

certaines pages. S'il n'y a pas lieu de contester à M. Molina da Silva la paternité des recommandations formulées çà et là dans son livre, - ne pas sc ronger les ongles, ne pas mettre le doigt dans son nez, - nous ne pensons pas le frustrer en attribuant à Apollinaire des paragraphes tels que celui où il est dit :

Tout le monde comprend qu'il est dégoûtant de toucher la main à des gens dont les· doigts viennent d'être chargés de quelque chose de plus sale que ce qui recouvre la coque du Bateau ivre d'Arthur Rimbaud, coque Qui porte, confiture exquise aux bons poètes, Des lichens de soleil et des morves d'azur. Des références à Faret, l'ami de Saint-Amant, à Félix Arvers, à Paul Margueritte et aux mémoires du bandit corse Jérôme Monti proviennent vraisemblablement d'Apollinaire, de même que l'allusion à la mauvaise et injuste opinion qu'avait de la danse saint Jérôme, lequel, pourtant, «s'y connaissait» et «plaçait presque à la ceinture la force de l'ange déchu ». On peut même se demander s'il ne conviendrait pas de rapporter à Apollinaire une citation du Bourgeois gentilhomme. Bien sûr, rien n'interdit de supposer que M. Molina da Silva avait dû lire Molière, mais eût-il allégué les propos que Molière prête à un maître à danser: Il n' y a rien qui soit si nécessaire aux hommes que la danse... Sans la danse, un homme ne saurait rien faire, s'il eût eu du Bourgeois gentilhomme une exacte intelligence? Il se pourrait bien que Molière n'eût été introduit dans l'ouvrage de M.' Molina que de façon un peu sournoise par un Apollinaire facétieux. La malice d'Apollinaire n'aurait-elle pas également joué dans le chapitre où il est dit que les hommes politiques et même les chefs d'Etat, quand ils sont d'humble nl\Îssance, estiment souvent nécessaire de prendre sur le 'tard les leçons de maintien qu'ils n'avaient pas reçues avant de débuter? Que M. Molina ait tenu à mettre en valeur l'importance sociale des bonnes manières, cela va de soi, mais lorsqu'on lit dans son livre que les leàders de la Troisième République comprirent que pour discuter les intérêts de la France, il fallait qu'au point de vue mondain, ils ne se montrassent point inférieurs vis-à-vis des représentants des puissances étrangères, comment ne pas soupçonner SOU8 cette emphase un pincesans-rire qui ne devait pas appartenir au personnel complémentaire recruté par le directeur de Saint-Cyr? Pascal Pia 13


une révolution technique au service de la réforme de l'enseignement

•• ENTRETIEN • •• • • • • • • Nous avons publié dans la Quin•

Michel Foucault

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1 200 C.E.S. à construire en 5 ans 1 Seule, l'industrialisation du Bâtiment peut y parvenir. Dans le domaine scolaire, G.E.E.P.-C.I.C., le plus ancien et le plus important des Constructeurs (4000 classes édifiées en 6 ans, pour 150 000 élèves; 2500 classes pour la seule année 1966), reste à la pointe de ce combat. Grâce au dynamisme de son Service .. Recherches", à la puissance des moyens mis en œuvre, G.E.E.P.-C.I.C., ne cesse d'améliorer. la qualité et le confort de ses réalisations et de justifier la confiance grandissante qui lui est faite.

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zaine Littéraire (nO 2, r avril) une étude de Fra~ois Châtelet sur fouvrage de Michel Foucault : Les mots et les choses. Ouvrage difficile, certes, mais dont François Châtelet a montré fimportance. Madeleine Chapsai a demandé à Michel Foucault de préciser pour nos lecteurs les directions essentielles de la pensée philosQphique qui s'exprime dans Les mots et les choses. J

Quand avez-vous cessé de croire au «sens»? Vous avez 38 ans. V GUS êtes fun des plus jeunes philosophes de cette génération. Votre dernier livre, Les mots et les -choses, tente f examen de ce qui a totalement changé, depuis vingt ans, dans le domaine de la pensée. L'existentialisme et la pensée de Sartre, par exemple, sont, d'après vous, en train de devenir des objets de musée. V ous vivez, et nous vivons sans encore nous en apercevoir - dans un espace intellectuel totalement renouvelé. Les mots et les choses, qui dévoile en partie cette nouveauté, est un livre dil/icile. Pouvez-vous un peu plus simplement (même si cela ne doit plus être aussi justement) répondre à cette question: où en êtes-vous? Où en sommes-nous?

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Qu'entendez-vous par système ? D'une façon très soudaine, et sans qu'il y ait apparemment de raIson, on s'est aperçu, il y a environ quinze ans, qu'on était très très loin de la génération prééédente, de la génération de Sartre, de MerleauPonty - génération des Temps Modernes qui avait été notre loi pour penser et notre mod~le pour exister...

Quand vous dites «on s'est aperçu », «on », c'est qui? M. F. La génération des geDi! qui n'avaient pas vingt ans pendant la guerre. Nous avons éprouvé la génération de Sartre comme une génération certes courageuse et généreuse, qui avait la passion de la vie, de la politique, de l'existence... Mais nous, nous nous sommes découvert autre chose, une autre passion : la passion du concept et de ce que je nommerai le «système »...

3

22, rue St-Martin Paris 4e Tél. 272.25.10 - 887.61.57

M. F. Le point de rupture s'est situé le jour où Lévi-Strauss pour les sociétés et Lacan pour l'inconscient nous ont montré que le «sens» n'était probahlement qu'une sorte d'effet de surface, un miroitement, une écume, et que ce qui nous traversait profondément, ce qui était ayant nous, ce qui nous soutenait dans le temps et l'espace, c'était le système.

M. F.

~@A9

GEEP-CIC

comme absurde, Sartre a voulu montrer qu'au contraire il y avait partout du sens. Mais cette expression, chez lui, était très ambiguë : dire «il y a du sens ~, c'était à la fois une constatation, et un ordre, une prescription... Il y a du sens, c'est-à-dire il faut que nous donnions du sens à tout. Sens qui était lui-même très ambigu: il était le résultat d'un déchiffrement, d'une lecture, et puis il était aussi la trame obscure qui passait malgré nous dans nos actes. Pour Sartre on était à la fois lecteur et mécanographe du sens : on découvrait le «sens» et on était agi par lui...

En tant que philosophe, à quoi s'intéressait Sartre? M. F. ]!;n gros, confronté à un monde historique que la tradition hourgeoise, qui ne s'y reconnaissait plus, voulait considérer

M. F. Par système, il faut entendre un ensemble de rela~ tions qui se maintiennent, se transforment, indépendamment des choses qu'elles relient. On a pu montrer, par exemple, que les mythes romains, scandinaves, celtiques, faisaient apparaître des dieux et des héros fort différents les uns des autres, mais que l'organisation qui les lie (oos cultures s'ignorant l'une l'autre) leurs hiérarchies, leurs rivalités, leurs trahisons, leurs contrats, leurs aventures, obéissaient à un système unique... De récentes découvertes dans le domaine de la préhistoire permettent également d'entrevoir qu'une organisation systématique préside à la disposition des figures dessinées sur les murs des cavernes... En biologie, vous savez que le ruban chromosique porte en code, en message chiffré, toutes les indications génétiques qui permettront à l'être futur de se développer... L'importance de Lacan vient de ce qu'il a montré com· ment, à travers le discours du malade et les symptômes de sa névrose, ce sont les structures, le système même du langage - et nan pas le sujet - qui parlent... Avant toute existence humaine, toute pensée humaine, il y aurait déjà un savoir, un système, que nous redécouvrons...


Mais alors, système?

qui

sécrète

ce

Mo F. Qu'est-ce que c'est que ce systeme anonyme sans sujet, qu'est-ce qui pense? Le «je ~ a explosé (voyez la littérature moderne) - c'est la découverte du «il y a ». Il y a un on. D'une certaine façon on en revient au point de vue du xVI~ siècle, avec cette différence : non pas mettre l'homme à la place de Dieu, mais une pensée anonyme, du savoir sans sujet, du théorique sans identité...

Fo'i.'iora d•• l.uiU•• 1 : convolutées. 2 : involutées~ 3: révolutées. 4: condupliquées. 5: embriquées. 6: chevauchantes. 7 : ohvolutées. 8: pliées. 9: convolutées. 10: involutées opposées. 11 : involutées altemes. 12: révolutées opposées. 13: chevauchantes à double sens. 14: chevauchantes triquètres.

ne connais pas, et qui reculera à mesure que je le découvrirai, qu'il se découvrira...

frappé de stérilité depuis des années tout le travail intellectue!...). Notre tâche est de nOU8 affranchir définitivement de l'humanisme et c'est en ce sens que notre travail est un travail politique, dans la mesure où tous les régimes de l'Est ou de l'Ouest font passer leur mauvaise marchandise . SOUIr le pavillon de l'humanisme... Nous devons dénoncer toutes ces mystifications, comme actuellement, à l'intérieur du P.C., Althusser et ses compagnons courageux luttent contre le « chardino-marxisme »....

Dans tout cela, que devient l'homme. Est-ce une nouvelle philosophie de l'homme qui est en train de se construire? Toutes vos recherches ne relèvent-elles pas des sciences humaines? En apparence, oui, les découvertes de Lévi-Strauss, de Lacan, de Dumézil, appartiennent à ce qu'il est convenu d'appeler les sciences humaines; mais ce qu'il y a de caractéristique, c'est que toutes ces recherches non seulement effacent l'image traditionnelle qu'on s'était faite de l'homme, mais à mon avis elles tendent toutes à rendre inutile, dans la recherche et dans la pensée, l'idée même de l'homme. L'héritage le plus pesant qui nous vient du XIX· siècle et dont il est grand temps de nous débarrasser - c'est l'huma· nisme... M. F.

Nous qui ne sommes pas philosophes, en quoi tout cela nous concerne-t-U ? M. F. A toutes les époques, la façon dont les gens réfléchissent, écrivent, jugent, parlent (jusque dans la rue les conversations et les écrits les plus quotidiens) et même la façon dont les gens éprouvent les choses, dont leur sensibilité réagit, toute leur conduite est commandée par une structure théorique, un système~ qui change avec les âges et les sociétés - mais qui est présent à tous les âges et dans toutes les sociétés.

9 Sartre nous avait appris la liberté, vous nous apprenez qu'il n'y a pas de liberté réelle de penser? M. F. On d~une pensée

pense à l'intérieur anonyme et contraignante qui est celle d'une époque et d'un langage. Cette pensée et ce langage ont leurs lois de transformation. La tâche de la philosophie actuelle et de toutes ces disciplines théoriques que je vous ai nommées c'est de remettre au jour cette pensée d'avant la pensée, ce système d'avant tout système... Il est le fond @our lequel notre pensée « libre» émerge et scintille pendant un instant...

Quel serait le système d'aujourd'hui? J'ai tenté de le mettre à jour - partiellement - dans Les mots et les choses. M. F.

En ce faisant, étiez-vous alors au-delà du système ? M. F. Pour penser le système, j'étais déjà contraint par un système derrière le système, que je

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

<_pH. "..•.,.,-za..,.,)

Les figures reproduites sur ces deux pages sont empruntées à la Pl&ilo8oplaie boIMique de Linné. Elles représentent le système géométrique auquel ohéit la disposition des feuilles dans les hourgeons. En voici la tahle donnée par Littré.

Jusqu'où a déjà pénétré cette pensée? M. F. Ces découvertes ont une pénétration très forte dans ce groupe mal définissable des intellectuels français qui comprend la masse des étudiants. et les professeurs les moins vieux. Il est très évident qu'il y a dans ce domaine des résistances, surtout du côté des sciences humaines. La démonstration qu'on ne sort jamais du savoir, jamais du théorique, est plus difficile à mener en sciences humaines (en littéra· ture en particulier) que lorsqu'il s'agit de lo/!ique et de mathématiques.

L'humanisme? M. F. L'humanisme a été une maDlere de résoudre dans des termes de morale, de valeurs, de réconciliation, des problèmes que l'on ne pouvait pas résoudre du tout. Vous connaissez le mot de Marx? L'humanité ne se pose que des problèmes qu'elle peut résoudre. Je crois qu'on peut dire : l'humanisme feint de résoudre des problèmes qu'il ne peut pas se poser!

Mais quels problèmes? M. F. Eh bien, les problèmes des rapports de l'homme et du monde, le problème de la réalité, le problème de la création artistique, du bonheur, et toutes les obsessions qui ne méritent ahsolument pas. d'être des problèmes théoriques... Notre système ne s'en occupe absolument pas. Notre tâche actuellement est de nous affranchir définitivement de l'humanisme et en ce sens notre travail est un travail politique.

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Où est la politique là-dedans? M. F. Sauver l'homme, redécouvrir l'homme en l'homme, etc. c'est la fin de toutes ces entreprises bavardes, à la fois théoriques et pratiques, pour réconcilier, par exemple, Marx et Teilhard de Cllardin (entreprises noyées d'humanisme qui ont

Où ce mouvement a-t-il, pris naissance? M. F. Il faut tout le narcIssIsme monoglotte des Français pour s'imaginer comme ils le font que ce sont eux qui viennent de découvrir tout ce champ de problèmes. Ce mouvement s'est développé en Amérique, en Angleterre, en France, à partir de travaux qui avaient été ,faits aussitôt après la première guerre mondiale dans les pays de langues slaves et allemandes. Mais alors que le «new criticism» existe aux U.S.A. depuis une bonne quarantaine d'années, que tous les grands travaux de logique ont été faits là-bas et en Grande-Bretagne, il y a encore quelques années on comptait sur les doigts les linguistes français... Nous avons une conscience hexagonale de la culture qui fait que paradoxalement de Gaulle peut passer pour un intellectuel...

Ce qu'il y a c'est que l'honnête homme se sent dépassé... Est-ce la f.ondamnation de la bonne culture générale, n'y aura-t-il plus que des spécialistes?

ment pas les disciplines fondamentales qui nous permettraient de comprendre ce qui se passe chez nous - et surtout ce qui se passe ailleurs... Si l'honnête homme, aujourd'hui, a l'impression d'une culture barbare, hérissée de chiffres et de sigles, cette impression n'est due qu'à un seul fait: notre système d'éducation date du· XIX' siècle et on y voit régner encore la psychologie la plua fade, l'hqmanisme le plus désuet, les catégories du goût, du cœur humain..; Ce n'est ni la faute de ce qui se passe, ni ]a faute de l'honnête homme, s'il a le sentiment de ne plus rien y compren. dre, c'est la faute de l'organisation de l'enseignement.

Ntempêche que cette nouveUe forme de pensée, chiffres ou pas, apparaît comme froide et bien abstraite... M. F. Abstraite? Je répondrlÛ ceci: c'est l'humanisme qui est ahstrait! Tous ces cris du cœur, toutes ces revendications de la personne humaine, de l'existence, sont ahstraites: c'est-à-dire coupées du monde scientifique et technique qui, lui, est notre monde réel. Ce qui me fâche contre l'humanisme c'est qu'il est désormais ce paravent derrière lequel se réfugie la pensée la plus réactionnaire, où se forment des alliances monstrueuses et impensables : on veut allier Sartre et Teilhard par exemple... Au nom de quoi? de l'homme! Qui oserait dire du mal de l'homme ! Or, l'effort qui est fait actuellement par les gens de notre. génération, ça n'est pas de revendiquer l'homme contre le savoir et contre la technique, mais c'est· précisément de montrer que notre· pensée, notre vie, notre manière d'être, jusqu'à notre manière d'être la plus quotidienne, font partie de la même organisation systématique et donc relèvent des mêmes catégories que le monde scientifique et technique. C'est le « cœur humain» qui est abstrait, et c'est notre recherche, qui veut lier l'llomme à sa science, à ses découvertes, à son monde, qui est concrète.

Je crois que oui... M. F. Je vous répondrai qu'il ne faut pas confondre la tiédeur molle des compromis et la froideur qui appartient aux vraies passions. Les écrivains qui nous plaisent le plus, à nous «froids» systématiciens, se sont Sade et Nietzsche, qui, en effet, disaient « du mal de l'homme ». N'étaientils pas, aussi, les écrivains les plus passionnés ? Propos recueillü par Madeleine Chapsal

M. F; Ce qui est condamné ça n'est pas l'honnête homme, c'est notre enseignement secondaire (commandé par l'humanisme). Nous n'apprenons absolu-

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-ARTS

Arts des pays d'ouest François Eygun Arts des [Jays d'ouest 292 photos, 4 hors-textes Coll. Art et Paysages Arthaud éd. Ces «pays d'ouest» qui font rohjet du bel ouvrage de Françoi-s Eygun, sont ceux de l'ouest de la France: Poitou, AngouIllois, Aunis et Saintonge, c'estli-dire Charente et CharenteMaritime, Vendée, Deux·Sèvres et Vienne. L'exploration archéologique de ces provinces prend très vite il nos yeux un caractère attachant par le fait que ce livre n'est l'as né entre les murs d'une hihliothèque, qu'il est le fruit d'tme expérience personnelle et non d'une érudition de lcctures. L'auteur, conservateur des Antiltuité!" historiques de la région Poitou·Charente, vit dans ces pays qu'il a parcourus jusque dans leurs recoins les plus ignorés, y intenogeant chaque monument, chaque vestige et, pour ainsi dire, chaque pierre, entreprenant lui-même des fouilles et regardant toute chose avec la prudence d'un savant et l'émotion d'un artiste. C'est ce qui lui a permis, à l'exemple de Vayson de Pradenne dénonçant les impostures du pharmacien Meillet qui grava des caractères sanscrits sur des ossements préhistoriques pour étayer ses thèses, de faire justice de cel" tains maniaques de la falsifica· tion, tel l'archéologue Benjamin FilIon dont les assertions mensongères ont «empoisonné les sources de l'histoire bas-poitevine ». L'Art des pays d'ouest commence avec un bois de renne orné de deux cervidés, découvert dans une /!rotte de la Charente, et qu'on tient pour la plus ancienne imal-(e !tl'avée par la main de l'homme quaternaire. L'omhre qui s'étend sm' ces temps de la préhistoire, à peine moins épaisse pour la pt:riode gallo-romaine, s'éclaircit un peu plus avec chaque découverte, l'histoire d'un monument, d'nne é 1-(1i se primith-e, d'une ville ou d'une villa, sUl'/!issant des profondeurs de la tCITe d'oiJ sont mis au jour, an hasard des fonilles, des pans dl" nmr, des marbres sculptéll, des objets de bronze. Ici, c'est la très belle Minerve du Musée de Poitie,'s, tronvée en 1902, enfouie danll les jardins de l'ancien hôtel (lc Lusi/!nan, là c'est une lIépultnrc du ml' siècle contenant les restes (l'une jeune artiste ensevelie avec ses boîtes de couleurs et sa palette en basalte, auteur supposé des décors d'une villa romaine voisine, à Saint·Médarddes-Prés. Dans ces régions si fortement imprégnées (le la conquête de César et oiJ le christianisme cOlnmen<;a de se répandre à partir du III' siècle, il n'est pas surprenant que des souvenirs romains, 0

eux-mêmes marqués d'influences byzantine et orientale, se trouvent mêlés à la fondation des églises mérovingiennes et carolingiennes. Ces églises constituent le premier chaînon d'une continuité architecturale qui traversera les périodes préromane et roman..e jusqu'au gothique longtemps attardé en terre poitevine. Bien que les monuments préromans (Saint-Hilai,'e et le baptistère Saint-J ean, à Poitiers, les églises de Civaux, de Saint-Martin de Ligugé, de Saintes, entre autrcs 1 forment le plus important ensemble consel'vé en France de cette époque, les découvertes sont loin d'être terminées. En hien des endroits, des fouilles sérieuses n'ont été entreprises que depuis peu d'années. En revanche, combien de destruc· tions malheureuses sont à déplo. rel', et l'époque n'est pas si lointaine où les paysans s'emparaient des sarcophages mérovingiens -pour en faire des auges pour leur bétail. D'autre part, les ruines laissées par les invasions norman· des et arabes, notamment en Saintonge, ont à jamais englouti quelques-uns des hauts lieux du monachisme: cinq monastères seulement restaient dehout au début du IX" siècle. Il est très intéressant de SUIvre Franc;.ois Eygun dans son étude des interpénétrations de styles qui nous trouhlent tant lorsque nous visitons une église où nous

J>ése&.mère, XV' siècle.

o

16

ne pouvons pas toujours discer· ner le carolingien du roman, aux confins imprécis. A l'intérieur même de l'époque romane, l'auteur établit deux périodes distinctes, la première recouvrant le XII' siècle et le dépassant jusque vers 1130, la seconde allant jusqu'à la fin du XII'- siècle. Les (leux périodes ont laissé de nombreux édifices dont les plus imposants et les plus connus sont, pour la première, Saint-Savin· SUI-Gartempe, et, pour la seconde,

la cathédrale d'Angoulême. Mais que de chefs·d'œuvre de pierre nous sont offerts par de plus petites et moins célèbres églises: Echillais, Avy-en-Pons, CormeEcluse, Talmont·en-Gironde, dans la Charente-Maritime, Civray, dans la Vienne, Plassac, en Charente, Saint-Jouin-de-Marnes, dans les Deux.Sèvres, et les magnifiques abbayes de la Tenaille et de Maillezais. Du XIe au XIIe siècle, on ne peut observer de réelle discontinuité dans les constructions, mais la décoration sculptée se développe et s'affine sous l'influence des artistes de l'Angoumois et de ceux de la Saintonge qui pousseront très loin l'exubérance des ornements alors que l'art poitevin reste sobre dans le réalisme des scènes figuratives, dépourvues d'éléments inutiles. La cathédrale SaintPierre d'Angoulême, construite au premier tiers du XII" siècle, marque l'apparition de ce foisonnement ornemental qui faisait surgir personnages sacrés et monstres fabuleux d'une junl!le de rinceaux et de lianes. A propos de l'intérêt qu'on prenait alors à cette zoologie fan· tastique répandue sur les murs et les chapiteaux, l'auteur cite un passage du cartulaire de l'abbaye Notre·Dame de Saintes autorisant, en termes peu courtois, les religieuses à capturer chaque année quelques bêtes sauvap;es ad recreandam femineam imbecillitatem... Parmi les plus curieuses constructions étudiée3 par François Eygun, signalons l'église monolithe d'Aubeterre, au sud de la Charente, taillée à même le roc avec ses hauts piliers réservés dans la masse et son cimetière, également creusé dans la paroi rocheuse, récemment découvert, rempli de sarcophages. Les nouvelles formes architecturales que le gothique poitevin apporta d'abord à l'achèvement d'églises commencées à l'époque romane, naquirent en Anjou au temps d'Aliénor d'Aquitaine et de Henri II d'Angleterre. C'est pourquoi ce nouveau style fut appelé «gothique angevin» ou « gothique Plantagenet ». Son premier essai au Poitou fut la cathédrale Saint-Pierre, à Poi· tiers, qui a conservé de cette époque une partie de ses admi· l'ables vitraux. Mais cette province était si bien pourvue en solides édifices romans que le gothique ne s'y imposa pas d'une façon très étendue. Les nouvelles solu· tions qu'il apportait au problème ùe la voûte intéressaient pourtant les bâtisseurs et ceux qui en adoptèrent les principes les conservèrent longtemps, résistant ainsi am, modes importées d'Italie sous la Renaissance. Même après les destructions des guerres de religion et les mutilations dues aux Huguenots, plusieurs églises rénovées au XVIIe siècle le furent selon les normes de la construc·

Donjon de Bois-Gounnond.

tion gothique. Seule la décoration s'inspirait du goût nouveau et c'est alors qu'apparurent ces retahles monumentaux et baroques où s'exhibait l'opulence de la Contre-Réforme. C'est donc surtout dans l'architecture civile que la Renaissance trouva lc mieux à s'épanouir. Il fallut le retour à la sécJlrité pour que grands et petits seigneurs, abandonnant leurs donjons et leurs châteaux-forts, se fissent construire d'élégantes demeures où l'on accédait par d'accueillants jardins. Le château de Bonnivet, dans la Vienne, en fut le plus prestigieux exemple avec celui de Roche·Courbon, en Saintonge. D'autres, plus modestes, cachent dans la campagne la pureté de leurs lignes gracieuses ou austè· l'es: la Roche·du-Maine et Chi· tré, dans la Vienne, La Rochcfoucauld et Breuil, en Charente, et, dans la Vienne encore, Scorbé· Clairvaux dont le charme mélan· colique semblait faire présager ses ruines et qui vient d'être acheté en vue de sa restauration. Car l'abandon guette aujourd'hui beaucoup de ces belles et trop vastes demeures, et l'auteur constate avec dépit que Etat n'ose plus classer ce qu'il ne peut plus entretenir. Ce trop bref aperçu sur le contenu d'un livre riche en documentation et abondamment illus· tré de photographies excellentes, ne peut donner qu'une faible idée de toutes les investigations auxquelles l'auteur s'est livré. L'ouvrage se termine par des chapitres sur les fresques, les vitraux, les manuscrits enluminés, les sceaux et les artisanats de ces contrées qui ne sont pas les plus parcourues de France. Précieux guide, qui sera pour beaucoup une révélation, et dont on ne saurait plus désormais se passer pour explorer à travers le temps et sur leurs chemins d'aujourd'hui ces pays de l'ouest où les pierres échafaudées et sculptées conservent dans leur beauté et dans leurs blessures la trace de grandes passions humaines et inhumaines. Jean Selz

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Dubuffet à Londres Catalogues des travaux de Jean Dubuffet Fascicules parus:

1. 5, 6, 15, 16, 19 Jean-Jacques Pauvert, éd. Au moment où la parution des premiers fascicules de son catalogue commence à donner une vision d'ensemble des travaux de Jean Dubuffet, trois expositions viennent de s'ouvrir à Londres, consacrées à celui que les journaux de la capitale britannique n'hésitent pas à qualifier de plus grand peintre français vivant. La première, organisée par la Tate Gallery, groupe cent vingtneuf tableaux couvrant les différentes époques de l'œuvre. Les deux autres à l'Institute of Contemporary Art et à la galerie Fraser - présentent des dessin8 appartenant à l'artiste ainsi que sa série récente dite des Ustensiles utopiques. Elles permettent de vérifier l'importance d'un art qu'on a trop souvent applaudi ou refusé pour l'avoir cru voué aux hasards de l'anti-peinture alors que son effort dominant consistait, au contraire, à recréer la peinture afin d'élargir les conquêtes et annexions de fhomme sur les mondes qui étaient ou lui sem· blaient hostiles, ainsi que Dubuffet a pu l'écrire.

Sortir l'art de ses ohambrages Le terme d'art brut, en effet, qu'il a employé pour justifier sa tentative ne marque qu'imparfaitement le sens de l'œuvre du peintre. Ses échecs répétés qui, à deux reprises, l'amenèrent à renoncer à peindre avant de parvenir· à ses réussites de la maturité sont révélateurs .le l'étendue des contradictions qu'il lui a fallu surmonter. Lorsque, dans une p,remière période, il s'ill8pire de la peinture des foires qu'il croit plus vraie parce que plus naïve, il rencontre l'écueil d'une tradi· tion larvée qui dispose son écran entre la 'conscience et l'univers réel; elle exprime moins ce qu'elle voit qu'elle ne traduit ce qu'elle sait; elle impose sa conception normative et, ne serait la maladresse du métier, .tend vers un imaginaire descriptif en tous points semblable à celui de la peinture du passé. Lorsque, plus tard, il prospectera les régions conjointes de la peinture enfantine et-de l'art des fous, il pensera à tort atteindre les profondeurs. L'enfant, ou le fou, ne se possède tout à fait~ l'un est artiste pour ainsi dire par miracles réitérés tandis qu'il s'en fa~~t de beaucoup que l'expression de l'autre, confrontée à son trouble, incarne la liberté. . La création artistique représente un domaine ouvert à tout La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

le monde. Tout le monde est peintre; peindre, c'est comme parler ou marcher. Sous peine de se heurter à une impasse, il convient de sortir l'art de ses chambrages, écrit-il encore. Dubuffet poursuit d'abord une recherche passionnée des commencements mais c'est, aussi, en montant à la pointe de l'art moderne qu'il parviendra à inventer un système de signes pourvu de l'efficacité nécessaire pour crever le décor classique et mettre à nu l'univers dans lequel nous vivons.

L'individu en oomplet veston Les portraits qu'if exécute de ses amis écrivains où poètes: Henri Michaux, Antonin Artaud, Joë Bousquet, Jean Paulhan, durant les années 1945 à 1950, puis la suite imposante des Corps de dames constituent le niveau zéro à partir duquel s'effectue sa double progression vers la peinture et vers la réalité. Empruntant l'écriture grêle des graffiti, ils montrent l'intellectuel au teint terreux, aux cheveux rares, aux dents jaunies et cariées, ainsi que la concierge et la caissière dans la cinquantaine, installées dans l'affaissement de leur chair. Grâce à leurs textures épaisses, toutefois, à leurs circuits, à leurs miroitements, à quoi se ramènent les tableaux, ils deviennent beaux. Il n'y a pas jusqu'aux moindres rides, au plissement des tissus, aux hématomes, qui n'accèdent à l'évidence picturale. La ressemblance n'est rien en art. Si le Doryphore possède une tête sphérique, ce n'est pas parce que celle du modèle dont s'inspira Polyclète était ronde, mais pour la simple raison que, dans la Grèce antique, la géométrie exprime la perfection. Seule compte la vrnie-semblance pour reprendre une expression de Robert Lapoujade, qui raccorde la figure humaine à son temps. Dans les premières toiles où il parvient à une forme créatrice, c'est l'image gréco-romaine de l'éphèbe musclé que casse Dubuffet et qu'il rem· place par celle de l'individu contemporain privé de ciel intel· ligihle, de l'individu déjeté, - en complet veston.

Un peintre matériologue Les Sols et terrains, d'autre part, instaurent une dialectique serrée du matériau et de la main, une pratique active de l'accidentel, une non-forme qui prend et s'informe peu à peu. Paysages mentau.'t ou lieux momentanés, ils expriment le délaissement et l'absurdité de la conscience, évoquent les génocides, les charniers,. célèbrent un évolutionnisme visionnaire et pessimiste, à. la finalité biaise, surgissant du fond

des âges. Le peintre ne se contente pas d'y dévoiler le réel, mais il le découvre théâtre grotesque aussi bien que soupe continue universelle à intense saveur de vie, le transmue, le perce à jour. Après la transition des Taqleaux d'assemblages composés de morceaux de toile préalablement recouverts de· macu1ations et de taches, découpés, puis oollés sur l'écran plastique, ils aboutissent aux T exturologies et aux Substances d'astres qui, de chaque peinture, font une gigantesque rêverie de la matière, au sens primordial où l'entend la réflexion bachelardienne. Une vision du monde, une éthique, une métaphysique qui prétendaient, au départ, exclure tout

à écrire, les cafetières, les robinets, les lavahos. Comme lui, il en fait des œuvres fortes, aux contours décidés, d'une grande puissance monumentale. Il en arrive à forcer l'accès des objets massifs de la civilisation technicienne, à en cerner les mécanismes compliqués. Il introduit le regard au centre de l'univers de la fabrication à la chaîne et de l'usinage.

Durant la deuxième guerre mondiale, Dubuffet a exécuté un petit nombre de toiles très proches de la manière des peintres qui allaient se grouper sous la dénomination de Nouvelle Ecole de Paris. Dans celles-ci, telles que Métro ou la Grande traite soli· taire, on rencontre le même souci

Dubuffet: Li' Har, 1965.

problème de style sont comme absorbés - et confirmés - par l'art. Les deux dernières séries de l'artiste, L'Hourloupe et les Ustensiles utopiques, viennent le confirmer. Les? toiles de la première série constituent des sortes de réseaux extensibles à l'infini drainant dans leurs mailles une foule entière d'oisifs qui paradent, de filles, de souteneurs, de voleurs à la tire qui ne pensent qu'à se moquer ou à. vous jouer un mauvais tour. Leurs visages malins, leurs corps déformés par les bousculades, l'espace des trottoirs qu'ils remplissent jusqu'au bord sont autant d'aplats peints au vinyl de couleur vive cernée de noir qui s'imbriquent les uns dans les autres selon une stricte économie. Les Ustensiles utopiques, enfin, appliquent un schéma analogue aux objets d'usage courant aperçus le plus souvent en gros plan. Dubuffet ici rejoint Léger. Comme lui, il envisage tout ce qui ne possède en soi, selon les normes fondées sur le bon goût, aucune valeur artistique: les brouettes, les chaises, les ciseaux, les réchauds à gaz, les machines

que chez Estève ou chez Pignon de remplacer l'espace euclidien tridimensionnel par une spatialité plus dynamique, la même utilisation des. couleurs vibrantes. Si Dubuffet s'est éloigné ensuite de cette manière qu'il jugeait trop savante, il en donne aujourd'hui, au terme d'un long détour, une des formulations les mieux abouties. Le peintre a toujours déclaré ne vouloir tenir aucun compte des préoccupations d'ordre esthétique. L'art des musées lui semble un terrible fiasco ; les musées· sont des temples, remarque-toi!, où l'on va comme au cimetière, le dimanche après-midi en famille, sur la pointe des pieds, en parlant à voix basse. La peinture moderne vit dans un air raréfié qui l'essoufle et la rend anémique, en même temps qu'elle procède tout par secrets et all,tsions dont il faut avoir le& clés. Le moindre paradoxe de l'œuvre de Dubuffet, lorsqu'on la considère dans son ensemble, n'est sans doute pas de rejoindre l'art moderne sans pour autant se renier et d'occuper désormais sa place culturelle au musée ! Jean-Louis Ferrier 17


LINGUISTIQUE

PHILOSOPHIE

En finir avec « l'asinité» André Regnier Les infortunes de la raison Le Seuil. éd. Les hommes ont appris à aimer les vérités bien rondes. Que le tissu de leur parole soit inachevé, ils le savent; mais peu leur import~. Quelque part, au delà de l'exprimé, vit, ils le croient, le monde rassurant de l'exprimable. Sages. et apprivoisées, les choses Jes attendent: un chat sera toujours un chat. Jadis Gn appela «asinité ~ cette adhérence animale au contenu d'une. vérité toute laite. C'était aux temps, aujourd'hui nommés héroïques, où naissait la science moderne. Un bon remède contre r « allinité ~ de notre temps: le livre d'André Regnier: Les infortunes de la raUon. André Regnier est un mathé. maticien, un fabricant de théorèmes, et on lui en doit quelquesuns. Mais, en homme d'humour, il sait prendre ses distances. Ré· sultat? La mathématique, toujours sévère, devient personnage de comédie. Convoquant sur scène les bonnes figures de la raison (la Causalité, la Logique), elle les force à s'expliquer et, quelle honte! - à avouer leur âge: elles ne sont plus tout à lait d'aujourd'hui. Elles, qui étaient venues gonflées de vérité, égales à l'inépuisable nature, les voici maintenant contraintes à s'effacer, réduites à leùr juste maigreur, pour qu'enfin soit nourrie une raison plus jeune. Le livre de Regnier est court, mais si riche et si précis que tout résumé serait trahison. Le lecteur y.apprendra ce qu'est un «modèle» et la distinction, classique depuis Duhem, entre «modèles nominaux» et «modèles réels ». Dans' les premiers, on construit, à partir des phénomènes, une représentation compatible' avec fiées, de l'expérience. Leur vtlrtu principale est leur cohérence,

obtenue à force d'hypothèses restrIctIves et souvent draconiennes. Quant au réel, on le déclare non concerné, évanoui en fumées algébriques. Dans les seconds, on prend au sérieux le poids des choses : on propose, des mêmes phénomènes, une représentation qui traduise la structure cachée des êtres, supposés réels, qui les manifestent. Réalisme ou nominalisme? On ne peut trancher d'un mot. L'existence et le succès relatif de chaque espèce de modèle, témoignent des insuffisances de l'autre. La physique n'offre pas de critère ultime, ni logique, ni d'expérience, qui nous permette d'écarter à jamais l'un· au profit de l'autre: première infortune d'une raillon vieillissante et qui., pour sun'ivre, ne peut renoncer à la cohérence de ses codes. ni à la richesse de ses objets. Et si cette apparente vieillesse n'était que la fin d'une longue enfance? Cette conclusion est suggérée par Regnier dans l'excellente analyse qu'il donne du concept de causalité classique. Il est toujours possible, sous certaines hypothèses, de construire un modèle causal rigoureux (Cf. le système théorique nommé «mécanique rationnelle») . L'usage d'un tel modèle peut permettre de coordonner des ensembles de phénomènes et de les dominer pratiquement (Cf. les applications de la mécanique). Mais il serait aventureux ct naïf de tirer de ces succès partiels l'idée qu'existe une nécessité naturelle - un règne absolu des lois dont la mécanique donnerait l'ultime mesure. Brel, de s'imaginer que la nature ne peut offrir qu'une seule espèce de connexions: celles que la structure et l'usage de nos modèles imposent aux phénomènes dont elle est le siège. Comme si elle-même avait déjà dit et explicité ce que nous découvrons d'elle. Comme si elle venait à notre rencontre avec un visage complice, pour lious chuchoter'

les données, elles-mêmes codisur elle-même une vérité qu'elle saurait déjà. Faut-il désespérer? Renoncer à l'entreprise de la connaissance? Déclarer la raison dépase.ée et chercher refuge dans qUeltIue au-delà? Nullement. L'analyse des phénomènes que nous observons .dans la nature nous montre qu'elle possède un clangage~, si on appelle c langage » un système de signaux coordonnés. Ce langage comporte peut-être une infinité ouverte de c sous-Iangages ~ et renvoie par conséquent à une infinité de codes. Mais cela ne signifie pas (lue la nature ait connaissance de ces c langages» et de leurs connexions. Nous seuls, lei! hommes, pouvons parvenir à cette connaissance. Nous «décodons» Ja nature. Et dans ce travail nous sommes encore des apprentis. Nominalisme ou réalisme? Regnier conclut en optimiste au réalisme: un réalisme ouvert dans lequel jamais on ne substitue au réel le modèle toujours partiel et figé qui nous permet de déchiffrer ces signaux. Cette brève histoire des infortunes récentes de la Raison est un bilan de la science d'hier. Après avoir lu Regnier, on reste un peu sur sa faim. On voudrait "avoir avec plus de précision ce qu'il appelle «le langage de la nature»: cette langue que la nature parle et dont elle ne sait rien. Mais le bénéfice est déjà grand d'être débarrassé de quelques faux problèmes, nés du fétichisme qui a projeté dans la nature une forme aujourd'hui exténuée de la rationalité. S'en tenir à cette forme, la prendre pour la seule mesure des choses, remâcher à l'infini avec amertume le constat de ces insuffisances, et pour finir accueillir l'insolite comme le salut, en <'-cla consisterait «l'asinité» de notre temps. De ~ cela, le livre de Regnier contribue à nous délivrer. lean-Toussaint Desanti

Henri Lefebvre Le langage et la société Collection Idées Gallimard éd.

Quand noUS allons à la fontaine, quand nous traversons la forêt, nous traversons toujours déjà le nom fontaine, le nom forêt, même si nous n' éno~ons pas ces mots, même si nous ne pensons pas à la langue. Heidegger Le langage est à l'ordre de la pensée. En ce sens le livre important de Henri Lefebvre a le mérite de l'actualité et si le lecteur n'est pas toujours convaincu par ses analyses, il reste qu'il est confronté à des problèmes sérieux. Dépa8~ sant une lecture myope de l'ouvrage, réfléchissons donc pour notre compte sur les questions soulevées, quitte à conclure d'une façon parfois différente de celle de notre auteur. Le langage se donne à nous dam deux dimensions contradictoires et qui ne semblent pas devoir se prêter à une douce synthèse. Dans l'expérience quotidienne, il est vécu comme l'outil d'une pensée cachée, voire, pare. fois, comme le mur derrière lequel cette pensée frappe ses coups sans toujours se faire entendre. Mais, d'autre part, il cst ce par quoi naissent sujet humain et monde d'objets. C'est en entrant dans l'ordre du signi. fiant, en soumettant son Désir à la grande règle d'alliance et d'échange et en le faisant passer dans les défilés de la Demande que l'homme se constitue comme tel face à un monde, lui-même résultat du rangement des impressions sensibles dans les catégories du sens. Nous n'avons pas d'un côté l'être pensant, de l'autre, les choses organisées et, entr~ eux, les mots, moyens, dociles ou non, d'énoncer.

•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• .ARTHUR M. SCHLESINGER' Jr.

les éditions du cerf':!?!' Maurice Blondel

CARNETS INTIMES Un très grand ouvrage ... Irremplaçable pour quiconque veut comprendre non seulement Kennedy, mals le fonctionnement des Institutions américaines.

S. Hoffmann LE MONDE 18

Tome II • • • • • • ••

''Ces notes brûlantes nous livrent au jour le jour le secret de ce qu'il y a de plu~ rare et de plus beau en ce monde: l'intelligence illuminée par la grâce." F. MAURIAC. Le Figaro Littéraire 400 pagea

27 F + t.1.


Langage et société Cette fonction en quelque sorte transcendantale du langage sem· ble contestée par Henri Lefebvre qui nous parle d'un niveau sub· linguistique : douleur, besoin, plaisir, désir, vieillissement, mort, espace et temIJs:.. et d'un niveau supra-linguistique: les concepts, les universaux, les sens. (p. 317). La situation se complique du fait qu'à l'intérieur du langage se constituent d'autres ordres signi. fiants ou symboliques. Quels que soient cependant les champs sémantiques envisagés, on ne peut les détacher totalement du langage. L'artiste qui organise des· sons, des couleurs ou des foru,ies, le prêtre qui dit faire signe vers l'au-delà de toute parole aussi bien que l'ingénieur des Ponts - et . Chaussées qui construit un code de signalisa. tion routière sont des êtres qui parlent. Leur sol, leur réalité est l'espace découpé parle système des mots. Toutes les œuvres de la culture, d'une façon ou d'une autre, renvoient au langage parce . qu'il n'y a aucun signifié qui lui soit extérieur. Comme l'écrit Michel Foucault dans Les Mots et. les Choses: Nous sommes, avant lit. moindre de nos paroles, déjà dominés et transis. par le langage.. Henri Lefebvre n'admet pas que définir le langage comme lieu de notre installation, c'est ruiner toute philosophie du Sujet (celle·là même que Marx rejetait, comme le met si bien en relief Althusser), car une telle philoso. phie - que le Sujet soit l'Homme, Dieu, ou tout autre - nécessite deux choses désormais exclues : un remembrement des discours partiels et la possibilité d'une conscience de soi du sujet en qui les discours trouvent leur unité. Le décentrement du Sujet qu'im. pose la prise au sérieux des tra· vaux de Freud - dans l'éclairage cp.1'en donne Lacan - rend illu· soires les lénifiantes perspectives de « l'homme total ~, récupérant la totalité de ses œuvres, au delà de sa longue aliénation historique. De quel promontoire, de quel surplomb pourrions.nous dominer les diverses régions? Quel œil pourrait voir et se voir? Qui pourrait dire et en même temps n'être pas pris dans les rets mêmes de ce grâce à quoi il dit? Exilés de la moiteur maternelle du Discours absolu qui répondait à toutes les questions, incapables de nous satisfaire de cette mys. tique de la pauvreté que nous présentent les philosophies de l'ineffable, nous devons renoncer au désir fou de possession de soi. Il nous reste à prendre acte de la multiplicité hétérogène des lan· gues. Des îlots privilégiés sont déterminés .par le savoir antht:opologique. Il y a des sciences qui intègrent sans fin les données d'un objet qu'elles construisent par abstraction, découpage, balisage. Que toutes ces sciences profitent des acquis de la linguistique La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

pour la double raison qu'il est fructueux de transposer un modèle d'une sphère scientifique à une autre, .et que, d'autre part - nous l'avons vu - toutes les régions de la culture soient en quelque sorte des replis du langage luimême, des métaphores, des redondances, qui s'en étonnerait? En ce domaine aussi la disparité de l'ouvrage est grande. La source du malentendu réside dans le fait qu'Henri Lefebvre ne distingue pas toujours les divergences entre hommes de· science et les oppositions idéologiques. Au reste, il semble que la culture soit pour lui un champ clos où doit être mené le bon combat. Sous nos yeux se construit peu à peu un système d'oppositions et d'alliances qui, compte tenu du nombre d'auteurs invoqués, retenus ou révoqués, prend vite la dimension d'une apocalypse. Le grand « ennemi :t, cependant, c'est Lévi-StraU88. Les critiques dans le corps de l'ouvrage ne suffisant pas, une foule de notes sont ajoutées, aussi péremptoires qu'allusives. Très significatif, en tous cas, est le fait que ces critiques sont adressées au structuralisme et jamais aux recherches ethnologiques concrètes qu'une telle étiquette recouvre. Or c'est d'abord à ce niveau que doit être démontré l'arbitraire de la méthode. Les sciences humaines, pour mal les nommer, sont de l'ordre de la recherche positive. Elles sont à évaluer en référence aux critères et projets de la science. On ne peut ni leur demander ni leur reprocher d'être des conceptions du monde. C'est pourquoi on ne saurait confondre la linguistique et les domaines qui, peut-être un jour, lui appartiendront sous la forme d'une séméiologie générale, avec une réflexion sur l'être du langage. On ne peut attendre du structuralisme qu'il s'égare définitivement dans les chemins d'une méta.langue, s'érigeant en nou· veau Panglossisme, Lévi-Strauss remplaçant Leibniz. Quant à la pensée, elle se voit dans l'obligation de renoncer à tout savoir, à toute prospective qui ne seraient pas scientifiques. L'être obscur du langage désarme une pensée inquiète de lumière totale. La tentation est toujours grande de réduire ce bloc compact au rang de «fonction relationnelle:t, de dissoudre son opacité en instrumentalité. Mais peut-être nous est-il au contraire donné de penser que l'homme n'existe pas et que la question : ça parle, mais qui parle? n'est que clôture narcissique. La pensée qui va jusqu'au bout du constat de notre finitude découvre un Jeu que personne ne joue. Le temps est un enfant qui joue en dép~ant des pions; la royauté d'un enfant... disait Héraclite. " André Akoun

Encore des lieux COID.ID.uns Jacques Ellul Exégèse des nouveaux lieux communs Collection Liberté de l'Esprit Calmann-Lévy éd. Pour bien connaître une époque, les auteurs mineurs sont quelquefois aussi utiles que les grands noms. Flaubert et, après lui, Léon Bloy, nous ont· montré le profit que l'on pouvait tirer en descendant encore plus bas, jusqu'à cette menue monnaie du langage social que constituent les lieux communs : leur analyse

Jacques Ellul

constitue un moyen sûr de con· naître en profondeur une société, ses croyances, et ses incohérences. Jacques Ellul, qui est à la fois professeur à la Faculté de Droit d~ Bordeaux et membre du Conseil national de l'Eglise réformée, s'est lancé à son tour dans l'exégèse de nos idées reçues, et il y il apporté une véhémence, une absence de ménagementé assez rares de nos jours. Tout y passe: le sens inéluctable de l'histoire, le caractère neutre de la technique, la dépendance du spirituel il l'égard du progrès matériel, les mains sales de l'homme d'action (à mon avis le meilleur chapitre du livre), la maturité du corps électoral, la liberté-par-le.travail. Les abus de langage, les impostures innocentes ou rouées, les snobismes sont impitoyablement mis à nus - au risque de froisser' bien des susceptiblités idéologiques. On pourrait tenter de synthétiser le point de vue du Pr Ellul par deux formules : tout se vaut, tout se tient. Tout se vaut : que vous soyez démocrate.libéral, mar· xiste, technocrate, vous êtes égale. ment dans l'erreur, car vous croyez savoir ce que vous faites, alors que vous êtes tous lancés dans une course effrénée qui ne

débouche que sur le non-sens et le totalitarisme. Quelle que soit la voie choisie, elle aboutit fatale· ment à la mise en cage de l'individu expédié collectivement dans un Dachau, un sovkhose, un groupe dynamique, une escadrille de paras, un groupe professionnel (p. 114). On le voit, l'auteur' s'intéresse peu aux nuances, ce qui le conduit à d'assez curieux amalga. mes. Tout se tient: selon le Pr ElIuI, il y a une logique implacable qui. mène des choses les plus anodines ou les plus défendables en apparence aux conclusions les plus sinistres. Vovez Voltaire : lorsqu'il glorifie -le travail, il annonce sans s'en rendre compte les camps de concentration - puisque les nazis avaient inscrit « le travail rend libre ~ à la porte de ces camps. Ne soyons pas surpris de cette façon de raisonner : un autre protestant, Karl Barth, n'a-t-il pas déjà affirmé que la philosophie des 'Lumières était responsable du nazisme? Et puis il' faut bien faire payer à Voltaire son refus d'admettre que l'infirmité humaine prouve la vérité du chris· tianisme. Mais puisqu'il s'agit d'apQlogie du travail, j'aurais aimé que l'auteur nous explique comme l'a fait Herbert Lüthy dans Le Passé présent - le rôle qu'a pu jouer en ce domaine une certaine éthique protestante... Cependant il est sans doute assez vain de chicaner sur des détails quand c'est toute l'histoire humaine qui ést jugée et condamnée. A quoi bon relever l'erreur commise sur Lacq (p. 125) : le fait que l'avenir du gisement soit assuré pour trente ans, ou que le soufre obtenu comme sous-produit s'exporte bien importe peu simple ralentissement dans une chute (ou plutôt une Chute) que rien ne saurait arrêter.

On s'interrogera sur le bienfondé d'une exégèse aussi destructrice. Le « souci d'une rigueur morale, d'une cohérence intellectuelle, d'une continuité de vie ~ (p. 28) est trop rare et trop précieux pour que l'on ne leur rende pas ici hommage. Mais la lecture de ce livre terminée, on constate qu'il n'y a aucune issue, que tout .effort est vain ou nocif. D'où la tentation de ne pas écouter ce nihiliste qui ne propose aucune solution constructive. Ce serait dommage, car on a toujours besoin d'un prophète qui rappelle quelques vérités essentielles et ne soit pas simplement un idéologue camouflé. Mais le livre n'est peutêtre pas le meilleur support pour ce genre de propos : il me semble que le talent du Pr Ellul serait mieux utilisé si on lui confiait à la radio une chronique quotidienne du genre « la minute du mauvais sens » ou « en direct contre vous ». La lucidité sélective de cet anarchiste puritain y serait bien utile. BernGl'd Cazes 19


Situation du linguiste E. Benveniste Problèmes de Linguistique générale Gallimard éd., 360 p. La preemmence actuellc des problèmes du langage agacc certains, qui y voient une mode excessive. Il faudra pourtant qu'ils en prennent leur parti: nous ne faisons probablement que commencer à parler du langage: accompagnée des sciences qui tendent aujourd'hui à s'y rattacher, la linguistique entre dans l'aurore de son histoire: nous avons à découvrir le langage, comme nous sommes en train de découvrir l'espace: notre siècle sera peut-être marqué de ces deux explorations. Tout livre de linguistique générale répond donc aujourd'hui à un besoin impérieux de la culture, à une exigence de savoir formulée par toutes les 6ciences dont l'objet est, de près ou de loin, mêlé de langage. Or la linguistique est difficile à exposer, partagée entre une spécialisation nécessaire et un projet anthropologique qui est en train d'éclater au grand jour. Aussi les livres de linguistique générale sont-ils peu nombreux, du moins en français; il Y a les Eléments de Martinet et les Essais de Jakobson ; il V aura bientôt traduits, les Prolégomènes de Hjelmslev. Il y a aujourd'hui l'ouvrage de Benveniste. C'est un recueil d'articles (unités normales de la recherche linguistique), dont certains sont déjà célèbres (sur l'arbitraire du signe, sur la fonction du langage dans la découverte freudienne,

sur les niveaux de l'analyse linguistique). Les premiers textes portent sur une description de la linguistique actuelle: il faut recommander ici le très bel article que Benveniste consacre il Saussure, qui, en fait, n'a rien écrit à la suite de son mémoire sur les voyelles indo-européennes, faute de pouvoir, pensait-il, accomplir d'un seul coup cette subversion totale de la linguistique passée dont il avait he~oin pour édifier sa propre linguistique, et dont le «silence» a ~a grandeur et la portée d'un silence d'écrivain. Les articles qui suivent occupent les points cardinaux de l'espace linguistique: la communication, ou encore: le signe articulé, situé par rapport à la pensée, au langage animal èt au langage onirique: la structure (j'ai évoqué le texte capital sur les niveaux de l'analyse linguistique: il faut toignaler de plus le texte, fascinant de clarté, où Benveniste établit le système sublogique des prépositions en latin: que ne nous a·t-on expliqué cela quand nous faisions des versions latines: tout s'éclaire par la structur.e) ; la signification (car c'est toujours du point de vue du sens que Benveniste interroge le langage) ; la personne, partie, à mon sens, décisive de l'ouvrage, où Benveniste analyse essentiellement l'organisation des pronoms et des temps. L'ouvrage se termine sur quelques études de lexique. Tout cela forme le bilan d'un savoir impeccable, répond avec clarté .et force aux questions de fait que tous ceux qui ont quelque intérêt pour le langage peuvent se poser. Mais ce n'est pas touL Ce livre ne satisfait pas

seulement une demande actuelle de la culture: il la devance, il la forme, la dirige. Bref, ce n'est pas seulement un livre indispensable; c'est aussi un livre important, inespéré : c'est un très beau livre. Lorsque la science dont on est spécialiste se trouve débordée par la curiosité d'amateurs de toutes sortes, il est très tentant d'en défendre jalousement la spécialité. Tout au contraire, Benveniste a le courage de placer délibérément la linguistique au départ d'un mouvement très vaste et d'y deviner déjà le déve· loppement futur d'une véritable science de la culture, dans la mesure où la culture est essentiellement langage; il n'hésite patl à noter la nais!lance d'une nouvelle objectivité, imposée au savant par la nature symbolique des phénomènes culturels; loin d'abandonner la langue au seuil de la société, comme si elle n'en était qu'un outil, il affirme avec espoir que «c'est la société qui commence à se reconnaître comme langue ». Or il est capital pour tout un ensemble de recherches et de révolutions qu'un linguiste aussi rigoureux que Benveniste soit lui-même conscient des pouvoirs de sa discipline, et que, refusant de s'en constituer le propriétaire, il reconnaisse en elle le germe d'une nouvelle configuration des sciences humaines. Ce courage se double d'une vue profonde. Benveniste - c'est là sa réussite - saisit toujours le langage à ce niveau très décisif où, sans cesser d'être pleinemeut du langage, il recueille tout ce que nous étions habitués à considérer comme extérieur ou antérieur à lui. Prenez trois contri·

butious, des plus importanm: l'une sur la voix moyenne dcs verbes indo-européens, la seconde sur la structure des pronoms personnels, la troisième sur le système des temps en français; toutes trois traitent diversement d'une notion capitale en psychologie: celle de personne. Or Benveniste parvient magistrale. ment à enraciner cette notion dans une description purement linguistique. D'une manière générale, en plaçant le sujet (au sens philosophique du terme) au cen~ tre des grandes catégories du langage, en montrant, à l'occasion de faits très divers, que ce sujet ne peut jamais se distin· guer d'une «instance du discours~, différente de l'instance de la réalité, Benveniste fonde linguistiquement, c'est - à - dire scientifiquement, l'identité du sujet et du langage, position qui est au cœur de bien des recherches actuelles et qui intéresse aussi bien la philosophie que la littérature; de telles analyses désignent peut-être l'issue d'une vieille antinomie, mal liquidée, celle du subjectif et de l'objectif, de l'individu et de la société, de la science et du discours. Les livres de savoir, de recherche, ont aussi leur « style ». Celui-ci est d'une très grande classe. Il y a une beauté, une expérience de l'intellect qui donne à l'œuvre de certains savants cette sorte de clarté iné· puisable, dont sont aussi faites les grandes œuvres littéraires. Tout est clair dans le livre de Benveniste, tout peut y être reconnu immédiatement pour vrai ; et cependant aussi, tout en lui ne fait que commencer. Roland Barthes

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PSYCHOLOGIE

Un <curieUX> An1éricain à Paris Un colloque à Paris avec l'Américain Carl Rogers : Réflexions pratiques et théoriques dans les domaines du conseil, de la pédagogie et de la thérapie Organisé les 28, 29 et 30 avril, ce Colloque a été une sorte d'événement. Il s'est déroulé dans une salle de l'hôtel des Ingénieurs Ar-ts ,et Métiers, 9, avenue d'Iéna. Quatre cent d 0 uze personnee avaient été réunies : cent-quarante psychologues, quatre-vingts membres de l'administration et de l'industrie, quarante - cinq étudiants, quelques religieux, un grand nombre de médecins en majorité psychanalystes, des profess~urs de l'enseignement supérieur, secondaire et primaire, public et privé, des éducateurs, conseillers ou assistants, et quinze journalistes. L'ensemble compre· nait 10 % d'étrangers, des provin· ciaux et des l'aJ"isiens. Le groupe mena trois « jour. nées », épuisantes et fécondes, de treize, douze et dix heures de tra· vail plein ; chacune comprit une communication de Carl Rogcrs, suivie d'un débat par questions 'écrites et orales, déclenchant gé· néralement une réponse; chacune comprit également un «dialogue», avec un ou des représentants des praticiens touchés par les divers aspects de la doctrine et de l'action de Rogers. L'A.R.I.P.t, association invitan· te, s'est constituée en 1959. Ses membres « joignent à une formation universitaire de base, une pratique de la vie des entreprises et administrations. En développant des activités propres dans l'Université et divers organismes, ils se sont proposés de promouvoir ensemble, au sein de l'A.R.I.P., des activités de recherche et d'al" plication. Ils poursuivent quatre objectifs, solidaircs, mais soigneusement distingués : Information, Perfectionnement iutcr·entrepri. , se, Intervcntion dans les organisations, Rcchcrchcs, l'uhlieations ». Ce que proposc Carl Rogers et cela le liait par ccl'tains côtés et l'opposait par d'autres, aux membres présents de l'A.R.I.P. - , c'est de rechercher pour l'homme, ,comme pour les sciences physiques, les « formules simples» qui, toujours provisoirement, rendent compte des aspects du réel. Il propose, au départ de cette recherche, une attitude qu'il s'est efforcé, non de définir, on verra pourquoi - mais de faire con~evoir. Il pense que cette atti· tude permettrait de construire une science de l'homme, suscepti. ble de conserver l'homme, par opposition aux sciences de l'homme susceptibles de le détruire. Carl Rogers est né en 1902 dans le Visconsin. Ses titres, activités et « honneurs » tiennent deux pages. Il est professeur (de psychologie dans l'enseignement supérieur La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

américain), pratIcIen (psychothérapeute, maître d'une école et responsable des élèves-praticiens qui adhèrent à sa doctrine), conseiller (auprès de divers organismes américains qui se trouvent à la pointe des recherches et réalisations scientifiques) . Homme dont l'expérience et la réflexion paraissent considérables, mais qui refuse de s'exprimer dans les termes traditionnels et abstraits des diverses cultures spécialisées, porteurs pour lui des scléroses, interprètes infidèles du réel dont ils prétendent rendre c~mpte, obstacles à la communication et à l'usage de la pensée fluide, bref, un des rares « signes» qu'il récuse. L' « attitude Rogers » est une attitude « d'aide ». Il la nomme ainsi, dans deux livres : Le développement de la personne, Dunod 1966, Psychothérapie et relations humaines (vol. II : La pratique), Beatrice·Nauwelaerts, 1965. Il la tire de son être engagé dans son métier, autrement dit de son expérience, au sens individuel et plein. Il· pense que, - adaptée dans chaque cas, mais fondamentale - elle est le centre même de toute formation et pratique, pour tous ceux qui ont charge d'êtres, d'abord : médecins, éducateurs, parents, magistrats, administrateurs, cadres, assistants et conseillers. Il pense aussi qu'elle doit être acquise comme «. style de vie », l'arec qu'elle rend possible la communication, d'individus à individus, dc groupes à groupes, et d'individus à groupes (par-delà les barrières de caractères, natures, professions, nations, situations et antres structures), et parce que cette communication nous est spécifiquement nécessaire. Nous avons en effet besoin d'affirmation autant' que d'échange ct chacun des deux nécessite l'autrc. L'être se déséquilibre lorsqu'il rcsscnt, à tort ou à raison, l'exis· tcnce ct l'appréciation d'autrui eommc une menace, une condam. nation ou un rejet. Les conflits et tensions lqui se traduisent par des signes divers angoisses, agressivités, renoncements, et vont de la nuance aux formes pathologiques) résultent de la force opprimante des « modèles » ; tout groupe humain en sécrète de toutes sortes et de tous niveaux ; tout individu en intériorise au hasard de sa culture et de son milieu; a i n sise stéréotypent élans, idées et méthodes; projetés sur les choses, les êtres et la vie, ces « modèles » immobilisent les formes en devenir de la personne. Sa thérapie est dite « centrée sur le client» (et l'expression peut prendre une extension qui va jusqu'au symbole); elle est dite aussi « non-directive », et il est absolument nécessaire de compenser l'un, des termes par,l'autre. Lorsqu'il est appelé à répondre à l'appel d'un être en état de déséquilibre, Rogers s'efforce de

percevoir cet Autre, par une « compréhension empathique », c'est-à·dire qui ressent avec pénée tration et de manière totale. Il « se borne » à exprimer cette compréhension ; c'est la réponsereflet, dans laquelle l'autre s'aperçoit, et qui est aussi perçue comme une acceptation incondition· nelle réconfortante. Pou r un instant, l'influence, l'emprise, la cristallisation des modèles et références habituelles à l'un et à r~utre, se desserre. Il se déclenche chez le consultant un processus de développement, jalonné par une suite de changements, « contrôlables le plus scientifiquement possible » (et dans ce domaine, nous avons déjà quelques moyens que nous devons sans cesse enrichir) ; le patient va se mettre à chercher lui·même les formes neuves d'équilibre personnel. Le thérapeute a libéré « les forces de croissance ». Les exemples rapportés dans ses livres, une séance filmée et son comportement au colloque, prouvent que Rogers excelle dans l'attitude ainsi analysée. C'est quand on a bien « entendu » cette communication, qu'on peut apprécier la formule qu'il offre à la méditation des éducateurs : « enseigner ne permet pas d'apprendre », autrement dit, ne permet pas à l'élève de se découvrir lui-même dans l'acte essentiel d'apprentissage, ne permet pas au maître d'accéder à la co'nnaissance de l'élève et de cet acte. Le colloque ne put que faire apercevoir l'idée que ce schéma d'action non-directive, peut se pratiquer d'individu à groupe; (."Ctte nouvelle « relation », modifiante, produit, suivant des li!!nes que la psychologie sociale (et l'A.R.I.P.2), essaient de préciser en ce moment même, des « l'hépomènes de groupes » qui sont pleins de signification. Il était amusant de voir que les participants du colloque, au moment où ils découvraient ces positions, sollicitaient avec insistance un enseignement plus complet; amusant de les voir, à tour de rôle, s'irriter contre « l'attitude» de Rogers, qui, pratiquant sur-lechamp la technique pour laquelle on l'avait fait venir, semblait la redécouvrir, en faire part en une expérience supplémentaire, et prouver le mouvement en marchant. La nouveauté de la situation provoquait une grêle de questions critiques. Ainsi se précisaient les thèmes actuels du changement, de la relation et de la communi· cation. Ainsi ces mêmes thèmes s'expérimentaient, de façon inégale, pleine d'à.coups, d'erreurs, bifurcations, égarements, recul et intuitions. La pensée de Rogers, - qu'on semble s'efforcer de rattacher à d'autres, dans le passé et ailleurs, comme si l'essentiel était d'en mesure,r l'originalité au lieu de

coinmencer à la mettre en pratique - est bien « actuelle ». Il est, d'unc part, un homme de science, s'efforçant d'apercevoir et de maîtriser les voies les plus neuves de l'investigation scientifique. En même temps, il aperçoit aussi, par une évidence intuitive, d'un ordre à la fois expérimental et subjectif, donc scientifique, l'existence essentielle de la personne humaine, qui ressent et change, spécifiquement. Il refuse un ordre technologique où l'homme devient « un facteur calculable » et dénonce la recherche de cet ordre comme le danger de notre temps. Il se présente comme l'adversaire de Skinner, le maître américain du conditionnement ; mais il recherche la convergence avec ce savant entre autres, pour la constitution d'une science humaine. Il cherche donc seulement à faire apercevoir un état d'urgence pour notre temps, dont la reconnaissance engagerait groupes et individus, à leur place et pour leur compte, voie de réflexion et d'action qu'un très authentique dialogue avec Paul Ricœur fit pressentir comme une nébuleuse en formation. C'est nouveau « modèle », mais modèle dynamique, et d'aujourd'hui : l'extension du monde et de nos pouvoirs, ouvre les perspectives de fonctions multiples où pourraient se réaliser, individuellement et en coopéra· tion, toutes les personnalités ; elle valorise la variation, la liherté d'organisation et de direction; le monde aurait donc intérêt à se penser, en l'état actuel des choses, comme une immense démocratie, en constant processus de développement, où chaque personne dans le groupe et chaque groupe dans un groupe plus large, - responsable, libre et unique - animerait l'évolution. Est-ce là le merveilleux mirage d'une humanité à ses derniers instants, qui aura du moins aperçu avant de mourir ou de régresser, les formes multiples et comblantes de « la vie pleine » qui surgissait à son horizon ? Il semble dépendre d'un très complexe acte de volonté et de conscience, jamais rehonçant, que se conquière la survie de l'humanité. Tout fait, toute pensée, peut être défini par deux aspects antithétiques. Beaucoup plus sûrement et plus vite que nous, la machine va jusqu'au bout de toutes les comhinaisons possibles et produit des « résultats », que nous devons maintenir à leur place d'instruments. L'homme peut seul « choisir » d'appliquer constamment la combinaison de résultats qu'il apprendrait à reconnaître comme ceux de sa sauvegarde et de son progrès. Simone Charlier 1. Association pour la Recherche et l'Intervention Psycho-Sociologique, 33, av~ nue Pierre 1er de Serbie. 2. L'orientation non directive en psychothérapie et en psychologie sociale, par Pagès, Dunod, éd.

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HISTOIRE

La foi de Jaurès Henri Guillemin L'arrière.pensée de Jaurès Gallimard, éd., 240 p.

Je sais ce que vous allez dire, annonce Guillemin dan s son Post.scriptum : Notre homme s'est institué convertisseur de cadavres. A. coups de citations tronquées et de textes triturés, vous voyez sor· tir de fofficine, chaque fois, le type même du chrétien qui s'igno. re. Tous catholiques de gauche. C'est sa manie, son tic. Et, parlant de Jaurès et de Zola, il poursuit : La foi de ces incroyants, pour re· prendre un terme de Francis Jeanson, elle est la même, au fond, que celle que lai dans le cœur. De cela, Guillemin est seul juge. Il nous revient à nous de tenter d'esquisser ce que fut, au juste, cette foi de Jaurès. Ce n'est pas une tâche facile car si, d'une part, Jaurès n'a jamais fait mystère de l'importance qu'il attachait au problème religieux : le plus grand problème de notre temps et, de tous les temps... Je ne conçois pas une société sans une religion, ri est·à-dire sans des croyances communes qui relient toutes les âmes en les rattachant à finfini ~où elles procèdent et où elles vont!, si la foi de Jaurès était ressentie par lui dans une unité qui est celle même de sa personne, de son action et de sa vie, il n'en reste pas moins, d'au.tre part, que le courant a des sources diverses et que Jaurès n'a jamais. dit son dernier mot làdessus. Que cett~ foi soit nourrie des souvenirs d'une enfance rurale et catholique, cela ne fait pas de doute, mais le premier exposé que nous ayons de la religion de Jaurès est philosophique et n'a jamais été renié par lui: il s'agit de sa thèse de doctorat. Jaurès, nourri de philosophie allemande et 'qui connaît Hegel, à une époque où on ne le lisait guère en France, y développe un système moniste et réaliste (en opposition avec l'idéalisme du moment) où Dieu est présenté à la fois comme transcendant et immanent, à la fois en acte et en puissance. Ce n'est pas un dieu en devenir, mais un dieu qui s'est livré à sa création pour échapper au destin, pour entrer dans la contradiction et la lutte, pour se mériter lui·même2. Il a donc accepté la dispersion et le conflit afin que l'unité et la perfection soient à réaliser. Or, nulle part ce dieu n'·apparaît c 1 air e m e il t comme un dieu personnel. Jaurès affirme bien que la conscience absolue est la réalité par excellence, puisqu'aucune conscience particulière ne peut dire moi sans référence à une conscience absolue2 mais rien, semble-t-il·ne permet de conclure sur la nature de cette conscience : s'agit-il d'une hyperconscience ou' d'une addition de toutes les :consciences? Enjalran confirme 22

Jean Jaurès en J885, alors député dl!. Tarn.

que Jaurès croyait en Dieu sans se combattent et s'excluent? qu'il soit facile de déterminer si Pour employer un mot dont on c'était en un Dieu personnel. Guil- n'a que trop abusé, le christialemin qui se défend d'être philo- nisme se ramène donc e88entiellesophe, ne soulève pas la question. ment à un c: message ~ d'amour et Reste qu'il devient difficile d'ap- de vérité., étant entendu (le dispeler chrétien un croyant 'dont le cours de 1910 en fait foi) que dieu ne serait pas assurément lin d'autres religions ont aussi leur dieu personnel. Le fait que le message à délivrer. La survie de l'âme, enfin, offre dieu de Teilhard de Chardin (dont Guillemin ci~e des phrases un caractère très hypothétique : qui répondent à celles de Jaurès) Il n'est pas interdit à la consétait doué aU88i d'immanence cience humaine ~ espérer qu'elle prouve tout au plus que Teilhard ne périt 'pas tout entière définitisentait peut-êtr., bien le fagot, non vement. pas que Jaurès était chrétien. De telle sorte que ce qui appa· Sur le christianisme lui-même, rente Jaurès, pour finir, aux chré· Jaurès s'est exprimé maintes fois tiens de gauche modernes, c'est, au cours de sa vie. Il refuse l'in- en vérité, sa lutte contre l'Eglise carnation : Le monde est, en un catholique, dans la mesure où il sens, le Christ éternel et universel. lui reproche non seulement de se Dieu n'est pas plus dans le Christ faire le plus obstiné soutien des que dans tous les autres hommes. possédants, mais de détourner de C'est l'humanité qui est porteuse. Dieu, ce faisant, le regard des op· d'infini. J'ose même dire que primés et de les amener à mauf humanité comprendra et aimera dire la religion. Mais, tandis que ~ auta,nt plus le Christ qu'elle l'atteinte ainsi portée par l'Eglise pourrait à la rigueur se passer à la religion doit être, pour un de lui. Quant à la chute, Guille- chrétien, le mal premier, pour min remarque que Jaurès repous- Jaurès, c'est d'abord l'oppression se fidée ~une chute originelle capitaliste, dont l'Eglise se fait sous f aspect puéril que lui donne complice. Et, s'il regrette que la légende, mais que demeure-t-il l'anticléricalisme rétrécisse l'horide l'idée du péché originel et de zon de beaucoup de soci~listes, la corruption de la nature humai- s'il désapprouve le couplet impie ne chez un penseur qui écrit .: La de c: la Carmagnole », il ne s'inchute n'est pas un événement par- quiète· pas profondément de ce ticulier de f histoire humaine ou qu'il adviendra du Christianisme. de,fhistoire universelle. L'univers Tantôt il prévoit que l'Eglise sau· tout entier est une chute, en ce ra se transformer,' tantôt il estinie sens que funité de Dieu y est dis- que le changement exigé devra persée en des centres' innombra- être tel qu'il équivaudra à une bles de force et de conscience qui destruction suivie d'un renouvel-

lement, tantôt même il envisage qu'elle disparaîtra tout à fait; ce qui compte, c'est la relève socialiste. Car la dispersion, la rupture, le conflit auxquels Dieu s'est livré sont liés, sur le plan humain, à l'appropriation privée, à l'aliénation du prolétariat telles que les décrit Marx, et il n'est pas de retour possible à l'unité sans la médiation du prolétariat et la réalisation du socialisme. Le socialisme sera donc une véritable « tévolution religieuse )), au sens étymologique du mot : religieux, car il établira le lien entre les hommes et la possibilité de leur lien à tous avec le cosmos. Il reste 'le seul moyen de « sauver l'esprit de vie qui était dans le christianisme ». Ainsi, ce qui demeure primordial, c'est le combat socialiste. Sur ce point, Jaurès, défenseur de Dreyfus et chef du Bloc des Gauches, ne varia jamais. Son sens et son souci du religieux lui valurent souvent l'incompréhension des siens, d'injustes accusations de la part de ses adversaires de tendance et nom. bre de calomnies de la part d'hommes comme Péguy et Sorel. Et, pour finir, c'est lui que la Droite fit assassiner, ce n'est pas Guesde. Guillemin, qui écrit chacun de ses esssais comme on livre une bataille, excelle à peindre la lutte de ce taureau « franc ~ dans sa (relative) solitude. C'est pourquoi, bien plus qu'une véritable étude de la religion de Jaurès, ce qu'il nous restitue, c'est (sous une dimension épique) l'homme Jaurès dont, il un demi-siècle de distance, il fait encore retentir l'appel. Il reste aux révolutionnaires à se demander (et c'est une question beaucoup plus importante que de savoir si Jaurès sort de la plume de Guillemin catholique de gauche ou non) quels peuvent ·être aujour~hui les rapports du socialisme et de l'esprit religieux. Ces rapports, Goldmann en a tracé les linéaments dans -leur généralité avec une grande justesse (numéro 1 du bulletin de la Société d'études jaurésiennes). Mais il s'agit de les définir à notre époque. Car l'élan, de caractère religieux, qui, du temps de Jaurès, animait, à leur insu ou non, les socialistes croyants ou incroyants, pouvait aisément s'investir tout entier dans la préparation et l'attente de l'événement absolu que serait la révolution. Du fait que l'événement est survenu en octobre 17 et que la société, à laquelle il a donné lieu ne peut plus faire fonction d'au-delà, du fait que c'est une société terrestre avec ses tares et ses difficultés terrestres, cet élan est aujourd'hui en partie désinvesti. Colette Audry , h La 'question religiewe et le $OCialiame.

Ed. ·de Minuit, p. 314, 1 bu p. 311. , 2. And~ Robinet : ]aurù, Seghers éd.. Philosop~s de tous les temps, '] bip.46. '


Diderot chez Catherine En 1917, le manuscrit disparaît. On le retrouve, en 1952, aux Archives Centrales d'actes anciens à Moscou puis aux Archives historiques centrales d'Etat, où Zoé Oldenhourg Kou'imine signale son existence. Catherine de Russie C'est d'après un microfilm et Gallimard éd. la collation sur l'original que M. Paul Vernière vient d'en éta· C'est la première fois que nous blir soigneusement le texte. pouvons lire en entier avec De quoi le philosophe et la quel plaisir! les Mémoires de souveraine s'entretiennent-ils ainDiderot pour Catherine II. Ce si plusieurs fois par semaine, à la diahle d'homme est là, tout vivant, grande surprise de la cour et de avec sa lucidité, sa santé, son l'amhassadeur de France? (qui enthousiasme, son « humanité » essaie d'ailleurs d'utiliser Diderot (mot ridicule et passé de mode comme intermédiaire). Eh hien, dont je prie les lecteurs de m'ex- . de tout ! on peut faire confiance cuser). Comme nous aurions he- pour cela à l'Encyclopédiste. Ensoin; aujourd'hui, d'un Diderot! core qu"il sache qu'on ne peut Diderot était arrivé à Saint-Pé- guère comparer l'état de la Frantershourg, en octohre 1773, mala- ce (qu'il déplore) à celui de la de plus mort que vif, après un Russie (qu'il ignore). Il essaie voyage épuisant. Le 15 octobre, il hien d'apprendre le russe, mais il ~tait présenté à sa « grande hienn'est en relations directes qu'avec faitrice ». Et pendant cinq mois, la minorité qui parle français. il va s'entretenir plusieurs fois Cependant Diderot cherche à s'inpar semaine avec Catherine II. former pour pouvoir renseigner Catherine n'a pas d'amant à cette l'Impératrice : Je ne suis que époque et s'ennuie. L'intelligence, forgane passif de la raison. la verve de Diderot vont l'amuser Un jour, on parle de morale, un un peu. Et qui sait ?, lui appren- autre de politique et, au hasard de dre quelque chose. C'est du moins ces impromptus, on retrouve tous ce qu'espère Diderot : être utile les thèmes chers à Diderot, et à sa Majesté. qui font de lui, en Frimce,' un Diderot rédige ses entretiens. -homme de sac et de corde et l'exOn les discute. Il les corrige, puis posent encore, deux siècles plus les rend à Catherine qui les garda tard, à la vindicte des higots. . soigneusement. Cependant le maIl n'y a qu'une seule vertu,. la nuscrit a suhi hien des vicissitu- justice, un seul devoir, se rendre des. Volé à la mort de l'Impéra- heureux, un seul corollaire, méDiderot Mémoires pour Catherine Il Classiques Garnier, 330 p.

Catherine de Russie

trice, il passa, on ne sait comment, aux mains d'un collectionneur Ahraham Sergueievitch Norov qui, à sa mort, le rendit à Alexandre II. En 1881, une copie à demi clandestine en fut faite par le hihliothécaire du Tsar Alexandre Grimm et Maurice Tourneux. Ce flernier la puhlie en Rattie en 1889 dans une version tres fautive. La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

ples qu'ils sont les plus forts et que, s'ils vont à la boucherie, c'est qu'ils s'y laissent mener. Il prépare aux révolutions qui sur· viennent toujours à fextrémité du malheur, des suites qui compensent le sang répandu. Socrate refuse de s'incliner devant une loi qu'il juge mauvaise. Aristippe répond que si le sage foule aux pieds une loi mauvaise, il autorise par son exemple les fous à désohéir aux honnes lois: L'un par· lait en souverain, f autre en citoyen. De toute façon, il n'y a pas de lois éternelles et il convient de les examiner et de les modifier, quand elles ne correspondent plus au temps. C'est au gouvernement d'étahlir les conditions du honheur des hommes : la liherté, la sûreté des propriétés, la nature des impôts. Si lui, Diderot, le philosophe, était couronné roi par les mains de sa Majesté, il supprimerait le luxe qui corrompt tout, limiterait les dépenses de la couronne, vendrait les hiens de l'Eglise, supprimerait les exemptions d'impôts des nohles et des militaires, développerait l'aisance de tous les citoyens et leur donnerait pour charmer leurs loisirs des philosophes, des peintres, des 'statuaires, des magots de la ChiIl leur prônerait en outre tous ces vices charmants qui font le bonheur de r homme dans ce monde et sa damnation éternelle dans f autre. Ici Diderot ouvre la porte aux socialistes dits « utopis-

ne.

Denis Diderot

priser quelquefois la vie. Par « justice », Diderot entend tout ce qu'on doit à soi-même et aux autres, à sa patrie, à sa ville, à sa famille, à ses parents, à sa maîtresse, à ses amis et peut·être à f animal. Le rôle du philosophe, c'est de dégager les lois de la raison, de combattre le frénétisme, d'exalter la liherre. Il dit aux peu-

tes » du XIx<' _siècle, Saint~Simon et -les Saint-Simoniens, Fourier, etc. que les hommes soient tous bien gais, bien joyeux, bien liber· tins. Une telle morale ne pouvait personnellement déplaire à Ca· therine. Màis Denis n'est pas roi. Revenons aux choses sérieuses. Tout gouvernement arbitraire est mau-

vais, dit Diderot à cette autocrate. Le meilleur des despotes commet un « forfait ». car il ramène les hommes « au rang d'animaux en leur faisant perdre le sens de la liherté ». Le droit d'opposition est inaliénahle et la démocratie' supérieure à toute autre sorte de gouvernement. Diderot engllge Catherine à s'appuyer sur cette « Commission », formée de représentants de la nation, qu'elle avait convoquée : Les empires malheureux ne sont pas ceux où f autorité populaire va en croissant, mais au contraire ceux où fautorité souveraine devient illimitée. Cette commission devrait statuer sur sa succession et la continuation de son œuvre et sur l'établissement de lois égales pour tous les sujets. L'égalité légale est si naturelle, si humaine que seules les bêtes féroces pourraient s'y refuser. Mais Diderot sait hien que la Russie est divisée en nobles et en serfs, avec, au milieu, une petite classe de marchands. S'il n'attaque pas de front le servage, il conseille à l'Impératrice de créer une classe de petits propriétaires terriens, car il faudra bien un jour que vous en ayez et de former _un Tiers Etat. Les hasses conditions de la société sont la pépinière des mœurs, des collJuJûsances, des talents. Toutes les charges de l'Etat devraient être mises en concours. Pour déceler ces capacités, il faudrait établir dans chaque grande ville des écoles où tous les enfants auraient accès. Les plus doués y recevraient une honne instruction scientifique et morale. Les autres seraient diri~és vers l'apprentissage des.-métiers. C'est là, en germe, l'idée de l'instruction 0 h 1 i g a toi r e, de l'orientation professionnelle. Catherine avait fondé un couvent de demoiselles (Smolnyi Mouastier) que Diderot admire: Si cet établissement dure, les femmes donnent partout la loi aux hommes, il faut qu'avant vingt ans, la face de f Empire chan8e. Il est heaucoup plus critique à l'égard de l'école des Cadets et de la fondation des Enfants trouvés, que l'on jette avec un rouhle sur le pavé. Il vaudrait heaucoup mieux leur apprendre des métiers utiles dont la Russie a si grand hesoin, comme la serrurerie, et les affranchir. Il prône la tolérance et attaque l'Eglise. Combien de grands esprits, comme Pascal ou Nicole, ont perdu leur temps et arrêté les sciences en se consacrant à des questions ahsurdes : le péché originel, la grâce efficace, l'enfer, le diahIe, toute cette science des chimères, qu'est la théologie. Je ne dirai rien de Dieu, par respect pour votre Majesté, ajoute-t-il. Mais il admire Epicure de reléguer les Dieux da~ les interstices des mondes et. les endormir là dans une profonde nonchalance. Il va plus loin encore -: Ce n'est ~ 23


QUESTIONS ACTUELLES ~

Diderot chez Catherine

pas Dieu qui li fait les hommes à son image, ce sont les hommes qui, tous les jours, font Dieu à la leur. Mais si la religion est néfaste et dangereuse (un entretien porte sur le moyen de tirer p'arti de la religion et de la rendre bonne à quelque chose), Diderot devine que l'athéisme peut présenter les mêmes dangers : Le fanatisme et lintolérance ne sont pas même incompatibles avec lathéisme. La croya~ce ou l'incroyance en Dieu doivent être bannies du « code » et n~ pas relever des ldis. Et- quoi encore? Les institutions de la France, qU'il ne faut certes pas imiter., l'éducation (il faut apprendre ,)'anatomie aux jeunes filles) , l'urbanisation de Saint-Pétersbourg (il faut lier les hommes entre eux), la littérature, les beaux-arts, le divorce, l'industrie, la culture du colza et du tabac, etc. Il faut lire toutes ces pages amusantes, profondes, endiablées, parsemées de réflexions qui vont loin. Comme Mme de Staël, comme Custine, un siècle plus tard, Diderot fliit cette remarque sur les Russes: Il y a dans les esprits une nuance de terreur panique. C'est apparemment reffet d'une longue suite de révolutions et d'un long despotisme. Ils semblent toujours à la veille ou au lendemain d'un tremblement de terre et ils ont r air de chercher s'il est bien vrai que la terre se soit raffermie sous leurs pieds. On trouve encore, pour la connaissance de Diderot lui-même, des notes sur sa méthode de travail et sur l'Encyclopédie Bien sûr, dans ces entretiens, il a peur parfois d'être allé trop loin ef s'en excuse avec des flatteries monumentales. Catherine a l'âme d'une Romaine, la force avec la douceur, la bonté, etc. Elle 8e tait: du mpins on ne l'entend pas. Elle 8e m~~e un peu de tout ce « caquet pplitique» et juge durement le p~ilosophe : En certains points, il d cent ans et en d'autres, il n'en a pas dix. Nous retrouvons Catherine II dans le portrait qu'en trace Zoé Oldenbourg. Il s'agit d'une étude psychologique plus qu'historique. Si l'on suit Catherine pas à pas jusqu'à l'arrivée au pouvoir, Zoé Oldenbourg laisse presque entièrement de côté le rôle politique de l'Impératrice. A cause de cela, le livre, bien qu'il soit assez copieux, nous laisse un peu· sur notre faim.' Et l'on se prend à regretter le temps où Zoé Oldenbourg écrivait des romans historiques, recréait des époques lointaines avec un talent incontestable d'évocation. On se disait que cela devait se passer ainsi et on n'allait. pas bouder son plaisir pour quelques vétilles. Mais le métier d'historien ne s'improvise pas. Il a des règles sévères, qui n'ont d'ailleurs rien d'ésotérique, et que l'on peut apprendre, si on en a le goût et si l'on veut fah:e de l'histoire. Edith Thomas 24

La psychanalyse d'une vexation

Elizabeth Noelle Les sondages d'opinion Ed. de Minuit C'est un. livre qui vient à point en France: dans la nuit ·du 5 décembre dernier, en effet, les fameuses «fourchettes» de l'I.F. O.P. ont, au. moins autant que le hallottage, constitué un trauma~ tisme national. Du plus fruste des Français aux ob8ervateurs politiques - qui, le 4 décembre encore, manipulaient avec circonspection les sondages publiés par la preS8e - et même aux commentateurs d'Europe nO 1 - dont les précautions verbales pour pré8enter les. fourchéttes n'ont que péniblement cédé à l'évidence - , tous ont brusquement découvert l'existence de réalités pourtant vénérables : c'est en 1938 qu'est né l'I.F.O.P. et il y a vingt ans déjà que ses sondages, plus perspicaces que les hommes politiques, ont établi la préférence de l'électorat français - y compris à gauche - pour l'élection du Président de la République au suffrage universel. Mais, désormais, c'est chose faite : on croit en France aux sondages d'opinion, on s'apprête à leur demander main-forte et l'U.N.R. souhaite s'armer de leurs leçons pour donner l'assaut aux circonscriptions électorales réputées coriaces. Cet engouement ne va pas sans malentendus : hier ignorés, ou bien encore objet de moqueries rebattues de la part de ceux qui voient dans tout dénombrement un viol de l'humeur individuelle et un déni de liberté, les sondages alimentent aujourd'hui des sentiments mêlés, où l'admiration se teinte de malaise, comme si quelque sorcellerie habitait leurs prévisions. Et, d'autre part, le brusque crédit qu'on leur fait s'étend à toutes sortes d'enquêtes qui n'en sont pas dignes. Voici baptisés « sondages », bien abusivement,

le hit-parade, le box-office, les questionnaires « psychologiques » des journaux... Le principal mérite du livre d'Elizabeth Noelle est de dissiper ces malentendus, de rappeler ce qu'est un sondage scientifique, de dire que, dans les sciences sociales comme dans les sciences'« exactes », on doit compter pour prouver, qu'on le peut, et comment il faut faire. L'auteur dirige l'Institut de démoscopie d'Allensbach, fondé en Allemagne fédérale en 1947 ; elle a rassemblé ce qui a surtout fait, depuis quelques années, l'objet d'articles de revues très spécialisées; clle fait le point des connaissances, dit clairement comment on hâtit le questionnaire, comment on rend l'échantillon repré8entatif de l' « univers» interrogé, comment enfin on peut - ou ne peut pas exploiter les résultats. Ces ren8eignements sont classiques ; ils peuvent pourtant caU8er quelque surprise au lecteur non initié, qui apprendra qu'au prix de certaines précautions, il suffit d'interroger 1.000 à 2.000 personnes pour s'informer des opinions et des désirs de plusieurs dizaines de millions d'hommes; que, contrairement à toute attente, la validité des résultats obtenus ne tient pas au pourcentage des personnes interrogées, mais à leur nombre absolu; et qu'en conséquence, si on souhaite être instruit de l'opinion belge ou suis8e, plutôt que de l'opinion américaine, il ne faut pas s'attendre à devoir interroger .. moins de personnes, mais tout autant. Ce livre, pourtant, risque de décevoir à la fois le grand puhlic et les spécialistes. Ceux-ci parce qu'il s'agit d'un manuel, comme il en existe déjà plusieurs aux Etats-Unis, en France aussi, souvent meilleurs ; plus complets en tout cas que celui-ci, qui est surtout .consacré aux travaux allemands et anglo-américains. et singuli~rement insoucieux de la pro-

duction françai8e, c 0 m m e en témoigne la bibliographie, qui ne cite ni les Manuels des Enquêteurs par Sondage de l'I.N.S.E.E., ni l'ouvrage d'Ho Dautriat sur le questionnaire, ni les livres de J. Stoetzel, ni, dans la liste des périodiques, Sondages, la revue de l'I.F.O.P. Et il décevra aussi le grand public pour sa manière terne et laborieuse, son mépris de toute synthè8e, et un papillotement d'exemples qui décourage l'attention. Sur un point toutefois, le livre est aS8eZ neuf. Elizabeth Noelle tente un inventaire des raisons avouées ou inavouées de la' longue résistance aux sondages: fait allemand aussi bien que français. Le meilleur du livre est dans 'cette introduction qui montre comment, contre l'amhition de mesurer l'opinion, 8e liguent tous les discoureurs du secret des con'lciences, les tenants de la singularité indiYiduelle, les philosophes de l'irrationnel. Ligue sans principes, ignorante de la portée réelle des sondages, leur adressant des demandes exorbitantes pour mieux les convaincre de frivolité, et transposant constamment les données statistiques en langage individuel, mais tenace, et dont les vigoureux préjugés 8e li8ent encore dans notre malaise; on songe à la déception de l'auditeur installé au soir du second tour à l'écoute d'Europe nO 1, quand, dès 20 heures, on put annoncer le résultat définitif. Certes, il 8e sentait frustré du délicieux suspense des vieilles soirées d'écoute électorale, mais aussi humilié : tant de votes - dont le sien peutêtre - enfouis au fond des urnes et non encore dépouillés, ne changeraient donc rien au résultat annoncé? C'est, même si elle n'est qu'esquissée par Elizabeth Noelle, la psychanalyse de cette vexation qui fait le prix de l'ouvrage. Jacques Ozouf


MUSIQUE

LIVRES POLITIQUES

Pourquoi Defferre a échoué Georges Suffert De Defferre à Mitterrand Le Seuil éd.

Le livre de Georges Suffert porte en sous·titre : La campagne présidentielle, mais il s'arrête cn réalité au momcnt oil !l'OlllTC celle-ci car, pour l'autcur, ICll jeux étaient déjà faitll. Lai,;sant aux amateurs d'anccdotes la c1lronique de la campagne proprement dite, et aux politologues l'analyse des résultats, Suffert a voulu raconter et. justifier une tentative: celle de Gaston Defferre. Il était bien placé pour cela; chef du service politique de l'hebdomadaire L'Express (qui joua, comme on le sait, un certain rôle dans cette affaire), il fut aussi pendant longtemps le secrétaire général du club J eanMoulin (qui passe pour avoir exercé quelque influence sur le candidat socialiste): c'est dire qu'il nous livre un exposé autorisé, quoique sans révélation inédite, des conditions dans lesquelles fut conçue l'idée d.'une candidature de gauche à l'Elysée, de l'appel à Gaston Defferre, de la stratégie de sa campagne, de BeS difficultés et de ses chances. Douze des dix-huit chapitres sont d'ailleurs consacrés à cette aventure, après quoi, semble-t·il, l'essentiel est dit, et on se hâte vers le dénouement. L'entreprise était au départ .un simple schéma abstrait (l'opération de c Monsieur X », qui la lança dans l'opinion, illustre cette vérité au-delà de ses aspects superficiels), fondé sur les analyses présidentialistes; l'idée de vérifier expérimentalement cellesci ne s'est incarnée dans un candidat que relativement tard et sans que s.a personnalité fût déterminante (cf. p. 24-25) , si bien que les sympathies de Georges Suffert se manifestent d'abord par référence à une démarche objective et comme conséquence d'une conviction partagée. L'auteur échappe ainsi au piège des justifications et des plaidoyers, puisque les individus qui ont participé à la tentative de Defferre (et le premier rôle luimême) ne sont que les personnages d'un s c é n a rio dont rargument importe principalement : avant de juger leur talent ou leur sincérité, on leur demande de respecter le texte. L'ont-ils effectivement respecté? Telle est la question centrale, car Defferre n'est pas allé jusqu'au bout de son rôle et il a quitté la scène à la fin du mois de juin 1965. Suffert y répond en mettant en cause deux acteurs qui ont fait faux bond: les syndicats et les c forces vives » d'abord, dont la timidité a quelque peu perturbé le déroulement des opérations en contraignant le régisseur à solliciter plus qu'il n'aurait souhaité La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

les appareils politiques (voir les chapitres IV,. '« les syndicats devant le plongeon », et V, « l'effort des clubs») . Cette première déconvenue, qui résulte d'une surévaluation des capacités politiques des groupes en question, a conduit à faire appel plus directcmcnt aux dirigeants du M.R.P., ct là : deuxièmc forfait. Dès lors, il nc rcstait plus qu'à baisser le rideau. Mais, ajoute Suffert, cet échec n'emporte pas condamnation de l'idée, qui devra être reprise. A ce point de l'exposé on touche le vrai proLlème. Car, enfin, François Mitterrand a fait la démonstration des vertus de l'élection présidentielle, mais en l'appuyant sur un argur,nent qui n'était pas celui de Defferre: l'union de toute la gauche, communistes compris. On pourrait certes considérer que la rapide percée du député de la Nièvre a bénéficié des tâtonnements de son prédécesseur et que sa tâche a été facilitée dans la mesure où ce dernier avait essuyé les plâtres... Toutefois, ce point de vue ne paraît pas être celui .de l'auteur qui estime que l'ouverture centriste du maire de Marseille aurait assuré la victoire (p. 10), au lieu que l'union de la gauche écartait fatalement le million et demi d'électeurs modé· rés nécessaires pour gagner!. En d'autres termes, Suffert pense aujourd'hui encore que la récupération du M.R.P. par la gauche, que tenta Defferre et à laquelle il ne parvint pas, demeure la condition du succès et que l'échec de juin dernier n'est qu'un accident réparable. Mais n'était-ce qu'un accident? Sur ce point, le livre n'apporte pas de réponse évidente. On a beaucoup reproché aux dirigeants M.R.P. d'avoir été plus préoccupés par les positions électorales de leur parti que sensibles au grand dessein que leur proposait le maire de Marseille, sans remarquer que les sollicitations dont ils étaient l'objet ne se justifiaient que dans la mesure où leur clientèle suivait, sinon tout s'effondrait. Mais il y a plus. Defferre visait la réintégration à terme de l'électorat communiste (interview au Monde du 13 avril 1965), et l'intégration immédiate de l'électorat catholique (p. 95). Les deux opérations étaient-elles conciliables? On peut en douter, d'autant que la laïcité, si elle ne passionne plus, tant qu'on n'en parle pas, réveille des antagonismes tenaces quand on l'évoque: Suffert note lui-même l'unanimité des assises des clubs de Vichy (dont les Jacobins avaient pourtant été écartés) sur tous les rapports, sauf celui concerna.nt un règlement possible du problème de l'école libre (p. 54). Il faut alors choisir. Ou bien l'on poursuit l'objectif de l'union de la gauche, en sachant que le

« bloc électoral du M.R.P. » y restera étranger, même si l'on en grignote les franges; ou bien l'on recherche une majorité c entre le gaullisme et le communisme », comme le déclara Gaston Defferre après son élection à Marseille en mars 1965, mais alors on écarte par hypothèse les masses communistes. A hésiter entre les deux directions, on perd sur l'~ et l'autre tableau. Ce qui paraît bien s'être produit. A vrai dire, le problème ne peut être posé en termes stati· ques, et c'est la dernière question que suggère la démarche de Gaston Defferre telle qu'elle est rapportée dans ce livre. Etait-elle cohérente avec la logique de l'élection présidentielle? Celle-ci repose en effet sur la constatation banale selon laquelle il n'existe pas de majorité homogène en· France (même aujourd'hui: voir les initiatives de M. Giscard d'Estaing), et que dès lors la désignation directe du chef de l'Etat par le suffrage universel est le seul moyen pratique de faire arbitrer par les électeurs eux-mêmes entre leurs préférences, en les contraignant à un choix national. Le ressort de ce système, c'est la détermination directe par le pays d'une majorité potentielle, en l'absence de majorité parlementairement définie; à l'inverse, (;aston Defferre a tenté de prédéterminer les contours de la majorité parlementaire qu'il souhaitait et d'en déduire, par anticipation, sa propre majorité présidentielle. Ce faisànt, il supposait possible de vaincre la difficulté qui avait précisément conduit les présidentialistes .à juger impraticable en France le régime parlementaire, ce qui était surprenant, mais sur· tout il cumulait les contraintes des deux systèmes et, entraîné par la priorité qu'il accordait aux structures politiques sur la procédure présidentielle, il renforçait l'importance des futures élections législatives au détriment du scru\in de décembre qui n'apparaissait plus que comme un « galop d'essai» de celles-ci. Enfin, il s'enlisait dans des négociations avec les états-majors politiques avant d'avoir reçu le mandat du suf· frage universel qui lui eût donné l'autorité nécessaire pour affronter cette épreuve. Ces questions de cohérence n'apparaissent qu'à la réflexion car le ton chaleureux du livre, la vivacité du récit, le pittoresque narquois de certains portraits emportent l'adhésion du lecteur. Il est difficile de résister au charme de Suffert dont la candeur ne va pas, toutefois, sane une certaine rouerie. Pierre Avril 1. L'absence de toute analyse du scrutin est ici gênante·, d'autant qu'il y a un au· tre problème : celui des éledeurs de gauche qui ont voté pour le général de Gaulle, trois millions, dit-on._

Jazz Francis Newton Une sociologie du jazz Flammarion, éd., 302 p.

Le jazz, écrit Francis Newton, est maintenant un sujet sur lequel une personne cultivée doit en savoir assez long pour être au moins capable de cacher son ignorance. Ainsi se justifie l'apparition de son livre dans la sévère Nouvelle Bibliothèque Scientifique, aux côtés des Dernières Pensées, d'Henri Poincaré, de fExpérience Métaphysique de Jean Wahl et de ce Comment je vois le monde où Einstein met à livrer sa pensée beaucoup moins de coquetterie que M. Newton. C'est que nous entrons, avec le jazz, dans un domaine particulièrement initiatique et que, contrairement à ce que l'on pourrait croire d'une forme d'expression dont l'engagement historique est si évident, l'approche sociologique y est peu fréquente. La littérature, assez abondante, qui a trait au jazz s'est jusqu'ici essentiellement consacrée à son histoire, une histoire un peu particulière qui apparaît comme l'envers chronologique et mythique d'un ensemble de choix esthétiques (jazzmen importants, articulation des styles). C'est dire qu'elle est, en dépit des apparences, surtout d'ordre musicologique, ce qui peut nous valoir des études pénétrantes aU88i bien que de singuliers catéchismes. M. Newton, et tel est son premier mérite, renverse le rapport. C'est au cœur de toutes ses dimensions historiques qu'il ~a chercher la musique négro-américaine, à sav:oir.: l'évolution de la société noire aux U.S.A. ----: de la fin de l'esclavage à son urbanisation partielle et aux clivages qui en' découlent - le monde du spectacle et l'industrie du disque par quoi le jazz est conditionné, l'univers de la musique populaire commerciale avec qui il entretient d'incessants échanges, les musiciens qui le produisent, le public qui le consomme. Ce faisant, l'auteur amasse une matière riche et neuve. On ne peut guère, ici, la résumer. Mais il faut bien dire que l'on a rarement mieux traité le· phénomène, si mystérieux à maints égards, de l'apparition progressive du jazz, né de l'adultération des souvenirs musicaux africains par la musique des blancs, ce jazz qui, au tout début du siècle, surgit, avec plus ou moins de force, à travers des manifestations aussi diverses que le spiritual religieux, le blues des troubadours campagnards et les chants de travail, les fanfares des défilés dans le Sud, la musique de danse reprise des créoles, le ragtime pianistique, et qui finit par s'affirmer comme l'art populaire des faubourgs noirs des grandes villes, par en occuper les bars f't ~ 25


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Pour la première fois rassemblée

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Jazz

les dancings, en nourrir les spec· pour l'auteur, le jazz ne peut tacles. Très remarquable, notam· s'exercer qu'à travers des formes ment, nous paraît l'étude qu'es. et selon des conditions qui, d'une quisse F. Newton de la manière certaine manière, le dégradent. Il dont le jazz essaime en fonction . doit donc, avant tout, dans ces de l'activité professionnelle des inévitables alliages, ne pas se lais· Noirs et de leur dispersion. ser réduire et, conclut l'auteur, C'est avec beaucoup de péné. éviter « de se perdre dans l'une tration, également, que F. New· ou l'autre de ces impasses qui ton étudie l'inévitable métamor· empoisonnent notre monde des phose de la musique négro.améri. caine. Distançant ses origines dans le temps qu'il se répand, devenu un « art populaire urbain. », c'est·à·dire s'intégrant au monde du spectacle et de la danse que prolonge le commerce du disque, le jazz, qui est antérieur à l'in· dustrie moderne et dont la pulsa. tion vivante, note très judicieuse. ment l'auteur, ne saurait être mise en rapport avec l'ère des machi· nes comme le croyaient certains esthètes des années vingt, va vivre en symbiose avec la musique commerciale populaire. Celle·ci le transformera et lui fournira un répertoire; dans le même mo· ment, elle sera renouvelée par lui au point que, bien souvent, la limite qui sépare l'un de l'autre sera presque indistincte. Les méthodes de cette industrie qu'est la musique populaire, le rôle prépondérant du disque dans le jazz - il est le seul mode de conservation des œuvres mais, aussi, il en délimite la durée et en infléchit souvent le caractè. re - , le monde particulier du musicien, d'abord héros populaire puis artiste professionnel et, de nos jours, souvent intellectuel marginal, sa manière et ses moyens de vivre (ce n'est pas une vie difficile pour un bon musi· cien connu dans son milieu. et suffisamment raisonnable profes. sionnellement, c'est·à·dire ni trop ivrogne, ni trop adonné aux stu· péfiants, ni trop déséquilibré, ni trop peu sérieux pour que r on ne puisse compter sur lui - autant dire que c'est un métier ingrat), arts : la musique populaire com· les publics enfin, de l'amateur de mercialisée ou la grande musique danse au « pur », et les classes ésotérique ». Autant dire qu'ici, sociales que le jazz concerne élec· le sociologue, chez F. Newton, tivement (milieux universitaires cèdc le pas à un amateur quelque aux U.S.A., petite bourgeoisie en peu sectaire, soucieux d'utiliser quête d'une culture propre en An. son travail pour donner un statut gleterre), tout cela, qui était in· à l'idée qu'il se fait du jazz à suffisamment connu, est examiné travers sa façon de l'aimer. avec beaucoup de soin et, parfois, Dans cette perspective, le jazz d'humour. Tout au plus aurait-on souhaité, de temps en temps, une apparaît, en effet, exclusivement documentation plus précise et, en comme une musique populaire' ce qui concerne le jazz européen, non pas faite pour le peuple, mais un horizon moins limité à la faite par lui avec ce dont il peut Grande.Bretagne (peu de choses, disposer, et plutôt qu'un créateur ainsi, sur la Scandinavie, lieu élu individuel, le jazzman est le por· te.parole de tous. La plus grande du. jazz cependant). Eloigné de ses bases folklori· réussite musicale du jazz, « peut. ques, se réalisant dans l'univers du être la seule valable ~, écrit F. divertissement qui le contraint à Newton, c'est d'exister, c' est s'incorporer certains caractères de d'avoir sauvé les qualités de la la musique commerciale, rien musique folklorique dan s un monde voué à leur extermination. d'étonnant à ce que le jazz appa· raisse à F. Newton comme un art C'est ainsi privilégier par une dé· par définition impur, c'est·à·dire cision personnelle le climat et qui évolue dans un milieu musi· l'expressivité au détriment de cal exposé à une contamination l'art : le but du joueur de jazz permanente. Entendons ici que, n'est pas de produire des œuvres

dignes de rentrer dans une certaine catégorie consacrée supérieure, mais de prendre à jouer de la musique un plaisir qu'il puisse communiquer aux autres et aussi : le jazz... est une musique qui exprime directement les émotions. Par là, en deça de ses ava· tars, le jazz se ramènerait à un état de sensibilité, actif mais sta·

gnant, que sa sociologie pourrait totalement restituer (alors que la peinture, par exemple, est seule· ment située par la sociologie). Même le swing, ce bonheur ryth. mique propre au jazz et que les critiques les plus passéistes re· connaissent comme son critère ar· tistique absolu, semble récusé par M. Newton qui le considère com· me une « sophistication du ryth. me ». Une telle prise de position, l'histoire esthétique du jazz la dément tout entière : le relevé des improvisations les plus accomplies de L. Armstrong, C. Hawkins, L. Young, Ch. Parker, M. Davis, etc. atteste l'existence, chez tous, d'une pensée de la phrase impro. visée ainsi que, de l'un à l'autre, d'un renouvellement progressif des moyens, et c'est parce qu'ils ignorent cet ordre spécifique de création que les chapitres musi· cologiques du livre ·de F. Newton se révèlent à .ce point médiocres. Si ce qui a trait au blues folklo· rique y est, en effet, bien venu,


l'auteur en revanche demeure ex· trêmement incompréhensif à l'égard de tout jazz qui témoigne de quelque élaboration formelle et où il pressent, non sans naïveté, une perversion d'intellectuel. Ainsi en vient·il à préférer Bessie Smith à Duke Ellington et à louer Charlie Parker, dont il ne conteste pas la grandeur, d'avoir, surtout, su rejoindre « le hlues de toujours ». Déjà partiel en ce qui concerne le jazz des années 30" F. Newton est, tout naturelle· ment, beaucoup plus sommaire encore en ce qui concerne celui qui s'est développé à partir de 1945 : n'est·il pas le fait d'artistes qui se sont, d'eux-mêmes, mis en marge et ,se sont réclamés d'une concèption plus orgueilleuse et plus individuelle de leur art? Il demeure surprenant, malgré tout, pour une étude qui prétend au con!!tat, que ne soient même pas cités les noms de Clifford Brown, John' Coltrane ou Elvin Jone!!. Quant à la période contemporaine, elle est délibérément ignorée, puisque l'auteur a revu, semble-til, son livre pour l'édition française. Il est aberrant, pourtant, qu'ait été écartée toute la musi· que qui gravite autour du « free jazz » d'Ornette Coleman, musi,que dont certains aspects en apPtlllent, fait assez neuf, à l'agressi. vité politique et sont liés à la volonté ségrégationniste d'une partie de la jeunesse noire. En dépit de sa richesse, le livre de M. Newton, ainsi, ne doit pas être manipulé sans méfiance. Toutes les étrangetés qu'on y rencontre ne sauraient, cependant, être mises à son compte. Comme il en va pour la plupart des livres traitant du jazz, celui·ci a été traduit par quelqu'un, resté curieusement anonyme, qui a découvert la musique au cours de son tra· vail. On parle ainsi d'harmonies chromatiques à deux tons et d'ex· IJlosion vibrato à l'unisson. Miles Davis joue du cor anglais (qui est une variété de hautbois) au lieu de bugle, les « blue notes » (appelées ici note blues) sont « ef· facées » au lieu d'être infléchies, « horn », qui renvoie aux instruments à vent, est traduit tantôt par cor, tantôt par trompe. Dans son ignorance de l'univers du jazz, le traducteur pèche souvent par excès: Billie Holiday, connue par tous les amateurs sous le pseudonyme de « Lady Day», est appelée « Dame lumière » et Gershwin est crédité d'une Rhapsodie en bleu. Il est vrai que Bach se voit attribuer une Messe en ré! On sera surpris enfin qu'un ouvrage, publié dans une série scientifique, se présente sans aucun index. Et on se dit que ce n'aurait pas été un grand effort que de donner les références françaises'ou américaines d'origine du choix de disques ici présenté sous marque anglaise, et de ce fait parfaitement inutilisable... Michel-Claude Jalard La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

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J.F. Steiner Pierre Daninos Henri Troyat Graham Greene Han Suyin Accoce et Quet Robert Escarpit Jacques Perry Uderzo et Goscinny Jacques Perry

Treblinka Le 36" dessous La faim des lionceaux Les comédiens L'arbre blessé La guerre a été gagnée en Suisse Lettre ouverte à Dieu Vie d'un païen Le combat des chefs La beauté à genoux

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----------------------------_.• SUCCÈS DE CRITIQUE Cette liste est établie, selon un mode de calcul complexe qui en garantit rob jectivité - d'après les articles publiés dans cinq quotidiens, huit hebdomadaires... et un bi-mensuel parisiens. 1 2

J erzy Kosinski Jean-Louis Curtis Roland Barthes Jean-François Steiner Carlos Fuentes Jean Mist1er

L'Oiseau bariolé La Quarantaine 3 Critique et Vérité 4 Treblinket 5 La mort d'Artemio Cruz 6 Les orgues de Saint Sauveur 7 Daniel Boulanger Le chemin des caracoles 8 Marcel Brion De r autre côté de la forêt 9 Henry de Montherlant Va jouer avec cette poussière Une saison dans la vie 10 Marie-Claire Blais d'Emmanuel

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Flammarion Julliard Seuil Fayard Gallimard Grasset Laffont Albin Michel Gallimard Grasset

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Romans

Collines L'arbre à lettres

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Ed. du Seuil L'Arbalète

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Essais Francis Jeanson Jean Orieux Luzius Keller

Simone de Beauvoir Voltaire Piranèse et les romantiques français Dominique Fernandez Les événements de Palerme F. J. Cook Le F.B.I. inconnu Darras Le partage des bénéfices J. L. Talmon Les origines de la démocratie totalitaire

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Gallimard Ed. de Minuit Albin Michel

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I.NFORMATI·ONS

58% 58 % des Français, plus d'un Français sur deux, ne lisent jamais de livres. Telle est la conclusion à laquelle aboutit une enquête de sondase effectuée en 1960. . Les 42 % de Français qui lisent, suivant des prop~rtions variables, appartiennent aux professions libérales, aux cadres supérieurs et moyens. «Leurs rangs ne comportent que quelques industriels, de rares commerçants, presque pas d'ouvriers, et, pour ainsi 4ire, aucun agriculteur. II Il cxiste en France 500 bibliothèques en Suède publiques, contre 4.253 (7.500.000 habitants), 946 dans la seule résion de Westphalie, Colosne y compris (14 millions d'habitants). Dans les établisseme~ts scolaires fran. çais, « Ü n'existe que pratiquement fort peu de bibliothèques centrales Il. «Dans les établissements nouvellement construits, le local destiné à la bibliothèque a été rarement prévu. II L'ensemble ne pèse pas lourd au resard de pays comme l'Ansleterre, l'Allemagne, les pays scandinaves. La France, sous le rapport de la lecture, vient en queue du peloton, juste avant certains pays de la Méditerranée orientale qui ont une population 8 à 10 fois moindre. Afin d'attirer l'attention de nos compatriotes sur un fléau national autre· ment plus catastrophique, à lonsue échéance, que tous les fléaux naturels, l'Association Française pour le Dévelo~ pement de la Lecture vient d'orsaniser une Semaine de la Lecture qui prend fin aujourd'hui, 15 mai. Elle a été inaugurée par une conférence de presse de M. André Chamson et marquée par diverses manifestations, dans les journaux, à la radio et à la télévision. Espérons qu'elle va marquer le début d'un changement dont nous serons heureux, ici, d'enregistrer les étapes.

Promotion itinérante du livre Vne opération de Promotion itinérante du Livre, orsanisée par la Société Coty, à la demande d'un certain nombre d'Editeurs, se déroulera dans 40 'Villes de la Région Ouest de la France du 16 mai au 30 juin prochain. Cette opération a d'abord une mission d'information générale portant sur les divers aspects du Livre. Elle s'adresse

PARIS

~out spécialement aux dil/érents müieux intellectuels qui, de par leurs fonctions ou formation, sont concernés par le Livre: professeurs, instituteurs, étudiants, direc· teurs de bibliothèques, responsables de mouvements de jeunesse et de cercles culturels, journalistes, etc... et naturellement tous les libraires. Elle doit également toucher un v~ public, sans distinction de culture, et tout particu;lièreme.nt celui que les promoteurs de cet el/ort désirent amener à la lecture. Dans ce but, un super car·podium a été équipé e;' Bibliothèque-Exposition. Cette Promotion Itinérante sera l'occasion d'ol/rir au public, sur le plan local, la possibilité de connaître les principaux centres d'intérêts que les livres peuvent lui apporter dans' tous les domaines.

Jean Genet Les Paravents L'Arbalète, Marc Barbezat éd. mise à la scène de l'Odéon Théâtre de France par Roger Blin

S'il n'est ordure ou boue dont la science ne sache tirer profit, Je pense qu'il n'est point d'être si vil et si infime Qui ne soit nécessaire à notre unanimité. Paul Claudel, La ville, Acte III.

Nouvelle. revu_ V ne centaine de chercheurs, parmi lesquels des médecins, des ethnolosues, des professeurs, des architectes, des étudiants, des sociologues, viennent de publier le premier numéro d'une revue au contenu et au style fort attGchants. « Il est vrai Il, déclarent-üs dans .l'éditorial de Recherches (Vüla des Ternes, 7, avenue de Verzy, Paris, 17") « qu'au départ nos recherches pourront semblèr assez disparates, restant très marquées par leurs orisines disciplinaires dil/éren. tes. Nous préférons présenter des études spécialisées en dépit du risque de rester partiellement obscurs plutôt que de faire œuvre de vulsarisation ll.

A l'I:.N.8. Intense activité théorique à l'Ecole normale supéneure. Les chercheurs groupés autour de Louis Althusser et dont la plupart appartiennent à l'V.E.C. ont publié au cours .de ces derniers mois deux revues ronéosraphiées (éditées' par la Société d'Etudes et de Recherches, 27, rue du Faubours Montmartre, 9") : Les Cahiers marxistes·léninistes (à signaler dans le n° II une brève, mais très importante étude de L. Althusser : «Matérialisme historique et matérialisme dialectique Il) et les fascicules de l'Ecole parisienne de' Formation théorique (fiches sur le Capital ei sur la Critique du programme de Gotha). Emanant également de la rue d'Ulm les Cahiers pour l'Analyse où figurent, entre autres, des textes de J. Lacan, de S. Leclaire, de G. Canguilhem, de J.A. Miller.

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LEGPHIRD HG IUCONgU TE DE LIIIRT ETIENNE oRloToN PIERRE DU BOURGUET

L-

--...J

... remarquable synthèse, dégageant les liens qui dans l'art égyptien, unissent les réalisations extérieures aux réalités spirituelles.

RENÉ HUYGHE de l'Académie francaise

DESCLÉE 28

DE

Le sergent

un volume 17 x23 relié pleine toile grège gardes illustrées sous jaquette couleur 424 pages 95 planches en noir (145 photos) 8 planches couleur 96 illustrations le volume 75 F + t 1.

BROUWER

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Lorsque Maria Casarès, voilà quelque dix ans, proférait ces paroles sur la scène du T.N.P., nous ne nous doutions certes pas qu'elle incarnerait aujourd'hui, avec vaillance et alacrité, cet être vil et infime entre tous qu'est la Mère des Paravents - ni que Jean Genet, poète de l'exception s'il en fût, composerait cette admirable fresque qui, mieux qu'un chef· d'œuvre dramatique (en matière de «nouveau théâtre», nous ne sommes plus à un chef·d'œuvre près...), est tiJ;le œuvre profondé. ment et absolument «nécessaire à notre unanimité ». Avant de rendre hommage il l'artisan de cette unanimité qui,

on le devine, ne dépend pas plua du suffrage universel que du suffrage restreint (et plutôt choisi) du public du Théâtre de France, je m'arrêterai un instant sur les deux articles paratonnerres Scandale et provocation par JeanLouis Barrault et Brèves notes préliminaires pour une métaphysique du scandale par Maurice de Gandillac - qui ouvrent le 54e cahier de la compagnie RenaudBarrault, vendu avec le program· me des Paravents. Vous en êtes encore là ! s'écriait Antonin Artaud quand, vers la fin de sa vie, le plus brillant et «arrivé» de ses disciples lui offrait les moyens d'une mise en scène à scandale. Le fait est que Barrault en est encore là à la revue la plus scandaleuse du monde, aux dociles injures de groupe et aux chahuts stéréotypés des réunions électorales - lorsqu'il croit devoir glorifier, au grand dam du fond humain qui en est l'inséparable contexte, la moindre vertu des Paravents. Outre que la provocation sub· ventionnée a bonne mine, et que cela lui va bien de faire le jeunet sur (révérence parler) le dos de' Genêt, il serait temps que le doyen de notre théâtre d'avant.garde sache enfin que scandalisateur et scandalisé, ou provocateur et provoqué, sont de la même paroisse. Or le génie que manifestent le.'i Paravents n'est d'aucune parois8e, et c'est inutilement le compromettre - et tendre des verges pout se faire battre que d'exalter le scandale à son propos. Au vrai, les tenants et aboutissants du scandale forment, dans notre paroisse des bonnes.lettres, deux; patronages rivaux mais solidaires au point d'être interchan· geables, car il n'y a pas de diffé· rence essentielle entre littératures de provocation et d'édification. Pour s'en convaincre - et puisqu'il cite avec révérence cette bruyante calembredaine du Traité .du Style d'Aragon Faire en français signifie chier - , Barrault ne serait pas mal avisé de prêter l'oreille à cette réflexion modeste, mais chargée de sens, que Lar· baud formulait en marge, pl."éci. sément, du Traité du Style ...Tout ce fracas équivaut exactement pour moi, qui n'ai jamais goûté dans les livres que fhumain, à des éloges outrés de gens con· nus, à de niais panégyriques d'ins. titutions sociales et de corps constitués, le tout se terminant par des couplets patriotiques. Quant à Maurice de Gandillac et à ses vues fort instructives sur la métaphysique du scandale, je les abandonne à cette gentille petite mite de la critique théâtrale, qui promet de s'en occuper dès son retour du Japon (au prin. temps, comme on sait, les mites sont très volages) où elle répa.nd à cette heure les bienfaits de l'existentialisme chrétien. Quelle que soit l'issue de cette querelle d'orfèvres, il est douteux qu'elle 8erve


Genet, l'ortie ou desserve une œuvre qui se suf· a lu Pompes funèbres et l'Eclairfit si amplement à elle·même cissement sur les sacrifices, la qu'elle peut s'offrir le luxe d'être ~onsanguinité de ces deux génies le Pré·aux·Clercs des professeurs .saute aux yeux.) Une seule difféde philosophie. rence, mais de taille : l'un de· J~ refw,e donc, pour ma part, mande aux puissances du mal ce de considércr les Paravents sous que l'autre confie aux puissances l'angle mort du scandale et de la du bien, à savoir le salut. Mal, merveilleux mal, toi qui provocation. Je pense, au con· traire, que. c'est pour mettre un nous restes quand tout a foutu le terme au scandale que cette pièce camp, mal miraculeux tu vas nous fut écrite en 1960, c'est·à·dire. à aider. Je t'en prie, ·et je t'en prie l'époque où, tel un raz·de·marée debout, mal, viens féconder mon à son plus haut période, il mena· peuple, et qu'il ne chôme pas ! Cette invocation de Kadidja, çait de tout engloutir. Car s'il faut que le scandale arrive - et il va pleureuse de son état (et pleureuse sans dire que l'interminahle et du premier mort de la rebellion), éclate comme un tonnerre au doum~.ltiple scandale que fut la guerre d'Algérie arriva et perdura zième tableau des Paravents et sans que Genet y soit pour rien - , donne le signal de l'atroce guerre il faut surtout qu'il cesse. Et pour libératrice. Mais elle est préparée que se résorbe cette formidable de longue main par cette trinité la vague de fond, il ne s'agit pas de misérable et patibulaire Mère, son fils Saïd et sa bru se laiss~r porter par son écume ce que firent la plupart des gens, Léïla - qui a été mise au ban de sensibilisés à l'un ou l'autre as- son peuple parce qu'elle constitue pects du scandale - mais il s'agit une famille à part, celle de l'or· d'aller au fond du scandale, et de tie, au nom de laquelle, orgueiltraiter par le fond les forces mys- leusement et comme joyeusement, térieuses et souvent monstrueuses elle assume toute la hideur, la qui l'animent. Or les Paravents volerie et la traîtrise qui sont au atteignent· ce fond, et prouvent monde, et que réprouvent, sans par là même qu'il n'est pas, au- exception, toutes les morales du jourd'hui, de dramaturge morale· monde. ment plus qualifié (comme parle On ne s'étonne point que l'ortie la mite rencontrée plus haut) pour grièche des ruines et des terrains exorciser les fantômes du drame vagues soit chère au cœur de Genet. A toutes les orangeraies et frflDco-algérien. Car le monde moral de Jean roseraies de l'Algérie « heureuse >", Genet est aussi solidement fondé il préfère le carré d'orties qui est et structuré que celui de Joseph le seul patrimoine de la mère et de Maistre, et pareillement irré- de la femme de Saïd. De même versible et providentiel (Pour qui que c'est là qu'elles se retrempent

La mère et la femme de Saïd

pour blesser le monde, c'est dans la nuit pleine d'orties que naît et prospère la Révolution - qui est l'œuvre, en vérité, de cette ortie qu'elle méprise et renie au grand jour, et sacrifie en fin de compte pour que chantent la parade glorieuse et r ordre nouveau. D'où le destin, ignominieux mais resplendissant à la manière d\m soleil noir, de Saïd, fils et époux de l'ortie, qui répond point par point à cette sommation de Léïla : Je veux [... ] que tu cesses de regarder en arrière. Je veux que tu me conduises sans broncher au pays de r ombre et du monstre. Je veux que tu t'enfonces dans le chagrin sans retour. Je veux [... ] que tu sois sans espoir. Je veux que tu acceptes toutes les humilia· tions. Je veux que tu choisisses le mal et toujours le mal. Je veux que tu ne connaisses que la haine et jamais ramour. Et pendant que Saïd et sa famille s'enfoncent dans l'abjection défilent les paravents c'est-à-dire, en somme, les décors que plantent et brossent ellesmêmes, pour se justifier à leurs propres yeux, les diverses personnes du drame. Parfaitement libéral - car il laisse à chacune l'illusion de sa vérité - , Genet nous arrête devant chaque paravent avec une préférence marlf9ée pour ceux qui revêtent un caractère liturgique, et une tendresse .visible pour ces grands artistes, Warka la putain et le lieutenant de la légion, qui demeurent fidèles à leur «style ~ jusqu'à ce que mort s'ensuive. De toute évidence, Genet épouse l'éthique de Warka, la reine des averses aux jupons d'or lestés de plomb qui proclame au bout de vingt-quatre ans de bordel: à qui offrir notre vie et nos progrès dans notre art, à qui sinon à Dieu? Comme les flics, en somme. On se perfectionne pour Dieu... Il partage de même le souci esthétique du lieutenant qui veille à ce que chaque homme pour n'importe quel autre soit un miroir; que la multiplication des miroirs humàins produise ce narcissisme généralisé à quoi rien ne résiste (bf3auté, beauté, ciment des armées' et dont la récompense

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

est, indifféremment, la gloire ou la mort. Aussi l'agonie du lieutenant nous vaut-elle la fameuse oblation des pets, qui occupe déjà une place éminente parmi les plus beaux chants de mort du répertoire national. Promotion due, on le sait, aux émotifs et aux naïfs qui ont cru bien faire en venant conspuer en foule cette originale cérémonie où le chevaleresque et le troufionesque, le patriotique et le folklorique, le grandiose et le dérisoire trouvent si merveilleusement et équitablement leur compt~.

Enorme et délicat Genet! Ses Paravents fourmillent d'inventions profondes et singulières, d'un lyrisme enragé ou d'une drôlerie très bon enfant. Toutefois, dans ce qu'on peut nommer les cas de force majeure - lorsque l'ingéniosité ne suffit pas et appelle le génie à la rescousse - , Genet se tient et nous tient sur la corde la plus raide, où le sublime balance l'abject et prend insensiblement et comme inéluctablement le pas sur lui. A cet égard, rien n'égale la scène, digne de Melville, où la vieille arabe, mère des orties, étrangle doucement, longuement, tendrement comme elle bercerait son enfant pour qu'il s'endorme - le jeune soldat français. Dans les ultimes tableaux de la pièce, les morts des deux camps crèvent les paravents et, toute haine cessante, se réconci· lient (Et on fait tant d'histoires!) sans même avoir besoin de s'expliquer. C'est le degré atteint, dans Shakespeare, quand au soir d'une bataille on voit la paix sur la terr:e comme au ciel. Mais prenons-y garde: deux terribles morts, Saïd et Léïla, manquent à l'appel. Il est inutile de les attendre car; ainsi que s'exprimait Claudel à propos de Gide, le mal ne compose pas, et la graine d'ortie ne saurait se commettre avec le ciel. Voilà pourquoi tout homme de bien doit gratitude et respect à Jean Genet, gardien de ce qui ne compose pas et poète de cette ortie qui, plus que nos bons apôtres et leur humanisme mité, est nécessaire à notre unanimité. Maurice Saillet 29


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Tréheux et Brixhe Etudes, d'arcMoloJÎe clGssique, t. III Ed. de Boccard, 40 F. Bernard Voyenne La pre&Se dGns lo

ABT François Chamoux L'art VIC La bibliothèque dei Arta 57 F. Frank et Hirmer La mollll4Îe Jr8Cque Flammarion, 145 F.

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Alberto Moravia La Ciociara J'ai lu

Louis Aragon Le paysan de Paris Livre de Poche

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La Guilde

Euripide Théâtre tome 3. G. F.

Histoire

André Wurmser La comédie inhumaine Réédition, 64 F.

Club de

Ovide Les Métamorphoses

Graham Greene Un América~ bien tranquille J'ai lu

Amis du livre prosressiste

La Mettrie L'Homme-machine J .-J. Pauvert « Libertés •

française

Poésie Valéry Poésies Gallimard, Poésie de Poche

LIVBB8 DB eLUB

Club des Lïbrail'u de France Paul GalJlUÎD

Economique politique

Noa Noa

Fernand Bouquerel Les études de marché Que sais-je ? P.U.F.

1re édition du texte authentique de GalJlUÎD établi sur le manuscrit initial retrouvé, 43 F 1966

Sanche de Grammont Les Etats·Unis de 10,20 F à 15,60 F.

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Poche-Club

La Quinuine littéraire, 16 _

Romain Goldron Naissance et aposée du clalsicisme 7' volume de l'Histoire illustrée de ÙJ muaique

Tchou Guides noirs : Guide de ÙJ Bretape mystérieuse 39,50 F.

Les liaisons dangereuses: Les amours du chevalier de Faublal /.-B. Louvet de Couvray Préface de Paul Morand Notice de Denis Roche, 49 F. Le livre de chevet: Victor Hugo. Poèmes, 19 F. Lamartine. Poèmes, 19 F. Tréao1'll de la médecine traditionnelle Hiatoire, doctrine et . pratique de l'acupuncture 39 F.

Cette rubrique est réservée aux lecteurs de Cl ÙJ Quinzaine littéraire ». Elle pero met à ceux qui ·'e désirent de faire connaître à l'ensemble de ÙJ rédaction, comme à l'ensemble de nos lecteurs, des opinions et des avis sur notre journal, sur les articles qui y sont publiés, sur ce que nous devrions faire ou ne plU faire. Elle pourrait devenir par là·même un lien vivant, une forme de colÙJboration, entre ceux qui font le journal et ceux qui le lisent. Il nous semble que tous auraient à y gagner. Bien entendu, il nous est impossible de publier toutes les lettres que nous recevons et de les publier intégralement. Noua sommes amenés à faire un choix et à extraire des lettres reçues ce qui noua paraît intéressant pour toua. Noua prions nos correspondants de noua indiquer .'ils acceptent de voir publier leur nom ou s'ils préfèrent conserver l'anonymat. En attendant nous nous bornerons à signer leurs lettres de l'initiale de leur nom et du lieu d'envoi.

Pélioltatloll. Laissez-moi voua dire que j'ai trouvé votre revue excellente; mieux, nécessaire. Robert G. Académie royale de langue et de littérature françaises, Bruxelles. Bien que rayé du monde en ma lointaine montope où je vis depuis 1920, je tiens à voua apporter mon fort inef· ficace mais très chaleureux « bravo • et mes vœux les plua cordiaux. Rimé E., Marrakech. J'ai lu toua les numéros de ÙJ Quinzaine et je suis enthouaitUte. Mon mari aW8Ï. Noua voua félicitons de l'intérêt, de ÙJ recherche, et de l'intelligence qui jaillissent de toutes les pales. En ce qui me concerne, j'ai enfin trouvé un journal littéraire frarn;ais me dannant une très grande satisfaction personnelle et professionnelle. B.G., Paris. [Mme RG., Américaine, représente à Paris une grande maison d'édition de son pays.]

L'opinioll d'1Ul m6deoin Cette Quinzaine littéraire c'est, pour l'homme surmené mais qui n'a plU renoncé à sa curiosité ÙJ baguette du sourcier, l'instrument du choix. Attentive à tout ce qui paraît; faisant sa place GlU meilleurs écrits des sciences humaines, politiques, sociales et biololiques. Or, ces matières sont au moins aussi importantes que ÙJ littérature pour l'homme d'aujour. d'hui. J'admire que ÙJ plupart des articles de « ÙJ Quinzaine littéraire » constituènt déjà un dacument valable en soi. Dr Michel L., Paris.

Plua pl Votre journal est intéressant, mais bien austère. Ne pourriez·voua « l'ésayer • un peu par des articles qui ftUSent moim compte rendua, sans tomber pour autant dans ÙJ facilité et ÙJ chronique «parisienne» ? sn., Paris.

Batlafaotioll et ..poir Lecture faite des trois premiers numéros de «ÙJ Q.L.. et avant d'ac1uJNT demain le 4', permettes-moi de venir flOU exprimer ma vande satisfaction pour votre journal. /e ne crois plU du tout qu'il ait besoin d'être amélioré comme VOUI sembla le penser. Il atteint d'emblée ÙJ réUNile... AW8Ï votre entreprise comble-t-elle un vide immense, et étranle, pour un PfIY' réputé lettré. l'espère donc que voua flOU en tiendrez à l'esprit (et méme à ÙJ lettre) de ces troia preJAÜll'l nwairoI et qu'on

ne verra

plU ce solide périodique bifur. quer comme tant d'autres sur les voies de ÙJ facilité dans l'espoir falltJcieuz de·' racoler quelques lecteurs supplémentaires. M. G., Saint·Nazaire.

Mom. béai...ur Voua avez un louable souci d'objectivité, et je vous en félicite. J'aimerais pourtant, parfois, des prises de position plua vi,OUreuses, un ton moins bénisseur. Toua les livres dont vous parlez ont leur intérêt, j'en suis persuadée, mais j'attends qu'on me détourne de ceuz que je vois vanter ailleurs pour des raisons que je ne comprends plU et qui ne tiennent pas à leur valeur, j'en ai fait l'expérience. Renée C., Clermont, Oise.

Illquiétude Je voua prie de biéia vo~ troUtltll' ci·joint le montant d'un abonnement. /e me permets seulement de voua indiquer que je suis un peu inquiet de certains tUpect& de votre publication. En. face d'articles clairs et informatifs, je vois apparaître de ces compte rendua dit Cl brillant& • qui sont seulement snobs et inutiles. Il .'ap de rendre compte sereinement et c1airement des ouvrages, non plU de raconter des paradoxes plua ou moins éculés. Jean M., Montpellier.

Pl•• oomplet et plu. aueoind J'aimerais que vous soyez plua complet et plua succinct dans les commentaires, que pour les auteurs du poilé 1I0~ nous danniez des biographies et .urtout des bibliographies avec indication de ÙJ meilleure édition (complète, critique, ete. ). A côté du «livre de ÙJ quinzaine lt, j'aimerais trouver de temps en temps le dossier du mois, de l'année. Marc B., Saint-Junien.

Lea c la8trumelltll pour oomprelldre lt [A propos des articles de Jean-François Revel et de Lucette FintU .ur Barthes et ÙJ Cl nouvelle critique », noua avions publié (nO 4, 1"' mai) une lettre de M. Demmy, Paris, noua demandant .'il était «indifférent que les groupes tech· niciens, si prompts à s'instituer n08 guides-ânes soient tous rémunérés par l'Etat ». M. S.B., de Paris, revient .ur cette question.] Ce bon Dezamy manque sans doute des « .instrument& pour ~ faire cQmprendT8 •• Il ne .s'agit plU de « vouloir» une « indépendance» quelc0ntue du critique vis-àvis de l'Etat, mais de constater sa déPf1l'" dance. En soi d'ailleurs l'indépendance sur ce plan ne chanse rien à l'affaire : avant l'arrivée au pouvoir des nationauxsocialistes, les critiques - littéraires ou autres nazis étaient attaches étatiques, souvent faméliques; ils n'expri.maient pas pour autant une pensée « libre ». Un penseur rémunéré par l'Etat; feu Georges Bataille par exemple, peut faire œuvre ori,ïnale et libre (autre chose est de le .uivre) cela, en partie du moim, parce qu'il n'est plU payé pour penser ce qu'il écrit, mais pour tout autre c1aoae. Tel n'est plua en. lénéral le CtU des critiques actuels, dans toua les domaines d'ailleurs. Si Demmy .'était exprimé correctement, il aurait dit : « D'abord, psychanalyser le psychanalyste », d'abord examiner ICI situation pratique dans le monde pour comprendre ses « instruments •• Et point n'est besoin pour en traiter, de poser le problème d'une transformation sociale à venir, il suffit d'étudier celle qui se dé· roule soua nos yeuz. SB., Paris.

sam

SI


Francis Jeadson Simoné de Beauvoir ou l'entreprise de vivre

.SIMONE DE BEAUVOIR ou l'entreprise de ri,wre, suiwi de deux entretiens awee S.de Beauwoir par Francis Jeanson Après avoir interrogé l'œuvre de Simone de Beauvoir, trouvé des éclairages nouveaux sur l'une des pensées les plus vivaces d'aujourd'hui, Francis Jeanson a voulu connaitre les réactions de l'auteur face aux Questions Qu'il pose au fil de son étude et aux réponses Qu'il a cru pouvoir leur donner. Ainsi, la seconde partie de son livre, appelée à faire date, est-elle constituée par deux passionnantes conversations entre Simone de Beauvoir et luI. -

rOifftans, théâtre

1 vol. avec 15 photos en hors-texte. 304 p., 18 f.

HEINRICH BbLL Loin de la troupe 12 f (nouvelles) Un humour qui, à travers l'observation psychologique, sociale, politique, ne cesse pas de s'affirmer.

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ITALO CALVINO La Journ" d'un scrutateur 8,50 f Un Intellectuel communiste surveille les opérations de vote dans un hospice religieux.

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CARLO CASSOLA Le ch....ur 12 f Par l'auteur de "La Ragazza ", PETER WEISS L'Instruction 18 f (théatrel La transcription lItanlque et scrupuleuse de procès-verbaux du tribunal de Francfort devant lequel comparurent, 20 ans après, des responsables du camp d'extermination d'Auschwitz.

poésie

Vérité :~

par Roland Barthes Ce livre, loin d'être seulement une mise au point dans une qilerelle déjà périmée, veut éclairer le changement profond de notre culture par rapport à la Question centrale de l'Interprétation, et Introduire à cette nouvelle histoire. qui touche au passé comme à l'avenir : la science de la littérature, sa critique et sa lecture devenant ainsi trois aspects complémentaires d'un même acte de vérité.

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Collection "Tel quer, 1 vol. 80 p., 4,50 f.

IOSSIP BRODSKI Collines et .utres poèm.s 7,50 f Poèmes réunis et traduits à l'Insu d'un jeune poète russe, condamné pour "parasitisme social" à 5 àns de séjour dans un camp de travail, et récemment libéré.

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TOlDe t : prose La majeure partie des textes réunis dans ce premier volume des Œuvres de Rainer Maria Rilke avaient déjà été traduits en français, grâce surtout à la ferveur et au dévouement Que Maurice Betz avait mis au service de Rilke en France. Ces traductions dispersées en divers volumes et plaquettes se trouvent Ici réunies pour la première fois. Nous y avons ajouté plusieurs textes encore Inédits en France.

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GERARD GENETIE Figures 18 f Dix-huit études et notes critiques à travers des sujets aussi divers que Proust et RobbeGrillet, Borges et l'Astrée, Flaubert et Valéry, le structuralisme moderne et la poétique baroque FRANCIS JEANSON Slmon.d. Beeuvolr ou l'entreprl.. de vivre, suivi de deux entretiens avec Simone de Beauvoir. Avec 15 photos en hors·texte 18 f

Nouvelle collection de poche dirigée par Jean Cayrol .. Ecrire" donne la parole à des écrivains débutants Qui ont en eux une vision personnelle de ce Qu'Ils vivent Quotidiennement, font de chacun de leurs livres un·apprentlssage. C'est à vous, public, lecteur fidèle, en lisant ces auteurs, d'essayer de savoir ce Que peut être l'avenir de notre langage même dans une Inexpérience." J. C. 3 volumes parus. Chaque volume 3 f .-

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Les infortunes de la raison

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LES INFORTUNES DE LA RAISON par André Regnier SI l'on examine de près le travan scientifique, non selon l'optique du philosophe, mais du point de vue pratique de l'homme de science, on s'aperçoit Que la nature n'a pas de lois, que l'expérience ne prouve rien et Que le raisonnement finit toujours par nous fourvoyer. 144 p., 9,50 f. Nouvelle collection "Science ouverte" dirigée par Max de Ceccaty.

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